Pas la plus petite queue
D’anguille à se mettre
Sous la dent ce matin
Petit déjeuner avec Zoé
Je l’emmène au collège
Tous les deux cossards. Râleries
Au travail, c’est vendredi
Ennui. Je me distrais
En regardant les Sillons sur Désordre
C’est assez dépaysant
De voir sa vie défiler
Tout en étant en open space
Enième café
Et c’est enfin l’heure
Du déjeuner avec J.
Nos gentilles moqueries
Nos marques d’amitié
Nos seiches poivre et sel
Ce sont de tels rituels
Qui font le sel
De ma vie finalement
Fut un temps
Ce que je préférais
Travailler dans le garage
Désormais
Bavarder avec amis
Dans des cafés
Ai-je
Fini
De travailler ?
En chemin, une femme apeurée
Sort de chez elle poursuivie
Par son mari, tentative d’interposition
Je n’en mène pas large
Mais je tiens bon
Parce qu’il le faut
Est-ce parce que je viens d’échanger avec J.
Je me dis que ferait J. à ma place ?
Elle aurait peur mais cela ne se verrait pas
Que ferait J. à ma place ?
Elle resterait calme
Et parlerait doucement
Je me fais traiter de tous les noms
Notre agresseur n’a pas beaucoup
De vocabulaire, ça va
Il m’accuse d’être le vieux
Qui baise sa femme
Je tente de faire valoir qu’avec l’andropause…
Mon ironie est mal comprise
Il me pousse, je ne bouge pas (un peu)
Il doit être en train de calculer ma masse
La femme voudrait que je monte l’aider
À rassembler ses affaires et appeler le 17
Le mari me soupçonne d’être un tueur en série
Et dire que tout à l’heure
Il faudra que je m’intéresse
À des trucs d’ingénieur informatique
J’ironise auprès du mari
Sa femme a peur de lui
Et pas d’un inconnu (moi)
Il est vexé et il s’en va
Je n’en reviens pas
La femme ne veut plus que j’appelle
Vous êtes sûre Madame ?
Oui, il est parti
Mais il va revenir ?
Si vous voulez j’appelle
J’attends l’arrivée de la police
Et je témoigne du peu que j’ai vu
Et
Elle
S’en va
Des voisins passent
Presque hilares
Suis seul à ne pas rire ?
En bon anarchiste propriétaire
Je me demande
Si je ne devrais pas appeler le 17
J’ai une réunion dans 15 minutes
Pour définir une stratégie de sauvegarde
Des items obsolètes d’une application
J’ai le temps non ?
J’appelle
Vous avez demandé la police
Je décris la situation
D’une façon très claire
Qui me surprend moi-même
Je suis mis en relation
Avec un gardien de la paix
Quand on y pense
Le gardien de la paix
Me géolocalise et d’après mes coordonnées
Décrit la dame et son mari, apparemment connus
Je demande si c’est une blague
Non, Monsieur et il me complimente
Sur mon sens civique. S’il savait…
J’arrive juste à temps pour la réunion
« Philippe, quelles sont tes préconisations
De Maîtrise d’Ouvrage ? » me demande-t-on
De retour en open space
Les sillons du Désordre
Poursuivent leur course infinie
La voix de Jack Kerouac
Se mélange avec le bruit
De ma vaisselle et …
Ma vaisselle, de la flute, Jean-Luc
Bruits de café, un train siffle
Et de nouveau les roaches de Kerouac
Un éléphant barrit
Michele et Dominique s’accordent
On entend Marie Richeux puis …
Une sirène dans le port de Portsmouth
Un orchestre s’échauffe
Marie s’interroge, Kerouac répond
Up you go
Little Smoke
Up you go
Un téléphone sonne
Je reprends pied, c’est l’heure
De l’exode hebdomadaire au temple
J’ai quand même réussi à voler
Une caisse de vin, deux cartouches
D’encre, un DVD et des pignons de pin
Je dépose Zoé au théâtre
Je fais des pâtes
Pour Emile et moi
On file au multiplexe
Souhait d’Emile
Comportements invraisemblables
Les seuls au monde
Prennent le pouvoir
Émile se tient, lui, à carreau
Je me demande
Si Charlotte Gainsbourg
N’est pas la plus pitoyable des actrices
Même boire un verre d’eau
Naturellement semble
Au-delà de ses compétences
En sortant nous tombons nez-à-nez
Avec un pauvre mendiant dans le froid
Sur son visage, je jurerais lire la mort
Il me demande d’appeler les secours
Je donne deux euros à Émile
