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  • Pour le philosophe Serge Audier, la gauche n’est pas très écolo - Idées - Télérama.fr
    https://www.telerama.fr/idees/pour-le-philosophe-serge-audier,-la-gauche-nest-pas-tres-ecolo,n6141758.php

    Dans “L’âge productiviste”, le philosophe Serge Audier montre que la gauche, pourtant porteuse d’un projet alternatif au capitalisme, ne s’est pas souciée d’écologie. Parce qu’elle est depuis toujours fascinée par le productivisme.

    L’écologie, ses occasions perdues, ses virages manqués… En dépit de quelques éclairs de lucidité de penseurs politiques pour la plupart oubliés, le culte de la production et de la croissance industrielle a toujours pris le dessus sur le souci écologique, y compris dans le camp progressiste. La gauche, notamment, en intériorisant l’apologie de l’industrialisme capitaliste, a montré son incapacité à inventer un imaginaire politique propre, opposé à ce productivisme. Dans L’Age productiviste, une nouvelle somme historique érudite qui prolonge La Société écologique et ses ennemis, le philosophe Serge Audier explore de fond en comble les logiciels anti-écologiques de la gauche et de la droite modernes, du début du xixe siècle à nos jours. Et dessine la généalogie d’une impuissance générale aujourd’hui dénoncée, mais favorisée par la résistance tenace d’un productivisme atavique.

    En tant qu’historien des idées politiques, quelle approche spécifique défendez-vous sur le péril écologique ?
    On parle généralement du péril écologique d’un point de vue scientifique, climatologique ou éthique ; on envisage des pratiques alternatives. La tendance dominante me semble manquer d’un questionnement politique et idéologique. J’ai voulu le réhabiliter pour comprendre les sources, toujours actives, de la crise écologique — à droite, bien sûr, mais aussi à gauche. Mon précédent livre, La Société écologique et ses ennemis, montrait que, dès le début du xixe siècle, bien des penseurs avaient vu la gravité des problèmes écologiques. Cette approche articulait déjà une critique à la fois sociale, écologique et même esthétique. Mais une hégémonie industrialiste et productiviste s’est imposée jusque dans le camp progressiste. Elle a pris le dessus sur le souci écologique. C’est au fond l’histoire d’une défaite politique et idéologique que je raconte : des voies alternatives ont existé, mais elles ont été piétinées et oubliées par le récit dominant.

    La critique écologiste est longtemps restée indexée à une critique radicale de la modernité. Etait-ce le cas chez les précurseurs de l’écologie politique ?
    La critique de l’industrialisme va effectivement souvent de pair avec un procès généralisé de la modernité, y compris du rationalisme et des droits de l’Homme. Mais toutes les figures conscientes de la crise écologique n’appartenaient pas à une nébuleuse anti-moderne, anti-Lumières ou anti-libérale. On trouve ainsi une grande sensibilité à la question chez le philosophe utilitariste et libéral John Stuart Mill, qui anticipe la problématique de la décroissance. La critique anti-industrielle a certes été portée par des courants conservateurs, mais aussi par des courants rationalistes héritiers des Lumières. Pensons à Franz Schrader, géographe qui opposait aux folies destructrices de l’âge industriel la préservation rationnelle des forêts vierges, ou encore à Edmond Perrier, pilier du Muséum d’histoire naturelle, qui prévoyait l’épuisement des ressources, lui aussi dès le début du xxe siècle. Les anarchistes, comme Elisée Reclus, développèrent également une critique écologique de l’industrialisme au nom de la liberté, mais aussi de la rationalité scientifique.

    Comment comprendre l’incapacité de la gauche à prendre au sérieux le péril écologique, alors même qu’elle prétend favoriser le progrès ?
    Etant porteuse d’une critique du capitalisme et d’un projet alternatif, la gauche aurait dû en effet prendre davantage en charge le péril écologique. Or elle l’a fait mal, peu ou pas du tout. Le culte des forces productives fut un facteur décisif. Si le communisme s’est montré si attrayant, c’est aussi parce qu’une large partie de la gauche avait intériorisé cet impératif de développement scientifique et industriel. Ce qui confirme d’ailleurs que le productivisme n’est pas intrinsèquement lié au « libéralisme ».

    Pourquoi l’écologie politique est-elle toujours restée minoritaire dans le logiciel de la gauche socialiste ?
    Le pôle écologique est presque partout resté dominé, même après la prise de conscience des années 1970. On ne peut l’expliquer seulement par certains travers du mouvement écologique. Il y a certes une tendance écologique dans la « deuxième gauche » des années 1970, mais dès que celle-ci se « normalise », au début des années 1980, cette orientation s’étiole. Même après l’effondrement du communisme, si fortement anti-écologique, persiste l’hégémonie des figures diverses du productivisme, depuis le productivisme souverainiste jusqu’à celui du centre-gauche « social-libéral » qui, épousant les mutations du capitalisme et de la mondialisation, a encore pour horizon la relance de la croissance. Tout cela me semble remonter à une fascination compréhensible pour la société industrielle, facteur de progrès, d’abondance et d’emploi. On peut la repérer même dans le socialisme originaire, divisé par des tendances contradictoires. Les milieux fouriéristes et anarchistes avaient certes esquissé une sorte de ­socialisme jardinier qui entendait se ­réconcilier avec la nature. Mais, à côté de ce socialisme naturaliste, s’imposait un autre pré-socialisme, venu du comte de Saint-Simon, fasciné par l’industrie, les ingénieurs et la science, qui a inventé le néologisme « industrialisme ». Le saint-simonisme a exercé une influence colossale dans l’histoire de la gauche, en posant que l’avenir du monde appartient aux industriels. On trouve là également une des sources aussi bien du marxisme dogmatique que du discours technocratique. L’imaginaire dominant de gauche a été « phagocité » par cette vision saint-simonienne, elle-même dominée par une apologie diffuse de l’industrialisme capitaliste. L’histoire de la gauche, même anticapitaliste — et même marxiste ! — a été marquée par une intériorisation de la nécessité historique du capitalisme industriel, et de l’apport grandiose de ce dernier, tout en le condamnant plus ou moins. A cet égard, cette histoire est aussi celle d’une impuissance à développer un imaginaire propre.

    Quid de la tradition libérale et de l’histoire de la droite sur cette question ?
    Le libéralisme en soi n’est pas de droite ou de gauche. Et, à partir du XIXe siècle, il ne célèbre pas toujours l’industrialisme — Tocqueville s’en méfiait. Reste que la tendance à cette célébration est majoritaire à droite depuis Benjamin Constant, qui construit un discours apologétique du progrès industriel, foyer de liberté et de prospérité. Et puis se constitue l’école d’économie politique, autour de figures comme Vilfredo Pareto, qui détestait les critiques écologiques et esthétiques du capitalisme. On retrouve cette tendance dans le néo-libéralisme contemporain.

    Des « brèches » écologiques ont pourtant aussi existé à droite…
    Une certaine critique, de droite et antilibérale, du capitalisme industriel, a pu revêtir une portée écologique jusqu’à nos jours. Cette tendance « verte » est présente dans la mouvance conservatrice réactionnaire, dans la « Révolution conservatrice » sous l’Allemagne de Weimar, voire dans le fascisme et le nazisme. Avant d’être avancée par le pape François, la formule de « l’écologie intégrale », qui relie la question écologique et la question sociale, fut lancée par Alain de Benoist, le père de la « Nouvelle Droite ». Le pôle conservateur a également développé dès les années 1930 une dénonciation du productivisme, du taylorisme et du fordisme, comblant le vide de la gauche. Le fait même que cette critique passe alors à droite contribue d’ailleurs à la décrédibiliser auprès des progressistes. Même le néolibéralisme fut clivé à l’origine, dans les années 1930 : une sensibilité à la destruction industrielle de la nature y existe, mais ce pôle, minoritaire, sera, toujours plus, dominé par un pôle anti-écologique et climato-sceptique.

    Pourquoi la plupart des grands intellectuels du xxe siècle en France ont-ils négligé la question écologique ?
    L’existentialisme et le structuralisme y furent indifférents. Sartre et Beauvoir sont des philosophes de la liberté du sujet. Ils refusent toute idée d’« essence » humaine et la nature n’est pas un principe explicatif ni un objet autonome dans leur pensée de la liberté. La seconde dira même que la nature est « de droite ». Si la vague structuraliste, et « post-structuraliste », déboulonna ensuite cette approche « humaniste », elle n’en resta pas moins largement aveugle, elle aussi, à la question de la nature. Michel Foucault n’y prêta aucune attention sérieuse, tant il se méfiait des discours « naturalisant » les institutions et les individus. Plus tard, son adversaire de toujours, Marcel Gauchet, couvrira de sarcasmes les écologistes. Il y eut bien sûr des exceptions, en particulier Claude Lévi-Strauss. Mais ce sont surtout des voix ultra minoritaires qui transmirent la flamme écologique. Ainsi de Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, amoureux de la nature et critiques de la « méga-­machine » technologique. Après une longue traversée du désert, ils ont influencé l’écologie politique naissante. André Gorz ou Serge Moscovici furent d’autres exceptions, soucieux de la manière dont le capitalisme appuyé par l’Etat privait les individus du contrôle de leur propre vie et de leur milieu vital.

    Peut-on enfin envisager la possibilité d’une sortie de cet âge productiviste ?
    Le capitalisme a muté. Mais la droite, comme l’extrême droite, entretient le credo de la croissance à tout prix et le déni de la crise écologique. Et, à gauche, on est dans un entre-deux indécis. Le populisme de gauche, incarné par Jean-Luc Mélenchon, se réclame d’un « éco-socialisme », mais l’ambiguïté demeure, car en privilégiant le thème du clivage entre le peuple et les élites, il tend à gommer l’urgence écologique. Une autre gauche, portée notamment par Benoît Hamon, a compris que le ­logiciel productiviste était une impasse ; elle cherche du côté de l’allocation universelle ou d’un modèle éco­logiquement soutenable, mais peine à construire un discours cohérent et à trouver une base sociale.

    Le modèle « éco-républicaniste » que vous défendez peut-il nous sauver du péril écologique ?
    Je parle moins de modèles que de rapprochements politiques possibles, entre le libéralisme, le conservatisme, l’anarchisme, le féminisme, le socialisme ou le républicanisme. La tradition républicaine telle que je la conçois est une philosophie de la vie civique, fondée sur une conception de l’homme comme citoyen plus que comme producteur et consommateur. Or la crise écologique est aussi liée à une crise civique, à une vision étriquée de la liberté, celle des entreprises et des consommateurs. Corrélativement, la tradition républicaine est hantée par l’impératif du bien commun et de l’intérêt général — d’où aussi sa philosophie du service public. Et l’intérêt général a une dimension intergénérationnelle, il se déploie dans l’horizon du temps. Cette exigence de solidarité entre les générations est au cœur de la philosophie ­républicaine comme de l’écologie politique. Elle ne se fera pas sans d’âpres luttes.

    #Ecologie_politique #Gauche #Serge_Audier #Communs

  • BALLAST | Jean-Paul Jouary : « De tout temps, les #démocrates ont refusé le #suffrage_universel »
    https://www.revue-ballast.fr/jean-paul-jouary-de-tout-temps-les-democrates-ont-refuse-le-suffrage-u

    Je préfère cette phrase de l’Éloge de la philosophie de Maurice Merleau-Ponty que j’aime à répéter, qui est profonde, et que l’on taxerait aujourd’hui sans doute de « populiste » alors qu’elle résume l’essence même de la démocratie : « Notre rapport au vrai passe par les autres. Ou bien nous allons au vrai avec eux, ou bien ce n’est pas au vrai que nous allons. » C’est ce que dit avec d’autres mots Amartya Sen dans La Démocratie des autres : « Les élections sont seulement un moyen de rendre efficaces les discussions publiques. » En tant qu’individu, je me pose la question de savoir ce qui est bon pour moi ; en tant que citoyen, je me pose la question de savoir ce qui est bon pour nous. Sans cette question il n’y a pas de politique, et en cerner les contours suppose une infinité de dialogues partagés, sincères.

    [...]

    Le philosophe Cornelius Castoriadis disait de l’homme qu’il « est un animal paresseux ». Et, citant l’historien Thucydide, il ajoutait : « Il faut choisir : se reposer ou être libre ». Peut-on imaginer une société qui, passée l’effervescence d’un hypothétique moment révolutionnaire, soit à même, ou seulement désireuse, de s’investir dans la chose publique avec une intensité presque quotidienne ?

    Kant parlait déjà de cette « paresse », de ce qui nous fait préférer somnoler. Il y voyait la cause du maintien du peuple dans un état de « minorité », au profit de ces « tuteurs » qui se prétendent indispensables. Une phrase de Kant résume bien ce qui malheureusement demeure un diagnostic sévère mais lucide : « Après avoir abêti leur bétail et avoir soigneusement pris garde de ne pas permettre à ces tranquilles créatures d’oser faire le moindre pas hors du chariot où il les a enfermées, ils leur montrent le danger qui les menace si elles essaient de marcher seules. » On en est là, mais parfois il en est qui ruent ici et là. Après Étienne de la Boétie, Spinoza ou Rousseau, Michel Foucault a définitivement démontré qui si le pouvoir s’exerce du haut vers le bas, c’est parce que dans l’ensemble de la vie sociale le pouvoir se transfère du bas vers le haut. Cette délégation liberticide ne relève guère d’une fatalité, mais infléchir ce processus est une tâche historique d’une difficulté extraordinairement grande. C’est ainsi, comme vous le dites, qu’après de rares mais précieux moments de soulèvement, de reprise en mains par le peuple de ses propres affaires, le courage démocratique tend à décliner et laisser place à cette paresse. La souveraineté, qui était si jalousement conservée pendant des dizaines de millénaires, passe aujourd’hui pour un idéal inaccessible. C’est ce processus de dépossession que je m’efforce d’explorer, mais tout montre qu’on ne peut espérer le combattre qu’en combinant ce type de réflexions à des pratiques sociales et politiques collectives.

    • #néolibéralisme #libéralisme

      Walter Lippmann (1889 - 1974)

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Lippmann

      Barbara Stiegler:

      Le cap et la pédagogie – à propos du néolibéralisme et de la démocratie

      https://aoc.media/analyse/2019/01/24/cap-pedagogie-a-propos-neoliberalisme-de-democratie

      (demande de s’enregistrer)

      [...]

      Le cap, d’abord. Non pas laisser faire, comme dans le libéralisme classique, mais imposer à la société la direction qu’elle doit suivre. Cette direction, c’est celle de son adaptation progressive à la division mondialisée du travail. Et sa destination finale, c’est celle d’un grand marché mondial régi par des règles loyales et non faussées, dans lequel devront désormais prévaloir, non plus des rapports brutaux de prédation où les plus gros continueraient de dévorer les plus petits (la fameuse « loi de la jungle »), mais les règles d’arbitrage d’une compétition fair play où, comme dans le sport, tous doivent avoir les chances égales de faire valoir leurs capacités et de révéler leurs talents. Ce que les nouveaux libéraux comprennent, dans le sillage de la crise de 1929 et à la suite de la décennie noire qui lui succède, c’est que le marché ne se régule pas tout seul. C’est qu’il n’y aucune main invisible qui harmonise spontanément la lutte des intérêts, et qu’il faut donc impérativement en appeler à la main des États, architectes et arbitres de ce nouveau marché à construire. Dans son analyse « à chaud » des premiers néolibéralismes de gouvernement à la fin des années 1970 au Collège de France (Naissance de la biopolitique), Michel Foucault l’avait déjà très bien compris.

      On pourra objecter, et on aura raison que, une fois parvenus au pouvoir, les néolibéraux n’hésitent pas à favoriser la concentration des richesses. Mais cette hybridation permanente avec l’ultra-libéralisme, qui laisse faire la formation des monopoles au nom d’un hypothétique « ruissellement » des fortunes sur tout le reste de la société, n’est pas la dimension la plus originale ni la plus intéressante de sa doctrine. Elle relève plutôt du compromis ou de la concession prétendument réaliste avec les forces en place. Ce qu’il y a de véritablement nouveau dans le néo-libéralisme, ce qui constitue le cœur de son utopie, c’est que le cap qu’il entend imposer à toutes les sociétés, est celui d’une compétition juste, qui inclut et qui doit inclure tous les individus. L’idée, c’est que tous sans exception, y compris les plus modestes et les plus vulnérables – malades, chômeurs, handicapés, démunis –, soient remis en selle pour participer à la course. Le cap, c’est que tous puissent, avec un maximum d’égalité des chances, participer à la grande compétition pour l’accès aux ressources et aux biens, désormais théorisés par les économistes comme des « ressources rares ». Alors se dégagera une hiérarchie juste entre les gagnants et les perdants, résultat toujours provisoire qu’il s’agira à chaque fois de rejouer, une fois encore comme dans le sport, afin qu’aucune rente de situation ne s’installe et que la compétition soit indéfiniment relancée.

      [...]

  • Rôle des intellectuel·les, universitaires ‘minoritaires’, et des #porte-parole des #minorités

    La publication du billet de Gérard Noiriel sur son blog personnel[1] est révélatrice de la difficulté de mener, au sein du champ académique, une réflexion sur la #production_de_savoirs relatifs à la « #question_raciale[2] » et sur leurs usages sociaux dans l’#espace_public. Il est clair que le champ académique n’a pas le monopole de cette réflexion, mais l’intérêt de s’y consacrer est qu’elle peut se mener, a priori, selon les règles et procédures dudit champ. En effet, il semble que les débats liés aux concepts de « #racialisation », « #intersectionnalité », « #postcolonial », « #nouvel_antisémitisme » ou encore « #islamophobie » aient tendance à se dérouler par tribunes de presse interposées, et non par un dialogue via des articles scientifiques[3]. Si ces questions trouvent un espace dans la sociologie ou la science politique, elles peinent encore à émerger dans des disciplines comme le #droit ou l’#économie.

    Durant la période charnière 2001-2006, où la question coloniale et raciale est devenue centrale dans l’espace public – notamment du fait du vote, en 2001, de la « #loi_Taubira » reconnaissant la #traite et l’#esclavage en tant que #crime_contre_l’humanité, de l’impact des rébellions urbaines de 2005, de la référence par le législateur au rôle « positif » de la #colonisation [4] et de la création de nouvelles organisations de minoritaires telles que le #Conseil_représentatif_des_associations noires (#CRAN) –, la #disputatio_académique semblait encore possible. On pense notamment, en #sciences_sociales, aux programmes ANR Frontières, dirigé par Didier Fassin, et #Genrebellion, dirigé par Michelle Zancarini-Fournel et Sophie Béroud, où les concepts de racialisation ou d’intersectionnalité pouvaient être utilisés sans susciter une levée de boucliers.

    La publication des ouvrages collectifs De la question sociale à la question raciale ? et Les nouvelles frontières de la société française (La Découverte, 2006 et 2010), dirigés par Didier et Éric Fassin pour le premier, et par D. Fassin pour le second, constituent de ce point de vue des moments importants du débat scientifique français, qui ont permis de confronter des points de vue parfois divergents, mais esquissant une forme de dialogue. On y retrouve les contributions d’universitaires tels que Pap Ndiaye, Éric Fassin, Stéphane Beaud ou Gérard Noiriel qui, par la suite, via des tribunes dans Mediapart ou Libération, ont tous poursuivi la discussion dans le champ médiatique, notamment lors de l’« affaire des quotas » révélée par Mediapart en 2011[5]. Alors que P. Ndiaye et E. Fassin dénonçaient la catégorisation raciale des joueurs au sein de la Fédération française de football, et notamment la caractérisation de « prototypes » des « Blacks » par le sélectionneur Laurent Blanc[6], S. Beaud et G. Noiriel, tout en reconnaissant le caractère discriminatoire des quotas fondés sur la race, refusent « d’instruire des procès en hurlant avec la meute ». Ils considèrent qu’il faut prendre en compte le langage ordinaire du monde du football et, de manière tout à fait discutable, que le mot « Black » « renvoie moins à une catégorie raciale qu’à une catégorie sociale[7] ». Les récents commentaires de G. Noiriel sur le débat Mark Lilla / Eric Fassin (Le Monde, 1er octobre 2018) correspondent au dernier épisode d’une polémique qui court depuis une dizaine d’années.

    Ce mouvement allant d’une disputatio académique à une controverse médiatique est, nous semble-t-il, problématique pour la sérénité de la réflexion collective sur la question raciale. L’objectif de cette contribution est de soulever plusieurs questions à partir de l’article de G. Noiriel, sans entrer dans une logique polémique. Tout d’abord, on focalisera notre attention sur le rôle des intellectuel.le.s et leurs relations avec les porte-parole des minorités, et sur les différentes conceptions de l’intellectuel.le (« critique », « engagé.e » ou « spécifique »). Ensuite, on analysera le sort réservé aux universitaires appartenant à des groupes minorisés (ou « universitaires minoritaires ») travaillant sur la question raciale. En accusant ceux-ci de se focaliser sur la question raciale au détriment d’autres questions – la question économique par exemple (et non « sociale »), G. Noiriel porte le soupçon de « militantisme » et les perçoit comme des porte-parole de minorités. Or il est nécessaire de contester cette assignation au statut de porte-parole et la tendance générale à relativiser la scientificité des universitaires minoritaires qui, on le verra, subissent un certain nombre de censures voire de discriminations dans le champ académique. Il s’agit enfin de réfléchir au futur en posant la question suivante : comment mener des recherches sur la question raciale et les racismes, et construire un dialogue entre universitaires et organisations antiracistes sans favoriser les logiques d’essentialisation et tout en respectant l’autonomie des un.e.s et des autres ?
    Engagements intellectuels

    Tout en se réclamant tous deux de l’héritage de Michel Foucault, E. Fassin et G. Noiriel s’opposent sur la définition du rôle de l’intellectuel.le dans l’espace public contemporain. Ce débat, qui n’est pas propre aux sciences sociales[8], semble s’être forgé à la fin des années 1990, notamment lors de la controverse publique sur le Pacte civil de solidarité (Pacs). Tout en s’appuyant sur les mêmes textes de Foucault rassemblés dans Dits et écrits, E. Fassin et G. Noiriel divergent sur la posture d’intellectuel.le à adopter, l’un privilégiant celle de l’intellectuel.le « spécifique », selon l’expression de Foucault, l’autre celle de l’intellectuel.le « engagé.e ».

    E. Fassin publie en 2000 un article pour défendre la posture de l’intellectuel.le « spécifique »[9]. Celui-ci se distingue de l’intellectuel.le « universel.le », incarné notamment par la figure de Sartre, qui intervient dans l’espace public au nom de la raison et de principes universels, et souvent au nom des groupes opprimés. L’intellectuel.le spécifique appuie surtout son intervention sur la production d’un savoir spécifique, dont la connaissance permet de dénaturaliser les rapports de domination et de politiser une situation sociale pouvant être considérée comme évidente et naturelle. En ce sens, l’intellectuel.le spécifique se rapproche du « savant-expert » dans la mesure où c’est une compétence particulière qui justifie son engagement politique, mais il ou elle s’en détache pour autant qu’il ou elle « se définit (…) comme celui qui use politiquement de son savoir pour porter un regard critique sur les usages politiques du savoir[10] ». Critique, l’intellectuel.le spécifique « rappelle la logique politique propre à la science[11] ». L’expert.e prétend parler de manière apolitique au nom de la science pour maintenir l’ordre social dominant, tandis que l’intellectuel.le spécifique s’appuie sur un savoir critique de l’ordre social, tout en reconnaissant sa dimension politique. C’est dans cette perspective foucaldienne qu’E. Fassin critique la posture du « savant pur », qui revendique une « science affranchie du politique » : « Désireux avant tout de préserver l’autonomie de la science, [les savants purs] se défient pareillement de l’expert, réputé inféodé au pouvoir, et de l’intellectuel spécifique, soupçonné de militantisme scientifique[12] ». Le savant pur renvoie dos-à-dos les usages normatif et critique de la science comme si la science avait une relation d’extériorité avec le monde social. Or, selon E. Fassin, « pour des raisons tant politiques que scientifiques, (…) le partage entre le savant et le politique s’avère illusoire : de part en part, le savoir est politique. C’est pourquoi celui qui se veut un savant « pur » ressemble d’une certaine manière à l’expert qui s’aveugle sur la politique inscrite dans son savoir. En revanche, d’une autre manière, il rappelle aussi l’intellectuel spécifique, désireux de préserver l’autonomie de la science ; mais il ne le pourra qu’à condition d’en expliciter les enjeux politiques. (…) l’autonomie de la science passe non par le refus du politique, mais par la mise au jour des enjeux de pouvoir du savoir[13] ». Autrement dit, on distingue deux conceptions relativement divergentes de l’autonomie de la science : le.la savant.e pur.e veut la « protéger » en s’affranchissant du politique et en traçant une frontière claire entre le champ académique et le champ politique, tandis que l’intellectuel.le spécifique considère qu’elle n’est possible qu’à la condition de mettre en lumière les conditions politiques de production du savoir.

