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  • Racisme dans le foot en Alsace : une audience, et toujours le statu quo - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/08/24/racisme-dans-le-foot-en-alsace-une-audience-et-toujours-le-statu-quo_1674

    Jeudi à Strasbourg, la ligue du Grand Est a réexaminé les conditions dans lesquelles le 6 mai, un joueur noir de Benfeld, club de D3, a été passé à tabac après un tombereau d’insultes racistes. Kerfalla Sissoko est ressorti de cette réunion conforté dans son sentiment d’injustice.

    Il est à nouveau convoqué par les instances du foot. Kerfalla Sissoko est là, comme les autres fois, silencieux et discret. Kerfalla Sissoko, c’est ce joueur noir de l’AS Benfeld, club alsacien de D3, qui, lors d’un match à Mackenheim le 6 mai, a été menacé d’un couteau de cuisine après avoir essuyé des injures racistes. Il a ensuite été passé à tabac jusqu’à perdre connaissance sur la pelouse, son visage en porte les séquelles. Pourtant, en première instance, fin mai, la commission de discipline du District d’Alsace de football l’a sanctionné, lui et son coéquipier noir Moudi #Laouali, victime également de coups. Dix matchs de suspension. Même tarif que pour deux agresseurs, joueurs de l’AS Mackenheim. Le président de la commission avait conclu : « Dans cette affaire, le racisme est accessoire. » Les sanctions avaient été confirmées en appel début juillet. Cette fois, le dossier est remonté au niveau régional. La ligue du Grand Est prend la main et va tout réexaminer.

    Car les deux clubs ont à nouveau fait appel. Le club de #Benfeld veut réhabiliter ses joueurs noirs. Quant au club de Mackenheim, il conteste la suspension de terrain pour quatre matchs. Le District a privé le club de Mackenheim de sa pelouse, ayant estimé qu’il y avait eu infraction à la police du terrain et aux règles de sécurité (envahissement de la pelouse par les spectateurs qui traquent les joueurs d’origine africaine avec des couteaux). Mackenheim doit disputer les quatre prochaines rencontres en dehors d’un rayon de 30 km, sans compter l’amende de 160 euros… Le Comité directeur lui-même a fait appel des décisions prises dans cette affaire. A première vue, on s’est dit que les autorités footballistiques ont senti qu’elles étaient peut-être passées à côté de quelque chose… D’autant qu’entre-temps Libé a consacré sa une à l’affaire, en détaillant la violence extraordinaire d’un racisme ordinaire qui gangrène le foot amateur dans les patelins.

    Cette fois, le débat à la ligue du Grand Est est public. Il a lieu à Strasbourg, sur le coup de 18 heures. Plusieurs représentants d’associations qui luttent contre l’exclusion et les discriminations sont venues épauler le club de Benfeld et ses joueurs : le collectif Ubuntu, La Maison des adolescents, D’ailleurs nous sommes d’ici… Tout le monde s’engouffre dans la salle, face aux six membres blancs de la commission d’appel régional présidée par Gérard #Baumann qui prévient : « C’est le dernier recours. »

    « L’arbitre n’a jamais sifflé »

    La parole est à l’AS Benfeld. Jean-Michel Dietrich, président du club, raconte la tension, ses trois joueurs noirs, et eux seulement, pris pour cible, les coups, l’arbitre qui siffle la fin à la 43e minute, Moudi Laouali piétiné, Kerfalla #Sissoko « qui se fait massacrer », qui convulse, le chaos, les spectateurs partout, sa secrétaire qui appelle les secours puisque personne ne sort son téléphone… Le lendemain, il sonde l’équipe. Les joueurs blancs, qui n’ont jamais été auditionnés en tant que témoins, décrivent, comme leur coéquipiers noirs, l’ambiance de la première mi-temps : « Retourne dans ta brousse », « Sale nègre », « On n’en pas encore fini avec vous » etc. Kerfalla Sissoko confirme : « Je me faisais traiter tout le match ». Question de la commission : « L’arbitre a-t-il entendu les propos racistes ? » L’arbitre n’est pas là. Donc, selon une logique qui nous échappe, on interroge Kerfalla Sissoko. « Non », répond-il. Il poursuit, explique qu’avant la curée finale, il avait déjà reçu des coups. Il est au sol, crie, l’arbitre est à côté, « il n’a jamais sifflé ». La commission ne bronche pas. Kerfalla Sissoko aurait dû se plaindre à son capitaine, qui aurait fait remonter à l’arbitre. Et qu’importe si le capitaine est gardien de but et ne peut déserter sa cage à l’envi.

