person:mario tronti

  • Rôle des intellectuel·les, universitaires ‘minoritaires’, et des #porte-parole des #minorités

    La publication du billet de Gérard Noiriel sur son blog personnel[1] est révélatrice de la difficulté de mener, au sein du champ académique, une réflexion sur la #production_de_savoirs relatifs à la « #question_raciale[2] » et sur leurs usages sociaux dans l’#espace_public. Il est clair que le champ académique n’a pas le monopole de cette réflexion, mais l’intérêt de s’y consacrer est qu’elle peut se mener, a priori, selon les règles et procédures dudit champ. En effet, il semble que les débats liés aux concepts de « #racialisation », « #intersectionnalité », « #postcolonial », « #nouvel_antisémitisme » ou encore « #islamophobie » aient tendance à se dérouler par tribunes de presse interposées, et non par un dialogue via des articles scientifiques[3]. Si ces questions trouvent un espace dans la sociologie ou la science politique, elles peinent encore à émerger dans des disciplines comme le #droit ou l’#économie.

    Durant la période charnière 2001-2006, où la question coloniale et raciale est devenue centrale dans l’espace public – notamment du fait du vote, en 2001, de la « #loi_Taubira » reconnaissant la #traite et l’#esclavage en tant que #crime_contre_l’humanité, de l’impact des rébellions urbaines de 2005, de la référence par le législateur au rôle « positif » de la #colonisation [4] et de la création de nouvelles organisations de minoritaires telles que le #Conseil_représentatif_des_associations noires (#CRAN) –, la #disputatio_académique semblait encore possible. On pense notamment, en #sciences_sociales, aux programmes ANR Frontières, dirigé par Didier Fassin, et #Genrebellion, dirigé par Michelle Zancarini-Fournel et Sophie Béroud, où les concepts de racialisation ou d’intersectionnalité pouvaient être utilisés sans susciter une levée de boucliers.

    La publication des ouvrages collectifs De la question sociale à la question raciale ? et Les nouvelles frontières de la société française (La Découverte, 2006 et 2010), dirigés par Didier et Éric Fassin pour le premier, et par D. Fassin pour le second, constituent de ce point de vue des moments importants du débat scientifique français, qui ont permis de confronter des points de vue parfois divergents, mais esquissant une forme de dialogue. On y retrouve les contributions d’universitaires tels que Pap Ndiaye, Éric Fassin, Stéphane Beaud ou Gérard Noiriel qui, par la suite, via des tribunes dans Mediapart ou Libération, ont tous poursuivi la discussion dans le champ médiatique, notamment lors de l’« affaire des quotas » révélée par Mediapart en 2011[5]. Alors que P. Ndiaye et E. Fassin dénonçaient la catégorisation raciale des joueurs au sein de la Fédération française de football, et notamment la caractérisation de « prototypes » des « Blacks » par le sélectionneur Laurent Blanc[6], S. Beaud et G. Noiriel, tout en reconnaissant le caractère discriminatoire des quotas fondés sur la race, refusent « d’instruire des procès en hurlant avec la meute ». Ils considèrent qu’il faut prendre en compte le langage ordinaire du monde du football et, de manière tout à fait discutable, que le mot « Black » « renvoie moins à une catégorie raciale qu’à une catégorie sociale[7] ». Les récents commentaires de G. Noiriel sur le débat Mark Lilla / Eric Fassin (Le Monde, 1er octobre 2018) correspondent au dernier épisode d’une polémique qui court depuis une dizaine d’années.

    Ce mouvement allant d’une disputatio académique à une controverse médiatique est, nous semble-t-il, problématique pour la sérénité de la réflexion collective sur la question raciale. L’objectif de cette contribution est de soulever plusieurs questions à partir de l’article de G. Noiriel, sans entrer dans une logique polémique. Tout d’abord, on focalisera notre attention sur le rôle des intellectuel.le.s et leurs relations avec les porte-parole des minorités, et sur les différentes conceptions de l’intellectuel.le (« critique », « engagé.e » ou « spécifique »). Ensuite, on analysera le sort réservé aux universitaires appartenant à des groupes minorisés (ou « universitaires minoritaires ») travaillant sur la question raciale. En accusant ceux-ci de se focaliser sur la question raciale au détriment d’autres questions – la question économique par exemple (et non « sociale »), G. Noiriel porte le soupçon de « militantisme » et les perçoit comme des porte-parole de minorités. Or il est nécessaire de contester cette assignation au statut de porte-parole et la tendance générale à relativiser la scientificité des universitaires minoritaires qui, on le verra, subissent un certain nombre de censures voire de discriminations dans le champ académique. Il s’agit enfin de réfléchir au futur en posant la question suivante : comment mener des recherches sur la question raciale et les racismes, et construire un dialogue entre universitaires et organisations antiracistes sans favoriser les logiques d’essentialisation et tout en respectant l’autonomie des un.e.s et des autres ?
    Engagements intellectuels

    Tout en se réclamant tous deux de l’héritage de Michel Foucault, E. Fassin et G. Noiriel s’opposent sur la définition du rôle de l’intellectuel.le dans l’espace public contemporain. Ce débat, qui n’est pas propre aux sciences sociales[8], semble s’être forgé à la fin des années 1990, notamment lors de la controverse publique sur le Pacte civil de solidarité (Pacs). Tout en s’appuyant sur les mêmes textes de Foucault rassemblés dans Dits et écrits, E. Fassin et G. Noiriel divergent sur la posture d’intellectuel.le à adopter, l’un privilégiant celle de l’intellectuel.le « spécifique », selon l’expression de Foucault, l’autre celle de l’intellectuel.le « engagé.e ».