    G. Noiriel répond à E. Fassin dans son livre Penser avec, penser contre publié en 2003[14], où il soutient la nécessité d’adopter la posture du « chercheur engagé » : « Après avoir longtemps privilégié la posture de l’« intellectuel spécifique », je pense aujourd’hui qu’il est préférable de défendre la cause du « chercheur engagé », car c’est en s’appuyant sur elle que nous pourrons espérer faire émerger cet « intellectuel collectif » que nous appelons de nos vœux depuis trente ans, sans beaucoup de résultats. Les « intellectuels spécifiques », notamment Foucault et Bourdieu, ont constamment annoncé l’avènement de cette pensée collective, mais celle-ci n’a jamais vu le jour, ou alors de façon très éphémère[15] ». Selon lui, cet échec s’explique par le fait que « cette génération n’a pas vraiment cru que la communication entre intellectuels soit possible et utile », d’où la nécessité de prêter une attention particulière aux deux conditions de la communication entre intellectuel.le.s : « clarifier les langages qui cohabitent aujourd’hui sur la scène intellectuelle » et « la manière d’écrire », c’est-à-dire « montrer sa générosité en restituant la cohérence du point de vue qu’il discute, au lieu d’isoler l’argument qu’il propose de détruire » et « désigner par leur nom les collègues de la microsociété qu’il met en scène dans son récit ».

    Or, ces conditions ne seraient pas remplies par la posture de l’intellectuel.le « spécifique » dans la mesure où il tendrait à « privilégier les normes du champ politique » et ne parviendrait pas à « introduire dans le champ intellectuel les principes de communication qui sous-tendent le monde savant ». Les intellectuel.le.s spécifiques critiquent l’usage de la science par les experts visant à maintenir l’ordre social alors qu’« il n’est pas possible [selon G. Noiriel] de concevoir l’engagement uniquement comme une critique des experts. Paradoxalement, c’est une manière de cautionner leur vision du monde, en donnant du crédit à leur façon d’envisager les « problèmes ». Pour les intellectuels « spécifiques », il n’existe pas de différence de nature entre les questions politiques et scientifiques. Pour eux, le journaliste, l’élu, le savant parlent, au fond, le même langage[16] ». Autrement dit, l’engagement des intellectuel.le.s spécifiques tendrait à relativiser les spécificités des formes du discours savant, censé être soumis à des contraintes propres au champ académique et peu comparable aux formes de discours politiques ou militants soumis aux règles du champ politique ou de l’espace des mobilisations.

    Pourquoi le fait d’insister, comme le fait E. Fassin après Foucault, sur la dimension politique de la production de savoir, reviendrait-il à mettre sur le même plan discours scientifiques et autres formes de discours ? Ne pourrait-on pas envisager la posture de l’intellectuel.le spécifique sans « confusion des genres » ? Comment maintenir une exigence en termes scientifiques dans un espace médiatique structuré par la quête de l’audimat et qui fait la part belle au sensationnel ? C’est une vraie question qui traverse l’ensemble du champ académique. Si G. Noiriel ne fournit dans ce texte de 2003 aucun exemple qui permettrait d’évaluer la véracité de cette confusion, son engagement dans le Comité de vigilance des usages de l’histoire (CVUH, créé en 2005) et dans le collectif DAJA (Des acteurs culturels jusqu’aux chercheurs et aux artistes, créé en 2007) est justement présenté comme un mode d’intervention dans l’espace public respectant l’exigence scientifique. Mais il fournit un exemple plus précis en commentant la controverse M. Lilla / E. Fassin autour de la catégorie de « gauche identitaire ». M. Lilla utilise cette dernière catégorie pour désigner (et disqualifier) les leaders politiques démocrates, les universitaires de gauche et les porte-parole des minorités qui auraient abandonné le « peuple » et le bien commun au profit de préoccupations identitaires et individualistes. La « gauche identitaire » est donc une catégorie politique visant à dénoncer la « logique identitaire » de la gauche étasunienne qui s’est progressivement éloignée de la politique institutionnelle pour privilégier les mouvements sociaux n’intéressant que les seul.e.s minoritaires préoccupé.e.s par leur seule identité, et non ce qu’ils et elles ont de « commun » avec le reste de la communauté politique : la citoyenneté[17].

    E. Fassin critique cette catégorie qui vise explicitement à établir une distinction entre le « social » et le « sociétal », et une hiérarchie des luttes légitimes, la lutte des classes étant plus importante que les luttes pour l’égalité raciale. La notion de « gauche identitaire » serait donc, si l’on en croit E. Fassin, un nouvel outil symbolique analogue à celle de « politiquement correct », utilisé pour délégitimer toute critique des discours racistes et sexistes. Ainsi, E. Fassin se réfère-t-il à la posture de l’intellectuel.le « spécifique » afin de critiquer l’argument développé par M. Lilla. G. Noiriel renvoie dos à dos E. Fassin et M. Lilla en affirmant qu’ils partagent le « même langage » et au motif que « ce genre de polémiques marginalise, et rend même inaudibles, celles et ceux qui souhaitent aborder les questions d’actualité tout en restant sur le terrain de la recherche scientifique ».

    En effet, même si l’on ne peut en faire le reproche à E. Fassin qui est un acteur de la recherche sur la question raciale[18], cette polémique qui a lieu dans le champ médiatique participe de l’invisibilisation des chercheur.e.s et enseignant.e.s-chercheur.e.s qui, justement, travaillent depuis des années sur la question raciale, les minorités raciales et leurs rapports avec la gauche française, et les mouvements antiracistes[19]. Tous ces travaux veillent à définir de façon précise et sur la base d’enquêtes sociologiques les processus de racialisation à l’œuvre dans la France contemporaine. Ils le font en outre en opérant l’interrogation et la déconstruction de ces « entités réifiées » que G. Noiriel évoque dans son texte. On mesure, ce faisant, tout l’intérêt de réinscrire les questions sur la race, qu’elles soient d’ordre méthodologique ou empirique, dans le champ académique.

    Un autre exemple donné par G. Noiriel concerne le début des années 1980 où, affirme-t-il, les « polémiques identitaires » ont pris le pas sur la « question sociale » dans l’espace public :

    « Ce virage a pris une forme spectaculaire quand le Premier Ministre, Pierre Mauroy, a dénoncé la grève des travailleurs immigrés de l’automobile en affirmant qu’elle était téléguidée par l’ayatollah Khomeiny. C’est à ce moment-là que l’expression « travailleur immigré » qui avait été forgée par le parti communiste dès les années 1920 a été abandonnée au profit d’un vocabulaire ethnique, en rupture avec la tradition républicaine (cf. l’exemple du mot « beur » pour désigner les jeunes Français issus de l’immigration algérienne ou marocaine). On est passé alors de la première à la deuxième génération, de l’usine à la cité et les revendications socio-économiques ont été marginalisées au profit de polémiques identitaires qui ont fini par creuser la tombe du parti socialiste ».

    La période 1981-1984 est en effet cruciale dans le processus de racialisation des travailleur.se.s immigré.e.s postcoloniaux.ales et la transformation, par le Parti socialiste, des conflits ouvriers en conflits religieux[20]. Or ce discours de racialisation, qui assigne les travailleur.se.s immigré.e.s maghrébin.e.s à leur identité religieuse putative, provient des élites politiques, patronales et médiatiques, et non des travailleur.se.s immigré.e.s et de leurs descendant.e.s. Il est vrai que certains mouvements de « jeunes immigrés » s’auto-désignaient comme « beurs » mais cela relevait du processus bien connu de retournement du stigmate. D’un côté, les élites assignent une identité permanente religieuse, perçue comme négative, pour disqualifier un mouvement social tandis que, de l’autre, des enfants d’immigré.e.s maghrébin.e.s affirment une identité stigmatisée positive. Peut-on mettre sur le même plan le travail de catégorisation et d’assignation raciale mené par « le haut » (l’État, les institutions, les élites politiques et médiatiques) et le retournement du stigmate – c’est-à-dire la transformation et le ré-investisssement de la catégorie d’oppression pour affirmer son humanité et sa fierté d’être au monde[21] – d’en bas ? Le faire nous semble particulièrement problématique d’un point de vue scientifique. La distinction entre racialisation stigmatisante et construction d’une identité minoritaire stigmatisée doit être prise en compte dans l’analyse sociologique des relations entre majoritaires et minoritaires.

    En revanche, il est avéré que SOS Racisme, succursale du Parti socialiste, a participé à l’occultation de la question économique pour penser l’immigration[22]. Mais SOS Racisme ne représente pas l’ensemble des organisations minoritaires de l’époque. Au contraire, la nouvelle génération de militant.e.s « beurs » s’est majoritairement opposée à ce qu’elle a perçu comme une « récupération » du « mouvement beur »[23]. Par ailleurs, l’on sait que, parmi les revendications initiales de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, les revendications portaient à la fois sur la question raciale et sur les conditions matérielles de vie, de travail et de logement : droit à la vie (ne pas se faire tuer dans l’impunité), droit au travail, droit au logement, etc.[24] Et il ne faut pas oublier que, parmi les rares militant.e.s ayant soutenu les travailleurs immigrés en grève, on retrouve les fondatrices/fondateurs du « Collectif Jeunes » ayant accueilli la Marche à Paris, c’est-à-dire les leaders du « mouvement beur ». Aussi, l’opposition entre vocabulaire ethnique et revendications socio-économiques est-elle loin d’être suffisante pour comprendre la période 1981-1984.

    Une « histoire des vaincus accaparée » ?

    L’article de G. Noiriel pose une seconde question, légitime mais néanmoins complexe, relative au lien entre champ académique et champ politique / espace des mobilisations. Il débute par l’affirmation suivante :

    « Dans l’introduction de mon livre sur l’Histoire populaire de la France, j’ai affirmé que ‘le projet d’écrire une histoire populaire du point de vue des vaincus a été accaparé par des porte-parole des minorités [(religieuses, raciales, sexuelles) pour alimenter des histoires féministes, multiculturalistes ou postcoloniales,] qui ont contribué à marginaliser l’histoire des classes populaires’. Il suffit de consulter la bibliographie des articles et ouvrages publiés en histoire ces dernières années ou de regarder les recrutements sur des postes universitaires pour être convaincu de cette remarque[25] ».

    Malheureusement, il ne fournit pas d’exemples de bibliographies, d’ouvrages et de profils de postes universitaires permettant de vérifier la véracité du propos[26]. Concernant les recrutements en histoire (section 22), il est clair que, depuis une trentaine d’années, l’histoire culturelle et l’histoire politique ont été privilégiées au détriment de l’histoire sociale[27]. Cependant, y a-t-il en France pléthore de profils de poste « histoire des minorités raciales » ? Rien n’est moins sûr[28].

    De plus, le constat de G. Noiriel sous-entend – on n’en est pas sûrs à cause de l’ambiguïté du propos – un lien entre l’« accaparement » de l’histoire populaire par les « porte-parole des minorités » et l’évolution des thèmes de recherche en sciences sociales. Ainsi, la position de G. Noiriel est paradoxale. D’une part, il avait à plusieurs reprises reconnu l’importance du rôle d’acteurs associatifs pour faire avancer la recherche scientifique, notamment concernant l’histoire de la Shoah ou de la guerre d’Algérie. Histoire et mémoire ne s’opposent pas forcément. N’est-ce pas parce que la question des discriminations raciales est devenue un enjeu politique dans l’espace public que G. Noiriel s’est lancé dans l’écriture de l’histoire du clown Chocolat[29] ? D’autre part, il critique les « porte-parole des minorités » non identifiés qui se seraient appropriés l’histoire des vaincus à leur propre profit et auraient considérablement influencé les orientations de la recherche scientifique. À défaut d’exemple précis, il est difficile de discuter cette affirmation mais, dans un entretien daté de 2007[30], G. Noiriel est plus explicite et critique les entrepreneurs de mémoire tels que les leaders du CRAN : « Les intellectuels qui sont issus de ces groupes ont toujours tendance à occulter les critères sociaux qui les séparent du monde au nom duquel ils parlent, pour magnifier une origine commune qui légitime leur statut de porte-parole auto-désignés ». En fait, il « critique les usages de l’histoire que font les entrepreneurs de mémoire qui se posent en porte-parole autoproclamés de tel ou tel groupe de victimes, mais [il] relativise par ailleurs l’importance de ces querelles ». Il semble que G. Noiriel ait changé d’avis sur l’influence réelle de ces porte-parole puisqu’ils auraient désormais un impact sur le monde de la recherche.

    Dans le cas de l’affaire Pétré-Grenouilleau, qui a vu l’historien en poste à l’université de Bretagne attaqué en justice par le Collectif DOM en 2005 pour avoir affirmé dans une interview que les traites négrières ne constituaient pas un génocide, force est de constater que l’affaire a nourri la recherche en tant que controverse et événement important dans l’analyse des enjeux mémoriels en France[31]. L’impact sur la recherche scientifique n’est pas allé dans le sens d’une auto-censure, mais a constitué un épisode analysé pour son inscription dans l’espace des mobilisations antiracistes, dans les reconfigurations des relations entre l’État et les associations de Français d’outre-mer ou dans la sociologie politique de la mémoire. La recherche sur l’esclavage et les traites est depuis une dizaine d’années particulièrement dynamique. L’affaire n’a ainsi nourri ni « repentance » ni appel au « devoir de mémoire », mais a servi à éclairer un phénomène majeur : l’articulation entre mémoire et politique dans les sociétés contemporaines.
    Le fantôme minoritaire dans l’académie

    Une troisième question que soulève le billet publié par G. Noiriel porte sur l’assignation des universitaires minoritaires au statut de porte-parole des minorités. En 2004, G. Noiriel affirme que l’engagement des minoritaires dans la recherche est une manière de « canaliser » leur « disposition à la rébellion » : « On oublie généralement que les dispositions pour la rébellion que l’on rencontre fréquemment dans les milieux issus de l’immigration s’expliquent par le fait qu’ils cumulent les formes les plus graves de souffrance sociale. Bien souvent ces personnes ne peuvent construire leur identité qu’en cultivant le potentiel de révolte qu’ils ont en eux. L’investissement dans l’écriture, dans la recherche, dans les activités culturelles en rapport avec l’expérience vécue peut être une façon de canaliser ce potentiel dans des formes qui soient compatibles avec le principe de la démocratie, avec le respect des biens et des personnes[32] ». La réduction de la professionnalisation des minoritaires dans le monde académique à une révolte non-violente pose question. Assigner leur travail scientifique à une émotion, la révolte, n’est-ce pas nier le fait que les minoritaires peuvent tout à fait être chercheur.e sans qu’ils.elles soient déterminé.e.s par une improbable disposition à la rébellion ?[33]

    Cette manière d’interpréter l’entrée d’outsiders dans le monde académique participe à faire des universitaires minoritaires des porte-parole « hétéro-proclamés » des groupes minoritaires et, de manière plus générale, renvoie à leur disqualification en « chercheur.e.s militant.e.s »[34]. Plusieurs travaux britanniques et étasuniens ont documenté l’expérience vécue par les universitaires minoritaires, marquée par les procès d’intention, les micro-agressions et les censures publiques qu’ils subissent au quotidien, leur rappelant qu’ils ne sont pas totalement à leur place ou qu’ils.elles ne sont pas des universitaires à part entière[35]. Au regard de certains faits avérés, il serait intéressant de mener le même type d’investigation dans le monde académique français[36]. Par exemple, une controverse a traversé le comité de rédaction de la revue Le Mouvement social autour de la parution d’un article théorique de Pap Ndiaye sur la notion de « populations noires »[37], à tel point que le rédacteur en chef a décidé de démissionner et qu’un des membres du comité a publié, plusieurs mois après, chose rare, une « réponse » à l’article de Ndiaye. En 2016, sur la mailing-list de l’ANCMSP (Association nationale des candidats aux métiers de la science politique), A. Hajjat a fait l’objet d’une campagne de dénigrement en raison de ses travaux sur l’islamophobie. En 2017, la journée d’études « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation » (Université Paris-Est Créteil) a été l’objet d’une campagne de disqualification par l’extrême-droite et certains universitaires parce que le programme traitait des usages politiques du principe de laïcité dans une logique d’exclusion. Certains organisateurs ont été menacés de sanction disciplinaire et d’exclusion de leur laboratoire pour avoir signé une tribune sur les libertés académiques, et l’un d’entre eux n’a pas obtenu un poste qu’il aurait dû avoir. En 2018, le colloque « Racisme et discrimination raciale de l’école à l’université » a également fait l’objet d’une campagne visant son annulation au motif qu’il relèverait du « racialisme indigéniste ». À l’heure où nous écrivons cet article, l’hebdomadaire français Le Point publie une tribune et un article contre les supposés « décolonialisme » et « racialisme » des chercheur.e.s travaillant sur la question raciale, et mène une véritable chasse aux sorcières contre elles.eux en demandant leur exclusion du monde académique[38].

    Bref, l’autonomie de la recherche est remise en cause quand il s’agit de parler de la question raciale dans le monde académique, et les universitaires minoritaires sont directement ciblé.e.s et individuellement discrédité.e.s par certains médias. C’est bien le signe là encore, qu’il faudrait réintégrer la question raciale dans le champ académique et, lorsqu’elle fait l’objet de points de vue, prendre soin d’en mentionner a minima les principaux travaux. L’usage social ou militant d’une recherche ne peut, de ce point de vue, être mis sur le même plan que la recherche proprement dite.

    Aussi, le débat sur les figures de l’intellectuel.le tend-il à occulter tout un pan de la réflexion théorique menée par les études féministes et culturelles sur le « savoir situé »[39]. Il est nécessaire de préserver l’autonomie de la recherche en jouant totalement le jeu de la réflexivité, entendu comme la mise au jour de la relation avec un objet de recherche au prisme de la trajectoire et de la position dans l’espace social. Les études féministes et les cultural studies ont depuis longtemps abordé cet enjeu majeur de la production du savoir. Tou.te.s les universitaires minoritaires ne se pensent pas comme tel.le.s. Ils.elles ne souhaitent pas nécessairement manifester leur engagement politique en prenant appui sur l’autorité de leur savoir et de leurs fonctions. Leurs formes d’engagement, lorsque celui-ci existe, sont, il faut bien l’admettre, multiples et ne passent pas forcément par la mobilisation d’un savoir spécifique avec le souhait de transformation sociale. Il faut donc se garder d’avoir une vision totalisante des « universitaires minoritaires » et de les assigner « naturellement » à la thématique de la question raciale, comme si l’universitaire minoritaire devait se faire le porte-parole de sa « communauté », voire d’un concept-maître (classe sociale, genre, nation).
    Revenir au terrain

    Pour conclure, il nous semble que la recherche sur les processus de racialisation, de stigmatisation, les racismes et les discriminations mérite mieux que les querelles médiatiques – il y a tant à faire ! – alors qu’on observe un manque criant de financements pour mener des enquêtes de terrain. Par exemple, le basculement politique de la région Ile-de-France a débouché sur la disparition de ses financements de contrats doctoraux, postdoctoraux et de projets de recherche sur la question des discriminations. Dans un contexte de montée en puissance des forces politiques conservatrices, s’il y a un chantier commun à mener, c’est bien celui de la pérennisation du financement de la recherche sur la question raciale.

    De plus, il est tout à fait envisageable de penser des relations entre universitaires et organisations minoritaires qui respectent l’autonomie des un.e.s et des autres (on pourrait élargir le propos aux institutions étatiques chargées de combattre les discriminations quelles qu’elles soient). Que l’on se définisse comme intellectuel.le spécifique, engagé.e ou organique, ou que l’on se définisse comme militant.e minoritaire ou non, l’enjeu est de nourrir la réflexion globale pour élaborer une politique de l’égalité inclusive, allant au-delà de la fausse opposition entre revendications « identitaires » et revendications « sociales », et qui prenne en compte toutes les formes de domination sans établir de hiérarchie entre elles.

    En effet, si l’on fait des sciences sociales, on ne peut pas cantonner l’identitaire ou le racial en dehors du social. La question raciale tout comme la question économique sont des questions sociales. Nous ne sommes pas passés de la « question sociale » à la « question raciale » pour la simple et bonne raison que le racial est social. Faire comme si l’on pouvait trancher la réalité à coup de gros concepts (« sociétal », « identitaire », « continuum colonial », etc.), c’est déroger aux règles de la méthode scientifique lorsqu’on est universitaire, et à celles de la réalité du terrain lorsqu’on est acteur.trice politique. Stuart Hall posait à ce titre une question toujours d’actualité : « comment vivre en essayant de valoriser la diversité des sujets noirs, de lutter contre leur marginalisation et de vraiment commencer à exhumer les histoires perdues des expériences noires, tout en reconnaissant en même temps la fin de tout sujet noir essentiel ?[40] ». Autrement dit, que l’on soit chercheur.e ou militant.e, il est nécessaire de refuser toute logique d’essentialisation exclusive. Si universitaires et organisations minoritaires peuvent travailler ensemble, c’est à la condition de faire l’éloge du terrain, c’est-à-dire d’œuvrer à la compréhension de la complexité des rapports sociaux, et de faire avancer la politique de l’égalité de manière collective.

    http://mouvements.info/role-des-intellectuel%C2%B7les-minoritaires
    #université #intellectuels #science #savoir #savoirs

  • De la nécessité d’abolir le système pénal : entretien avec Gwenola Ricordeau (1ère partie) - Etat d’Exception
    http://www.etatdexception.net/de-la-necessite-dabolir-le-systeme-penal-entretien-avec-gwenola-rico

    Toutefois, pour être pédagogique, j’estime que l’abolitionnisme peut se définir par cinq aspects :

    L’abolitionnisme pénal, aussi bien les développements théoriques que les luttes, part d’une critique du fonctionnement de la justice pénale comme n’étant pas juste d’un point de vue social, c’est-à-dire qu’elle participe des oppressions liées à la race, au genre et à la classe en particulier.
    Un autre aspect commun aux abolitionnismes consiste à réfuter l’idée que l’abolition serait un idéalisme ou une forme d’utopie : l’abolition est au contraire considérée comme un objectif réaliste qui peut être mis en pratique. Tout le monde convient que le système pénal crée des problèmes ; les abolitionnistes rétorquent que le meilleur moyen de les résoudre concrètement est d’abolir ce système pénal.
    Le refus d’une position « angélique » consistant à dire qu’après la révolution tous les problèmes posés par le système pénal seront résolus. Les abolitionnistes affirment que les conflits (appelés « situations problématiques ») sont inhérents à la vie sociale et que l’abolitionnisme pénal est une manière de les régler sans passer par l’État.
    Le refus de déléguer à l’état ou à des experts la résolution de ces situations problématiques. L’idée est que les personnes concernées (qu’elles aient causé ou subi des torts) sont les mieux placées pour aider à la résolution de la situation problématique. L’abolitionnisme refuse de déléguer (comme c’est le cas avec le système pénal) à une institution ou des personnes extérieures à la situation problématique sa résolution.
    Contestation de l’idée que la prison puisse être réformée. On connait la phrase de Michel Foucault dans Surveiller et punir : « La « réforme » de la prison est à peu près contemporaine de la prison elle-même. Elle en est comme le programme ». C’est l’idée sur laquelle se fonde la position abolitionniste pour se distinguer de la position réformiste. Partant de là, il y a un refus de remplacer la prison (et par extension le système pénal) par quelque chose d’autre. Si on considère que la prison et le système pénal font du tort à la société, en particulier à certaines catégories de la population, il ne faut pas remplacer ces institutions, mais bien les supprimer.

