Heinrich Heine (1797-1856), écrivain allemand qui vécut ses vingt-cinq dernières années en France, est presque un inconnu ici. Par contre il est immensément connu en Allemagne pour avoir, notamment, composé quelques-unes des poésies les plus populaires que chaque écolier apprend en classe.
Ce poète-écrivain-journaliste progressiste, et même révolutionnaire, collabora un moment avec certaines publications de Karl Marx. C’est à lui que l’on doit la comparaison célèbre entre la religion et l’opium du peuple, que Marx reprit par la suite.
A l’occasion du bicentenaire de sa naissance, sa ville natale, Düsseldorf, a organisé une exposition qui a eu un grand succès, exposition qui se trouve en ce moment, et pour peu de temps, à Paris. Malheureusement elle est divisée en deux endroits, ce qui ne facilite pas les choses : à la Bibliothèque Historique d’une part (c’est par elle qu’il vaut mieux commencer) et au couvent des Cordeliers d’autre part. On y insiste sur le côté « européen » avant l’heure de Heine, qui œuvra en effet pour l’amitié entre les deux nations. C’est au goût du jour mais cela réduit la portée politique de cet auteur qui sent toujours le soufre et suscite toujours des haines tenaces.
Né dans une famille juive et voué au négoce, il rompit avec cette destinée et avec la religion. A vingt-cinq ans il édita ses premières poésies. En 1830, apprenant la nouvelle de la Révolution à Paris, il y accourut. L’année d’après, il dut quitter à nouveau l’Allemagne pour un exil définitif en France.
Heine, qui vit naître la société bourgeoise du début du XIXème siècle, en vécut les convulsions en témoin lucide et en critique acerbe et caustique. Il combattit les vieilleries féodales de l’Allemagne de cette époque, l’oppression intellectuelle, la religion. Mais il s’attaqua aussi à l’opposition libérale, à la bourgeoisie, repue et écrasant le peuple en France, et craintive en Allemagne devant les dynasties princières. Sa critique ouvrit un chemin à la génération d’après, celle de Marx et Engels.
C’est justement à Paris que Heine rencontra ces derniers, jeunes exilés allemands eux aussi. Avec eux il collabora aux Annales franco-allemandes puis au journal destiné aux Allemands en exil, Vorwärts.
A la fin de ses jours, Heine retourna à la religion ; triste fin. Il avait cependant écrit auparavant : « Posez sur ma tombe un glaive, car j’aurai été un brave soldat dans la guerre de libération de l’humanité ». C’est donc de l’écrivain qui a manié sa plume comme un glaive qu’on se souviendra.
Trois quarts de siècles après sa mort, l’Allemagne hitlérienne brûla les livres de ce Juif cosmopolite et révolutionnaire. Mais comment effacer l’auteur de tant de poésies qui rendent si bien « le tréfonds de l’âme allemande », l’auteur de la Lorelei ? Le nazisme les déclara donc d’auteur inconnu... Et aujourd’hui Heine suscite toujours des haines tenaces : en 1980 son nom fut proposé pour rebaptiser l’université de Düsseldorf, ce qui paraissait aller de soi ; mais les autorités préférèrent l’écarter du fronton de l’édifice...
Ceux qui voudraient se faire une idée de ses écrits, de sa plume ironique et féroce, pourront lire son recueil d’articles De la France destiné aux lecteurs allemands (réédité par les éditions du Cerf), et dans la même collection, De l’Allemagne destiné cette fois aux Français, à qui il exposait notamment une histoire du mouvement des idées, et la révolution philosophique qui s’accomplissait alors en Allemagne, ouvrages pleins d’intérêt, même à notre époque.
Heinrich Heine, De la France (Éditions du Cerf, 240 F) ; De l’Allemagne (Éditions du Cerf). Expositions : Bibliothèque Historique, 22, rue Malher (4ème), 20 F et Couvent des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-médecine (6ème), 20 F. Les deux expositions jusqu’au 1er novembre.