    Une question revient en boucle. « Quel a été l’élément déclencheur ? » La commission veut comprendre « la raison des tensions », le « pourquoi », ce qui a fait « basculer ce match sans enjeu dans la violence », imagine que « quelque chose a dû se passer en amont » parce que « d’habitude, ça monte crescendo ». Ils s’interrogent sincèrement face à cette salle divisée en deux : quelques blancs d’un côté (Mackenheim), les noirs de l’autre (Benfeld et ses soutiens). Mais à aucun moment, il n’est question de couleur de peau. « Et côté gendarmerie ? » s’enquièrent les juges du foot. Aucune nouvelle des plaintes, aucune audition. Coup de théâtre, une vidéo a été versée au dossier par Mackenheim qui a fourni une clé USB. Un ado dans les tribunes a filmé. Ils visionnent, l’écran passe de main en main, ils tournent l’ordinateur, penchent la tête, n’écoutant plus que d’une oreille distraite les débats qui n’ont pas été interrompus, on entend un court brouhaha recommencé sans cesse, des rires. « Est-ce qu’on pourrait voir ? », finit par demander Kerfalla Sissoko. Réponse de la commisssion : « Inutile, on ne voit rien. » Si ce n’est qu’il y avait bien plus de quatre spectateurs à envahir le terrain comme le prétendait Mackenheim. L’ordinateur portable est replié.

    Carton rouge en pleine agonie

    Au tour de Mackenheim. La commission : « Et sur le propos raciste, vous n’avez rien entendu ? » La réponse est dans la question. « Et donc vous ne connaissez pas ceux qui sont venus avec des couteaux ? » Idem. Les dirigeants du club de Mackenheim affirment que Kerfalla Sissoko a donné le premier coup. « Je me suis défendu, ils étaient plusieurs sur moi », explique inlassablement le jeune homme. Les joueurs de Mackenheim mis en cause et convoqués ne sont pas présents. Bref, Sissoko a bel et bien porté un coup et « c’est pour ça qu’[il] a eu un carton rouge », lui explique la commission. Lui, il voudrait savoir si c’est bien légal d’avoir un carton rouge « quand on est en train de mourir ». Pas de réponse. Mackenheim rebondit, « Monsieur Sissoko n’a jamais été en danger de mort. » Ils le savent bien : un membre du club est infirmier. « Donc il est intervenu », suppose un membre de la ligue. « Non », dit Mackenheim. La commission se tourne vers Kerfalla Sissoko : « Combien de temps êtes-vous resté couché sur le terrain ? » « J’étais dans les pommes… », bredouille le jeune homme. Une heure déjà que l’audience a débuté. Un membre de la commission fait part de son appréciation à Kerfalla Sissoko : « Donc, vous vous êtes fait tabasser. » Triple fracture au visage, trauma crânien, dix jours d’ITT. Le certificat est dans le dossier.

    L’AS #Mackenheim est assisté d’un avocat. L’homme parle bien, longtemps. C’est son job. La maîtrise du verbe. Il rappelle qu’une procédure juridique en diffamation est engagée contre ceux qui dénoncent le racisme, avec passage en correctionnelle le 22 octobre, et il construit sa plaidoirie en prenant le contre-pied de l’enquête de Libé. « Le racisme dans le foot amateur ne peut pas être illustré par le match du 6 mai 2018 », il faut distinguer « ce qui est avéré et ce qui est fantasmé » : personne n’a rien entendu du racisme. Il réclame l’indulgence de la ligue, les suspensions de terrain, c’est un coup dur pour le club de Mackenheim. La commission aimerait connaître les actions mises en place pour que les faits ne se reproduisent plus ? Ils vont « faire du relationnel avec les joueurs et supporters » (sic)…

    « Nous avons même un cimetière juif »

    Le maire de la commune, Jean-Claude Spielmann, s’est fait inviter. Le président du club de foot est son ami de trente ans. Deux jours qu’ils passent des coups de fil à d’autres communes pour trouver un terrain. Personne ne veut les accueillir, ils essuient des « réponses parfois très désobligeantes ». Et s’ils trouvent, il lui faudra emmener les équipements et les employés communaux là-bas, pour s’occuper de la préparation pelouse, et ça, ça va « peser sur les finances municipales », s’émeut-il. L’élu s’indigne, l’image de sa commune a pris un coup à cause de l’affaire, alors que « Mackenheim n’est pas un terreau de racistes ». La preuve, selon lui : « On est un des rares villages à accueillir une famille de Syriens et nous avons même un cimetière juif. » Puis il en profite pour rappeler à ligue qu’il a déposé une demande de financement pour refaire l’éclairage du club-house. Le président de la commission lui sourit d’un air entendu.