    #prison #abolitionnisme #répression #enfermement

  • Le “monde” a finalement “compris”
    http://www.dedefensa.org/article/le-monde-a-finalement-compris

    Le “monde” a finalement “compris”

    Antonio Gramsci a décrit un interrègne comme une période « où l’ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître… dans cet interrègne, une grande variété de symptômes morbides sont observés ». Dans de telles périodes, le nouveau est perçu comme insensé, dangereux et mauvais à envisager.

    La Grande-Bretagne traverse manifestement un tel ‘interregnum’ : une période où les élites qui géraient auparavant le discours politique (selon les mots de Michel Foucault) à l’intérieur de frontières consensuelles strictes, s’aperçoivent à présent qu’il est fortement contesté. Ces périodes sont aussi des moments où la santé mentale est perdue – où les limites et le sens de ce qu’il est raisonnable de croire – et de faire – disparaissent.

    Les paradoxes de l’‘interregnum’ se manifestent également (...)

  • Démocratie, vérité et sciences sociales - Christophe Pébarthe
    https://www.youtube.com/watch?v=wvcSjCShdb4

    Cette conférence a été présentée par Christophe Pébarthe, professeur d’histoire grecque à l’université de Bordeaux Montaigne, et se tiendra dans le cadre de la chaire Démocratie et sciences sociales dont les prochaines dates sont les jeudi 7 février, 7 mars, 4 avril et 16 mai.
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    Parce qu’elle est détentrice d’un savoir scientifique sur le monde social, la science sociale pose un problème à la démocratie. Comment envisager la possibilité d’une délibération, entre des citoyens et des citoyennes, si le monde social est déjà connu ? En outre, en faisant apparaître l’existence de déterminations sociales pesant les individus, elle interroge aussi la nature de la citoyenneté. Si le libre arbitre n’existe pas, quelle raison éclaire les débats démocratiques ? Par l’invention du terme « post-vérité », certain.e.s pensent avoir identifié un phénomène nouveau qui poserait un problème à la démocratie. En réalité, la question de la vérité est inscrite au cœur de l’action de gouverner. Comme le rappelle Michel Foucault, « il ne peut y avoir de gouvernement sans que ceux qui gouvernent n’indexent leurs actions, leurs choix, leurs décisions à un ensemble de connaissances vraies, de principes rationnellement fondés ou de connaissances exactes, lesquels ne relèvent pas simplement de la sagesse en général du prince ou de la raison tout court, mais d’une structure rationnelle qui est propre à un domaine d’objets possible ». Mais est-il possible de débattre de la vérité lorsque celle-ci est établie ?

    #sciences_sociales #démocratie #politique #vérité #philosophie #université_populaire #UPB

  • http://www.desordre.net/favorite/sons/coltrane_my_favorite_things.mp3

    http://www.desordre.net/favorite/index.htm

    Tandis que Sarah et moi sucions des anguilles japonaises à une terrasse parisienne ensoleillée du mois de juin, chantonnant l’air de I Remember April in Paris, riant de concert à notre bonheur simple, sucer des anguilles parisiennes à une terrasse japonaise ensoleillée en juin, presque en avril, le téléphone de poche de Sarah vibra pour lui apporter une nouvelle tant attendue et heureuse, le genre de trucs top secrets dont elle ne devait parler à personne, pas même moi (surtout pas) avec qui elle suçait des anguilles de juin : on lui proposait en effet d’écrire une douzaine d’interprétations différentes d’un thème éculé, My Favorite Things, elle pouvait choisir chanteurs, chanteuses, musiciennes, musiciens, et traducteur japonais. Sarah avait l’air assez jouasse pour ne rien vous cacher, et si elle avait perdu toute contenance elle aurait volontiers repris des anguilles de terrasse. Il faisait beau. Nous étions à une terrasse de restaurant, un de nos endroits préférés, qui servait notre plat préféré, des anguilles de Paris à la japonaise, et m’est venue en tête la première phrase d’un texte « Mon My favorite things préféré c’est celui de Coltrane ». Mais je n’ai rien dit. Mais cette phrase, une petite heure plus tard, dans le métropolitain, je l’ai notée sur mon calepin, qui fait aussi office de téléphone de poche. Et le soir-même j’ouvrais un fichier de bloc-notes et je notais la suite de cette phrase restée en suspens, deux points ouvrez les guillemets : « … l’époque Atlantic, le moment même de la bascule ― j’aime les moments de bascule, ce sont ceux-là que je préfère, quand cela ne peut plus jamais être la même chose par la suite, qu’on ne peut plus faire comme avant, et après, même longtemps après, comprendre que c’est à tel ou tel moment que s’est faite la bascule, et pour Coltrane c’est à ce moment-là, un peu au moment où justement il essaye de nouvelles choses, notamment au soprano et, juste après, il bascule dans la période Impulse !, il change de galaxie, et j’aime assez quand on change de galaxie ―, dans mes choses vraiment préférées, il y a une odeur disparue, celle de ma fille Sarah bébé … » Et, à vrai dire, j’étais un peu lancé. Il me faut peu de choses des fois.

    Ce qui est amusant c’est que trois ou quatre jours plus tard je suis allé écouter Sarah (qui ignorait tout de cette manière un peu curieuse avec laquelle j’avais occupé mes derniers jours, à savoir : écrire une liste désordonnée des choses que je préfère dans la vie, des anguilles au chiffre 5 de Jasper Johns, en passant par le pélardon et d’autres trucs encore), en concert, avec le sextet de Sylvain Cathala (dans lequel joue Michel Foucault à la guitare) et comme je croisais Sarah avant qu’elle n’entre en scène, je lui confiais une enveloppe de papier kraft dans laquelle j’avais imprimé en hâte mon premier jet de ce qui était devenu My Favorite Favorite Things, tout en lui recommandant, prudemment, de n’ouvrir cette enveloppe que plus tard, quand elle serait rentrée chez elle, le soir, à tête reposée, comme on dit, comme si Sarah se reposait beaucoup la tête. Pendant ce temps-là je prenais place dans la salle de concert et mon téléphone de poche a vibré, c’était un message de Sarah, depuis les coulisses, qui n’avait pas pu s’empêcher de regarder le contenu de l’enveloppe, les cinquante pages de choses que je préfère dans la vie, dont le My Favorite Things de Coltrane, boire mon café devant la vallée de la Cèze dans les Cévennes, et le dossier M de Grégoire Bouillie que je n’avais pas encore commencé à le lire.

    Alors vous dire ce que je pense du film My Favorite Things que Sarah a fait avec Paul Ouazan, ce serait une exercice périlleux tant j’ai pu voir comment cela agitait de l’intérieur Sarah. Cela m’amusait d’ailleurs pas mal, je me suis dit virgule, elle est comme moi quand je suis en train d’écrire un roman, je suis incapable d’avoir un autre sujet de conversation qu’à propos du récit que je suis en train d’écrire. N’empêche douze interprétations d’un thème aussi ingrat en somme, fallait le faire, fallait les écrire, fallait le jouer, l’enregistrer et le filmer et le monter. Et elle l’a fait. Et il l’a fait. Et ils et elles l’ont fait.

    D’ailleurs c’est là : https://www.arte.tv/fr/videos/086299-001-A/les-sessions-d-arte-studio-my-favorite-things

    Sans vouloir divulgâcher le My Favorite Things de Sarah, à la fin il y a une petite fille qui saute à la corde de joie (et de fierté), je crois que c’est la première fois que je m’identifie à une petite fille qui saute à la corde, on peut rêver non ? Et oublier qu’on a mal aux genoux. D’ailleurs ma convalescence suite à mon opération de prothèse de genou n’a été que bonheur, calme et volupté en tissant tous les liens hypertextes de cette version en ligne de My Favorite Favorite Things, on a les loisirs qu’on peut et moi, ce que je préfère faire dans la vie, dans toute la vie, c’est faire de l’html. Point.

    Et pour tout avouer, en bon aficionado de Coltrane j’ignorais absolument tout que My Favorite Things fût une chanson dont les paroles sont une liste de choses que leurs auteurs, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II

    Raindrops on roses
    And whiskers on kittens
    Bright copper kettles and warm woolen mittens
    Brown paper packages tied up with strings
    These are a few of my favorite things
    Cream-colored ponies and crisp apple strudels
    Doorbells and sleigh bells
    And schnitzel with noodles
    Wild geese that fly with the moon on their wings
    These are a few of my favorite things
    Girls in white dresses with blue satin sashes
    Snowflakes that stay on my nose and eyelashes
    Silver-white winters that melt into springs
    These are a few of my favorite things
    When the dog bites
    When the bee stings
    When I’m feeling sad
    I simply remember my favorite things
    And then I don’t feel so bad
    Raindrops on roses and whiskers on kittens
    Bright copper kettles and warm woolen mittens
    Brown paper…

    Les gouttes de pluie sur des roses
    Et les moustaches de chat
    Les bouilloires en cuivre brillant
    Et des mitaines en laine chaude
    Les emballages de carton ramassés avec de la ficelle
    Ce sont mes choses préférées

    Les robes crème des poneys
    Et des strudels aux pommes croustillantes
    Les sonnettes et les grelots
    Et les escalopes pânées avec des nouilles
    Ce sont mes choses préférées.

    Les oies sauvages volant la Lune sur leurs ailes
    Les filles en robes blanches et rubans de satin bleu
    Les flocons qui collent au nez et aux cils
    Les hivers blanc argent qui se fondent dans le printemps
    Ce sont mes choses préférées.

    Quand le chien mord,
    Quand l’abeille pique,
    Quand je suis triste,
    Je me souviens de mes choses préférées,
    Et je ne me sens pas si mal

    Du coup, sans même connaître l’existence de ces paroles, il semble que j’avais vu juste dans leurs intentions en écrivant My Favorite Favorite Things

  • « Le maintien de l’ordre à la française a explosé en vol » - Le Point
    https://www.lepoint.fr/societe/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-a-explose-en-vol-14-12-2018-2279276_23

    Le Point : Vous avez signalé sur Twitter plus de 120 potentiels abus de violence de la part des forces de l’ordre à la suite du mouvement des Gilets jaunes. Que souhaitez-vous montrer avec ces preuves ?

    David Dufresne : Cela fait 25 ans que je m’intéresse aux questions de police, et que j’écris des livres sur le maintien de l’ordre, sur l’affaire Tarnac, Tarnac, magasin général (Calmann-Lévy, prix des Assises du journalisme 2012). Quand j’ai commencé à voir apparaître des vidéos et photos sur Twitter, j’ai commencé à les pointer sans me douter que je rentrais dans un maelstrom de signalements. «  Allô Place Beauvau  » signifie «  chacun son rôle  ». Il y a les journalistes, les citoyens mais aussi la police, l’IGPN, le défenseur des droits, la justice. En ces temps troubles, je suis pour que chacun fasse son travail. Moi, je signale, recoupe, contextualise. C’est un travail de veille, de lanceur d’alerte, de citoyen. Pendant une semaine, il y a eu un déni politique et médiatique sur ces questions-là. Un déni qu’on a encore dans l’allocution d’Emmanuel Macron qui a dit « quand la violence se déchaîne, la liberté cesse. » Je ne sais pas de qui il parle, car la violence se déchaîne dans les deux sens. Il n’y a pas eu un mot sur les blessés, pas un mot sur ceux qui ont été mutilés, blessés à vie. Ce déni de démocratie est vraiment insupportable

    #Maintien_de_L'ordre #police #gilets_jaunes

    • Ce qui au départ était un bloc-note de réflexions et de liens devient en cette fin de journée un gros recoupement de vidéos pour comprendre comment un flic en est venu à sortir son flingue contre la foule, et, sans aucune surprise, constater que les motards ont balancé des grenades contre une foule qui passait ... sans les avoir calculés ! C’est encore plus flagrant grâce à la vidéo live de Remy Buisine qui était justement dans la foule à ce moment là.
      https://seenthis.net/messages/746539
      Effectivement le « maintient » de l’ordre a totalement explosé en vol...
      Cependant toutes ces vidéos me mettent très mal à l’aise car elle vont servir à inculper des gens alors qu’elles devraient servir à les disculper et à questionner les choix policiers...

    • Je crois que la séquence des motos de l’avenue Georges V est une indication forte que les tactiques agressives de maintien de l’ordre ont atteint leurs limites.

      L’emploi réglementaire des grenades dites de « désencerclement » ou du LBD, lanceur de balle dite de « défense » est censé être réservé à des situations critiques. Mais on voit bien que leur utilisation déborde de plus en plus largement de ce cadre, selon un principe qui veut que lorsqu’on dispose d’une arme, on s’en sert ; d’autant plus qu’à de très rares exceptions (cf. https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKBN1JV1VY-OFRTP ) rien ne vient sanctionner l’usage disproportionné.

      Au fil des répétitions des confrontations hebdomadaires, les protestataires, et parmi eux des groupes déterminés, ont bien compris que leur mobilité couplée à la surprise tactique était leur meilleur atout face à une police en limite de capacité qui commence à ressentir une forme d’épuisement. Il est d’ailleurs probable que certains cadres commencent à douter très fortement des conditions de leur emploi tactique (cf. l’Arc de triomphe le 1er décembre ou la séquence de l’av. Georges V d’hier) et donc de leur commandement voire du bien-fondé des principes tactiques. Voire de la direction politique des opérations.

      Il serait grand temps qu’une logique « républicaine » reprenne le dessus (le maintien de l’ordre n’est pas la guerre !) et mettent enfin en place des méthodes de désescalade. Il y a peu de chances que ce soit dans ce sens que la situation évolue, d’une part parce que la base policière et, en particulier, sa composante « dure » est favorable à une option « musclée », que l’échelon politique n’est pas loin de ne plus la contrôler (les primes et augmentations ne sont pas du tout bon signe - ça a toujours été le réflexe des gouvernements non démocratiques face à des troubles) mais aussi parce que la répétition des affrontements fait qu’à chaque fois la barre est un peu plus haute (cf. toutes proportions gardées les manifestations de deuil tous les 40 jours en Iran en 1978).

      Enfin, avec un niveau politique qui, pataugeant dans les hésitations, commence à laisser percevoir les différends internes, dont la communication tourne à vide et, surtout, recourt à des habiletés de maquignon (les « 100 euros »…) propose une réponse véritablement indigente à la crise, l’exaspération des protestataires ne peut que croître.

      Au rythme où ça va, on peut s’attendre, sous peu, à des incidents dramatiques (des morts lors des affrontements, p. ex.)

    • Effectivement, leur comportement n’a aucun sens.
      Ne pas prévoir à ce point les conséquences de leurs actes me stupéfie.

      On se retrouve avec la bonne vieille question entre l’incompétence et la malhonnêteté. Et on sait qu’ils sont parfaitement malhonnêtes, puisqu’il ne se passe pas un jour sans qu’ils nous insultent ou nous mentent comme des arracheurs de dents, en nous prenant effectivement pour un ramassis de crétins.

      J’en déduis que c’est leur agenda qui leur dicte leurs actes, car personne n’est assez con pour penser qu’en tapant sur l’ennemi et en le traitant de nom d’oiseaux en permanence, il ne va rien se passer.

      Donc, ils nous provoquent depuis 18 mois à présent et je dirais plutôt qu’ils ont dû être terriblement dépités par notre absence de réaction en face. La colère qui éclate, elle couve depuis une trentaine d’années, mais ils l’excitent délibérément depuis l’élection de Macron, le candidat du capitalisme, un mec qui n’a pas une once de charisme et qui incarne tout ce qui est détestable dans ce pays → pourquoi ce choix de la caste des possédants… surtout d’un type qui n’est pas vraiment des leurs ?

      Je pense très sincèrement que la caste des possédants en a assez de nous faire les poches petit à petit, qu’elle s’impatiente, qu’elle a faim… de pouvoir absolu, de curée sans vergogne. Je pense qu’elle pousse à la roue pour que nous nous révoltions enfin d’une manière qui légitimera l’emploi de la force brute et absolue et la fin de la mascarade démocratique qui, même avec la séparation des pouvoirs aux chiottes comme nous le vivons depuis l’arrivée de Macron, ne va ni assez vite, ni assez loin à leurs yeux.

      Ils cherchent délibérément le fait émeutier suffisant pour déclencher la loi martiale. Je pense qu’à ce titre, Macron et ses élus sont totalement sacrifiables (même si, clairement, personne ne leur a dit en leur filant le job) et que les ordres donnés aux flics laissent penser que leurs commanditaires espèrent enfin avoir un lynchage.

      Si tu penses les derniers mois avec le filtre de la mise en place délibérée d’une dictature financière, alors, subitement, plus personne n’agit comme un con.
      Par défaut, c’est probablement l’explication la plus logique.

    • Un point pratique (y a pas que Macron dans la vie... de la police) : c’est depuis la mobilisation contre la loi Travaille en 2016 que les grenades « de désencerclement » sont utilisées de manière offensive, souvent par salve, complétant lacrymogènes propulsées et manuelles, LBD, tonfas, télescopiques et canon à eau pour tronçonner les cortèges et disperser les manifestants. En mars 2016, il y a eu tant de blessés à Paris que le gouvernement avait du craindre qu’il ya ait des tués, il y a même eu ensuite une manif et une seule, le 4 avril 206, ou les flics ont tout fait « à la main » (lacrymos, tonfa, télescopique, violente ratonnade d’un bout nassé du cortège de tête).

      Menace. L’une des différences c’est que entre le 1er et le 8 décembre 2018, généraux de gendarmerie, experts et médiatiques annonçaient tous qu’il pouvait, qu’il y aurait des morts.

    • Article du dimanche 16/12/2018 du Parisien, à relire après coup…

      Policiers armés à moto : les « voltigeurs » sont-ils de retour dans les rues ? - Le Parisien
      http://www.leparisien.fr/faits-divers/policiers-armes-a-moto-les-voltigeurs-sont-ils-de-retour-dans-les-rues-16

      Pour écarter tout risque de débordement ce week-end [15-16/12/2018], les autorités ont ratissé large et mobilisé presque autant d’effectifs que lors de l’acte 4, marqué par 1700 interpellations, soit pas loin de 90 000 policiers et gendarmes, dont 8000 à Paris.

      Cette mobilisation hors-norme a notamment eu pour effet d’affecter au maintien de l’ordre des unités habituellement chargées d’autres types de mission. Selon nos informations, c’est le cas des compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI), les fonctionnaires filmés dans la vidéo incriminée.

      « Economie de moyens »
      Mises en place lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, en 2003, les CSI officient surtout dans l’anti-criminalité en zone sensible et interviennent par exemple dans le cadre de filatures, de flagrants délits ou de délits de fuite.

      Elles disposent pour cela d’armes létales et non-létales, comme des lanceurs de balle de défense, de tenues anti-émeutes similaires à celles des CRS mais aussi d’unités à moto, généralement des Yamaha TDM 900, le modèle vu samedi à Paris.

      « Economie de moyens oblige, les motos de la CSI 75 sont moins nombreuses que les motards susceptibles de les utiliser, explique au Parisien Philippe Capon, secrétaire général de l’Unsa Police. Les effectifs fonctionnant par roulement, une moto peut servir 20 heures sur 24, sur trois services. »

      Blessures
      Cette situation n’est ponctuellement plus tenable si les effectifs sont surmobilisés, comme c’était le cas samedi. D’où ces images, inhabituelles, de motos transportant deux fonctionnaires à la fois. « Mais jamais ces duos de policiers ne sont intervenus sur le maintien de l’ordre, assure-t-il. Ils ont seulement pu effectuer du ravitaillement de matériel, en apportant par exemple des grenades de désencerclement à des unités à court de munitions. »

      L’utilisation de lanceurs de balle de défense à l’arrière d’une moto, à l’arrêt et plus encore en mouvement, paraît improbable. Elle serait en outre extrêmement dangereuse.

      Malgré des restrictions d’utilisation, cette arme de dissuasion est à l’origine de blessures graves et parfois mortelles. Dans un rapport remis en 2017, le Défenseur des droits estimait que cette arme devait « s’utiliser horizontalement, un genou à terre » pour viser les membres inférieurs, ou « debout et portée à l’épaule » pour viser le torse.

    • Je bisse…

      L’utilisation de lanceurs de balle de défense à l’arrière d’une moto, à l’arrêt et plus encore en mouvement, paraît improbable. Elle serait en outre extrêmement dangereuse.

      Alors, pourquoi les en équiper ? Quant aux armes létales dont ils sont aussi équipés, on a bien vu le pistolet, pour l’instant (?) simplement brandi …

      c’était le 16 décembre…

    • Policiers agressés aux Champs-Elysées : les motos de tous les dangers - Libération
      https://www.liberation.fr/france/2018/12/24/policiers-agresses-aux-champs-elysees-les-motos-de-tous-les-dangers_16995

      L’évolution de cette doctrine est résumée par un acronyme à la préfecture de police de Paris : DAR, pour dispositif d’action rapide. Ces groupes plus légers que les unités spécialistes du maintien de l’ordre (CRS et gendarmes mobiles) ont pour consigne d’aller justement au contact des manifestants pour disperser le plus vite possible et interpeller. Parmi ces DAR, on retrouve le groupe moto de la compagnie de sécurisation et d’intervention de Paris. L’utilisation de ces policiers à moto rappelle forcément les « voltigeurs », dissous après la mort de Malik Oussekine. D’autant plus qu’ils ont pour mission, comme leurs ancêtres, de disperser la manifestation. Avec une différence cependant, au lieu d’un « bidule », ces policiers sont désormais équipés de fusils à balles en caoutchouc (LBD40) et de grenades explosives. Ils ne foncent donc pas dans la foule mais peuvent se positionner à proximité d’un cortège pour tirer. Les samedis 8 et 15 décembre, ils étaient ainsi une cinquantaine, « destinés à pouvoir se rendre rapidement en tout point de la capitale pour intervenir en cas de troubles » avait expliqué la préfecture à Libération.

      Samedi dernier, ce sont donc quatre policiers à moto de la compagnie de sécurisation et d’intervention de Paris qui sont envoyés face aux « gilets jaunes ». Ces agents, rompus aux interventions de lutte contre la criminalité, ne sont pas du tout des spécialistes de la gestion de foule, un savoir-faire bien spécifique dans la police et la gendarmerie. La scène, filmée et largement relayée depuis, est un parfait exemple du risque pris par les autorités dans l’utilisation de telles unités pour intervenir lors de manifestations.

      Seul rempart : leur arme à feu

      A l’aide de grenades - trois détonations correspondant à des grenades de désencerclement sont audibles sur la vidéo, une arme qui propulse 18 galets en caoutchouc à très forte vitesse et peut gravement blesser au visage - ces policiers tentent de disperser la foule. Le samedi 8 décembre, David Dufresne, journaliste et auteur d’un livre référence sur le maintien de l’ordre, avait assisté à une scène similaire, où les policiers avaient cette fois réussi leur manœuvre : « Trois motos dont une avec deux policiers s’étaient arrêtées, ils avaient lancé des grenades de désencerclement, puis étaient partis tout aussi vite qu’ils étaient arrivés. » Mais ce samedi, les policiers ne parviennent pas à se replier assez rapidement. Les explosions des grenades provoquent une réaction d’hostilité des manifestants, qui fondent sur les fonctionnaires, peu nombreux. Les « unités constituées », capables de faire face sans tirer à balle réelle sont trop éloignées. Les quatre motards sont en danger, avec pour seul rempart leur arme à feu. Une situation redoutée par les forces de l’ordre et qui apparaît en contradiction avec la tradition du maintien de l’ordre en France.

      Interrogée à propos de cet événement, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos questions. « On considère que l’on est face à des violences urbaines et non plus une manifestation traditionnelle », expliquait récemment à Libération un haut gradé de la préfecture pour justifier cette nouvelle méthode. La scène des Champs-Élysées résonne désormais comme un avertissement pour les autorités.

      #Maintien_de_L'ordre #Police #Voltigeurs

    • Grenadocratie, affiche collée près de la station Anvers, à Paris
      https://twitter.com/Humaginaire/status/1077173221898809344

      Pourquoi, mais pourquoi ? Parce que en terme de com #violences_urbaines, de #casseurs et de #séditieux, en terme pénal aussi ça ratisse large et flou pour renouveler/étendre la fonction de la #justice en tant que service rendu à la police (cf. Michel Foucault, quand même) qui sait pouvoir compter sur la loi son application, ses catégories pour une légitimation permanente : #bandes #association_de_malfaiteurs #attroupement_en_vue_de_commettre_des_violences...etc.