    E. Fassin publie en 2000 un article pour défendre la posture de l’intellectuel.le « spécifique »[9]. Celui-ci se distingue de l’intellectuel.le « universel.le », incarné notamment par la figure de Sartre, qui intervient dans l’espace public au nom de la raison et de principes universels, et souvent au nom des groupes opprimés. L’intellectuel.le spécifique appuie surtout son intervention sur la production d’un savoir spécifique, dont la connaissance permet de dénaturaliser les rapports de domination et de politiser une situation sociale pouvant être considérée comme évidente et naturelle. En ce sens, l’intellectuel.le spécifique se rapproche du « savant-expert » dans la mesure où c’est une compétence particulière qui justifie son engagement politique, mais il ou elle s’en détache pour autant qu’il ou elle « se définit (…) comme celui qui use politiquement de son savoir pour porter un regard critique sur les usages politiques du savoir[10] ». Critique, l’intellectuel.le spécifique « rappelle la logique politique propre à la science[11] ». L’expert.e prétend parler de manière apolitique au nom de la science pour maintenir l’ordre social dominant, tandis que l’intellectuel.le spécifique s’appuie sur un savoir critique de l’ordre social, tout en reconnaissant sa dimension politique. C’est dans cette perspective foucaldienne qu’E. Fassin critique la posture du « savant pur », qui revendique une « science affranchie du politique » : « Désireux avant tout de préserver l’autonomie de la science, [les savants purs] se défient pareillement de l’expert, réputé inféodé au pouvoir, et de l’intellectuel spécifique, soupçonné de militantisme scientifique[12] ». Le savant pur renvoie dos-à-dos les usages normatif et critique de la science comme si la science avait une relation d’extériorité avec le monde social. Or, selon E. Fassin, « pour des raisons tant politiques que scientifiques, (…) le partage entre le savant et le politique s’avère illusoire : de part en part, le savoir est politique. C’est pourquoi celui qui se veut un savant « pur » ressemble d’une certaine manière à l’expert qui s’aveugle sur la politique inscrite dans son savoir. En revanche, d’une autre manière, il rappelle aussi l’intellectuel spécifique, désireux de préserver l’autonomie de la science ; mais il ne le pourra qu’à condition d’en expliciter les enjeux politiques. (…) l’autonomie de la science passe non par le refus du politique, mais par la mise au jour des enjeux de pouvoir du savoir[13] ». Autrement dit, on distingue deux conceptions relativement divergentes de l’autonomie de la science : le.la savant.e pur.e veut la « protéger » en s’affranchissant du politique et en traçant une frontière claire entre le champ académique et le champ politique, tandis que l’intellectuel.le spécifique considère qu’elle n’est possible qu’à la condition de mettre en lumière les conditions politiques de production du savoir.

    G. Noiriel répond à E. Fassin dans son livre Penser avec, penser contre publié en 2003[14], où il soutient la nécessité d’adopter la posture du « chercheur engagé » : « Après avoir longtemps privilégié la posture de l’« intellectuel spécifique », je pense aujourd’hui qu’il est préférable de défendre la cause du « chercheur engagé », car c’est en s’appuyant sur elle que nous pourrons espérer faire émerger cet « intellectuel collectif » que nous appelons de nos vœux depuis trente ans, sans beaucoup de résultats. Les « intellectuels spécifiques », notamment Foucault et Bourdieu, ont constamment annoncé l’avènement de cette pensée collective, mais celle-ci n’a jamais vu le jour, ou alors de façon très éphémère[15] ». Selon lui, cet échec s’explique par le fait que « cette génération n’a pas vraiment cru que la communication entre intellectuels soit possible et utile », d’où la nécessité de prêter une attention particulière aux deux conditions de la communication entre intellectuel.le.s : « clarifier les langages qui cohabitent aujourd’hui sur la scène intellectuelle » et « la manière d’écrire », c’est-à-dire « montrer sa générosité en restituant la cohérence du point de vue qu’il discute, au lieu d’isoler l’argument qu’il propose de détruire » et « désigner par leur nom les collègues de la microsociété qu’il met en scène dans son récit ».

    Or, ces conditions ne seraient pas remplies par la posture de l’intellectuel.le « spécifique » dans la mesure où il tendrait à « privilégier les normes du champ politique » et ne parviendrait pas à « introduire dans le champ intellectuel les principes de communication qui sous-tendent le monde savant ». Les intellectuel.le.s spécifiques critiquent l’usage de la science par les experts visant à maintenir l’ordre social alors qu’« il n’est pas possible [selon G. Noiriel] de concevoir l’engagement uniquement comme une critique des experts. Paradoxalement, c’est une manière de cautionner leur vision du monde, en donnant du crédit à leur façon d’envisager les « problèmes ». Pour les intellectuels « spécifiques », il n’existe pas de différence de nature entre les questions politiques et scientifiques. Pour eux, le journaliste, l’élu, le savant parlent, au fond, le même langage[16] ». Autrement dit, l’engagement des intellectuel.le.s spécifiques tendrait à relativiser les spécificités des formes du discours savant, censé être soumis à des contraintes propres au champ académique et peu comparable aux formes de discours politiques ou militants soumis aux règles du champ politique ou de l’espace des mobilisations.