    La séance est levée, la décision sera rendue dans quelques jours. « Au moins, j’ai pu parler un peu plus », lâche Kerfalla Sissoko à la sortie. « Mais c’est toujours moi le fautif. » Sur le parvis de la ligue, les associations imaginent des actions conjointes pour faire reculer le racisme que l’on ne veut pas voir autour du ballon rond. Dimanche dernier, la saison a repris en Alsace. L’AS Mackenheim s’est déplacé à Ebersmunster et l’a emporté 4 à 3. Mais « l’arbitre sifflera la fin du match avant les arrêts de jeu, avant que ça ne dégénère », indique le FC Ebersmunster sur sa page web qui déplore le comportement agressif des visiteurs. L’équipe de Mackenheim, redoutée par les autres clubs pour les dérapages violents qui émaillent souvent les rencontres, a terminé la saison dernière quatrième du championnat. Et elle a obtenu de la ligue de monter en division supérieure.
    Noémie Rousseau

    Le 1er article se trouve ici : https://seenthis.net/messages/711327
    J’aimerais quand même qu’on m’explique pourquoi les assos anti racistes ne sont pas foutues de faire en sorte que Sissoko ait un avocat (comme la partie adverse) pour une convocation aussi importante que celle-ci.
    C’est bien beau de faire des petits badges contre le racisme pour faire beau sur les survêts mais ça fait avancer quoi ?
    Il est où le Lilian Thuram avec sa fondation là ? Il se la joue donneur de leçon en disant que Pelé n’a jamais rien fait par égoïsme (https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Lilian-thuram-critique-le-manque-d-engagement-de-pele-contre-le-racisme/881819) mais lui, à part passer à la télé il faut quoi purée !
    Et puis l’argument du cimetière juif, on dirait une blague de Desproges tellement c’est dingue !

    #football #violence #agression #racisme #Alsace #arbitrage

  • Lilian Thuram : « A l’école, on m’appelait “La Noiraude” »
    http://www.lemonde.fr/la-matinale/article/2016/10/23/lilian-thuram-a-l-ecole-on-m-appelait-la-noiraude_5018739_4866763.html

    Je ne serais pas arrivé là si…

    … si ma mère ne m’avait pas appris quelque chose d’essentiel : on peut décider de sa vie. Et pour y parvenir, il ne faut pas avoir peur de prendre des risques. Elle m’a appris le courage. Quand nous étions jeunes, elle est partie des Antilles pour venir travailler en France alors que certains de ses amis et membres de sa famille lui disaient qu’il était insensé de laisser seuls cinq enfants en Guadeloupe.

    Vous et vos frères et sœurs êtes restés un an sans elle à Anse-Bertrand. Quel souvenir en gardez-vous ?

    Mon grand frère s’occupait de nous. Je me souviens de l’argent qui arrivait par La Poste. Il regardait ce qu’il y avait pour savoir ce qu’on allait manger. L’année a été remplie de légèreté, je ne me souviens pas d’un manque. Ma mère nous avait promis de revenir nous chercher. J’avais confiance en sa parole. Si elle n’avait pas tenu sa promesse, cela aurait été une catastrophe.

    A-t-il été difficile de quitter Anse-Bertrand et l’île de votre enfance ?

    Je suis parti le cœur très léger. Prendre l’avion avec ma mère et revivre avec elle, il n’y avait rien de plus fort. Ma mère a une très grande intelligence émotionnelle. Elle nous avait vendu la métropole comme si on partait au paradis. Qui ne veut pas aller au paradis avec sa maman ? Quand nous sommes arrivés à Bois-Colombes, en région parisienne, nous étions tous ensemble, la vie était belle. Nous avons très vite déménagé à la cité des Fougères à Avon, près de Fontainebleau, en 1982, j’avais 9 ans.

    Comment était cette cité ?