  • Sophie Wahnich : « La structure des mobilisations actuelles correspond à celle des sans-culottes », entretien avec Joseph Confavreux, Mediapart

    L’historienne Sophie Wahnich confronte la période actuelle avec la Révolution française, de La Marseillaise au portrait de Macron en Louis XVI : parallèles possibles, comparaisons outrées et potentialités à l’œuvre.

    Sophie Wahnich est historienne, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la Révolution française, à laquelle elle a consacré de nombreux livres, le dernier étant La Révolution française n’est pas un mythe, qui vient de paraître aux éditions Klincksieck. Dans cet ouvrage, elle poursuit la réflexion déjà à l’œuvre dans son précédent ouvrage, L’Intelligence politique de la Révolution française (Textuel, 2012), où elle jugeait qu’il ne fallait pas aller puiser dans le passé des « modèles », mais plutôt des « lumières », afin de transmettre « un esprit et des outils plus que des modèles ».
    Pour Mediapart, elle confronte les mobilisations actuelles, où La Marseillaise ne cesse d’être chantée et la référence à 1789 est assumée, avec la période révolutionnaire. Entretien.

    Comment une historienne de la Révolution française regarde-t-elle ce qui est train de se passer en France ?

    Sophie Wahnich : La scénographie qui se déploie ressemble sans doute davantage aux #séditions décrites en son temps par Machiavel dans les Discorsi qu’aux émeutes révolutionnaires dont le projet politique, même immanent, est sans doute plus clarifié. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de potentialités révolutionnaires dans ce qui se passe, d’autant que les raisons desdites séditions sont à chercher du côté d’une sorte de lutte de classe entre popolo minuto et popolo grosso et qu’elles sont déclenchées par les excès du popolo grosso, des grands.
    « Le plus souvent, nous dit Machiavel, les troubles sont causés par les possédants, parce que la peur de perdre engendre chez eux la même envie que chez ceux qui désirent acquérir. En effet, les hommes ne croient pas posséder en toute sécurité s’ils n’augmentent pas ce qu’ils ont. En outre, possédant déjà beaucoup, ils peuvent plus violemment et plus puissamment susciter des troubles. » À force de vouloir toujours dominer davantage et accumuler davantage et ainsi appauvrir et exaspérer le petit peuple qui, lui, veut simplement vivre dignement.

    Car selon Machiavel « le peuple désire n’être ni commandé ni opprimé par les grands, tandis que les grands désirent commander et opprimer le peuple ». Si, pour lui, tous les hommes sont « méchants », ils ne le sont donc pas à parts égales. Les grands ou la noblesse le sont par nature bien davantage que les autres car leur désir vise leur bien particulier tandis que le désir du peuple vise par nécessité un « bien » universel – la liberté de tous identifiée à leur sécurité.
    Cette dissymétrie des désirs n’est de fait pas réductible à un antagonisme ordinaire, à un simple conflit d’intérêts, ce qui s’y joue à chaque fois, c’est la possibilité d’inventer une conception de la liberté comme non-domination. Et cela, oui, a des potentialités révolutionnaires.

    Mais les données structurelles entre la période actuelle et la période révolutionnaire ne sont pas les mêmes. Entre la fin du XVIIe siècle et 1789 existe un processus d’élaboration de la liberté, une critique de l’autoritarisme, une acculturation aux Lumières qu’on retrouve aussi bien dans les couches populaires, avec les idées véhiculées dans les almanachs et les encyclopédies populaires, que dans les cercles lettrés qui fréquentent les académies et les salons.

    Le moment actuel paraît plus ambivalent. Bien sûr, les gens sont éduqués, et les lieux d’éducation populaire se sont multipliés, mais ils ne sont pas tous outillés de la même manière, les buzz sur les réseaux sociaux et la téléréalité ne préparent pas à résister à l’air du temps délétère, mais encouragent à se manifester.

    Le sentiment que nous avons d’une grande hétérogénéité politique du mouvement vient sans doute de là. Il n’y a pas de formation idéologique discursive unifiée, chacun a sa propre grammaire. Dans ce contexte de déréliction, les luttes se mènent dans l’événement et la contre-hégémonie culturelle d’extrême droite est loin d’avoir gagné la partie. C’est une bonne nouvelle d’avoir affaire à des gens « fâchés mais pas fachos ». Même si on voit un effort de l’extrême droite, en Allemagne ou aux Pays-Bas, de ramener les gilets jaunes de ce côté.

    Cela dit, la structure sociologique des mobilisations actuelles est très intéressante car elle correspond à celle des sans-culottes, en plus féminin. On a affaire, aujourd’hui comme hier, à des « hommes faits », pour reprendre l’expression de l’historien Michel Vovelle : des pères de famille, avec un travail, qui ne veulent pas que les générations suivantes vivent plus mal qu’eux. C’était en tant que tels, en tant qu’ils avaient fondé une famille et qu’ils voulaient une vie bonne que les sans-culottes faisaient la révolution.

    Ainsi le journal Le Père Duchesne d’Hébert interrogeait-il : « Braves sans-culottes, pourquoi avez-vous fait la révolution ? N’est-ce pas pour être plus heureux, foutre ? » Il jugeait qu’il « y a trop longtemps que les pauvres bougres de sans-culottes souffrent et tirent la langue. C’est pour être plus heureux, qu’ils ont fait la révolution ». C’est comparable aujourd’hui et, en cela, ce qui se passe en ce moment est très différent des émeutes de 2005 qui réclamaient la fin de l’invisibilisation, le respect et l’inclusion des habitants des banlieues ghettoïsées.

    L’autre point de comparaison, banal mais qu’il faut répéter, c’est l’inégalité de l’assiette de l’impôt. Les gravures de l’époque révolutionnaire montrent des figures populaires écrasées par des nobles et des clercs. Aujourd’hui, ce serait la même chose avec des banquiers ou des actionnaires, et les gouvernants qui les protègent. Le sentiment de commune humanité suppose une égalité devant l’impôt.

    Les gens aujourd’hui sont suffisamment conscients par expérience des dégradations du niveau de vie pour se rendre compte que la facture de l’écologie est inégalement répartie. Et ils refusent non pas la transition écologique, mais le fait que cela pèse inégalement sur les citoyens.

    Le troisième point de comparaison possible serait dans le fait que le pouvoir a été trop loin, et a perdu beaucoup de crédibilité. Avec une configuration particulière à notre époque, qui est que Macron a fait des promesses à droite et à gauche, donc que certains ont cru qu’il ferait une politique de père de famille, et qu’une partie d’entre eux est d’autant plus fâchée qu’il prend les traits d’un tyran.

    On entend aujourd’hui les mots « émeute », voire « insurrection », mais encore peu celui de révolution… Une révolution commence-t-elle toujours par des émeutes ?

    Non. La Révolution française n’a pas commencé par une émeute, mais comme une subversion, si on considère qu’elle débute avec les États généraux. Le 14 juillet, le peuple est dans la rue pour défendre ce qui a lieu de mai à juillet.

    Mais il peut y avoir des apprentissages qui circulent rapidement dans des périodes pré-révolutionnaires. Même si la plupart des gens qui manifestent aujourd’hui n’ont pas participé aux luttes contre la loi sur le travail, même si c’est pour beaucoup la première fois qu’ils manifestent, ils ont pu voir circuler des répertoires et n’arrivent pas dans la rue en toute naïveté.

    « Il n’y a pas de possibilité d’adresse au pouvoir, sinon les manifestations »

    Êtes-vous surprise de la place que tient La Marseillaise dans les mobilisations de ces dernières semaines ?

    Je pense que c’est grâce/à cause du foot. Cela permet d’être ensemble, de chanter à l’unisson, d’être dans la joie du chœur. C’est une manière de produire des effets de foule, au sens traditionnel du terme. C’est un objet qui fait le lien entre chacun et permet à chacun de se sentir plus fort. S’il n’y avait pas le foot, et seulement l’école, les gens ne sauraient pas La Marseillaise et n’en auraient pas un tel usage.

    Mais c’est un usage dialectique. Il se trouve qu’en France, l’hymne national, contrairement à d’autres pays, est aussi un chant révolutionnaire. D’ailleurs, il me semble qu’il ne faut pas entendre les mots de ce chant du XVIIIe siècle avec les cadres d’aujourd’hui. Le fameux « sang impur », à l’époque, désigne la question du sacré et de la liberté qui est sacrée. Le sang impur est ainsi celui de ceux qui refusent la liberté. Peut-être qu’aujourd’hui, certains disent « sang impur » parce qu’ils sont fascistes, mais ce n’est pas le sens initial.
    Ce qui est vrai est que la mobilisation actuelle n’a pas de vision autre que nationale. Elle ne s’intéresse ainsi pas du tout à ce qui s’est passé récemment en Grande-Bretagne, avec le mouvement Extinction Rebellion. Toutefois, même si l’extrême droite est présente dans les manifestations, il y a une hétérogénéité des manifestants qui me paraît, factuellement, contraire à ce que veulent les mouvements d’extrême droite.

    Depuis samedi dernier, existe une focalisation sur la « violence » des manifestations, mais elle semble moins choquer que dans d’autres situations où le niveau de violence semblait pourtant moins fort. Comment l’expliquer ?

    Domine le sentiment que la violence produite dans les mobilisations est une violence retournée. Il y a là quelque chose de révolutionnaire, dans cette manière de retourner la violence subie. Pour que la violence puisse paraître acceptable, voire légitime, aux yeux de beaucoup, il faut qu’il y ait eu beaucoup de retenue avant.

    Ce qui se passe ressemble à la prise des Tuileries, qui ne se situe pas au début de la Révolution française, mais arrive après des tentatives calmes de réclamations en faveur de la justice, après que cela n’a pas marché. Cela crée une forme de violence qui rend quelque peu hagard, parce qu’on sent que c’est inévitable. Cela fait vingt ans qu’on répète que cela ne peut que « péter », donc quand ça pète, on ne peut trouver ça complètement illogique ou illégitime.

    Pendant la Révolution, le citoyen Nicoleau, de la section de la Croix-Rouge, avait défendu l’idée d’un peuple « véritable souverain et législateur suprême » qu’aucune autorité ne pouvait priver du droit d’opiner, de délibérer, de voter et par conséquent de faire connaître par des pétitions le résultat de ses délibérations, les objets et motifs de ses vœux. Il espérait « que les Français ne se trouvent pas dans la fâcheuse nécessité de suivre l’exemple des Romains, et d’user contre les mandataires, non du droit humble et modeste de pétition, qu’on a cherché à leur ravir, mais du droit imposant et terrible de résistance à l’oppression, conformément à l’article 2 de la déclaration des droits ».

    Abbé Grégoire. Paris, BnF, département des estampes, 1801.
    Abbé Grégoire. Paris, BnF, département des estampes, 1801.
    L’abbé Grégoire disait également : « Si vous ôtez au citoyen pauvre le droit de faire des pétitions, vous le détachez de la chose publique, vous l’en rendez même ennemi. Ne pouvant se plaindre par des voies légales, il se livrera à des mouvements tumultueux et mettra son désespoir à la place de la raison… » Nous y sommes.
    En France, il n’y a que le droit de vote et pas de possibilité d’adresse au pouvoir, sinon les manifestations. Macron n’aime pas les corps intermédiaires, mais sans corps intermédiaires le tumulte est vite là.

    Comment comprenez-vous que les références à Mai-68, ou même à la Commune de Paris souvent citée dans les mobilisations contre la loi sur le travail, soient nettement moins présentes que celles à la Révolution française ?

    La Commune demeure une référence du mouvement ouvrier et une référence intellectuelle. Elle intéresse certains groupes mais pas l’universalité des citoyens. Et puis elle n’est pas si joyeuse que cela, parce que la Commune demeure une défaite, tandis que la Révolution française est, au moins partiellement, une vraie victoire. Même si celle-ci n’a pas été totale, la Restauration n’a pas permis de retour à l’Ancien Régime pur et simple, et il est plus agréable de se référer à une victoire qu’à une défaite.

    En outre, les gilets jaunes n’appartiennent pas au mouvement ouvrier, même s’ils peuvent être ouvriers. Beaucoup n’ont jamais manifesté auparavant, ce qui était aussi le cas dans les mobilisations contre Ben Ali en Tunisie.

    Et, contrairement à 1968, l’enjeu n’est pas libertaire, il est familial. En 1968, il s’agissait d’inventer une vie fondée sur d’autres normes. Ici, il s’agit davantage d’une forme de lutte des classes, dans le rapport à l’État plus que dans les usines, qui fait que Mai-68 demeure une référence moins disponible que la Révolution.

    Tout le monde se demande vers quoi on peut se diriger maintenant. Est-ce que l’historienne possède quelques éclaircissements ?

    L’historien peut dire ce qui est nouveau dans le mouvement, faire le « diagnostic du présent », comme disait Michel Foucault, mais son travail n’est pas d’imaginer. Personne ne peut savoir où cela va, même pas ceux qui participent au mouvement. Même s’il est intéressant de voir que les gens assument ce qu’ils font, assument un geste politique et tragique, assument y compris l’impureté, alors que l’état ordinaire de l’époque est de ne plus assumer de gestes politiques.

    Les deux hypothèses actuelles, l’état d’urgence et la dissolution de l’Assemblée, sont toutes deux cohérentes. La première signifierait plus d’autoritarisme. L’autre conduirait à reconnaître que la crise politique est réelle et qu’il faut de nouveaux représentants. Une telle option prendrait alors une vraie dimension révolutionnaire.

    Mais si l’on veut défendre l’ordre néolibéral, il va falloir faire davantage de maintien de cet ordre aujourd’hui contesté, bien que cela semble compliqué, car ce qu’on vit, ce sont aussi les effets de la destruction progressive de l’appareil d’État, le fait qu’il y ait moins de policiers disponibles, et qu’il serait sans doute impossible de tenir en même temps Paris et la province.

    D’autant qu’on voit bien que beaucoup de policiers en ont ras-le-bol, et partagent certaines colères qui s’expriment. Si l’appareil d’État qui a le monopole de la violence est susceptible de basculer du côté des insurgés, c’est vraiment une révolution. On n’en est pas là, mais cela peut aller vite.

    Ce mouvement se place frontalement contre les lieux et symboles du pouvoir, que ce soit avec sa volonté d’atteindre l’Élysée ou de s’en prendre aux emblèmes du capitalisme mondialisé dans les quartiers huppés d’une métropole emblématique. Est-ce un indice du caractère révolutionnaire d’une lutte ?

    Je n’en suis pas certaine. On peut imaginer que l’extrême gauche a ainsi exprimé son anticapitalisme. Mais si on prend du recul, au départ, la mobilisation se fait sur les ronds-points. Aujourd’hui, elle se rapproche des lieux du pouvoir, parce que ce dernier ne répond pas à la colère.

    De ce point de vue, l’incendie de la préfecture du Puy-en-Velay me paraît davantage symptomatique. Elle a été attaquée comme on pouvait, à l’époque révolutionnaire, brûler les châteaux sans vouloir nécessairement tuer les châtelains. Ici, il me semble qu’on s’en prend davantage aux symboles d’un pouvoir républicain qui fabrique des mauvaises lois qu’aux lieux de l’argent.

    #histoire

  • Fade to pleasure 10.2
    http://www.radiopanik.org/emissions/ftp/fade-to-pleasure-10-2-

    Dali L’amour

    Beacon Hollow (Time Wharp Remix) Efdemin Solaris Renaissance Man UFO (Who R U?) Hot Coins I ching Patrick Dewaere être vieux Parco Palaz Slow Motion Michel Foucault La Police Flunk Lost Causes (SKL Remix) ORTF années 50’s Synkro & Arovane Facing North Mediane BR 217 La Drogue documentaire RTBF 1980 Michel Foucault Heterotopies Nihiloxica Nilo Chug Aron Miticas Journey Radio Road Trip Aller

    http://www.radiopanik.org/media/sounds/ftp/fade-to-pleasure-10-2-_05763__1.mp3

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Confrontés à l’activisme des années 70 puis aux exigences éthiques des consommateurs, penseurs libéraux et directions d’entreprises ont mis au point des guides de management et des théories politiques pour défendre le capitalisme contesté. En disséquant ces discours, le philosophe dresse une brillante saga du libéralisme autoritaire.

    Dans sa Théorie du drone, parue il y a cinq ans aux éditions la Fabrique, le philosophe Grégoire Chamayou se penchait sur les enjeux éthiques de cette nouvelle arme de guerre. Avec la Société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire (la Fabrique encore), il prend à nouveau de la hauteur pour dresser une saga du néolibéralisme « par en haut », du point de vue ceux qui ont défendu les intérêts du monde des affaires, aux Etats-Unis, à partir des années 70 : dirigeants d’entreprise, lobbyistes, théoriciens comme Milton Friedman et Friedrich Hayek… Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le #néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    Politiquement autoritaires et économiquement libéraux, les gouvernements de Trump ou d’Orbán nous semblent des aberrations. Vous dites à l’inverse qu’ils n’ont rien de contradictoires, pourquoi ?

    On se fait souvent une idée fausse du néolibéralisme comme « phobie d’Etat », anti-étatisme unilatéral. L’actualité montre à l’inverse une nouvelle fois que libéralisme économique et autoritarisme politique peuvent s’unir : le conseiller économique de Bolsonaro, Paulo Guedes, est un « Chicago boy », un ultralibéral formé à l’École de Chicago, qui a enseigné au Chili sous Pinochet. La formule de « libéralisme autoritaire » a été employée dès 1933 par un juriste antifasciste, Hermann Heller, à propos d’un discours de Carl Schmitt face à une assemblée de patrons allemands. Schmitt y défendait un Etat extrêmement fort face aux revendications sociales mais renonçant à son autorité en matière économique. « Un Etat fort pour une économie saine », résumait-il. Cinquante ans plus tard, en pleine dictature Pinochet, le théoricien néolibéral Friedrich Hayek, qui a beaucoup lu Carl Schmitt, confie à un journal chilien : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. » Mais le libéralisme autoritaire a de multiples variantes. Thatcher, elle aussi, vise « un Etat fort pour une économie libre ». En pratique, cela suppose, à des degrés divers, de marginaliser la sphère parlementaire, restreindre les libertés syndicales, éroder les garanties judiciaires… A côté de ce renforcement de l’Etat, on limite, de manière paradoxale, son champ d’intervention. C’est le concept de libéralisme autoritaire : faible avec les forts et fort avec les faibles.

    Vous faites remonter cette forme abâtardie du libéralisme aux années 70, quand le monde des affaires doit réagir à une série de crises qui menacent le système…

    Au milieu des années 70, on pense assister à une crise de gouvernabilité. Dans un rapport de la Trilatérale (1), le néoconservateur Samuel Huntington s’inquiète d’un « déferlement démocratique ». A gauche, Michel Foucault écrit que l’ensemble des procédés par lesquels on conduit les hommes sont remis en question. Non seulement on se révolte partout, mais les techniques de gouvernement sont elles-mêmes en crise. L’Etat-providence qui devait avoir un effet pacificateur a mis le feu aux poudres. Avec le quasi-plein-emploi, les travailleurs ont un rapport de force favorable. Des activistes mettent en cause les pratiques des multinationales et l’État lui-même semble hors de contrôle… Les intellectuels conservateurs s’y résignent : « Il va falloir intervenir. » La « main invisible » ne réglera pas le problème toute seule… Dans ce livre, j’étudie comment ces stratégies se sont élaborées, ce qui ne veut pas dire qu’il y aurait quelque chose comme un « comité central de la classe capitaliste » qui tirerait les ficelles. Au contraire, ce que montrent les documents - articles d’économistes, mais aussi discours de PDG, guides de management… -, ce sont des formulations contradictoires, des réactions pragmatiques à chaque conflit qui surgit. Une pensée qui se cherche en colmatant les brèches.

    Comment le monde de l’entreprise va-t-il réagir à la remise en cause de l’entreprise qui émerge dans la société civile ?

    Le #management était habitué à gérer les conflits avec ses salariés. Il va devoir apprendre à répondre à des assauts externes. En 1970, l’activiste de la New Left mobilisée contre la guerre du Vietnam, Staughton Lynd, pose cette question : pourquoi continuons-nous à manifester à Washington comme si c’était là que se jouait la guerre du Vietnam ? Puisqu’elle est le produit d’un complexe militaro-industriel, il faut attaquer les grandes entreprises de l’armement, envahir les assemblées générales d’actionnaires. Les directions de ces entreprises sont d’abord démunies : des guides pratiques rédigés à l’attention des PDG leur conseillent de surtout rester cool en cas de débordements, on monte des sessions d’entraînement où les salariés jouent le rôle des activistes et soumettent les dirigeants à tous les outrages. « Ça a été l’une des épreuves les plus dures pour le PDG »,témoigne une secrétaire de direction dans l’un des documents que j’ai étudié. Et sans doute un moment jouissif pour les salariés…

    Nestlé, confronté, de 1977 à 1984, à un boycott international qui l’accuse de « tuer les bébés » avec son lait infantile vendu dans les pays du tiers-monde, opte vite pour une autre parade, laquelle ?

    La #multinationale recrute un conseiller en relations publiques venu du renseignement militaire, Rafael Pagan. La différence entre les activistes et vous, dit-il à Nestlé, c’est que les activistes, eux, savent qu’ils font de la politique. Avec sa cellule de crise, Pagan va s’appuyer sur la pensée de Clausewitz : priver l’adversaire de sa force morale. Il classe les militants en plusieurs profils : il faut isoler les « radicaux », avec lesquels il n’y a rien à faire, rééduquer les « idéalistes », sincères mais crédules. La tactique psychologique principale, c’est de les mettre en porte-à-faux, leur montrer qu’alors même ils croient défendre une cause juste, ils font du tort à d’autres groupes. Quant aux « réalistes », on parvient facilement à les coopter, à échanger un accord contre de la gloire ou de l’argent.

    Les années 80 voient émerger les discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises. Le dialogue devient une arme dans la panoplie des firmes. Pourquoi ?

    Cela ne figure pas dans l’histoire officielle de la « responsabilité sociale des entreprises », mais une des premières publications sur le sujet a été parrainée aux Etats-Unis par Edward Bernays, l’auteur du fameux Propaganda. Or son modèle - fabriquer du consentement de manière verticale vers un public malléable, a trouvé ses limites. Bien sûr on continuera de faire de la pub, mais il faut recourir à des tactiques plus fines. C’est l’éloge d’une nouvelle idole : la communication dialogique, qu’on oppose à la manipulation. On vante la « coproduction de sens », la « communication éthique », « l’empathie entre les parties prenantes »… Un discours pseudo-philosophique qui masque une stratégie plus offensive. Lorsque Pagan dialogue avec les activistes de #Nestlé, il ne s’agit pas de négocier, c’est une ruse. Le dialogue permet de priver les militants d’une de leurs ressources les plus précieuses, la publicisation du conflit, puisqu’il doit être mené à huis clos. Il épuise l’adversaire dans d’interminables pourparlers, et en posant le consensus comme norme absolue, il permet de disqualifier ceux qui refusent le dialogue comme des irresponsables.

    En parallèle de ces tactiques pragmatiques mises en places par les firmes, les grands théoriciens du néolibéralisme, eux, vont mener une contre-offensive intellectuelle visant à « dépolitiser » l’entreprise afin de la faire échapper aux critiques des activistes.

    Dans les années 60, la pensée « managérialiste » admettait que la firme était un « gouvernement privé », un lieu de pouvoir, qu’il fallait bien tenter de légitimer : c’est notamment le rôle des discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises ou le « managérialisme éthique ». Mais à partir des années 70 et 80, les théoriciens néolibéraux vont considérer qu’il est très dangereux de reconnaître ces rapports de pouvoir et de tenter de les justifier. C’est le cas de Milton Friedman qui critique ainsi le « greenwashing » naissant : « Peu de choses me soulèvent davantage l’estomac que de regarder ces spots télévisés qui voudraient nous faire croire que leur seule raison d’être est la préservation de l’environnement. » Pour ces économistes, il faut au contraire inventer une doctrine de l’entreprise qui la dépolitise. Pour cela, dans les années 70, les penseurs des « nouvelles théories de la firme » vont tâcher de déréaliser l’entreprise, dénier les rapports de force qui la constituent et la présenter comme une pure fiction juridique, un simple nœud de contrats. Aujourd’hui, dans les manuels d’économie, on présente ces thèses comme des doctrines neutres. Leurs auteurs, pourtant, les ont explicitement conçues comme des armes intellectuelles pour la défense d’un capitalisme contesté.