Va chercher un café pour le monsieur
Je compose le 115
Par habitude, pendant l’attente
Je questionne le monsieur
Vous savez, ils vont me demander
De vous passer le téléphone
Ça va prendre du temps
Le monsieur ne parle pas bien français
Il s’appelle Stephano, Phil, je lui réponds
On se serre la main, présentations faites
Emile revient avec le café
En faisant attention
De ne pas en renverser
Tiens Emile, prends la clef de la voiture
Il y a une grosse couverture
Dans le coffre, tu la prends et tu refermes
Messages d’attente interminables
Je m’excuse auprès de Stephano
Il sait, il me remercie
Passent devant nous les amateurs de cinéma
C’est bien ce que vous faites monsieur
Me disent des jeunes qui sortent d’une comédie
Je leur mendie une cigarette
Ils me donnent ce qui leur reste de paquet
Stephano est ravi
Émile revient avec la couverture
Du coup c’est presque une chaîne
Qui s’organise, on donne du popcorn
Le 155
Comme le Manitoba
Ne répond pas
Le 155
Comme le Manitoba
Ne répond toujours pas
Le 155
Comme le Manitoba
Promet mais ne répond pas
Émile et moi sommes gelés
Mais on ne voudrait pas se plaindre
Emile retourne à la voiture
Le 115
Comme le Manitoba
Ne répond pas
Le 115
Comme le Manitoba
Ne répond toujours pas
Le 115
Comme le Manitoba
Promet mais ne répond pas
Je retourne voir Émile
Émile, tu sais je crois
Qu’on va héberge Stephano
Le 115
Comme le Manitoba
Ne répond pas
Le 115
Comme le Manitoba
Ne répond toujours pas
Le 155
Comme le Manitoba
Promet mais ne répond pas
Je retourne voir Stephano
Qui est en train de plier ses gaules
Stephano, ils ne répondent pas
Je retourne voir Stephano
Qui est en train de plier ses gaules
Venez, vous allez dormir à la maison
Tête de Stephano
Qui prend peur
C’est chauffé chez moi
Tête de Stephano
Qui prend peur
Je ne vous veux aucun mal
Stephano m’explique
Qu’ici c’est un peu chez lui
Et que chez moi c’est trop loin
Mais si vous voulez demain matin
Je vous raccompagne
Chez vous allais-je dire
Il me remercie
Prend ma main
Et la baise
Je m’accroupis
Il voudrait m’étreindre
J’accepte volontiers
Vous êtes sûr
Dormir au moins cette nuit
Dans une maison chauffée ?
C’est apparemment l’heure
Du rassemblement
Des compagnons viennent le chercher
Je comprends
Que c’est le moment
De lui foutre la paix
Une dernière poignée de main
Une dernière étreinte (décidément)
Et je retrouve Émile
Dans le rétroviseur
Je regarde Stephano s’éloigner
Enveloppé dans notre couverture
C’était une très bonne couverture
Cela fait une douzaine d’années
Que cette couverture est dans le coffre
Je me suis souvent servi
De cette couverture pour la sieste
En Auvergne
Quand les enfants étaient petits
Je les recouvrais entièrement avec
Pour les voyages nocturnes hivernaux
Avant cela cette couverture
M’a longtemps servi de couvre-lit
A Portsmouth
Avant cela elle faisait
Le couvre-lit
Avenue Daumesnil
Avant cela elle servait
A recouvrir un vieux canapé
Récupéré avec Cynthia
Désormais
C’est la couverture
De Stephano
J’explique à Émile
Que Stephano a préféré
Rester avec ses amis
Émile :
« Il doit avoir ses repères
Avec nous il n’a plus ses repères »
Émile
Des
Fois
Émile
C’est toi qui as raison
Bien sûr
Nous conduisons
Silencieusement
Je suis tellement fier
Les pouvoirs d’Émile
Sont invisibles
Mais ils sont immenses
En rentrant
Je trouve le courriel
D’Hélène : Hamish Fulton !
Morts hérisson renard, écureuil fouine
Rat oiseau souris chauve-souris
Serpent papillon grenouille libellule
Souris hérisson oiseau souris oiseau
Chauve-souris écureuil renard serpent
Hérisson oiseau fouine souris oiseau
Serpent souris hérisson oiseau
Papillon grenouille souris
Libellule oiseau hérisson
Zones blanches
Je préférais
Perdre le Nord
Gardons l’idée
De déplacements
Et ne perdons pas le Nord
Hâte-toi lentement
Ne pas foncer sur la première idée
Hamish Fulton, tout de même
#mon_oiseau_bleu