    Tous les bâtiments étaient identiques. Le premier jour, je me suis perdu. C’est en voyant ma mère au balcon que j’ai retrouvé notre immeuble ! Nous étions à côté de la forêt, c’était un espace de jeu incroyable, le paradis. Les enfants de la cité venaient du monde entier : Portugais, Zaïrois, Libanais, Espagnols, Algériens, Pakistanais… J’ai appris à connaître le monde grâce à mes amis. L’école était quasiment dans la cité. Quand je suis arrivé aux Fougères en fin d’année scolaire, ce qui m’a bluffé, c’est la kermesse. Chacun amenait sa spécialité culinaire et était habillé différemment. Ce mélange de cultures a été une chance inouïe.

    Vous dites souvent que c’est en arrivant en région parisienne que vous vous êtes interrogé sur votre famille et que vous êtes devenu noir. Pourquoi ?

    A l’école, beaucoup de questions surgissent : pourquoi nous sommes cinq enfants de cinq pères différents ; pourquoi ma mère est femme de ménage, alors qu’il y a d’autres métiers ; pourquoi certains camarades de classe m’appellent « La Noiraude », qu’est-ce que c’est qu’être noir ?

    « La Noiraude », c’est terrible…

    Cette réflexion d’enfant explique ce que je suis devenu et ce que je fais aujourd’hui. Réfléchir sur les mécanismes de domination. Que véhicule la couleur de peau, le genre, la sexualité ? Ce qui est intéressant, c’est qu’en devenant noir, les autres enfants sont devenus blancs. Mais ils n’en ont pas conscience. Qu’est-ce que c’est être Blanc ?

    Quand votre mère découvre votre passion pour le football, que vous dit-elle ?

    Je jouais déjà au foot aux Antilles, devant la maison, pieds nus – parce qu’il ne fallait pas abîmer les chaussures avec lesquelles on allait à l’école. Les grands organisaient des tournois entre quartiers et choisissaient les petits parmi les derniers. Quand j’entendais : « Viens Lilian, tu vas jouer avec nous », c’était le rêve. Ma mère n’a jamais su que j’avais des dispositions pour le foot. La première fois qu’elle est venue me voir jouer, j’avais 16 ans. Au départ, je jouais au club des Portugais. Mais je voulais intégrer le club le plus performant à côté de chez moi et j’ai décidé de partir à Fontainebleau.

    Mes amis me disaient : « Là-bas, ce sont des bourges, ils ne vont pas t’accepter. » C’était mal vu de vivre aux Fougères. J’y vais malgré tout, car mon rêve à cette époque était de jouer dans les cadets nationaux de Melun, parce que chaque lundi, il y avait leurs noms dans le journal La République de Seine-et-Marne. Là-bas, je rencontre Franck Renard. Il devient mon ami, nous ne sommes pas du même milieu social. Cela a été un moment très important : ne pas avoir de préjugés, ne pas croire ce qu’on nous dit des autres. Les parents de Franck ont été magnifiques avec moi. Son père venait me chercher en voiture pour m’amener au foot, alors que ce n’était pas sur son chemin. Je ne serais pas arrivé là s’il n’y avait pas eu la rencontre avec Franck Renard.

    Pourquoi son père faisait cela pour vous ?

    Simplement parce que j’étais l’ami de son fils. Heureusement qu’il y a des personnes comme lui. Ma mère n’avait pas de voiture, il aurait fallu payer le train. Monsieur Renard savait tout cela. Après le match, il m’offrait toujours à boire à la buvette. Toutes ces petites attentions développent un sentiment essentiel : la confiance dans la vie.

    Quand vous êtes recruté par le centre de formation de l’AS Monaco, c’est une étape décisive. Votre mère vous laisse-t-elle partir sans problème ?

    Elle ne voulait pas que j’aille à Monaco. Elle ne comprenait rien au foot. Pour elle, ce n’était qu’un amusement. Elle avait peur et voulait que je fasse mes études. Heureusement qu’il y a eu mes deux grands frères pour lui expliquer qu’elle devait me laisser partir. Ma mère a accepté, mais m’a fait promettre d’avoir mon bac.

    Comment se passe l’arrivée à Monaco ?