    Après les salariés, après les activistes, les néolibéraux s’attaquent à l’Etat lui-même, devenu « ingouvernable ». Comment s’y prennent-ils ?

    Face à l’inflation des revendications, on assiste à ce que Hayek appelle une « crise de gouvernite aiguë » de l’Etat. Ça régule, ça intervient… Comment faire refluer les demandes sociales, le trop-plein de démocratie ? Des économistes de l’université de Saint-Andrews, en Ecosse, proposent une nouvelle stratégie : la micropolitique de la privatisation. Cessons de nous focaliser sur la bataille des idées, disent-ils : conquérir les cœurs et les esprits ne suffit pas à changer les pratiques. C’est l’inverse : il faut changer pas à pas les comportements, et le reste suivra. Ouvrir progressivement les services publics à la concurrence, plutôt que privatiser brutalement, permet de dépolitiser la demande : tandis que l’usager insatisfait se retournait contre les pouvoirs publics, le client mécontent change de crémerie. Une fois la libéralisation actée, ce sont les individus eux-mêmes par leurs microchoix de consommateurs, qui deviennent les moteurs du changement. Le chef de file de ce courant, Madsen Pirie, cite l’exemple de la #dérégulation, par une Thatcher fraîchement élue, en 1980, du transport interurbain par bus - amorce pour la privatisation des chemins de fer britanniques…

    Votre livre approche l’entreprise par la philosophie. Pourquoi dites-vous que cette discipline tente trop rarement de saisir cet objet ?

    En philosophie, on a des théories de la souveraineté politique qui remontent au XVIIe siècle, mais peu de traités sur l’entreprise. Quand la philosophie intègre la question à ses enseignements, c’est trop souvent en reprenant les discours indigents produits dans les business schools. Il serait temps au contraire de développer des philosophies critiques de l’entreprise. Ce livre est un travail en ce sens, une enquête sur des catégories centrales de la pensée économique et managériale dominante. A la crise de gouvernabilité a répondu un contre-mouvement, une grande réaction où se sont inventés des nouveaux arts de gouverner, encore actifs aujourd’hui. Alors même que ces procédés de pouvoir nous sont appliqués en permanence, nous connaissons mal leur origine et leurs ressorts fondamentaux. Or, je crois que vendre la mèche, exposer leurs stratégies peut contribuer à mieux les contrer. Ce qui a été fait, on peut le défaire. Encore faut-il en connaître l’histoire.

    (1) Créée en 1973, la Commission trilatérale réunit des centaines de personnalités du monde des affaires et de la politique favorables à la globalisation économique.
    Sonya Faure

    Lien déjà cité par ailleurs mais sans l’interview en entier.

    #chamayou #capitalisme #entreprise #libéralisme #autoritarisme #état #privatisation

  • La légitime défense, une « arme au service des dominants »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/071118/la-legitime-defense-une-arme-au-service-des-dominants

    Dans Légitime défense. Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières (CNRS éditions, septembre 2018), Vanessa Codaccioni retrace l’évolution de cette notion, montrant comment l’État français a réussi, par une politique volontariste, à faire diminuer depuis les années 1990 ces homicides en légitime défense. L’historienne met également en garde contre la tentation, sur le modèle du Canada, d’étendre cette notion aux femmes battues qui tuent leur compagnon. Entretien.

    Vous décrivez un véritable Far West français dans les années 1980-1990. Comment expliquer cette multiplication des homicides présentés en légitime défense ?

    Vanessa Codaccioni : Il y a plusieurs raisons. La politisation de l’insécurité par le gouvernement, les médias ainsi que le marché de l’autodéfense va se conjuguer à la hausse des atteintes aux biens, qui débute dans les années 1950. Dans les années 1970, on atteint un pic de vols et cambriolages. De cette utilisation des chiffres du crime et de la peur du crime résulte une augmentation du sentiment d’insécurité de la population.

    Il y a une popularisation de la notion de légitime défense, qui était tombée en désuétude. Dans les archives du magistrat Étienne Bloch, fondateur du Syndicat de la magistrature, j’ai trouvé une petite note qui disait : « On ne parlait plus de la légitime défense et aujourd’hui on ne parle que de ça. » En 1978, une association nommée Légitime défense va médiatiser ce sujet, en appelant les citoyens à s’armer contre les délinquants, les voleurs, à leur tirer dessus, en leur promettant l’acquittement. Cette association fait croire qu’existe un droit à la légitime défense, ce qui est faux, et qu’en plus, il y a une impunité à tuer un supposé cambrioleur.

    Pourquoi la légitime défense n’est-elle pas un droit ?

    Historiquement, elle a toujours été considérée comme un droit. Si vous êtes attaqué, vous vous défendez, vous pouvez même tuer pour protéger votre vie. C’est un droit à l’autoconservation. Mais au Moyen Âge, une rupture se produit : on considère que ces actes de légitime défense sont assimilables à une forme de justice privée. Or la construction de l’État et d’une justice publique suppose l’éradication de cette justice privée. Les actes de légitime défense deviennent un crime excusé. Les juges vont vérifier qu’il y a bien eu légitime défense.

    C’est aussi un moyen pour le roi de disciplinariser les nobles. À partir du XVIe siècle, si un noble tue et se déclare en état de légitime défense, il doit demander le pardon du roi et des juges dans une cérémonie où il se met à genoux. On passe ainsi d’un droit à un crime excusable. Dans le premier code pénal de 1810, la légitime défense devient une cause d’irresponsabilité pénale, comme la folie. Si vous êtes reconnu en état de légitime défense, vous n’êtes pas jugé, vous êtes libre et n’allez même pas en prison.

    Un personnage relie votre précédent travail sur la justice d’exception et ce livre sur la légitime défense : François Romerio, ex-président de la Cour de sûreté de l’État et créateur de l’association Légitime défense.

    C’est un personnage incroyable. François Romerio est un juge de l’exception : un juge qui a toujours exercé des fonctions d’exception ou qui a toujours recherché la proximité avec les politiques. Cet ancien juge colonial a exercé en Indochine, où il mettait en œuvre une justice coloniale. Il était donc déjà habitué à des pratiques arbitraires. Il a été président des assises, puis de la Cour de sûreté de l’État de 1965 à 1975. Pendant dix ans, il a jugé les ennemis politiques : l’OAS [Organisation armée secrète], les manifestants de mai 1968, les maos de la Gauche prolétarienne, les premiers indépendantistes corses, basques, bretons. Et dans ses mémoires, François Romerio fait une distinction très claire entre les ennemis politiques et les droits-communs, pour lesquels il a une véritable aversion. Ce qui va se manifester dans la création de l’association Légitime défense, clairement dirigée contre ce qu’il appelle la « racaille » et la « vermine ».

    À la Cour de sûreté de l’État, avait-il une pratique aussi sévère ?

    Non, au contraire, il avait presque une forme d’admiration pour les ennemis politiques déférés devant ce tribunal d’exception [créé en 1963 et dissous en 1981 – ndlr]. Par exemple, il leur permettait de parler pendant des heures. Il acceptait que des militants du FLNC fassent de longues déclarations politiques. Les journalistes n’avaient jamais vu ça. En revanche, après son départ à la retraite, son discours devient extrêmement répressif. Il diffuse une idéologie sécuritaire très conservatrice. Il a un discours d’animalisation du délinquant : c’est un loup, c’est un chien, une bête sauvage. Et si c’est une bête, ce n’est donc pas un homme, on peut le tuer. Son discours est presque d’eugénisme : le délinquant ronge la société française. Il faut assainir la société, presque dans une perspective évolutionniste.

    Et, chose importante, François Romerio considérait que le délinquant n’est pas récupérable. Pour la droite et l’extrême droite, la criminalité ne peut s’expliquer par des facteurs sociaux – enfance difficile, parcours scolaire difficile, précarité – mais uniquement par l’égoïsme. C’est pour cela qu’il existe toujours un lien entre la légitime défense et la peine de mort. Vu que les délinquants ne sont pas récupérables, il faut les tuer par la peine de mort ou par la légitime défense. Quand on a commencé à évoquer l’abolition de la peine de mort, à la fin des années 1970, François Romerio a prévenu qu’il resterait la légitime défense, perçue comme un palliatif à cette abolition.

    Comment ce Far West se traduit-il dans les faits ?

    Entre 1978 et 1980, uniquement en termes de crimes sécuritaires, il y a 41 cambrioleurs ou voleurs supposés qui périssent dans le cadre de la légitime défense en France. La plupart sont des faux cas de légitime défense.

    Outre ces crimes sécuritaires, parmi les nombreux cas présentés comme des « affaires de légitime défense » par la presse, beaucoup sont en réalité, selon vous, des bavures policières et des « crimes racistes ». Comment l’expliquez-vous ?

    L’association Légitime défense naît d’un comité de soutien au brigadier de police Marchaudon qui, en 1977, a vidé son chargeur sur un jeune Algérien de 21 ans, Mustapha Boukhezer, qui rôdait autour d’un bureau de poste. En 1974, ce brigadier avait déjà tué un jeune Algérien de trois balles dans le dos, au métro Anvers. C’est un récidiviste.

    À partir des années 1970, les affaires de bavure policière sont beaucoup plus médiatisées. Les policiers ont toujours beaucoup tué, mais on parlait finalement peu de ces homicides. Pensez au silence qui a entouré le 17 octobre 1961. Mon hypothèse est qu’on en parle davantage parce que ces affaires sont dites « en légitime défense », qui est alors un sujet d’actualité.

    L’un des cas les plus connus est celui, en 1972, de Mohamed Diab, un chauffeur de poids lourd algérien tué d’une rafale de pistolet-mitrailleur par un sous-brigadier, au prétexte qu’il se serait rebellé dans le commissariat. Sauf que le sous-brigadier a dit, avant de le mitrailler : « Oui, je te tue, sale race, je te tue. » Le sous-brigadier ne sera jamais jugé, il bénéficiera d’une ordonnance de non-lieu. Il y a quelques rares procès de policiers, qui sont pour la plupart acquittés.

    Puis, parmi les homicides dits en légitime défense, il y a ce que j’appelle les homicides querelleurs. Ce sont des hommes qui se disputent, le beau-père et son ex-beau-fils, deux personnes en conflit dans une petite ville, et ça finit mal. Enfin, il y a énormément de crimes racistes qui sont justifiés par la légitime défense à partir de la fin des années 1970.

    Pour comprendre la légitime défense, vous vous intéressez au profil tant des auteurs que des victimes. Quel est-il ?

    Ceux qui tuent en état de légitime défense sont toujours des hommes. De 1978 au milieu des années 1990, il n’y a qu’un seul cas de femme, c’est l’affaire de la boulangère de Reims qui, en 1989, tue d’une balle dans la tête Ali Rafa parce qu’il aurait voulu voler des pains au chocolat. Le phénomène des femmes battues qui retournent la violence contre leur conjoint, à l’image de Jacqueline Sauvage, est extrêmement récent.

    Mon point de départ est de vouloir déconstruire cette idée selon laquelle la légitime défense est une arme pour les plus faibles. C’est le discours tenu historiquement par les juristes, les hommes politiques, les criminologues. Or, quand on regarde qui tue et qui est tué, on voit très bien que c’est l’inverse. La légitime défense est une arme au service des dominants, c’est-à-dire ceux qui ont toujours monopolisé la violence. Ce n’est qu’une disposition de plus qui permet aux détenteurs du monopole de la violence de tuer presque en impunité : des hommes qui ont des armes, des chasseurs, des policiers, des vigiles.

    Toujours des hommes d’âge mûr, blancs, qui exercent des professions qui peuvent leur attirer de la sympathie – commerçants, artisans, garagistes – ou dites respectables comme les policiers, les vigiles. Ce profil d’honnêtes gens leur sert au moment du procès. Ces hommes n’étaient pas prédestinés à tuer. Alors, s’ils sont des honnêtes gens, ce sont les personnes en face qui n’étaient pas des gens respectables. Cela joue en miroir contre ceux qui sont tués.

    Qui sont-ils ?

    Ce sont plutôt des jeunes en situation d’exclusion sociale, soit au chômage, soit exerçant des petits boulots précaires, souvent vivant en banlieue et souvent racisés, noirs ou arabes. Dans la période 1978-1990 sur laquelle j’ai travaillé, ce sont souvent des jeunes de banlieue issus de l’immigration maghrébine. La moyenne d’âge est de 22 ans. Certains sont très jeunes. Ce sont des « délinquants », des « racailles », donc, dans cette façon de penser, ils sont tuables, quel que soit leur âge. Il y a presque deux idéotypes opposés : les honnêtes gens ou les bons flics, et la racaille. Souvent, les personnes tuées avaient un passé de délinquance, étaient connues des services de police ou avaient un casier judiciaire. Et ça va justifier leur mort.

    De façon étonnante, vous racontez que l’association Légitime défense va militer pour faire passer ces procès du tribunal correctionnel aux assises.

    Les affaires de légitime défense sont des procès qui vont toujours être politisés. Il y a toujours un enjeu politique derrière : le droit de posséder des armes, de défendre sa vie, ses biens, son commerce, etc. Les affaires de légitime défense ont toujours été jugées au tribunal correctionnel, qu’il s’agisse de policiers ou de citoyens. Mais ce n’est pas la bonne juridiction pour politiser la légitime défense, car c’est un petit tribunal, qui ne permet pas de faire des grandes plaidoiries politiques, des grands défilés de témoins. Et les magistrats professionnels du tribunal correctionnel sont plutôt sévères envers les auteurs de légitime défense. Ils condamnent souvent symboliquement à du sursis ou à une peine d’amende pour signifier qu’il y a eu mort d’homme.

    Or le fait qu’un auteur d’homicide dit défensif soit condamné, même à du sursis, est inacceptable pour les avocats de Légitime défense. Ils vont demander que leurs clients soient passibles des assises, ce qui est du jamais-vu : des avocats qui demandent à aggraver la situation pénale de leurs clients. Ils disent : ce n’est pas un homicide involontaire puisque mon client avait vraiment l’intention de tirer sur cette personne. C’est très risqué, car les peines en cour d’assises peuvent être beaucoup plus lourdes. Mais c’est une stratégie payante : les jurys vont acquitter très majoritairement les tireurs.

    Au début des années 1980, l’État veut être de plus en plus sévère contre les auteurs de légitime défense en les traduisant devant les cours d’assises. Deux camps opposés, qui réclament l’un la limitation de la légitime défense, l’autre son extension, vont se retrouver sur la juridiction où les tireurs doivent être jugés, la cour d’assises.

    Comment les cours d’assises traitent-elles ces homicides ?

    Ma thèse est que la légitime défense impose aux jurés d’assises une problématique particulière. On passe de la question habituelle : « L’accusé est-il coupable ou innocent ? », à une autre question : « L’accusé a-t-il tiré en état de légitime défense ? ». Ce qui modifie complètement les questions des juges, la plaidoirie des avocats, la perception des jurés.

    Le juré d’assises va toujours s’identifier avec celui qui a tiré parce qu’il y a des proximités en termes de classe sociale et de vision du monde. Les jurés d’assises ont toujours été très sévères envers les atteintes aux biens. Dans une société où on martèle qu’il y a de l’insécurité, les jurés ont tendance à acquitter celui qui a tiré sur un voleur supposé, aperçu sur un toit, en train de s’enfuir dans leur jardin.

    Il y a cette croyance qu’on peut défendre ses biens par les armes, alors qu’en France l’atteinte aux biens a toujours été exclue des crimes de sang. On peut être excusé si on tue en état de légitime défense, quand on protège sa vie, mais pas quand on protège un bien, sauf si on entre chez vous la nuit ou qu’on essaie de vous voler avec une extrême violence.

    Le profil de la victime semble également déterminant. Qu’attend-on d’une bonne victime ?

    Les jurys d’assises ne jugent pas tant celui qui a tiré que celui qui a été tué. C’est le mort qui est en procès : avait-il une bonne vie ? Était-il un délinquant ? Était-il en train de commettre un crime ou un délit ? Dans ces procès, on assiste à une criminalisation post mortem de la personne tuée. Cela débouche souvent sur deux affirmations : soit « il l’a bien mérité », soit « il est responsable de son propre décès », s’il commettait un délit au moment où il a été tué. Par exemple, quand un voleur est tué, les avocats du tireur diront que ce sont les risques du métier.

    Les bonnes victimes de la légitime défense sont très rares. Il n’y a que trois configurations où les tireurs sont condamnés et où la famille de la victime peut obtenir justice. Premier cas, les jurés ne peuvent vraiment pas croire que la personne était en état de légitime défense parce qu’elle a inventé une menace ou a maquillé la scène du crime. Les jurés ne peuvent alors pas croire à sa peur.

    Deuxième cas, lorsque le tireur a un rapport problématique aux armes, est un fanatique des armes. C’est le cas du gardien de supermarché qui a tué Moussa Mezzogh, qui venait de dérober des blousons. Il a été condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis. La police avait trouvé chez lui un arsenal.

    Le troisième cas, c’est lorsque le racisme est reconnu comme le mobile unique. Dans les crimes racistes, pour que la question du racisme apparaisse lors des audiences, il faut qu’il n’existe aucune autre possibilité. Pour que la thématique du racisme apparaisse, il faut que la personne tuée soit « blanche comme neige », si je peux me permettre l’expression : qu’elle n’ait aucun passé délinquant et ne fasse absolument rien au moment où elle est tuée.

    Les médias ont un rôle très important, car ils participent à l’idéologie de l’insécurité en mettant l’accent sur les faits divers. Et ils ont tendance à participer à la criminalisation post mortem de la victime. Soit ils ne parlent pas de la personne tuée, qui est invisibilisée, soit ils insistent sur sa mauvaise conduite.

    Aujourd’hui, hors quelques cas médiatisés comme celui du bijoutier de Nice, en 2013, les homicides en légitime défense ont diminué. Comment l’expliquer ?

    Il y a effectivement de moins en moins de cas de légitime défense mortels. Entre 2015 et 2017, il y a eu une cinquantaine de cas où l’argument de la légitime défense est avancé au procès, dont moins d’une dizaine mortels. Donc, moins de dix cas mortels en deux ans contre quarante cas mortels juste pour des cambriolages ou des vols en 1978 et 1980.

    Cela rentre dans un processus plus général de pacification des mœurs, mais aussi dans une politique volontariste de l’État français pour réduire la légitime défense. Il limite les ventes d’armes d’autodéfense les plus utilisées, notamment la carabine 22 long rifle. Dans les années 1980, on achetait ces armes à la FNAC, au BHV, sur catalogue à La Redoute, etc.

    Mais l’État ne pourra jamais limiter l’une des principales armes de légitime défense : le fusil de chasse. Les cas récents montrent que c’est ce fusil de chasse qui est utilisé dans les affaires mortelles dites de légitime défense.

    À partir de 1994, il inclut dans le code pénal des critères, issus de la jurisprudence, qui encadrent la légitime défense : l’immédiateté, la simultanéité, la proportionnalité et la nécessité d’avoir une menace réelle et non imaginaire. Et l’État impose ce qu’est une bonne autodéfense : appeler la police, ne pas garder d’argent chez soi, s’assurer contre le vol, ne pas ouvrir quand on frappe, être très méfiant. L’État français construit un sujet résilient, acteur de sa propre sécurité, qui développe des sentiments de suspicion envers autrui mais qui a confiance envers la police.

    Reste l’exception policière : les policiers ont eux, au contraire, connu ces deux dernières années une extension du champ de la légitime défense, au nom de la menace terroriste.

    La légitime défense policière s’analyse comme un dispositif d’exception qui, après les attentats du 13 novembre 2015 et après l’état d’urgence, est devenu permanent. J’ai découvert que la France avait déjà étendu la légitime défense pour les policiers à deux reprises, sous Vichy et pendant la guerre d’Algérie, en leur permettant d’utiliser plus facilement leurs armes. Ce sont les moments les plus répressifs de notre histoire récente, où on a inventé le plus de dispositifs d’exception et dans lesquels on va puiser des mesures aujourd’hui, dans le cadre de la lutte antiterroriste.
    Sous Vichy et pendant la guerre d’Algérie, on avait déjà aligné la légitime défense policière sur les règles d’ouverture du feu militaires, dans un cas, pour abattre plus facilement des résistants, dans l’autre, pour abattre des indépendantistes ou leurs soutiens. Mais après Vichy et après la guerre d’Algérie, on avait refermé cette parenthèse. La légitime défense policière était redevenue ordinaire.

    Après les attentats, au contraire, on a étendu par deux lois, en 2016 et 2017, la possibilité pour les policiers de tirer. C’était une très vieille revendication, à la fois des syndicats de policiers et de la droite et de l’extrême droite, au moins depuis le début des années 1980. Et tous les chefs d’État, gouvernements, tous les ministres de l’intérieur s’y étaient toujours opposés. Même Charles Pasqua, connu pour avoir couvert de graves bavures policières, était contre, car il disait que c’était trop dangereux. En 2015, dans le contexte traumatique post 13-Novembre et de l’état d’urgence où l’État a beaucoup demandé aux policiers, il a accédé à leurs revendications.

    Cela a-t-il eu un impact sur le nombre de personnes tuées par la police ?

    Je ne crois pas. Il y a eu 14 morts l’an dernier, or on sait que la police a tué plus de 450 personnes en 40 ans [de juillet 2017 à mai 2018, 14 personnes ont été tuées lors d’opérations policières, selon un recensement inédit de l’IGPN, qui ne comptabilisait pas ces morts auparavant – ndlr]. En revanche, il y a une augmentation exponentielle du nombre de tirs policiers. En 2017, la police a tiré 394 fois, soit une augmentation de 54,5 % par rapport à 2016. Il va falloir observer les effets de ces lois sur le temps long.

    Après les attentats à Londres de 2005, les officiers de Scotland Yard ont adopté la théorie du shooting to kill, qui vise à abattre le plus rapidement possible un potentiel terroriste avant qu’il ne déclenche une possible ceinture d’explosifs. Quelques semaines après l’adoption de cette doctrine, en juillet 2005, un électricien brésilien, Jean Charles de Menezes, a été tué de sept balles dans la tête, dans le métro londonien, par deux policiers qui l’avaient pris pour un suspect pakistanais. Cela a été considéré comme une affaire de légitime défense.

    Une nouvelle problématique s’est mise en place, qui est celle du « faire mourir le terrorisme ». Michel Foucault parlait des techniques du « faire mourir » et du « laisser vivre ». Aujourd’hui, il me semble que nous sommes dans une réflexion sur le « faire mourir les terroristes ». Comment les tuer ? À quel moment ? Cela répond à la militarisation de la police, qui fait suite à cette expression entendue partout après le 11 septembre 2001 : « On est en guerre. » Si nous sommes en guerre, alors la police doit pouvoir tuer, comme l’armée, et avoir une possibilité de tir plus étendue sans être inquiétée par la justice.

    Et chez nos voisins européens, comment cette législation sur la légitime défense évolue-t-elle ?

    C’est assez inquiétant. Nos voisins européens sont dans une démarche totalement différente de la nôtre sur la légitime défense citoyenne. Au début des années 2000, le Royaume-Uni a par exemple entamé une réflexion sur la possibilité d’étendre la légitime défense pour les particuliers, notamment quand il s’agit de cambriolage. En 2008, une loi a mis en place la légitime défense subjective, qui a toujours été refusée en France. C’est considérer que quelqu’un qui croyait honnêtement être en légitime défense ne sera pas inquiété par la justice. Celle-ci s’applique aussi aux policiers.

    Le pire à venir est en Italie. La Ligue du Nord a fait de la légitime défense un enjeu central de ses campagnes en politisant les affaires de vols, de cambriolages. En 2015, elle a réussi à la faire étendre. Et le ministre de l’intérieur Matteo Salvini, qui porte des tee-shirts en faveur de la légitime défense [comme ici, en mai 2017 – ndlr], défend des propositions de loi pour aller plus loin. Ce qui est très préoccupant, car il y a énormément d’armes en circulation en Italie, avec un fort lobby des armes. Et ce n’est pas un hasard si, depuis quelques mois, on assiste à une multiplication des fusillades racistes visant des Noirs.

