person:olivier daunizeau

  • Idem, ces articles sont de Olivier Daunizeau au sujet de la lutte en cours après les réformes du COSIP. Je l’ai reproduit ici afin de recueillir vos avis.
    #documentaire #documentaire_de_création #télévision #CNC

    La production du documentaire : une question esthétique et économique

    Les maîtres d’œuvre de la réforme du COSIP ont choisi de « ne pas rouvrir le débat sur la définition du genre ». Or, « l’expression "documentaire de création" ne fait l’objet d’aucune définition juridique. Il y a vingt-sept ans, la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL, prédécesseur du CSA) s’était essayée à l’exercice. Le résultat fut quelque peu laborieux. Le documentaire de création, avait indiqué la CNCL dans une décision du 31 décembre 1987, "se réfère au réel, le transforme par le regard original de son auteur et témoigne d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture". "Il se distingue du reportage par la maturation du sujet traité et par la réflexion approfondie, la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et/ou d’un auteur", avait précisé l’instance de régulation. Cette définition fut annulée par le Conseil d’Etat, au motif qu’elle donnait "une interprétation trop restrictive de la notion d’œuvre audiovisuelle par rapport à la loi". »1

    Le Fonds d’Aide à l’Innovation audiovisuelle du CNC se montre néanmoins précis par rapport aux projets qu’il entend soutenir : « Le projet doit exprimer une vision singulière du sujet, des choix de traitement revendiqués par l’auteur et les axes de recherches qu’il souhaite suivre. L’affirmation d’une démarche et d’un point de vue artistiques priment sur le sujet. La créativité de l’approche doit mettre en œuvre des exigences stylistiques qui rompent avec les formes conventionnelles, attendues ou stéréotypées. »

    « Vrai » ou « faux » documentaire de création ?

    C’est la place de l’auteur qui permet celle du spectateur : c’est la construction d’un point de vue qui permet au spectateur de se positionner en tant que sujet par rapport à ce qui lui est montré et raconté par l’auteur. « Le » documentaire, c’est donc autant de points de vue que d’auteurs, ce qui permet de ne pas sombrer dans la pensée unique, les vérités simplistes et la radicalisation des discours.

    La problématique de la production des documentaires, c’est celle, répétée indéfiniment, de la fabrication d’œuvres : on est dans le champ de l’artisanat, pas dans celui de l’industrie, fût-elle industrie de prototypes.
    Or, la réforme du COSIP a envisagé la production sans sortir du champ lexical de l’économie industrielle. C’est qu’il aurait alors fallu non seulement réformer le COSIP, mais aussi le débaptiser (COSIP : COmpte de Soutien à l’Industrie des Programmes).

    On sait bien faire la différence entre un meuble IKEA et un meuble d’artisan et on sait les différences en jeu dans la fabrication et dans le prix d’achat, dans l’empreinte écologique et les conséquences économiques et sociales. On sait aussi faire la différence entre l’élevage d’animaux et la production industrielle de viande.

    L’artisanat, c’est la personne, pas la gestion technocrate des populations. Des individus, pas des expertises modélisées. L’artisanat, c’est le travail d’atelier, pas le travail à la chaîne.

    Ce n’est pas un concept d’arrière-garde, car l’artisanat est le premier moteur de l’économie française et peut-être mondiale.

    Une question de langage

    La question de l’innovation relève du champ industriel. Par exemple, toutes les voitures neuves qui sont produites aujourd’hui en France disposent de l’airbag et de l’ABS. L’ABS et l’airbag sont des innovations industrielles qui ont conduit à déplacer certaines normes en ce qui concerne l’automobile.

    Mais si chaque œuvre est une création, la question de l’innovation n’a pas de raison de se poser. La création, d’une manière générale, est une notion qui se situe au-delà de l’innovation et surtout sur un autre champ sémantique (donc dans une autre conception de l’économie). La notion de « documentaire de création » est donc incompatible avec celles d’industrie et d’innovation.

    Je propose donc purement et simplement de remettre en question l’usage des termes « innovation » et « industrie des programmes » au sein même du CNC, puisqu’ils s’opposent à la réalité du documentaire de création.

