person:leyla dakhli

  • Une histoire à cœur ouvert - Vacarme

    https://vacarme.org/article3187.html

    Un jardin, puis chacun derrière un écran, et enfin à l’aéroport : trois lieux pour trois moments de rencontre. Il ne pouvait sans doute en être autrement pour discuter avec une historienne qui a fait des circulations des idées et donc des hommes et des femmes, ses sujets depuis près de vingt ans. Jérusalem, Damas, Beyrouth, Tunis, Le Caire ne sont plus ici des points, mais des lignes auxquelles on s’accroche et qui s’entrelacent, là et là-bas, avant et maintenant, le fil toujours tendu pour que la connaissance ne perde jamais de vue la chair qui la constitue.

    Une histoire à cœur ouvert - Vacarme

    Entretien avec Leyla Dakhli

    "Je peux dire les choses aussi simplement que cela : produire un travail sérieux sur la Syrie, c’est prendre position pour les Syriens qui se sont soulevés contre le régime. Il est tellement facile de dire quand on est savant que tout était déjà là, que cette révolution n’en a jamais été une. L’engagement consiste de manière obstinée à laisser ouvert ce qui l’était, à démontrer sans cesse que cette ouverture était là, et à essayer de comprendre ce qui a fait que cela s’est fermé. Cela ne veut pas dire qu’il faut être béatement optimiste, mais cela relève d’une forme d’espoir : si cela est advenu une fois, cela peut se produire de nouveau. Le surgissement des révolutions reste un objet historique presque miraculeux. Évidemment il n’en est rien, mais cette impression de miracle est intéressante à comprendre et à décrypter. Il faut surtout résister aux discours qui replient tout. C’est vrai que sur la Syrie, la force de la prophétie autoréalisatrice du régime a été puissante. Si on reprend les discours de Bachar el-Assad dès le début du soulèvement, on voit bien comment il a construit une lecture des événements qui a fini par s’imposer grâce à un certain nombre de tonnes d’explosifs et d’alliances diverses et variées. C’est important à garder en mémoire afin de résister à cette logique et à ce rabattement idéologique. Il importe aussi de rendre justice à ceux qui se sont battus, qui sont morts, qui sont partis et pour cela continuer à écrire l’histoire de cet épisode, dont la mémoire et l’histoire ne doivent pas être seulement celle d’un échec. L’échec n’est peut-être pas même la question. Même si c’en est un, il ne faut pas en faire quelque chose d’inutile, une micro-parenthèse dans un Moyen-Orient gouverné par les intérêts et la violence extrême. Il convient de raconter d’autres manières d’habiter ce territoire et d’autres manières de les vivre. Il convient de redonner aux soulèvements leur rationalité, leur raison d’être. Je ne vois pas là d’incompatibilité avec la démarche historienne : il n’y a pas de raison d’aller chercher une autre dénomination, sous prétexte que celle-ci serait militante. Je crois que quand on fait de l’histoire aujourd’hui, la notion d’engagement n’est en rien un repoussoir, elle est un aiguillon pour produire une recherche et un récit qui puisse rompre avec les réductionnismes de toutes sortes, qu’ils soient idéologiques, géopolitiques, économiques. C’est ce que m’ont appris des historiens comme Edward. P. Thompson ou Michelle Perrot. Et cela va bien au-delà de l’histoire : sans le cadre des recherches contemporaines sur des sujets comme la migration, sans les militants, on ne saurait rien ou presque ! Enfin, je n’ai jamais aimé écrire l’histoire en fermant le raisonnement et en le considérant comme clos. Ce temps présent m’a permis de comprendre ce que je cherchais lorsque j’avais travaillé sur la révolution de 1908 dans l’Empire ottoman. On a toujours des périodisations et des catégorisations qui sont des réponses érudites à des ignorances absolues, à savoir tout ce qui se joue dans la fragilité de ces instants. Quand je suis partie de Tunis le 4 janvier 2011, mon père disait « il ne va plus rien se passer, la rentrée universitaire a eu lieu et personne n’a bougé ». Selon lui, c’était fini. Or, cela s’est nourri d’autres choses ; c’est passé par d’autres canaux. Les universités n’étaient plus le bon lieu d’observation. Il fallait regarder sur les smartphones, lire les post. Et ce sont ces images et ces commentaires qui ont gagné les quartiers populaires, puis les universités. Ce type de micro-observations m’a fait penser qu’il fallait refaire de l’histoire en étant très attentive à ces toutes petites dynamiques, à tous les chemins qui ne mènent pas forcément quelque part, mais qui restent inscrits dans l’histoire des mouvements sociaux et des révoltes en particulier. Fondamentalement, tout ceci me remue. Je ne fais pas exprès. Et je suis en permanence en lutte avec l’idée de « devenir une professionnelle » : il me faudrait alors me mettre à écrire froidement, à me tenir en retrait. Je revendique la distance telle que l’historien italien Carlo Ginzburg a pu la définir, une distance qui rend justice, qui aide à trouver des mots pour dire ce qui est juste, au plus juste des choses qui doivent nous faire bouger parce qu’ils produisent ce que Ginzburg appelle estrangement, ici une forme de décalage qui passe par l’écriture de l’histoire, qui introduit toujours une traduction, un déplacement, une interrogation."

