person:patrick simon

  • http://www.multitudes.net/category/l-edition-papier-en-ligne/70-multitudes-70-printemps-2018

    Derrière ce #bloody_paywall se cache un excellent article de Yann Moulier Boutang que je copie-colle ici sans vergogne excessive, grâcieusement offert par quelque dysfonctionnement inopiné d’un agrégateur de flux rss.

    C’est assez clinique comme analyse et au delà de s’élever contre les futurs lois contre l’immigration, ça a le mérite supérieur de démontrer que cette politique est juste stupide, démonstration qui n’est finalement pas inutile.

    Je ne mets pas en citation pour éviter le rapetissement d’un texte inaccessible autrement

    Misère du monde ou misère des politiques migratoires ?

    Pour repousser une régularisation massive (de quelques dizaines de milliers de sans-papiers), Michel Rocard, loin d’être le plus bête ou le plus pusillanime des hommes politiques de la gauche française, avait lâché la célèbre bourde : « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. » Pourquoi une bourde ? Parce que la misère du monde n’a pas la force physique et mentale de quitter son pays d’origine. Seuls ceux qui en veulent affrontent l’exil. Gérard Collomb, avec son projet de loi sur l’asile et l’immigration, vient de cumuler à peu près toutes les erreurs qu’on peut commettre en matière de migrations internationales : les termes dans lesquels il a posé les débats, les catégories (donc les différenciations qu’il entend introduire), les solutions prônées, les résultats, le ton, la méthode, les propositions, tout est bon à jeter au cabinet, comme on dit chez Molière. La Présidence Hollande s’était enlisée dans le grotesque projet de déchéance de nationalité. Visiblement la leçon n’a pas été tirée.

    Gérard Collomb peut se consoler sur un point : il est aussi nul que ses prédécesseurs de gauche et de droite passés, que les Insoumis, centristes, marinistes et autres philippotistes futurs . Au royaume des aveugles, les borgnes sont les rois. Les associations qui connaissent le terrain depuis plus d’un demi-siècle, quelques intellectuels pourtant conseillers ou soutiens d’Emmanuel Macron, comme Jean Pisan-Ferry, ont émis un timide « Non possumus ». Le Défenseur des droits, Jacques Toubon ; a mis les pieds dans le plat courageusement. Yann Moix a remis l’ancien maire de Lyon à sa place. Pour le reste, les critiques ou propositions de l’opposition interne ou externe au gouvernement ont été d’une rare insanité, y compris celles qui se réclament d’un « peu plus de tendresse dans un monde de brutes », confondant migrations et chocolat (Lindt) !

    Demandez à n’importe quel expert réel en matière de migrations internationales en France et ailleurs1 (pas ces jeunes conseillers de l’administration aux dents acérées mais aux idées courtes). Tous ont souligné le niveau lamentable du débat. Il y a de quoi enrager : répétez dix fois, vingt fois que s’abriter derrière la distinction entre réfugiés politiques, qu’on pourrait admettre, et migrants économiques, qu’il faudrait châtier et renvoyer séance tenante « chez eux », est une ânerie ; quand le problème à traiter est celui des réfugiés économiques, vous verrez réapparaître ce distinguo éculé, qui est réaffirmé avec un mélange insupportable de naïveté et de morgue.

    Tuez-vous à rabâcher méthodiquement depuis cinquante ans, que le durcissement des conditions d’accès au permis de séjour est à la fois injuste et parfaitement inefficace. Mieux, démontrez que le système lui-même de permis de travail est une forme de travail forcé et d’esclavage temporaire moderne (y compris par une thèse de 500 pages De l’esclavage au salariat, 1998, PUF), vous aurez toujours l’inertie des gratte-papier et des officiers de police administrative qui opposent aux droits fondamentaux de la personne, l’application de la énième circulaire ou pire, la haïssable pratique de l’état de fait : couper l’eau aux migrants puis la rétablir quand on a été désavoué par le Conseil d’État, à hauteur d’auges à cochons, gazer les couvertures de sans-abri, laisser mourir de froid des adolescents qui se lancent dans la traversée des cols des Alpes. On peut comprendre la rage qui saisit toute personne qui a vaguement une âme. Mais la rage contre des abrutis ou des canailles de petite volée n’est rien à côté de celle, métaphysique et purement intellectuelle, qui saisit le chercheur quand il voit un gouvernement s’asseoir sur tout élément de savoir rationnel.

    Prenons le grand argument de l’équilibre (à la française sans doute ?) de la loi en gestation

    Le couple humanisme-générosité pour l’asile versus réalisme-fermeté à l’égard des migrants économiques a été invoqué pour donner un fondement et un peu de hauteur à cette suite de bassesses indignes. Nous avons dit plus haut que cette dichotomie passait tout à fait à côté de la réalité. L’immense majorité des réfugiés politiques ne sont pas seulement des belles âmes à haute conscience politique et sans motivation économique. Croit-on que des familles d’Alep ou de la plaine de la Ghouta syrienne, qui croulent sous les bombes et prennent le chemin de l’exil vers la Turquie ou Lesbos, ne sont pas des réfugiés économiques ; c’est parce qu’elles n’ont plus de toit, plus d’argent, plus de quoi manger, et également plus d’hommes armés pour les protéger qu’elles partent. Et quand bien même elles ne seraient pas politisées, juchées sur des barricades ou inscrites dans un parti d’opposition officielle, ne supportant plus une situation intenable sur tous les plans, à commencer par celui de savoir si elles vont manger le soir, ou si leurs enfants vivront demain, en seraient-elles pour autant des bandes de délinquants pour ne pas entrer dans la catégorie de sacro-saintes circulaires qui ajoutent à l’outrage de ne pas leur offrir l’asile, l’insulte de les culpabiliser ?

    Les Tartuffes français de l’asile après avoir temporisé tout ce qu’ils pouvaient pendant 6 ans annoncent, avec un sérieux passablement comique, être prêts post festum à accueillir 150 000 réfugiés estampillés « pur jus », alors que l’Allemagne en a déjà reçu plus d’un million. Certes, la France peut trouver encore plus pingre qu’elle, du côté des Magyars, des Polonais et des pauvres Tchèques, dont on aurait pu penser que leur histoire ne les conduirait pas à une telle déchéance morale. Mais alors, que le coq gaulois étatique ne se dresse par sur ses ergots ni ne bombe le torse de la leçon. Seuls les humanitaires des associations nous sauvent de la honte nationale et européenne.

    Au passage puisque quelques esprits paraît-il littéraires (les Renaud Camus, les Houellbecq) parlent d’invasion, de soumission, il faudrait redresser leur sens des proportions, sens aviné autant perverti et avili : 550 millions d’Européens dans l’UE (je compte les Britanniques encore dans l’Union, car ils sont touchés eux aussi par le même syndrome) recevant 5 millions de réfugiés en un an, cela ne ferait que 0,9 % ou 9 pour 1 000. Pas grand-chose. L’UE pourrait recevoir sans problème 0,5 % de nouveaux arrivants soit 3 millions de personnes par an. Au terme de 10 ans d’entrées (en supposant qu’il n’y ait aucun retour ce qui est très irréaliste), ces trente millions d’entrants ne constitueraient que 5,4 % de la population totale actuelle. Dont au reste la natalité européenne a déjà bien besoin dans la plupart de ses États membres. La Hongrie est particulièrement touchée par ce syndrome paranoïaque, car la rançon de son refus depuis 1990 de toute immigration est que sa population diminue de 15 000 personnes par an. Son refus d’accueillir un sang neuf la condamne au suicide démographique. Avis à l’Autriche, à la République Tchèque ? Quant à la Pologne, la dégringolade de son taux de fertilité conduit ses hiérarques, obsédés par un nationalisme du XVIIIe siècle, à vouloir revenir sur le peu d’espace concédé à l’avortement.

    Mais il faut ajouter au manque risible de pertinence, la parfaite idiotie de ramer à contre-courant et à contretemps. La croissance économique repart dans toute l’Union Européenne. Chacun sait que pour le marché du travail banal et peu payé, ces centaines de milliers de migrants prêts à travailler n’importe où constituent une aubaine prodigieuse, ce que l’Allemagne a compris trois bonnes années avant la France. En revanche, les réfugiés politiques plus qualifiés, mieux dotés en argent, sont susceptibles d’entrer en concurrence avec les couches plus élevées de la main-d’œuvre. L’extrême droite, comme dans les années 1930, rejointe par ce qui reste des Républicains, pourrait ne pas tarder à réclamer des quotas pour protéger l’emploi « qualifié-de-souche ».

    Le réalisme censé équilibrer « en même temps » la générosité de l’asile n’est pas plus réaliste que l’asile concédé à dose homéopathique n’est humaniste et généreux.

    Demeure une question : ce n’est pas faute d’avoir été avertis que les gouvernements répètent à satiété les mêmes erreurs. Sont-ils purement et simplement bêtes et incompétents ? Ce serait trop simple. Nous avons suffisamment approché des hauts fonctionnaires de l’administration de la « chose migratoire » pour pouvoir avancer une autre explication. Les migrations internationales constituent pour eux un double défi culturel, à la fois pour le concept de souveraineté dont ils sont les produits défraîchis et pour la notion même de politique.

    Quiconque se frotte à la réalité des migrations internes ou transnationales s’aperçoit qu’elles ont une autonomie forte par rapport à leur inscription dans un espace institutionnel, aussi bien dans le pays de départ que dans celui d’arrivée. Adam Smith disait que de toutes les marchandises, la plus difficile à transporter, c’était l’homme ; à la fois parce qu’il refuse de bouger où l’on voudrait qu’il aille, mais aussi et surtout, parce qu’il bouge quand on veut le fixer. On ne règle pas le volume des entrées et des sorties comme on le ferait d’un débit d’eau au robinet. Quant au migrant, il n’est pas un pur produit de la réglementation, alors que la réglementation en revanche réagit aux mouvements des migrants et cherche à l’assujettir à des impératifs économiques ou bien à s’en servir symboliquement pour des motifs purement électoraux. Casser du migrant (clandestin, sans papiers, terroristes), ça paie toujours.

    L’administration d’État se trouve donc confrontée au fait migratoire et au système migratoire, produit de l’interaction des mouvements humains, des réglementations mais aussi de toutes les variables instables qui rentrent dans l’équation (les catastrophes politiques, climatiques, le regroupement familial, les pressions économiques, les organisations communautaires). La mondialisation troue la souveraineté : l’économique en est l’exemple toujours cité, mais les migrations humaines minent encore plus l’espace dévolu à la politique et à l’administration car, contrairement au marché, elles mettent en jeu des valeurs inconditionnelles que n’aime pas la loi « nationale » et encore moins la circulaire administrative.