    Ni moi ni ma mère ne connaissions Monaco. Au centre de formation, elle visite les chambres, vue sur la mer… C’était extraordinaire : vous jouez au foot tous les jours, au bord de la mer, que demander de plus ? Moi qui ne partais jamais en vacances, j’avais l’impression d’y être. Tout était incroyable. Je me souviens du premier jour où je suis allée sur la place du casino : il n’y avait que des supers voitures. Je croyais que c’était un concessionnaire et qu’elles étaient à vendre. Quelqu’un m’explique que ces voitures appartiennent à des gens. Je n’en revenais pas ! Venir des Fougères et atterrir à Monaco, il n’y a pas de mots : vous vous dites : « Où je suis ? »

    Mais il y a cette blessure au genou et ce médecin qui vous dit que vous risquez de ne plus jamais pouvoir jouer…

    C’était peu de temps après mon arrivée à Monaco. J’avais 17 ans, ce fut un moment très important. Je n’ai pas joué pendant neuf mois. Là encore, je remercie ma maman. Depuis tout petit, il y a une phrase qu’elle me répète sans cesse : « Tiens bon, ne te laisse pas aller. C’est quand tu te laisses aller que cela devient compliqué. » Ce n’est pas parce que le docteur vous a dit que vous n’allez peut-être plus jouer au foot qu’il faut le croire. Je rencontre aussi Arsene Wenger, qui me dit de ne pas m’inquiéter, et un kiné qui a été aux petits soins avec moi.

    En 1994, vous êtes sélectionné en équipe de France. Une consécration ?

    Le sélectionneur, Aimé Jacquet, voulait me prendre quelques mois auparavant mais je m’étais blessé. J’étais effondré. Il m’avait dit : « Ne t’inquiète pas. » Une nouvelle opportunité arrive : France-Tchéquie à Bordeaux. Je m’en souviens très bien, c’était aussi le premier match de Zidane. C’est surréaliste, vous êtes en équipe de France ! Vous jouez aux côtés de Ginola, Cantona, Desailly, Blanc, Lama, etc. Il faut essayer de prendre sa place, montrer que vous êtes à la hauteur de la situation. A la mi-temps du match, on perdait. Quelqu’un dit : « Y a qu’à faire jouer Thuram en milieu de terrain. » Je me surprends à répondre non, je ne voulais pas changer de poste. Cela a été très important pour moi de savoir dire non dans un groupe. Sinon, vous allez à l’encontre de vous-même et vous vous mettez en difficulté. Finalement, on a fait deux-deux. Deux buts de Zidane.

    Tout au long de votre carrière, vous êtes l’un des rares footballeurs français à avoir pris la parole sur de nombreux événements : le match France-Algérie ; les joueurs insultés à Milan ; les sans-papiers de Cachan, que vous invitez au stade ; l’affaire des quotas…

    Cela explique tout simplement la vie que j’ai eue. Je suis l’enfant d’une femme qui a traversé l’Atlantique pour venir travailler dans la région parisienne, parce qu’elle espérait donner plus d’opportunités à ses enfants. Je suis issue de cette histoire, une histoire où, ces personnes-là, en règle générale, n’ont pas le droit de cité. Donc, si on m’interroge, si on me donne la possibilité de réagir à certaines choses, je le fais en lien avec mon histoire. Les sans papiers, les migrants, cela me parle. Comme ma mère, ils viennent pour améliorer leur vie et il faut sans cesse rappeler que ce sont avant tout des êtres humains beaucoup plus courageux que la plupart d’entre nous.

    J’ai beaucoup de respect pour mes ancêtres qui ont connu la période de l’esclavage. Je ne serais pas là sans eux. Il est important d’être à la hauteur de ce qu’ils ont traversé. Ne pas dénoncer les injustices serait trahir leur mémoire. Ces personnes-là ont fait en sorte que la société s’améliore. Les réfugiés, actuellement, questionnent notre humanité.

    En 2008, vous annoncez votre retraite sportive pour raison de santé…

    J’ai eu beaucoup de chance de jouer jusqu’à 36 ans. Mon frère est décédé il y a vingt et un an d’un problème cardiaque. Lorsqu’il est mort, on nous a demandé d’aller faire des examens. Des choses ont été détectées chez mes frères et sœurs, mais pas chez moi. On ne m’a détecté un problème qu’à 36 ans. J’aurais pu ne pas avoir de carrière sportive. C’est comme si j’étais quelqu’un en sursis, et chaque année passée est une année de gagnée. La vie, je la vois comme ça.

    Quand débute votre intérêt pour les questions de discrimination et de racisme ?

    C’est l’histoire de la noiraude, à l’école à Bois-Colombes. Très tôt, vous comprenez qu’être noir, c’est être vu inférieurement. Les personnes non blanches comprennent très rapidement dans quelle société elles vivent. Ma mère me disait : « C’est comme ça mon chéri, les gens sont racistes, ça ne va pas changer. » C’est une très mauvaise réponse pour un enfant de 9 ans. Je voulais comprendre qu’est-ce que le racisme, d’où il vient, comment il se construit.

