person:panaït istrati


  • Je lis Joseph Conrad depuis ma plus tendre et rêveuse enfance.
    « Au coeur des ténèbres », « Lord Jim », « Nostromo », « La rescousse », « Le Frère-de-la-Côte ».
    Avec Conrad, Cendrars, Kessel, Panaït Istrati et Tristan Corbière (qui ne quitta jamais son port de Morlaix !), enfant j’étais bien chaussé. Plus tard, Balzac, Giraudoux, Henri Calet ou Louis Guilloux me remettront les pieds sur terre.
    Je viens de relire « Un anarchiste, un conte désepéré », « petit » livre d’une cinquantine de pages de Conrad paru dans une revue américaine en 1906.
    2012, un siècle plus tard, ce Conrad sonne toujours juste.
    L’histoire ? Une histoire ordinaire. Celle d’un homme qui après s’être ennivré avec une bande d’anarchistes illégalistes aux idéologies sans scrupules (on pense alors à Eugène Dieudonné condamné au bagne, accusé à tort d’appartenir à la Bande à Bonnot ou bien au jeune André Soudy embrigadé malgré lui dans une aventure sanglante qui le dépasse ou encore au célèbre film d’Arthur Penn « Bonnie and Clyde ») se retrouve envoyé au bagne. « Il ne faut pas beaucoup pour perdre un homme. » écrivait Maupassant. Notre homme profite d’une mutinerie pour s’évader avant d’être ratrappé par un certain Harry Gee, responsable du domaine de Maranon, filiale de la Compagnie B.O.S. multinationale qui finit, en échange de sa liberté, par l’employer, sans salaire, comme esclave.
    Comme souvent chez Conrad (comme chez Dostoïevski ou Kafka) le trait est ironique, sans pitié pour l’homme seul au milieu d’un monde tragique. Pas bien gai tout ça me direz-vous !
    Effectivement mais ce livre va plus loin qui le fait résonner encore aujourd’hui. Conrad s’acharne contre la publicité naissante ("une dégradation mentale") de son époque...déjà ! Il s’attaque aussi au capitalisme, sans coeur ni loi, qui broie, au nom des ressources humaines, les êtres humains.
    Conrad n’est pas plus tendre avec les anarchistes de l’époque (la belle époque des anarchistes) qu’il voit comme des êtres « chauds à la tête faible » et qui ne sauront pas quoi faire de leur révolution. Après les bombes...y’aura quoi ?
    Conrad, comme souvent, est un extrémiste qui va jusqu’au bout de son écriture. Il condamne les excés du capitalisme comme les excés des politiques qui, tous deux, savent abuser de notre personne si elle n’y prête pas attention.
    Malgré le nihilisme une belle leçon de prudence face à toutes les croyances...Conrad nous prévient de rester vigilant face à tous ceux qui veulent penser pour nous, penser par nous...
    « Personne n’est mon semblable ma chair n’est pas leur chair ni ma pensée leur pensée. » Max Stirner.