    Pourquoi le fait d’insister, comme le fait E. Fassin après Foucault, sur la dimension politique de la production de savoir, reviendrait-il à mettre sur le même plan discours scientifiques et autres formes de discours ? Ne pourrait-on pas envisager la posture de l’intellectuel.le spécifique sans « confusion des genres » ? Comment maintenir une exigence en termes scientifiques dans un espace médiatique structuré par la quête de l’audimat et qui fait la part belle au sensationnel ? C’est une vraie question qui traverse l’ensemble du champ académique. Si G. Noiriel ne fournit dans ce texte de 2003 aucun exemple qui permettrait d’évaluer la véracité de cette confusion, son engagement dans le Comité de vigilance des usages de l’histoire (CVUH, créé en 2005) et dans le collectif DAJA (Des acteurs culturels jusqu’aux chercheurs et aux artistes, créé en 2007) est justement présenté comme un mode d’intervention dans l’espace public respectant l’exigence scientifique. Mais il fournit un exemple plus précis en commentant la controverse M. Lilla / E. Fassin autour de la catégorie de « gauche identitaire ». M. Lilla utilise cette dernière catégorie pour désigner (et disqualifier) les leaders politiques démocrates, les universitaires de gauche et les porte-parole des minorités qui auraient abandonné le « peuple » et le bien commun au profit de préoccupations identitaires et individualistes. La « gauche identitaire » est donc une catégorie politique visant à dénoncer la « logique identitaire » de la gauche étasunienne qui s’est progressivement éloignée de la politique institutionnelle pour privilégier les mouvements sociaux n’intéressant que les seul.e.s minoritaires préoccupé.e.s par leur seule identité, et non ce qu’ils et elles ont de « commun » avec le reste de la communauté politique : la citoyenneté[17].

    E. Fassin critique cette catégorie qui vise explicitement à établir une distinction entre le « social » et le « sociétal », et une hiérarchie des luttes légitimes, la lutte des classes étant plus importante que les luttes pour l’égalité raciale. La notion de « gauche identitaire » serait donc, si l’on en croit E. Fassin, un nouvel outil symbolique analogue à celle de « politiquement correct », utilisé pour délégitimer toute critique des discours racistes et sexistes. Ainsi, E. Fassin se réfère-t-il à la posture de l’intellectuel.le « spécifique » afin de critiquer l’argument développé par M. Lilla. G. Noiriel renvoie dos à dos E. Fassin et M. Lilla en affirmant qu’ils partagent le « même langage » et au motif que « ce genre de polémiques marginalise, et rend même inaudibles, celles et ceux qui souhaitent aborder les questions d’actualité tout en restant sur le terrain de la recherche scientifique ».

    En effet, même si l’on ne peut en faire le reproche à E. Fassin qui est un acteur de la recherche sur la question raciale[18], cette polémique qui a lieu dans le champ médiatique participe de l’invisibilisation des chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s qui, justement, travaillent depuis des années sur la question raciale, les minorités raciales et leurs rapports avec la gauche française, et les mouvements antiracistes[19]. Tous ces travaux veillent à définir de façon précise et sur la base d’enquêtes sociologiques les processus de racialisation à l’œuvre dans la France contemporaine. Ils le font en outre en opérant l’interrogation et la déconstruction de ces « entités réifiées » que G. Noiriel évoque dans son texte. On mesure, ce faisant, tout l’intérêt de réinscrire les questions sur la race, qu’elles soient d’ordre méthodologique ou empirique, dans le champ académique.

    Un autre exemple donné par G. Noiriel concerne le début des années 1980 où, affirme-t-il, les « polémiques identitaires » ont pris le pas sur la « question sociale » dans l’espace public :

    « Ce virage a pris une forme spectaculaire quand le Premier Ministre, Pierre Mauroy, a dénoncé la grève des travailleurs immigrés de l’automobile en affirmant qu’elle était téléguidée par l’ayatollah Khomeiny. C’est à ce moment-là que l’expression « travailleur immigré » qui avait été forgée par le parti communiste dès les années 1920 a été abandonnée au profit d’un vocabulaire ethnique, en rupture avec la tradition républicaine (cf. l’exemple du mot « beur » pour désigner les jeunes Français issus de l’immigration algérienne ou marocaine). On est passé alors de la première à la deuxième génération, de l’usine à la cité et les revendications socio-économiques ont été marginalisées au profit de polémiques identitaires qui ont fini par creuser la tombe du parti socialiste ».

    La période 1981-1984 est en effet cruciale dans le processus de racialisation des travailleur.se.s immigré.e.s postcoloniaux.ales et la transformation, par le Parti socialiste, des conflits ouvriers en conflits religieux[20]. Or ce discours de racialisation, qui assigne les travailleur.se.s immigré.e.s maghrébin.e.s à leur identité religieuse putative, provient des élites politiques, patronales et médiatiques, et non des travailleur.se.s immigré.e.s et de leurs descendant.e.s. Il est vrai que certains mouvements de « jeunes immigrés » s’auto-désignaient comme « beurs » mais cela relevait du processus bien connu de retournement du stigmate. D’un côté, les élites assignent une identité permanente religieuse, perçue comme négative, pour disqualifier un mouvement social tandis que, de l’autre, des enfants d’immigré.e.s maghrébin.e.s affirment une identité stigmatisée positive. Peut-on mettre sur le même plan le travail de catégorisation et d’assignation raciale mené par « le haut » (l’État, les institutions, les élites politiques et médiatiques) et le retournement du stigmate – c’est-à-dire la transformation et le ré-investisssement de la catégorie d’oppression pour affirmer son humanité et sa fierté d’être au monde[21] – d’en bas ? Le faire nous semble particulièrement problématique d’un point de vue scientifique. La distinction entre racialisation stigmatisante et construction d’une identité minoritaire stigmatisée doit être prise en compte dans l’analyse sociologique des relations entre majoritaires et minoritaires.