    Pourtant, il est rigoureusement impossible de mélanger les ordres. La vie, le respect des personnes, la priorité des enfants et des femmes, sont des valeurs inconditionnelles. Aucune raison d’État ne peut avoir raison contre ces valeurs. Elles sont d’un autre ordre, dirait Pascal et approuverait Ricœur. La désobéissance civique est un impératif catégorique. Le respect de cette loi-là pose des problèmes mais pas ceux qu’on croit : pas celui de l’assujettissement provisoire, dans une « morale de provision », de ces valeurs à la raison d’État, encore moins à la raison raisonnable appuyée sur les sophismes comme le passage à la limite : mais si tout le monde désobéit... En fait, c’est à la politique de s’ajuster au corset de cette inconditionnalité. Le politique ne devrait s’aventurer sur ce terrain miné qu’avec une grande prudence et une humilité extrême. Et c’est ce bât-là qui blesse la haute fonction publique.

    Comme le « gros animal » de l’État n’a pas l’habitude de cet état de prudence, d’humilité, de modestie vis-à-vis de quelque chose qui le dépasse (quoi de plus étranger à l’État souverain qui régit un territoire que cette prétention des hommes sur la planète de traverser les pays, de changer de « souverain » ?), il faut que d’autres organes se chargent de le lui rappeler (Cour Constitutionnelle, le Conseil d’État) et à défaut les associations.

    Ce serait évidemment à l’Union Européenne de rappeler à l’ordre les États membres, mais on voit que cela supposerait qu’elle en finisse avec le concept de souveraineté illimitée.

    Alors souhaitons à Emmanuel Macron de l’audace, encore de l’audace, fédéraliste pour l’Union ; ce n’est pas avec la loi Collomb que le groupe de Visegrad va être mis au pas.

    Le projet de loi Collomb

    – Pénalisation croissante : les migrants obligés de laisser leurs empreintes dans les « hotspots » des pays d’entrée (Grèce, Italie, Espagne) seront mis en centre de rétention dès leur arrivée en France ; la durée de rétention administrative passera de 45 jours à 135 jours ; le franchissement non autorisé des frontières extérieures de l’espace Schengen sera puni d’un an de prison ; les déboutés de l’asile ne pourront plus demander d’autre titre de séjour.

    – Accélération des procédures : 90 jours pour déposer une demande au lieu de 120 jours aujourd’hui ; 15 jours pour déposer un recours au lieu de 30 jours aujourd’hui ; la décision pourra être prise par ordonnance, sans entretien avec le migrant ; le recours ne sera plus suspensif dans les cas de « procédure accélérée » ; les personnes pourront alors être expulsées du territoire sans délai.

    Cf. www.lacimade.org/decryptage-projet-de-loi-asile-immigration

    1 Pensons à Catherine Withold de Wenden, Patrick Weil, Jean-Pierre Garson, Roxane Silberman, Patrick Simon ou François Héran par exemple.

    • #misère #asile #migrations #réfugiés #loi_asile #France #valeurs #souveraineté #Etat-nation

      Je mets en relief ici un passage sur la #catégorisation #catégories :

      Le couple humanisme-générosité pour l’asile versus réalisme-fermeté à l’égard des migrants économiques a été invoqué pour donner un fondement et un peu de hauteur à cette suite de bassesses indignes. Nous avons dit plus haut que cette dichotomie passait tout à fait à côté de la réalité. L’immense majorité des réfugiés politiques ne sont pas seulement des belles âmes à haute conscience politique et sans motivation économique. Croit-on que des familles d’Alep ou de la plaine de la Ghouta syrienne, qui croulent sous les bombes et prennent le chemin de l’exil vers la Turquie ou Lesbos, ne sont pas des réfugiés économiques  ; c’est parce qu’elles n’ont plus de toit, plus d’argent, plus de quoi manger, et également plus d’hommes armés pour les protéger qu’elles partent. Et quand bien même elles ne seraient pas politisées, juchées sur des barricades ou inscrites dans un parti d’opposition officielle, ne supportant plus une situation intenable sur tous les plans, à commencer par celui de savoir si elles vont manger le soir, ou si leurs enfants vivront demain, en seraient-elles pour autant des bandes de délinquants pour ne pas entrer dans la catégorie de sacro-saintes circulaires qui ajoutent à l’outrage de ne pas leur offrir l’asile, l’insulte de les culpabiliser  ?

      Et la question liée aux #préjugés sur l’ #afflux et l’#invasion :

      Au passage puisque quelques esprits paraît-il littéraires (les Renaud Camus, les Houellbecq) parlent d’invasion, de soumission, il faudrait redresser leur sens des proportions, sens aviné autant perverti et avili  : 550 millions d’Européens dans l’UE (je compte les Britanniques encore dans l’Union, car ils sont touchés eux aussi par le même syndrome) recevant 5 millions de réfugiés en un an, cela ne ferait que 0,9 % ou 9 pour 1 000. Pas grand-chose. L’UE pourrait recevoir sans problème 0,5 % de nouveaux arrivants soit 3 millions de personnes par an. Au terme de 10 ans d’entrées (en supposant qu’il n’y ait aucun retour ce qui est très irréaliste), ces trente millions d’entrants ne constitueraient que 5,4 % de la population totale actuelle. Dont au reste la natalité européenne a déjà bien besoin dans la plupart de ses États membres. La Hongrie est particulièrement touchée par ce syndrome paranoïaque, car la rançon de son refus depuis 1990 de toute immigration est que sa population diminue de 15 000 personnes par an.

      #idées-reçues

      Et pourquoi, même les #murs et #barrières_frontalières ne marchent pas ?

      Quiconque se frotte à la réalité des migrations internes ou transnationales s’aperçoit qu’elles ont une autonomie forte par rapport à leur inscription dans un espace institutionnel, aussi bien dans le pays de départ que dans celui d’arrivée. Adam Smith disait que de toutes les marchandises, la plus difficile à transporter, c’était l’homme  ; à la fois parce qu’il refuse de bouger où l’on voudrait qu’il aille, mais aussi et surtout, parce qu’il bouge quand on veut le fixer. On ne règle pas le volume des entrées et des sorties comme on le ferait d’un débit d’eau au robinet.

      et #merci à @philippe_de_jonckheere

  • L’ouvrage « La tentation radicale » d’O. Galland et d’A. Muxel : une enquête défectueuse | Jean Baubérot
    https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/100418/l-ouvrage-la-tentation-radicale-d-o-galland-et-d-muxel-une-enquete-d

    Questions et réponses auraient été différentes si la composition de l’échantillon avait permis une véritable comparaison… et si la perspective avait été plus distanciée. La #laïcité en est un exemple type ou les préoccupations des acteurs adultes (proviseurs, enseignants[8]) sont reprises, sans tenir compte des travaux effectués sur la question. Ainsi est proposée l’affirmation : il est normal que « les jeunes filles qui souhaitent porter le voile en raison de leurs convictions religieuses ne puissent pas le faire à l’école ». Je suis sûr que, n’ayant pas accompli les longs dépouillements sophistiqués issus de tout le lourd dispositif mis en place par l’équipe, vous n’avez aucune idée du groupe qui s’est montré le moins en accord avec cet item, le groupe des « chrétiens » ou celui des « musulmans ». Je ne vous fournirai pas la réponse afin de maintenir l’insoutenable suspens qui va vous faire précipiter chez votre libraire favori pour acheter l’ouvrage !

    Je ferai seulement remarquer que la loi de 2004 interdit les « signes religieux ostensibles » et, avec la circulaire, nommément la kipa : tout le « système politique » s’est d’ailleurs évertué à nous dire qu’il ne s’agissait pas d’une loi « antivoile ». Galland serait-il en « rupture » avec ce système ? Bref, si la question avait été posée, selon les termes de la loi et à l’échantillon que je suggère, les résultats n’auraient sans doute pas été les mêmes.

    D’autre part, impertinent comme je suis, j’aurais complété la seconde question, l’affirmation « les cantines scolaires devraient servir des plats différents selon les convictions religieuses des élèves » par « …comme l’armée française le fait pour ses soldats »[9], histoire d’inciter les élèves à enrichir leur réflexion sur la laïcité, par la connaissance de la différence entre la laïcité scolaire et la laïcité militaire que, curieusement, aucun membre du « système politique » n’aborde.

    La laïcité elle-même est réduite à ces deux questions. Aucune question, par exemple, sur la présence ou non de crèches dans les bâtiments publics, ou sur les dites racines chrétiennes de la France… ou il aurait été, pourtant, intéressant de comparer les réponses des musulmans et des catholiques. Et je n’ai fait qu’une allusion à un autre sous-échantillon : les « sans religion ». Tout simplement parce que l’ouvrage ne fait état d’aucune question qui aurait pu mesurer leur propre « radicalité ». Pourtant, j’en ai une sur les lèvres : « est-il légitime de croire qu’il y a une seule vraie religion » ?

    • La fabrique du coupable musulman | Par Patrick Simon, Socio-démographe
      https://aoc.media/analyse/2018/06/15/fabrique-coupable-musulman

      Depuis une quinzaine d’années [1], les populations musulmanes sont au cœur de débats publiques virulents en France, comme dans de nombreux pays européens. Ils portent aussi bien sur l’organisation et la représentation de l’Islam, sur les formes d’expression religieuse dans l’espace public et dans les institutions, que sur les modalités de participation dans l’école (élèves et parents) ou les entreprises, et plus généralement tout ce qui rend visible l’existence de musulman.e.s . Les unes de la presse magazine s’enchaînent sans discontinuer, faisant mine de s’inquiéter comme l’Express du 26 septembre 2012 avec « La peur de l’islam » ou dénonçant cet « Islam sans gêne » (Le Point du 30 Octobre 2012), voire la « Conquête islamique » (Valeurs Actuelles du 4 octobre 2017). Les cassandres médiatiques diagnostiquent l’irrémédiable incompatibilité de l’islam et de la République et l’inassimilabilité des musulman.e.s, tandis que des responsables politiques de premier plan, dont un ancien premier ministre, convertissent la laïcité en machine d’exclusion massive. Le choc des attentats de 2015 a renforcé ce contexte de chasse aux sorcières et pendant que la spirale à stigmatisation s’emballe, les antiracistes se déchirent sur le vocabulaire approprié pour qualifier la situation : islamophobie ou racisme anti-musulman ?

      Dans ce contexte de surenchère où les faits divers déformés tiennent lieu de vérité sociologique, on attend des sciences sociales qu’elles informent le débat public avec des recherches documentées en prise avec les dynamiques sociales et politiques, nourries de travaux empiriques. Contrairement aux commentaires fréquents des pouvoirs publics, les recherches sur l’Islam et les musulmans en France se sont beaucoup développées, et le cumul des connaissances atteint désormais une masse critique très significative. C’est en revanche du côté des recherches quantitatives que le déficit perdure. Or les données statistiques tendent à fournir des arguments d’autorité dans les débats publics, et leur absence ne permet pas de contrer la contestation de nombre de travaux monographiques de qualité quand ils ne vont pas dans le sens des attentes politiques.