    Sans parler de la République tchèque, qui dit qu’il faut s’armer contre les terroristes islamistes. Avec notre État centralisé très fort qui veut centraliser la violence, nous sommes un peu une exception par rapport à nos voisins.

    Aujourd’hui, certaines féministes revendiquent une extension de la légitime défense aux femmes battues, comme c’est déjà le cas au Canada, au vu notamment du cas de Jacqueline Sauvage, condamnée pour le meurtre de son mari. Cela vous semble-t-il souhaitable ?

    En France, les femmes battues ne sont jamais reconnues en état de légitime défense, car deux critères leur font défaut quand elles tirent. Celui de la simultanéité : il faut que la femme tue son compagnon violent au moment même où elle est battue, ce qui est extrêmement rare. C’était le cas d’Alexandra Lange qui, en 2009, a poignardé son mari au moment où il l’étranglait. Elle a été acquittée en avril 2012. Mais souvent, les femmes les tuent après la séquence de violence conjugale, soit d’une balle dans le dos, soit dans leur sommeil. Et il y a celui de la proportionnalité : peut-on tirer sur quelqu’un qui vous a donné une gifle ?

    Le cas le plus ahurissant est celui de Fatiha Taoui, condamnée en mars 2018 à cinq ans de réclusion criminelle, dont trois ferme, aux assises de la Haute-Vienne. Elle a été battue pendant plusieurs années, son mari avait été condamné trois fois pour violences conjugales et harcèlement, il avait des injonctions à ne pas s’approcher du domicile. Il défonçait sa porte à coups de hache, il la menaçait de mort, elle et ses enfants. Un soir, il est arrivé avec un fusil de chasse chez elle et elle l’a tué. Les juges ont trouvé son discours incohérent, car elle a affirmé l’avoir abattu dans un corps à corps, alors qu’elle a utilisé un fusil long. C’est représentatif, car les femmes qui tuent leur conjoint ne sont quasiment jamais reconnues en état de légitime défense.

    Au Canada, en 1990, une législation a créé la légitime défense différée. Elle supprime ce critère de simultanéité. Un expert décide si la femme qui a tué est atteinte d’un syndrome de la femme battue (SFB). Ce qui est une manière aussi de pathologiser ces femmes, mais cela leur permet de pouvoir mobiliser la légitime défense comme les hommes. On considère qu’elles ont tellement été battues qu’elles ne sont plus en état de décider si c’est bien ou mal au moment où elles tirent.

    Est-ce transposable en France ?

    Je suis réservée parce que la légitime défense a été faite pour les hommes, ceux qui disposent des armes, qui monopolisent la violence, qui vont à la chasse, qui sont inscrits dans un club de sport de tir. Ne faut-il pas laisser la légitime défense aux hommes et imaginer autre chose ?

    En tout cas, il faut être extrêmement prudent dès qu’on parle d’extension de la légitime défense, pour deux raisons. En Angleterre, on a étendu la légitime défense citoyenne. Immédiatement, ça s’est appliqué aux policiers. En 2014, Christian Estrosi (LR) et Éric Ciotti (LR) avaient déposé une proposition de loi pour étendre la légitime défense pour les commerçants. Ils ont justifié cette extension en prenant l’exemple des femmes battues au Canada ! C’est-à-dire que les causes féministes peuvent être utilisées pour justifier la légitime défense des dominants et des hommes.

  • Marie-Joseph Bertini, Femmes : le pouvoir impossible
    https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/1441

    Dans les tableaux occidentaux, les femmes, lorsqu’elles sont représentées, n’apparaissent presque jamais au centre de la composition, mais sur les côtés. Cette remarque préliminaire pose d’emblée le constat d’un invariant culturel qui mérite d’être interrogé : car, de fait, les femmes restent aujourd’hui encore« au coin de l’espace public » (p. 129). Et ce n’est pas le discours des médias qui leur donnera davantage de place dans la société : ceux-ci maintiennent les femmes en marge du pouvoir. C’est le postulat de départ de Marie-Joseph Bertini, philosophe et docteur en sciences de l’information et de la communication, qui se propose d’étudier les modes de qualification des femmes dans les discours médiatiques. Le constat est édifiant : les femmes représentent seulement 18 % des personnes citées dans les médias ; le plus souvent, leur métier n’est pas précisé. Et lorsqu’on y parle de leur action (politique, syndicale, militante au sens large), elles sont insidieusement mais systématiquement discréditées par le recours à cinq figures auxquelles le discours médiatique les ramène volontiers : la muse, la madone, la mère, l’égérie, et surtout la pasionaria. C’est à partir de ces cinq figures que Marie-Joseph Bertini développe sa thèse : les médias décrivent moins le monde qu’ils nous le prescrivent, et leur fonction est de maintenir un ordre symbolique, qui assigne chacun à sa place immémoriale, et qui maintient la femme dans sa position de dominé.
    Le propos est ouvertement féministe. Il est aussi solidement argumenté, par des analyses des discours du Monde, de Libération, du Nouvel Observateur et de L’Express sur des femmes « à responsabilités », de 1995 à 2002. Marie-Joseph Bertini constate que le champ lexical qualifiant l’activité des hommes est très riche, alors que celui consacré aux femmes est indigent, au point que l’auteure parle d’un véritable apartheid linguistique pour désigner ce qu’elle considère comme une stratégie discursive délibérée (mais sans agent défini),qui minore et circonscrit l’activité des femmes avec quelques formules rituelles. Elle relève ainsi dans la presse les appellations de « madone des sections socialistes » (pour Martine Aubry), « madone anti-pacs » (pour Christine Boutin), voire« pasionaria de la filature » (pour Norma Rae) ou « pasionaria de l’archivage électronique » (pour Françoise Banat-Berger, archiviste en chef du ministère de la Justice, ainsi désignée dans les colonnes du Monde en 2001). Elle ne manque pas de souligner la dimension à la fois normative et ironique, donc réductrice, de ce vocabulaire, « l’ironie étant l’arme suprême utilisée pour contenir les femmes dans la prison du mot d’esprit » (p. 46). Ces figures, celle de la pasionaria surtout, fonctionnent comme une « technologie du pouvoir » (selon la terminologie de Michel Foucault), c’est-à-dire comme « un outil de contrôle et de coercition de l’action des femmes » (p.50).Les normes sociales et culturelles qu’elles reflètent sont d’ailleurs intériorisées par les femmes elles-mêmes : femmes journalistes qui récupèrent la rhétorique de leurs confrères mâles, femmes politiques qui s’excusent, à l’instar de Marilyse Lebranchu prenant la fonction de garde des sceaux, de se sentir « un peu petite[s] » pour ce titre…

    3L’examen historique, sémiotique, symbolique des cinq « figures-sanctions » que sont la muse, la madone, la mère, l’égérie et la pasionaria organise tout l’ouvrage. Celles-ci donnent lieu à des observations lexicales particulièrement pertinentes. Ainsi la figure de la pasionaria (dont l’historique est tracé avec précision) connote-t- elle toujours l’excès, la démesure un peu ridicule, l’activisme, la dévotion exclusive à une cause unique ; elle a « pour effet principal de rabattre l’action polymorphe des femmes sur une trame d’une extrême pauvreté, qui travaille à rendre cette action subalterne et vaine » (p. 58). Elle désigne aussi l’arrivée des femmes aux affaires publiques comme une intrusion, et moque le ridicule d’une femme passionnée qui croit à ce qu’elle dit – ce qui, dans le monde politique, est péché de naïveté.

    4Ces figures sont enrichies par le recours à l’Histoire, mais aussi à l’art et à la mythologie. On croise ainsi des figures réexpliquées avec hardiesse, pertinence et énergie : Germaine de Staël, Antigone, Dora Maar – bien connue comme la « Muse » de Picasso, mais ignorée en tant que photographe audacieuse et novatrice –, Dolores Ibarruri – révolutionnaire espagnole à l’origine de la « pasionaria » –, Catherine Millet, les femmes tondues de la Libération… Toutes ces figures sont rapprochées en un même constat :« Rattachées à l’espace public par la médiation des hommes, les femmes y introduisent […] une dimension personnelle et privée qui en est l’exact opposé » (p. 114). De là le danger : les femmes qui s’introduisent dans la sphère publique la menacent, rompent son unité fondamentale (qui est masculine) car elles y introduisent la passion :« Moins actives que réactives, elles ignorent les grands principes et le pur combat d’idées qui les dépasse » (p. 115). C’est du moins, selon Marie-Joseph Bertini, le discours éternel des sociétés, relayé par les médias, et toujours lisible dans les qualifications actuelles des femmes de pouvoir.

    5Cette violence lexicale, même voilée, reproduit dans les démocraties occidentales les violences physiques faites aux femmes dans d’autres pays. Et l’on ne peut que songer aux récents commentaires d’un Premier Ministre déclarant, à propos d’une rivale politique : « Ségolène Royal perd ses nerfs »… L’ouvrage abonde en citations de ce type, toujours intelligemment commentées. Même si, par endroits, la structure de l’ouvrage se délite, l’auteure passant d’un sujet à l’autre, les développements sont captivants, et amènent le lecteur à aborder des sujets connus avec un œil neuf. Ainsi en est-il lorsque Marie-Joseph Bertini remarque que l’injonction publicitaire qui est faite aux femmes de surexposer leur corps ne fait qu’entretenir leur exclusion du corps politique, au même titre que le voile des musulmanes… Tout aussi stimulantes sont les pages sur le sport, révélateur des normes qui structurent les rapports entre les sexes, et surtout sur le foot, culte qui fédère la nation tout en se passant des femmes, démontrant au passage leur « inessentialité ». Les pages consacrées à « l’histoire » des femmes, et à la croyance encore actuelle en leur démesure constitutive, ainsi que celle consacrées à « l’Histoire », qui est toujours celle des vainqueurs, donc des hommes, sont tout aussi intéressantes, surtout lorsque l’auteure analyse le concept de régence comme une modélisation du pouvoir féminin fondé sur l’intrigue, la délégation du pouvoir et l’association avec un homme. Modèle qui survit, dans le discours de la presse, jusqu’à Edith Cresson ou Monique Vuillat (secrétaire générale du SNES) dans les pages du Monde.

    6Certains développements peuvent sembler excessifs ou contestables, comme la négation, certes argumentée, de la réalité des différences sexuelles entre l’homme et la femme. Celle-ci ne serait, selon l’auteure et selon Margaret Mead (L’Un et l’Autre Sexe, Paris, Gallimard, 1966), sur laquelle elle s’appuie, qu’une « construction sociale et culturelle – produit des normes et des valeurs dominantes, et des représentations auxquelles elles donnent lieu –, et non [un] donné naturel à partir duquel s’imposerait l’idée de cette différence » (p. 93). Certains excès sont également dommageables, non dans les thèses avancées, mais dans leur systématisation, lorsque aucune place n’est faite à l’évolution des mentalités masculines, aux relations affectives ni à la réalité du respect entre les sexes. Ainsi paraît-il abusif de voir dans le Sénat « un dispositif masculin visant à l’élimination des femmes » (p. 136), car même s’il est vrai que cette institution a refusé quatre fois le droit de vote des femmes, cette mise à l’écart n’est pas son but exclusif.

    7Toujours est-il que les réflexions que propose cet ouvrage, nourri des apports de la psychanalyse (Freud), de la sociologie (Habermas), de la philosophie (Hegel), de l’Histoire et de la mythologie, sont vivifiantes. Et permettent de repenser les problématiques les plus actuelles, comme la place du passionnel dans les discours politiques, où, paradoxalement, l’émotion apparaît comme un atout pour les hommes tout en restant interdite aux femmes :« Ne pouvant investir ce champ, que leur agir doit déserter pour être crédible, elles se doivent donc de multiplier l’usage des techniques froides de compétence, d’intelligence et d’organisation » (p. 236). Et n’ont finalement pas réellement d’autre issue que d’être discréditées par deux qualifications contraires, celle de l’hystérique ou celle, inverse, de la « dame de fer ».

    8En conclusion, Marie-Joseph Bertini envisage le devenir des femmes de pouvoir dans la société de demain. Celle-ci, contrairement à une idée répandue par les publicitaires, ne se féminise pas : elle se maternalise, en se recentrant sur les enfants – prescripteurs d’achat essentiels – et en valorisant donc la maternité… ce qui revient toujours à instrumentaliser la femme. L’auteure pose alors une question provocatrice : comment se fait-il, en définitive, qu’il y ait tant de femmes au pouvoir ? Parce qu’elles demeurent des moyens, et non des fins, pour les partis et les hommes politiques. S’il existe des perspectives d’évolution, elles sont faibles, car bridées « par ce rôle moderne [qui] s’exerce d’une manière d’autant plus dangereuse qu’il est quasiment invisible, dissimulé dans la morale médiatique. Banalisé par une tolérance générale et rendu invisible par l’habitude » (p. 243). Heureusement, Femmes, le pouvoir invisible, est là pour nous ouvrir les yeux.

    • #viol #culture_du_viol #sexisme #violences_sexuelles #androcentrisme #misogynie #fraternité #haine

      L’historien remet en cause la réelle importance de Mai 68 du point de vue de la libération sexuelle. Il s’appuie sur les archives du COPES pour montrer que cette liberté existait déjà pour les garçons, y compris en matière de pratiques homosexuelles. Lorsqu’elles avaient lieu, ces dernières ne renvoyaient pas forcément à une identité d’homme « gay », n’impliquaient pas automatiquement que le garçon se considère comme un « homosexuel ». L’assignation à une norme hétérosexuel/homosexuel n’était à l’époque déjà pas incontournable (les travaux de Régis Révenin semblent en cela s’inscrire dans une vision très foucaldienne, cf. Histoire de la Sexualité de Michel Foucault).

      Révenin R., 2015, Une histoire des garçons et des filles. Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre, Paris : Éditions vendémiaires, Paris.

      La construction d’une virilité « entre pairs » était en revanche la norme, virilité dont les preuves étaient à fournir aux autres garçons. Les archives étudiées par Régis Révenin montrent l’existence de viols collectifs et l’absence totale de culpabilité pour les uns, ainsi que le renversement de cette culpabilité du côté de ces filles, traitées de « salopes ». La « libération sexuelle » des années 1968 était presque un argument que les garçons utilisaient pour draguer et coucher. Tout en portant un regard extrêmement normatif sur les filles qui devaient être bonnes ménagères, fidèles (l’infidélité était une qualité virile), bonnes épouses en tous points de vue y compris au lit… Le regard porté par les hommes sur les femmes était réprobateur et s’inscrivait dans une assignation de genre binaire, les filles étaient pour eux soit maman, soit « putain ».

      C’est assez interessant pour comprendre ce que les hommes veulent dire avec le mot #amour

  • Désobéir pour dire non à la soumission

    https://sites.arte.tv/28minutes/fr/frederic-gros-emmanuel-macron-au-vatican-le-retour-en-grace-des-catholiqu
    https://sites.arte.tv/sites/default/files/styles/foundation_seo_social_image/public/atoms/image/20180626/bandeau_site_00000.jpg?itok=eUKxvTiX

    Pour Frédéric Gros, trois raisons devraient pousser l’homme à ne plus accepter l’état actuel du monde : le creusement des inégalités, la détérioration environnementale et l’enrichissement qui se fait au détriment des générations futures. Pourtant, face à cette situation, l’homme ne désobéit pas. Est-ce par conformisme social ? Par soumission économique ? Par une volonté de respect des autorités ?

    Armé des réflexions d’Emmanuel Kant, de Michel Foucault ou encore de La Boétie, ce philosophe et enseignant à Sciences Po a souhaité dresser dans son essai Désobéir une « stylistique de l’obéissance ».

    #obéissance #désobéissance

  • « On a suivi la formation pour être un mâle alpha ! ».
    https://www.explicite.info/articles/1034-on-a-suivi-la-formation-pour-être-un-mâle-alpha-
    (Pour info. Article complet, sans les photos, visible ci-dessous mais pas du tout bien édité. Je crois que la lecture est limitée à un article sur le site, avant inscription gratuite.)

    On a suivi la formation pour être un mâle alpha !
    Un ex-leader du FN se lance dans le coaching. Objectif de ce site masculiniste : transformer les « hommes fragiles » en mâles alpha. Explicite a suivi les cours en ligne.
    20 juin 2018 - par Matthieu Beigbeder

    Qu’est-ce qui est pire qu’un lundi au soleil ? Probablement un lundi au soleil à regarder Julien Rochedy disserter sur la masculinité.
    Hier, lundi donc, j’apprenais l’existence, à travers un énième clash twitteresque, du magazine « École Major », lancé début juin par l’ex-patron du Front National de la Jeunesse (FNJ), qui se définit aujourd’hui comme polémiste, écrivain ou encore influenceur, Julien Rochedy. Site Internet masculiniste, on peut y apprendre, entre autres, à « faire un voyage d’homme », « pourquoi il faut montrer ses intentions aux femmes », ainsi que quelques « conseils pour une alimentation saine et non fragile » pour, imagine-t-on, manger des salades comme un gros bonhomme.

    Julien Rochedy donnant une leçon de masculinité lors de sa « Session Alpha » (Capture écran Session Alpha)
    Surtout, « École Major » propose une formation, intitulée sobrement « Session Alpha ». Destinée à ceux qui en ont « marre de la société d’eunuques dans laquelle on vit », elle est censée « offrir toutes les bases culturelles et mentales qu’un homme doit connaître » pour la modique somme de 47€, tarif généreusement raboté de moitié pour le lancement. Me trouvant un peu mou en ce moment, j’ai donc décidé de participer à cette formation afin d’apprendre à être un homme, un vrai.
    La théorie masculiniste
    La Session Alpha se décompose en deux parties : théorique et pratique, composées d’une quinzaine de leçons vidéo (avec fichiers PDF inclus en guise de résumé), dont la durée s’étale de 8 à 25 minutes, soit approximativement quatre heures de pur bonheur en compagnie de Julien Rochedy. Une bonne soirée en perspective.
    La première chose qui frappe, c’est que les thèses de Rochedy ont cela de malin qu’elles cachent presque parfaitement (hormis quelques dérapages) le caractère misogyne, machiste et patriarcal des masculinistes. Les leçons théoriques s’articulent autour de plusieurs thèmes, à chaque fois enrobés de références à d’illustres penseurs et aux civilisations grecque et romaine : « savoir s’inspirer du passé », « comprendre la volonté de puissance », « les valeurs des forts contre les valeurs des faibles », « l’attitude virile du soi », etc.
    Rochedy truffe son argumentaire de comparaisons historiques, opposant les « anciens mondes » au nouveau, ce dernier étant jugé dégénérescent, en proie au déclin de l’homme.
    À chaque fois, l’argumentaire évolue dans un paradigme hétérosexuel, où hommes et femmes seraient attirés l’un par l’autre sans possibilité d’avoir de relations homosexuelles. En filigrane de toute leçon, c’est le moyen, pour l’homme, de séduire « la femme » et de la conserver. Et c’est plutôt bien fait. À chaque fois, Rochedy truffe son argumentaire de comparaisons historiques, opposant les « anciens mondes » au nouveau, ce dernier étant jugé dégénérescent, en proie au déclin de l’homme et des « valeurs masculines ». Les civilisations grecque et romaine y sont hissées au rang de modèles de virilité et de masculinité, car guerrières, cultivées et croyantes (mais certainement pas esclavagistes ni adeptes de l’homosexualité, faut pas déconner).

    Au long de sa démonstration, Rochedy dénonce pêle-mêle les « bobos des centres-villes » et le trop grand nombre de fonctionnaires (qui font souvent un travail de bureau assis sur une chaise, ce qui ne permet plus de les différencier des femmes, disserte-t-il). Affirmant qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’"écoles" de formation (comme la famille, les Scouts, l’Eglise, l’armée, des écoles qui vous forment un gaillard à la vie, en somme), il nous incite à lire des biographies ("afin de vous imprégner de la vie des grands hommes") et à trouver un modèle qui nous corresponde.
    Fidèle capitaliste libéral, Julien Rochedy prendra souvent, tout au long de ses leçons, la figure du chef d’entreprise comme exemple modèle. Tout en prévenant : « J’espère pour vous que vous n’allez pas les chercher dans les grandes stars des médias, parce que je vous assure que le monde des médias ne nécessite pas du tout les qualités viriles et masculines pour particulièrement réussir, et ce sont souvent des ‘semi-virs’, comme diraient les Romains ».
    « Les valeurs des esclaves ont totalement triomphé »
    Me sentant un peu insulté ("semi-vir toi-même oh"), j’enchaîne néanmoins sur les leçons suivantes en me sentant déjà un peu plus mâle. Les leçons théoriques qui s’en suivent sont un panier garni de namedropping en tout genre (Einstein, Schopenhauer, Michel Foucault, Nietzsche, Cicéron, Marc-Aurèle, Freud, Don Juan...), dont les citations sont supposées éclairer et justifier le raisonnement masculiniste.

    Julien Rochedy dissertant sur la pratique de la masculinité (©Capture d’écran Session Alpha)
    Julien Rochedy développe ainsi une argumentation basée sur le « struggle for life » de Charles Darwin afin de soutenir qu’"il n’y a que les plus forts qui parviennent à survivre". Ceci constituant « des vérités qui font mal aux oreilles », avant de dénoncer la « moraline » de certains (bobos de centre-ville, on imagine). Partant de ce constat, Rochedy dénonce l’inversion des repères de nos sociétés, où « les valeurs des esclaves (paix, amour, gentillesse, tolérance) ont totalement triomphé, c’est pour ça qu’en tant qu’homme on se sent mal à l’aise ».
    « Les valeurs féminines sont beaucoup plus vers la paix, la douceur et la non-violence »
    Mais au fait, c’est quoi un homme, et c’est quoi une femme ? Quelles sont les valeurs qui les distinguent ? Partie essentielle de son raisonnement, l’influenceur Rochedy définit les « valeurs » qui distinguent l’homme de la femme sans pratiquement aucune justification, hormis leur supposée prégnance dans les anciennes civilisations.
    Côté valeurs féminines, on est donc dans « l’acceptation de l’autre », tandis que chez les valeurs masculines, on est dans la « pénétration de l’autre ». Subtil. Selon Rochedy, la guerre et la violence sont des valeurs masculines, « tandis que les valeurs féminines sont beaucoup plus vers la paix, la douceur et la non-violence » (faudrait qu’on lui présente Cléopâtre ou Athéna, déesse grecque de la guerre, ou peut-être les Amazones ou les combattantes kurdes). Pêle-mêle ensuite, la tolérance et le dialogue c’est pour les meufs, tandis que l’autorité ("qui a fait beaucoup plus avancer les individus et les communautés que le dialogue") c’est pour les mecs qui en ont dans l’caleçon.
    « Aujourd’hui, on est à 99% dans les valeurs féminines, conclut Julien Statistiques. C’est très mauvais, ça conduit les individus à la déprime, à la névrose et à l’incapacité de réussir. Ça conduit nos communautés à la destruction. Il faut retourner aux valeurs masculines ».

    S’en suivent deux dernières leçons sur la spiritualité. L’homme, le vrai, est vivement incité à se doter d’une spiritualité, l’athéisme y est très critiqué : « Ces individus sont amenés à être dépressifs et à mourir par nature. C’est une logique absolument certaine ». Pour finir sur l’amitié homme-femme : « Pour qu’une amitié entre un homme et une femme soit possible, il faut qu’il y ait une égalité parfaite, 50-50 entre ce qui chez cette femme vous dégoûte et ce qui chez cette femme vous plaît ».
    Pratiques masculines et anecdotes personnelles
    Me voilà un peu plus instruit sur ma condition de mâle alpha. Effaçant les numéros de toutes mes amies de sexe féminin, je profite d’être au bord de l’apoplexie cérébrale pour me concocter un bon gros plat de pâtes de bonhomme, avec du gros jambon qui sent encore le foin comme les vrais cochons alphas, et du gruyère bien sale qui sent sous les bras et qu’est certainement pas homo lui.
    Il est temps de passer à la pratique. Enfin, quand je dis « pratique », il s’agit plus d’une nouvelle partie théorique appuyée de plusieurs anecdotes personnelles afin d’énoncer des conseils présentés comme naturels. On apprend ainsi à « avoir de l’audace », « développer son courage » et « son charisme », évidemment « travailler son corps » ("Un patron tyrannique manquera beaucoup moins de respect à un type subordonné musclé qu’à un type subordonné pas musclé. C’est une expérience sociologique que vous pouvez faire"). Il faut également apprendre à développer un réseau, qui n’est que le reflet actuel du « clan » ancestral, nécessaire à l’épanouissement de chaque grand homme : « L’homme individualiste pur se retrouve complètement baisé, explique l’écrivain Rochedy, lorsqu’il affronte d’autres communautés qui elles restent organisées sur des points de vue ethniques, religieux ou idéologiques ».

