person:olivia ronen

  • Attentat de Nice : accusé à tort de terrorisme, retrouvé pendu à Fleury - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/07/31/attentat-de-nice-accuse-a-tort-de-terrorisme-retrouve-pendu-a-fleury_1670

    Arrêté en 2016 dans le cadre de l’enquête sur l’origine des armes de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, Aleksander H. n’a eu de cesse de réfuter les accusations de #terrorisme. Il s’est suicidé début juin alors que la justice s’apprêtait à le reconnaître comme un prévenu ordinaire.

    Un corbeau ombrageux pour dernier visiteur. Mirage de son esprit fragile, le volatile se posait de temps à autre sur la fenêtre de sa cellule. Les jours mauvais, le diable en personne s’invitait dans son petit réduit de la maison d’arrêt de #Fleury-Mérogis (Essonne), lui faisant humer la mort. Le 8 juin, las de ses divagations hallucinées, Aleksander H., 38 ans, s’est suicidé peu après l’heure du déjeuner. Il s’est pendu avec un lacet aux barreaux de sa fenêtre, les mêmes qui servaient de perchoir à l’oiseau de mauvais augure. Lorsqu’un surveillant et des détenus auxiliaires l’ont découvert, Aleksander H. était à genoux, comme assoupi. Une heure de massage cardiaque n’y fera rien.

    Mis en examen pour son implication dans l’attentat de Nice (86 morts et 458 blessés le 14 juillet 2016), le quasi quadragénaire ne supportait plus la suspicion qui pesait sur ses épaules. Non pas que le golgoth, né le 24 mars 1980 à Gjocaj, en Albanie, soit un enfant de chœur : la prison, il connaissait, après plusieurs séjours effectués pour divers trafics. Mais cette fois-ci, les soupçons de terrorisme étaient trop lourds à porter pour celui qui disait vomir l’acte de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel : un camion de 19 tonnes lancé à pleine vitesse sur la promenade des Anglais. Ironie de l’histoire, Aleksander H. se trouvait ce soir-là place Masséna, à quelques centaines de mètres du camion sanguinaire, avec sa femme, Liljana, et leur fils de 17 mois, Ludovik. Avant d’être complice présumé, il aurait pu être victime.

    Ce n’est que six mois après la tuerie, en ayant savamment remonté la piste des armes achetées par Lahouaiej-Bouhlel, que les policiers arrivent jusqu’à Aleksander H.. A cette époque, le jeune père de famille travaille au noir sur des chantiers et perçoit un salaire d’environ 800 euros par mois. En situation irrégulière, il sous-loue avec sa famille un petit appartement à « Diu », une connaissance. Happé par la faune locale, notamment la diaspora albanaise, Aleksander H. verse parfois dans divers trafics. Le 12 décembre 2016, lorsque la sous-direction antiterroriste de la PJ (Sdat) l’interpelle, elle s’intéresse au cheminement d’un pistolet et d’une kalachnikov tombés entre les mains de #Lahouaiej-Bouhlel. Le temps de cerner l’implication d’Aleksander H., sur le plan logistique ou idéologique, les juges le placent en détention provisoire. « Quand je l’ai rencontré, il était confiant, certain que la justice comprendrait vite qu’il n’avait aucun lien avec le terrorisme », se souvient son avocate, Olivia Ronen. Il lui clame : « Si tu crois en Dieu, tu fais jamais ça [les actes terroristes, ndlr]. » Aleksander H. se revendique d’ailleurs chrétien, à mille lieux de la doctrine jihadiste.

    « Je suis contre eux »

