person:olivier masclet

  • Analyse. « Ce mouvement est l’expression même de la lutte des classes » | L’Humanité
    https://www.humanite.fr/analyse-ce-mouvement-est-lexpression-meme-de-la-lutte-des-classes-665224

    [...] Vos travaux de recherche portent en partie sur les classes populaires. Le mouvement des #gilets_jaunes remet-il à l’ordre du jour cette notion de #lutte_des_classes ?

    OLIVIER MASCLET En France, ce que désigne la notion de « #classes_populaires », c’est le vaste continent des employés et des ouvriers. Un Français actif sur deux est un ouvrier ou un employé. Ça fait du monde : environ 14 millions de personnes, chiffre auquel il faut ajouter les retraités qui sont, majoritairement, d’anciens ouvriers et employés qui vivent aujourd’hui avec des pensions modestes. Rien d’étonnant donc à ce qu’ils endossent eux aussi le gilet jaune. En sociologie, on définit ces classes populaires par le cumul de trois caractéristiques : faiblesse des ressources économiques, petitesse du statut social, distance au capital culturel.

    La lutte des classes n’a d’une certaine façon jamais cessé, mais les sociologues la conçoivent d’une autre façon que les marxistes purs et durs. Pour eux, il s’agit d’un affrontement entre deux blocs, possédants d’un côté, prolétaires de l’autre. Bien sûr, il existe toujours des prolétaires ou des travailleurs d’exécution dont la seule richesse est leur force de travail, mais il existe aussi plusieurs autres classes sociales, et la classe des travailleurs du bas de l’échelle salariale est elle-même très ­hétérogène, en tout cas « sur le papier », c’est-à-dire quand on regarde comment les ressources économiques et culturelles, pour ne parler que de celles-ci, sont distribuées. Pour les sociologues pour qui la notion de classe sociale conserve sa pertinence, dont je suis, la lutte des classes n’est pas réductible à un affrontement bloc contre bloc. Elle est multiple parce qu’elle oppose des classes et des fractions de classes nombreuses et parce qu’elle prend des formes différentes dans les différents champs. Il y a toujours dans notre pays des dynamiques très fortement inégalitaires, qui font le bonheur des plus aisés au plan économique et culturel, et qui aggravent le sort des plus modestes. Le mouvement des gilets jaunes ne remet pas à l’ordre du jour la lutte des classes. Il en est l’expression même.

    Au-delà de la fracture sociale, peut-on parler d’une fracture culturelle ?

    OLIVIER MASCLET Oui, c’est évident. Cette fracture se fait sentir dans la perception que toute une partie des Français a des gilets jaunes. Les journaux comme le Monde, l’Humanité ou Libération font accéder à des points de vue qui soutiennent le mouvement ou au moins cherchent à le comprendre. Mais ailleurs, en particulier sur la Toile, beaucoup d’avis le condamnent. Les gilets jaunes sont décrits comme des beaufs, des pollueurs, des accros à la bagnole, des racistes qui livrent les sans-papiers à la police… Le mépris envers les « petites gens » est gigantesque. Et ce mépris est loin d’être le seul fait des gens de droite ou d’odieux réactionnaires. On trouve aussi des gens de gauche qui ne se reconnaissent pas vraiment dans ce mouvement, qui ont du mal à se solidariser avec les gilets jaunes, qui ne savent pas vraiment qui ils sont, qui voient en eux la menace de l’extrême droite. Des années 1950 aux années 1970, la classe ouvrière était alors un groupe dominé, mais qui inquiétait par son nombre et sa capacité de mobilisation et que les #intellectuels et artistes soutenaient. Elle était au centre de tous les discours et de toutes les attentions politiques et intellectuelles. Aujourd’hui, les travailleurs du bas de l’échelle ont perdu cette centralité et ils ne sont plus tellement soutenus par les #artistes et les intellectuels. Il n’y a plus vraiment de contre-discours opposé au mépris.

  • Seenthis, toi qui t’y connais en cartographie… le NY Times vient de faire un article de carto sur l’élection, avec en vedette une grande carte de France prétendant prétendant figurer « où chaque candidat a dominé dans le pays » (et évidemment ça commence à buzzer) :
    https://www.nytimes.com/interactive/2017/04/23/world/europe/french-election-results-maps.html

    Il me semblait que ce n’était généralement pas une bonne idée de faire ce genre de cartes qui représente à égalité des régions avec moins de 5 habitants au km2 et des villes avec plus de 15.000 habitants au km2. Peux-tu me dire si c’est une bonne idée ici, ou pas ?

    Par ailleurs, est-ce que c’est vraiment intéressant de faire une carte qui agrège 4 candidats géographiquement en n’en représentant qu’un seul pour chaque endroit, sans qu’on sache l’« intensité » de son score ?

    Et enfin, si le titre de l’article prétend représenter « comment l’élection a divisé la France », n’y a-t-il pas des représentations plus parlantes pour représenter cette éventuelle division qu’une grande carte de France ?

