person:marie charrel

  • Le lent #déclin des #classes_moyennes dans les économies industrialisées (Marie Charrel, Le Monde, 10.04.19)
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/10/le-lent-declin-des-classes-moyennes-dans-les-economies-industrialisees_54485

    Selon un rapport de l’OCDE, publié mercredi, les mutations de l’#emploi, l’#automatisation ou la hausse du #coût_du_logement expliquent cette détérioration.

    #Paywall

  • POUR VIVRE HEUREUX, VIVONS ÉGAUX ! RICHARD WILKINSON & FRANÇOIS RUFFIN
    Fakirpresse - Ajoutée le 5 mars 2019
    https://www.youtube.com/watch?v=VFhtgPXz3O4

    Après « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », Richard Wilkinson publie avec Kate Pickett « Pour vivre heureux, vivons égaux ! » : le livre de deux épidémiologistes qui devrait être une des clés de voûte pour la gauche de demain. Quand la sociologie, l’économie, le social, résonne avec la psychologie de l’époque...

    Kate Pickett et Richard Wilkinson sont épidémiologistes. Ils publient aux Liens qui Libèrent : « Pour vivre heureux, vivons égaux », 412 pages : http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Pour_vivre_heureux,_vivons_%C3%A9gaux_!-556-1-1-0-

  • Les ravages insoupçonnés des inégalités de richesse, Marie Charrel
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/02/25/les-ravages-insoupconnes-des-inegalites-de-richesse_5427810_3234.html

    Les pays où elles sont plus élevées souffrent plus que les autres d’un large éventail de problèmes sanitaires et sociaux, détaille un nouvel ouvrage.

    Les inégalités sont mauvaises pour la santé. A première vue, le constat posé par les épidémiologistes britanniques Richard Wilkinson et Kate Pickett semble relever de l’évidence. Mais il va beaucoup plus loin, ébranlant nombre de convictions et idées reçues sur la psychologie, les relations sociales, et la façon dont elles influent sur l’économie. « Dans les pays développés très inégalitaires, les plus #pauvres ne sont pas les seuls à voir leur santé et conditions de vie se dégrader, explique M. Wilkinson, professeur honoraire à l’université de Nottingham (Royaume-Uni), de passage à Paris. Celles de toutes les classes sociales sont affectées, y compris [celles des] plus aisés. » A l’exception, néanmoins, des 1 % les plus riches.
    L’ouvrage que sa consœur et lui viennent de publier, Pour vivre heureux, vivons égaux ! (Les Liens qui Libèrent, 416 p., 24,50 €), aussi truculent qu’implacable, passe en revue les travaux, statistiques et études publiés sur le sujet ces dernières années. Y compris ceux des auteurs, qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai : leur premier livre abordant ces questions, paru en 2009, avait déjà marqué les esprits.

    Stress social
    Ils se concentrent ici sur les pays aux revenus élevés – Etats-Unis, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande, et ceux de l’Union européenne (UE). Les corrélations qu’ils mettent en lumière donnent le vertige : les pays où les #inégalités sont les plus élevées souffrent beaucoup plus que les autres d’un large éventail de problèmes sanitaires et sociaux. Ils affichent ainsi une prévalence plus forte des maladies mentales, des problèmes d’addiction au jeu plus fréquents, un niveau scolaire moins bon, plus de harcèlement entre élèves à l’école, une moindre participation à la vie citoyenne, une envolée des comportements incivils…

    Et cela ne tient pas seulement au niveau de dépenses publiques et ou de protection sociale. « Les inégalités augmentent l’anxiété liée au statut social, les inquiétudes nées du jugement des autres » , détaille M. Wilkinson. Plus l’échelle des revenus est éclatée, plus ce #stress_social est répandu. Les ménages aux revenus moyens redoutent le déclassement, tandis que les foyers aux salaires bas craignent que leurs enfants n’aient pas une vie meilleure que la leur…

    Or ces angoisses, combinées à l’absence de mobilité sociale, nourrissent une série d’effets en cascade parfois surprenants. « Elles rendent les contacts dans la société plus difficiles, ajoute l’auteur. Peinant à y faire face, certains sombrent dans la dépression ou la phobie sociale, qui débutent parfois dès l’école. » D’autres se réfugient dans les addictions. D’autres, encore, développent un narcissisme exacerbé. Lorsque la compétition sociale est forte, l’idée qu’il faut se battre bec et ongles pour gravir l’échelle se propage – quitte à écraser les autres ou à rouler des mécaniques pour s’imposer.