    Après, ce sont des lectures. Quand j’étais jeune joueur à l’AS Monaco, je lisais des livres sur l’histoire de l’esclavage. Je suis tombé sur le Code noir, texte essentiel pour comprendre la relation entre les gens selon leur couleur de peau. Ce code construit et entérine la domination des personnes de couleur blanche sur celles de couleur noire. Plus tard, j’ai rencontré Alain Anselin, puis Aimé Césaire : ces rencontres m’ont enrichi et interpellé.

    Vous citez souvent l’anthropologue et féministe Françoise Héritier. Pourquoi ?

    « L’inégalité des sexes est la matrice de tous les autres régimes d’inégalité. » En me questionnant sur la couleur de peau, j’ai découvert que la problématique de domination culturelle était la même avec les femmes. Et c’est pareil avec l’homophobie. Tout est une question d’éducation.

    En 1998, la victoire de la France à la coupe du monde de football fait naître le slogan « black, blanc, beur ». Cet espoir d’une France multiculturelle réconciliée a été très fugace…

    Je ne suis pas d’accord. C’est quelque chose d’inscrit dans l’inconscient collectif. Il y a moins de racisme aujourd’hui qu’avant. Prenons l’exemple de ma famille sur une période longue : mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l’abolition de l’esclavage en France, ma mère en 1947, il y avait la colonisation, moi en 1972, il y avait la ségrégation en Afrique du Sud. La domination des personnes blanches n’est plus écrite dans les lois comme à l’époque de mon grand-père ou de ma maman. Nous vivons dans une société de plus en plus égalitaire, mais il y a encore des gens réfractaires à cette égalité qui, actuellement, le disent ouvertement. Il faut avoir le courage de leur répondre. Ceux qui tiennent un discours positif doivent se faire entendre davantage dans l’espace public.

    Comme lorsque vous répondez à Jean-Marie Le Pen qui considère qu’il y a trop de « joueurs de couleur » au sein de l’équipe de France ?

    Bien sûr. Il faut répondre. Le racisme est un positionnement culturel et politique. Regardez : Trump parle aux personnes blanches ; Marine Le Pen, Sarkozy avec les ancêtres les Gaulois, parlent aux mêmes personnes. Ils veulent réveiller le sentiment qu’être blanc, c’est passer avant. Quand, dans un stade, des gens me faisaient « Ouh ! Ouh ! », ils disaient : moi je suis blanc, je suis mieux que toi qui es noir.

    Pourquoi le phénomène Zemmour existe ? Parce qu’il est blanc et que les gens qui le font travailler le sont aussi, réfléchissent en tant que blancs, comme des dominants. Sinon, on ne le laisserait pas faire. Le racisme, c’est une inégalité de traitement : vous ne trouverez jamais un Noir, un Maghrébin ou un Asiatique qui pourrait venir à la télévision tenir un discours méprisant les personnes blanches. Il serait, à juste titre, écarté parce qu’en face, les personnes blanches se sentiraient attaquées et ne le supporteraient pas.

    Comment est venue l’idée de créer une fondation pour « l’éducation contre le racisme », qui porte votre nom ?

    J’ai lancé la fondation quand j’étais joueur à Barcelone. J’ai été invité chez le consul de France. A côté de moi, à table, un monsieur, qui était directeur de l’agence de publicité DDB, me dit : « Alors, qu’est-ce que vous allez faire quand vous serez plus grand ? » Cela m’a fait sourire. Je lui ai donné une réponse d’enfant : « Quand je serai plus grand, j’aimerais changer le monde. » On commence la discussion et je lui explique que je souhaiterais aller dans les écoles pour expliquer aux enfants qu’on ne naît pas raciste, mais qu’on le devient parce que cela est ancré dans nos cultures. A la fin du repas, il me dit : « Je suis plus vieux que vous, sachez que le monde, on ne le change pas. » Quelques semaines après, ce monsieur m’appelle, me parle de ses préjugés et me dit : « Vous avez déjà changé une personne. Vous devriez faire une fondation. » C’est comme cela que c’est parti. Je me sers de ma notoriété pour essayer de construire, avec beaucoup d’autres, l’égalité.

    Nicolas Sarkozy vous avait proposé il y a quelques années un poste de ministre de la diversité. La politique, ça vous tente ?