    En revanche, il est avéré que SOS Racisme, succursale du Parti socialiste, a participé à l’occultation de la question économique pour penser l’immigration[22]. Mais SOS Racisme ne représente pas l’ensemble des organisations minoritaires de l’époque. Au contraire, la nouvelle génération de militant.e.s « beurs » s’est majoritairement opposée à ce qu’elle a perçu comme une « récupération » du « mouvement beur »[23]. Par ailleurs, l’on sait que, parmi les revendications initiales de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, les revendications portaient à la fois sur la question raciale et sur les conditions matérielles de vie, de travail et de logement : droit à la vie (ne pas se faire tuer dans l’impunité), droit au travail, droit au logement, etc.[24] Et il ne faut pas oublier que, parmi les rares militant.e.s ayant soutenu les travailleurs immigrés en grève, on retrouve les fondatrices/fondateurs du « Collectif Jeunes » ayant accueilli la Marche à Paris, c’est-à-dire les leaders du « mouvement beur ». Aussi, l’opposition entre vocabulaire ethnique et revendications socio-économiques est-elle loin d’être suffisante pour comprendre la période 1981-1984.

    Une « histoire des vaincus accaparée » ?

    L’article de G. Noiriel pose une seconde question, légitime mais néanmoins complexe, relative au lien entre champ académique et champ politique / espace des mobilisations. Il débute par l’affirmation suivante :

    « Dans l’introduction de mon livre sur l’Histoire populaire de la France, j’ai affirmé que ‘le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par des porte-parole des minorités [(religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales,] qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires’. Il suffit de consulter la bibliographie des articles et ouvrages publiés en histoire ces dernières années ou de regarder les recrutements sur des postes universitaires pour être convaincu de cette remarque[25] ».

    Malheureusement, il ne fournit pas d’exemples de bibliographies, d’ouvrages et de profils de postes universitaires permettant de vérifier la véracité du propos[26]. Concernant les recrutements en histoire (section 22), il est clair que, depuis une trentaine d’années, l’histoire culturelle et l’histoire politique ont été privilégiées au détriment de l’histoire sociale[27]. Cependant, y a-t-il en France pléthore de profils de poste « histoire des minorités raciales » ? Rien n’est moins sûr[28].

    De plus, le constat de G. Noiriel sous-entend – on n’en est pas sûrs à cause de l’ambiguïté du propos – un lien entre l’« accaparement » de l’histoire populaire par les « porte-parole des minorités » et l’évolution des thèmes de recherche en sciences sociales. Ainsi, la position de G. Noiriel est paradoxale. D’une part, il avait à plusieurs reprises reconnu l’importance du rôle d’acteurs associatifs pour faire avancer la recherche scientifique, notamment concernant l’histoire de la Shoah ou de la guerre d’Algérie. Histoire et mémoire ne s’opposent pas forcément. N’est-ce pas parce que la question des discriminations raciales est devenue un enjeu politique dans l’espace public que G. Noiriel s’est lancé dans l’écriture de l’histoire du clown Chocolat[29] ? D’autre part, il critique les « porte-parole des minorités » non identifiés qui se seraient appropriés l’histoire des vaincus à leur propre profit et auraient considérablement influencé les orientations de la recherche scientifique. À défaut d’exemple précis, il est difficile de discuter cette affirmation mais, dans un entretien daté de 2007[30], G. Noiriel est plus explicite et critique les entrepreneurs de mémoire tels que les leaders du CRAN : « Les intellectuels qui sont issus de ces groupes ont toujours tendance à occulter les critères sociaux qui les séparent du monde au nom duquel ils parlent, pour magnifier une origine commune qui légitime leur statut de porte-parole auto-désignés ». En fait, il « critique les usages de l’histoire que font les entrepreneurs de mémoire qui se posent en porte-parole autoproclamés de tel ou tel groupe de victimes, mais [il] relativise par ailleurs l’importance de ces querelles ». Il semble que G. Noiriel ait changé d’avis sur l’influence réelle de ces porte-parole puisqu’ils auraient désormais un impact sur le monde de la recherche.

    Dans le cas de l’affaire Pétré-Grenouilleau, qui a vu l’historien en poste à l’université de Bretagne attaqué en justice par le Collectif DOM en 2005 pour avoir affirmé dans une interview que les traites négrières ne constituaient pas un génocide, force est de constater que l’affaire a nourri la recherche en tant que controverse et événement important dans l’analyse des enjeux mémoriels en France[31]. L’impact sur la recherche scientifique n’est pas allé dans le sens d’une auto-censure, mais a constitué un épisode analysé pour son inscription dans l’espace des mobilisations antiracistes, dans les reconfigurations des relations entre l’État et les associations de Français d’outre-mer ou dans la sociologie politique de la mémoire. La recherche sur l’esclavage et les traites est depuis une dizaine d’années particulièrement dynamique. L’affaire n’a ainsi nourri ni « repentance » ni appel au « devoir de mémoire », mais a servi à éclairer un phénomène majeur : l’articulation entre mémoire et politique dans les sociétés contemporaines.
    Le fantôme minoritaire dans l’académie

