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  • Déconstruction des mythes fondateurs de la grandeur française René Naba - /oumma.com
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    Une lecture fractale de l’Histoire de France : Réponse à Bruno Gollnisch, Philippe Val, Philippe Douste Blazy et Nicolas Sarkozy

    La scène se passait en juin 1998, il n’y a pas si longtemps, huit ans environ à peine, un mois avant la grande communion multicolore du Mondial, la première victoire de la France bariolée dans le championnat du Monde de Football : Bruno Gollnisch, le successeur potentiel du dirigeant du Front National Jean Marie Le Pen, exhibait, au terme d’une conférence de presse, un attaché-case, dont il révélait le code secret de verrouillage comme un trophée de guerre (1).

    Le code secret par définition doit demeurer secret. Il se conserve comme une sainte relique. Pour M.Gollnisch, cela n’est évidemment pas le cas : le secret est public surtout lorsqu’il s’agit de stigmatiser, surtout lorsqu’il s’agit de glaner un succès à bon compte. Chacun a les satisfactions intellectuelles de son niveau d’éducation.

    Ménageant ses effets, il déclame en public sa combinaison magique de trois chiffres, l’égrenant lentement 7-3-2 dans un mouvement jouissif libérateur. 732. l’effet est assuré. 732, #Poitiers. La victoire controversée de #Charles_Martel sur les troupes arabes d’Abdel Rahman.

    Cela se passait donc en 1998 et #Gollnisch prenait pour référence un événement datant de 1266 ans. 1266 ans de rumination historique. Sans doute la marque manifeste du zèle d’un néophyte. 1266 ans de rumination pour ce Français de la troisième génération, comme l’on désigne en France les petits fils d’immigrés, en l’occurrence un petit fils d’immigrés allemands.


    Correspondant de guerre sur les théâtres d’opérations extérieurs du territoire métropolitain, l’exhibition impudique de Bruno Gollnisch, la passivité des #journalistes présents devant sa vaine et vaniteuse démonstration ont opéré comme un déclic en moi me propulsant dans une navigation sidérante dans le tréfonds de la conscience française, dont je souhaite vous livrer les conclusions sans appétence polémique particulière, dans le droit fil de la thématique de ce colloque « D’une rive à l’autre, Ecrire l’Histoire, Décoloniser les Esprits ».

    L’exercice ne relève ni de la démagogie, ni d’un populisme de bon aloi, de bonne guerre il est vrai, dans ce genre de démonstration. Il vise à apporter une contribution à la clarification sémantique et psychologique du débat post-colonial par le pistage des non-dits de la conscience nationale à travers un voyage dans les méandres de l’imaginaire français.

    Ni populisme, ni démagogie, ni dénigrement non plus. Mais l’application de l’analyse de contenu à de constats qui s’ils sont lapidaires ne sont nullement sommaires ni rudimentaires.

    Une thérapie par électrochocs en somme. Un voyage révélateur des présupposés d’un peuple, des ressorts psychologiques d’une nation et de la complexion mentale de ses dirigeants.

    Embarquons nous donc pour ce voyage de #déconstruction des mythes fondateurs de la #grandeur_française avec un grand merci pour Bruno Gollnisch d’en avoir été, involontairement, l’élément déclencheur.
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    Le Panache français ou le mythe de la grandeur
    Le propos n’est pas anodin. Il correspond à une réalité indéniable : la dernière grande victoire militaire française remonte à deux siècles. Oui deux siècles exactement. #Austerlitz. Certes il y eut #Valmy et le Pont d’Arcole. Puis Austerlitz. Le panache français en somme. Puis. Plus rien….drôle de panache. Ce fut ensuite Waterloo (1815), face aux Anglais, Sedan (1870), face aux Allemands, Fachoda (1898), qui brisa net l’accès de la France aux sources du Nil, au Soudan. Soit près d‘un siècle de désastres militaires ininterrompus, compensés, il est vrai, par les conquêtes coloniales notamment l’#Algérie. A croire que les expéditions coloniales sont d’utiles palliatifs aux désastres nationaux et par transposition au débat contemporain, les immigrés d’indispensables dérivatifs aux difficultés internes.

    #VERDUN 1916 et Rethondes I (l’armistice du 11 novembre 1918), cent ans après Waterloo refermeront la parenthèse néfaste. Mais là, les Français ne sont pas seuls. Ils ne peuvent plus revendiquer la victoire à leur bénéfice exclusif. C’est une « victoire alliée » qu’ils devront partager avec leurs alliés britanniques et américains mais aussi avec les nouveaux venus de la scène internationale : les #Basanés. 550.449 soldats de l’Outre mer dont 173.000 Algériens, soit 20 pour cent des effectifs et 10 pour cent de la population du pays participeront à l’effort de guerre de la France. 78.116 #ultramarins tomberont sur le champ d’honneur, soit l’équivalent de la totalité de la population de #Vitrolles et d’#Orange prises ensemble, les deux fiefs de l‘extrême droite française contemporaine.

    La pensée peut paraître sacrilège mais elle correspond, là aussi, à la réalité : Verdun est à ce titre autant une victoire française qu’une victoire arabe et africaine. Certes la « chair à canon » était présentée comme étant de peu de valeur face à la qualité des stratèges du Haut commandement. Mais le fait est là aussi démontré : Après Verdun beaucoup avaient cru naïvement que la France s’était réconciliée avec la victoire. Et bien non. 1940 et #Rethondes Bis (la capitulation de #Montoire du 21 juin 1940) apporteront la preuve du contraire. #Monte_Cassino (1944) lavera l’honneur français mais la plus grande victoire française de la Deuxième Guerre mondiale est une victoire mixte : Cent mille (100.000) soldats alliés, contre 60.000 Allemands, ainsi que 4000 ressortissants du #Maghreb auront payé de leur vie cette victoire. 4.000 originaires du Maghreb sur 6.300 tués dans les rangs français, soit les 2/3 des effectifs. Monte Cassino est donc tout autant une victoire alliée, qu’une victoire française, arabe et africaine.

    Le schéma est identique en ce qui concerne le domaine naval. Le dernier fait d’armes français -controversé tout de même- remonte à #Aboukir (1799). Puis ce fut au tour de Trafalgar (1805), Toulon (1942), le Charles de Gaulle et son hélice manquante durant la guerre d’Afghanistan (2001), la première guerre du XXI me siècle, enfin les pérégrinations de l’ancien joyau de la flotte française, le Clemenceau, en 2005. On aurait rêvé meilleur traitement à De Gaulle et à Clemenceau, tout de même deux personnages considérables de l’Histoire de France.

    Victorieuse avec ses anciens colonisés, la France retrouvera le chemin de la défaite lorsqu’elle se dressera contre eux. Carbonisée à #Dien_Bien_Phu (1954) contre le Vietnam, première victoire d’un pays du tiers monde sur un pays occidental, ainsi qu’en Algérie (1954-1962).
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    Le tryptique républicain (#Liberté, #Egalité, #Fraternité), le mythe fondateur de l’exception française.
    A) La liberté : 
La Colonisation est la négation de la Liberté. La #Colonisation n’est pas, loin s’en faut, « la mise en valeur des richesses d’un pays transformé en #colonie » selon la plus récente définition du dictionnaire « Le Petit Robert » Edition -2007

    La liberté et La colonisation sont proprement antinomiques. Car la colonisation est l’exploitation d’un pays, la spoliation de ses richesses, l’asservissement de sa population au bénéfice d’une #Métropole dont elle est, en fait, un marché captif, le réservoir de ses matières premières et le déversoir de son surplus démographique, de sa main d’œuvre et de sa surpopulation, le volant régulateur du chômage et de l’inflation dans les sociétés occidentales.

    Contraire aux idéaux de Liberté, d’Egalité et de fraternité, les principes fondateurs de la Révolution Française, la colonisation est le fossoyeur de l’#idéal_républicain. Elle l’aura été quand bien même d’illustres figures françaises, telles Léon Blum, la conscience morale du socialisme, auront voulu – déjà- en célébrer les bienfaits comme un devoir de faire accéder à la civilisation les peuples primitifs (2).

    Par transposition au débat contemporain, la rhétorique de #Léon_Blum est comparable à celle de la nouvelle conscience de la nouvelle gauche française, le philosophe #André_Glucksman, présentant l’invasion américaine de l’Irak en 2003 comme une contribution occidentale à l’instauration de la démocratie en terre arabe et non comme la mainmise américaine sur les gisements pétroliers de ce pays. « Le fardeau de l’homme blanc », théorisé par l’anglais Kipling, est un alibi commode, le thème récurrent à toutes les équipées prédatrices du monde occidental.
    B ) L’Egalité : 
L’exception française est une singularité : Premier pays à avoir institutionnalisé la terreur comme mode de gouvernement, avec Maximilien de Robespierre, sous la Révolution française (1794), la France sera aussi le premier pays à inaugurer la #piraterie_aérienne, en 1955, avec le déroutement de l’avion des chefs historiques du mouvement indépendantiste algérien Ahmad Ben Bella, Mohamad Khider, Mohamad Boudiaf et Krim Belkacem), donnant ainsi l’exemple aux militants du tiers-monde en lutte pour leur indépendance.

    La récidive dans la singularité est aussi un trait de l’exception française : En effet, ce pays jacobin, égalisateur et égalitaire se singularisera, aussi, en étant le seul pays au monde à avoir officialisé le « #gobino-darwinisme juridique », à avoir codifié en Droit « la théorie de l’inégalité des #races », une codification opérée sans discernement, pour promouvoir non l’égalité, mais la #ségrégation.

    La « Patrie des Droits de L’Homme » et des compilations juridiques modernes -le code civil et le code pénal- est aussi le pays de la codification discriminatoire, le pays de la codification de l’abomination : le pays du« #Code_Noir » de l’esclavage, sous la Monarchie, du « Code de l’#indigénat » en Algérie, sous la République, qu’il mettra en pratique avec les « expositions ethnologiques », ces « #zoos_humains » (3) dressés pour ancrer dans l’imaginaire collectif des peuples du tiers monde l’idée d’une infériorité durable des « peuples de couleur », et, par contrecoup, la supériorité de la race blanche comme si le blanc n’était pas une couleur, même si elle est immaculée, ce qui est loin d’être le cas.