    Enfant, dans sa petite école nichée au cœur des montagnes albanaises, le garçonnet apprend le français. Sa maîtrise de la langue de Molière est si bonne que l’interprète qui l’assiste n’ouvre jamais la bouche lors des interrogatoires devant le juge. Après une scolarité classique, Aleksander H. décroche un diplôme de mécanicien. Mais il quitte subitement l’#Albanie, à 14 ans, pour s’établir en Grèce. Deux de ses quatre frères et une de ses quatre sœurs y sont alors installés. Est-ce par pression familiale ou quête d’un avenir meilleur qu’il fait le mur ? Nul ne le sait. Toujours est-il qu’Aleksander H. passe onze ans de sa vie en Grèce. Comme de nombreux citoyens albanais, il y subit un racisme débridé et vit dans des conditions précaires. C’est à cette époque, qu’il tombe peu à peu dans la délinquance. En 2012, après des passages éclairs en Italie, Aleksander H. tente sa chance à Paris. La France lui plaît tant qu’il envisage de s’y poser pour toujours. Mais sa faible qualification et son passé judiciaire ne plaident pas en sa faveur. Dans la roue d’un ami, vivotant de travaux dans la maçonnerie, il finit par gagner #Nice, où Liljana le rejoint en 2014. Signe de leur attirance pour les Alpes-Maritimes, la jeune femme dépose une demande d’asile et Ludovik naît quelques mois plus tard, à l’hôpital de l’Archet. Lorsqu’a lieu la tuerie de la promenade des Anglais, Aleksander H. semble enfin en voie de sédentarisation. Dès sa garde à vue, l’Albanais est très irrité d’être assimilé à un jihadiste :

    – « Avez-vous déjà côtoyé des musulmans radicaux ? interroge le policier.

    – « Non, cela ne m’intéresse pas, je suis contre eux.

    – « Que pensez-vous de l’organisation terroriste Daech ou Etat islamique ?

    – « Je ne suis pas d’accord avec eux, je les déteste. Ils pourraient tuer mon fils. »

    Puis, interrogé sur son ressenti à la suite de l’attentat de Charlie Hebdo, Aleksander H. laisse poindre un certain racisme : « C’est la faute de l’Etat français car vous donnez tout aux Arabes. »

    En prison, cette colère ne le quittera jamais. Au printemps, après plus d’un an de détention, son état se détériore gravement. Il parle seul, crie, ne dort presque plus. Surtout, il s’indigne que la direction de la maison d’arrêt lui interdise de travailler (une règle fréquente pour les détenus poursuivis pour terrorisme). Seul dans sa cellule, Aleksander H. désespère. Les matchs de foot dans la cour de promenade sont ses seuls moments de joie. Après son arrestation, Liljana et Ludovik sont retournés au pays. Au parloir, plus personne ne l’attend. Un soir de mélancolie tenace, l’Albanais avale une petite boulette de shit, qu’il a chapardé les jours précédents. Et décompense violemment. Inquiet, le personnel pénitentiaire le place d’urgence en service médico-psychologique régional, une unité de soins en santé mentale. Il y restera deux semaines. A son retour à Fleury, sa fragilité est telle que les surveillants ont ordre de passer le voir toutes les heures.

    « J’ai senti la mort »

    Rien n’y fait. Aleksander H. veut sortir ou mourir. Le 5 juin, un débat sur la prolongation de sa détention a lieu une nouvelle fois au palais de justice. Tentant le tout pour le tout, le jeune homme déclame sa détresse : « En détention, j’ai senti la mort. J’ai vu le diable en train de m’égorger. Je ne peux plus vivre comme ça, j’ai jamais pleuré mais là je suis mal, je veux me suicider. […] C’est la première fois que je pleure, j’aime bien la France. Les médicaments me mettent plus mal. J’ai un enfant de 3 ans, ma femme en Albanie et ma mère. Je pense qu’à me suicider, j’en ai marre. […] Je peux dormir au commissariat s’il le faut. »

    Maintenu à l’ombre, Aleksander H. se pend quatre jours plus tard, à 14 h 52. Cruelle confidence d’une source judiciaire à Libération : l’accusation et la juge chargées du dossier étaient à deux doigts de revoir les poursuites le visant. Ils comptaient épargner à l’Albanais les crimes terroristes, pour ne retenir que les délits connexes liés à la fourniture des armes. Dans les jours qui ont suivi son décès, son avocate, Olivia Ronen, s’est démenée pour que l’ambassade d’Albanie avance les frais de rapatriement du corps. Et éviter à Aleksander H. de sombrer dans l’anonymat de la fosse commune de Fleury-Mérogis.
    Willy Le Devin

    #prison #suicide #Aleksander_H

  • Dans la lutte contre le terrorisme, « évitons une justice prédictive »
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/07/31/dans-la-lutte-contre-le-terrorisme-evitons-une-justice-predictive_5166775_32

    Au barreau de Paris, la tradition veut qu’un groupe d’avocats choisis sur concours, les secrétaires de la Conférence, assure la défense pénale des plus modestes dans les affaires criminelles. Nous nous trouvons ainsi très souvent commis d’office dans des affaires de terrorisme. Or l’expérience quotidienne que nous avons de ces affaires sensibles nous préoccupe concernant cette justice à l’abri des regards.

