person:lionel robbins

  • Pour une défense du #matérialisme
    http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-defense-du-materialisme.html

    Peut-on définir le #capitalisme ? En reconnaissant un rôle aux idées économiques et philosophiques dans son développement, ne risque-t-on pas de nier l’importance des conditions matérielles et techniques qui y président ? Les économistes Clément Carbonnier et Geoffrey Hodgson en débattent.

    Essais & débats

    / capitalisme, matérialisme, #idéalisme, propriété, #esclavage

    #Essais_&_débats #propriété

    • Certes, des auteurs [8] ont publié dans les années 1970 une analyse cliométrique estimant que l’esclavage était encore une forme productive efficace lors de son abolition aux États-Unis. Toutefois, non seulement ces résultats ont été fortement contestés, mais surtout les auteurs eux-mêmes notaient bien que ce mode d’exploitation de la force de travail ne restait rentable que dans des contextes et pour des cultures très particulières. Ils trouvaient que l’esclavage n’aurait plus été rentable dans le Nord, non seulement dans l’industrie bien évidement, mais également dans l’agriculture. Il est important à ce propos de noter que l’#esclavage avait alors déjà disparu dans ces États du Nord.

      Plus généralement, un point fondamental de l’analyse économique du capitalisme est la question de l’allocation des facteurs de production. On retrouve cette problématique dans quasiment toutes les théories économiques classiques, depuis Adam Smith jusqu’à l’analyse dominante moderne en passant par la définition de la discipline elle-même par Lionel Robbins : « l’économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif » [9]. Or, l’utilisation optimale de la force de travail – sous-entendu la plus productive – n’est absolument pas l’esclavage. Ce qui importe est bien la force de travail du travailleur et non le travailleur lui-même, et ce n’est pas en possédant le travailleur qu’on s’assure la plus grande force de travail.

      En laissant la charge au travailleur d’entretenir lui-même sa force de travail, on peut arriver à obtenir du travail plus productif, et c’est bien par le #salariat (voire en rendant le travailleur encore plus « libre » via un statut d’#indépendant) qu’on peut obtenir cette force de travail maximale. Ceci est d’autant plus vrai au fur et à mesure que la technologie demande du travail de plus en plus qualifié. Ainsi, l’esclavage se révèle de plus en plus obsolète au fur et à mesure du développement du capitalisme, et son abolition répond au développement matériel des conditions de production au lieu d’en être un frein, qui aurait été imposé par des philosophies humanistes.

      De ce point de vue, une rapide lecture historique est assez éloquente. En Europe, l’esclavage a disparu pendant la haute période féodale, au profit du statut de serf devenu petit à petit prépondérant. Celui-ci a lui-même commencé à disparaître au bas Moyen Âge. Si les Capétiens ont affranchi tant de serfs aux XIIIe et XIVe siècles, ce n’est pas uniquement par conscience morale, mais parce qu’ils y voyaient un intérêt économique ; Marc Bloch note même que « le nombre des affranchissements fut, en dernière analyse, fonction des conditions économiques du lieu et du moment » [10].

      Pour ce qui concerne l’un des affranchisseurs les plus actifs, à savoir Philippe le Bel, l’intérêt économique de l’affranchissement lui a d’ailleurs été suggéré par ses ministres, qui devaient précisément leur place au développement économique et à l’essor de la bourgeoisie qu’il avait permis. Les progrès techniques agricoles, et les besoins de superstructure pour permettre leur mise en place effective, ont participé au fait qu’on pouvait finalement tirer plus d’un travailleur libre bien imposé que d’un serf. C’est alors un système apparenté au métayage qui est apparu, puis s’est imposé avec la raréfaction de la main d’œuvre consécutive à la guerre de Cent Ans et à la peste noire, le salariat ne se généralisant que bien plus tard avec d’autres besoins spécifiques dans l’utilisation de la main-d’œuvre.

      Bien sûr, le lien entre développement productif et statut des travailleurs ne fut ni déterministe ni univoque.