    Un chiffre suffit à démontrer l’inanité de ce principe d’égalité : Trois membres du dernier gouvernement de l’ère chiraquienne présidé par Dominique De #Villepin (2005) ont été affectés à la mise en œuvre de ce principe dans ses diverses déclinaisons : la cohésion sociale (Jean Louis Borloo), la promotion de l’égalité des chances entre Français de souche et Français naturalisés (Azouz Begag) enfin la parité Hommes-femmes (Catherine Vautrin).

    Ce principe d’égalité est pourtant l’un des principes fondateurs de la République, entériné comme bien commun de la nation depuis deux siècles. Que n’a-t-on songé à le mettre en œuvre auparavant ? A croire que la laïcité ce concept unique au monde ne s’est forgé que pour servir de cache-misère à un #chauvinisme récurrent de la société française.

    Les hochets offerts épisodiquement non aux plus méritants mais aux plus dociles, en guise de lot de consolation, loin d’atténuer cette politique discriminatoire, en soulignent la parfaite contradiction avec le message universaliste de la France. Ils l’exposent à de douloureux retours de bâtons.

    C) Fraternité : Le #Bougnoule, la marque de stigmatisation absolue, le symbole de l’ingratitude absolue.
    La fraternisation sur les champs de bataille a bien eu lieu mais la fraternité jamais. Jamais pays au monde n’a autant été redevable de sa liberté aux peuples basanés et pourtant jamais pays au monde n’a autant compulsivement réprimé ses alliés coloniaux, dont il a été lourdement redevable de sa survie en tant que grande nation. De Fraternité point, mais en guise de substitut, la stigmatisation, la #discrimination et la #répression à profusion.

    Par deux fois en un même siècle, phénomène rarissime dans l’histoire, ces soldats de l’avant, les avant-gardes de la mort et de la victoire auront été embrigadés dans des conflits qui leur étaient, étymologiquement, totalement étrangers, dans une « querelle de blancs », avant d’être rejetés, dans une sorte de catharsis, dans les ténèbres de l’infériorité, renvoyés à leur condition subalterne, sérieusement réprimés aussitôt leur devoir accompli, comme ce fut le cas d’une manière suffisamment répétitive pour ne pas être un hasard, à #Sétif (Algérie), en 1945, cruellement le jour de la victoire alliée de la seconde Guerre Mondiale, au camp de #Thiaroye (Sénégal) en 1946, et, à #Madagascar, en 1947, sans doute à titre de rétribution pour leur concours à l’effort de guerre français.

    ((A noter qu’en Grande Bretagne, contrairement à la France, la contribution ultramarine à l’effort de guerre anglais a été de nature paritaire, le groupe des pays anglo-saxons relevant de la population #Wasp (White Anglo Saxon Protestant), -#Canada, #Australie, #Nouvelle Zélande, a fourni des effectifs sensiblement égaux aux peuples basanés de l’empire britannique (indiens, pakistanais etc.). Il s’en est suivi la proclamation de l’Indépendance de l’#Inde et du #Pakistan en 1948, au sortir de la guerre, contrairement, là aussi, à la France qui s’engagera dans dix ans de ruineuses guerres coloniales (#Indochine, Algérie).

    « Bougnoule » tire ainsi son origine de l’expression argotique de cette supplique ante-mortem.
    La revendication ultime préludant au sacrifice suprême -« Aboul Gnoul, apporte l’#alcool »- le breuvage galvanisateur de l’assaut des lignes ennemies, finira par constituer, par un dévoiement de la pensée, la marque d’une stigmatisation absolue de ceux qui auront massivement contribué, à deux reprises, au péril de leur vie, à vaincre, paradoxalement, les oppresseurs de leurs propres oppresseurs.

    Dans les ouvrages français, le calvaire de leur dépersonnalisation et leur combat pour la restauration de leur identité et de leur dignité se résumeront à cette définition laconique : « Le bougnoule, nom masculin apparu en 1890, signifie noir en langue Wolof (dialecte du Sénégal). Donné familièrement par des blancs du Sénégal aux noirs autochtones, ce nom deviendra au XXme siècle une appellation injurieuse donnée par les Européens d’Afrique du Nord aux #Nord-Africains. Synonyme de #bicot et de #raton » (4). Un glissement sémantique du terme bougnoule s’opérera au fil du temps pour englober, bien au delà de l’Afrique du Nord, l’ensemble de la France, tous les « mélanodermes », #arabo-berbères et #négro-africains, pour finir par s’ancrer dans le tréfonds de la conscience comme la marque indélébile d’un dédain absolu, alors que parallèlement, par extension du terme raton qui lui est synonyme, le langage courant désignait par « #ratonnade » une technique de répression policière sanctionnant le délit de faciès.

    Bougnoule finira par confondre dans la même infamie tous les métèques de l’Empire, piétaille de la République, promus au rang de défenseurs occasionnels de la Patrie, qui étaient en fait les défenseurs essentiels d’une patrie qui s’est toujours voulue distincte dans le concert des nations, qui se distinguera souvent d’une façon lumineuse, d’une façon hideuse parfois, traînant tel un boulet, Vichy, l’Algérie, la collaboration, la délation, la déportation et la torture, les pages honteuses de son histoire, peinant des décennies durant à expurger son passé, et, pour avoir tardé à purger son passif, en paiera le prix en termes de magistère moral…….Une revanche posthume du bougnoule, en quelque sorte.
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    La France du triptyque républicain : une vision ethniciste face au phénomène exogène.
    L’affirmation peut paraître péremptoire, n’y voyons aucune malice, mais correspond néanmoins à la réalité historique : Le clivage communautaire a préexisté en France dans l’esprit des autorités et des citoyens du pays d’accueil bien avant qu’il ne prenne corps dans l’esprit des migrants.

    Par transposition du schéma colonial à l’espace métropolitain, l’immigré en France a longtemps été perçu comme un indigène, ce qui faisait paradoxalement de l’immigré, l’indigène de celui qui est étymologiquement l’indigène (5), une main-d’oeuvre relevant de la #domesticité de convenance, dont l’expatriation assurait sa subsistance et l’obligeait par voie de conséquence à un devoir de gratitude envers le pays hôte.

    D’extraction modeste, affecté à des taches subalternes et pénibles de surcroît non valorisantes, l’immigré, parqué en marge des villes, était par définition et par destination un être en marge de la société, un élément #marginal et non une composante de la société française. Il n’avait de ce fait ni droit de cité, ni droit de regard, ni a fortiori droit de parole.

    L’immigré a été d’autant plus occulté qu’il deviendra durant les années 1950-1970 responsable de tous les maux diplomatiques et économiques français : du désastre de Dien Bien Phu, en 1954, à la Guerre d’Algérie, à l’expédition franco-britannique de Suez contre le symbole du nationalisme arabe Nasser, en 1956, à l’affrontement de Bizerte et la décolonisation de l’Afrique, en 1960, à la 3ème guerre israélo-arabe de juin 1967, à la première crise pétrolière, en 1973, autant d’événements qui ont fini par diaboliser l’immigré notamment “#arabo-musulman” dans le regard du français.

    Dans le domaine de l’imaginaire et le champ de la production intellectuelle, l’arabe représentait alors par compensation “le mal absolu” identifié dans le langage courant par cette rodomontade musculatoire : “le bougnoule à qui l’on doit faire suer le burnous”.

    Par un faux effet d’optique, la France se donnera l’illusion de venger ses avatars d’Algérie et, par un philosémitisme actif, l’illusion de sa rédemption, substituant une arabophobie à une judéophobie, en somme une injustice à une autre injustice, feignant par là même d’ignorer que l’injustice ne se combat pas par une autre #injustice.

    Symptomatique de cet état de fait, le #harki, celui-là même qui dans le schéma mental français devait représenter le bon arabe ou le bon immigré puisqu’il s’était rangé de son côté, c’est à dire du bon côté, sera gommé de la conscience nationale et dissimulé dans les recoins arides du pays, dans une démarche symbolique destinée à refouler ce « déchet du colonialisme » dans le tréfonds de la conscience.

    La crispation identitaire française remonte, en fait, sur le plan national, aux premières vagues d’immigration de l’ensemble arabo-musulman, principalement du Maghreb, le ponant du monde arabe, plus précisément à la Première Guerre Mondiale (1914-1918). Avec 1,4 millions de morts, 900 000 invalides, la France déplorera la perte de 11 pour cent de sa population active du fait du premier conflit mondial, à laquelle il conviendrait d’ajouter les dégâts économiques : 4,2 millions d’hectares ravagés, 295 000 maisons détruites, 500 000 endommagés, 4.800 km de voies ferrées et 58.000 km de routes à restaurer et 22 900 usines à reconstruire et 330 millions de m3 de tranchées à combler.

    Les premiers travailleurs immigrés, des #Kabyles, arriveront en France dès 1904 par petits groupes, mais la Première Guerre Mondiale provoquera un effet d’accélérateur entraînant un recours massif aux « travailleurs coloniaux » auxquels se superposeront les renforts des champs de bataille comptabilisés sous une autre rubrique.

    L’indigène lointain cède la place à l’immigré de proximité. De curiosité exotique que l’on exhibe dans les zoos humains pour glorifier l’action coloniale française, le mélanoderme deviendra progressivement une donnée permanente du paysage humain de la vie quotidienne métropolitaine, sa présence vécue comme une contrainte, exacerbée par la différenciation des modes de vie entre immigrés et métropolitains, les fluctuations économiques et les incertitudes politiques du pays d’accueil

    Paradoxalement, dans la période de l’entre-deux guerres (1918-1938), la France va favoriser la mise en place d’une « République Xénophobe » (6), matrice de l’idéologie vichyste et de la « préférence nationale », alors que son besoin en main d’oeuvre est criant. Bien que contribuant à sortir la France de son champ de ruine, les travailleurs immigrés seront tenus en suspicion, pistés au sein d’un grand « fichier central ».

