person:martin heidegger

  • « Le travail manuel est trop souvent dévalué »

    http://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/08/le-travail-manuel-est-trop-souvent-devalue_5169833_4415198.html

    L’universitaire Matthew Crawford a fait le choix, un jour, de quitter un emploi dans un prestigieux think tank pour réparer des motos. Une activité plus stimulante sur le plan intellectuel, justifie-t-il.

    Matthew Crawford est chercheur associé à l’université de Virginie, aux Etats-Unis. Après des études de physique, il se tourne vers la philosophie. Déçu par un premier emploi, il décide de se faire mécanicien. Matthew Crawford fonde Shockoe Moto, un atelier de réparation de motos. Il est également l’auteur de deux ouvrages largement remarqués : Contact (La Découverte, 2016) et Eloge du carburateur (La Découverte, 2010).

    Vous avez vous-même fait l’expérience d’un changement de carrière, en quittant la direction d’un think tank pour ouvrir un atelier de réparation de motos. Pourquoi avez-vous changé de métier ?

    Cet emploi dans un endroit consacré à la réflexion avait toutes les apparences d’un travail stimulant. C’était, il est vrai, un second choix. Jeune diplômé, j’espérais rejoindre une université, mais je n’ai rien trouvé. Lorsqu’un contact m’a indiqué que ce think tank cherchait un nouveau directeur exécutif, j’ai cru que ce poste était prometteur.

    Mais dès les premières heures, j’ai compris qu’il n’offrait aucune liberté de pensée. Il fallait simplement atteler son esprit à formuler les meilleurs arguments possibles dans un certain débat, ce qui demande de réfléchir à partir d’une conclusion prédéterminée. Il faut donc imaginer les arguments et l’enchaînement logique pour arriver au résultat attendu, ce qui est un exercice intellectuel un peu vain. Je n’arrivais pas toujours à me convaincre moi-même. C’était démoralisant.

    Comment avez-vous fait pour tenir ?

    Je n’aimais pas ce travail, mais j’avais besoin d’argent. Je suis donc resté cinq mois. Et pendant tout ce temps, je rêvais de réparer des motos. Grâce à un ami, j’avais découvert les bases de ce métier au cours de mes études post-doctorales et je me demandais déjà s’il serait possible d’en vivre. Dans ce think tank, je passais donc une partie de mes journées à feuilleter des catalogues d’outils, en comptant combien de temps je devrais garder cet emploi avant de pouvoir me les payer.

    Après cinq mois, j’avais rassemblé tout le matériel nécessaire. J’ai donc démissionné et je me suis mis à travailler sur des deux-roues. D’abord, dans mon garage, puis j’ai trouvé un peu plus grand. A vrai dire, j’avais très peu d’expérience, je connaissais mieux les voitures. J’ai donc appris sur le tas. Mais comparativement au boulot dans ce think tank, c’était génial. Avec une moto, on ne triche pas ; soit elle démarre, soit elle ne démarre pas.

    Votre expérience vous a-t-elle amené à reconsidérer la valeur du travail intellectuel ?

    Etablir un diagnostic mécanique pour une moto en panne puis la réparer constitue un travail très stimulant sur le plan intellectuel. Certaines idées préconçues nous poussent pourtant à croire le contraire. On continue d’accorder une plus grande valeur au travail intellectuel effectué dans un bureau, comme s’il était forcément plus intéressant, plus exigeant, alors qu’en fait, l’économie de la connaissance crée beaucoup de ces emplois sans intérêt, qui n’engagent en rien votre intelligence.

    Entre le travail intellectuel et le travail manuel, une opposition factice existe toujours dans l’esprit de bien des gens et conduit à dévaluer le second. Si on se salit les mains, c’est que l’on fait un boulot idiot. Ce préjugé existe toujours.

    Renverser ce préjugé demande d’établir une épistémologie du travail manuel. Quelles peuvent en être les bases ?

    Martin Heidegger m’a aidé à dépasser ces préconceptions et à mieux comprendre mon expérience du travail. C’est bien connu, ce philosophe explique que notre façon de connaître un objet provient de notre interaction avec lui. On n’apprend pas ce qu’est un marteau en le contemplant mais en l’employant. Ce fut pour moi un point de départ pour réfléchir à ce que serait une connaissance incarnée.