    Une troisième question que soulève le billet publié par G. Noiriel porte sur l’assignation des universitaires minoritaires au statut de porte-parole des minorités. En 2004, G. Noiriel affirme que l’engagement des minoritaires dans la recherche est une manière de « canaliser » leur « disposition à la rébellion » : « On oublie généralement que les dispositions pour la rébellion que l’on rencontre fréquemment dans les milieux issus de l’immigration s’expliquent par le fait qu’ils cumulent les formes les plus graves de souffrance sociale. Bien souvent ces personnes ne peuvent construire leur identité qu’en cultivant le potentiel de révolte qu’ils ont en eux. L’investissement dans l’écriture, dans la recherche, dans les activités culturelles en rapport avec l’expérience vécue peut être une façon de canaliser ce potentiel dans des formes qui soient compatibles avec le principe de la démocratie, avec le respect des biens et des personnes[32] ». La réduction de la professionnalisation des minoritaires dans le monde académique à une révolte non-violente pose question. Assigner leur travail scientifique à une émotion, la révolte, n’est-ce pas nier le fait que les minoritaires peuvent tout à fait être chercheur.e sans qu’ils.elles soient déterminé.e.s par une improbable disposition à la rébellion ?[33]

    Cette manière d’interpréter l’entrée d’outsiders dans le monde académique participe à faire des universitaires minoritaires des porte-parole « hétéro-proclamés » des groupes minoritaires et, de manière plus générale, renvoie à leur disqualification en « chercheur.e.s militant.e.s »[34]. Plusieurs travaux britanniques et étasuniens ont documenté l’expérience vécue par les universitaires minoritaires, marquée par les procès d’intention, les micro-agressions et les censures publiques qu’ils subissent au quotidien, leur rappelant qu’ils ne sont pas totalement à leur place ou qu’ils.elles ne sont pas des universitaires à part entière[35]. Au regard de certains faits avérés, il serait intéressant de mener le même type d’investigation dans le monde académique français[36]. Par exemple, une controverse a traversé le comité de rédaction de la revue Le Mouvement social autour de la parution d’un article théorique de Pap Ndiaye sur la notion de « populations noires »[37], à tel point que le rédacteur en chef a décidé de démissionner et qu’un des membres du comité a publié, plusieurs mois après, chose rare, une « réponse » à l’article de Ndiaye. En 2016, sur la mailing-list de l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique), A. Hajjat a fait l’objet d’une campagne de dénigrement en raison de ses travaux sur l’islamophobie. En 2017, la journée d’études « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation » (Université Paris-Est Créteil) a été l’objet d’une campagne de disqualification par l’extrême-droite et certains universitaires parce que le programme traitait des usages politiques du principe de laïcité dans une logique d’exclusion. Certains organisateurs ont été menacés de sanction disciplinaire et d’exclusion de leur laboratoire pour avoir signé une tribune sur les libertés académiques, et l’un d’entre eux n’a pas obtenu un poste qu’il aurait dû avoir. En 2018, le colloque « Racisme et discrimination raciale de l’école à l’université » a également fait l’objet d’une campagne visant son annulation au motif qu’il relèverait du « racialisme indigéniste ». À l’heure où nous écrivons cet article, l’hebdomadaire français Le Point publie une tribune et un article contre les supposés « décolonialisme » et « racialisme » des chercheur.e.s travaillant sur la question raciale, et mène une véritable chasse aux sorcières contre elles.eux en demandant leur exclusion du monde académique[38].

    Bref, l’autonomie de la recherche est remise en cause quand il s’agit de parler de la question raciale dans le monde académique, et les universitaires minoritaires sont directement ciblé.e.s et individuellement discrédité.e.s par certains médias. C’est bien le signe là encore, qu’il faudrait réintégrer la question raciale dans le champ académique et, lorsqu’elle fait l’objet de points de vue, prendre soin d’en mentionner a minima les principaux travaux. L’usage social ou militant d’une recherche ne peut, de ce point de vue, être mis sur le même plan que la recherche proprement dite.

    Aussi, le débat sur les figures de l’intellectuel.le tend-il à occulter tout un pan de la réflexion théorique menée par les études féministes et culturelles sur le « savoir situé »[39]. Il est nécessaire de préserver l’autonomie de la recherche en jouant totalement le jeu de la réflexivité, entendu comme la mise au jour de la relation avec un objet de recherche au prisme de la trajectoire et de la position dans l’espace social. Les études féministes et les cultural studies ont depuis longtemps abordé cet enjeu majeur de la production du savoir. Tou.te.s les universitaires minoritaires ne se pensent pas comme tel.le.s. Ils.elles ne souhaitent pas nécessairement manifester leur engagement politique en prenant appui sur l’autorité de leur savoir et de leurs fonctions. Leurs formes d’engagement, lorsque celui-ci existe, sont, il faut bien l’admettre, multiples et ne passent pas forcément par la mobilisation d’un savoir spécifique avec le souhait de transformation sociale. Il faut donc se garder d’avoir une vision totalisante des « universitaires minoritaires » et de les assigner « naturellement » à la thématique de la question raciale, comme si l’universitaire minoritaire devait se faire le porte-parole de sa « communauté », voire d’un concept-maître (classe sociale, genre, nation).
    Revenir au terrain

    Pour conclure, il nous semble que la recherche sur les processus de racialisation, de stigmatisation, les racismes et les discriminations mérite mieux que les querelles médiatiques – il y a tant à faire ! – alors qu’on observe un manque criant de financements pour mener des enquêtes de terrain. Par exemple, le basculement politique de la région Ile-de-France a débouché sur la disparition de ses financements de contrats doctoraux, postdoctoraux et de projets de recherche sur la question des discriminations. Dans un contexte de montée en puissance des forces politiques conservatrices, s’il y a un chantier commun à mener, c’est bien celui de la pérennisation du financement de la recherche sur la question raciale.

