Alternative brune
Mardi 26 avril 2016
Benito Perez
Imaginez Marine Le Pen dans un an en tête du premier tour de la présidentielle française avec près de 40% des voix… Irréaliste ? C’est pourtant ce que viennent de vivre les Autrichiens dimanche avec la percée de Norbert Hofer. Bien évidemment, la présidence autrichienne n’a pas le poids du monarque républicain, mais les sondages semblent formels : des législatives aujourd’hui en Autriche donneraient les clés du gouvernement au mal nommé Parti de la liberté (FPÖ).
Au pays de la social-démocratie raisonnable et du conservatisme bon teint, le choc est rude. Avec 11% chacun, les candidats du SPÖ (centre-gauche) et du ÖVP (centre-droit) sont laminés. Leur gouvernement commun à Vienne paraît condamné, deux ans avant terme. Il n’est pas pour rien dans la débâcle. Accordées aux réalités européennes, où les principaux choix économiques sont imposés depuis Bruxelles, les « grandes coalitions » entrent en revanche en conflit avec les systèmes représentatifs. La démocratie d’alternance exige des alternatives, fussent-elles symboliques.
Comme en Allemagne, l’extrême droite autrichienne et les Verts se disputent ce rôle de premier opposant, devenu vacant. Chaque fois à l’avantage des populistes, qui ont pour eux la nouveauté, la radicalité et l’air du temps.
A l’heure où la médiacratie française célèbre le « phénomène Macron », dernier avatar du discours de la fin des idéologies par ralliement au dogme néolibéral, un coup d’œil par-dessus les frontières n’est pas inutile. Afin de voir dans quel état de déliquescence est ressorti le travaillisme du blairisme et la social-démocratie germanique des grandes coalitions à répétition.
En Espagne, où une violente crise économique et les mouvements sociaux ont eu raison du bipartisme, le mythe de la concorde nationale s’installe à son tour. Les plus extrêmes-centristes y réclament un gouvernement conservateur-socialiste-Ciudadanos dans une tentative de bâtir un front anti-Podemos. Comme si bâillonner le messager allait effacer le message.
Avant de « dépasser les clivages », la politique doit d’abord les affronter. Les oppositions de classe, les divergences d’intérêts, les désaccords philosophiques ne disparaissent pas en les niant ; ils se redéploient. Et si ce n’est par la raison, ils reviennent en émotions, en passions.
La démocratie, comme la politique, a horreur du vide. Et l’extrême droite – que l’ère de la démocratie, de l’égalité et de la citoyenneté aurait dû définitivement écarter – s’empresse de le remplir de ses slogans égoïstes et de sa haine.
On a tendance à l’oublier : l’extrême droite n’est pas un danger mais bien une réalité institutionnelle en Europe. Dominante en Hongrie depuis des lustres et en Pologne depuis six mois, elle participe ou soutient les gouvernements danois, finlandais, suisse et croate. Son ancrage est bien plus profond que la vague migratoire actuelle. Aucune digue turque n’arrêtera sa marche en avant.
A l’Est, elle a déjà remplacé la gauche comme principale alternative au néolibéralisme. A l’Ouest, il est minuit moins cinq.