    Soumis pour l’obtention de la carte de séjour à une taxation équivalant parfois à un demi mois de salaire, source de revenus complémentaire pour l’Etat français, ils seront de surcroît perçus comme porteurs d’un triple péril : péril économique pour leurs concurrents français, péril sanitaire pour la population française dans la mesure où l’étranger particulièrement les Asiatiques, les Africains et les Maghrébins étaient présumés porteurs de maladies, péril sécuritaire pour l’Etat français.

    Près de deux cent mille « #travailleurs_coloniaux » (200 000) seront ainsi importés d’Afrique du Nord et du continent noir par de véritables corporations négrières, telle la « Société générale de l’immigration » (#SGI), afin de pallier la main d’oeuvre française principalement dans le bâtiment et l’industrie textile en remplacement des soldats français partis au front. Dans la cohorte de travailleurs immigrés, venus d’abord principalement d’Italie et de Pologne, les Maghrébins feront l’objet d’une attention spéciale de la part des pouvoirs publics.

    Un « Bureau de surveillance et de protection des indigènes nord-africains chargé de la répression des crimes et des délits » est constitué le 31 mars 1925. Un bureau spécial rien que pour les Maghrébins, précurseur du « service des #questions_juives » que le pouvoir vichyste mettra en place en 1940 pour la surveillance des nationaux français de « race ou de confession juive » durant la Seconde Guerre mondiale.
    ((NDLR Citation de l’article de la juriste Danièle Lochak « La race, une catégorie juridique ? »
    (http://www.anti-rev.org/textes/Lochak92a ) :
    « la loi du 3 octobre 1940 portant statut des Juifs dispose : “Est regardé comme juif pour l’application de la présente loi toute personne issue de trois grands parents de race juive ou de deux grands parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif”. Cette définition, qui laisse en suspens la question de savoir comment sera déterminée l’appartenance des grands-parents à la race juive, sera remplacée, dans la loi du 2 juin 1941, par une définition plus explicite : “Est regardé comme juif :

    1° celui ou celle appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d’au moins trois grands-parents de #race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive ;

    2° celui ou celle qui appartient à la religion juive et qui est issu de deux grands-parents de race juive”. »

    L’intitulé de l’office en dit long quant à l’opinion du gouvernement français et de ses intention à l’égard des « indigènes » d’Afrique du Nord. Le phénomène ira en s’amplifiant avec la Deuxième Guerre Mondiale et les trente glorieuses années de l’après-guerre (1945-1975) qui suivirent la reconstruction de l’Europe, où le besoin de « chairs à canon » et d’une main d’oeuvre abondante à bas prix provoqueront un nouveau flux migratoire égal en importance au précédent.

    Luxe de raffinement, le recrutement s’opérait selon des critères d’affinités géographiques au point de constituer de véritables couples migratoires en particulier entre Renault et l’embauche kabyle, charbonnages de France et les travailleurs du sud marocain, de même qu’en Allemagne, Wolkswagen et les immigrés turcs.

    A l’instar d’une cotation boursière sur un marché de bétail, les travailleurs coloniaux faisaient même l’objet d’une #notation en fonction de leur nationalité et de leur race (7) avec de subtiles distinctions selon leur lieu de provenance notamment au sein des Algériens où les Kabyles bénéficiaient d’un préjugé plus favorable que les autres composantes de la population algérienne. Le Kabyle était invariablement noté 5/20, l’arabe 4/20 et l’Indochinois 3/20. Ho Chi Minh témoin de cette humiliante notation ethnique lors de son séjour parisien, se vengera trente ans plus tard en infligeant à son ancien maître l’une des plus humiliantes défaites militaires du monde occidental, la défaite de Dien Bien Phu en 1954.

    Muettes, les blessures de l’histoire ne cicatrisent jamais.
    La France s’affiche volontiers révolutionnaire mais se révèle, en fait, profondément conservatrice. La France du triptyque républicain a eu un comportement liberticide avec la colonisation, ethniciste dans sa politique migratoire, un comportement sociocide dans sa structuration socio-culturelle et démographique.
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    Le mythe de la politique arabe de la France
    Philipe Val, le directeur conformiste de l’hebdomadaire faussement anarchiste Charlie Hebdo, impute la collaboration vichyste anti-juive à « la politique arabe de la France ». Ce mémorialiste des temps modernes qui se vit en rival contemporain du cardinal de RETZ, s’imagine, par ce raccourci non pas audacieux mais hasardeux, exonérer la France de l’#antisémitisme récurrent de la société française.

    Sauf à prêter aux Arabes une capacité d’anticipation d’une hardiesse rare confinant à un machiavélisme suprême, en vue de soudoyer l’Etat-Major français pour le conduire à faire condamner pour « haute trahison » un officier français de confession juive, le Capitaine Alfred Dreyfus, ou encore à gangrener le haut commandement politico-militaire français en vue de savourer le désastre de 1940, l’antisémitisme en France a préexisté à la présence arabe et musulmane en France.

    Le plus grand déferlement d’Arabes et de Musulmans en France est survenu à l’occasion de la Deuxième Guerre Mondiale, non pour l’appât du gain -« pour manger le pain des Français »-, mais bien pour libérer avec d’autres le pays du joug nazi, pour aider à la défense d’un pays que ses habitants n’ont pas su, pas pu ou pas voulu défendre… C’est-à-dire près de cinquante ans après l’affaire Dreyfus et dans la foulée de la capitulation de Montoire.

    Et, que je sache, le « Bureau des affaires juives », a eu pour précurseur immédiat « le Bureau de surveillance et de protection des indigènes nord-africains » dont la création, en 1925, n’a pas suscité la moindre protestation des Français sans doute trop occupés à l’époque à magnifier leur supériorité dans l’admiration des « zoos humains »

    La thèse de Philipe Val ne résiste pas à une analyse un tant soit peu sérieuse. Mais qui a jamais soutenu que Philippe Val était un analyste ? Sérieux de surcroît ? Elle participe néanmoins d’une falsification de l’Histoire, d’un sournois travail de révisionnisme anti-arabe.

    Une politique se juge sur la durée. A l’épreuve des faits, la politique arabe de la France, dogme sacré s’il en est, se révèle être, par moments, une vaste mystification, un argument de vente du complexe militaro-industriel français. Qu’on en juge. L’histoire en est témoin.

    La contribution des Arabes à l’effort de guerre français en 1914-1918 pour la reconquête de l’Alsace-Lorraine a été franche et massive. Sans contrepartie. La France, en retour, vingt ans après cette contribution, a témoigné de sa gratitude à sa façon…… en amputant la #Syrie du district d’Alexandrette (1939) pour le céder à la Turquie, son ennemi de la Première guerre mondiale.

    Dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, la France, récidiviste, carbonisera la première manifestation autonomiste des Algériens, à Sétif, le jour même de la victoire alliée, le 9 mai 1945, une répression qui apparaîtra rétrospectivement comme une aberration de l’esprit sans doute unique dans l’histoire du monde, dont les effets se font encore sentir de nos jours.

    Dix ans plus tard, en 1956, de concert avec Israël et la Grande Bretagne, la France se livre à une « expédition punitive » contre le chef de file du nationalisme arabe, Nasser, coupable d’avoir voulu récupérer son unique richesse nationale « le Canal de Suez ». Curieux attelage que cette « équipée de Suez » entre les rescapés du génocide hitlérien (les Israéliens) et l’un de leur ancien bourreau, la France, qui fut sous Vichy l’anti-chambre des camps de la mort.

    Curieux attelage pour quel combat ? Contre qui ? Des Arabes, ceux-là mêmes qui furent abondamment sollicités durant la deuxième guerre mondiale pour vaincre le régime nazi, c’est-à-dire l’occupant des Français et le bourreau des Israéliens. A moins qu’il ne s’agisse d’une forme élaborée de l’exception française, on aurait rêvé meilleure expression de la gratitude.

    Très concrètement, la politique arabe de la France a consisté, historiquement, en une opération de restauration de la souveraineté nationale dans les centres de décision du pouvoir politique français, après la guerre de juin 1967, par la rupture de la relation fusionnelle qui existait qui, au mépris de l’intérêt national, entre services français et israéliens.

    Bon nombre d’entre vous se rappellent peut-être le chef de la mission d’achat militaire israélienne en France disposait, à l’époque, non pas à l’ambassade israélienne, mais au sein même du ministère français des armées, d’un bureau jouxtant celui du directeur de cabinet du ministre, une proximité sans précédent même dans les pays colonisés.

    Bon nombre d’entre vous gardent peut être présent à l’esprit l’implication des services israéliens et français dans l’enlèvement du chef charismatique de l’opposition marocaine #Mehdi_Ben_Barka, en 1965, en plein jour, en plein Paris, ou encore le vol des cinq vedettes de Cherbourg par les Israéliens (Décembre 1969), la plus concrète manifestation sinon de la connivence du moins de la passivité des services français à l’égard des coups de main israéliens.

    L’ouverture de la France vers les pays arabes, en 1967, au terme d’une rupture de onze ans consécutive à l’expédition de Suez, lui a valu un regain de prestige après deux décennies de déboires militaires en Indochine et en Algérie, la conquête des marchés pétroliers, notamment l’#Irak, l’ancienne chasse gardée des Anglais, la percée majeure de la diplomatie gaulliste de la seconde moitié du XXme siècle, ainsi que de fabuleux contrats militaires de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars, notamment avec l’Irak, la Libye et l’Arabie saoudite,

    L’illustration patente de la disparité de traitement entre Français et Arabes est la première crise de l’#énergie en 1973. A cette date, la France est officiellement le partenaire privilégié du Monde arabe, officiellement épargnée par le boycottage pétrolier anti-occidental, le principal bénéficiaire du boom pétrolier, le principal bénéficiaire des contrats pétro-monarchiques, mais les Français se cramponnent à une xénophobie lancinante, crispés sur un comportement guidé par une psychorigidité nourrie d’une nostalgie de grandeur.