    De plus, il est tout à fait envisageable de penser des relations entre universitaires et organisations minoritaires qui respectent l’autonomie des un.e.s et des autres (on pourrait élargir le propos aux institutions étatiques chargées de combattre les discriminations quelles qu’elles soient). Que l’on se définisse comme intellectuel.le spécifique, engagé.e ou organique, ou que l’on se définisse comme militant.e minoritaire ou non, l’enjeu est de nourrir la réflexion globale pour élaborer une politique de l’égalité inclusive, allant au-delà de la fausse opposition entre revendications « identitaires » et revendications « sociales », et qui prenne en compte toutes les formes de domination sans établir de hiérarchie entre elles.

    En effet, si l’on fait des sciences sociales, on ne peut pas cantonner l’identitaire ou le racial en dehors du social. La question raciale tout comme la question économique sont des questions sociales. Nous ne sommes pas passés de la « question sociale » à la « question raciale » pour la simple et bonne raison que le racial est social. Faire comme si l’on pouvait trancher la réalité à coup de gros concepts (« sociétal », « identitaire », « continuum colonial », etc.), c’est déroger aux règles de la méthode scientifique lorsqu’on est universitaire, et à celles de la réalité du terrain lorsqu’on est acteur.trice politique. Stuart Hall posait à ce titre une question toujours d’actualité : « comment vivre en essayant de valoriser la diversité des sujets noirs, de lutter contre leur marginalisation et de vraiment commencer à exhumer les histoires perdues des expériences noires, tout en reconnaissant en même temps la fin de tout sujet noir essentiel ?[40] ». Autrement dit, que l’on soit chercheur.e ou militant.e, il est nécessaire de refuser toute logique d’essentialisation exclusive. Si universitaires et organisations minoritaires peuvent travailler ensemble, c’est à la condition de faire l’éloge du terrain, c’est-à-dire d’œuvrer à la compréhension de la complexité des rapports sociaux, et de faire avancer la politique de l’égalité de manière collective.

    http://mouvements.info/role-des-intellectuel%C2%B7les-minoritaires
    #université #intellectuels #science #savoir #savoirs

  • [Guide de lecture] Opéraïsmes – Période
    http://revueperiode.net/guide-de-lecture-operaismes

    Parce qu’il a su relier l’exigence théorique et l’intervention pratique, l’autonomie des luttes et les perspectives stratégiques, l’#opéraïsme fait aujourd’hui l’objet d’un vif intérêt dans différents secteurs de la gauche radicale. Pourtant, le faible nombre de traductions disponibles comme la richesse de cette tradition hétérodoxe du marxisme italien contribuent à en gêner l’appropriation créative. On réduit encore trop souvent l’opéraïsme à un courant homogène, que l’évocation de quelques grands noms (Mario Tronti, Toni Negri) ou l’invocation de quelques concepts clés (composition de classe, refus du travail) suffiraient à cerner. Par contraste, c’est à la diversité interne de l’expérience opéraïste qu’entendent ici rendre justice Julien Allavena et Davide Gallo Lassere. De la scission des Quaderni rossi aux débats que suscita l’émergence de nouvelles figures de la lutte des classes dans les années 1970, en passant par l’enquête ouvrière et la lecture de Marx, c’est une ligne de conduite intellectuelle et politique en perpétuel renouvellement qu’ils donnent à voir dans ce guide de lecture, qu’en complèteront bientôt deux autres consacrés à l’autonomie et au post-opéraïsme.

    #Italie #marxisme

  • Journée d’études : « Actualités d’Ouvriers et capital. Mario Tronti », 11 juin 2016, #Paris Ouest
    https://sophiapol.hypotheses.org/19457

    À l’occasion de son cinquantième anniversaire et de sa republication en français aux éditions Entremonde, nous nous proposons dans cette journée d’étude de revenir sur l’ouvrage fondateur de Mario Tronti : Ouvriers et capital.

    Fondateur, l’ouvrage l’est d’abord par les thèses qu’il énonce et dans lesquelles se réfléchit le cycle de luttes ouvrières de la première moitié des années 1960 : l’unité de la théorie et de la pratique sous la forme d’une politisation de toutes les questions théoriques, la revendication d’un point de vue partiel et partial dans la théorie, seul à même d’ouvrir un accès à la compréhension de la totalité des rapports sociaux capitalistes et de favoriser leur transformation radicale, la critique de toute vision progressiste de l’histoire au profit de la valorisation de l’auto-activité de la classe ouvrière.