    Lorsque vous essayez de comprendre pourquoi une moto ne fonctionne pas, vous formulez différentes hypothèses sur l’origine de cette panne. Mais les causes peuvent interagir les unes avec les autres, ce qui rend les choses encore plus complexes. Vous lancez donc votre enquête sur la base de pressentiments plutôt que de règles. Ces intuitions sont le fruit de l’expérience. Le philosophe hongrois Michael Polanyi (1891-1976) fournit une définition de ce que pourrait être cette intuition lorsqu’il parle de connaissances personnelles, un type de connaissances acquis uniquement après avoir été longtemps en contact avec l’objet de ce savoir.

    Vous dites que le travail manuel est dénigré par des clichés persistants. Mais ne le considère-t-on pas, à l’inverse, avec un peu trop de romantisme, comme s’il permettait d’échapper aux contraintes du monde moderne ?

    Il y a en effet un grand appétit pour cette vision du travail manuel, que ce soit pour en vanter les prétendues vertus thérapeutiques, le réduire au mouvement, très populaire aux Etats-Unis du « faites-le vous-même » (« do it yourself »), ou pour l’assimiler à du développement personnel. Mais c’est avant tout la figure de l’artisan, dont certains intellectuels se sont saisis pour en développer une vision romantique, qu’il s’agisse du luthier ou du forgeron fabricant l’épée d’un samouraï. Je m’intéresse davantage aux plombiers et aux électriciens, des métiers dévalués mais qui permettent à ceux qui font le choix de cette carrière de bien vivre et de rencontrer chaque jour de nouveaux défis. En m’intéressant à ces métiers, j’ai voulu éviter toute esthétisation.

    Ma principale préoccupation consiste à rappeler qu’il est essentiel de trouver un travail qui ne vous rende pas plus idiot que vous ne l’êtes. Tant d’emplois sont abrutissants ; un sommet est atteint avec la chaîne de montage. Mais l’environnement physique dans lequel travaillent un plombier, un électricien, un mécanicien varie trop d’une journée à l’autre pour que ces métiers puissent être réduits à l’exécution répétitive d’une procédure. Il faut savoir improviser et s’adapter. Et je crois que cela permet de se sentir davantage comme un être humain et moins comme le rouage d’une machine.

    La vraie question n’est pas tant de savoir si vous travaillez avec vos mains ou dans un bureau, mais si vous exercez votre jugement au travail. Et c’est sur cette base que je crois qu’il faut renouveler notre regard sur les métiers manuels. Certes, ils ne sont pas pour tout le monde, mais trop souvent ils sont dévalués dès l’école et on rappelle trop peu les possibilités qu’ils offrent. Les enfants sont poussés à aller à l’université ; je crois qu’il est important de rappeler qu’il y a d’autres possibilités qui sont plus enrichissantes qu’on ne le dit. Il y a différentes voies d’accès à la connaissance ; s’asseoir en classe puis dans un bureau n’est pas la seule qui existe. Si vous êtes un garçon de 16 ans qui tente de construire une voiture de course, soudainement la trigonométrie va vous intéresser parce que vous en voyez l’utilité.

    Ne craignez-vous pas de dénigrer le rationalisme à une époque où la science est attaquée de toutes parts ?

    Non, je crois au contraire aider à rétablir l’importance de la science en l’inscrivant dans un contexte plus large. Travailler avec des choses physiques signifie que vous êtes constamment en contact avec les éléments de la nature. Si l’on parcourt l’histoire de l’innovation technologique, on se rend compte que très souvent des percées dans la recherche n’ont pas précédé des développements technologiques – elles en sont plutôt le fruit. Par exemple, le moteur à vapeur a été développé par des mécaniciens qui avaient observé la relation entre la température et la pression. Et c’est grâce à l’essor de ce moteur qu’une branche de la physique, la thermodynamique, est sortie de certaines impasses dans lesquelles elle se trouvait alors.

    Aristote avait également observé que si l’on se coupe des choses se trouvant dans la nature, du monde physique, il devient facile de construire des dogmes sur la base de quelques observations. Les métiers manuels se caractérisent par leur déférence envers le monde réel et je crois que c’est un trait que partage la science. Quand vous dessinez un système de ventilation pour un immeuble ou quand vous essayez de comprendre pourquoi il est en panne dix ans plus tard, ce sont des tâches qui demandent d’engager son esprit et ses aptitudes intellectuelles.

    Se rapprocher du monde matériel, comme vous le proposez, est largement une entreprise personnelle. Mais ce projet a-t-il une dimension politique ?

