Rares sont les chutes aussi spectaculaires. Prisonnière de guerre en Russie de 2014 à 2016, Nadia Savchenko était devenue le symbole de l’agression du Kremlin contre l’Ukraine et avait été érigée en une sorte de « Jeanne d’Arc » nationale. Après sa libération à l’été 2016 et sa prise de fonction en tant que députée, son tempérament intempestif, ses prises de position radicales ou encore ses allusions antisémites avaient rapidement échaudé l’opinion publique. A force d’appeler à une refonte complète du système politique et à vilipender ses pairs parlementaires comme « tous pourris et paresseux », Nadia Savchenko avait de même érodé ses soutiens politiques. C’est presque avec soulagement que le Parlement a levé son immunité parlementaire, le 22 mars, et a autorisé son arrestation.
« Que l’on aime Petro Porochenko ou non, que l’on prête fois aux enquêtes du procureur Iouriy Loutsenko ou non, Nadia Savchenko est dangereuse », s’est ainsi fendu le député réformateur Moustafa Nayyem. De fait, Nadia Savchenko ne nie pas les accusations portées contre elle. Elle avait même soutenu publiquement l’idée d’un coup d’Etat militaire. Ce qui ne l’empêche pas de dénoncer les charges retenues contre elle comme « une manipulation politique et surréaliste ».
« On ne peut s’empêcher de se demander pourquoi les enquêteurs ont attendu aussi longtemps avant de l’arrêter », interroge la journaliste polémique Svitlana Kriouvka. Dans l’affaire figure un seul autre suspect, l’ancien négociateur d’échanges de prisonniers Volodymyr Rouban. « Peut-on vraiment imaginer qu’ils comptaient décapiter l’exécutif à eux deux ? Pourquoi n’y-a-t-il pas d’autres arrestations ? », poursuit-elle. En filigrane, l’idée d’un règlement de comptes ciblé, en amont de la campagne présidentielle de 2019, et d’un signal envoyé aux opposants paramilitaires du pouvoir.
La crainte d’un coup de force, perpétré par des vétérans de guerre et des mouvements ultranationalistes, est de fait prise au sérieux en Ukraine, même si les autorités cherchent à la minimiser, et à la rattacher à la politique d’agression de la Russie. Ce 22 mars, le président Petro Porochenko a ainsi félicité ses services de sécurité d’avoir démasqué une « 5e colonne », et déjoué une « opération spéciale russe contre l’Ukraine ». Ancienne héroïne nationale, Nadia Savchenko devient donc agent de l’ennemi et se retrouve donc une nouvelle fois derrière les barreaux, cette fois dans son Ukraine natale.