    #France #Italie #communisme #théorie #édition #livres

    • L’échec du mouvement français de lutte contre la réforme des retraites de l’automne 2010 nous en aura administré l’âpre leçon : si la CGT a eu la haute main sur toute la lutte, c’est en vertu de notre insuffisance sur ce plan-là. Il lui aura suffi de faire du blocage des raffineries, secteur où elle est hégémonique, le centre de gravité du mouvement. Il lui était par la suite loisible à tout moment de siffler la fin de partie, en rouvrant les vannes des raffineries et en desserrant ainsi toute pression sur le pays. Ce qui alors a manqué au mouvement, c’est justement une connaissance minimale du fonctionnement matériel de ce monde, connaissance qui se trouve dispersée entre les mains des ouvriers, concentrée dans le crâne d’œuf de quelques ingénieurs et certainement mise en commun, du côté adverse, dans quelque obscure instance militaire. Si l’on avait su briser l’approvisionnement en lacrymogènes de la police, ou si l’on avait su interrompre une journée la propagande télévisuelle, si l’on avait su priver les autorités d’électricité, on peut être sûr que les choses n’auraient pas fini si piteusement. Il faut au reste considérer que la principale défaite politique du mouvement aura été d’abandonner à l’état, sous la forme de réquisitions préfectorales, la prérogative stratégique de déterminer qui aurait de l’essence et qui en serait privé.

    • Exactement, @rastapopoulos : despotisme hydraulique à deux étage par la CGT. Elle détient la source de l’énergie et aussi la capacité de bloquer et donc de débloquer cette ressource. Sur Toulouse, les manifestants — bien informés — avaient bloqué une des plus grandes plateformes de distribution de la région. Du coup, toute l’appro des hypers était bloquée alors que cela se fait toujours ne flux tendu.
      Je pense qu’on pouvait gagner en moins de 5 jours…

    • « Le mouvement ouvrier n’a pas été vaincu par le capitalisme, mais par la démocratie », disait Mario Tronti. Il a aussi été vaincu pour n’avoir pas réussi à s’approprier l’essentiel de la puissance ouvrière. Ce qui fait l’ouvrier, ce n’est pas son exploitation par un patron, qu’il partage avec n’importe quel autre salarié. Ce qui fait positivement l’ouvrier, c’est sa maîtrise technique, incarnée, d’un monde de production particulier. Il y a là une inclination à la fois savante et populaire, une connaissance passionnée qui faisait la richesse propre du monde ouvrier avant que le capital, s’avisant du danger contenu là et non sans avoir préalablement sucé toute cette connaissance, ne décide de faire des ouvriers des opérateurs, des surveillants et des agents d’entretien des machines. Mais même là, la puissance ouvrière demeure : qui sait faire fonctionner un système sait aussi le saboter efficacement. Or nul ne peut individuellement maîtriser l’ensemble des techniques qui permettent au système actuel de se reproduire. Cela, seule une force collective le peut. Construire une force révolutionnaire, aujourd’hui, c’est justement cela : articuler tous les mondes et toutes les techniques révolutionnairement nécessaires, agréger toute l’intelligence technique en une force historique et non en un système de gouvernement.

    • C’est ce passage que je trouve le plus intéressant :

      Ce n’est pas la faiblesse des luttes qui explique l’évanouissement de toute perspective révolutionnaire ; c’est l’absence de perspective révolutionnaire crédible qui explique la faiblesse des luttes. Obsédés que nous sommes par une idée politique de la révolution, nous avons négligé sa dimension technique. Une perspective révolutionnaire ne porte plus sur la réorganisation institutionnelle de la société, mais sur la configuration technique des mondes. En tant que telle, c’est une ligne tracée dans le présent, non une image flottant dans l’avenir. Si nous voulons recouvrer une perspective, il nous faudra coupler le constat diffus que ce monde ne peut plus durer avec le désir d’en bâtir un meilleur. Car si ce monde se maintient, c’est d’abord par la dépendance matérielle où chacun est, pour sa simple survie, vis-à-vis du bon fonctionnement général de la machine sociale. Il nous faut disposer d’une connaissance technique approfondie de l’organisation de ce monde ; une connaissance qui permette à la fois de mettre hors d’usage les structures dominantes et de nous réserver le temps nécessaire à l’organisation d’un décrochage matériel et politique par rapport au cours général de la catastrophe, décrochage qui ne soit pas hanté par le spectre de la pénurie, par l’urgence de la survie. Pour dire cela platement : tant que nous ne saurons pas comment nous passer des centrales nucléaires et que les démanteler sera un business pour ceux qui les veulent éternelles, aspirer à l’abolition de l’état continuera de faire sourire ; tant que la perspective d’un soulèvement populaire signi era pénurie certaine de soins, de nourriture ou d’énergie, il n’y aura pas de mouvement de masse décidé.

      Je ne suis pas tout à fait d’accord, ce n’est pas qu’un problème technique à court terme. Pour moi le problème est aussi dans la motivation profonde. Les idéaux de gauche ont été tellement éreintés ces dernières années, le peuple de gauche est tellement meurtri, dépité qu’il manque le souffle, l’espoir, l’envie qui transcende. Il manque cet espoir et cette confiance qui galvanise, qui fait que tu es prêt aux sacrifice, à faire une croix sur toutes tes addictions et dépendances matérielles, sur ton filet de survie comme sur ton petit confort..
      être de gauche par définition, c’est avoir du mal à faire machine arrière. Il nous manque cette perspective pour aller de l’avant, pour sortir du libéralisme sans faire marche arrière..

  • Lutte contre le travail - Extrait d’Ouvriers et capital de Mario Tronti
    http://paris-luttes.info/lutte-contre-le-travail-ouvriers-5470?lang=fr

    Ce point se situe à l’intérieur de la classe ouvrière tout comme la classe ouvrière se situe à l’intérieur du capital. C’est précisément la séparation de la classe ouvrière d’avec elle-même, d’avec le travail et par conséquent d’avec le capital. C’est la séparation de la force politique d’avec la catégorie économique. Et la division, ou la séparation, c’est trop peu : il faut la lutte, l’opposition, l’antagonisme. Pour lutter contre le capital, la classe ouvrière doit lutter contre elle-même en tant que capital. C’est le stade maximum de la contradiction, non pour les ouvriers mais pour les capitalistes. Il suffit d’exaspérer ce stade, d’organiser cette contradiction, et le système capitaliste ne fonctionne plus, le plan du capital, commence à marcher à rebours, non plus comme développement social, mais comme processus révolutionnaire.