    Tout le monde garde présent à l’esprit les traits d’humour d’une époque où les Français exultaient de compenser leur absence de ressources naturelles par une prétendue supériorité intellectuelle, affichant leur fierté de ne “pas avoir de pétrole mais des idées”, formule qui peut se décrypter de la façon suivante : “pas d’essence, mais la quintessence de l’esprit”, humour que sous-tendait une #arabophobie ambiante dans une période où les arabo-musulmans étaient cloués au pilori pour avoir osé frigorifier les Français avec leur crise de l’énergie.

    Le renchérissement du coût du pétrole était vécu comme un crime de lèse-majesté, alors qu’il s’agissait d’un problème de rajustement des prix du brut, longtemps outrageusement favorables aux économies occidentales.

    La contradiction entre l’ouverture pan-arabe de la diplomatie française et la crispation identitaire de l’opinion française posait déjà à l’époque le problème de la mise en cohérence de la politique française à l’égard du fait arabo-musulman.

    L’universalisme français a pratiqué à destination du monde arabo-musulman une « politique des minorités », contraire à ses principes fondateurs, institutionnalisant et instrumentalisant le confessionalisme et le communautarisme, se servant des Maronites (au Levant) et des Kabyles (au Ponant) comme levier à une re-christianisation de la rive méridionale de la Méditerranée, interdisant aux Algériens sur le sol même de leur patrie, l’usage de leur langue nationale, infligeant à ce pays un dégât plus important que les ravages de 130 ans de la colonisation, le dommage de l’esprit,— l’acculturation—, dont les effets corrosifs et pernicieux se font encore sentir de nos jours et qui expliquent pour une large part les crises cycliques entre les deux pays.

    La politique arabe de la France c’est cela aussi. Muettes et douloureuses, les blessures de la mémoire ne cicatrisent jamais.
    .
    La France : Aimez- là ou quittez-là ou le mythe de l’excellence française
    Ce mot d’ordre n’a même pas le mérite de l’originalité. IL a été emprunté à #Ronald_Reagan, le président Rambo des Etats-Unis de la décennie 1980 (1980-1988) qui entendait par cette formule neutraliser les critiques contre l’aventurisme américain dans la période post Vietnam (1975-1980).

    Empruntée à Reagan en vue de son application électoraliste en France par le dirigeant de la droite traditionaliste #Philippe_de_Villiers, reprise et amplifiée par…#Nicolas_Sarkozy, ce « Français de la deuxième génération » selon la dénomination en vigueur en France pour les citoyens originaires du tiers monde.

    Le clonage de l’Amérique n’est pas la marque de l’originalité.

    Les basanés de France sont là et bien là. Durablement ancrés dans le paysage politique et social français. Eux dont « le rôle positif » n’a jamais été célébré avec solennité, sinon que d’une manière, incidente quand il n’a pas été plus simplement nié ou controversé.

    En France, non pas leur pays d’accueil, mais leur pays d’élection.

    Déterminés à défendre la haute idée que la France veut donner d’elle-même au Monde.

    A combattre tous ceux qui fragilisent l’économie par une gestion hasardeuse, tous ceux qui discréditent la politique par une connivence sulfureuse,

    Tous ceux qui polluent l’image de la France, à coups d’emplois fictifs et de responsabilité fictive, de rétro-commissions et de frais de bouche, de délits d’initiés et d’abus de biens sociaux

    Ces messieurs des frégates de Taiwan et de Clearstream,
    Du Crédit Lyonnais et de la Compagnie Générale des Eaux,
    D’Elf Aquitaine et d’EADS,
    D’Executive Life et de Pechiney American-Can
    Des marchés d’Ile de France et de HLM de Paris, de la MNEF et d’Urba-Gracco,
    Ceux qui dévalorisent leur justice à coups d’affaires d’#Outreaux, d’écoutes téléphoniques illégales, de tri sélectif et de « #charters de la honte »
    Qui dévalorisent leurs nationaux à coups de bougnoule et de ratonnades, de racaille et de Karcher.

    Contre la « France d’en bas » qui gouverne le pays, la France des basses manoeuvres et des bas calculs, des « zones de non droit et de passe-droits », des nominations de complaisance et des appartements de fonction, la France qui refuse de donner un coup de pouce au SMIC, qui « cristallise », c’est-à-dire, fige à sa portion congrue, les retraites des anciens combattants « basanés » de l’armée française, mais qui relève de 70 pour cent le salaires des ministres nantis, qui gorge de « stock options et de parachutes dorés » les gérants en déconfiture, tels ceux de Vinci et de Carrefour, qui recycle la forfaiture dans l’honorabilité, propulsant au Conseil d’Etat, le temple de la vertu républicaine, en guise de rétribution pour services rendus dans la diversion de la justice, tel ministre de la justice, passé dans l’histoire comme le plus célèbre intercepteur d’hélicoptères des annales judiciaires internationales.

    En un mot contre cette posture du mépris et de l’irresponsabilité la singulière théorie du fusible à la française » qui exonère le responsable de toute responsabilité par une sorte de privilège anti-démocratique tirant sa justification dans une idéologie protofasciste inhérente à un pan de la culture française.

    Contre la criminalisation du politique, cet état de fait symptomatique de la France contemporaine illustré particulièrement par la présidence Chirac, dont la double mandature (1995-2000), douze ans, aura été polluée par de retentissants scandales politico-financiers en rapport avec l’argent illicite, sans pour autant que soit discrédité le chef de l’état français -le parangon de la « fracture sociale », de « l’état modeste » et d’un « siècle de l’Ethique », réélu en dépit des dérives autoritaro-mercantiles de son magistère.

    Le président Chirac précisément et non son prédécesseur François Mitterrand, en application de l’aveu d’un spécialiste du brigandage politique, Jean Montaldo, un chiraquien désabusé qui soutient, paroles d’expert, que « de Mitterrand à Chirac nous sommes passés du stade artisanal au stade industriel », dans le domaine de la corruption (8).

    N’y voyez aucune interférence électoraliste ou partisane : L’histoire d’aujourd’hui est la mémoire de demain et il importe d’être vigoureux dans la dénonciation des dérives contemporaines pour prévenir de douloureuses réminiscences de la mémoire future.

    « Le casier judiciaire de la République » présente ainsi l’édifiant bilan suivant : Neuf cent (900) élus mis en examen soit pour #délinquance financière, soit pour atteintes aux biens et aux personnes y compris les crimes sexuels. Ce bilan porte sur la décennie 1990-2000. Gageons que le bilan de la présente décennie est en passe d’être identique.

    La « #tolérance_zéro » à l’égard de la criminalité en col blanc se devrait d’être pourtant un impératif catégorique de l’ordre républicain en vertu du principe de l’exemplarité de l’Etat.

    La capitulation de Sedan face à l’Allemagne en 1870-71 a donné naissance à la III me République, la capitulation de Montoire (9) face à Hitler en 1940 à la IV me République (1946), celle de Dien Bien Phu et d’Algérie en 1955, à la V me République (1958), avec leurs cortèges de grandes institutions : Sedan à la création de « sciences po », l’Institut des Etudes Politiques de Paris et Montoire à la fondation de l’ENA, l’Ecole Nationale d’Administration (1945). Le pays des « Grandes Ecoles », des concours pépinières des élites, des scribes et des clercs, -cinq millions de fonctionnaires en France en l’an 2.000, le plus fort contingent de l’Union européenne, soit 20 pour cent de la population active- ne tolère pas de retour sur son passé. Il ne conçoit que les perspectives d’avenir. Jamais de rétrospectives, ni d’introspection. toujours des prospectives. Une fuite en avant ?

    Loin de participer d’une hypermnésie culpabilisante, le débat s’impose tant sur la contribution des « peuples basanés » à la libération du sol français, que sur leur apport au rayonnement de leur pays d’accueil, en guise de mesure de prophylaxie sociale sur les malfaisances coloniales dont l’occultation pourrait éclairer les dérives répétitives de la France, telles que -simple hypothèse d’école ?- la correspondance entre l’amnésie sur les « crimes de bureau » de 1940-44 et l’impunité régalienne de la classe politico administrative sur les scandales financiers de la fin du XX me siècle, ou la corrélation entre la déroute de l’élite bureaucratique de 1940 et la déconfiture de l’énarchie contemporaine.

    Cette dérive a été sanctionnée d’ailleurs lors de la première consultation populaire à l’échelon national du XXI me siècle. « Une des plus grandes bévues démocratiques de l’histoire contemporaine de la France », selon l’expression de l’écrivain indo britannique Salman Rushdie, la présidentielle de 2002 qui avait mis aux prises un « superfacho » et un « supermenteur », -selon la formule en vigueur à l’époque-, révélera aux Français et au Monde médusés, le délitement moral d’un pays volontiers sentencieux et le discrédit de son élite non moins volontairement obséquieusement arrogante, incapable d’assumer au terme d’un pouvoir monopolisé par les élites depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale (1945), au niveau économique, la mutation postindustrielle de la société française, au niveau sociologique, sa mutation #postcoloniale, au niveau de son opinion nationale, sa mutation psychologique, signe de l’échec patent de la politique d’intégration de sa composante afro musulmane. Cinq siècles de colonisation intensive à travers le monde auraient dû pourtant banaliser la présence des « basanés » sur le sol français, de même que treize siècles de présence continue matérialisée par cinq vagues d’émigration conférer à l’Islam

    le statut de religion autochtone en France où le débat, depuis un demi siècle, porte sur la compatibilité de l’#Islam et de la République, comme pour conjurer l’idée d’une agrégation inéluctable aux peuples de France de ce groupement ethnico-identitaire, le premier d’une telle importance sédimenté hors de la sphère européo-centriste et judéo-chrétienne.

    Premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane, la France est aussi, proportionnellement à sa superficie et à sa population, le plus important foyer musulman du monde occidental. Elle compte davantage de musulmans que pas moins de huit pays membres de la Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Palestine, Iles Comores et Djibouti). Elle pourrait, à ce titre, justifier d’une adhésion à l’Organisation de la #Conférence_Islamique (OCI), le forum politique panislamique regroupant cinquante deux Etats de divers continents ou à tout le moins disposer d’un siège d’observateur.

    L’intégration présuppose une conjonction d’apports et non une amputation de la matrice identitaire de base. La troisième génération issue de l’immigration est certes extrêmement sensible à son environnement international comme en témoignent les flambées de violence à caractère confessionnel en rapport avec l’intifada palestinienne, la guerre du Golfe (1990-91) ou encore la guerre d’Afghanistan (2001-2002), la guerre d’Irak et la guerre du Liban (2006).

    Elle n’en demeure pas moins porteuse d’une dynamique interculturelle en raison de ses origines, de son profil culturel et de ses croyances religieuses.
    Facteur d’intermédiation socioculturelle, les bougnoules des temps anciens, #sauvageons des temps modernes, paraissent devoir tenir leur revanche dans leur vocation à devenir de véritables « passeurs de la #Francophonie », l’avant-garde de « l’arabofrancophonie culturelle » (10) que la France s’ingénie tant à mettre sur pied afin de faire pièce à l’hégémonie anglo-américaine et de favoriser le dialogue des cultures par le dépassement de son passé colonial.

    A l’entame du IIIème millénaire, la « patrie de la mémoire courte » souffre d’évidence d’un blocage culturel et psychologique marqué par l’absence de fluidité sociale. Reflet d’une grave crise d’identité, ce blocage est, paradoxalement, en contradiction avec la configuration pluriethnique de la population française, en contradiction avec l’apport culturel de l’immigration, en contradiction avec les besoins démographiques de la France, en contradiction enfin avec l’ambition de la France de faire de la Francophonie, l’élément fédérateur d’une constellation pluriculturelle ayant vocation à faire contrepoids à l’hégémonie planétaire anglo-saxonne, le gage de son influence future dans le monde.
    .
    Conclusion
    Cinq ans après la bourrasque lepéniste aux présidentielles françaises de 2002, alors que la France s’apprête, en 2007, à se choisir un nouveau président, il m’a paru salutaire de pointer les incohérences françaises. De démystifier le discours politique officiel, et, au delà du clivage droite-gauche de la classe politique française, de recentrer le débat sur le fait migratoire en mettant l’imaginaire français à l’épreuve des faits historiques et de la réalité quotidienne nationale en vue d’apporter ma contribution à la mutation post-coloniale de la France.

    L’exception française si hautement revendiquée d’une nation qui se réclame de la grandeur est antinomique d’une culture de l’#impunité et de l’#amnésie, une culture érigée en un #dogme de gouvernement et, à ce titre, incompatible avec la déontologie du commandement et les impératifs de l’exemplarité.

    Mes remerciements renouvelés vont donc en premier lieu à Bruno Gollnisch, Philippe Val, le ministre des Affaires étrangères Philippe Douste Blazy, initiateur, en tant que député de Toulouse, du projet de loi controversé sur le « rôle positif » de la colonisation, ainsi que naturellement à Nicolas Sarkozy, pour leur inestimable contribution à la remise en ordre de ma formation universitaire, un exercice qui m’a permis de prendre conscience du « rôle positif » de la colonisation….. des Colonies par rapport à la Métropole et des colonisés à l’égard de leurs colonisateurs-oppresseurs.

    Merci aussi aux organisateurs de ce colloque qui m’ont donné la possibilité devant un auditoire savant, patient ( et indulgent à mon égard ), de procéder à une « déconstruction des mythes fondateurs de la grandeur française », pour le plus grand bénéfice du débat public contradictoire et de la recherche universitaire.

    Notes
    1) Contribution de l’auteur au colloque de SEPTEMES-LES-VALLONS 6- 7 OCTOBRE 2006, organisé par Festival TransMediterranée (fmed@wanadoo.fr) sur le thème « D’UNE RIVE A L’AUTRE, ECRIRE L’HISTOIRE, DECOLONISER LES MEMOIRES »
    2 Léon Blum invoquera son « trop d’amour » pour son pays « pour désavouer l’expansion de la pensée et de la civilisation française ». « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture », écrira-t-il dans le journal « Le Populaire » en date du 17 juillet 1925) cf « Quand Tocqueville légitimait les boucheries » par Olivier le Cour Grandmaison et « une histoire coloniale refoulée » par Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel- Dossier général sous le thème « Les impasses du débat sur la torture en Algérie »-Le Monde Diplomatique juin 2001. Alexis de Tocqueville légitimera les boucheries considérant « le fait de s’emparer des hommes sans armes, des femmes et des enfants, comme des nécessités fâcheuses auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre ». De son côté, Jules Ferry soutiendra dans un discours au Palais Bourbon le 29 juillet 1895 qu’ « il y a pour les races supérieures un droit par ce qu’il y a un devoir pour elle. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ».
    3) « Zoos humains, de la Vénus Hottentote aux Reality Show » Ed. La Découverte Mars 2002, ouvrage réalisé sous la direction d’un collectif d’historiens et d’anthropologues membres de l’Association connaissance de l’Afrique contemporaine (Achac-Paris),Nicolas Bancel (historien, Université Paris XI), Pascal Blanchard (historien, chercheur CNRS), Gilles Boetsch (anthropologue, Directeur de recherche au CNRS), Eric Deroo (cinéaste, chercheur associé au CNRS) et Sandrine Lemaire (historienne, Institut européen de Florence). De 1877 à 1912, trente spectacles ethnologiques seront donnés au jardin d’acclimatation à Paris, puis aux expositions universelles de Paris de 1878 et de 1889 dont le clou pour celle de 1889 étaient aussi bien l’inauguration de la Tour Eiffel que la visite d’un « village nègre ». Suivront les expositions de Lyon (1894), les deux expositions coloniales de Marseille (1906 et 1922), enfin les grandes expositions de Paris de 1900 (diorama sur Madagascar, 50 millions de spectateurs) et de 1931 dont le commissaire général n’était autre que le Maréchal Lyautey. cf. « Le spectacle ordinaire des zoos humains » et « 1931. Tous à l’Expo » par Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire, Manière de voir N°58 Juillet Août 2001, op cité.
    4 Dictionnaire Le Petit Robert 1996.
    5 « Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français » René Naba-Editons l’Harmattan-2002
    6 « La République Xénophobe, 1917-1939 de la machine d’Etat au « crime de bureau », les révélations des archives » de Jean Pierre Deschodt et François Huguenin Editions JC Lattès septembre 2001.
    7 « Une théorie raciale des valeurs ? Démobilisation des travailleurs immigrés et mobilisation des stéréotypes en France à la fin de la grande guerre » par Mary Lewis, enseignante à la New York University, in « L’invention des populations », ouvrage collectif sous la direction d’Hervé Le Bras (Editions Odile Jacob).
    8 Jean Montaldo, auteur de deux ouvrages sur la corruption présidentielle : « Chirac et les 40 menteurs » Albin Michel 2006, « Mitterrand et les 40 voleurs » Albin Michel.
    9 l’armistice a été signé le 22 juin 1940 symboliquement à Rethondes au même endroit, dans le même wagon, que l’armistice du 11 novembre 1918. Toutefois l’entrevue de Montoire du 24 octobre 1940 entre Pétain et Hitler a scellé la collaboration entre la France et l’Allemagne nazie. Si l’armistice constituait une cessation des hostilités, la rencontre de Montoire a représenté dans l’ordre symbolique le voyage à Canossa de Pétain et constitué en fait une capitulation dans la mesure où Pétain a cautionné la collaboration avec le régime nazi quand bien même l’Allemagne reniant ses promesses avait annexé l’Alsace-lorraine, août 1940.
    10 « Arabo-francophonie culturelle : l’expression a été forgée en 1995-1996 par Stellio Farangis, ancien secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie.

  • L’athéisme, ce tabou du monde musulman

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/20/l-atheisme-ce-tabou-du-monde-musulman_5232132_3232.html

    Du Maghreb au Pakistan, en passant par l’Arabie saoudite, les athées sont de plus en plus nombreux. Enquête sur cet athéisme qui dérange et effraie le monde musulman.

    Bahous aimerait bien ne plus entendre parler de l’islam. Et même ne plus en parler du tout. Mais quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, cet homme de 33 ans, vendeur à Voiron (Isère), y est toujours ramené.

    Son athéisme intrigue, ou dérange, c’est selon. Lorsque l’on est issu, comme lui, d’une famille et d’une culture musulmanes, le fait de ne pas croire en Dieu – et, surtout, de le dire – ouvre la voie à une vie d’incompréhensions, de renoncements, de ruptures. « Je subis un double regard, explique Bahous. Pour les gens, de par mon apparence, mon nom, la couleur de ma peau, je suis de facto musulman. On ne peut pas concevoir que je sois juste Français. Mais, pour ma famille, je suis le vilain petit canard. Ils me considèrent comme un “francisé” : être athée, c’est trahir ses origines, comme si être musulman était une origine. Du coup, je me sens obligé de toujours me justifier, sur tous les fronts. »

    Bahous avait écrit au Monde en février, en répondant à un appel à témoignages sur les musulmans ayant perdu la foi. Quand nous l’avons à nouveau sollicité, en novembre, rien n’avait changé pour lui : il avait toujours le sentiment de vivre dans cet « étrange entre-deux », où il se sent contraint de préciser sans cesse qu’il n’est « ni islamophobe ni islamophile ».

    Le comble pour un athée : « Après les attentats, on m’a demandé de me désolidariser… » Sa famille, elle, en particulier son frère aîné, n’a jamais accepté son renoncement à l’islam. Depuis, les deux hommes ne se fréquentent plus. Bahous peut cependant s’estimer chanceux : sa mère, auprès de laquelle il s’est ouvert de ses doutes sur l’existence de Dieu dès l’adolescence, n’approuve pas ce choix mais le tolère.