    Non. Et un ministère de la diversité, n’est-ce pas en réalité un ministère pour les non-blancs ? J’ai le sentiment que certains politiques sont comme dans une télé-réalité. Ce ne sont pas eux qui donnent la direction, ils s’adaptent à l’air du temps. Sur la question du racisme et des discriminations, il manque quelqu’un de courageux, un discours clair sur ce que sera la France dans trente ans. Débattre sur les burkinis, cela va nous emmener où ? Ce n’est pas sérieux.

    Propos recueillis par Sandrine Blanchard

  • Lilian Thuram : « A l’école, on m’appelait “La Noiraude” »
    http://www.lemonde.fr/la-matinale/article/2016/10/23/lilian-thuram-a-l-ecole-on-m-appelait-la-noiraude_5018739_4866763.html

    Quand débute votre intérêt pour les questions de discrimination et de racisme ?

    C’est l’histoire de la noiraude, à l’école à Bois-Colombes. Très tôt, vous comprenez qu’être noir, c’est être vu inférieurement. Les personnes non blanches comprennent très rapidement dans quelle société elles vivent. Ma mère me disait : « C’est comme ça mon chéri, les gens sont racistes, ça ne va pas changer. » C’est une très mauvaise réponse pour un enfant de 9 ans. Je voulais comprendre qu’est-ce que le racisme, d’où il vient, comment il se construit.

    Après, ce sont des lectures. Quand j’étais jeune joueur à l’AS Monaco, je lisais des livres sur l’histoire de l’esclavage. Je suis tombé sur le Code noir, texte essentiel pour comprendre la relation entre les gens selon leur couleur de peau. Ce code construit et entérine la domination des personnes de couleur blanche sur celles de couleur noire. Plus tard, j’ai rencontré Alain Anselin, puis Aimé Césaire : ces rencontres m’ont enrichi et interpellé.

    Vous citez souvent l’anthropologue et féministe Françoise Héritier. Pourquoi ?

    « L’inégalité des sexes est la matrice de tous les autres régimes d’inégalité. » En me questionnant sur la couleur de peau, j’ai découvert que la problématique de domination culturelle était la même avec les femmes. Et c’est pareil avec l’homophobie. Tout est une question d’éducation.

    En 1998, la victoire de la France à la coupe du monde de football fait naître le slogan « black, blanc, beur ». Cet espoir d’une France multiculturelle réconciliée a été très fugace…

    Je ne suis pas d’accord. C’est quelque chose d’inscrit dans l’inconscient collectif. Il y a moins de racisme aujourd’hui qu’avant. Prenons l’exemple de ma famille sur une période longue : mon grand-père est né en 1908, soixante ans après l’abolition de l’esclavage en France, ma mère en 1947, il y avait la colonisation, moi en 1972, il y avait la ségrégation en Afrique du Sud. La domination des personnes blanches n’est plus écrite dans les lois comme à l’époque de mon grand-père ou de ma maman. Nous vivons dans une société de plus en plus égalitaire, mais il y a encore des gens réfractaires à cette égalité qui, actuellement, le disent ouvertement. Il faut avoir le courage de leur répondre. Ceux qui tiennent un discours positif doivent se faire entendre davantage dans l’espace public.

    Comme lorsque vous répondez à Jean-Marie Le Pen qui considère qu’il y a trop de « joueurs de couleur » au sein de l’équipe de France ?

    Bien sûr. Il faut répondre. Le racisme est un positionnement culturel et politique. Regardez : Trump parle aux personnes blanches ; Marine Le Pen, Sarkozy avec les ancêtres les Gaulois, parlent aux mêmes personnes. Ils veulent réveiller le sentiment qu’être blanc, c’est passer avant. Quand, dans un stade, des gens me faisaient « Ouh ! Ouh ! », ils disaient : moi je suis blanc, je suis mieux que toi qui es noir.

    Pourquoi le phénomène Zemmour existe ? Parce qu’il est blanc et que les gens qui le font travailler le sont aussi, réfléchissent en tant que blancs, comme des dominants. Sinon, on ne le laisserait pas faire. Le racisme, c’est une inégalité de traitement : vous ne trouverez jamais un Noir, un Maghrébin ou un Asiatique qui pourrait venir à la télévision tenir un discours méprisant les personnes blanches. Il serait, à juste titre, écarté parce qu’en face, les personnes blanches se sentiraient attaquées et ne le supporteraient pas.

    Comment est venue l’idée de créer une fondation pour « l’éducation contre le racisme », qui porte votre nom ?