    Je crois que mon message peut rapprocher des électorats qui s’opposent aujourd’hui, les classes moyennes supérieures et les classes populaires. Lorsque vous entreprenez de réparer vous-même votre frigo, très rapidement vous découvrez à quel point c’est difficile. C’est une véritable leçon d’humilité. La prochaine fois que vous ferez appel à un professionnel de ce métier, vous aurez alors davantage de choses en partage, vous pourrez mieux apprécier son travail.

    Cette expérience, dans une période de profondes divisions comme aujourd’hui, est fondamentale sur le plan politique, parce qu’elle nous sort des enclaves réelles et virtuelles dans lesquelles nous vivons. Il est fort probable que ce professionnel habite dans la périphérie et qu’il se déplace dans la ville où résident ses clients. Cette ségrégation se traduit par l’érection de frontières politiques, parce que l’espace de partage entre classes sociales est en train de disparaître. Tenter de faire par soi-même ces petits travaux peut permettre de faire émerger un peu plus d’empathie entre des gens qui ne se ressemblent pas.

  • Philo
    Nous sommes le 26 mai 2016
    Il y a 40 ans mourait Martin Heidegger
    Rififi philosophique au colloque « Heidegger et ’les juifs’ »
    Après la publication en Allemagne des « Cahiers noirs » et de ses passages antisémites, le philosophe a eu droit à un raout aussi mondain que houleux. Reportage.
    A lire >> http://bit.ly/1Wl7ywc

  • Les syncrétismes douteux

    "Les années 30 reviennent d’une certaine façon, partiellement, pas seulement, de manière déplacée, avec des inclinations plus soft, associées à des traits inédits de la période actuelle. Pour mieux nourrir l’analogie historique, il m’est paru utile de revenir sur quelques recherches que la sociologie et l’histoire leur ont consacrées.

    Nous en tirerons des repères comparatifs qui nous aideront à éclairer les quatre parties suivantes, focalisées quant à elles sur notre présent immédiat. Des ressemblances et des dissemblances commenceront à se faire jour.

    Chapitre 1 : Bourdieu et l’humeur idéologique « révolutionnaire conservatrice » de l’Allemagne de Weimar

    Le livre que Pierre Bourdieu a consacré à L’ontologie politique de Martin Heidegger [1] est le premier à nous orienter vers les années 30, dans l’Allemagne de Weimar, c’est-à-dire la République démocratique en place entre 1918 et 1933. Le premier chapitre de cet ouvrage de Bourdieu est à recommander à tous ceux qui s’alarment de la situation actuelle et sont en quête d’outils de compréhension.

    On y trouve tout d’abord des pistes quant à certaines ressemblances entre notre air du temps et celui de l’époque pré-nazie. Le plus frappant renvoie à la notion éclairante de « révolution conservatrice » afin de rendre compte des productions idéologiques décryptées par Bourdieu. Comme aujourd’hui en France, le conservatisme ne se présentait pas comme une défense pépère de l’ordre établi, un simple appel à la conservation de ce qui existait. Il se voulait au contraire « révolutionnaire », en butte avec l’ordre établi. Il s’agissait de retrouver et de restaurer des valeurs, des institutions et des sociabilités perdues, ou en crise, via un changement radical. Les « révolutionnaires conservateurs » occupaient alors le terrain de la critique du monde tel qu’il va. C’est pour souligner cette proximité que je parlerai pour la France d’aujourd’hui de néoconservatisme, et non pas simplement de conservatisme en un sens courant. On doit noter toutefois que l’accent « révolutionnaire » d’hier est affadi en rebellitude à double face (Alain Soral/Éric Zemmour) et mis en spectacle dans les médias (pourtant vitupérés !) et sur internet dans notre présent glauque.

    Cependant, plus encore que sur le contenu de cette variante « révolutionnaire » du conservatisme, l’apport principal de Bourdieu consiste dans le décryptage des mécanismes de production de ce qu’il nomme une « humeur idéologique » ; humeur idéologique « völkisch » (ou justement « révolutionnaire conservatrice »)[2]. Bourdieu décrit un « discours confus, syncrétique », doté de « "sources" innombrables, qui jaillissent de toutes parts », dans la logique « d’une configuration idéologique faite de mots fonctionnant comme des exclamations d’extase ou d’indignation et de thèmes demi-savants réinterprétés, produits "spontanés" d’inventions individuelles objectivement orchestrées »[3]. Ces origines multiples apparaissent objectivement orchestrées sans coordination consciente et associées à un « accord affectif des phantasmes partagés qui donnent l’apparence à la fois de l’unité et de l’infinie originalité »[4]. Malgré les différences et les oppositions dans l’espace de production idéologique du « conservatisme révolutionnaire » - ce qu’il appelle sa « diversité kaléidoscopique »[5] -, le sociologue note « ces innombrables rencontres thématiques et lexicologiques qui sont autant de renforcements mutuels »[6] ; l’ensemble se tenant « comme un château de cartes »[7].

