L’éthique du care | Cairn.info
►https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm
Zielinski Agata, « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, 2010/12 (Tome 413), p. 631-641. URL : ►https://www.cairn.info/revue-etudes-2010-12-page-631.htm
Si le terme n’est pas toujours traduit, c’est que sa richesse sémantique ne s’épuise pas dans un unique équivalent français : prendre soin, donner de l’attention, manifester de la sollicitude… Entre soin et sollicitude, la notion de care invite à une réflexion sur son mode d’acquisition. D’où nous vient de prendre soin ? D’où nous vient la capacité à nous soucier d’autrui ? Et la conduite consistant à agir pour répondre aux attentes de celui-ci ?
Tronto présente quatre phases du care [10][10] Tronto, p. 147-150., auxquelles correspondent quatre qualités morales spécifiques. De là ressort que le care ne se réduit pas à la morale, et que la morale dont il est question s’expérimente dans une pratique plutôt qu’elle ne se donne à connaître dans des grands principes.
Le premier aspect du care est défini comme caring about, « se soucier de » : il s’agit de constater l’existence d’un besoin, de reconnaître la nécessité d’y répondre, et d’évaluer la possibilité d’y apporter une réponse. Nous voyons ici apparaître en filigrane une nuance entre nécessité morale et possibilité pratique : quelque chose s’impose – une nécessité « intérieure » – qui n’est pas de l’ordre de l’obligation par devoir, mais doit être passé au crible de la réalité, c’est-à-dire de l’évaluation de ce qui est possible.
Vient ensuite l’aspect du taking care of, « prendre en charge » : assumer une responsabilité par rapport à ce qui a été constaté, c’est-à-dire agir en vue de répondre au besoin identifié. La responsabilité est ici entendue comme une forme d’efficacité.
Suit la dimension du care giving, « prendre soin », qui désigne la rencontre directe d’autrui à travers son besoin, l’activité dans sa dimension de contact avec les personnes. Nous retrouvons ici la dimension de singularité du soin : singularité des personnes et de la situation, et plus directement la dimension relationnelle vers quoi converge le soin.[...] Au care giving correspond la qualité morale de la compétence : il ne suffit pas d’entrer en relation avec autrui, il est nécessaire de lui procurer efficacement ce qui pourvoit à ses besoins.
Tronto termine sa description du processus du care par le care receiveing, « recevoir le soin ». Pour le « donneur » de soin, il s’agit de reconnaître la manière dont celui qui le reçoit réagit au soin. C’est la seule manière de savoir si une réponse a été apportée au besoin, autrement dit, de voir si le soin a produit un résultat.
Le care permet de redonner une place à la vulnérabilité dans le lien social. Alors que le libéralisme tend à exclure la vulnérabilité de la place publique, les éthiques de la sollicitude en rétablissent la visibilité [20][20] Brugère (2008), p. 89.. Le care est encore confrontation à sa vulnérabilité propre : difficulté à comprendre et identifier les désirs ou attentes, fragilité de l’adéquation des réponses aux besoins, ouverture à l’autre qui demande un investissement de l’attention, du corps, des affects… exigeant et parfois épuisant. Les compétences les plus pointues n’assurent pas une réponse parfaite. Intégrer sa propre vulnérabilité, c’est apprendre un care qui doute, qui ne se satisfait pas d’apparentes évidences, qui sait que l’adéquation de la réponse demande adaptation et tâtonnements. La sollicitude et l’activité de soin transforment ceux à qui elles s’adressent, mais aussi ceux qui les exercent. Cette interdépendance est en même temps processus d’indépendance, acte pris de la commune vulnérabilité.
Ainsi, le rôle de l’attention est bien d’identifier non seulement les besoins mais encore les capacités (ou « capabilités » [22][22] Cf. Amartya Sen ou Martha Nussbaum, cités par Tronto...). En effet, contrairement au cliché que peut générer l’association du care au « maternage » ou au « paternalisme », prendre soin ne consiste pas à laisser le sujet passif. Prendre soin ne se résume pas à donner, mais cherche à solliciter la participation, le choix, et finalement l’action d’autrui. Autrement dit, le care est une relation entre deux acteurs – et non entre un sujet actif et un sujet passif (un patient), ce à quoi le réduisent ses détracteurs.