    Il peut être proposé au CNC de considérer globalement la question du documentaire à partir de la pratique telle qu’elle a été exposée par les professionnels présents à la tribune le 24 mars entre 16h et 18h.

    Aujourd’hui, les paysages audiovisuel et cinématographique ont tellement changé que le CNC lui-même a changé de nom (Centre National du Cinéma et de l’image animée). Cependant, l’étanchéité des services et la rigidité d’application des règles existantes conduisent comme on peut le constater les professionnels du documentaire à la faillite.

    Il est sans doute temps de faire plus qu’une réforme du COSIP (ou pour être plus juste un simple réajustement de son fonctionnement) : que des pratiques réelles émerge une réelle refondation du soutien au documentaire.

  • je reproduis ici la tribune de mon ami Olivier Daunizeau qu’il accepte que je vous transmette pour recueillir vos avis.

    NOUS NE FAISONS PAS LES MÊMES MÉTIERS

    Le reportage et le documentaire ne doivent pas s’opposer sur une échelle de valeur mais par rapport à leur nature. Le reportage, ce n’est pas moins bien que le documentaire, c’est autre chose, c’est un genre qui appartient au champ du journalisme où le principe d’objectivité, certes discutable, est à l’œuvre aux côtés de la volonté d’enquêter. Le reportage a sa place légitime dans les grilles de programmes des chaînes de télévision.

    De la même façon, je trouve qu’il est vain d’opposer plus avant le « bon documentaire » au « mauvais documentaire ». Il y a les documentaires et les documentaires de création.
    Il y a le documentaire animalier, le documentaire scientifique, etc. Pourquoi n’y aurait-il pas le documentaire de création ? La tentative de définition du genre a échoué en 1987, pourquoi ne pas reprendre le chantier ?

    Limoges, la promesse d’une politique différente – cité en tout premier lieu dans l’entretien avec Dana Hastier dans Le Monde des 29-30 mars – est certainement un documentaire important, nécessaire, mais certainement pas un documentaire de création. J’en veux pour indice premier le fait qu’il est coréalisé par Jean-Louis Saporito, qui est journaliste.

    France Télévisions ne peut pas se voir reprocher le fait de ne pas être le premier acteur français du documentaire. Il l’est sans aucun doute. Donc il est absolument stérile, à mon sens, de clamer « Nous sommes le documentaire ». Le documentaire, c’est d’abord France Télévisions. Pas « Nous ».

    Par contre, nous sommes le documentaire de création. C’est autour de cette idée que nous sommes réunis.

    Un sujet de lutte, une question sémantique

    En relisant l’article du Monde où Michel David s’exprime, je me dis qu’il ne faut pas laisser les producteurs parler seuls.

    D’abord parce qu’ils ne sont pas d’accord entre eux sur un certain nombre de points et que les compromis auxquels ils arrivent affaiblissent leur discours, les réduisant à ne parler que de 15% etc.
    Ensuite parce qu’ils sont tombés dans le panneau de l’équipe qui a "réformé" le COSIP (CNC, USPA, SCAM) et qui a soigneusement évité la question centrale qui est la définition juridique du documentaire de création. Michel David enfonce le clou en disant qu’il « refuse toute définition du documentaire, notamment de création ».

    Si on ne définit pas de sujet pour une lutte, pour quoi peut-on se battre alors ?

    J’ai donc continué à fourbir des "éléments de langage" et pour ma part je lutte :

    – pour la renaissance du documentaire de création et non pas pour sa survie,
    – pour l’artisanat, pas pour l’industrie,
    – la création, pas l’innovation,
    – le soutien, pas l’aide,
    – la conception, pas le développement,
    – la remise à plat des conceptions public/privé en ce qui concerne le financement des documentaires de création,
    – et enfin je pense que poser juridiquement une définition du genre sera la meilleure façon de pouvoir opposer quelque chose à France Télévisions, qui pour le moment se gargarise de ses chiffres d’audience et de ses 8800 heures de documentaires diffusés en 2014.

    Cette définition juridique du genre ne gênerait pas la SCAM à mon avis, puisqu’elle représente tous les types d’auteurs, des photographes aux écrivains en passant par les documentaristes. Donc je ne vois pas de problème économique à venir pour la SCAM si on sépare règlementairement le documentaire d’un côté et le documentaire de création de l’autre.