    Valeur primordiale, l’homme alpha doit à tout prix apprendre à « se faire respecter ». L’ex-cadre frontiste raconte qu’on « a tous déjà vu » des hommes se faisant agresser dans la rue, « souvent des Français qui n’ont pas cette culture (masculiniste) », frappés par « d’autres communautés », des gens « élevés dans des notions purement masculines, même si pour le coup elles peuvent être brutales et barbares », et qui « n’estiment pas que l’on doit le respect à quelqu’un au prétexte qu’il est quelqu’un ». Parfois, les thèses du FN ne sont pas loin.
    Une pensée rétrograde
    En résumé, la formation de Julien Rochedy peut prêter à sourire. Elle ressemble, quoiqu’en (légèrement, très légèrement) plus long, aux vidéos de coaching où un soi-disant formateur vous explique les trois techniques à appliquer pour aborder et emballer à coup sûr une femme dans la rue.
    Mais sous couvert de références philosophiques permanentes, de comparaisons historiques bancales, d’anecdotes à la gloire des anciens mondes grec et romain, à la France d’avant où l’homme avait toute sa place et où la femme fermait sa gueule, à l’appui de thèses sociologiques au ras du plancher ("on a tous déjà vu…", « j’ai des amis qui… »), l’idéologie de Rochedy sent le soufre, la détresse d’un « mâle » élevé au rang de symbole, désorienté qui, faute d’arriver à se positionner dans le monde actuel, construit autour de lui un univers qui se veut « impertinent », « conservateur » et « anti-bobo », occultant son caractère profondément machiste et patriarcal.
    Le seul « oubli » volontaire, la seule différence entre l’ancien monde et le nouveau que Rochedy appréhende tant, c’est qu’aujourd’hui les femmes ont l’opportunité de parler, et surtout d’être entendues. Ce qui, visiblement, déplaît à certains.

  • France, Where Age of Consent Is Up for Debate - The Atlantic
    https://www.theatlantic.com/international/archive/2018/03/frances-existential-crisis-over-sexual-harassment-laws/550700

    On April 24, 2017, a 28-year-old-man met an 11-year-old girl in a park in Montmagny, just north of Paris, after which, he took her home where he had oral and vaginal sex with her. When it was over, the girl called her mother and described what had happened, and her mother called the police. “She thought … that she didn’t have the right to protest, that it wouldn’t make any difference,” the mother told Mediapart, a French investigative site which first reported on the allegations of the case. The accusations were of an adult raping a child—a crime that, in France, can lead to a 20-year prison sentence for the perpetrator when the victim is 15 or younger.

    But it initially wasn’t charged that way. When the case first went to court in September, the man faced only charges of “sexual infraction,” a crime punishable with a maximum of five years in jail and a €75,000 fine. Under French law, a charge of rape requires “violence, coercion, threat, or surprise,” even if the victims are as young as the girl in the Montmagny case. When the case, initially postponed, went back to court in February, the man’s attorneys did not deny the sexual encounter but argued that the girl had been capable of consenting. “She was 11 years and 10 months old, so nearly 12 years old,” defense lawyer Marc Goudarzian said. Sandrine Parise-Heideiger, his fellow defense lawyer, added: “We are not dealing with a sexual predator on a poor little faultless goose.”

    Such a defense flies in the face of legal and cultural consensus in most Western nations, and much of the world. “With children there is inevitably coercion,” Ernestine Ronai, co-president of the gender-based violence commission at the government’s High Council for Equality between Women and Men, told me. “It is indefensible that a girl of 11 could be considered consenting with a 28-year-old man. This is shocking,” she added.

    Indeed, the judge did ultimately order that rape charges be filed, in what Carine Durrieu-Diebolt, the attorney for the girl and her family, called a “victory for victims.” The case has been postponed to allow for a more thorough investigation into the allegations. But in the meantime, it has also provoked an unprecedented backlash that has resulted in France considering a change to a longstanding, anomalous feature of its laws: Up to now, there has been no legal age of consent for sex.

    Under French law, “rape” is defined as “any act of sexual penetration, of whatever nature, committed on the person of another by violence, coercion, threat or surprise.” Yet unlike elsewhere, there is no presumption of coercion if a sexual minor is involved. Most other countries in Europe, including Spain, Belgium, Britain, Switzerland, Denmark and Austria, have a legal age of consent. Most of the age minimums range between 14 and 16 years of age. Fixing a specific age of consent means that children and adolescents below that age cannot, regardless of circumstances, be considered consenting to sex; their very age renders them incapable. As a result, an adult in most European nations who has sex with someone under this age would be charged with rape, even if violent force is not used.

    • Most other countries in Europe, including Spain, Belgium, Britain, Switzerland, Denmark and Austria, have a legal age of consent. Most of the age minimums range between 14 and 16 years of age. Fixing a specific age of consent means that children and adolescents below that age cannot, regardless of circumstances, be considered consenting to sex; their very age renders them incapable. As a result, an adult in most European nations who has sex with someone under this age would be charged with rape, even if violent force is not used.

    • After May 1968, French intellectuals would challenge the state’s authority to protect minors from sexual abuse. In one prominent example, on January 26, 1977, Le Monde, a French newspaper, published a petition signed by the era’s most prominent intellectuals—including Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Roland Barthes, Philippe Sollers, André Glucksmann and Louis Aragon—in defense of three men on trial for engaging in sexual acts with minors. “French law recognizes in 13- and 14-year-olds a capacity for discernment that it can judge and punish,” the petition stated, “But it rejects such a capacity when the child’s emotional and sexual life is concerned.” Furthermore, the signatories argued, children and adolescents have the right to a sexual life: “If a 13-year-old girl has the right to take the pill, what is it for?” It’s unclear what impact, if any, the petition had. The defendants were sentenced to five years in prison, but did not serve their full sentences.

      In 1979, Liberation published another petition, this time in support of Gérard R., a man on trial for having sex with girls between the ages of six and 12. It was signed by 63 people, many of them well-known intellectuals like Christiane Rochefort and Pascal Bruckner. It argued that the girls in question were “happy” with the situation. “The love of children is also the love of their bodies,” they wrote. “Desire and sexual games have their place in the relationship between children and adults. This is what Gérard R. thought and experienced with [the] girls … whose fulfillment proved to everyone, including their parents, the happiness they found with him.”

      What the endorsements from prominent French intellectuals suggested was that young children possessed a right to govern their own sexuality. Under this interpretation of liberté, young children were empowered to find happiness in sexual relationships; their ability to consent was a foregone conclusion. Any effort to suggest otherwise would be a condescension, a disrespect to them as fully realized human beings. In a radio interview in 1978, Michel Foucault said of sex with minors that assuming “that a child is incapable of explaining what happened and was incapable of giving his consent are two abuses that are intolerable, quite unacceptable.”

      “People have a hard time admitting they were colonized by the discourse of pedocriminals,” Salmona told me. France in the 1970s and 1980s, she said, was an “atrocious” era for children, an active time for a very unapologetic “pedocriminal lobby.”

      Yet it’s hard to know exactly how widespread the so-called pedocriminal lobby’s influence reached. On the one hand, as sociologist and criminologist Patrice Corriveau wrote in 2011, the number of sexual abuse cases involving children in France had been on the rise since 1972. By 1982, he found, sexual offenses against minors had increased by nearly 22 percent—meaning, it seemed as though the stigma against child sex abuse was encouraging victims to come forward. At the same time, while the number of reported cases was on the rise, convictions for homosexual acts with minors were decreasing. As Corriveau explained: “In France … sexual behaviors, homoerotic or not, dropped in importance on the level of judicial intervention as the sexual revolution took hold. In fact, morals offense represented only 0.54 percent of overall criminality in France in 1982.”

      #pedocriminalité #pedosexualité #pedophilie #viol #culture_du_viol #enfance #domination_adulte #domination_masculine #deni #cocorico #liberation_sexuelle #mai68

  • Attivarsi ovunque contro le frontiere assassine

    Guido Viale, presidente dell’#Osservatorio_solidarietà della #Carta_di_Milano, ha aperto i lavori della conferenza Solidarietà attraverso i confini, il 25 marzo a Fa’ la cosa giusta, illustrando semplicemente che la viva voce dei tanti protagonisti presenti avrebbe dato il senso dell’iniziativa oggi ancora più importante dopo il sequestro della nave di Proactivia Openarms operato in dispregio delle leggi italiane e internazionali come atto intimidatorio contro chi nel pieno rispetto delle leggi e dei Diritti umani è impegnato per salvare vite umane che i governi della Fortezza Europa, Italia in testa, vorrebbero si concludessero senza clamore in fondo al mare nostrum. Dopo una sintetica illustrazione di Daniela Padoan delle attività dell’Osservatorio solidarietà e una poesia di Ahmed, letta da Denise Rogers, una ragazza argentina che ha dato voce ai tanti migranti morti, si sono susseguite le testimonianze da Ventimiglia, Bolzano, Lesbo, Atene, Como formando un quadro tragico della situazione ma dimostrando anche che c’è un’Europa della solidarietà e dei diritti che lotta contro leggi e governi custodi implacabili di frontiere assassine.

    https://ecoinformazioni.wordpress.com/2018/03/25/attivarsi-ovunque-contro-le-frntiere-assassine

    #solidarité #mer #terre #Méditerranée #Alpes #frontière_sud-alpine #criminalisation_de_la_solidarité #délit_de_solidarité #sauvetage

    J’aimerais ici reprendre les propos de Charles Heller, qui ont été publié dans une interview dans Libé :

    Ceux qui ont imposé le contrôle des frontières de l’espace européen utilisent le terme de #integrated_border_management, la « #gestion_intégrée_des_frontières » : il ne suffit pas de contrôler la limite de la frontière territoriale, il faut contrôler avant, sur et après la frontière. La violence du contrôle s’exerce sur toute la trajectoire des migrants. De la même manière, les pratiques de solidarité, plus ou moins politisées, s’exercent sur l’ensemble de leur trajectoire. On pourrait imaginer une « #solidarité_intégrée », qui n’est pas chapeautée par une organisation mais qui de fait opère, petit bout par petit bout, sur les trajectoires.

    https://www.pacte-grenoble.fr/sites/pacte/files/files/liberation_20171215_15-12-2017-extrait.pdf
    cc @isskein

    • Crimes of solidarity. Migration and containment through rescue

      ‘Solidarity is not a crime.’ This is a slogan that has circulated widely across Europe in response to legal prosecutions and municipal decrees, which, especially in Italy and France, have been intended to act against citizens who provide logistical and humanitarian support to transiting migrants. Such criminalisation of individual acts of solidarity and coordinated platforms of refugee support is undertaken both in the name of national and European laws, in opposition to the facilitation of irregular entries, and through arbitrary police measures. In Calais on the French coast, for example, locals have been prohibited from allowing migrants to take showers in their homes or to recharge their mobile phones, while in the Roya Valley at the Italian-French border, many locals have been placed on trial, including the now famous ploughman Cedric Herrou. Responding to accusations that he has been one of the main facilitators along the French-Italian underground migrant route, Herrou has replied that ‘it is the State that is acting illegally, not me’, referring to the French State’s own human rights violations. 1

      ‘Crimes of solidarity’, to use the expression employed by activists and human rights organisations, are defined and prosecuted according to the 2002 EU Directive which prevents and penalises ‘the facilitation of unauthorised entry, transit and residence’ of migrants. In both Italy and France there are national laws that criminalise the facilitation and the support of ‘irregular’ migration; what in France activists call ‘délit de solidarité’. Notably, citizens who help migrants to cross national borders are prosecuted in Italy under the same law that punishes smugglers who take money from migrants. In France, the ‘humanitarian clause’, which exempts from sanctions citizens who support migrants whose life, dignity and physical integrity is at risk, is often disregarded. Nonetheless, the expression ‘crimes of solidarity’ should not lead us to overstate the legal dimension of what is at stake in this. Indeed, the ‘crime’ that is posited here goes well beyond the legal boundaries of European law, as well as national ones, and acquires an ethical and political dimension. In particular, the criminalisation of individuals and groups who are facilitating the crossing of migrants, without making a profit from doing so, opens up the critical question of exactly ‘who is a smuggler?’ today. Significantly, the very definition of ‘smuggling’ in European and international documents is a fairly slippery one, as the boundaries between supporting migrants for one’s own financial benefit or for ‘humanitarian’ reasons are consistently blurred. 2

      In a 1979 interview, Michel Foucault stressed the potential strategic role that might be played by ‘rights’ to ‘mark out for a government its limit’. 3 In this way, Foucault gestured towards an extralegal conceptualisation and use of rights as actual limits to be set against governments. In the case of crimes of solidarity, we are confronted less, however, with the mobilisation of rights as limits to states’ action than with what Foucault calls ‘infra-legal illegalisms’; 4 namely, with practices of an active refusal of states’ arbitrary measures that are taken in the name of migration containment, regardless of whether or not the latter are legally grounded or in violation of the law.

      NGOs and independent organisations that undertake search and rescue activities to save migrants in the Mediterranean have also been under attack, accused of collaborating with smuggling networks, of constituting a pull-factor for migrants, and of ferrying them to Europe. Three years after the end of the military-humanitarian operation Mare Nostrum, which was deployed by the Italian Navy to save migrant lives at sea, the Mediterranean has become the site of a sort of naval battle in which the obligation to rescue migrants in distress is no longer the priority. The fight against smugglers and traffickers has taken central stage, and the figure of the shipwrecked refugee has consequently vanished little by little. Today, the war on smugglers is presented as the primary goal and, at the same time, as a strategy to protect migrants from ‘traffickers’. The criminalisation of NGOs, like Doctors without Borders, Save the Children and SOS Mediterranee, and of independent actors, including Sea-Eye, Sea-Watch, Jugend-Rettet and Arms Pro-Activa, who conduct search and rescue operations, started with the simultaneous implementation of the Libyan mobile sea-barrier, which charges the Libyan Coast Guard with responsibility for intercepting migrant vessels and bringing them back to Libya. As a consequence of this agreement, being rescued means being captured and contained.

      Following the signing of a new bilateral agreement between Libya and Italy in March 2017, in July, the Italian government put pressure on one of the three Libyan governments (the one led by Fayez al-Serraj) demanding better cooperation in intercepting and returning migrants who head to Europe by sea. In order to accelerate this process, Italy sent two Navy ships into Libyan national waters, with the purpose of ‘strengthening Libyan sovereignty by helping the country to keep control of its national waters’. 5

      Far from being a smooth negotiation, however, the Libyan government led by General Khalifa Haftar threatened to shoot in the direction of the Italian ships if they were to violate Libya’s sovereignty by entering their national territory. 6

      Overall, the ‘migration deal’ has been made by the EU and Italy in the context of different asymmetric relationships: on the one hand, with a ‘rogue state’ such as Libya, characterised by a fragmented sovereignty, and on the other, with non-state actors, and more precisely with the same smugglers that Europe has supposedly declared war on. Indeed, as various journalistic investigations have proved, Italy has paid Libyan militias and smuggling networks to block migrants’ departures temporarily in exchange for fewer controls on other smuggling channels, specifically those involving drugs and weapons. In this way, smugglers have been incorporated into a politics of migration containment. Governing migration through and with smugglers has become fully part of the EU’s political agenda. As such, a critical appraisal of the criminalisation of migrant smuggling requires undoing the existing narrative of a war on smugglers, as well as challenging those analyses that simply posit smugglers as the straightforward enemies of society.

      The naval battle in the Mediterranean has not been an exclusive affair of Italy and Libya. On the contrary, it is within this type of geopolitical context that the escalating criminalisation of sea rescue is more broadly taking place. 7 On July 31, at the request of the European Commission, the Italian Home Office released a ‘Code of Conduct’ that NGOs have been asked to sign if they want to continue search and rescue activities. Given that the code of conduct imposes on NGOs the obligation to have armed judicial police on board, 8 some organisations, including Doctors without Borders, Sea Watch and Jugend Rettet, have refused to sign, arguing that through the enforcement of the Code of Conduct, and under pressure from the European Commission, Italy has turned towards a militarisation of humanitarianism and of independent actors. As a consequence of the refusal to sign, their ships have been prevented from docking in Italian ports and the rescuers of the Jugend Rettet are currently on trial, accused of collaborating with Libyan smugglers. On August 11, Libya traced new virtual restrictive sea borders for NGOs, declaring that search and rescue ships will not be allowed to get closer than one hundred miles from the Libyan coast. The humanitarian scene of rescue has been shrunk.

      In such a political context, two interrelated aspects emerging from the multiplication of attacks against refugee support activities and against search and rescue operations are worth considering. The first concerns a need to unpack what is now meant by the very expression ‘crime of solidarity’ within the framework of this shift towards the priority of fighting smugglers over saving migrants. This requires an engagement with the biopolitical predicaments that sustain a debate centered on the question of to what extent, and up to which point, rescuing migrants at sea is deemed legitimate. The second, related point concerns the modes of containment through rescue that are currently at work in the Mediterranean. One consequence of this is that the reframing of the debate around migrant deaths at sea has lowered the level of critique of a contemporary politics of migration more generally: the fight against smugglers has become the unquestioned and unyielding point of agreement, supported across more or less the entire European political arena.

      The criminalisation of NGOs, accused of ferrying migrants to Europe, should be read in partial continuity with the attack against other forms of support given to migrants in many European countries. The use of the term ‘solidarity’ is helpful in this context insofar as it helps to highlight both actions undertaken by citizens in support of refugees and, more importantly, the transversal alliances between migrants and non-migrants. In fact, acting in solidarity entails supporting migrant struggles – for example, as struggles for movement or struggles to stay in a certain place – more than it does acting in order to save or bring help to them. 9 As Chandra Mohanty argues, practices of solidarity are predicated upon the recognition of ‘common differences’, 10 and in this sense they entail a certain shared political space and the awareness of being governed by the same mechanisms of precaritisation and exploitation. 11 In other words, solidarity does not at all imply a simple politics of identity, but requires building transversal alliances and networks in support of certain struggles. The reduction of migrants to bodies to be fished out of the water, simultaneous with the vanishing of the figure of the refugee, preemptively denies the possibility of establishing a common ground in struggling for freedom of movement and equal access to mobility.

      Despite the many continuities and similarities between the criminalisation of refugee support activities on the mainland and at sea, if we shift the attention to the Mediterranean Sea, what is specifically at stake here is a biopolitics of rescuing or ‘letting drown’. Under attack in the Mediterranean scene of rescue and drowning are what could be termed crimes of humanitarianism; or, that is, crimes of rescue. Humanitarianism as such, precisely in its acts of taking migrants out of the sea through independent search and rescue operations that exercise an active refusal of the geographical restrictions imposed by nation states, has become an uncomfortable and unbearable mode of intervention in the Mediterranean.
      Geographies of ungrievability

      The criminalisation of alliances and initiatives in support of migrants’ transit should not lead us to imagine a stark opposition between ‘good humanitarians’, on the one side, and bad military actors or national authorities, on the other. On the contrary, it is important to keep in mind the many entanglements between military and humanitarian measures, as well as the role played by military actors, such as the Navy, in performing tasks like rescuing migrants at sea that could fall under the category of what Cuttitta terms ‘military-humanitarianism’. 12 Moreover, the Code of Conduct enforced by the Italian government actually strengthens the divide between ‘good’ NGOs and ‘treacherous’ humanitarian actors. Thus, far from building a cohesive front, the obligation to sign the Code of Conduct produced a split among those NGOs involved in search and rescue operations.

      In the meantime, the figure of the refugee at sea has arguably faded away: sea rescue operations are in fact currently deployed with the twofold task of not letting migrants drown and of fighting smugglers, which de facto entails undermining the only effective channels of sea passage for migrants across the Mediterranean. From a military-humanitarian approach that, under Mare Nostrum, considered refugees at sea as shipwrecked lives, the unconditionality of rescue is now subjected to the aim of dismantling the migrants’ logistics of crossing. At the same time, the migrant drowning at sea is ultimately not seen any longer as a refugee, i.e. as a subject of rights who is seeking protection, but as a life to be rescued in the technical sense of being fished out of the sea. In other words, the migrant at sea is the subject who eventually needs to be rescued, but not thereby placed into safety by granting them protection and refuge in Europe. What happens ‘after landing’ is something not considered within the framework of a biopolitics of rescuing and of letting drown. 13 Indeed, the latter is not only about saving (or not saving) migrants at sea, but also, in a more proactive way, about aiming at human targets. In manhunting, Gregoire Chamayou explains, ‘the combat zone tends to be reduced to the body of the enemy’. 14 Yet who is the human target of migrant hunts in the Mediterranean? It is not only the migrant in distress at sea, who in fact is rescued and captured at the same time; rather, migrants and smugglers are both considered the ‘prey’ of contemporary military-humanitarianism.

      Public debate in Europe about the criminalisation of NGOs and sea rescue is characterised by a polarisation between those who posit the non-negotiable obligation to rescue migrants and those who want to limit rescue operations in the name of regaining control over migrant arrivals, stemming the flows and keeping them in Libya. What remains outside the order of this discourse is the shrinking and disappearing figure of the refugee, who is superseded by the figure of the migrant to be taken out of the sea.

      Relatedly, the exclusive focus on the Mediterranean Sea itself contributes to strengthening geographies of ungrievability. By this I mean those produced hierarchies of migrant deaths that are essentially dependent on their more or less consistent geographic distance from Europe’s spotlight and, at the same time, on the assumption of shipwrecked migrants as the most embodied refugee subjectivities. More precisely, the recent multiplication of bilateral agreements between EU member states and African countries has moved back deadly frontiers from the Mediterranean Sea to the Libyan and Niger desert. As a consequence, migrants who do not die at sea but who manage to arrive in Libya are kept in Libyan prisons.
      Containment through rescue

      On 12 August 2017, Doctors without Borders decided to stop search and rescue operations in the Mediterranean after Libya enforced its sea-barrier by forbidding NGOs to go closer than about one hundred miles from the Libyan coast, and threatening to shoot at those ships that sought to violate the ban. In the space of two days, even Save the Children and the independent German organisation Sea-Eye declared that they would also suspend search and rescue activities. The NGOs’ Mediterranean exit has been presented by humanitarian actors as a refusal to be coopted into the EU-Libyan enforcement of a sea barrier against migrants. Yet, in truth, both the Italian government and the EU have been rather obviously pleased by the humanitarians’ withdrawal from the Mediterranean scene of drown and rescue.

      Should we therefore understand the ongoing criminalisation of NGOs as the attempt to fully block migrant flows? Does it indicate a return from the staging of a ‘good scene of rescue’ back to an overt militarisation of the Mediterranean? The problem is that such an analytical angle risks, first, corroborating the misleading opposition between military intervention and humanitarianism in the field of migration governmentality. Second, it re-instantiates the image of a Fortress Europe, while disregarding the huge ‘migration industry’ that is flourishing both in Libya, with the smuggling-and-detention market, and on the Northern shore of the Mediterranean. 15 With the empty space left by the NGOs at sea, the biopolitics of rescuing or letting drown has been reshaped by new modes of containment through rescue: migrants who manage to leave the Libyan coast are ‘rescued’ – that is, intercepted and blocked – by the Libyan Coast Guard and taken back to Libya. Yet containment should not be confused with detention nor with a total blockage of migrants’ movements and departures. Rather, by ‘containment’ I refer to the substantial disruptions and decelerations of migrant movements, as well as to the effects of more or less temporary spatial confinement. Modes of containment through rescue were already in place, to some extent, when migrants used to be ‘ferried’ to Italy in a smoother way, by the Navy or by NGOs. Indeed, from the moment of rescue onward, migrants were transferred and channelled into the Hotspot System, where many were denied international protection and, thus, rendered ‘illegal’ and constructed as deportable subjects. 16 The distinction between intercepting vessels sailing to Europe and saving migrants in distress has become blurred: with the enforcement of the Libyan sea barrier, rescue and capture can hardly be separated any longer. In this sense, visibility can be a trap: if images taken by drones or radars are sent to Italian authorities before migrants enter international waters, the Italian Coast Guard has to inform Libyan authorities who are in charge of rescuing migrants and thus taking them back to Libya.