    « Dans certaines familles, annoncer son athéisme peut être encore plus compliqué qu’annoncer son homosexualité », affirme le sociologue Houssame Bentabet, qui travaille depuis 2014 sur une thèse consacrée au reniement de la foi chez les musulmans de France. Un sujet jamais étudié de manière systématique, et dont on sait finalement encore peu de chose, tant ces athées savent se faire discrets, dans un contexte où, en France tout du moins, le conflit entre « islamo-gauchistes », considérés comme trop tolérants envers l’islam politique, et « islamophobes », accusés de « faire la guerre aux musulmans », monopolise les débats.

    Persécutions, agressions et assassinats

    La discrétion s’impose encore davantage dans les pays à majorité musulmane, où ce renoncement, s’il est public, suscite des réactions beaucoup plus violentes : brimades, persécutions, agressions, voire assassinats. L’athéisme n’y est tout simplement pas concevable.

    Même s’il n’existe pas, en arabe, de mot spécifique pour dire l’athéisme (les termes utilisés – mulhid, murtad ou kafir – évoquent davantage l’hérésie ou l’apostasie et ont une connotation péjorative), l’athée est parfois vu comme plus dangereux, encore, que le terroriste islamiste.

    « Si vous êtes Libanais, vous pouvez appartenir, dans la loi, à dix-huit communautés différentes. Si vous êtes Egyptien, vous pouvez être musulman, chrétien ou juif, précise l’historien des religions Dominique Avon. Le droit est appliqué à des groupes, et pas à des individus ; il est d’abord communautaire. Or un athée n’entre dans aucune catégorie prévue dans le droit musulman. Sinon celle de l’apostasie. »

    Ce phénomène n’est pas nouveau dans le monde islamique. « Il y a toujours eu des intellectuels, des écrivains, des universitaires qui ont pu dire ponctuellement qu’ils ne croyaient pas en Dieu », poursuit Dominique Avon. Ainsi, l’écrivain égyptien Ismaïl Adham (1911-1940) fit scandale au début des années 1930 en mettant en doute l’authenticité des hadiths (paroles attribuées au prophète Mahomet) et en publiant Pourquoi je suis athée.

    Citons aussi l’écrivain saoudien Abdullah Al-Qasimi (1907-1996), qui nia l’existence de Dieu et survécut à deux tentatives d’assassinat. Plus récemment, Salman Rushdie ou Taslima Nasreen ont été persécutés à la suite de leurs écrits jugés blasphématoires. « Mais ce qui est nouveau, poursuit l’historien, ce sont que des jeunes qui ne sont pas forcément passés par l’université déclarent publiquement, par le biais des réseaux sociaux, qu’ils sont athées. »

    Avec l’avènement d’Internet, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur. Mais en rendant ainsi public leur renoncement à l’islam, ces athées s’exposent à de grands risques. Waleed Al-Husseini avait 21 ans en 2010 lorsqu’il a été arrêté dans sa ville natale de Qalqilya, en Cisjordanie. Son seul crime : se déclarer athée sur son blog au lieu de garder ce secret pour lui. Un « affront à l’encontre du sentiment religieux », selon un tribunal palestinien. Après dix mois d’emprisonnement, pendant lesquels il raconte avoir été torturé, il a finalement pu partir à Paris, où il a obtenu le statut de réfugié et où il a fondé la branche française du Conseil des ex-musulmans, en 2013.

    « Pas de faute plus grave »

    Pourquoi se définir comme « ex-musulman », alors que l’idée est précisément de se démarquer de la religion ? « Une fois qu’on arrêtera de vouloir me tuer, je pourrai cesser de me définir ainsi, explique Maryam Namazie. Je ne veux plus rien avoir à faire avec l’islam. Mais, aujourd’hui, force est de constater qu’il envahit encore ma vie. » Installée à Londres depuis 1979, cette Iranienne dérange par sa verve et son discours sans concession contre l’islam politique. En 2007, elle a eu l’idée de fédérer ceux qui, comme elle, ont renoncé à l’islam, au sein d’une association, le Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne.

    Depuis 2014, elle a organisé quatre conférences à Londres sur la liberté de conscience et d’expression. La dernière, les 22 et 23 juillet, était d’une ampleur inégalée : quelque 70 participants venus de trente pays se sont retrouvés dans une luxueuse salle de conférence de Covent Garden – un lieu tenu secret jusqu’au dernier moment par peur des agressions.

    Tour à tour, des athées du Maroc, du Liban, de Turquie, de Jordanie, du Pakistan… ont raconté à la tribune leur vécu fait de brimades, de persécutions et, souvent, d’exil, clamé leur absence de foi, défendu la laïcité, débattu et blasphémé sans crainte de représailles. « C’était le plus grand rassemblement d’ex-musulmans dans l’histoire », se félicite Maryam Namazie.

    Combien sont-ils, ces athées condamnés à se cacher pour ne pas être persécutés ? Difficile d’établir un chiffre. Mais, d’après un sondage international WIN/Gallup sur la religiosité et l’athéisme datant de 2012, 5 % des personnes interrogées en Arabie saoudite se déclaraient athées. La même proportion… qu’aux Etats-Unis ! Dans le monde arabe en général, 77 % des sondés se sont dits « religieux », 18 % « non religieux » et 2 % « athées », contre respectivement 84 %, 13 % et 2 % en Amérique latine, région majoritairement catholique.

    « Les autorités égyptiennes, elles, donnent des chiffres approchant de zéro ; mais si c’est le cas, on se demande bien pourquoi l’athéisme effraye autant la plus haute autorité religieuse du pays, l’université Al-Ahzar, dont un des oulémas a dit qu’il n’y a pas de faute plus grave que d’être athée », souligne l’historien Dominique Avon.

    « C’était asphyxiant »

    Selon le Rapport sur la liberté de conscience publié par l’Union internationale humaniste et éthique, une organisation fondée en 1952 à Amsterdam (Pays-Bas), l’athéisme, considéré comme un blasphème, une offense à la religion ou un trouble à l’ordre public, est pénalisé dans une trentaine de pays musulmans.

    Dans quatorze d’entre eux, comme l’Afghanistan, l’Iran, le Pakistan, le Qatar, l’Arabie saoudite ou encore le Yémen, la peine encourue est la mort, même si la plupart des pays ont renoncé à l’appliquer. Toutefois, la répression se poursuit. Un des cas les plus médiatisés a été celui du blogueur saoudien Raïf Badaoui, condamné en 2013 à mille coups de fouet et dix ans de prison. Malgré une mobilisation internationale demandant sa libération, il croupit toujours dans une cellule pour avoir osé critiquer l’islam.

    S’ils ne sont pas condamnés par les autorités, les ex-musulmans le sont par leurs proches. Imad Iddine Habib peut en témoigner. Ce Marocain de 27 ans, placé dans une école coranique à l’âge de 5 ans, a su très vite qu’il ne croyait pas en Dieu : « Je ne voulais plus aller à la mosquée ; c’était asphyxiant, je trouvais ça stupide. Or, pendant sept ans, c’est tout ce qu’on m’a fait étudier : la religion. A 13 ans, j’ai dit à ma famille que je ne croyais pas en Dieu. Elle m’a renié et je suis parti. » Pendant des années, il a vécu à la merci de « toute une économie qui, au Maroc, profite des enfants des rues », raconte-t-il sobrement.

    Aujourd’hui, Imad est réfugié à Londres. Il a participé à trois des quatre conférences organisées par Maryam Namazie. Il évoque son parcours d’une voix douce ; de longues dreadlocks entourent un visage poupon. Son histoire est pourtant aussi aride que le Sahara occidental dont il est originaire : « Mon propre père, soutenu par des avocats islamistes, a porté plainte contre moi quand j’ai créé le Conseil des ex-musulmans du Maroc. Alors, j’ai fui. »

    Blogs, forums et réseaux sociaux

    Mohamed Alkhadra, un Jordanien de 25 ans qui, adolescent, se disait salafiste et rêvait de « rétablir le califat », a, lui, décidé de cacher son athéisme à sa famille. « Elle serait détruite si elle l’apprenait. Mais ils n’ont pas accès à Internet, donc ils ne sauront pas », se rassure-t-il, alors qu’il attend de prendre la parole à la conférence de Londres. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, le changement est venu de la consultation du Web. « C’était une révélation d’apprendre que je pouvais quitter l’islam. Je ne savais même pas que c’était possible », s’amuse le Marocain Imad Iddine Habib.

    « Internet a permis de mettre les athées du monde musulman en connexion, de leur faire prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls, qu’il ne s’agit pas forcément de blasphème que de douter, de se poser des questions », considère le sociologue Houssame Bentabet.

    Blogs, forums, réseaux sociaux… Les témoignages foisonnent, l’athéisme devient militant – et global. En novembre 2015, le Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne a lancé une campagne sur Twitter avec le mot-clé #ExMuslimBecause (« ex-musulman parce que »). En à peine vingt-quatre heures, 120 000 personnes de 65 pays ont publiquement expliqué pourquoi elles avaient quitté l’islam.

    La réaction des autorités, mais également des islamistes, ne s’est pas fait attendre. Certains prédicateurs n’hésitent pas à appeler à tuer les apostats. Au Bangladesh, ils ont été entendus : au moins six blogueurs et un éditeur ont été assassinés depuis 2015 en raison de leur athéisme. « Grâce à Internet, aux réseaux sociaux, consultables sur les téléphones mobiles, il y a de plus en plus de groupes de militants athées ou défendant la laïcité et la liberté de conscience », assure l’éditeur Ahmedur Rashid Chowdhury, lui-même brutalement attaqué en octobre 2015, et réfugié en Norvège, d’où il répond au téléphone aux questions du Monde. Fondateur du magazine Shuddhashar, il a édité de nombreux blogueurs athées.