    • « Je peux dire les choses aussi simplement que cela : produire un travail sérieux sur la Syrie, c’est prendre position pour les Syriens qui se sont soulevés contre le régime. »
      J’avoue rester sans voix devant cet énième témoignage d’une inexplicable fascination pour la « révolution syrienne »... La suite offre quelques nuances mais tout de même !

  • http://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/les-femmes-dans-le-monde-arabe-permanences-et-mutations

    Leyla Dakhli. Elle est chercheuse au CNRS, attachée au centre Marc-Bloch de Berlin et on lui doit des travaux précieux sur l’histoire du Proche-Orient contemporain et sur celle des femmes en mouvement dans cette région du monde, sur l’évolution des formes qu’un féminisme original pu y prendre depuis le XIXe siècle. C’est de ce sujet que nous allons parler, pour tâcher tout à la fois de pourfendre un certain nombre de clichés que continue de charrier parmi nous l’héritage d’un orientalisme parfois fantasmatique et d’approfondir la complexité d’évolutions qui ont été bousculées par des forces multiples et souvent antagonistes. Ce féminisme a dû construire sa marche, qui n’a pas été linéaire, entre tradition religieuse et modernité culturelle, certes, mais aussi entre fierté nationale et fascination occidentale, entre déterminations étatiques et pulsions populaires, entre revendications politiques et aspirations sociales. Dans ce paysage, le port du voile, qui est devenu à nos yeux de contemporains un enjeu majeur, apparaît dans la complexité de sa symbolique et de son usage et je gage qu’il sera fort présent dans notre conversation. Comme il advient généralement dans le dialogue du passé et de l’actualité, on aurait tort de donner de ce tissu une interprétation trop simple, parce que plusieurs sortes de voiles ont existé et perdurent, et parce que leur portée concrète et emblématique a pu beaucoup varier d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre.

  • Leyla Dakhli s’insurge contre la publication par CNRS Editions d’un livre signé du reporter de guerre Renaud Girard consacré, entre autres, à la Syrie : Le Monde en marche (2014)
    Science sans conscience, etc. - Libération
    http://www.liberation.fr/chroniques/2014/02/21/science-sans-conscience-etc_982086
    #paywall (mais plus pour longtemps. Après il n’y aura plus de mur, et surtout plus rien derrière #Libération ou #feu_Libération)

    Nous sommes confrontés aujourd’hui à une défiance nouvelle, qui a pour effet de faire du discours sur ce pays une simple confrontation d’opinions. Je veux ici identifier quelques-uns des dispositifs qui sèment le doute.

    L’absence de frontière claire entre le travail des journalistes, la parole des chroniqueurs intellectuels et celle des chercheurs est certainement en cause pour une part. Mais cette indistinction n’est pas seulement entretenue par les pages des journaux qui accueillent un peu de tout, et c’est normal. Le sommet me semble atteint lorsqu’une maison d’édition universitaire (ici, CNRS Editions) labellise l’ouvrage qui, d’après la quatrième de couverture, « bien mieux qu’un journal télévisé, nous offre le film des secousses telluriques qui ont rythmé la vie internationale ». L’auteur de cet ouvrage, Renaud Girard, devenu expert du Moyen-Orient contemporain - et de la Syrie en particulier - par la grâce du label CNRS, est invité à commenter l’actualité, non comme journaliste, mais comme scientifique. C’est là que le bât blesse. Il déroule alors une vision exclusivement confessionnaliste de la région ; défend, au nom de la protection des chrétiens, le régime de Bachar al-Assad ; critique la vision des analystes incapables de prévoir la solidité du régime baasiste ; parle d’une « guerre de religions » globale que nul n’est censé ignorer ; déroule donc ce que l’on appelle communément une « grille de lecture », cohérente, carrée, facile à comprendre… bref, un vrai soulagement qui fait oublier à tous que cela signifie qu’il faut, in fine, défendre Bachar al-Assad (ou, en Egypte, l’armée).