      This entails a spatial rerouting of military-humanitarianism, in which migrants are paradoxically rescued to Libya. Rather than vanishing from the Mediterranean scene, the politics of rescue, conceived in terms of not letting people die, has been reshaped as a technique of capture. At the same time, the geographic orientation of humanitarianism has been inverted: migrants are ‘saved’ and dropped in Libya. Despite the fact that various journalistic investigations and UN reports have shown that after being intercepted, rescued and taken back to Libya, migrants are kept in detention in abysmal conditions and are blackmailed by smugglers, 17 the public discussion remains substantially polarised around the questions of deaths at sea. Should migrants be saved unconditionally? Or, should rescue be secondary to measures against smugglers and balanced against the risk of ‘migrant invasion’? A hierarchy of the spaces of death and confinement is in part determined by the criterion of geographical proximity, which contributes to the sidelining of mechanisms of exploitation and of a politics of letting die that takes place beyond the geopolitical borders of Europe. The biopolitical hold over migrants becomes apparent at sea: practices of solidarity are transformed into a relationship between rescuers and drowned. 18

      The criminalisation of refugee support activities cannot be separated from the increasing criminalisation of refugees as such: not only those who are labelled and declared illegal as ‘economic migrants’, but also those people who are accorded the status of refugees. Both are targets of restrictive and racialised measures of control. The migrant at sea is presented as part of a continuum of ‘tricky subjectivities’ 19 – which include the smuggler, the potential terrorist and the refugee – and as both a ‘risky subject’ and a ‘subject at risk’ at the same time. 20 In this regard, it is noticeable that the criminalisation of refugees as such has been achieved precisely through the major role played by the figure of the smuggler. In the EU’s declared fight against smuggling networks, migrants at sea are seen not only as shipwrecked lives to be rescued but also as potential fake refugees, as concealed terrorists or as traffickers. At the same time, the fight against smugglers has been used to enact a further shift in the criminalisation of refugees, which goes beyond the alleged dangerousness of migrants. Indeed, in the name of the war against the ‘illegal’ smuggling economy, as a shared priority of both left- and right-wing political parties in Europe, the strategy of letting migrants drown comes, in the end, to be justified. As Doctors without Borders have pointed out, ‘by declaring Libya a safe country, European governments are ultimately pushing forward the humanitarianisation of what appears at the threshold of the inhuman.’ 21

      The migrant at sea, who is the subject of humanitarianism par excellence, is no longer an individual to be saved at all costs, but rather the object of thorny calculations about the tolerated number of migrant arrivals and the migrant-money exchange with Libya. Who is (in) danger(ous)? The legal prosecutions and the political condemnation of ‘crimes of rescue’ and of ‘crimes of solidarity’ bring to the fore the undesirability of refugees as refugees. This does not depend so much on a logic of social dangerousness as such, but, rather, on the practices of spatial disobedience that they enact, against the restrictions imposed by the European Union. Thus, it is precisely the irreducibility of migrants to lives to be rescued that makes the refugee the main figure of a continuum of tricky subjectivities in a time of economic crisis. Yet, a critical engagement with the biopolitics of rescuing and drowning cannot stick to a North-South gaze on Mediterranean migrations. In order not to fall into a Eurocentric (or EU-centric) perspective on asylum, analyses of crimes of solidarity should also be articulated through an inquiry into the Libyan economy of migration and the modes of commodification of migrant bodies, considering what Brett Neilson calls ‘migration as a currency’; 22 that is, as an entity of exchange and as a source of value extraction.

      Crimes of solidarity put in place critical infrastructures to support migrants’ acts of spatial disobedience. These infra-legal crimes shed light on the inadequacy of human rights claims and of the legal framework in a time of hyper-visible and escalating border violence. Crimes of solidarity consist of individual and collective active refusals of states’ interventions, which are specifically carried out at the very edges of the law. In this way, crimes of solidarity manage to undo the biopolitics of rescuing and letting drown by acting beyond the existing scripts of ‘crisis’ and ‘security’. Rather than being ‘rescued’ from the sea or ‘saved’ from smugglers, migrants are supported in their unbearable practices of freedom, unsettling the contemporary hierarchies of lives and populations.
      Notes

      See the interview with Herrou in l’Humanité, accessed 30 September 2017, https://www.humanite.fr/cedric-herrou-cest-letat-qui-est-dans-lillegalite-pas-moi-629732. ^

      Economic profit is an essential dimension of ‘smuggling’, as it is defined by the United Nations Conventions against Transnational Organised Crime (2000). However, it is not in the 2002 EU Council Directive defining the facilitation of unauthorised entry, transit and residence. ^

      Michel Foucault, ‘There can’t be societies without uprisings’, trans. Farès Sassine, in Foucault and the Making of Subjects, ed. Laura Cremonesi, Orazio Irrera, Daniele Lorenzini and Martina Tazzioli (London: Rowman & Littlefield, 2016), 40. ^

      See Michel Foucault, The Punitive Society: Lectures at the Collège de France, 1972-1973, trans. Graham Burchell (Houndmills and New York: Palgrave, 2015). ^

      See ‘Il governo vara la missione navale, prima nave italiana in Libia’, La Stampa, 18 July 2017, http://www.ilsecoloxix.it/p/italia/2017/07/28/ASBvqlaI-parlamento_missione_italiana.shtml. ^

      See, for example, the report in Al Arabiya, 3 August 2017, http://english.alarabiya.net/en/News/middle-east/2017/08/03/Haftar-instructs-bombing-Italian-warships-requested-by-Fayez-al-S ^

      See Liz Fekete, ‘Europe: crimes of solidarity’, Race & Class 50:4 (2009), 83 – 97; and Eric Fassin, ‘Le procès politique de la solidarité (3/4): les ONG en Méditerranée’ (2017), Mediapart, accessed 30 September 2017, https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/170817/le-proces-politique-de-la-solidarite-34-les-ong-en-mediterranee ^

      The Code of Conduct can be found at: http://www.interno.gov.it/sites/default/files/allegati/codice_condotta_ong.pdf; see also the transcript by Euronews, 3 August 2017, http://www.euronews.com/2017/08/03/text-of-italys-code-of-conduct-for-ngos-involved-in-migrant-rescue ^

      Sandro Mezzadra and Mario Neumann, ‘Al di la dell’opposizione tra interesse e identità. Per una politica di classe all’altezza dei tempi’ (2017), Euronomade, accessed September 30 2017, http://www.euronomade.info/?p=9402 ^

      Chandra Mohanty, “‘Under western eyes’’ revisited: feminist solidarity through anticapitalist struggles’, in Signs: Journal of Women in Culture and Society 28:2 (2003), 499-–535. ^

      As Foucault puts it, ‘In the end, we are all governed, and in this sense we all act in solidarity’. Michel Foucault, ‘Face aux gouvernement, les droits de l’homme’, in Dits et Ecrits II (Paris: Gallimard, 2000), 1526. ^

      P. Cuttitta, ‘From the Cap Anamur to Mare Nostrum: Humanitarianism and migration controls at the EU’s Maritime borders’, in The Common European Asylum System and Human Rights: Enhancing Protection in Times of Emergency, ed. Claudio Matera and Amanda Taylor (The Hague: Asser Institute, 2014), 21–-38. See also Martina Tazzioli, ‘The desultory politics of mobility and the humanitarian-military border in the Mediterranean: Mare Nostrum beyond the sea’, REMHU: Revista Interdisciplinar da Mobilidade Humana 23:44 (2015), 61-–82. ^

      See Lucia Ciabarri and Barbara Pinelli, eds, Dopo l’Approdo: Un racconto per immagini e parole sui richiedenti asilo in Italia (Firenze: Editpress, 2016). ^

      Gregoire Chamayou, ‘The Manhunt Doctrine’, Radical Philosophy 169 (2011), 3. ^

      As a matter of fact, the vessels of the EU naval operation EU Navfor Med and the vessels of the Frontex operation ‘Triton’ were increased in number a few days after the pull-out of the NGOs. ^

      Nicholas De Genova, ‘Spectacles of migrant “illegality”: the scene of exclusion, the obscene of inclusion’, Ethnic and Racial Studies 36:7 (2013), 1180-–1198. ^

      See, for instance, the UN Report on Libya (2017), accessed 30 September 2017,http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1711623.pdf. ^

      Tugba Basaran, ‘The saved and the drowned: Governing indifference in the name of security’, Security Dialogue 46:3 (2015), 205 – 220. ^

      Glenda Garelli and Martina Tazzioli, ‘The Biopolitical Warfare on Migrants: EU Naval Force and NATO Operations of migration government in the Mediterranean’, in Critical Military Studies, forthcoming 2017. ^

      Claudia Aradau, ‘The perverse politics of four-letter words: risk and pity in the securitisation of human trafficking’, Millennium 33:2 (2004), 251-–277. ^

      Interview with Doctors without Borders, Rome, 21 August 2017. ^

      Brett Neilson, ‘The Currency of Migration’, in South Atlantic Quarterly, forthcoming 2018.

      https://www.radicalphilosophy.com/commentary/crimes-of-solidarity

      signalé par @isskein sur FB

  • Michel Foucault et le procès de notre monde moderne (http://lesaker...
    https://diasp.eu/p/6983416

    Michel Foucault et le procès de notre monde moderne

    Par Nicolas Bonnal – Le 26 mars 2017 – Source nicolasbonnal.wordpress.com

    Plus personne ne conteste que nous vivons dans des sociétés de vigilance et de surveillance. Le pouvoir bienveillant, tutélaire et doux peut désormais tout contrôler avec les progrès de la technologie et le déclin de la réactivité des populations. Le terrorisme, la dette ou la Russie serviront de croquemitaine. Bernanos écrivait en 1945 :

    « Aujourd’hui l’exception est devenue la règle, la Démocratie mobilise tout, hommes, femmes, enfants, animaux et machines, sans même nous demander de trinquer à sa santé. »

    Évoquons Michel Foucault. On le prend pour le maître à penser de tous ceux qui au pouvoir achèvent de replâtrer notre société. En réalité, en le relisant, je me rends compte (...)

  • « Vivez à vos risques et périls, mais vivez dociles et prévisibles »

    Le grand détournement néolibéral de Foucault.

    Entretien avec Valérie Marange

    Par Bruno Thomé et Nathalia Kloos

    http://jefklak.org/vivez-a-vos-risques-et-perils-mais-vivez-dociles-et-previsibles

    Valérie Marange, philosophe, psychanalyste et praticienne Feldenkrais, a participé aux mouvements d’intermittents et précaires. Dans « L’éthique du bouffon » en 2001 puis dans « L’intermittent et l’immuable » en 2007, elle analyse les falsifications des idées de Michel Foucault opérées par deux bouffons du néolibéralisme : François Ewald, ancien assistant du philosophe et colégataire de son œuvre, et Denis Kessler, alors no 2 du Medef. Leur article « Les noces du risque et de la politique » pose les bases de la contre-réforme de la protection sociale portée par l’organisation patronale pendant les années 2000, avec l’aide de ses alliés syndicaux – CFDT en tête. Ils y font l’éloge de l’« économie politique du risque » et d’une éthique travailliste où le contrat social « trouve sa vérité dans l’assurance ». Retour sur l’individualisation de la responsabilité et le gouvernement par la peur que véhicule l’idéologie néolibérale du risque.

    • D’ores et déjà, tu n’as pas du tout le même accès aux mutuelles selon l’âge, les antécédents médicaux… Pour les prêts immobiliers, n’en parlons pas. C’est ça aussi, l’idéologie du risque : s’assurer de conduites très régulières, très normées, au nom de la prévention du risque. Le discours sur le risque est truffé d’injonctions paradoxales : « Vivez à vos risques et périls, mais vivez docile et prévisible. » Et surtout il « dés-écologise » la notion de risque, puisque l’enjeu, c’est l’imputation des risques : tu assumes la responsabilité des risques que tu prends, tu ne vas tout de même pas la faire porter à quelqu’un d’autre ! Encore moins à la société ! On va donc chercher à débusquer tout ce qui est de ton niveau de responsabilité, tout ce que ne va pas couvrir l’assurance. Le mot « risque » est mis en exergue pour ce qu’il véhicule de positif, le côté chevaleresque, héroïque… Cela peut tenter un certain nombre de gens : « C’est glorieux de vivre dans le risque ! » Mais en réalité, ce n’est pas du tout ce qui est attendu. Ce qui est attendu, c’est de tenir ses promesses, c’est-à-dire de se comporter de manière responsable, comme quand tu as contracté une assurance : tu as lu le contrat d’un bout à l’autre, tu sais précisément dans quoi tu t’es engagé, à quoi t’en tenir si tu prends des risques inappropriés – par exemple, boire au volant.

      Cette notion de responsabilité implique autre chose dont on ne parle pas souvent, mais qui est central dans la gouvernance actuelle : la question de la subsidiarité. C’est-à-dire à quelle échelle placer telle ou telle responsabilité : qui est responsable de quoi ? Cette notion de subsidiarité est par exemple utilisée par les institutions européennes : qu’est-ce qui dépend de l’Europe ? Tout ce qui ne dépend pas d’échelons en dessous. Et quels sont ces échelons ? L’État national, la région, le département, le canton, la commune et, au bout du compte, l’individu lui-même – la plus petite unité de subsidiarité.

      La refondation sociale, pensée contre la prétendue « démoralisation » induite par la couverture sociale collective, est une individualisation extrême de la responsabilité et de la prise de risque. Chacun devrait être un système quasi autosuffisant, ce qui veut dire, paradoxalement, bien adapté, bien branché à la machine globale dont on est tous invité à être dépendant. Parce qu’en revanche, quand tu veux effectivement travailler de manière vraiment autonome, c’est quand même un petit peu compliqué. Je le dis en connaissance de cause, parce que je fais partie de la seule profession libérale qui n’est pas réglementée, la psychanalyse. Ce qui est absolument une survivance – et qui n’est garantie que parce qu’il y a des lacaniens très méchants qui ont montré les dents au moment où l’État a voulu réglementer, et même interdire une pratique qui ne se laisse pas décrire par des protocoles de type industriel. En réalité, la vraie prise de risques, au sens noble de l’engagement sans s’abriter derrière une autorité, est pour ainsi dire proscrite dans nos systèmes de plus en plus réglementés et protocolisés, notamment dans le secteur de la santé.

  • Comment “Envoyé spécial” a réussi à décrocher la première interview télé de Julien Coupat - Télérama.fr
    http://www.telerama.fr/medias/comment-envoye-special-a-reussi-a-decrocher-la-premiere-interview-tele-de-j

    Comment avez-vous réussi à convaincre Julien Coupat de témoigner devant une caméra ?

    Je suis l’affaire Tarnac depuis les débuts. Quand je travaillais encore à TF1, en 2009, j’avais tourné en caméra cachée l’interview du fameux « témoin 42 », cette personne qu’on avait forcée à signer une fausse déposition accusant Julien Coupat d’être à la tête d’une organisation terroriste. Je l’ai régulièrement relancé depuis, au gré des événements judiciaires. Il a fini par accepter, à la veille de son procès. Cela donne selon moi une vraie rencontre avec un vrai personnage.

    A-t-il exigé des conditions particulières ?

    Oui. Il souhaitait être accompagné par Mathieu Brunel, un de ses camarades du groupe Tarnac (1). Julien Coupat défend le principe de l’horizontalité et ne veut pas apparaître seul et comme étant le chef. Il estime aussi ne pas être un grand orateur, et ça le rassure d’avoir quelqu’un à ses côtés pour éventuellement compléter ses réponses ou son discours. Ils sont venus avec un pense-bête de neuf pages ! Il se place dans une posture complexe.

    Des questions anodines peuvent lui paraître très agressives. A un moment de l’entretien, j’emploie le mot « coïncidence » : il décrypte le terme, mais ne répondra pas à la question. Il ne veut pas s’exprimer sur le fond. Il est très méfiant vis-à-vis des médias et de la télévision. Mais je crois qu’il a compris l’intérêt de notre démarche, que ce n’était pas une interview classique mais davantage un échange où il avait la possibilité de revenir sur les zones d’ombre de l’enquête.

    Qu’apprend-on qui ne soit pas déjà connu de ceux qui ont suivi l’affaire ?

    On n’apporte pas de nouveaux éléments au dossier proprement dit. On rafraîchit simplement la mémoire de ceux qui connaissent peu ou mal l’affaire #Tarnac tout en racontant la fabrique d’un suspect idéal. Julien Coupat s’exprime pendant plus de la moitié du reportage, qui dure trente minutes. Il refuse de clamer son innocence, dans la plus pure tradition anarchiste. Et cite Michel Foucault, fait part de sa vision du monde, parle des zadistes, etc. Pour nous, le pari était de garder toute la complexité intellectuelle du personnage tout en rendant le sujet intelligible et intéressant pour le grand public. Le montage n’a pas été facile.

  • Clémentine Mélois, l’artiste qui a épilé « l’Origine du monde »
    https://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20180208.OBS1937/clementine-melois-l-artiste-qui-a-epile-l-origine-du-monde.html

    Clémentine Mélois « n’aimerai[t] pas l’idée d’exposer uniquement en galerie ». Elle a pensé son travail en trois axes : outre les expositions, il y a « les livres, disponibles en librairie, dans lesquels on trouve un jeu sur le péritexte, et Facebook, où tout est gratuit et libre d’être repris. Ce n’est finalement pas très éloigné de mon expérience de la lithographie, basée sur le multiple et sur la diffusion. »

    En Facebook, elle voit « un endroit de contact ». Qui ne touche pas toujours les mêmes communautés. Quand elle imagine Michel Foucault vendre des sous-pulls en polyamide dans un catalogue type La Redoute, elle met en émoi le milieu académique.
    "Le philosophe Mathieu Potte-Bonneville m’a rapporté que Paul Rabinow, spécialiste américain de Foucault, lui a envoyé le détournement avec la mention : "Is this for real ?" (c’est pour de vrai ?) » "


    Une autre fois, elle se moque des émissions de survie en imaginant un kit « Ma bite et mon couteau » sponsorisée par le présentateur Bear Grylls. « Ça a beaucoup circulé chez les parachutistes… »

    Facebook lui a même permis de faire des rencontres, comme l’auteur de la couverture de « Vol de nuit » de Saint-Exupéry qu’elle a rebaptisé « Saint-Exaspéré ». « C’était une rencontre formidable, il m’a raconté comment il avait travaillé au feutre à alcool. » Elle boucle même la boucle en revoyant la dame de Gallimard qui lui a remis son prix à 9 ans. Sans oublier que c’est précisément grâce au réseau social qu’elle a été repérée par Charles Dantzig et publiée chez Grasset. Elle lui a rendu hommage en transformant « Dictionnaire égoïste de la littérature française » en « Dictionnaire égoïste de la variété française », de Charles Dancing.

    Fouiller dans son compte Facebook, c’est un peu comme chercher dans une malle aux trésors : tout y est motif d’émerveillement parmi ces idées à la fois malines, drôles et familières. On s’incline par exemple devant « Foufoune tendance », roman-photo qui associe images issues de « Nous Deux » et dialogues originaux de « Barbie magazine ».

    En dehors de Facebook, Clémentine Mélois a une année chargée. Elle travaille à la fois sur un album pour enfants, un nouveau livre chez Grasset et un volume de La Petite Bédéthèque des Savoirs du Lombard sur le roman-photo, avec Jan Baetens. Depuis juin dernier, elle a été cooptée à l’Ouvroir de ­littérature potentielle (Oulipo), où elle a rencontré des gens avec lesquels elle se sent « en phase ».

    L’Oulipo : le cercle des poètes farfelus

    Pour entrer à l’Oulipo, il ne faut pas proposer sa candidature. Mais Mélois avait tout pour séduire ces farfelus du verbe, dont son dernier ouvrage, « Sinon j’oublie » (Grasset), une fantaisie autour de « l’infra-ordinaire » chère à Perec. Elle parvient à y faire émerger de la poésie de la liste de commissions. Se basant sur 99 listes issues de sa collection personnelle, elle imagine les confidences de leurs auteurs : celle qui s’inflige un régime à base de saucisses, celui qui drague dans les rayons de Mr. Bricolage, ou ce couple qui croule sous « sept crédits conso ». Un ensemble irrésistible.

    Pour mieux « stimuler la racontouze » (Perec, encore), la jeune femme s’est fixé des contraintes strictes. « Il fallait utiliser un élément de la liste de courses, une catégorie de population, et un sujet de préoccupation ordinaire ». Elle s’est inspirée d’un exercice appelé la Polygraphie du cavalier (Perec, toujours), dans lequel le cavalier doit parcourir tout l’échiquier sans passer deux fois par la même case. On s’étonne, on se gratte la tête, mais Clémentine Mélois nous rassure : « C’est vraiment un truc de tordu ! ».

    Amandine Schmitt

    Clémentine Mélois
    De deux choses l’une
    Du 8 février au 24 mars 2018
    Galerie Lara Vincy
    47 rue de Seine, 75006 Paris
    lara-vincy.com

  • l’incroyable film de Guillaume Massart sur Casabianda passe à la Maison de la Grève en avant-première, à Rennes.
    Voici l’annonce publié par les camarades de la MG pour vous présenter cette journée de rencontre et de projection qui promet d’être exceptionnelle :

    « Projection du dernier film de Guillaume Massart : "La liberté", Mardi 30 janvier à 17h30

    En présence de l’auteur Durée : 2h26 (plus d’info dessous et sur le site de tryptique film : triptyquefilms.chez.com/la_liberte.html)

    La projection commencera à 17h30. Elle sera accompagnée d’un repas. La journée se terminera avec la projection d’un des ancien films de Guillaume Massart : "Fleurs sauvages" (durée 40 min)

    "La liberté"

    Environ 130 hommes, condamnés majoritairement pour infraction sexuelle intrafamiliale, sont incarcérés dans le Centre de Détention de Casabianda, en Corse. Ils passent les dernières années de leurs longues peines à travailler sur les 1500 hectares de champs bordés de mer de la seule prison dite « ouverte » de France.

    Devant le jeune homme à la caméra, quelques-uns décident de briser le quatrième mur... Enlevez les murs et la prison n’a plus de bornes, s’étend à perte de vue, devient l’arrière-plan de tout. C’est ainsi que, même ouverte, elle persiste. Une présence étrangère, la mienne, y demeure une anomalie. Aussi, très vite, les personnes détenues viennent me parler : l’échange, d’ordinaire, manque cruellement en prison. Ensemble, nous inventons une liberté de parole. Au détour de conversations d’abord banales, surgissent sans prévenir leurs souffrances, leurs espoirs, leurs culpabilités. Simplement. Chaleureusement. Il arrive même qu’on rie ensemble. Régulièrement, j’en ai le vertige. Parfois, ils décident de me parler de ce qui les a conduits en prison : leur crime d’inceste. Ce crime qui condamne à jamais ; ce « poison », comme dira l’un d’eux, qu’ils ont transmis à leurs enfants. Ce tabou, dont l’évocation rend nauséeux. Je sais avec qui je passe mon temps. Je sais combien ces « hommes infâmes » — pour reprendre l’expression de Michel Foucault — sont pour beaucoup des « infréquentables ».

    Comment écouter cette parole ? Comment faire ce pas de côté nécessaire à la compréhension de l’autre, de celui que la société à laquelle j’appartiens a décidé d’exclure ? Et, puisque je l’écoute, est-ce à dire que je suis prêt à l’inclure de nouveau ?"

    "Fleurs sauvages" :

    Depuis une trentaine d’années, l’anthropologue et psychologue Pierre-Jacques Dusseau sort des prisons dans lesquelles il travaille des objets fabriqués par les détenus. Ces créations, rejetées par les musées, séjournent dans son grenier et donnent un éclairage différent sur l’univers carcéral."