      Commentant en 2010 les données disponibles sur les personnes musulmanes, Claude Dargent relevait qu’elles étaient très largement lacunaires : non seulement la religion est rarement renseignée dans les grandes enquêtes de la statistique publique, mais même quand c’est le cas, les musulmans qui ne représentent que 7% de la population française ne constituent que de très petits effectifs dans les enquêtes et sondages en population générale. Le nombre de personnes musulmanes lui-même fait l’objet d’estimations les plus diverses et fantaisistes, avec des fourchettes de 5 à 10 millions de personnes pour l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant, 8 millions pour le polémiste très droitier Jean-Paul Gourevitch qui voit des musulmans cachés partout, voire près de 30 millions pour les contempteurs du grand remplacement qui ont intérêt à faire du nombre pour crédibiliser leur rhétorique.

      Ces surenchères se nourrissent de l’idée qu’il n’est pas possible de connaître vraiment le nombre de musulmans, précisément parce que les données manquent, ou lorsqu’elles existent, qu’il y a un intérêt à minimiser leur présence. Les Français sont d’ailleurs ceux qui surestiment le plus la proportion de musulmans dans leur pays (à 31% au lieu de 7,5%) si l’on en croit le sondage « The perils of misperceptions » réalisé par Ipsos-Mori en 2016.

      Or les choses changent : l’enquête Trajectoires et Origines (TeO) réalisées en 2008-2009 par l’Ined et l’Insee comprend un échantillon représentatif de 5 700 personnes se déclarant musulmanes enquêtées en France métropolitaine, et d’autres enquêtes enregistrent la religion ce qui permet des analyses spécifiques sur les musulmans. On connaît donc avec une fiabilité certaine le nombre de personnes se déclarant musulmanes en 2008 – 4,1 millions – et on dispose d’informations détaillées sur leurs pratiques et trajectoires sociales. De nombreux travaux plus monographiques ont été conduits : les recherches sur l’islam en France éclairent de manière plus substantielle la situation des musulmans. Mais cela ne répond pas à l’accusation lancée aux musulman.e.s de ne pas jouer le jeu de l’intégration républicaine. Un nouveau type d’enquêtes est alors apparu pour instruire le procès : les musulman.e.s ne seraient-ils et elles pas en train de faire sécession, repliés sur leur communauté, en rupture avec la loi commune, résolument contre la laïcité mais également contre l’égalité entre femmes et hommes, homophobes, antisémites et pour faire bonne mesure se détachant de l’identité nationale française ?

      L’intérêt inquiet pour les attitudes, et plus largement les valeurs et représentations du monde des musulman.e.s, s’est ainsi retrouvé dans deux enquêtes récentes, celle conduite pour l’Institut Montaigne dans le cadre du rapport « Un islam français est possible » et l’enquête dirigée par Olivier Galland et Anne Muxel La tentation radicale. Je voudrais relier la discussion des résultats – fortement médiatisés – de ces deux enquêtes pour en interroger les prémices et les méthodes développées tant elles me semblent procéder d’une même logique de procès à charge à l’encontre des personnes musulmanes. Pour le dire simplement, il ne s’agit pas de reprocher aux enquêtes de traiter des formes de radicalité ou de fondamentalisme religieux, mais plutôt de discuter la manière de le faire et l’interprétation des résultats.

      L’institut Montaigne a publié en septembre 2016 un rapport intitulé « Un islam français est possible ». Son objet était principalement pour Hakim Ekl Karoui, son principal rédacteur, d’apporter une lecture critique de l’organisation institutionnelle de l’islam en France et de proposer une série de recommandations pour le réformer, qu’il a complétées par la suite dans un essai paru en 2018. Mais avant de développer ce qui fait l’essentiel de son propos, le rapport livre les résultats d’un sondage réalisée par l’IFOP sur un échantillon de 1 029 personnes se déclarant musulmanes ou « de culture musulmane », c’est-à-dire ayant au moins un parent musulman mais ne se considérant plus comme tel.

      L’enquête fournit des éléments de cadrage sur les pratiques religieuses des personnes interrogées, mais entreprend surtout de saisir leurs rapports à la société, aux normes et aux institutions, leurs valeurs et leur opinions et attitudes. En toile de fond se dessine l’enjeu de cette connaissance : « proposer des solutions susceptibles d’accélérer la sereine insertion de la majorité silencieuse [des musulmans], mais aussi des mesures destinées à combattre le fondamentalisme, tout en ramenant le plus grand nombre possible de musulmans – souvent des jeunes – tentés par l’intégrisme vers des croyances et des idées en phase avec les valeurs républicaines » [2].

      Pour identifier les personnes musulmanes, l’IFOP a exploité un panel de 15 459 personnes où la question de la religion est posée pour tirer un échantillon de 874 musulmans et 155 personnes « de culture musulmane ». La justification de la présence de ces 155 non-musulmans, mais venant de familles musulmanes, n’est pas très claire, alors que par ailleurs les attitudes des musulmans ne sont pas comparées à celles de non musulmans. Cette absence de comparaison conduit à « exemplariser » les valeurs, normes et attitudes enregistrées, comme si seuls les musulmans devaient les développer alors qu’elles pourraient s’appliquer à beaucoup de non musulmans.

      C’est le cas notamment des questions sur la laïcité, interprétées de manière relativement négative alors qu’elles abordent le sujet de façon ambiguë. À partir de la question : « En France, la laïcité permet-elle de pratiquer librement sa religion ? », les auteurs concluent à une contestation de la laïcité lorsque les réponses sont négatives. Or il n’est pas nécessaire d’être musulman pour considérer que la laïcité coercitive développée ces dernières années complique la pratique religieuse. On peut adhérer ou pas à cette interprétation de la laïcité, mais de là à en déduire une « attitude de retrait et de séparation du reste de la société », il y a un pas que les auteurs franchissent trop rapidement. A ce compte, une partie significative de la population non musulmane nourrit des visées fondamentalistes.

      Autre exemples d’ambiguïté des questions retenues pour tirer le portrait du rigorisme musulman : dans les questions relatives à la mixité entre les sexes, notamment le fait d’accepter de se faire soigner par un médecin d’un autre sexe que le sien, de serrer la main à une personne de l’autre sexe ou de lui faire la bise, les musulmans font preuve d’une relative absence de sélection sexuée : plus de 90 % acceptent de se faire soigner par une personne de l’autre sexe et 88 % à lui serrer la main. Le rapport relève néanmoins que 30 % ne font pas la bise. Mais en quoi cette attitude est-elle spécifique aux musulmans ? Sait-on seulement combien de non-musulmans n’ont pas envie de faire la bise à l’école, au travail et plus généralement dans la vie sociale ? D’autres indicateurs construits sur la position à l’égard du port du voile ou de la burqa, de la consommation halal ou de la loi religieuse comportent leur part d’ambivalence et pourraient conduire à des interprétations plus nuancées que celles qui sont développées.

      Le problème central avec ces questions à sens multiples est leur utilisation pour construire une typologie des musulmans en les classant « des plus modérés aux plus autoritaires ». Selon cette typologie , 46 % des personnes musulmanes ou de culture musulmane sont « totalement sécularisées ou en voie d’intégration dans le système de valeur de la France contemporaine », 25 % développent une forte identité religieuse mais « acceptent la laïcité » et 28 % « réunissent des musulmans qui ont adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». Ce dernier groupe, qualifié de musulmans « rigoristes », est présenté comme en rupture avec la société.

      Cette conclusion spectaculaire n’a pas manqué de susciter les commentaires politiques alarmistes sur les dérives des musulmans en France et de faire fleurir les raccourcis de « rigoristes » à « djihadistes ». Une illustration récente est venue de Gérard Collomb dans son interview sur BFM/RMC au sujet du port du voile par une représentante étudiante de l’UNEF à Paris 4. Le ministre de l’intérieur a ainsi jugé choquant le port du voile par la syndicaliste, se demandant si « cet islam veut converger avec la culture française » et enchaînant sur l’attirance de jeunes musulmans pour Daech en citant les 28% de l’enquête.

      On comprend un peu mieux le problème quand la seule comparaison dans l’enquête entre les attitudes des musulmans déclarés et des personnes de « culture musulmane » (mais qui ont dit qu’elles n’avaient pas de religion) montre une étrange proximité de positions : si 28 % des musulmans sont dans le groupe des « rigoristes », c’est le cas de 21 % des non-musulmans. C’est-à-dire que des personnes sans religion adhèrent à des attitudes présentées comme le signe d’une forme de radicalisme religieux. Ce problème dans le design des questions et leur interprétation pourrait ne relever que d’un débat scientifique si les conséquences politiques de la publication des résultats n’avaient pas produit des effets stigmatisants sur les musulman.e.s de France qui n’en demandaient pas tant.

      La radicalisation religieuse et politique est devenue une question brûlante pour la recherche après les attentats de 2015. Parmi les projets financés par le programme « Attentats-Recherche » du CNRS figure l’enquête dont est issu l’ouvrage La tentation radicale : enquête auprès des lycéens dirigé par Olivier Galland et Anne Muxel (PUF). L’enjeu de l’enquête est de mesurer l’impact des idées radicales et les facteurs de leur appropriation par les enquêtés. Le ciblage sur les musulmans n’est pas explicite au début mais devient évident dans la constitution de l’échantillon et dans le traitement de l’enquête. En effet, si le dispositif comprend une enquête quantitative auprès de lycéens âgés de 15 à 17 ans doublée d’entretiens individuels et collectifs avec ce même public et une enquête « témoin » avec des jeunes du même groupe d’âge, les lycées enquêtés ont été choisis dans 4 académies (Créteil, Aix-Marseille, Dijon et Lille) en sur-représentant les lycées professionnels et polyvalents de sorte à avoir une forte représentation de « lycéens d’origine populaire et immigrée », dont des élèves musulmans. De fait 26% des 6 814 lycéens enquêtés dans 23 lycées se déclarent de religion musulmane, ce qui est bien plus que la moyenne en France (7,5% en population générale, mais sans doute plutôt 10% pour ces classes d’âge).

      S’intéressant à la radicalité, les promoteurs de l’enquête en fournissent une définition générale visant « un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, économique, social et culturel, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société » et entendent couvrir non seulement la radicalité religieuse mais également la radicalité politique (sans fondement religieux). Pour autant, les analyses traitent séparément ce qui relève du religieux (le chapitre 2 sur la radicalité religieuse par Olivier Galland) et du politique (le chapitre 4 sur la radicalité politique par Anne Muxel). Curieusement le livre ne traite pas de leurs interactions, c’est-à-dire des usages politiques du religieux ou inversement du rôle de la religion dans la radicalité politique, de telle sorte que les deux chapitres ne conversent pas entre eux.