    Ce que le reporter de guerre Renaud Girard écrit ne doit pas être censuré, mais on peut s’interroger, voire s’insurger de sa publication au CNRS. Celle-ci n’a été possible que parce que ces éditions ont renoncé, au nom des impératifs de rentabilité, de rapidité, de réactivité, aux processus de sélection, de vérification collégiale qui caractérise les éditions universitaires. Malgré ce changement majeur, être publié au CNRS continue, pour la plupart des gens, à signifier quelque chose. Cela permet à l’auteur dudit « journal télévisé » d’être qualifié d’expert par des journalistes eux aussi dépassés par la rapidité, le temps qu’il faudrait pour tout vérifier.

    Cette confusion des critères de distinction sociale et académique, mais aussi des moyens de vérification, des espaces de contradiction, porte gravement atteinte à la vérité, ou à ce qui tente de s’en approcher. Elle porte aussi atteinte à la notion d’engagement, qui s’énonce clairement et n’a pas besoin, pour s’affirmer, de porter atteinte à la vérité ou de tordre la réalité. Tout comme les sociologues, historiens, philosophes du genre peuvent s’engager pour l’égalité sans mettre en danger leur science, nous autres spécialistes du monde arabe contemporain pouvons considérer qu’il est de notre devoir d’aider les Syriens sans être soupçonnés en permanence d’être de « parti pris ». Car notre engagement ne nous fait pas renoncer à notre science, ses contradictions, ses difficultés et son aspiration à la vérité.

    Je n’ai pas lu l’ouvrage, mais on peut en effet s’interroger : pourquoi les Editions du CNRS ont elles besoin de publier un livre de Renaud Girard ? Inversement, que recherche Renaud Girard en publiant cet ouvrage chez cet éditeur (objectivement moins bien distribué) : n’a t il pas trouvé un éditeur plus grand public ?
    Autrement dit, c’est quoi un éditeur « académique » ? quels critères de sélection doit-il privilégier ?

    Par ailleurs, signalons que plusieurs livres de CNRS Editions, notamment sur le Proche-Orient, la Méditerranée ou le MOnde musulman, ont récemment été publiés en accès libre (mais pas tout du tout... dommage)
    Par exemple, l’excellent Briser la mosaïque de Géraldine Chatelard : http://books.openedition.org/editionscnrs/3634 ou encore Mohamed Kamel Dorai Les réfugiés palestiniens au Liban. Une géographie de l’exil http://books.openedition.org/editionscnrs/2418
    #Syrie #édition_SHS #édition_numérique

    • D’accord pour un questionnement sur la question de l’éditeur académique, et la caution « scientifique » d’opinions politiques.

      Mais en même temps, je ne peux m’empêcher de penser : ENFIN !

      Pourquoi donc a-t-il fallu attendre un bouquin de Renaud Girard pour que la communauté scientifique concernée pose enfin la question de l’enrobage et de la caution « scientifique » d’engagements politiques particulièrement discutables ?

      Surtout si c’est pour en revenir aux très habituelles (et fort peu scientifiques) accusations de haute-trahison du style : « bref, un vrai soulagement qui fait oublier à tous que cela signifie qu’il faut, in fine, défendre Bachar al-Assad (ou, en Egypte, l’armée). »

    • Excellente initiative que cet OpenEdition Books, mais je suis toujours abasourdi de voir (ici comme pour la plupart des bases de données en accès distant) la « différence de traitement » selon que je m’y connecte avec mes identifiants de gueux d’IEP de province (souvent quelques extraits d’ouvrages accessibles en ligne), ou avec des identifiants gracieusement prêtés par une camarade de Sciences Po Paris (et là, la caverne d’Ali Baba : la totalité des ouvrages, entièrement téléchargeables, en format PDF ou liseuse...).