    Narcissisme consumériste
    En outre, le besoin de témoigner de sa réussite est lui aussi plus intense : posséder une voiture de luxe, une grande maison, des vêtements de marque… En somme, le narcissisme consumériste est l’autre face de la #phobie_sociale, détaillent les auteurs. « Cela explique d’ailleurs pourquoi les dépenses publicitaires sont moins élevées dans les pays égalitaires, comme le Danemark », note M. Wilkinson. Le besoin d’afficher les signes extérieurs de richesse y est moins prégnant, le recours à la chirurgie esthétique y est moins fréquent…
    En intensifiant la compétition sociale et l’individualisme, les inégalités donnent naissance à une culture glorifiant la prise de risque, et « effaçant la frontière entre le leadership et la domination », ajoute-t-il. Ce qui favorise au passage l’épidémie de pervers narcissiques et le harcèlement moral en entreprise.

    L’ouvrage des deux épidémiologistes s’achève sur le constat également posé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : l’explosion des inégalités est le fruit des mutations à l’œuvre depuis les années 1970 – précarisation des marchés du travail, effondrement du taux de syndicalisation, montée en puissance de la finance. Or, lorsqu’elles atteignent un niveau élevé, les inégalités finissent par peser sur la croissance et favoriser la stagnation économique. « Œuvrer à les réduire n’est donc pas seulement un impératif moral, souligne M. Wilkinson. C’est aussi une exigence économique et de santé publique. »

    « Difficile d’être très optimiste »
    Comment ? D’abord, en prenant en compte l’exigence environnementale. « En dégradant les conditions de vie, le changement climatique rend les inégalités plus explosives encore », résume l’épidémiologiste, qui esquisse une série de propositions : augmenter la taxation sur les hauts revenus tout en éradiquant les paradis fiscaux, insuffler plus de démocratie dans l’entreprise ou instaurer une forme de progressivité dans la fiscalité écologique. « Les changements à mettre en œuvre sont si conséquents qu’il est difficile d’être très optimiste », concède M. Wilkinson. Avant de conclure que l’espoir réside peut-être du côté des jeunes qui, depuis quelques semaines, manifestent en faveur de l’environnement dans plusieurs pays européens.

    #société_de_concurrence #livre

  • Face au manque de bras, l’Europe de l’Est se tourne vers les robots, Marie Charrel, Le Monde, 10.08.2018
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/08/10/face-au-manque-de-bras-l-europe-de-l-est-se-tourne-vers-les-robots_5341133_3

    La région, où le taux de chômage est au plus bas, est confrontée à une pénurie criante de main-d’œuvre, alors que les salaires ont augmenté.

    Alors que la France lutte pour résorber le #chômage de longue durée [ ben voyons...] , la République tchèque, elle, fait face à un problème d’une tout autre nature : elle n’a jamais autant manqué de bras. En juillet, le taux de chômage était de seulement 3,1 %, selon les données publiées jeudi 9 août par le Pôle emploi tchèque. C’est le plus bas niveau de l’Union européenne. Sur le même mois, le nombre de postes vacants a culminé au niveau historique de 310 000, en hausse de 65 % sur un an. Il est désormais supérieur à celui des demandeurs d’emploi (231 565 personnes).

    La situation n’est pas propre à Prague. « Les difficultés de recrutement sont criantes dans toute l’Europe centrale et de l’Est, alors que les usines tournent à plein régime », explique Grzegorz Sielewicz, économiste spécialiste de la région pour Coface, à Varsovie. En Hongrie et en Pologne, le taux de chômage est également inférieur à 4 %. Par ailleurs, il est tombé à 4,5 % en Roumanie en juin, et il dépasse à peine 5,5 % en Slovénie, selon Eurostat. Une tendance liée à la bonne santé économique de ces pays, comme à la démographie. Depuis les années 1990, plus de 20 millions de personnes ont quitté la région, soit près de 5,5 % de la population. A cela s’ajoute la chute de la natalité, qui accentue le déclin de la force de travail.