      À aucun moment, Anne Muxel ne mobilise la catégorie du religieux dans ses analyses de l’extrémisme politique. Cette déconnexion est d’autant plus étonnante que les spécificités de la radicalisation religieuse sont fortement débattues et déterminent l’interprétation que l’on peut avoir des passages à la violence à fondement religieux : cela tient-il avant tout d’une disposition de la religion – essentiellement l’islam – à générer les comportements de rupture violente, dont le terrorisme, ou la violence religieuse n’est-elle qu’une dimension de la violence politique ? Pour manichéenne qu’elle soit, cette alternative résume une partie des débats et on attendait de l’enquête qu’elle démêle l’écheveau des déterminations de la radicalité.

      Ce n’est pas précisément ce qu’elle fait dans les différents chapitres qui balaient de nombreux thèmes brulants mais selon des perspectives hétérogènes et parfois contradictoires. Aux deux chapitres sur les radicalités religieuses ou politiques s’ajoutent des chapitres sur les réactions des lycéens aux attentats de 2015, la réception des théories du complot et les relations entre frustration, discriminations et radicalité. J’ai déjà exposé dans une tribune du journal Le Monde mes critiques sur la façon dont le chapitre d’Olivier Galland dresse un procès à charge contre les jeunes lycéen.e.s musulman.e.s, et je voudrais résumer ici l’argumentaire sur les problèmes de l’administration de la preuve dans cette enquête.

      Tout d’abord, l’absence de représentativité de l’échantillon ne serait pas problématique si les singularités des comportements n’étaient pas attribuées au groupe spécifique des musulman.e.s. Or une partie des attitudes en matière de normes sexuelles et sexuées, notamment l’homophobie supposée des musulmans, se rencontrent également dans des segments de la population française qui n’ont pas été enquêtés ici. Le biais d’observation renforce l’interprétation de particularisme musulman.

      Deuxièmement, et c’est là ma critique la plus importante, les questions utilisées pour construire les indicateurs de radicalité et d’absolutisme religieux sont mal construites, ambiguës et équivoques. Si les enquêtes en psychosociologie ont testé des grilles de questions sur les attitudes autoritaires, réactionnaires, libérales etc, la façon d’enregistrer de façon non équivoque les attitudes à l’égard de l’homosexualité, la laïcité, ou l’absolutisme religieux est relativement fluctuante. Dans cette enquête, l’homophobie est captée par une question formulée ainsi « l’homosexualité est une façon comme une autre de vivre sa sexualité ». Celles et ceux qui sont en désaccord avec cette phrase sont considérés comme hostiles à l’homosexualité, mais il aurait été préférable d’utiliser une question directe mettant en évidence une hostilité à l’égard de l’homosexualité plutôt qu’une appréciation de type sociologique : on peut très bien considérer qu’il y a une façon spécifique de vivre sa sexualité en tant qu’homosexuel.le sans que cela soit nécessairement négatif.

      L’indicateur d’absolutisme religieux est déterminant dans les analyses décrivant les liens entre religion et radicalité. Or il n’est construit qu’à partir de deux propositions – « Il y a une seule vraie religion » et « lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, c’est plutôt la religion qui a raison » – dont le registre de signification déborde le domaine de l’absolutisme ou du rigorisme religieux. Les lycéens interrogés qui se disent musulmans sont 35% à avoir choisi la première réponse et 81 % la seconde, alors que les chrétiens ne sont respectivement que 10% et 27% à les ratifier. Les élèves sans religion sont évidemment très peu concernés par ces orientations. De façon prévisible, l’indicateur d’absolutisme distingue essentiellement des musulmans (75% des « absolutistes » sont musulmans), de telle sorte que tous les comportements raccrochés à l’absolutisme sont explicables par l’appartenance religieuse. Il y a là un mécanisme d’endogénéité, pour utiliser une expression courante en statistique, ou un biais tautologique. Ainsi donc, l’analyse singularise les musulmans dans un indicateur, et explique ensuite que c’est la religion qui détermine la tolérance à la violence ou la propension à la déviance.

      Là encore, la déviance est approchée à partir de questions qui associent des transgressions civiques, comme conduire sans permis ou tricher aux examens, à des version explicites de violence, comme affronter les forces de l’ordre et la police. Ces attitudes extrêmement hétérogènes sont néanmoins traitées comme un continuum et associées dans l’indicateur qui devient synonyme d’une forme de disposition à la violence radicale. Celle-ci devient religieuse si l’enquêté trouve « acceptable dans certains cas de combattre les armes à la main pour sa religion ». Or le contexte de ce recours aux armes est laissé indéterminé et la façon dont les lycéens comprennent cette proposition apparaît variable pour les auteur.e.s qui relèvent que les lycéens peuvent avoir à l’esprit le droit à se défendre de minorités religieuses persécutées.

      Les enseignements des groupes de discussion, qui ont été mis en place par les chercheurs en plus des questionnaires, soulignent la diversité des interprétations derrière les réponses à ces propositions. C’est pourtant sur cette base qu’Olivier Galland conclut à un « effet islam » sur l’adhésion à des idées absolutistes et à la justification de la guerre religieuse, tandis que les propriétés scoio-économiques ou l’expérience des discriminations n’expliqueraient pas ou très peu ces orientations. Que ces conclusions soient ensuite infirmées par le chapitre dédié aux discriminations ne conduit pas les promoteurs de l’enquête à modifier leurs conclusions générales.

      On retrouve avec cette enquête, et les raccourcis qu’elle propose, les limites observées dans l’enquête de l’institut Montaigne, à savoir la confection d’indicateurs ad hoc pour démontrer la rupture des musulmans avec les normes collectives, une forme de particularisme engageant à l’affrontement avec la société et, dans le contexte actuel d’actes terroristes, à une violence radicale qui trouverait sa source essentiellement dans l’engagement religieux. Il ne s’agit pas de critiquer le principe d’enquêtes sur les valeurs, les opinions et attitudes des musulman.e.s, jeunes ou moins jeunes, mais d’en discuter la construction et la mise en œuvre. Chacune présente des limites méthodologiques qui fragilisent leurs conclusions. Elles contribuent de fait à la fabrique de la figure des musulman.e.s en coupable idéal, réactionnaire potentiellement violent en rupture de République. Certes, ce ne sont que 28% de rigoristes pour l’institut Montaigne ou 32% d’absolutistes pour Galland et Muxel, mais le message que ces enquêtes font passer est très clair : il y a une propension endogène à l’islam qui génère les dispositions radicales et violentes. Inutile de chercher d’autres explications, qu’elles soient sociales, liées à des trajectoires ou des expériences de stigmatisation ou de discrimination.

      Olivier Galland avait d’ailleurs annoncé la couleur dans un article de la revue Le Débat, quelques mois avant la publication du livre. Profitant de la controverse ouverte par l’ouvrage de Gérald Bronner et Etienne Géhin contre la sociologie critique, il dénonçait à son tour la « sociologie du déni » qui ignore les ratés de l’intégration des jeunes d’origine immigrée, et tout particulièrement des musulmans en France. Prenant pour cible l’enquête TeO de l’Ined, il reprochait à Vincent Tiberj et à moi de ne pas avoir perçu les mécanismes de radicalisation religieuse à l’oeuvre et de développer « une conception victimaire de la population immigrée ».

      Il est vrai que dans cette enquête nous n’avons pas cherché à savoir si les immigrés et leurs descendants pensent bien ou mal, mais plutôt à savoir ce qu’ils font et, solidairement, ce que la société et les institutions leur font, c’est-à-dire s’ils ont accès dans les mêmes conditions que les autres aux ressources de la société. Et la réponse que fournie l’enquête TeO est que les promesses d’égalité contenues dans le modèle républicain sont plus ou moins tenues pour les immigrés et leurs descendants d’origine européenne, mais très peu pour ceux d’origine maghrébine ou africaine. Nous n’avons pas décidé que ces derniers étaient des victimes, et nous utilisons du reste très peu cette terminologie. Nous montrons les conséquences de structures inégalitaires dans la société française qui sont non seulement fondées sur la classe sociale, mais également sur l’origine ethno-raciale et, pour ce qui concerne les personnes se déclarant musulmanes, sur la religion. Les inégalités et discriminations qu’elles et ils rencontrent sont démontrées par les résultats des analyses conduites sur la masse de données produites par l’enquête sur l’éducation, l’emploi, le logement, la vie familiale, la santé et les relations sociales.

      S’agissant du sentiment national, nous avons non seulement demandé aux enquêtés s’ils se sentaient français, mais également s’ils pensaient qu’ils étaient vus comme des français. Là encore les résultats sont sans ambiguïté : alors que près de 90% des descendants d’immigrés du Maghreb ou d’Afrique sub-saharienne se sentent français, ils sont plus de 40% à dire qu’ils ne sont pas considérés comme tels dans leur quotidien. Les personnes se déclarant musulmanes déclarent encore plus que les autres ne pas être vues comme françaises. Cette assignation aux origines ou à la religion et ce défaut de reconnaissance sont partagés par les Français d’origine turque ou asiatique et même par les Français des départements de l’Outre-mer. Nous en concluons que ce déni de francité révèle un problème d’acceptation que la diversité des origines, de la couleur de peau ou des religions et qu’il est une donnée constitutive de la société française. Nous montrons alors combien on ne peut oublier le rôle que joue la société dans son ensemble dans les processus d’intégration, plutôt que d’instruire à charge en rejetant la faute sur les immigré.e.s et leurs descendant.e.s.

      À ce titre, nous faisons effectivement une sociologie du déni, celle qui s’intéresse aux processus d’exclusion et de rejet dont toutes les enquêtes devraient se préoccuper. L’information existe dans les deux enquêtes qui sont discutées ici, mais leurs auteurs ont choisi d’autres pistes d’analyse. Qu’il soit permis de considérer qu’elles échouent sur deux plans déterminants du point de vue des sciences sociales : elles ratent une partie essentielle des processus à expliquer et elles renforcent les préjugés à l’égard des musulmans en France.

      [1] Il y a toujours une part d’arbitraire à fixer le début d’une séquence historique. La construction d’un problème public procède par étapes et dans le cas du « problème musulman » celui-ci présente une généalogie ancienne réactivée par le cadrage des grèves dans l’industrie automobile en 1982 et 1983 et la première controverse sur le voile à l’école de Creil en 1989. On peut néanmoins situer la montée en puissance du « problème musulman » aux débats aboutissant au vote de la loi sur les signes religieux à l’école de 2004 (voir A.Hajjat et M.Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman », La Découverte, 2013).

      [2] Institut Montaigne, Un islam français est possible, Septembre 2016, p.14.

