Je vous propose un long article du journal espagnol en ligne El Confidencial qui est un organe de presse politiquement situé au centre droit.
Cet article où on sent bien l’attachement à l’unité de l’Espagne mise à mal par divers séparatismes dont le plus puissant s’exprime en Catalogne, nous parle de l’importance particulière qu’accordent certains secteurs indépendantistes catalans à la relation avec l’entité sioniste.
Cette dernière serait en effet appelée, dans l’éventualité d’une accession de la Catalogne à l’indépendance complète, à participer au financement de l’économie du nouvel Etat dans la phase délicate qui suivra la coupure du lien avec Madrid.
Cette attente à l’égard de l’entité sioniste se fonde évidemment sur un raisonnement digne de l’antisémitisme de base qui associe Juifs, ici l’Etat juif et argent. Et qui tient pour un fait la grande influence de cet Etat juif auprès de Washington par l’intermédiaire du fameux lobby dont personne nulle part, antisémite ou pas, ne nie réellement l’existence, la classe politique française faisant exception.
Il est touchant de voir le gouvernement espagnol, dont le soutien à l’entité sioniste s’est rarement démenti en particulier quand la droite est aux affaires, manœuvrer de manière pitoyable pour essayer de contrer le rapprochement Tel Aviv – Barcelone au lieu de taper du poing sur la table comme il devrait le faire devant un processus qui contribue à saper son autorité et renforce le séparatisme.
Mais rien ne saurait surprendre de la part de ceux que le régime sioniste et ses lobbies ont acheté et qui ont eux-mêmes introduit le ver dans le fruit qu’ils prétendent défendre en appelant paradoxalement à l’aide celui qui précisément participe quand il n’est pas à l’origine de la destruction du fruit. Ce fait évident en Espagne l’est aussi en France avec ces polticards qui font appel à des soi-disant experts de la sécurité basés à Tel Aviv qui se retrouvent aux premières loges pour mener tranquillement leurs agissements terroristes.
On remarquera toutefois que la volonté de rapprochement avec l’entité sioniste caractérise surtout la droite nationaliste tandis que d’autres tendances la considèrent d’un oeil défavorable voire même franchement hostile.
Carles Puigdemont mise sur Israël et Margallo bloque la nomination du consul honoraire en Catalogne
Puigdemont a invité secrètement à dîner l’ambassadeur d’Israël et un secteur dynamique de la communauté juive de Barcelone se mobilise en faveur de l’indépendance.
Par Ignacio Cembrero, El Confidencial (Espagne) 10 octobre 2016 traduit de l’espagnol par Djazaïri
José Antonio Sanchez Molina, un avocat barcelonais, éloigné du nationalisme catalan, et connu pour ses liens avec le judaïsme a été désigné au début de cette année consul honoraire à Barcelone par l’ambassade d’Israël en Espagne. Neuf mois après cette désignation, il attend toujours l’approbation du ministre des affaires étrangères, José Manuel Garcia-Margallo pour ouvrir le consulat et accomplir sa nouvelle mission.
Un porte-parole de l’ambassade d’Israël a confirmé la « demande d’ouverture d’un consulat honoraire » avec Sanchez Molina à sa tête et le ministère des affaires étrangères a assuré que, malgré le retard pour l’accréditation, « il n’y avait aucun problème. » Le résultat favorable « est sur le point d’être communiqué » à Israël, ont affirmé des sources autorisées au ministère des affaires étrangères.
L’Eta hébreu disposait déjà d’un consulat honoraire à Barcelone, approuvé par un ordre signé par le roi Juan Carlos le 8 juin 1994 et inauguré en grande pompe par Jordi Pujol, alors président de la Généralité. Il avait été dirigé par le Juif de Mellila David Melul Benarroch jusqu’à sa démission en 1997 pour raisons personnelles. A l’époque, Israël n’avait eu à attendre que quelques semaines pour son ouverture. A ce jour, il dispose de deux consulats honoraires en Andalousie et en Estrémadure.
« L’épisode consulaire n’est qu’un point de friction de plus entre une Généralité aux mains des nationalistes qui aspirent à se concilier des sympathies et plus tard la reconnaissance d’une hypothétique république catalane, et les affaires étrangères qui tentent, avec un certain succès, de neutraliser les initiatives des indépendantistes, » observent des sources diplomatiques espagnoles.
Les nationalistes espèrent que l’Etat d’Israël leur accordera des crédits quand ils auront perdu le soutien de la Banque Centrale Européenne.