    Lire aussi : En Europe de l’Est, la pénurie de main-d’œuvre inquiète les entreprises

    Pour attirer les candidats, les entreprises ont augmenté les salaires. Ils ont progressé de plus de 30 % en Roumanie et de 20 % Hongrie depuis 2010. En République tchèque, ils ont bondi de 7 % en 2017 et devraient croître encore de 7,8 % cette année, d’après les prévisions de la Société générale. Le salaire minimal polonais est passé de 1 750 zlotys (410 euros) en 2016 à 2 000 zlotys bruts (470 euros) aujourd’hui. Et ce, au profit du pouvoir d’achat des salariés, dont le niveau de vie s’approche lentement des standards de l’Europe de l’Ouest.

    « Toute la difficulté est qu’à un certain point, la hausse des #salaires menace la rentabilité des entreprises les plus fragiles », souligne Pavel Sobisek, économiste chez UniCredit, à Prague. A terme, elle risque également de dégrader la compétitivité et les perspectives de croissance de la région, dont le modèle économique repose encore largement sur la faiblesse des coûts de main-d’œuvre.

    « Potentiel d’automatisation élevé »

    Pour faire face à ces contraintes, les entreprises explorent désormais une autre voie : les robots. « Dans l’industrie, elles sont de plus en plus nombreuses à développer l’#automatisation des procédés et des chaînes de production pour compenser le manque de main-d’œuvre », observe M. Sielewicz. Selon lui, les importations de robots industriels dans la région devraient croître de 20 % par an au cours des années à venir.

    Le constructeur automobile Skoda, fleuron de l’économie tchèque, est en pointe sur le sujet. Depuis quelques mois, il déploie des robots 100 % autonomes pour transporter les composants dans son usine de Vrchlabi (nord). Afin de tenir son plan de croissance – produire 2 millions de véhicules en 2025, contre 1,2 million en 2017 –, le groupe a développé un ambitieux programme de numérisation et d’automatisation.

    « Si nous voulons continuer à grandir, c’est la seule option, avec l’immigration », déclarait en mars Bernhard Maier, le PDG de Skoda. « Le potentiel d’automatisation est également élevé dans certains pans de l’industrie agroalimentaire, notamment le traitement de la viande et des produits laitiers », note Jakub Borowski, économiste au Crédit Agricole, à Varsovie.

    Lire aussi : Robotisation : « Emploi transformé ne veut pas dire emploi menacé »

    Il y a de la marge. En moyenne, l’industrie polonaise dispose de 32 robots pour 10 000 employés, selon la Fédération internationale de robotique. C’est moins que la moyenne mondiale, à 74. La République tchèque (101), mais surtout la Slovaquie (135) et la Slovénie (137) sont mieux équipées. Elles dépassent la France (132), même si elles sont encore loin derrière l’Italie (185) et l’Allemagne (309), qui détient le record en Europe. « Cette mutation tirera l’investissement privé ces prochaines années, ajoute M. Borowski. Mais elle se fera sur le long terme, et toutes les entreprises n’y auront pas accès. »

    Car, pour beaucoup de TPE et de PME, les coûts liés à ces équipements sont trop élevés. « Robotiser implique une révolution dans le pilotage et la conception des modes de production à laquelle beaucoup d’entrepreneurs ne sont pas prêts », résume Jakub Borowski. D’autant que le pic de croissance lié au rattrapage post-crise est désormais passé. Le léger tassement de l’activité attendu cette année pourrait décourager les investissements. En outre, le travail humain reste irremplaçable dans certains secteurs, notamment dans des services et de l’agriculture.

    Crispations sur l’immigration

    Pour soutenir malgré tout le mouvement, les gouvernements tchèque et polonais soutiennent l’innovation et multiplient les plans en faveur de « l’industrie 4.0 », le concept à la mode pour désigner la nouvelle génération d’usines intelligentes et connectées. Une partie du patronat local appelle aussi les autorités à agir pour augmenter la participation des femmes au marché du travail, par exemple en développant les infrastructures pour la petite enfance. Certains, plus timides, plaident aussi pour une meilleure intégration de la communauté rom, importante en Hongrie ou en Roumanie, et souvent mise à l’écart de l’emploi. Cependant, le sujet, largement tabou, suscite des crispations.

    Lire aussi : La « révolution des robots » s’impose dans les usines : En 2016, le marché mondial des robots industriels a bondi de 16 % par rapport à l’année précédente, un niveau inédit.