    Cette galaxie diversifiée trouvait aussi des cohérences partielles dans l’opposition à ceux qu’elle avait pris pour cible dans la culture de Weimar :

    « Elle se déduit, par simple inversion de signe, des propriétés de ses adversaires : francophiles, juifs, progressistes, démocrates, rationalistes, socialistes, cosmopolites, les intellectuels de gauche (dont Heine constitue le symbole) appellent en quelque sorte leur négation dans une idéologie nationaliste »[8].

    Les cibles ont aujourd’hui, pour partie, changé – les « bobos de gauche », les antiracistes, les immigrés, les internationalistes, « la communauté homosexuelle », les journalistes,…encore les juifs pour certains (Alain Soral) ou les musulmans pour d’autres (Éric Zemmour)… -, mais les mécanismes restent similaires.

    Une des hypothèses principales de ce livre pose l’existence de logiques analogues à celles décryptées par Bourdieu dans la France d’aujourd’hui (mais cela pourrait être étendu à l’Europe, avec des spécifications, des décalages, des bémols ou des contre-exemples en fonction de l’histoire des différents pays). Ainsi une humeur néoconservatrice à tonalités xénophobes-machistes-homophobes-nationalistes se consoliderait aujourd’hui dans l’espace public, à travers un double canal plus officiel, dans les grands médias, et plus underground sur internet.

    Á la suite de Bourdieu, il ne s’agit pas de traiter le tissage en cours du néoconservatisme à la manière des théories du complot, c’est-à-dire comme le produit d’un plan concerté et caché de forces maléfiques. On doit plutôt l’envisager comme réalisé de manière éclatée dans différents secteurs de l’espace idéologique et politique, par des protagonistes qui peuvent être opposés entre eux, autant manipulés par les circonstances que manipulateurs. Ainsi pourrait être assurée la stabilisation de thèmes transversaux dans l’espace idéologique et politique, à travers des interférences entre droite et gauche, extrême droite et gauche radicale, nationalisme et anticapitalisme, sans que personne n’en ait organisé explicitement et consciemment la coordination, avec au mieux des protagonistes ayant une vision partielle du processus.

    Cette humeur idéologique néoconservatrice est susceptible de devenir un terreau culturel et intellectuel favorable à l’installation politique d’un « postfascisme » sous la forme partisane du Front national. Il faut ici être précis sur les mots : terreau culturel et intellectuel ne signifie ni cause, ni motivation. Je m’inspire, ce faisant, d’indications méthodologiques fournies par l’historien Roger Chartier à propos d’une autre période, la Révolution française :

    « Attribuer des "origines culturelles" à la Révolution n’est aucunement établir des causes, mais plutôt repérer certaines des conditions qui l’ont rendue possible, possible parce que pensable. »[9]

    Les causes et les motivations des résultats électoraux du FN sont diverses et mobiles selon les analyses disponibles depuis sa première percée à Dreux en 1983[10]. Un terreau culturel et intellectuel, c’est davantage une condition qu’une cause, et cela participe au processus d’homogénéisation idéologique partielle d’un vote et d’un militantisme fort polyphoniques. Or, les analyses de Jean-Claude Kaufmann dans Identités, la bombe à retardement[11] montrent que nos sociétés individualistes-capitalistes à idéaux démocratiques, alors qu’elles sont affectées par une « crise de civilisation », sont particulièrement vulnérables à l’action politique d’entrepreneurs en identités collectives fermées, et notamment à celles porteuses de ce que le sociologue nomme « le national-racisme »...."

    Philippe Corcuff

    [1] P. Bourdieu, L’ontologie politique de Martin Heidegger (version actualisée d’un article paru en 1975), Paris, Minuit, collection « Le sens commun », 1988.

    [2] Ibid., p.16 ; « völkisch » vient de volk, peuple ou nation en un sens ethnique.

    [3] Ibid., pp.16-17.

    [4] Ibid., p.17.

    [5] Ibid., p.36

    [6] Ibid., p.24.