De tous les scénarios dans lesquels se déroule ce bras de fer, le plus houleux est peut-être la relation israélo-catalane. A en croire les déclarations de l’ancien parti Convergence Démocratique de Catalogne (CDC), rebaptisé depuis juillet dernier Parti Démocrate Catalan (PDC), Israël est la principale puissance de laquelle est attendu qu’elle donne un coup de main si arrive la période incertaine de transition vers l’indépendance. Ils espèrent que d’autres pays, comme les républiques baltes, les traitent avec bienveillance mais elles n’ont pas le même poids.
Said Alami, journaliste palestinien qui réside à Madrid, se souvient que lors d’un point de presse à la veille des Jeux Olympiques de 1992, Jordi Pujol avait déclaré se sentir « sioniste ». Près d’un quart de siècle plus tard, en mai de cette année, Artur Mas, son successeur à la tête de Convergence, affirmait la même position. « Comme en Israël, il y a aussi en Catalogne un peuple déterminé à être libre, » a-t-il dit lors de sa réception du prix de l’Association Catalane des Amis d’Israël (ACAI) et de la Communauté Israélite de Barcelone à l’occasion de Yom Ha’atzmaut (fête de l’indépendance d’Israël).
Trois amis du nationalisme
Le 23 septembre, à l’université de Barcelone, Mas fit l’ouverture de la conférence de Victor Terradellas, président de la fondation CATMon qui a pour objet de promouvoir la reconnaissance internationale de la Catalogne. Terradellas donna une conférence sur les « alliés naturels » de la Catalogne nationaliste. Il cita en premier lieu Israël, en second lieu les Etats Unis où cinq membres du Congrès de droite se sont prononcés pour l’indépendance de la Catalogne, et enfin l’Allemagne.
Les municipalités indépendantistes catalanes ne participent plus à la Red de Juderias [une association qui s’intéresse à la préservation et à la valorisation du patrimoine séfarade dans les villes et les villages où exista une communauté juive avant l’expulsion des Juifs] mais pas Barcelone.
« On espère séduire les Etats Unis avec l’aide d’Israël et de son ‘lobby’ juif », explique un ancien collaborateur de CATMon qui demande à rester anonyme. « Quant à l’Allemagne, les gens de Convergence ont à l’esprit l’idée de la répétition du rôle qu’avait joué le Chancelier Helmut Kohl, » ajoute-t-il. En décembre 1991, le Démocrate-Chrétien Helmut Kohl avait poussé l’Union Européenne à reconnaître l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie, début du démembrement de la Yougoslavie et de la guerre dans les Balkans.
L’Etat hébreu figure en bonne place dans bon nombre de documents élaborés par les nationalistes pour préparer la transition [vers l’indépendance]. Entrer en relation avec les services de renseignements d’Israël pour connaître leur organisation et leurs services de sécurité » est un des objectifs des futurs services secrets de Catalogne, l’Agence Nationale de Sécurité, comme l’a révélé El Confidencial et comme l’a dénoncé le mouvement Ciudadanos au Parlement.
Le ministre des affaires étrangères a bloqué l’ouverture d’un consulat honoraire à Barcelone. Margallo a demandé à l’ambassadeur [de l’entité sioniste, NdT] de ne pas cligner de l’œil en direction des nationalistes catalans.
Dans une autre information, révélée par El Confidencial en 2015, on signale que les membres de la future force aérienne catalane devraient se former en Israël qui est le pays « qui assure la meilleure formation possible. » La Généralité a signé il y a longtemps un accord de coopération scientifique avec l’Agence Industrielle Israélienne pour la Recherche et le Développement (Matimop).
Israël remplacerait la BCE ?
Les nationalistes espèrent aussi obtenir une aide d’Israël pour qu’une Catalogne nouvellement indépendante ne soit pas asphyxiée. Le juge Santiago Vida, sanctionné par le Consejo General del Poder Judicial [équivalent du conseil supérieur de la magistrature] pour avoir collaboré à la rédaction d’une constitution catalane a reconnu par exemple dans un entretien accordé au « Periodic Delta » : Nous ne pourrons pas aller vers la Banque Centrale Européenne pour financer la dette parce que nous ne serons pas encore membres de l’Union Européenne. » La solution « est qu’un autre Etat solvable, et nous parlons d’Israël et de l’Allemagne, nous fournissent des financements pendant un certain temps, » ajoutait-il. Dans les cercles nationalistes on spécule, sans véritable fondement, sur un crédit-relais israélien d’environ vingt milliards d’euros.
