La France a-t-elle vraiment expulsé une personne séropositive ? Etait-ce légal ? - Libération
▻http://www.liberation.fr/checknews/2018/03/06/la-france-a-t-elle-vraiment-expulse-une-personne-seropositive-etait-ce-le
Vous nous avez demandé sur CheckNews si une personne porteuse du VIH a bien été expulsée vers son pays d’origine. La réponse est oui.
Cette question fait référence à ce communiqué de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), qui regroupe près d’une trentaine d’associations « qui entendent dénoncer les difficultés rencontrées par les étrangers dans les domaines de l’accès aux soins et du droit au séjour pour raison médicale » dont la Cimade, Aides et Médecins du monde. Le collectif a dénoncé le 22 février dernier « l’expulsion vers la mort d’une personne porteuse du #VIH ».
Que s’est-il passé ?
Voici le récit de l’ODSE :
« Pour la première fois depuis des années, l’administration française a pris la décision d’expulser une personne malade porteuse du VIH vers un pays où elle ne pourra pas être soignée. Cette expulsion vers la mort a été décidée contre l’avis officiel que le médecin de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) avait pourtant adressé au préfet compétent. »
Selon le collectif, « la personne visée vivait en France depuis plus de dix ans et avait bénéficié de titres de séjour pour soins ». Condamnée à une peine de prison, elle s’est vu notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF) juste avant sa libération. Selon l’ODSE, le médecin du centre de rétention administrative (CRA) et celui de l’Ofii auraient alors préconisé le maintien sur le territoire, « faute d’accès effectif aux soins nécessaires dans le pays d’origine de l’intéressé ». Les deux organismes n’ont pas confirmé cet avis à CheckNews, invoquant le secret médical. L’#Ofii précise seulement que le rôle du médecin n’est pas de se prononcer sur le maintien ou non en France d’une personne mais de dire si la personne a, ou non, la possibilité de se soigner dans son pays d’origine. L’avis rendu aurait estimé, dans le cas qui nous intéresse, que le traitement n’était pas disponible.
Contacté par CheckNews, Beauvau ne conteste pas cette version :
« Si le médecin de l’Ofii a effectivement estimé que les traitements n’étaient pas disponibles dans son pays d’origine, cette appréciation n’a pas été celle du tribunal administratif de Melun, qui a jugé au contraire que les éléments apportés par l’intéressé "ne permettant pas d’établir la nécessité pour le requérant de se faire soigner en France et qu’il ne pourrait pas se faire soigner [dans son pays d’origine]". La préfecture s’est donc conformée à ce jugement, dans le respect de ses obligations juridiques. »
Cette #expulsion est-elle légale ?
L’article L313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit » à un étranger « si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de #santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ».
Depuis la loi du 7 mars 2016, la carte de séjour est délivrée par la préfecture après avis du collège des médecins de l’Ofii émis « au vu, d’une part, d’un rapport médical établi par un médecin de l’Office français de l’#immigration et de l’intégration et, d’autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays d’origine de l’intéressé », selon l’article R313-22 du même code.
Par ailleurs, un autre article du Ceseda (L511-4) liste 11 catégories d’étrangers ne pouvant faire l’objet d’une #OQTF. Parmi elles, l’étranger dont « l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ».
Paradoxe : selon l’article L313-11 un étranger dont la présence « constitue une menace pour l’ordre public » ne peut pas obtenir de carte de séjour même s’il ne peut pas être soigné dans son pays d’origine, mais il ne peut pas être expulsé non plus. La menace d’ordre public ne figure pas dans l’article L511-4.
« La personne en question présentait un casier judiciaire au terme duquel l’Intérieur a estimé qu’elle représentait une menace pour l’ordre public mais il ne pouvait cependant, légalement, y avoir expulsion du territoire. La situation ne relevait pas d’une atteinte à la sûreté de l’Etat ou de terrorisme, des crimes qui auraient conduit l’Etat français à prononcer un autre type de mesure d’expulsion du territoire », explique Lise Faron, juriste de la Cimade qui a suivi le dossier.
Pourquoi souligne-t-elle que la situation ne relevait pas d’une atteinte à la sûreté de l’Etat ? Parce que l’article L521-3 du Ceseda souligne qu’un étranger malade tel que défini à l’article L313-11 n’est expulsable « qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ». Selon les associations, pour que cette personne soit expulsée, il aurait fallu qu’elle entre dans cette catégorie, et ce n’est pas le cas.