  • Lynchée après ses propos sur le viol, Brigitte Lahaie fond en..
    http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/lynchee-apres-ses-propos-sur-le-viol-brigitte-lahaie-fond-en-larmes-s

    « On peut jouir lors d’un viol je vous signale ». Quelques heures après avoir lâché cette phrase à la télévision, Brigitte Lahaie regrette-t-elle cette sortie ? « Je regrette que cela ait été mal compris et surtout sorti de son contexte », explique-t-elle au présentateur Patrick Simonin. « C’est malheureusement une vérité. J’aurais peut-être dû ajouter ce “malheureusement” », reconnaît-elle avant de justifier ses propos. « Ce que je voulais dire, c’est que parfois, le corps et l’esprit ne coïncident pas (...) Je dis simplement que si on veut vraiment avancer sur la violence faite aux femmes, il faut peut-être comprendre comment on peut, en amont, faire que les choses changent ». Et d’ajouter, déjà émue : « Je peux regretter cette phrase parce que je n’ai pas vécu une journée très agréable. Mais, je ne dis jamais les choses pour blesser à l’antenne ».

    • A cause de l’espèce de #paywall de Libération :

      Stop au cyberharcèlement islamophobe contre l’association Lallab
      Libération, le 23 août 2017

      Nous, féministes, militant·e·s, chercheur·se·s, journalistes, artistes, citoyen·n·es, universitaires et entrepreneur·se·s, apportons notre soutien à Lallab. Le succès de cette jeune association féministe et antiraciste lui vaut de devoir répondre à nouveau à une campagne de désinformation, et à ses militantes de subir un épuisant cyberharcèlement nourri d’islamophobie et de sexisme. Cet acharnement doit cesser.

      Lallab entend lutter contre les préjugés sur les femmes musulmanes. Sa mission est claire : produire un environnement, des ressources et des outils favorisant la liberté, pour que chaque femme musulmane puisse définir son identité et son parcours de vie. Lallab est une association areligieuse, aconfessionnelle et apartisane dont le rêve est qu’aucune femme ne soit plus jugée, discriminée ou violentée en raison de son genre, de son physique, de son orientation sexuelle, de ses origines ou encore de ses convictions religieuses.

      Ces objectifs sont affirmés dans les statuts de l’association déposés en préfecture, sur son site internet et dans tous ses outils de communication. On peut par exemple lire ceci sur cette page de leur site : « Les femmes musulmanes sont réduites à un silence paradoxal. On ne cesse de parler d’elles mais sans jamais leur donner la parole. […] Les musulmanes sont représentées comme un bloc homogène avec une histoire unique. Ecrire soi-même son histoire est un moyen de se la réapproprier et de déconstruire les mythes qui y sont attachés. […] Notre combat va au-delà des droits des femmes musulmanes ! Nous souhaitons que chaque personne puisse être non pas ce que l’on souhaite qu’elle soit, mais bien ce qu’elle veut être. »

      Afin de concrétiser cet objectif, Lallab a développé des outils militants : réalisation d’une série documentaire « Women Sense Tour in Muslim Countries », organisation de projections débats, édition d’un magazine en ligne, réalisation de portraits mettant en valeur la diversité des vies et des parcours de femmes musulmanes, animation d’un réseau de bénévoles, d’ateliers de sensibilisation et de rencontres culturelles, notamment un festival féministe qui a réuni plus de 500 personnes à la Bellevilloise en mai 2017.

      En un peu plus d’un an, le travail de Lallab a été salué par de nombreuses instances. La Fondation de France a récompensé sa cofondatrice, Sarah Zouak, dans le cadre de son prix « Déclic Jeune » pour sa série documentaire. Cette dernière a aussi reçu le premier prix de Coexister « Femme française émergente 2016 » ou le premier prix « militante associative » du Gala de la femme africaine. L’énergie de l’association lui a valu de nombreux reportages et articles dans la presse : le Monde, Télérama, TV5 Monde, Cheek, ELLE, Grazia… Un tel bilan devrait apporter au moins du respect pour le travail effectué et les objectifs visés. Mais l’accomplissement de Lallab vient de lui valoir une nouvelle campagne de désinformation et de cyberharcèlement misogyne et islamophobe, la troisième en huit mois.

      Le déclencheur a été, cette fois-ci, l’annonce que l’association se dotait à la rentrée d’une équipe de deux salariées et de trois volontaires du service civique. L’agence d’Etat concernée a été noyée sur les réseaux sociaux de messages occultant la réalité du travail de Lallab, véhiculant approximations, procès d’intention et mensonges à son sujet. Cette campagne virulente n’a pas uniquement visé l’association. Ses militantes ont été personnellement victimes d’un attirail de cyberviolences : surveillance sur les réseaux sociaux, recherche et diffusion en ligne d’informations privées, menaces de viol, de meurtre, insultes, raids de cyberharceleur·se·s. Ces méthodes, nourries par le sentiment d’impunité de ceux qui s’y adonnent, résultent en une culpabilisation des victimes, une silenciation des concerné·e·s, et, plus préoccupant encore, entraînent une banalisation d’attitudes et de propos islamophobes.

      La cyberviolence a porté en partie ses fruits. Sans en discuter d’abord avec l’association, l’Agence du service civique a annoncé le retrait des annonces pour les trois candidatures, avant de rétropédaler, face à une réaction massive de soutien à Lallab sur les réseaux sociaux. Selon l’agence, ce retrait n’ait été motivé que par des problèmes techniques. Cela doit cesser. En plus de menacer la structure de l’association et ses activités militantes, ces violences ont un impact physique et psychique massif sur les bénévoles. Nous ne pouvons rester silencieux·ses face à un tel acharnement. Se taire serait se rendre complices. C’est la raison pour laquelle, après avoir manifesté individuellement notre soutien à Lallab, nous nous rassemblons pour cosigner cette tribune et montrer notre détermination à défendre l’association, ses membres et ses valeurs, contre les responsables des raids virtuels dirigés contre elles.

      A l’origine des trois campagnes dirigées contre Lallab, on trouve des membres de l’extrême droite et de groupes identitaires, mais aussi des personnes prétendant défendre une vision « intransigeante » de la laïcité et de l’universalisme républicain. En plus de reposer sur une compréhension erronée de la loi de 1905, cette supposée intransigeance est en réalité une intolérance, voire une paranoïa, qui s’exerce à l’égard d’une seule religion : l’islam. Cette vision les rend complices de l’extrême droite, les amène à hurler avec elle, et à défendre une vision raciste et sexiste de la société. À cet égard, nous dénonçons la responsabilité particulière du Printemps républicain, ou encore du site Ikhwan Info. Supposément de gauche, féministe, universaliste et laïque, ce mouvement s’en prend ici à une association qui rassemble des femmes directement concernées par la misogynie et le racisme, et qui s’auto-organisent pour lutter contre. Ces structures passent par l’approximation et la manipulation pour défendre un universalisme abstrait et une République qui dissimule mal ses inégalités.

      Lallab s’inscrit dans une démarche bienveillante et inclusive. Nous refusons que ses militantes et tant d’autres avec elles, soient constamment scrutées, agressées, acculées et menacées. Nous exigeons que les responsables de ces campagnes rendent des comptes sur les mensonges et les agressions dont ils et elles sont directement ou indirectement responsables. Et, par-dessus tout, nous nous inquiétons de la façon dont les institutions étatiques s’engouffrent systématiquement dans les brèches ouvertes par ces campagnes calomnieuses, compromettant le travail essentiel mené par Lallab contre l’islamophobie qui s’exerce, en France, avec une virulence préoccupante, contre les femmes musulmanes.