Israël n’est pas resté tout à fait insensible, du moins dans un premier temps, au champ de sirènes qui émanait du palais de la Généralité et de Convergencia. Une hypothétique république catalane serait un de ses plus fidèles alliés en Europe. Mas l’a prouvé pendant le voyage qui l’amena en Israël en novembre 2013 quand il était encore ‘président.’ Il visita Jérusalem Est une ville occupée aux yeux de la communauté internationale, où les dirigeants étrangers ont pour règle de ne pas aller. En outre, il n’avait entretenu aucun contact avec des représentants palestiniens.
« De façon consciente ou inconsciente, Mas a contribué à légitimer l’occupation, » avait alors déploré Xavier Abu Eid, porte-parole de l’Autorité Palestinienne. Huit mois après cette visite, Convergencia obtint, avec le soutien du Parti Populaire, que le Parlement repousse une motion qui appelait à la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. « J’aimerais bien que les Palestiniens jouissent des mêmes droits que les Espagnols qui vivent en catalogne ou au Pays basque, » avait alors déclaré à ce journaliste [l’auteur de l’article, NdT] Musa Amer Odeh, ambassadeur de Palestine à Madrid.
Un ambassadeur au Parlement
Alon Bar, qui était alors ambassadeur d’Israël en Espagne, proclama sa neutralité dans le conflit entre gouvernement et nationalistes catalans, ce qui déplut au ministère des affaires étrangères. « Je préfère ne pas m’exprimer sur le débat sur l’indépendance, » avait-il déclaré avec prudence en 2013 à une chaîne de journaux. « Je sais qu’il y a beaucoup de Catalans qui pensent qu’Israël est un modèle, » avait-il ajouté. L’ambassadeur avait accepté de comparaître en deux occasions, en mai 2012 et en juin 2013, devant la commission de l’Action Extérieure du Parlement de Catalogne comme s’il s’agissait du parlement d’un Etat [indépendant].
Une frange dynamique de la communauté juive de Catalogne a joué un rôle important dans ce rapprochement du nationalisme avec Israël. Dans l’Assemblée Nationale Catalane, une organisation civile qui promeut l’indépendance, il y a une section juive mais pas de section musulmane alors que le poids démographique de cette communauté en Catalogne représente 50 fois celui de la communauté juive. L’Association Catalane des Amis d’Israël participe aussi aux manifestations nationalistes, à commencer par la Diada [fête nationale catalane]. Son président, Toni Florido, répète fréquemment : « Je sais qu’Israël ne sera pas hostile à ce que décidera le peuple de Catalogne. »
Cette visite en Israël sonna comme un premier avertissement pour le gouvernement espagnol sur les intentions de Convergence. Il se mobilisa donc pour en limiter la portée : pour empêcher que le premier ministre Benjamin Netanyahou reçoive Mas, Garcia-Margallo appela Alon Bar [l’ambassadeur sioniste à Madrid], l’ex-président [chef du gouvernement] José maria Aznar contacta personnellement Netanyahou – avec qui il entretient des liens étroits – et il y eut même à l’époque une intervention du directeur des services de renseignements, le Général Félix Sanz Roldan ; auprès de son homologue du Mossad (services secrets israéliens), selon certaines sources diplomatiques et proches de l’ancien chef du gouvernement espagnol. On fit même appel au magnat juif américain Sheldon Adelson, qui alors projetait la création d’un Eurovegas à Madrid, pour qu’il intercède auprès de Netanyahou avec qui il est lié par une grande amitié.
Netanyahou avait accepté au dernier moment, mais pas le Président de l’époque, Shimon Peres, qui était resté sur ses positions. Devant ses interlocuteurs espagnols, il expliqua qu’il avait reçu d’autres présidents de régions autonomes et qu’il n’y avait aucune raison de fermer la porte à Mas. Il évita par contre la présence d’emblèmes officiels dans le lieu où il fut photographié avec son hôte. « Israël est clairement un compagnon de voyage choisi par la Catalogne, » avait dit Mas à Peres, un chef d’Etat doté de peu de pouvoirs.
Daniel Kutner, né à Buenos Aires en 1955, a succédé à Alon Bar en qualité d’ambassadeur israélien en Espagne en août 2015. Avant de présenter ses lettres de créances au Roi, il avait été reçu au début de l’automne par Garcia-Margallo. La Catalogne avait monopolisé leur conversation. Le ministre avait souligné la « déloyauté » à l’Etat des nationalistes et il lui avait demandé de ne pas faire comme son prédécesseur qui avait donné des signaux d’encouragement [aux nationalistes] .