    • @niss : certes. Mais le programme est tout nouveau et il faut signaler aux bibliothécaires les ouvrages à acheter : ce n’est pas une logique d’abonnement comme les revues. Et, oui, ScPo Paris a évidemment plus de ressources financières mais aussi une politique de documentation numérique très avancée.
      @nidal : pour moi la difficulté est de tenir, dans les médias, un discours audible (c’est à dire que les journalistes vont reproduire) tout en reconnaissant que l’essentiel des informations provient de contacts téléphoniques ou du recoupement de diverses vidéos - mis en résonance avec les grilles de lecture et les connaissances préalables du chercheur. Or, cette prudence méthodologique, elle, ne passe pas dans les médias. Du coup, les moins scrupuleux, qui rendent les avis les plus tranchés, sur la base des grilles de lecture les plus carrées, sont les plus audibles (et ce ne sont pas forcément les plus experts).
      Ensuite, les chercheurs sont pris dans une « dépendance au sentier » qui fait qu’ils centrent leurs discours sur des objets qu’ils connaissent, cad sur lesquels ils peuvent utiliser les mêmes sources / informateurs. Ainsi, un Balanche a des antennes en milieu alaouite et classe moyenne et aisée damascène, un Pierret en milieu Frères musulmans et plus largement milieux religieux sunnites. Il est clair que ces sources d’information différenciées ne peuvent les conduire ensuite à tenir un discours convergent.

  • Constitution tunisienne raturée - Libération par Leyla Dakhli
    http://www.liberation.fr/chroniques/2014/01/24/constitution-tunisienne-raturee_975324

    Dans cet enchevêtrement de conditions d’exercice du pouvoir constituant, il est un élément que l’on pourrait être tenté d’oublier, c’est la révolution elle-même, celle qui a rendu possible la convocation de cette assemblée. Elle est présente dans le texte, sous le signe de la « fidélité au sang de nos martyrs », de la volonté de « concrétiser les objectifs de la révolution ». Elle est présente aussi dans l’ajout d’un simple mot à la devise tunisienne qui était « Liberté, Ordre, Justice » et devient « Liberté, Dignité, Justice, Ordre ». Car dans la Constitution, il y a aussi, la lettre de la signification d’une nation, ses proclamations, ses prologues, l’hymne et la devise. Celle-ci inclut à présent la karama (« dignité ») scandée dans les rues lors des journées révolutionnaires. La justice a pris place avant l’ordre, assez cédé de terrain face à cet ordre qui a tant servi de prétexte à la tyrannie. Ainsi, il sera la dernière roue du carrosse, un recours en dernière instance, après la liberté, la dignité et la justice. Même si, à l’écoute, il arrive comme pour couper court à tout élan, comme un point d’ordre, précisément.

    #paywall

  • Où est l’intérêt national et qui le sert ?
    http://www.jadaliyya.com/pages/index/14073/o%C3%B9-est-l%E2%80%99int%C3%A9r%C3%AAt-national-et-qui-le-sert-
    texte de Leyla Dakhli
    Au delà du conflit politique « laïcs » / islamistes, la constitution (ou la reproduction) d’une nouvelle élite des affaires et des médias

    Ces jeunes entrepreneurs et hommes de médias véhiculent une image de la Tunisie qui semble être le socle de leur politique : « leur Tunisie » est ouverte sur le monde, libérale, tolérante et entreprenante. Elle coïncide avec une exaltation des droits de la femme tunisienne, avec une volonté de maintenir un marché ouvert, et de contenir les menaces à l’ordre et à la sécurité des tunisiens. Le spot de l’ULP, articulé autour du mot « tawwa », maintenant, ajoute une dimension d’urgence (campagne « tawwa »). On y voit des personnages censés représenter la Tunisie dans sa diversité, réclamer la fin immédiate d’un état de servitude, de chômage, de pénibilité. Tout ceci filmé avec une esthétique télévisuelle soignée, loin des réalités du pays.

    Les chaînes télévisées privées reflètent dans leur ensemble cette volonté de donner la parole aux Tunisiens et aux Tunisiennes, mais aussi de véhiculer un esprit léger, libre, moderne. Les plateaux de talk show sont calqués sur leurs équivalents européens ou américains, des chroniqueurs viennent interrompre des discussions ou des débats trop longs, des comiques prennent peu à peu place (y compris un version locale des Guignols de l’info, aujourd’hui disparue). Les émissions les plus populaires (notamment les émissions politiques) sont immédiatement discutées et disséquées sur les réseaux sociaux et au-delà. Cet ensemble télé privée-réseaux sociaux dessine une Tunisie en partie imaginée (une communauté imaginée, au sens de Benedict Anderson) qui tient lieu de nation implicite de référence chez une bonne partie des élites urbaines tunisiennes. Elle se nourrit de plus en plus de sondages, d’études de consommation, et prend peu le temps de comprendre ou d’analyser en profondeur ce qui amène, par exemple, une bonne partie de la population à soutenir le régime en place ou à déserter complètement le débat politique.

