Pour une orgie universelle d’existence (Marcela Iacub, 10 février 2017)
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(…) Parmi les solutions que l’on peut envisager, il y en a une qui devrait séduire tous ceux qui ont une âme « socialiste », ou tout simplement « sociale ». Il s’agirait d’organiser des rencontres collectives entre ceux et celles qui auront obtenu une carte de démuni sexuel. Ces personnes viendraient déguisées afin de préserver leur anonymat. Ce déguisement permettrait également de cacher ce qu’elles considèrent comme des défauts physiques, et qui sont pour elles source de complexes. Une fois sur place, elles se livreraient avec un ou plusieurs démunis de leur choix à des étreintes sexuelles. Personne ne sortirait de ces endroits sans en avoir profité, sauf si on décide de s’abstenir. Il y aurait un devoir de la part de tous les démunis qui y ont trouvé du plaisir à en donner en retour à ceux et à celles qui n’ont pas eu cette chance. Rien à voir donc avec la prostitution.
Loin d’abriter une #sexualité au rabais comme on pourrait le soupçonner, ces rencontres permettraient au contraire le développement d’une sexualité des plus sophistiquées. Le fait de se déguiser désinhiberait les corps et laisserait toute leur place aux fantasmes, comme dans un rêve éveillé. Et qui sait ? Ces rencontres anonymes pourraient se poursuivre sans masques et en pleine lumière. Ou pas. C’est cela au fond le plus intéressant. Car le principe de ces orgies pour démunis implique de séparer le sexuel des relations affectives, alors que les politiques d’aujourd’hui cherchent à tout prix à les souder. Elles font semblant d’ignorer que c’est cette articulation forcée qui gâche l’une et les autres.
Si notre société faisait la promotion de ces rencontres purement sexuelles, les relations affectives ne se fonderaient pas sur des désirs physiques insatisfaits. Ces orgies rendraient au fond un grand hommage à l’amour : déconnectées de toute sexualité, les relations amoureuses seraient plus stables et heureuses. La mise en place de ces orgies pour démunis pourrait se généraliser à tous les membres de la société. Une fois par semaine, chaque individu, qu’il soit célibataire ou qu’il vive en couple, se rendrait seul à une orgie anonyme avec le même naturel que l’on se rend dans une salle de sport ou chez le coiffeur. Pour éviter des pressions de l’entourage, s’y rendre serait obligatoire même si l’on refuse d’y faire quoi que ce soit. Bien évidemment, l’accès serait gratuit : la collectivité pourvoit un service aux citoyens en vue d’améliorer les relations humaines, condition indispensable pour l’existence d’une société heureuse.
Seulement alors on pourra accuser la prostitution d’être un vil commerce et comparer cette activité au marché noir en temps de famine. Et, loin d’être perçues comme exploitées, on pourra dire des personnes qui la pratiquent qu’elles tirent les profits amers de notre misère sexuelle.