    #Italie #communisme #opéraïsme

    http://paris-luttes.info/home/chroot_ml/ml-paris/ml-paris/public_html/local/cache-vignettes/L300xH449/9782940426324-b47f9.jpg?1461490141

  • Lutte contre le travail - Mario Tronti, CIP-IDF
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=8094

    Le texte qui suit relève d’un point de vue ouvrier c’est-à-dire d’une pensée antagoniste, dans et contre le capital.

    Sa publication se veut une contribution à la lutte en cours contre cette loi du capital qu’est la #loi_travail. Il s’agit également de proposer un détour théorique préalable à la séance de l’université ouverte sur le droit au chômage proposée ce 10 avril 2016 à Paris.

    Lutte contre le travail

    Pour finir revenons donc au point de départ : à la nature à la fois double, scindée et antagonique du #travail. Non plus cependant du travail contenu dans la marchandise, mais de la classe ouvrière contenue dans le #capital. La zwieschlächtige Natur de la classe ouvrière consiste en ce qu’elle est à la fois travail concret et travail abstrait, travail et force de travail, valeur d’usage et travail productif, à la fois capital et non-capital – partant à la fois capital et classe ouvrière. C’est là que la division est déjà antagonisme. Et l’#antagonisme est toujours lutte. Mais la #lutte n’est pas encore #organisation. Il ne suffit pas qu’il y ait une division objective du travail et de la force de travail dans la classe ouvrière : car c’est précisément de la sorte qu’ils se présentent unis dans le capital. Il faut les diviser par une intervention subjective : en effet ce n’est que de la sorte qu’ils deviendront les moyens d’une alternative de pouvoir.

    #ouvriers_et_capital #opéraïsme #refus_du_travail #Mario_Tronti #livre_en_ligne

  • Nous, les précaires
    http://www.dedefensa.org/article/nous-les-precaires

    Nous, les précaires.

    Y a-t-il un en dehors du système quand vorace et omnivore il métabolise tout à son profit ?

    Mario Tronti, après que les théorisations des Quaderni Rossi élaborées autour du concept de l’ouvrier-masse transformé par les luttes conduites hors l’usine en ouvrier social, eussent été dépassées par l’ampleur du mouvement contestataire des années soixante dix en Italie, avait formulé une « loi sociale ».

    Ce sont les luttes ouvrières qui ont toujours stimulé le développement capitaliste, elles ont contraint le capital à l’innovation, au bond technologique et au changement social. (1)

    Ainsi, les grèves tournantes et les arrêts de travail intempestifs capables d’interrompre les flux productifs dans les énormes unités qui concentraient à Turin des centaines de milliers de travailleurs ont (...)

  • L’usine et la société — Mario Tronti (1962)
    http://multitudes.samizdat.net/L-usine-et-la-societe
    Ce texte est inclus dans la première partie d’ Ouvriers et Capital intitulée « Premières hypothèses », dont il constitue le deuxième chapitre. La première édition d’Operai e capitale a été publiée en 1966 aux éditions Einaudi. La traduction française, en 1977 chez Christian Bourgois.

    Ce qui tout d’abord n’était qu’un rapport facilement discernable entre la sphère de la production et les autres sphères sociales devient désormais un rapport beaucoup plus complexe entre les changements internes à la sphère de la production et les changements internes aux autres sphères : ce rapport entre production capitaliste et société bourgeoise devient aussi beaucoup plus médiatisé, organique, mystifié, évident et dissimulé à la fois. Plus le rapport déterminé de la production capitaliste s’empare du rapport social dans sa généralité, plus il semble s’évanouir en ce dernier comme une de ses particularités marginales. Plus la production capitaliste pénètre en profondeur et envahit en extension la totalité des rapports sociaux, plus la société apparaît comme la totalité face à la production, et la production comme une particularité face à la société. Quand le particulier se généralise et s’universalise, il apparaît comme représenté par le général et par l’universel. Dans le rapport social de production capitaliste, la généralisation de la production s’exprime en une hypostase de la société. Lorsque la production spécifiquement capitaliste a achevé de tisser l’ensemble des rapports sociaux, elle apparaît elle-même comme un rapport social générique.

    #capitalisme #société #citation via @prac_6

  • Parution de Nous operaïstes de Mario Tronti
    http://www.lyber-eclat.net/salon/auteurs/tronti.html

    Nous opéraïstes est le récit, à la première personne, de ce que fut la mouvance opéraïste entre les années 60 et 70 du vingtième siècle, et qui a imprégné la plupart des mouvements de la gauche en Italie et en Europe. Histoire d’une aventure politique et intellectuelle, de ses ouvertures comme de ses errements, de ses avancées comme de ses défaites, elle est d’un enseignement exemplaire pour la refondation d’une pensée critique en ce début du vingt-et-unième siècle, et se double, avec l’écriture de Mario Tronti, d’un petit chef-d’œuvre de ’style’, où prime le « critère de l’honnêteté ».

    #communisme #operaïsme #Italie #édition #livres