      Signataires : Leïla Alaouf, auteure, militante féministe et antiraciste ; Zahra Ali, sociologue à la Rutgers University ; Rebecca Amsellem, cofondatrice des Glorieuses ; Pouria Amirshahi, ancien député, co-fondateur du Mouvement commun ; Christian Andreo, directeur général adjoint de Aides ; Armelle Andro, enseignante à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Judith Aquien, cofondatrice de Thot ; L’association Act Up Paris ; L’association A nous la nuit ! ; L’association En avant toute(s) ; L’association KÂLΠ; L’association FéminiCités ; L’association Les Dégommeuses ; L’association Identité plurielle ; L’association Stop harcèlement de rue ; Pénélope Bagieu, auteure ; Radia Bakkouch, présidente de Coexister ; François.e Blanchon dit.e Fraka ; Alice Barbe, entrepreneuse sociale, directrice Singa France ; Lauren Bastide, journaliste et productrice de podcasts ; Elsa Bastien, journaliste ; Julien Bayou, porte-parole de EE-LV ; Assia Benziane, adjointe au maire de Fontenay-sous-Bois ; Nargesse Bibimoune, auteure, militante antiraciste et féministe ; Fred Bladou, activiste sida ; Sirma Bilge, professeure au département de sociologie de l’université de Montréal ; Laurent Bonnefoy, chercheur au CNRS ; Lucas Bolivard, président de Génération progressiste ; Pascal Boniface, universitaire ; Guillaume Bonnet, fondateur de l’Accélérateur de la mobilisation citoyenne ; Joséphine Bouchez, cofondatrice de Ticket for Change ; Mathilde Boudon-Lamraoui, militante associative ; Anaïs Bourdet, graphiste et créatrice de Paye ta shnek ; Laura Carpentier-Goffre, doctorante au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po ; Silvia Casalino, ingénieure et militante lesbienne ; Rébecca Chaillon, metteuse en scène, performeuse et artiste associée au Centre dramatique national de Normandie-Rouen ; Ismahane Chouder, co-présidente du Collectif des féministes pour l’égalité ; Aya Cissoko, auteure et ancienne athlète de haut niveau ; Clumsy, militante antiraciste ; Le collectif Asiatopie ; sensibilisation au racisme anti-asiatique ; Le collectif Des Raciné·e·s ; Le collectif Féministes contre le cyberharcèlement ; Le collectif Féministes par inadvertance ; Le collectif Ferguson in Paris ; Le collectif Garçes ; Le collectif Globule Noir, groupe de soignant·e·s luttant contre les discriminations au sein des institutions hospitalières ; Les collectifs Paye ton bahut, Paye ta blouse, Paye ton couple, Paye ta famille, Paye ton gynéco, Paye ton IVG, Paye ton jeu, Paye ton journal, Paye ton psy, Paye ta race, Paye ta soirée, Paye ta truelle, Paye ta police ; Le collectif de la Pride de Nuit ; Le collectif ROSA ; Le collectif du magazine féministe Simonae.fr ; Le collectif Team Bagarre ; Le Comité de luttes et d’actions queer (CLAQ) ; Alice Coffin, militante féministe et lesbienne ; Virginie Combe, militante pour l’égalité des droits ; Le Couvent de Paname : les sœurs de la perpétuelle indulgence ; Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, Professeure émérite à l’université Paris VII Diderot ; Laurence De Cock, historienne ; Karima Delli, députée européenne EE-LV ; Christine Delphy, sociologue et auteure chez Les Mots sont importants (LMSI) ; Magali Deval, militant·e écologiste et LGBT ; Rokhaya Diallo, écrivaine et journaliste ; Tara Dickman, entrepreneure sociale, formatrice de formateurs sur la laïcité pour les agents du service public ; Lucia Direnberger, militante féministe et sociologue ; Angeline Dorzil, diplômée en Genre, changement social et politiques ; Eva Doumbia, metteure en scène ; Emma, blogueuse féministe ; Eric Fassin, sociologue à l’université Paris VIII ; Gwen Fauchois, lesbienne, blogueuse et activiste ; Amandine Gay, réalisatrice ; Camille Gelpi, journaliste ; Clara Gonzales, activiste féministe ; Nacira Guénif, sociologue à l’université Paris VIII ; Alain Gresh, journaliste ; Samuel Grzybowski, fondateur du mouvement Coexister ; Leïla H., militante féministe et créatrice de Check tes privilèges ; Malika Hamidi, sociologue et auteure de Un féminisme musulman et pourquoi pas ? ; Benoît Hamon, fondateur du Mouvement du 1er Juillet ; Samia Hathroubi, enseignante et militante associative ; Antoine Henry, militant de la lutte contre le sida ; Alix Heuer, militante féministe, cofondatrice de W(e) Talk et des Glorieuses ; Anne-Charlotte Husson, blogueuse et chercheuse sur le genre ; Siham Jibril, entrepreneure, fondatrice de Génération XX ; Hanane Karimi, sociologue et féministe antiraciste ; Rachel Khan, auteure et comédienne ; Azadeh Kian, professeure de sociologie, directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Cedref) de l’université Paris-VII Diderot ; Léopold Lambert, rédacteur en chef de The Funambulist ; Stéphanie Lamy, cofondatrice du collectif Abandon de famille - Tolérance zero ; Mathilde Larrère, historienne ; Jehan Lazrak-Toub, cofondatrice de W(e) Talk ; Elisabeth Lebovici, critique d’art et auteure ; Anaïs Lecoq, journaliste ; Cécile Lhuillier, activiste LGBTI+ et féministe ; Johanna Luyssen, journaliste et cheffe du service web à Libération ; Grâce Ly, auteure, productrice ; Maeril, illustratrice et directrice artistique ; Myriam Marzouki, metteure en scène ; Philippe Marlière, politiste ; Jérôme Martin, activiste LGBTQI, professeur, ex-Act Up Paris ; Elsa Miské, co-fondatrice de Slice Up ; Morgane Merteuil, militante féministe ; Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis en charge de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité femmes-hommes ; Khadija Moussou, journaliste à Elle.fr ; Céline Mouzon, journaliste à Alternatives économiques ; Mrs Roots, auteure et blogueuse militante afroféministe ; Musulmans inclusifs de France ; Nadia et Nora, fondatrices du magazine Dialna.fr ; Diariata N’Diaye, créatrice de l’application App-Elles ; Hawa Ndongo, étudiante ; Océanerosemarie, auteure, comédienne, réalisatrice ; Les Ourses à plumes, webzine féministe intersectionnel ; Ovidie, réalisatrice documentariste ; Julie Owono, avocate et directrice exécutive d’Internet sans frontières ; Julie Pascoët, activiste, chargée de plaidoyer à l’European Network Against Racism ; Ndella Paye, militante afroféministe et antiraciste ; Lorraine Poncet, chargée d’étude à l’université Paris-I Panthéo-Sorbonne ; Dorothée Prud’homme, chercheure associée au Centre Emile Durkheim, Sciences-Po Bordeaux ; Sandra Regol, porte parole EE-LV ; Valérie Rey, dite « Crêpe Georgette », militante féministe ; Meriem Rodary, anthropologue et féministe antiraciste ; Emilia Roig, directrice du Intersectional Center for Justice ; Diane Saint-Réquier, militante féministe ; Julien Salingue, docteur en sciences politiques ; Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie ; Geneviève Sellier, universitaire ; Rachid Sguini, illustrateur, auteur du blog Les Gribouillages de Rakidd ; Patrick Simon, démographe ; Laura Slimani, conseillère municipale de Rouen, ancienne présidente des Jeunes socialistes ; Charlotte Soulary, militante féministe ; Pierre Tévanian, professeur de philosophie, auteur chez LMSI ; Elise Thiébaut, auteure ; Sylvie Tissot, sociologue, auteure chez LMSI ; Emilie Tôn, journaliste ; Françoise Vergès, docteure en sciences politiques, titulaire de la chaire « Global South(s) » à la Maison des sciences de l’homme, présidente du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, auteure ; Nils Wilcke, journaliste à Alternatives Economiques ; Women’s March Barcelona ; Women’s March Geneva ; Women’s March Global ; Women’s March London ; Women’s March Netherlands ; Women’s March Paris.

  • La non-mixité raciale, outil d’émancipation ou repli communautaire ?
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2016/07/28/la-non-mixite-raciale-outil-d-emancipation-ou-repli-communautaire_49

    Pour le sociologue Eric Fassin, cette nouvelle génération a peu en commun avec les travailleurs immigrés ou les sans-papiers mobilisés depuis trente ans : elle a fait des études supérieures, elle aspire à des postes qualifiés, et elle a pris sa place dans le milieu de la recherche ou de l’art. Elle fait partie de la classe moyenne, mais elle vit des expériences de discriminations et de plafond de verre qui lui sont insupportables.

    « Si les non-Blancs ont commencé à se faire entendre, c’est parce qu’une nouvelle génération diplômée est apparue, explique le chercheur. Faire l’expérience du racisme quand on est en bas de l’échelle sociale, ce n’est pas surprenant. Mais quand on a réussi socialement, on ne s’y attend pas : l’exaspé­ration est d’autant plus grande. »

    Ces nouveaux militants sont bruyants, ils manient à merveille les réseaux sociaux et ils agacent d’autant plus qu’ils trouvent un écho réel auprès des jeunes qui leur ressemblent.

    Les activistes critiqués balaient cependant l’argument avec véhémence : ils ne dénoncent pas une réalité biologique, soulignent-ils, mais une réalité sociale. « Quelle hypocrisie ! s’agace ainsi Louis-Georges Tin, le président du CRAN. Personne n’est choqué par une autre non-mixité, celle qui est omniprésente dans les milieux des dominants. Ils cultivent l’entre-soi comme une stratégie de domination, en restant dans un monde d’énarques qui est masculin, quinquagénaire et bourgeois. Nous le faisons sur une autre logique, celle de l’ “empowerment”, en nous fondant sur le principe du “For us, by us”… et nous suscitons les critiques ! »

    Un paradoxe que souligne Patrick Simon, démographe, qui a codirigé la vaste enquête Trajectoires et origines (Insee-INED) :

    « Leurs détracteurs leur disent qu’ils n’ont pas le droit de parler de race. Mais comment nommer ce qui continue à peser sur le destin et les trajectoires sociales de ceux qui sont marqués par un ordre inégalitaire du fait des discriminations ethno-raciales ? Ces militants utilisent les armes de la sociologie critique pour montrer l’ampleur du racisme. Cela rend les gens très nerveux de se voir ainsi renvoyés à la position de dominants. »

    « Ces fortes résistances sont révélatrices de ce qui travaille le mouvement social et la gauche depuis des années, ajoute Catherine Achin, professeure de sciences politiques à l’université Paris-Dauphine. Il leur est impossible de penser l’intersectionalité, c’est-à-dire des rapports sociaux – sexe, race, classe – qui ne s’additionnent pas mais qui s’imbriquent les uns dans les autres. En France, être un homme maghrébin ou une femme noire, ce n’est pas la même chose qu’être un homme blanc ou une femme blanche. »

    « Se dire des choses entre soi »

    La volonté de partager des expériences et de construire une mobilisation autonome entre victimes d’une oppression n’est d’ailleurs pas nouvelle. C’est un vieil outil des luttes d’émancipation : il a été utilisé dans les années 1960 par le mouvement noir pour les droits civiques aux Etats-Unis, puis, dans les années 1970, par les féministes en France.

    « Le mouvement féministe a, lui aussi, été confronté à cette rhétorique critique : quand il organisait des réunions non mixtes, les hommes le taxaient de sexisme à l’envers, raconte Elsa Dorlin, enseignante-chercheuse en philosophie à Paris-VIII. A l’époque, il y avait une même inversion du lexique, comme si les dominants pleuraient parce qu’ils étaient accusés de domination. »

    #racisme #politique_France

    • « Sous couvert d’antiracisme, notre pays risque de voir émerger des “Ku Klux Klan inversés”, où le seul critère qui vaille sera la couleur de peau », a renchéri le président de la Ligue internationale contre le racis­me et l’antisémitisme (Licra), Alain Jakubowicz.

      Ku Klux Klan inversé ! Ca va loin dans le n’importe quoi. Cette comparaison me fait pensé au sketch de Dieudonné avec le colon israelien nazi, c’est la même idée. Sauf que Alain Jakubowicz irai pas dire que les colons israeliens sont des « nazis inversés » mais ca le dérange pas de parlé de Ku Klux Klan inversé...

      #inversion #renversionnite #nausée

    • Il est hallucinant ce Alain Jakubowicz et l’historique de la Licra. Sur wikipédia je trouve ceci :

      Procès pour racisme antiblanc (2012)
      Article détaillé : Racisme antiblanc ; https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisme_antiblanc

      Un homme de 28 ans, jugé pour des violences commises en 2010 dans le métro parisien et pour avoir insulté la victime en criant « sale Blanc, sale Français », avec la circonstance aggravante de « racisme », risque cinq ans de prison et 75 000 € d’amende.

      Pour la première fois dans ce type d’affaires, une association antiraciste, la LICRA, est partie civile. Elle entend consacrer son congrès annuel de mars 2013 à ce thème. Alors que Patrick Gaubert avait centré son action contre l’antisémitisme, le nouveau président Alain Jakubowicz entend sortir de cette thématique restrictive.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_internationale_contre_le_racisme_et_l%27antis%C3%A9mitisme#Proc.

      La comparaison avec le KKK est vraiment obscène. Venant du président d’une asso qui prétend lutter contre le racisme c’est encor plus consternant et revoltant. La LICRA se diversifie vachement, maintenant c’est la Ligue internationale contre le racisme anti-blanc, le sexisme anti-homme et l’antisémitisme anti-fabiusiste.