    Tout comme la piste de l’immigration. Si la Pologne et la République tchèque ont, à l’image de la Hongrie, fermé leur porte aux réfugiés du Proche et du Moyen-Orient (officiellement pour des raisons de sécurité), elles ont en revanche assoupli leurs conditions d’accueil pour les travailleurs ukrainiens. Le ministre tchèque du travail a promis en mai d’accélérer encore les procédures permettant d’accorder des visas de long terme aux Ukrainiens, qui sont déjà plus de 70 000 dans le pays.

    En Pologne, ils dépassent le million, et le nombre de permis de travail qui leur ont été délivrés l’an passé a crû de 81 %. « Ceux accordés aux Biélorusses ont également progressé de 116 % », ajoute Grzegorz Sielewicz. Fin juillet, le gouvernement polonais a annoncé un prochain accord avec les Philippines, afin d’accueillir des travailleurs de ce pays d’Asie jugé « culturellement proche »,car catholique.

    #emploi

  • Les disparités économiques se creusent aussi entre les #villes européennes
    http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2018/04/09/les-disparites-economiques-se-creusent-aussi-entre-les-villes-europe

    Les disparités économiques se creusent aussi entre les villes européennes

    Ces prochaines années, les #capitales d’Europe de l’Est devraient enregistrer une croissance plus rapide que les autres villes du Vieux continent, selon une étude d’Oxford Economics.

    LE MONDE ECONOMIE | 09.04.2018 à 12h34 • Mis à jour le 09.04.2018 à 12h36 | Par Marie Charrel


    Un centre commercial du centre de Varsovie, en Pologne, en novembre 2017.

    La croissance est de retour en #Europe, mais la répartition de ses fruits est inégale. Si le phénomène n’est pas nouveau, il inquiète particulièrement depuis la reprise. Les disparités entre les régions recommencent à se creuser au sein des pays, notamment entre les #métropoles et les zones rurales : les premières concentrent de plus en plus d’activités au détriment des secondes. C’est particulièrement le cas en Europe centrale et de l’Est, où les campagnes continuent de se dépeupler.

  • Modiano, nouveau « contemporain capital »

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/10/25/modiano-nouveau-contemporain-capital_5205806_3260.html

    Le Prix Nobel de littérature 2014 n’a pendant longtemps guère été pris au sérieux. Cela a bien changé, et il est même désormais une figure tutélaire pour de nombreux auteurs

    Vous rappelez-vous ce numéro historique d’« Apostrophes » ? Ce vendredi soir de janvier 1980, Bernard Pivot présente à Romain Gary un jeune invité surprise : Patrick Modiano. Gary dit son plaisir de rencontrer le « Saint-John Perse du roman », dont il apprécie les livres. « Et Modiano, demande Pivot, vous êtes lecteur de Gary ? » L’auteur de Rue des Boutiques obscures (Prix Goncourt 1978) modianise : « Oui, bien sûr, quand on le lit on est un peu comme, on ne sait pas très bien, et puis après, disons que, surtout quand ça nous rappelle, non, parce que les livres, enfin, c’est une sorte de, et alors c’est un peu comme si, enfin, tout cela est, comment dire, bizarre. »

    Savoureux tête-à-tête entre deux écrivains aujourd’hui considérés comme des monuments. François-Henri Désérable le rapporte avec précision dans Un certain M. Piekielny (Gallimard, 2017), son excellente enquête sur les traces de Gary et d’un de ses plus attachants personnages. Après sa parution, en août, plusieurs lecteurs lui ont confié combien cet « Apostrophes » avait laissé en eux un souvenir puissant. D’autres lui ont demandé où l’on pouvait visionner cette archive exceptionnelle. Déception : le face-à-face n’a jamais eu lieu. « Je n’en ai pas eu l’idée et c’est l’un de mes regrets les plus vifs. Une faute professionnelle ! », a reconnu Bernard Pivot, bon joueur, dans Le Journal du dimanche. Bonheur : cette émission de rêve, Désérable l’a créée de façon époustouflante, bien qu’il soit trop jeune pour avoir jamais suivi « Apostrophes » en direct.