    [7] Ibid., p.31.

    [8] Ibid., p.33.

    [9] R. Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, collection « L’Univers Historique », 1990, p.10.

    [10] Pour une synthèse critique des travaux sociologiques et politologiques sur le Front national de Jean-Marie Le Pen, voir Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, collection « Repères », 2005.

    [11] J.-C. Kaufmann, Identités, la bombe à retardement, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2014.

    #Révolution_conservatrice
    #syncrétisme

  • La polémique sur l’antisémitisme d’Heidegger est relancée
    http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/09/17/heidegger-reprise-des-hostilites_4489224_3260.html

    Longtemps, on a cru possible de séparer la philosophie de Martin Heidegger (1889-1976), d’un côté, et son engagement politique, de l’autre. Cette possibilité n’existera plus. La publication des Cahiers noirs, 34 cahiers où Heidegger a exprimé sa pensée de 1930 jusqu’à 1970 environ, va réorienter le débat sur son œuvre, sa vision politique et, surtout, le rapport que celles-ci entretiennent l’une avec l’autre. Dans ces Cahiers, l’antisémitisme heideggérien révèle sa nature particulière.

  • La Raison aveugle ? L’époque cybernétique et ses dispositifs - Adrien Barbaresi (25/10/2012)
    http://perso.ens-lyon.fr/adrien.barbaresi/blog/?p=1259
    Le texte (pdf) http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00747599
    Catégorie « Philosophie de la technique » sur le blog de l’auteur http://perso.ens-lyon.fr/adrien.barbaresi/blog/?cat=73

    L’affirmation de Martin Heidegger (en 1966) selon laquelle la #cybernétique va désormais prendre la place de la #philosophie donne le ton de la vision pessimiste d’une société dominée par la #technique. En fait d’étrangeté, la modernité technique est fréquemment éprouvée sous le signe de l’accélération, de l’accroissement, de l’appauvrissement du vécu et elle est diagnostiquée à la suite de Heidegger comme étant un retrait de l’humain face à une rationalité tendue vers le progrès de l’uniformisation et de la fonctionnalité ainsi que vers la recherche mathématique de l’efficacité. On peut voir avec Gilbert Hottois une filiation entre cette techno-logie opératoire (avec les discours qu’elle implique) et la calculabilité des signes chez Leibniz. Le critère de vérité au sens de cette ars characteristica s’entend en termes de véracité logique et se voit détaché de toute interprétation, ce qui ouvre la voie à une raison combinatoire dite « aveugle » ("cognitio caeca vel symbolica"). On connaît la portée de la mécanique leibnizienne concernant la technique moderne et plus précisément les systèmes informatiques. On connaît également le primat du champ du visible en philosophie, du terme d’"idée" à l’association de l’esprit et de la lumière par exemple. Dès lors, il paraît opportun de faire une critique de la technique pensée comme une Raison aveugle qui méconnaît la portée des signes. La concrétisation de la Raison sous la forme d’une machine et l’agencement de l’humain sur ce modèle (pour Foucault), le règne de la cybernétique comprise comme science du gouvernement systématisé des vivants (pour Heidegger), les technosciences (pour Henry) sont autant d’entrées dans la critique des logiques et des dispositifs.

  • Thierry Paquot : « La lenteur est aussi une vitesse » (L’An 02)
    http://www.lan02.org/2012/03/la-lenteur-est-aussi-une-vitesse

    Il faut préciser que le « temps », philosophiquement parlant, ne fait l’objet d’analyses spécifiques qu’avec Jean-Marie Guyau, Henri Bersgon, Gaston Bachelard et surtout Martin Heidegger, qui avec, Sein und Zeit (1927) révolutionne fondamentalement la manière de le penser. C’est chacun d’entre nous qui présentifie le temps en lui donnant un contenu, en le transformant de temps « présent », « disponible » en un « temps pour ». Si l’être humain est un « être jeté pour la mort », c’est-à-dire que dès sa naissance le compte à rebours est déclenché et que l’issue fatale ne peut être ignorée, son destin est alors marqué par les manières dont il va « habiter le temps », pour reprendre le titre d’un remarquable essai de Jean Chesneaux. Selon les cultures, les religions, les modes de vie, l’appréciation du temps, sa mesure, ses représentations sont différentes, ce dont l’écologie temporelle à construire doit tenir compte. C’est du reste cette diversité des rythmes et des temporalités qui assure à l’humanité sa richesse. Source : L’An 02