    • Quand au Cercle de la LICRA, ce n’est pas mieux

      Pour mener à bien ce travail et être influente sur les grandes décisions, la Licra s’enrichit d’un lieu de réflexion et d’influence, où se rencontrent responsables associatifs, chercheurs, universitaires, hauts fonctionnaires, chefs d’entreprise, personnalités du monde de l’art et de la culture, pour croiser expériences et analyses sur des thématiques qui font l’actualité et sur lesquelles la Licra est attendue. Ce lieu a vocation a devenir une plate-forme d’échanges et de débats de l’association, faisant le lien entre l’analyse et l’action. Il est la passerelle entre les animateurs des pôles, apporteurs d’idées et les militants de terrain qui souhaitent de plus en plus appuyer leur action sur une analyse argumentée. En disposant de son think tank, la Licra a son propre élément dynamisant, sa propre réflexion, libre et pluridisciplinaire, bousculant les idées reçues.

      pluridisciplinaire peut être, mais multicolore, certainement pas :
      http://www.lecercledelalicra.org/#accueil-2

  • Comment décrire la #diversité des origines en #France ? Une enquête exploratoire sur les perceptions des salariés et des étudiants

    Faut-il renoncer au principe républicain d’indifférenciation et établir une statistique permanente des origines de la population pour mieux lutter contre les #discriminations ? Mais, dans ce cas, quels critères prendre en compte : l’#origine déclarée, l’origine des ascendants ou l’appartenance ethno-raciale ? Et comment protéger la vie privée des intéressés ? Patrick Simon et Martin Clément ont évalué la cohérence des différentes méthodes d’enregistrement des origines dans plusieurs administrations et entreprises, tout en mesurant les réactions des
    personnes interrogées.

    https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19093/pop_et_soc_francais_425.fr.pdf
    #perception #représentation

  • Le démographe Patrick Simon à propos d’une enquête d’opinion de l’institut Montaigne sur les musulmans de France
    http://lemonde.fr/religions/article/2016/09/27/ce-que-l-on-fait-dire-aux-musulmans_5003823_1653130.html

    On comprend un peu mieux le problème quand on s’aperçoit que les attitudes des musulmans déclarés et des personnes de « culture musulmane » (mais qui ont dit qu’elles n’avaient pas de religion) sont finalement étrangement proches : si 30 % des musulmans sont dans le groupe des « rigoristes », c’est le cas de 21 % des non-musulmans. C’est-à-dire que des personnes sans religion adhèrent à des attitudes présentées comme le signe d’une forme de radicalisme religieux. Imaginons ce qui se serait produit si ces questions avaient été posées à l’ensemble de la population française.

    via @isskein cc @pguilli #radicalisation #islam

  • « Arrêtons de faire dire aux musulmans ce qu’ils ne pensent pas »

    L’Institut Montaigne a publié le 18 septembre un rapport intitulé de manière volontariste « Un islam français est possible ». Il propose une lecture critique de la connaissance et de l’organisation de l’islam en France et émet une série de propositions pour les réformer. Mais avant de développer ce qui fait l’essentiel de son propos, le rapport livre les résultats d’une enquête réalisée par l’IFOP sur un échantillon de 1 029 personnes se déclarant musulmanes ou « de culture musulmane », c’est à-dire ayant au moins un parent musulman mais ne se considérant plus comme tel.

    Les résultats de cette enquête ont reçu une importante couverture médiatique, en particulier la typologie en trois groupes de la population enquêtée classant les individus « des plus modérés aux plus autoritaires ». Selon cette typologie, 46 % des personnes musulmanes ou de culture musulmane sont « totalement sécularisées ou en voie d’intégration dans le système de valeur de la France contemporaine », 25 % développent une forte identité religieuse mais « acceptent la laïcité » et 28 % « réunissent des musulmans qui ont adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République ». Ce dernier groupe, qualifié de musulmans « rigoristes », est présenté comme en rupture avec la société. Cette conclusion spectaculaire n’a pas manqué de susciter les commentaires politiques alarmistes sur les dérives des musulmans en France et de faire fleurir les raccourcis de « rigoristes » à « djihadistes ».

    Il est évident que ces commentaires tirent le rapport un peu loin de son propos véritable, mais ils sont malgré tout rendus possibles par les interprétations tendancieuses de l’analyse de l’enquête par ses auteurs, ainsi que par la formulation équivoque des questions posées. Je voudrais revenir en détail sur le contenu de cette enquête, car s’il est bienvenu de donner la parole aux musulmans dans un sondage d’opinion, il ne faut pas leur faire dire n’importe quoi. L’enquête réalisée par l’IFOP est présentée comme une grande première, car il fallait, nous dit-on, combler les « carences de la statistique publique dès lors qu’il s’agit de religion ».

    L’affirmation est fausse, car si le recensement ne pose pas de question sur la religion, celle-ci est enregistrée dans plusieurs enquêtes de la statistique publique. Elle l’a été en particulier dans l’enquête « Trajectoires et origines », réalisée par l’INED et l’Insee en 2008, où 5 700 musulmans ont répondu au questionnaire.

    Formulation ambiguë

    Plusieurs publications ont fourni des chiffres de référence, représentatifs de l’ensemble de la population en France métropolitaine. Cela n’empêche évidemment pas de refaire des enquêtes sur les pratiques religieuses en France, et en particulier sur les opinions et pratiques sociales des musulmans, mais inutile d’en rajouter sur l’originalité. Pour identifier les personnes musulmanes, l’IFOP a exploité un panel de 15 459 personnes où la question de la religion est posée pour tirer un échantillon de 874 musulmans et 155 personnes « de culture musulmane ». La justification de la présence de ces 155 non-musulmans, mais venant de familles musulmanes, n’est pas très claire. La plupart des résultats sont calculés en les prenant en considération alors même que par définition leur rapport à la religion est plus que distant : ils se sont dits athées. En revanche, il n’y avait pas de groupe de comparaison de personnes n’ayant pas de rapport à l’islam pour identifier le « système de valeur de la population majoritaire », auquel s’opposeraient certains musulmans (28 % selon la typologie).
    Mais voyons quelles sont les questions qui déterminent la rupture avec les normes communes et les valeurs de la République. Le questionnaire n’est pas fourni avec le rapport, et les annexes méthodologiques sont pauvres. Contrairement à ce qui est annoncé, il n’est pas possible de retrouver comment les typologies ont été construites, ni de reproduire les résultats pour en vérifier la solidité. C’est embêtant, car il est répété à plusieurs reprises que c’est un travail scientifique à la méthodologie irréprochable et rien ne le prouve.

    Questions à la signification incertaine

    Les questions qui sont évoquées se montrent très hétérogènes. Leur formulation ambiguë conduit à différentes interprétations. Ainsi, on demande : « En France, la laïcité permet-elle de pratiquer librement sa religion ? » et si l’on répond non ou plutôt non, les auteurs avancent que l’on « conteste la laïcité ». Pourtant, on peut considérer que, dans ses expressions actuelles, la laïcité contraint la pratique religieuse, ce qui est un fait objectif, sans être nécessairement contre la laïcité. De même, les personnes classées comme « rigoristes » disent que « l’on devrait pouvoir exprimer sa foi au travail », ils sont « personnellement favorables à ce qu’une femme porte le voile – le hijab » et ils disent que la « loi religieuse est plus importante que la loi de la République ». Ils pensent peut-être également qu’une femme devrait porter le voile, mais ce n’est pas ce qu’on leur demande. De même, ils sont peut-être convaincus qu’il est indispensable d’exprimer sa foi au travail (et ailleurs), mais ce n’est pas ce que l’enquête leur a suggéré. Enfin, qu’ont-ils voulu dire en considérant que la loi religieuse est plus importante que la loi de la République ? Que le spirituel est plus important que le temporel ? Les auteurs eux-mêmes se demandent ce qu’il faut en penser, car s’ils utilisent les réponses à cette question comme marqueur principal du rigorisme religieux, ils admettent que cela ne veut pas dire que les « rigoristes » ne respectent pas la loi de la République.

    Enfin vient une question très étrange sur la polygamie, alors même que celle-ci n’est réellement pratiquée que dans certains pays d’Afrique subsaharienne et n’a jamais été évoquée dans les débats autour de l’islam en France. Qu’ont voulu dire les 25 % de personnes qui s’interrogent sur l’interdiction de la polygamie en France ? Cela fait beaucoup de questions à la signification incertaine pour pouvoir construire un ensemble d’attitudes cohérentes et convertibles en typologie.

    Les pratiques et les expériences

    On comprend un peu mieux le problème quand on s’aperçoit que les attitudes des musulmans déclarés et des personnes de « culture musulmane » (mais qui ont dit qu’elles n’avaient pas de religion) sont finalement étrangement proches : si 30 % des musulmans sont dans le groupe des « rigoristes », c’est le cas de 21 % des non-musulmans. C’est-à-dire que des personnes sans religion adhèrent à des attitudes présentées comme le signe d’une forme de radicalisme religieux. Imaginons ce qui se serait produit si ces questions avaient été posées à l’ensemble de la population française.

    Un dernier exemple montre le biais d’interprétation du rapport. Plusieurs questions abordent des attitudes relatives à la mixité entre les sexes, notamment le fait d’accepter de se faire soigner par un médecin d’un autre sexe que le sien, de serrer la main à une personne de l’autre sexe ou de lui faire la bise. Les musulmans font étonnamment preuve d’une absence de sélection sexuée : plus de 90 % acceptent de se faire soigner par une personne de l’autre sexe et 88 % à lui serrer la main. Le rapport relève néanmoins que 30 % ne font pas la bise. Mais en quoi cette attitude est-elle spécifique aux musulmans ? Sait-on seulement combien de non-musulmans n’ont pas envie de faire la bise à l’école, au travail et plus généralement dans la vie sociale ?

    Pseudo-groupe de « rigoristes »

    Enfin, il est très probable qu’il y ait pas mal de non-musulmans qui préfèrent ne pas se faire soigner par un médecin d’un autre sexe, et pas nécessairement pour des raisons religieuses. Il y a d’autres enseignements bien plus intéressants dans cette enquête, mais le maniement des questions d’opinion pour construire des ensembles d’attitudes et de représentations du monde est un exercice délicat.

    Cibler un pseudo-groupe de « rigoristes » sur la base de questions non significatives est scientifiquement infondé et peu responsable dans le contexte de tension actuel. Cette méthode construit artificiellement l’altérité des musulmans en inventant un refus des normes communes, alors que c’est plutôt de la pluralité des normes en France qu’il faudrait parler. Et si certains musulmans se reconnaissent dans des valeurs autoritaires et conservatrices, également partagées par des non-musulmans, faut-il en conclure qu’ils ne sont pas intégrés ? Plutôt que de faire dire aux musulmans ce qu’ils ne pensent pas, attachons-nous à restituer les pratiques et les expériences. Elles sont moins sujettes à interprétations.

    Patrick Simon (socio-démographe français et directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED).