  • Sociologie des classes populaires contemporaines, de Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Nicolas Renahy, une note de lecture, Liens socio
    http://lectures.revues.org/17467

    Le déclin de la notion de classe sociale dans les travaux sociologiques des dernières décennies a de multiples causes, de l’émergence de théories de la moyennisation à la montée de l’économétrie dans les techniques d’analyse de données. Il reflète également une réalité historique : le #déclin de la #classe_ouvrière en tant que classe « pour soi », avec l’apparition du #chômage de masse et l’affaiblissement de ses représentations politiques (syndicats, parti communiste, etc.). Aujourd’hui, la bourgeoisie fournit un meilleur modèle de classe consciente de ses intérêts. Certains voient dans ces changements une confirmation de la thèse de la moyennisation : la société serait composée d’une large classe moyenne partageant un seul mode de vie, autour du #salariat et de la consommation, et flanquée à ses deux extrémités d’« exclus » et de « privilégiés ». D’autres ont préféré étudier la persistance des #inégalités sociales en s’intéressant aux fractions dominées de la population, et en utilisant l’expression de « classes populaires ». Ce concept est controversé : il est employé autant pour disqualifier que pour décrire et ne constitue pas une appartenance revendiquée par ceux qu’ils désignent. Par ailleurs, ces #classes_populaires vivent dans une grande diversité de situations, au point que l’on peut se demander s’il y un sens à les rassembler sous le même vocable.

    Sociologie des classes populaires contemporaines (...) propose une défense argumentée, nuancée et pertinente de l’usage de ce concept. L’idée est la suivante : la notion de classes populaires est importante parce qu’elle rend visible une condition particulière, caractérisée par une #communauté_de_« chances_de_vie » (Max Weber) et par une culture relativement autonome, mais aussi par une forte hétérogénéité interne. Il convient donc d’examiner méthodiquement les écarts entre classes populaires et classes moyennes et supérieures, d’une part, et à l’intérieur des classes populaires entre les fractions plus ou moins _stables d’autres part. Ce faisant, l’ouvrage s’efforce de pointer les ruptures et les continuités entre la classe ouvrière et les classes populaires contemporaines.

    (...) c’est bien l’abstention qui constitue le choix #politique majoritaire, et elle ne répond pas tant à un désintérêt du politique qu’à un éloignement des #institutions politiques. Mais c’est en examinant les rapports avec l’État et l’administration, un champ de recherche particulièrement vivace, que les auteurs montrent le plus finement les rapports concrets au politique. Ils notent ainsi à la fois le poids du #contrôle institutionnel sur les milieux populaires et le fait que les administrés ne subissent pas passivement ce contrôle, mais peuvent développer des compétences relationnelles dans leur rapport aux autorités.

    #précarité

  • Sortir de l’essentialisme

    Notre analyse critique des modalités et des effets de construction du « problème musulman » ne signifie évidemment pas que les phénomènes sociopolitiques ayant trait à l’« islam » ne doivent pas être analysés. Par exemple, la violence politique se référant à l’islam ou l’activisme de mouvements prônant une coupure radicale avec le reste de la société constituent autant de phénomènes qu’il s’agit d’étudier. Mais, à l’inverse de la démarche des idéologues, des experts et de certains politologues qui promeuvent une lecture racialo-religieuse de l’agir musulman, nous pensons que les nombreux enjeux liés à la référence musulmane nécessitent le recours à une démarche « profane » d’investigation, c’est-à-dire une analyse qui explique, selon l’expression canonique du sociologue Émile Durkheim, un fait social par un fait social (facteurs historiques, économiques, sociaux, politiques, etc.) . Il s’agit, comme l’ont fait par exemple Stéphane Beaud et Olivier Masclet sur le cas de Zacharias Moussaoui ou Gilbert Achcar au sujet des révoltes arabes, de rejeter une supposée « essence » religieuse des faits observés et de s’interroger sur le sens du recours à la référence musulmane par les acteurs sociaux. Cette approche rompt avec la tendance de l’expertise « politologique » ou sécuritaire à légitimer l’alarmisme politique dominant sur l’islam, en réduisant les populations musulmanes, leurs désirs et leurs pratiques individuelles ou collectives à un agir strictement « religieux ». En d’autres termes, il nous semble nécessaire et urgent de rejeter l’écrasement de la pluralité et de la complexité des identités sociales dont sont porteurs les musulman-e-s, ainsi que la miniaturisation du « musulman » dans une différence perçue comme définitivement dangereuse. Cette essentialisation du « musulman » – comme jadis celle de l’« immigré » ou du « beur » – est l’un des fondements de l’islamophobie.

    Si nous évoquons ici des phénomènes aussi extrêmes que l’usage du terrorisme, et que nous citons quelques noms de chercheurs ayant pris soin de se démarquer des lectures essentialistes, c’est pour mieux appeler tous les observateurs à adopter une telle démarche quand ils abordent des pratiques sociales d’apparence « religieuse » comme le port d’une kippa, d’un hijab, d’une « grande croix » ou d’une barbe fournie. Ces faits sociaux ne doivent pas être mécaniquement envisagés comme des « problèmes » : dans la plupart des cas, ils ne sont que des manifestations somme toute assez banales de la pluralité culturelle et confessionnelle dans une société démocratique. L’ampleur du « problème musulman » est avant tout affaire de perception : plus la perception de l’Autre sera hostile et restrictive, plus le « problème musulman » paraîtra grand.

    Hajjat & Mohammed, Islamophobie , La Découverte, 2013, p. 262-263.