    L’augmentation saisissante du contentieux lié au terrorisme islamiste nous amène aujourd’hui à alerter le public sur les risques que nous courrons, à brève et à lointaine échéance. En effet, à nos yeux, le cadre proposé pour traiter la matière terroriste s’éloigne de plus en plus des valeurs qui fondent notre système juridique, alors même que l’efficacité à long terme de ce système est loin d’être assurée.

    A l’heure où l’exécutif envisage d’intégrer définitivement dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence, il nous apparaît urgent de mener une réflexion de fond sur la justice antiterroriste. Une démarche indispensable, car la justice antiterroriste s’engage sur une voie périlleuse, celle d’une « justice prédictive » qui s’essaye à l’impossible exercice de sonder les âmes, de deviner les convictions réelles et les intentions supposées des mis en cause.

    Ce rôle nouveau est la conséquence d’une superposition de textes élaborés dans l’urgence et dans l’émotion, suite aux événements dramatiques de ces dernières années. Or il nous semble qu’en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, nous ne pouvons plus nous contenter de réagir au coup par coup, sans penser, façonner et construire un système de justice antiterroriste cohérent et durable.

    Et toujours, #paywall

    • Dans une tribune au « Monde », les douze secrétaires de la Conférence du barreau de Paris, commis d’office dans des affaires de terrorisme, appellent à une réflexion de fond sur la politique antiterroriste.

      TRIBUNE. Au barreau de Paris, la tradition veut qu’un groupe d’avocats choisis sur concours, les secrétaires de la Conférence, assure la défense pénale des plus modestes dans les affaires criminelles. Nous nous trouvons ainsi très souvent commis d’office dans des affaires de terrorisme. Or l’expérience quotidienne que nous avons de ces affaires sensibles nous préoccupe concernant cette justice à l’abri des regards.

      L’augmentation saisissante du contentieux lié au terrorisme islamiste nous amène aujourd’hui à alerter le public sur les risques que nous courrons, à brève et à lointaine échéance. En effet, à nos yeux, le cadre proposé pour traiter la matière terroriste s’éloigne de plus en plus des valeurs qui fondent notre système juridique, alors même que l’efficacité à long terme de ce système est loin d’être assurée.
      A l’heure où l’exécutif envisage d’intégrer définitivement dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence, il nous apparaît urgent de mener une réflexion de fond sur la justice antiterroriste. Une démarche indispensable, car la justice antiterroriste s’engage sur une voie périlleuse, celle d’une « justice prédictive » qui s’essaye à l’impossible exercice de sonder les âmes, de deviner les convictions réelles et les intentions supposées des mis en cause.

      Réaction au coup par coup

      Ce rôle nouveau est la conséquence d’une superposition de textes élaborés dans l’urgence et dans l’émotion, suite aux événements dramatiques de ces dernières années. Or il nous semble qu’en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, nous ne pouvons plus nous contenter de réagir au coup par coup, sans penser, façonner et construire un système de justice antiterroriste cohérent et durable.

      Trois pistes d’amélioration du dispositif juridique et judiciaire se dessinent, selon nous, et ce, aux fins de s’adapter à la diversité des profils des mis en cause. La première concerne la qualification juridique de l’association de malfaiteurs terroriste. En effet, le parquet de Paris fait le choix de retenir cette qualification pour la quasi-totalité des faits se rapportant de près ou de loin au phénomène djihadiste. En pratique, cette qualification couvre un champ bien trop large. Sont actuellement poursuivis sous cette qualification pénale le combattant armé et déterminé à passer à l’action, le frère d’un djihadiste installé en zone de combat auquel il a adressé un mandat de quelques dizaines d’euros, et le mineur de 15 ans, isolé, manipulé et désorienté se targuant de mener des actions djihadistes sur les réseaux sociaux.

