L’anthropocène, lieu de tensions scientifiques et politiques | Par #Jean-Baptiste_Fressoz
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Depuis les années 1980, les sciences du « système Terre » qui sont à l’origine du concept d’#anthropocène promeuvent une vision très particulière de notre planète comme un système certes complexe, mais un système tout de même que l’on peut analyser, décomposer, modéliser et surtout, si nécessaire, maîtriser. Dans un article de Nature de 1999, Hans Joachim Schellnhuber, une des sommités du domaine présentait sa discipline comme une « seconde révolution copernicienne ». Les promoteurs de l’anthropocène se comparent volontiers à Galilée, Darwin ou Pasteur, ils seraient les initiateurs d’une « révolution scientifique », alors même que l’idée de la Terre comme un système possède une longue généalogie que l’on peut, sans exagération, faire remonter aux théories de la Terre du XVIIe siècle.
Le point n’est pas simplement historique : la prétention à la nouveauté des savoirs sur la Terre est aussi une prétention des savants à agir sur celle-ci. La glorification des « sciences du système Terre », leur capacité à identifier les seuils et les « points de bascule » qu’il ne faut pas franchir sous peine de catastrophe servent surtout à justifier les entreprises les plus démiurgiques de « stabilisation » du « système Terre ». Par exemple : contrer le réchauffement climatique en injectant des particules soufrées dans la haute atmosphère pour renvoyer une partie de l’énergie solaire vers l’espace. A un anthropocène inconscient, succéderait enfin un « bon anthropocène » éclairé par les scientifiques. Et ce n’est pas un hasard si l’inventeur du mot « anthropocène », Paul Crutzen, est aussi un promoteur des techniques de la #géoingéniérie. Le rôle des sciences humaines est aussi de veiller à ce que l’anthropocène ne devienne le discours légitime d’un nouveau géopouvoir.