    • Refugees are also Migrants. All Migrants Matter

      The recent debate over word choice has taken turns that undermine humanitarian principles and cloud the view of how migration is unfolding. The Washington Post, the New York Times, the Guardian, the BBC, and others have examined the usage of ‘refugees’ versus ‘migrants’ over the past week. The general impression is that ‘migrants’ are being thrown to the wolves. The most insidious contribution, sadly, comes from the United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR).

      https://www.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2015/09/refugees-are-also

    • La politique européenne contre les migrants

      Entretien avec #Virginie_Guiraudon, chercheure en Sciences Politiques, réalisé par Patrick Simon

      http://mouvements.info/la-politique-europeenne-contre-les-migrants

      Dans ce texte autour de la terminologie et de la #sémantique :

      Une controverse sémantique s’est développée entre l’utilisation des termes migrants ou réfugiés pour parler des populations fuyant les pays en guerre ou en crise politique. Si « migrants » est un terme générique qui peut s’appliquer à toute personne quittant son lieu de résidence habituel (avec une idée de durée pour ce déplacement), « réfugiés » renvoie à un statut tout autant qu’à une situation particulière. Le choix de l’un ou l’autre terme n’est donc pas neutre : quelle est votre position sur le sujet ?

      Bien sûr que cette distinction n’est pas neutre. Nommer, c’est catégoriser et assigner à un statut qu’il soit juridique à proprement parler ou social. Dans un cours sur les migrations, l’enseignant passe beaucoup de temps à discuter des termes employés qui renvoient à des notions sociologiques, à des statuts juridiques, ou des termes répandus par les acteurs politiques et les médias (clandestin ou sans papiers par exemple). Certains des termes circulent du champ scientifique ou juridique au champ politique. Je discute avec les étudiants quelles sont les connotations qui sous-tendent ces termes dont l’usage dans la sphère universitaire et publique n’est pas stable par ailleurs.

      Mais au-delà d’une réflexion sur « les mots de l’immigration » pour reprendre le titre d’un livre de Simone Bonnafous, la question ici est celle des oppositions qui traversent l’histoire des politiques d’immigration en Europe. Sur un mode binaire positif/négatif, les termes s’opposent dans les discours : oui aux réfugiés, non aux migrants économiques. Dans le jargon administratif européen, on parle de demandeurs de visas Schengen « mala fide » et « bona fide », c’est-à-dire de bonne ou de mauvaise foi. Et d’une certaine manière on retrouve cette connotation morale dans cette distinction entre migrants et réfugiés aujourd’hui.

      La mise en relation des deux termes a été au cœur du discours de nombreux médias et politiques depuis le début des années 1990 pour décrédibiliser tous les demandeurs d’asile comme étant des fraudeurs, des migrants économiques déguisés en réfugiés. Des expressions font florès à ce moment-là comme « bogus refugee » (« faux réfugié ») ou en Allemagne, « Armutsfluchtlinge » (« réfugiés économiques ») » au lieu du terme juridique Asylbewerber. Il a fallu peu de temps pour que ces locutions se banalisent. Je ne serai pas étonnée que bientôt resurgisse cette notion de « faux réfugié » mais cette fois-ci à partir des rumeurs sur la présence de djihadistes parmi ceux qui arrivent aux frontières.

      Mais rien ne dit qu’un jour prochain les indésirables soient les réfugiés, et les migrants économiques les étrangers « utiles ». On sépare aussi le bon grain de l’ivraie dans les discours dont les cadrages renvoient à un discours utilitariste plutôt que moralisant tout en gardant la même dichotomie. Rappelons-nous de l’opposition entre immigration subie et choisie de Sarkozy à la Convention de l’UMP en 2005. La doctrine sarkozienne est ancienne au Moyen-Orient, dans les pays limitrophes des pays aujourd’hui en guerre, notamment en Israël et dans les pays du Golfe. Dans les discours officiels, on « subit » les réfugiés (en nombre infime) puisqu’on n’a pas désiré leur venue comme cela peut être le cas avec les migrants économiques.

      Une dichotomie pour paraphraser le Derrida de Glas, c’est comme un gant qui peut se retourner.

      Pour ceux qui veulent établir un contre-discours, la façon dont le débat est posé peut être un piège. Pour nombre d’associations d’aide aux migrants en Europe, les migrants ne sont ni in/désirables, ni in/utiles…Que sont-ils alors ? C’est plus simple pour le patronat allemand notamment, qui peut argumenter que les réfugiés actuels sont une chance pour l’économie allemande et pour qui le mot-valise « réfugié économique » signifie force de travail motivée et à forte valeur ajoutée.

      Mais pour conclure et répondre à votre dernière question, je reviendrai à mon point de vue de chercheuse qui enseigne à l’université. Pour moi, mes étudiants étrangers sont des étudiants. Pour les autorités administratives, ce sont des étrangers avec un statut étudiant. Combien de cas de convocations en préfecture pour un renouvellement de titre de séjour avant la validation des diplômes ? Nous sommes nombreux aujourd’hui dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche à nous mobiliser pour accompagner dans les meilleures conditions les demandeurs d’asile qui vont arriver. Je me suis engagée dans un collectif de diverses universités soutenu par nos directions respectives, le collectif Refugees Welcome de l’UPSC. Mais aucun d’entre nous ne choisira ou privilégiera un étudiant par rapport à un autre. Nous nous devons de ne pas tomber dans le piège des catégorisations sinon notre métier n’a plus de sens. En temps que chercheurs sur les migrations, nous utilisons la notion de « carrière migratoire » qui s’intéresse au parcours du migrant et nombreux sont ceux qui ont connu différents statuts ; on ne peut réduire l’histoire de chaque migrant à une catégorie.

  • Patrick Simon : « La diversité doit être au cœur de nos débats politiques »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/190416/patrick-simon-la-diversite-doit-etre-au-coeur-de-nos-debats-politiques

    Comment comparer la place qu’occupent aujourd’hui les questions d’identité nationale, de vivre-ensemble et de diversité dans le débat public de part et d’autre de l’Atlantique ? Les réponses du sociodémographe français Patrick Simon, qui a participé à la grande enquête de l’Ined Trajectoires et origines et poursuit ses travaux de recherche aux États-Unis.

    #International #Amérique_du_nord #antiracisme #Barack_Obama #communauté_afro-américaine #diversité #Donald_Trump #Etats-Unis #France #Identité_nationale #immigration_illégale #intégration #Minorités_visibles #racisme

  • Emploi, école : les réussites et les blocages de l’intégration en France
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/01/08/les-enfants-d-immigres-s-integrent-mais-restent-victimes-du-chomage-et-de-la

    Du premier pied posé en France par un #immigré à l’installation dans la vie adulte de ses enfants s’écrit une histoire d’intégration. Pour comprendre ce processus, qui transforme en Français un nouveau venu et sa descendance, mais aussi pour en repérer les blocages, une équipe de 22 chercheurs de l’Institut national d’études démographiques (INED) et de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ont scruté les vies de 8 300 immigrés issus de sept vagues d’entrées successives. Ils les ont comparées à celles de 8 200 de leurs descendants et à des Français sans ascendance étrangère.

    Les 600 pages d’analyses, intitulées « #Trajectoires_et_origines », rendues publiques vendredi 8 janvier, se lisent comme le roman scientifique de la construction de la France contemporaine. Il raconte une société qui, en dépit de ses doutes, sait intégrer. Face aux hésitations sur notre capacité à recevoir les réfugiés de Syrie ou d’ailleurs, la science apporte donc sa pierre. Elle réfute le repli communautaire de la #deuxième_génération [et troisième ?] , qui n’apparaît pas dans les résultats de cette vaste #enquête réalisée en 2008-2009. Celle-ci confirme toutefois un phénomène de #ghettoïsation des fils d’immigrés venus du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou de Turquie. Il y perce d’ailleurs plutôt l’idée que, malgré les difficultés, l’« attachement à la France est fort », comme le rappelle le sociodémographe Patrick Simon, un des trois coordonnateurs des travaux.

    Ces travaux, qui auront duré pas loin de dix ans, présentent une #intégration_« asymétrique ». Certes, les #enfants_d’immigrés obtiennent des diplômes, trouvent des conjoints et des amis sans ascendance migratoire, ont souvent mis entre parenthèses la langue de leurs parents… Pourtant, ils restent plus longtemps victimes du #chômage que la population majoritaire et se sentent discriminés. « L’intégration socio-économique est difficile pour eux, alors que leur intégration sociale est en marche », résume Cris Beauchemin, le deuxième coordonnateur du projet. (...)

    Emploi : l’ascension sociale ne protège plus des discriminations

    Mais des indicateurs plus inquiétants viennent pondérer ces résultats. En effet, l’intégration économique des deuxième génération ne suit pas leur insertion sociale ; l’« asymétrie » se situe là. D’abord, un diplôme n’a pas le même rendement pour un enfant de migrant et pour un Français de lignée. Même si leur niveau scolaire n’a rien à voir, Mme Hamel, la troisième coordinatrice, observe que « la répartition des emplois des descendants d’immigrés s’approche de manière estompée de celle des emplois occupés par les immigrés de même origine » ; preuve du déclassement manifeste des personnes de seconde génération.
    « Ayant plus de mal à s’insérer dans le monde du travail, ils acceptent plus souvent des postes déqualifiés et ensuite y progressent moins vite que leurs collègues qui ne sont pas issus de l’immigration », regrette la sociologue. « Les enfants d’immigrés sont partout confrontés à des discriminations. Ce qui est vrai dans la recherche d’un emploi l’est aussi pour le #logement ou l’accès aux #loisirs », insiste-t-elle. « En fait, eux font le travail d’intégration. Mais quand la dynamique doit venir de la société française, là, les blocages apparaissent », regrette Patrick Simon.
    La seconde génération souffre plus que la première des discriminations et cette expérience est d’autant plus systématique qu’ils font partie des minorités visibles. Maghrébins, Turcs et Subsahariens en sont le plus souvent victimes. Et rien ne les protège : ni le mariage mixte ni l’ascension professionnelle. Au contraire. « Alors que le couple mixte est souvent conçu comme un indicateur d’intégration, les migrants et leurs enfants qui ont fait le choix de vivre en couple avec une personne de la population majoritaire subissent dans leur quotidien davantage de racisme », précisent les chercheurs, qui ajoutent que « les cadres immigrés sont significativement plus confrontés au #racisme que toutes les autres catégories socioprofessionnelles ».

    ENQUÊTE « TRAJECTOIRES ET ORIGINES »
    http://teo.site.ined.fr

    #discrimination #xénophobie #exploitation #précarité #relégation

  • je le crois pas !
    Selon une étude de l’INED, la couleur de peau influence les choix électoraux
    http://lemonde.fr/societe/article/2012/04/16/selon-une-etude-de-l-ined-la-couleur-de-peau-influence-les-choix-electoraux_

    c’est pas plutôt l’inverse, des positions politiques réac et xénophobes (et largement anti-arabes et anti-blacks) vs des positions politiques ouvertes à l’autre qui influencent les choix électoraux ? ou encore pour des raisons historiques personnelles ?