    J’ai lancé la fondation quand j’étais joueur à Barcelone. J’ai été invité chez le consul de France. A côté de moi, à table, un monsieur, qui était directeur de l’agence de publicité DDB, me dit : « Alors, qu’est-ce que vous allez faire quand vous serez plus grand ? » Cela m’a fait sourire. Je lui ai donné une réponse d’enfant : « Quand je serai plus grand, j’aimerais changer le monde. » On commence la discussion et je lui explique que je souhaiterais aller dans les écoles pour expliquer aux enfants qu’on ne naît pas raciste, mais qu’on le devient parce que cela est ancré dans nos cultures. A la fin du repas, il me dit : « Je suis plus vieux que vous, sachez que le monde, on ne le change pas. » Quelques semaines après, ce monsieur m’appelle, me parle de ses préjugés et me dit : « Vous avez déjà changé une personne. Vous devriez faire une fondation. » C’est comme cela que c’est parti. Je me sers de ma notoriété pour essayer de construire, avec beaucoup d’autres, l’égalité.

    Nicolas Sarkozy vous avait proposé il y a quelques années un poste de ministre de la diversité. La politique, ça vous tente ?

    Non. Et un ministère de la diversité, n’est-ce pas en réalité un ministère pour les non-blancs ? J’ai le sentiment que certains politiques sont comme dans une télé-réalité. Ce ne sont pas eux qui donnent la direction, ils s’adaptent à l’air du temps. Sur la question du racisme et des discriminations, il manque quelqu’un de courageux, un discours clair sur ce que sera la France dans trente ans. Débattre sur les burkinis, cela va nous emmener où ? Ce n’est pas sérieux.

    #racisme #sexisme #homophobie #discrimination

  • The African Champions League Final in Berlin
    http://africasacountry.com/the-african-champions-league-final-in-berlin

    If the New York Times can try to make today’s UEFA Champions League Final all about America on the spurious basis that Gigi Buffon might end up coaching the US team.....

    #FOOTBALL_IS_A_COUNTRY #Barcelona #Carlos_Tevez #Juventus #Lilian_Thuram #Lionel_Messi #Luis_Suarez #Patrice_Evra #Paul_Pogba

  • #Lilian_Thuram’s Burden
    http://africasacountry.com/lilian-thurams-burden

    Lilian Thuram isn’t just any footballer; he’s emerged as the game’s moral conscience, not just in the French-speaking world, but more broadly. So much so that recently a packed hall at New York University came to listen to him talk about #racism in football … on a Friday night. Of course we went and got […]

    #Football_is_a_Country #boycott #FIFA #Frederic_Kanoute #UEFA #Yaya_Toure

  • Lilian Thuram : pourquoi tant de haine ?

    http://www.marianne.net/Lilian-Thuram -pourquoi-tant-de-haine _a232298.html

    Lilian Thuram, que l’on a connu (et apprécié) sur les terrains de foot, est aujourd’hui contraint de pratiquer un autre sport, sur le terrain médiatique, où il se retrouve face au pire des adversaires : la rumeur. 

    L’ex-star des Bleus vient d’être promu officier de la Légion d’honneur en tant que président de la fondation portant son nom, connue pour mener une action résolue contre le racisme et toutes les formes de discrimination. Quelques jours auparavant, certains journaux avaient rapporté des faits pour le moins troublants. 

    Tout a démarré quand le magazine Closer  a révélé que l’épouse de l’ex-footballeur, la journaliste Karine Le Marchand, avait porté plainte pour «  violences conjugales  ». Peu après, la jeune femme affirmait que son ancien époux (ils sont séparés) l’aurait poussée contre le réfrigérateur et lui aurait tiré les cheveux. L’avocat de Karine Le Marchand assurait ensuite que la plainte allait être retirée. Elle précisait même qu’aux yeux de cette dernière, Lilian Thuram était «  une personne exemplaire, aux valeurs morales très fortes, aux combats sincères et nobles  » et que rien ne viendrait entacher leur «  estime  » réciproque.

  • Droits des Noirs, mariage gay : Lilian Thuram fait polémique | Une Zapnet Rue69
    http://www.rue89.com/rue69/zapnet/2012/12/12/droits-des-noirs-droits-des-gays-lilian-thuram-touche-juste-237736

    La principale différence, racontait Louis-Georges Tin, entre les sorts réservés aux Noirs et aux homosexuels, « c’est que le jeune garçon noir n’a pas à annoncer à ses parents qu’il est noir ».

    Pinaise, on voit qu’il a réfléchi un bon moment à la question lui...