    Toujours dans la peur

    Aucun pays à majorité musulmane n’est épargné par le phénomène. En Turquie, pays pourtant autrefois laïc, la situation s’est beaucoup dégradée depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, et en particulier depuis la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016 : agressions contre des femmes à cause de leur tenue vestimentaire ou contre des personnes ne respectant pas le ramadan, remaniement des programmes scolaires pour y remplacer la théorie de l’évolution de Darwin ou les principes d’Atatürk par des cours de religion et le récit du putsch raté.

    Même la Tunisie, qui fait pourtant figure d’exception dans le monde musulman, est concernée. Des mouvements de « dé-jeûneurs », qui refusent ostensiblement de respecter le ramadan, s’y sont développés, ainsi qu’au Maroc et en Algérie. Mais toujours dans la peur. « On a quand même du mal à dire qu’on est athée en Tunisie aujourd’hui, regrette la réalisatrice Nadia El Fani. J’ai été considérée comme terroriste simplement parce que dans mon film, Ni Allah ni maître, je défendais la laïcité. »

    Dénoncée par trois avocats proches du parti islamiste Ennahda, elle a été accusée en 2011 d’incitation à la haine de la religion et à… l’extrémisme religieux. Menacée de mort, elle s’est installée en France et n’a pu retourner en Tunisie pendant cinq ans, jusqu’au 4 novembre, à l’invitation des Journées cinématographiques de Carthage, pendant lesquelles son film Même pas mal a été projeté. Car, en juin, l’affaire a finalement été classée sans suite. « Les choses bougent », reconnaît-elle. Le 25 octobre, une organisation mentionnant explicitement l’athéisme dans ses statuts, l’Association des libres-penseurs, a été reconnue par les autorités tunisiennes. Une première dans le monde arabo-musulman.

    Les auteurs de violences rarement inquiétés

    D’autres signes témoignent d’un changement en cours dans les sociétés musulmanes. « Au Maroc, en 2016, six membres du Haut Conseil des oulémas, qui avaient pourtant signé quatre ans plus tôt une fatwa dans le sens contraire, ont écrit qu’il n’était plus possible, dans le contexte actuel, d’appliquer la peine de mort aux apostats », souligne Dominique Avon. Cette évolution laisse pourtant de marbre le Marocain Imad Iddine Habib : « Un peu facho, ça reste toujours facho. »

    Quoi qu’il en soit, les auteurs de violences à l’encontre des ex-musulmans sont rarement inquiétés par les autorités. Au Bangladesh, le gouvernement nie que des groupes islamistes inspirés de l’étranger soient actifs dans le pays, et les enquêtes tardent à aboutir, comme en témoigne Rafida Bonya Ahmed. En février 2015, cette Bangladaise marchait dans les rues de Dacca, la capitale, avec son mari, le blogueur Avijit Roy (édité par Ahmedur Rashid Chowdhury), lorsqu’ils ont été agressés à coups de machette. Elle a été gravement blessée. Lui n’y a pas survécu.

    Invitée à la conférence de Londres, cette petite femme déterminée, qui garde des séquelles visibles de son agression, raconte son calvaire d’une voix posée. « Dans certains cas, il y a eu quelques arrestations, mais peu d’assassins ont été jugés, explique-t-elle. En février 2016, les autorités ont dit avoir arrêté notre principal agresseur, mais quelques mois plus tard, alors qu’il était censé être sous surveillance, il a été tué dans une fusillade. » Depuis les Etats-Unis, Rafida Bonya Ahmed vient en aide aux blogueurs et aux écrivains athées persécutés dans son pays. « Après ce qui m’est arrivé, je pourrais être pessimiste et pleine de haine, ajoute-t-elle. Mais je ne le suis pas. Il faut continuer à nous battre pour les droits des athées. »

    Exil en Europe

    Selon les intérêts politiques du moment, les autorités répriment les expressions d’athéisme ou, au contraire, ferment les yeux et laissent faire, parfois sous la pression des pays occidentaux. Pour Rafida Bonya Ahmed, il ne fait aucun doute que le gouvernement bangladais veut s’assurer le vote des islamistes.

    « C’est clairement politique », abonde le sociologue Houssame Bentabet. Comme le pardon accordé par le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, alors qu’il effectuait une visite en Allemagne, au chroniqueur de télévision Islam Behery, condamné à un an de prison à la demande de l’université Al-Azhar parce qu’il critiquait certains textes de l’islam. Selon Houssame Bentabet, « cette grâce avait pour but de laisser croire que l’Egypte est du côté des libres-penseurs ». Et si l’Autorité palestinienne a été si intraitable avec Waleed Al-Husseini, dont l’influence de blogueur était pourtant négligeable, c’est certainement qu’elle se devait, à l’époque, de contrer les islamistes du Hamas.

    Alors, beaucoup choisissent l’exil. En Europe, ils se retrouvent dans une situation qu’ils n’auraient jamais imaginée en partant. Persécutés dans le monde arabo-musulman par les islamistes et les autorités, ceux qui ont renoncé à l’islam sont, en Occident, classés dans la catégorie des « islamophobes ».

    Pour les ex-musulmans, dont les positions ne sont pas monolithiques et qui sont traversés par les mêmes débats que le reste de la société – sur le port du voile ou le burkini, par exemple –, la critique de l’islam est aussi nécessaire que l’a été celle du catholicisme au moment de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en France, au début du XXe siècle. Mais les déclarations et prises de position à l’emporte-pièce de certains n’aident pas à pacifier le débat.

    Lorsque l’écrivain indien Ibn Warraq soutient que le problème n’est pas simplement l’intégrisme musulman, mais l’islam lui-même, le discours choque. Mais, se défendent-ils, il faut être radical pour critiquer l’islam. « Je dis : “Allons-y, rentrons-leur dedans !” Oui, on a le droit de hurler qu’on est athée, de trouver que les religions, toutes les religions, c’est stupide », s’enflamme la réalisatrice tunisienne Nadia El Fani, qui ajoute : « On n’a jamais vu un athée tuer un religieux. »

    Désenchantement face à l’« islamo-gauchisme »

    Pris dans un discours anti-islam souvent virulent, les ex-musulmans courent le risque de se faire récupérer. Ce que ses détracteurs appellent l’« islamo-gauchisme » – incarné dans le débat français actuel par le site Mediapart et son directeur, Edwy Plenel –, en condamnant toute critique de l’islam, laisse ces athées, souvent jeunes et sans grande expérience du militantisme, à la merci des véritables islamophobes.

    « L’ex-musulman a besoin de confirmer son choix, en permanence, analyse Houssame Bentabet. Il a ce besoin de cohabiter avec ce passé de musulman, de dire : “C’est ce que je ne veux plus être.” Et, dans cette reconstruction, il se peut qu’il y ait certaines récupérations, car il y a plus de chances d’être récupéré quand on doit refaire sa vie à 22 ou 23 ans. »

    C’est, très exactement, ce qu’a vécu Waleed Al-Husseini à son arrivée en France, après avoir passé dix mois dans les geôles palestiniennes. « Pour lui, cette torture, c’est l’islam, souligne Houssame Bentabet. C’est l’islam qui l’a empêché d’être libre dans sa pensée. »

    Le jeune homme, qui ne mâche pas ses mots, n’hésite donc pas à qualifier l’islam de « religion de terreur ». Immédiatement relayé par le site islamophobe Riposte laïque, Waleed Al-Husseini, qui a écrit dans Une trahison française (Ring, 300 pages, 18 euros) son désenchantement face à la frilosité d’une certaine gauche vis-à-vis de l’islamisme, ne se défend pas de cette proximité. « Ce sont les seuls à me soutenir ! », se justifie-t-il, plein d’amertume.

    « Les ex-musulmans tiennent sur l’islam un discours que d’autres n’osent pas tenir par peur d’être politiquement incorrects. Quelle hypocrisie !, s’emporte l’écrivain indien Ibn Warraq, signataire, aux côtés de l’essayiste française Caroline Fourest, de Maryam Namazie, de Taslima Nasreen ou encore de Salman Rushdie, du « Manifeste des douze », un appel à la lutte contre l’islamisme publié par Charlie Hebdo le 1er mars 2006. Les gens ont vite oublié ce qu’est “être Charlie” : c’est avoir le droit de critiquer l’islam, et même de s’en moquer. »

    Récupération par l’extrême droite

    Au cours de la conférence de Londres, il n’y a pas eu de mots assez durs contre cette gauche qui, selon bien des intervenants, laisse la critique de l’islam aux xénophobes, ce qui lui vaut d’être perçue par certains comme lâche, voire traître et irresponsable.

    Des victimes d’agressions ou de tentatives d’assassinat de la part des islamistes ne comprennent pas d’être assimilés à l’extrême droite. « Quelles sont vos priorités ? Pendant que nous mourons, vous parlez d’islamophobie ! », tempêtait alors à la tribune le jeune Jordanien Mohamed Alkhadra, applaudi à tout rompre.

    L’extrême droite, elle, ne s’embarrasse pas de précautions. Le Turc Cemal Knudsen Yucel raconte comment, après avoir fondé le Conseil des ex-musulmans de Norvège, où il réside depuis 2005, aucune personnalité politique ne l’a contacté. A part, bien sûr, l’extrême droite, qui a su adapter son discours et n’attaque plus frontalement les immigrés, mais s’en prend à l’islam – une stratégie également à l’œuvre en France, au Front national.