      A regrouper ainsi des comportements aussi différents, nous laissons au juge la lourde tâche de séparer le bon grain de l’ivraie. Cette tâche est d’autant plus difficile que les enquêteurs sont particulièrement proactifs, au risque, parfois, de provoquer la commission de l’infraction par le biais, notamment, de cyberinfiltrations très poussées et invasives. Une des conséquences immédiates de cette globalisation du contentieux est le recours quasi systématique à la détention provisoire pour les individus majeurs, et ce, quelle que soit la gravité du comportement reproché. Or il serait parfaitement possible, aujourd’hui, de différencier, sur le plan juridique, par exemple les préparatifs d’attentats, les retours de zone de combat irako-syrienne ou encore le simple soutien moral et matériel…

      Le sens de la peine

      La deuxième piste de réflexion concerne le sens et la mesure de la peine. Nous observons actuellement une forte inflation de la durée des peines de prison prononcées par les tribunaux. Celle-ci est pourtant sans lien avec une quelconque évolution des comportements. Il en résulte une disproportion et, surtout, un évanouissement de toute réflexion autour du sens de la peine. En effet, les tribunaux semblent n’avoir d’autre objectif que de se borner à écarter de la société le plus longtemps possible toute personne pouvant représenter un risque – fût-il hypothétique – dans l’attente, vaine, d’un essoufflement du terrorisme islamiste et de ses causes.

      Or qui peut aujourd’hui encore prétendre que la prison n’est pas un lieu de radicalisation ? N’est-elle pas aujourd’hui devenue un « fait d’arme » pour ces individus qui n’accordent aucune légitimité au système judiciaire national ? Cette politique pénale ne sera-t-elle pas responsable de la récidive de demain ? Car la réalité est que rien en prison n’est organisé pour préparer le retour dans la société des personnes condamnées pour des faits de terrorisme. Plus que jamais, il est crucial de veiller à ce que les peines soient prononcées en fonction des faits et de leur gravité réelle, mais surtout de la personnalité du prévenu. Une sanction juste et individualisée est une sanction comprise, acceptée et donc utile.

      La troisième piste de réflexion concerne le régime carcéral en matière terroriste.
      Le durcissement progressif des conditions de détention est particulièrement inquiétant. L’annonce de la fermeture des unités dédiées, fin 2016, et l’annonce de la création du quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) à la maison d’arrêt d’Osny nous font craindre l’instauration d’un régime de détention dérogatoire et contraire aux droits fondamentaux des détenus.

      « Zones de triage »

      Ces quartiers sont comparables à des « zones de triage ». Les détenus y sont placés pour une durée de quatre mois et font l’objet d’une évaluation qui aurait pour but d’apprécier leur degré de dangerosité, leur propension à la violence et les risques de prosélytisme. Il est prévu de créer six quartiers au sein des maisons centrales dans lesquelles seront affectés les détenus les plus violents.

      Or les premiers retours de ces QER expérimentaux sont alarmants : mélange des détenus quel que soit leur âge ou leur situation pénale (détention provisoire ou exécution de peine), fouilles à nu plusieurs fois par semaine, changement de cellule hebdomadaire, accès aux douches réduit, aucun accès aux activités scolaires ou professionnelles alors qu’elles sont justement les plus efficaces pour amorcer la « déradicalisation ». Plus étonnant encore, il ressort qu’en pratique, les entretiens avec les intervenants extérieurs, en charge de la « déradicalisation », sont non seulement rares, mais facultatifs.

      La justice antiterroriste interroge nécessairement l’ensemble des acteurs du monde judiciaire autant qu’elle pose la question des limites de notre démocratie. Il nous paraît donc essentiel d’inviter l’ensemble des acteurs de la lutte et de la justice antiterroriste à mener cette réflexion de fond sans délai.

      Jean-François Morant, Jérémie Nataf, Jérémie Boccara, Olivier Parleani, Gabriel Dumenil, François Ormillien, Fanny Vial, Marc Bailly, Olivia Ronen, Lucile Collot, Adèle Singh, François Gagey sont, par ordre, les douze secrétaires de la Conférence des avocats du barreau de Paris.