Au cas où les choses n’auraient pas été claires, Kutner reçut plusieurs appels téléphoniques quand, à la veille de la campagne électorale de décembre 2015, il avait effectué son premier déplacement à Barcelone. Les membres du gouvernement espagnol lui avaient fait part de leur préoccupation. Ils craignaient que les dirigeants nationalistes avec lesquels l’ambassadeur avait prévu de s’entretenir puissent profiter de sa présence pour essayer de démontrer, juste avant les élections, la sympathie d’Israël pour leur cause. En fin de compte, Kutner annula tous ses rendez-vous avec les responsables politiques catalans, y compris avec les non nationalistes, et il ne rencontra que la déléguée du gouvernement, maria de Llanos de Luna Tobarra. Il avait alors également écarté l’idée de proposer une quelconque personnalité au profil nationaliste à la fonction de consul honoraire – les noms de Lluis Bassat, Carlos Villarrubi ou David Madi furent évoqués – et il opta pour l’avocat Sanchez Molina.
Dîner secret avec Puigdemont
Pendant les 14 mois que dura sa mission en Espagne, Kutner ne commit qu’une ‘infidélité’ à l’égard de Garcia-Margallo. Il accepta, à la mi-avril dernière, l’invitation du ‘président’ Carles Puigdemont pour un dîner secret – « en privé », selon des sources à la Généralité – en son siège sur la place Sant Jaume. En raison de son caractère privé, les sources officielles de la Généralité ont refusé de s’exprimer sur ce qui a été abordé pendant ce ‘souper.’
Ce dîner discret – la venue de Kutner ne figurait pas dans l’agenda des visiteurs du Palais de la Généralité – est révélateur des dissensions que suscitent dans le nationalisme les efforts pour resserrer les liens avec Israël. L’ambassadeur israélien était venu en compagnie de son adjoint, le conseiller Yinan Cohen, mais ce n’était pas Raul Romeva, le ‘conseiller’ pour les affaires extérieures qui était assis à côté de Puigdemont. La place était occupée par son numéro deux, Aleix Villaforo i Oliver, de Esquerra Republicana de Catalunya, secrétaire général du département qui chapeaute Romeva.
Romeva a refusé d’expliquer à notre journal les raisons de son absence, mais un de ses anciens collaborateurs nous a expliqué que l’ex-eurodéputé de Iniciativa per Catalunya, qui s’était montré très critique au Parlement Européen contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et le blocus de gaza, avait refusé de s’asseoir en face d’un représentant d’Israël. Trois mois plus tôt, son amie, la religieuse et militante nationaliste Teresa Forcades avait été expulsée d’Israël juste après avoir atterri à l’aéroport de Tel Aviv. Un porte-parole de Romeva a cependant souligné à notre journal que la relation entre la Généralité et l’Etat hébreu est « très cordiale. »
Les autorités israéliennes sont préoccupées par l’animosité de la gauche catalane, qu’elle soit ou pas nationaliste. Le quotidien ‘Maariv’ de Tel Aviv a publié en février dernier des câbles envoyés par les ambassades israéliennes sur le mouvement citoyen Boycott Désinvestissement et Sanctions (BDS) qui veut qu’Israël soit sanctionné pour l’occupation. « Le phénomène (…) en Espagne est gênant et inquiétant, mais pour le moment il reste circonscrit à de petites villes, » dont beaucoup sont catalanes, signalait un câble diplomatique. « Quand il atteindra Barcelone et qu’il diffusera parmi les élus, l’affaire atteindra un niveau très différent, » avertissait-il.
Kutner a mis entre parenthèses le rapprochement entre Israël et le nationalisme catalan mais ce dernier continue sa déconnexion d’avec le reste de l’Espagne, également dans le domaine du tourisme culturel. Quatre municipalités catalanes à majorité indépendantiste, Gérone, Tortosa, Besalu et Castello d’Empuries ont annoncé en juillet dernier leur sortie de la Red de Juderias (réseau des quartiers juifs) de España, dont le siège se trouvait dans la capitale de la province de Gérone. Elles ont essayé d’entraîner Barcelone, la seule municipalité catalane qui reste membre de cette association mais la mairesse Ada Colau a refusé.