    #Tunisie

  • Dans le brouillard de l’expertise - Libération
    http://www.liberation.fr/chroniques/2013/10/04/dans-le-brouillard-de-l-expertise_937140
    Tribune de Leyla Dakhli

    Pris dans un tissu de plus en plus dense de discours, le chercheur s’interroge sur ce que lui disent les textes et ses sources, les images et les slogans, et sur ce qu’il peut ressentir - distinguant autant que possible l’émotion qui le submerge comme tout le monde de l’intuition nécessaire à la mise en œuvre d’une pensée autonome. Car d’emblée, le bruit a été assourdissant de ceux qui, avec le « sérieux de l’analyste », disaient que là, cette fois, on s’attaquait à autre chose, que la Syrie n’était pas la Tunisie-l’Egypte-la Libye-Bahreïn… tautologie dont il fallait comprendre que le Moyen-Orient était complexe, que, bien sûr, il fallait l’aborder avec des idées simples, les perles habituelles du discours sur la région.
    [...]
    Ces discours ne sont pas tous faux, ni mal intentionnés (même si, parfois, il faut bien constater qu’ils le sont, notamment ceux qui dès le départ prenaient appui sur la dimension confessionnelle de la société syrienne pour délégitimer le soulèvement), mais ils ont pour conséquence de chaque jour éloigner un peu plus de nos regards ces paysans, ces enfants, ces jeunes gens qui ont cessé d’avoir peur et se sont soulevés au printemps 2011.
    [...]

    Face à ce brouillard des commentaires, la question de la juste distance se pose avec une acuité nouvelle. Le chercheur, même l’historien, ne peut se contenter de plaider le temps long et de dire, comme on l’entend parfois : « Voyez la Révolution française, elle ne s’est pas faite en un jour, pas même en un an, laissez-leur le temps. » Entre-temps, sur Wikipédia, la révolution syrienne est devenue la guerre civile syrienne et nous avons perdu, dans l’ordre des mots.

    Notre juste compréhension, notre empathie, a été freinée de toute part : par la volonté de faire complexe, par le jeu des alliances diverses, c’est de bonne guerre. Mais il y a bien plus. Là où la Syrie devient un cas d’école, c’est lorsqu’elle apparaît comme le laboratoire d’un positionnement nouveau des intellectuels et des forces progressistes : en elle se concentrent les théories de la manipulation et du complot, rendant la vérité insaisissable, rendant la discussion toujours plus irritante ; en elle se concentrent les divisions de la gauche arabe et de ses soutiens, entre laïcs et non-laïcs, entre vieux rêve nationaliste arabe et fidélité à l’idée révolutionnaire, entre fascination pour les mouvements de lutte et réflexes anti-impérialistes divers… Tout ceci n’est pas nouveau, mais figure aujourd’hui un oubli massif du peuple, protagoniste majeur à retrouver sous les décombres.

    #Syrie

  • Deux lectures complémentaires de la révolution tunisienne, qui permettent de prendre de la hauteur par rapport aux péripéties actuelles
    Les luttes sociales en Tunisie : malédiction ou opportunité révolutionnaire ? | nawaat par Hèla Yousfi
    http://nawaat.org/portail/2013/02/19/les-luttes-sociales-en-tunisie-malediction-ou-opportunite-revolutionnaire

    Est ce que ce processus révolutionnaire qui met en scène des relations dialectiques et complexes entre économique et politique, leadership et spontanéité, action collective organisée classique et émergente, luttes de classes et droits individuels va t-il être capable d’échapper à la fragmentation des luttes, de résister à la machine de confiscation politique et de fédérer un vaste mouvement qui peut canaliser l’énergie des masses et de proposer une vraie société alternative ?

    Une révolution trahie ? Sur le soulèvement tunisien et la transition démocratique par Leyla Dakhli sur La Vie des Idées
    http://www.laviedesidees.fr/Une-revolution-trahie.html

    Tout est contesté et tout est sans cesse balloté entre des phases de surengagement militant et des phases de déception forte. Le pays ne cesse alors d’alterner entre des moments de « réconciliation révolutionnaire » éphémère et des moments de divergence où tout semble hors de contrôle et où le pouvoir appartient de nouveau à ceux qui en font profession. Il y aurait là une forme de trahison nécessaire de la « révolution démocratique », difficile à percevoir et à décrypter, très amère pour ceux qui la ressentent, mais qui ne se résume certainement pas à la prise de pouvoir par l’un ou l’autre des partis représentatifs.

    #Tunisie
    #révolution