    En 1924, l’écrivain André Rouveyre avait hissé André Gide au rang de « contemporain capital ». Depuis, le titre a été attribué à bien des auteurs, dont André Malraux ou Georges Perec. Il pourrait à présent être appliqué avec justesse à Patrick Modiano, tant l’auteur de La Place de l’Etoile (Gallimard, 1968) est devenu une référence majeure pour les écrivains d’aujourd’hui. Un phénomène particulièrement net dans les livres sortis ces derniers mois.

    Longtemps, Modiano a été considéré comme un auteur facile, un peu enfermé dans son obsession pour l’Occupation et les collabos. L’Université française le regardait de haut, et les premiers travaux solides sur son œuvre sont surtout venus de chercheurs anglo-saxons. La publication de Dora Bruder (Gallimard, 1997) et le retentissement de cette enquête sur une jeune fille inconnue assassinée à Auschwitz, puis le choc de son atypique autobiographie Un pedigree (Gallimard, 2005), ont changé la donne. Peu à peu, cet écrivain si à part a été pris au sérieux. Un mouvement consacré en 2014 par le prix Nobel de littérature.

    Désormais, Modiano figure logiquement dans les ouvrages d’histoire littéraire, comme la monumentale biographie d’Emmanuel Berl dans laquelle Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt détaillent la relation entre le vieil historien apparenté à Proust et l’écrivain débutant qui vient l’interroger dans son appartement du Palais-Royal (Emmanuel Berl. Cavalier seul, Vuibert, « Biographie », 498 p., 27 €).

    Mais il est aussi choisi comme figure tutélaire par de nombreux auteurs partis sur les traces d’une silhouette difficile à saisir. Marie Van Goethem, le modèle de Degas, « était devenue ma Dora Bruder », écrit Camille Laurens dans La Petite Danseuse de quatorze ans (Stock). « La lecture de Patrick Modiano m’accompagnait, ses phrases sues par cœur », ajoute-t-elle. Marie Charrel cite également Dora Bruder en exergue de son enquête sur la peintre Yo Laur (Je suis ici pour vaincre la nuit, Fleuve).

    François-Henri Désérable ne dit pas autre chose : « Modiano fait partie de ces quelques écrivains qui figurent dans mon panthéon personnel, confie-t-il. Au départ, j’ai voulu faire avec Piekielny ce qu’il a fait avec Dora Bruder : sortir son nom de l’oubli. Dora Bruder est donc en quelque sorte l’hypotexte d’Un certain M. Piekielny. »

    Sous la plume de Désérable et de quelques autres, Patrick Modiano devient à présent lui-même un personnage de roman, reconnaissable à son grand corps, ses promenades dans Paris, sa parole hésitante, ses silences. Dans Taba-Taba (Seuil), Patrick Deville dépeint son apparition soudaine rue de Rennes, comme une hallucination : « Il traversait la rue, vêtu d’un long manteau marron, si grand qu’une femme qui l’accompagnait semblait très petite à son côté. J’entendais ses souliers ferrés sur le trottoir. » Il se trouve aussi au centre du Déjeuner des barricades, de Pauline Dreyfus (Grasset, 234 p., 19 €), récit de l’épique journée de mai 1968 durant laquelle le jeune prodige reçoit son premier prix littéraire dans un hôtel de luxe paralysé par la grève générale. C’est encore lui que la dessinatrice Catherine Meurisse croque dans le recueil Franceinfo : 30 ans d’actualité (Futuropolis, 328 p., 29 €). Acclamé telle une star par une foule en liesse rassemblée sur les Champs-Elysées à l’occasion du Nobel, il balbutie : « Heu… Oui… Eh bien… C’est-à-dire que… »

    L’étape suivante se dessine déjà. Grâce au Nobel, l’aura de Modiano a commencé à dépasser la France. José Carlos Llop, le « Modiano espagnol », parle longuement de « son vaste catalogue de pertes, disparitions et faux passeports » dans Reyes de Alejandría (Alfaguara). L’Australien Barry Jones lui consacre plusieurs pages de The Shock of Recognition (Allen & Unwin). Quant à la très littéraire chanteuse américaine Patti Smith, qui représentait Bob Dylan à Stockholm pour la remise du Nobel de ce dernier, en 2016, elle décrit dans Devotion (Yale University Press) un Modiano capable de traverser tout Paris à la recherche d’un escalier perdu. Modianesque à souhait.