L’Intérieur a une analyse différente, estimant que l’expulsion est légale, non pas au regard d’une éventuelle atteinte à la sûreté de l’Etat, mais parce que Beauvau met en avant le fait que cette personne n’a pas apporté d’éléments prouvant qu’elle ne pourrait pas se faire soigner dans son pays d’origine. Le ministère s’appuie sur l’avis du tribunal, confirmant l’arrêté d’expulsion de la préfecture. Le jugement, consulté par CheckNews, évoque la menace à l’ordre public mais ne se réfère pas à cet article L521-3, qui pourrait justifier d’une expulsion même en cas de maladie grave. En revanche, le tribunal a conclu que l’intéressé pourrait accéder à des traitements dans son pays d’origine.
Sur quels éléments s’est fondé le tribunal pour évaluer l’état de santé de la personne expulsée ?
A la lecture du jugement, qui a été rendu le 3 janvier 2018, on constate que ce dernier mentionne une convocation du médecin de l’Ofii datée du… 10 janvier. « Au moment de l’audience, le médecin de l’Ofii ne s’était pas encore prononcé sur la demande qui lui a été adressée par le médecin de l’unité médicale du CRA », souligne Lise Faron. En lisant dans le détail ce jugement, on constate en effet que « ce certificat médical [rédigé le 3 août 2017 par un médecin hospitalier] [et] la convocation de l’Office français de l’intégration et de l’immigration [sont] rédigés dans des termes généraux et insuffisamment circonstanciés, et le titre de séjour qui lui [avait] été accordé […] ne sont pas de nature à établir l’existence de conséquences d’une exceptionnelle gravité en l’absence de traitement ni ne permettent d’établir la nécessité pour le requérant de se faire soigner en France et qu’il ne pourrait pas se faire soigner [dans son pays d’origine] ». « Si [le requérant] fait valoir qu’il suit un traitement quotidien par comprimés ainsi que des injections hebdomadaires, il n’apporte aucun élément à l’appui de ses allégations », ajoute le jugement qui mentionne aussi « la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire ».
Le tribunal n’a donc pas pris en compte, dans sa décision, l’avis du médecin de l’Ofii. Avis qui a ensuite estimé que « les traitements n’étaient pas suffisamment disponibles dans le pays d’origine de l’intéressé ».
CheckNews, à l’instar des associations, a décidé de ne pas révéler le pays d’origine de la personne expulsée, pour protéger l’anonymat de cette dernière qui pourrait souffrir de discriminations en raison de sa maladie. Précisons toutefois que seules 35% des personnes atteintes du VIH dans ce pays, bénéficient d’un traitement antirétroviral, selon les Nations unies.
En résumé : étant donné que ni le ministère de l’Intérieur, ni le tribunal n’ont invoqué de menace pour la sûreté de l’Etat, la question de la légalité de l’expulsion dépend uniquement de l’appréciation de l’état de santé de l’intéressé. Sur ce point, les avis divergent. Le ministère de l’Intérieur met en avant le fait que le tribunal a estimé qu’il pouvait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Les associations le contestent, mettant en avant l’avis rendu par le médecin de l’Ofii une semaine après le jugement.
Pour compléter la réponse, ajoutons qu’au niveau européen, la Convention européenne des droits de l’homme dispose, dans son article 3, que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Jusqu’en 2016, la #CEDH considérait que le renvoi d’une personne étrangère gravement malade dans son pays, violait cet article 3 lorsqu’il y avait « un risque réel de mourir dans des circonstances particulièrement douloureuses », et que s’y ajoutent « des circonstances très exceptionnelles ». Or, depuis l’arrêt Paposhvili contre Belgique, la CEDH considère qu’il faut entendre dans les « circonstances très particulières », « les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie ». En résumé, les souffrances intenses ou la réduction significative de son niveau de vie permettent désormais de protéger de l’expulsion une personne gravement malade selon la CEDH
Pauline Moullot
Le régime de Macron 1er a pour but de bafouer le peu de lois protectrices envers les étrangers qui peuvent subsister dans les recoins du droit.