Comment l’Elysée veut clore l’affaire Leonarda
Sur quelle piste atterrir ? A Orly, d’abord, où Manuel Valls est arrivé, samedi 19 octobre dès l’aube, après avoir écourté un déplacement aux Antilles qui devait s’achever 24 heures plus tard. Sur une position de compromis, ensuite, destinée à extirper le gouvernement de la crise politique vers laquelle le cas de Leonarda Dibrani semble tout droit l’emporter. Une issue de secours qui devrait se matérialiser par une nouvelle circulaire « sur la sanctuarisation des temps scolaires et périscolaires », indique-t-on à l’Elysée.
C’est pour se voir remettre samedi matin, « à lui et à personne et d’autre avant », selon l’un de ses conseillers, le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur les circonstances de l’expulsion de la collégienne de Pontarlier (Doubs), lequel a été rédigé dans la nuit, que M. Valls a abrégé un séjour en Martinique et en Guadeloupe qui l’a tenu, trois jours durant, éloigné de la principale tempête qu’il ait eu à affronter depuis son installation place Beauvau.
« Un déplacement très dense, très prenant, sur lequel il est resté concentré », assure l’un des accompagnateurs du ministre, pour qui « il rentre parce qu’il faut aussi qu’il défende ses positions ». « Vu d’ici, tout cela paraissait très décalé, minimise le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, également du voyage. Jeudi, lors du dîner, pas une seule fois le sujet n’a été évoqué. Les gens l’ont interrogé sur les huit nouveaux radars ou la pérennisation de l’escadron de gendarmerie mobile envoyé en renfort... »
LA NÉCESSITÉ DE TEMPORISER
Loin de l’œil du cyclone, l’équipe du ministre de l’intérieur, qui a scrupuleusement évité le sujet, avait cependant fait parvenir, par SMS et à quelques milliers de kilomètres de distance, cet argumentaire succinct et quelque peu mécanique : « Valls a demandé une inspection ; la gauche, c’est respecter à la fois l’enceinte de l’école et l’application ferme de la loi dans le respect des personnes ; il ne faut céder à aucun emballement et attendre les conclusions de l’inspection ; le ministre est déterminé et serein ; il y a des cas particuliers qui doivent être traités dans le respect des principes mais attention à l’enjeu du dossier de l’asile qui est énorme ! »
Samedi matin, après son retour, le ministre de l’intérieur s’est s’entretenu du contenu du rapport avec le président et le premier ministre. M. Valls ou M. Ayrault devrait ensuite détailler durant le week-end, devant un média choisi, la position du gouvernement.
Un exercice des plus délicats qui impose de temporiser. « Nous avons besoin d’analyser attentivement la véracité des faits pour en tirer les conséquences sur ce dossier en particulier, mais aussi sur les modes opératoires de manière générale », indique-t-on à l’Elysée.
« SUR LE FOND, LE DÉBAT N’EXISTE PAS »
Un dirigeant socialiste le dit autrement : « Il faut beaucoup de sang-froid pour aborder une situation qui compte de multiples contradictions. Tant que le jeu n’est pas posé, vous ne pouvez pas construire une tactique. » « On ne franchit pas certaines frontières et la porte de l’école en est une », a asséné Valérie Trierweiler, en visite, justement, dans son ancienne école primaire, à Angers. « L’école est un lieu d’intégration, elle n’est pas un lieu d’exclusion », a précisé Mme Trierweiler. Une première de la part de la première dame, qui n’avait plus mis les pieds sur le terrain politique depuis son tweet de juin 2012 : c’est dire que l’affaire était d’importance.
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La position du chef de l’Etat est d’ores et déjà connue, elle figurait, en 50e place, dans la liste de ses engagements de campagne : « Je conduirai une lutte implacable contre l’immigration illégale », expliquait alors le candidat, qui évoquait des « régularisations au cas par cas sur la base de critères objectifs ». Et le président n’a pas l’intention d’y déroger. « Sur le fond, le débat n’existe pas : les Dibrani étaient des demandeurs de droit d’asile qui n’ont pas été reconnus en tant que tel, ils ont épuisé tous les recours, la régularisation n’a pas été accordée », résume-t-on à l’Elysée.
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C’est bien sûr la forme, donc, celle de l’extraction d’une élève de 15 ans d’un car scolaire, que le président entend corriger le tir, sous la forme d’une nouvelle circulaire « pour qu’il n’y ait pas répétition de cet acte ». Commentaire d’un membre influent de la majorité : « C’est l’os à ronger pour ceux qui se sont offusqués de la façon dont les choses se sont passées. »
CLARIFIER LES CHOSES
Cible d’un feu politique nourri ces derniers jours, Manuel Valls, qui répétera « qu’il est totalement pour la sanctuarisation des écoles », indique un conseiller, n’aura pas à reculer. « La situation a changé. Le rapport va clarifier les choses, qui sont plus complexes que ce que certains ont cru au départ », indique son entourage, qui poursuit : « Certains, à gauche, ont du mal à assumer qu’il faille une politique des flux migratoires. Mais il y a un ministre dont c’est la fonction. »
Quant au président, il se tient plus que jamais sur le fil, en équilibre instable entre ses deux gauches. « Une partie de la majorité est pour une régularisation à niveau plus élevé, c’est vrai. Une autre partie n’est pas sur cette ligne. Il faut faire vivre tout ce monde-là ensemble », confiait récemment M. Hollande à ses proches.
Certains, au sein même du gouvernement, espèrent encore faire bouger les lignes vers un moratoire total des expulsions de mineurs scolarisés. Diagnostic d’un dirigeant du PS : « Si vous ne faites pas revenir Leonarda, lycéens, droits de l’hommistes et multiples réseaux de gauche en seront ulcérés ; si vous la faites revenir, frontistes et droite dure en feront leurs choux gras. C’est une machine infernale, qui risque de créer soit de l’abstention à gauche, soit de la surmobilisation à droite. »