    Cemal n’y voit que du feu : « L’extrême droite n’est plus raciste en Norvège, assure-t-il, plein de candeur. Même le blogueur Fjordman, celui qui a inspiré Anders Behring Breivik [le terroriste néonazi responsable des attentats à Oslo et sur l’île d’Utoya, qui avaient fait 77 morts en juillet 2011], a changé. Il nous soutient, nous, les immigrés, il ne peut donc pas être raciste ! » Même discours chez Waleed Al-Husseini, qui nie partager les idées de l’extrême droite. « Les racistes, de toute façon, n’aiment pas les Arabes comme moi, dit-il. Si j’étais en Arabie saoudite, j’aurais une fatwa contre moi. Ici, dans le monde moderne, on me traite juste d’islamophobe. »

    Si les plus jeunes se laissent berner, leurs aînés ne cautionnent pas ces dangereux rapprochements. « On ne peut pas se compromettre avec Riposte laïque, martèle Nadia El Fani. Mais critiquer l’islam, exiger la laïcité comme nous le faisons, ce n’est pas être islamophobe. En revanche, ne pas prendre en considération la possibilité de la modernité dans les pays musulmans, ça, c’est du vrai racisme antimusulman. »

    La laïcité, celle dont jouissent la plupart des pays occidentaux, voilà, au final, le seul combat de ces militants pour l’instant inaudibles.

  • Pascal Bruckner’s “Un racisme imaginaire” is a collection of hackneyed attacks on the field of Islamophobia studies

    The Politics of the Ostrich : On Pascal Bruckner’s “Un racisme imaginaire : La querelle de l’islamophobie et culpabilité” - Los Angeles Review of Books
    https://lareviewofbooks.org/article/the-politics-of-the-ostrich-on-pascal-bruckners-un-racisme-imaginai

    Bruckner opens his book by declaring point-blank that his objective is to “delegitimize the term Islamophobia, instil doubt about it, flank it with permanent inverted commas.” He does not therefore even pretend that he is going to engage with objective data, or carry out empirical research. His first round of attack uses etymology to delegitimize the term Islamophobia, and in doing so Bruckner essentially paraphrases the French journalist Caroline Fourest, who claimed in 2003 that Islamophobia as a term was the brainchild of the Iranian 1979 Revolution. [1] According to this theory, the Iranian “mullahs” coined the term to suppress women who refused to wear the Islamic veil. The argument is put forth without a shred of evidence, and as a historian of modern Iran who is familiar with the 1979 Revolution and the discourse of its founders and ideologues, I can confidently assert here that the claim is simply a fabrication and widely acknowledged as such (even by Fourest herself who, embarrassed, edited the online version of her 2003 article accordingly). Undeterred, Bruckner continues to promote the now discredited theory, and another one, also initially made by Fourest, according to which Islamophobia re-emerged during the controversy surrounding Salman Rushdie’s book The Satanic Verses and the fatwa against his life. As with the previous claim, no evidence is to be found, no quotation is reproduced, no source is referenced. And for good reason: the claim is fallacious. It took me about 10 seconds and a simple Google search to find a 2015 article where Rushdie declares, “Today, I would be accused of Islamophobia.” Which means that back in 1989 he was not.

  • Jeanne Favret-Saada, l’irréligieuse

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/10/26/jeanne-favret-saada-l-irreligieuse_5206072_3260.html

    L’anthropologue a signé en 1977 un grand livre sur la sorcellerie en Mayenne. Elle s’intéresse désormais aux questions de blasphème et aux «  cabales dévotes  » dans le monde contemporain. Son nouvel essai en témoigne

    Une jeune agrégée de philosophie vite passée du côté des sciences sociales (qu’elle enseigna au début des années 1960 à l’université d’Alger, où elle succédait à Pierre Bourdieu) : le parcours de Jeanne Favret-Saada aurait pu être parfaitement rectiligne. Quand on s’étonne qu’elle n’ait pas soutenu de thèse et n’ait pas cherché dans quelque territoire inconnu l’initiation attendue de tout anthropologue, elle répond en souriant qu’en Mai 68, elle avait fait sa propre révolution.

    Nommée à Nanterre, la voici qui décide de choisir pour terrain d’exploration… la France : « Il fallait être là… » L’un de ses étudiants, pion dans un lycée de Laval, lui parle de l’atmosphère de violence qui régnait alors dans le bocage mayennais. En 1969, elle décide d’y mener une enquête sur la sorcellerie : « J’ai toujours abordé le social par sa mise en crise, confie-t-elle. Je suis arrivée sur place le jour de la Toussaint, et j’ai été saisie par l’atmosphère qui y régnait : toute une région célébrait la mort. »

    D’emblée, elle se heurte au silence : la sorcellerie, comme n’importe quelle superstition, ce sont les autres qui en sont victimes… Pour cette ethnographe formée à une stricte neutralité, impossible toutefois de s’en tenir à un rôle d’observatrice. C’est que, en sorcellerie, la parole ne se limite jamais à informer : elle est directement action, et action violente, devant entraîner la mort. Une fascinante révolution méthodologique survient alors, à la faveur d’un quiproquo : un jour, des paysans prennent la chercheuse pour une désensorceleuse ; la voici embarquée dans un incroyable « procès de parole », dont elle tirera Les Mots, la mort, les sorts (Gallimard, 1977), devenu un classique de l’anthropologie.

    Ces émotions individuelles ou collectives, un terrain d’études privilégié

    Affronter la part de violence qu’impliquent les rapports sociaux, c’est bien ce qui définit l’approche de Favret-Saada, dont la présence est pourtant faite d’écoute, de douceur, de retenue. Pour elle, qui a également exercé en tant que psychanalyste pendant près de vingt ans, ces émotions individuelles ou collectives que nous ignorons, parce que nous n’y voyons que superstitions ou bigoterie, sont un terrain privilégié.

    Rien d’étonnant donc à ce que, en 1989, Jeanne Favret-Saada ait choisi de consacrer un séminaire aux accusations de blasphème, premier jalon de l’essai qu’elle publie aujourd’hui : Les Sensibilités religieuses blessées. Longtemps, ses collègues jugeront son nouvel objet de recherche aux marges de la discipline, comme si les cabales religieuses récentes provenaient d’un monde encore plus éloigné que celui de la sorcellerie.

    « En octobre 1988, je logeais au-dessus du cinéma Espace Saint-Michel, à Paris, auquel des intégristes ont mis le feu pour protester contre La Dernière Tentation du Christ, de Scorsese. Très peu après, à Londres, c’était l’affaire Rushdie. J’ai immédiatement pensé : “Ces crises sont notre avenir pour longtemps.” J’ai donc enquêté sur ces deux affaires, à Paris et à Londres puis, en 2005, au Danemark, sur les visages de Mahomet publiés dans Jyllands-Posten. » Mais l’essai qu’elle en tire deux ans plus tard (Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Les Prairies ordinaires, 2007 ; rééd. Fayard, 2015) ne rencontre pas l’écho mérité. Idem pour Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU ­ (L’Olivier, 2010), où elle détaille les manœuvres par lesquelles, à la fin des années 1990, l’Organisation de la conférence islamique (OCI) a opposé l’idée de « diffamation des religions » à la déclaration des droits de l’homme.

    Jeanne Favret-Saada se heurte alors à un déni paradoxal : la sorcellerie paraissait assez « exotique » pour éveiller notre curiosité ; mais sur l’activisme de groupes dévots que nous côtoyons sans les voir, nous préférons les discours sensationnalistes. « C’est pourtant une tâche de l’anthropologie : montrer des catégories de gens que nos préjugés nous ont rendus invisibles. Il existe parmi nous des croyants révulsés par le pluralisme des sociétés sécularisées, et certains parmi eux sont prêts à se mobiliser. Or nous les traitons comme des fantômes du Moyen Age. »

    Cabales chrétiennes

    Croyait-on, en effet, que le blasphème relevait des livres d’histoire ? Jeanne Favret-Saada montre qu’il n’en est rien. Son enquête a pour point d’arrivée les crises spectaculaires survenues dans le monde musulman depuis la parution, en 1988, des Versets sataniques, de Salman Rushdie (Christian Bourgois, 1989).

    Mais l’essentiel de sa démonstration porte sur une série de cabales chrétiennes que l’on croyait déjà bien connaître, de La Religieuse, de Jacques Rivette (1966), jusqu’à La Dernière Tentation du Christ, de Martin Scorsese. « Les musulmans ont hérité d’une stratégie mise en place depuis plus de vingt ans par des activistes chrétiens afin d’adapter l’accusation de blasphème à nos sociétés pluralistes, dit-elle. Car les dévots ont peu à peu compris qu’il ne fallait plus se présenter comme la majorité morale, mais au contraire comme une minorité discriminée, autrement dit retourner les droits de l’homme et l’antiracisme (qu’ils exècrent) à leur profit en se présentant comme des victimes, heurtées dans leur sensibilité religieuse. »

    Les attaques lancées contre Je vous salue Marie (version moderne de l’histoire de la Vierge, par Jean-Luc Godard), en 1985, en offrent un exemple. Comme Mgr Lefebvre peu de temps avant lui, Bernard Antony, figure du Front national, avait fustigé un « racisme antifrançais et antichrétien », et exploité la loi Pleven de 1972 qui sanctionnait l’hostilité envers un individu ou un groupe en raison de ses origines religieuses, ethniques ou raciales.

    Mais la réception du film de ­Godard montra également que les lignes commençaient à bouger : si les intégristes fustigèrent le film, le public catholique, lui, s’enthousiasma, et l’épiscopat se montra prudemment favorable. Ironie supplémentaire : c’est la presse de gauche qui éreinta Je vous salue Marie, que le cinéaste finit par retirer des écrans italiens lorsque Jean Paul II déclara que le film blessait les « sentiments religieux des croyants ». Ultime victoire des « croisés » : si le président du tribunal de grande instance de Paris, Pierre Drai, rejeta la demande d’interdiction du film, il introduisit néanmoins un droit au « respect des croyances », véritable cheval de Troie des cabales dévotes.

    Ce que notre « modernité » nous cache

    « Dans le christianisme, note Favret-Saada, le blasphème comme “traitement indu” infligé à une entité sacrée relève du juge religieux. Aujourd’hui, c’est un dévot (ou un groupe de dévots) qui porte ce jugement, mais devant l’opinion publique et une justice démocratique. Là encore, il existe une scène de parole, qui déclenche un dispositif contraignant tous les autres acteurs sociaux à prendre position, souvent malgré eux. » En particulier la hiérarchie catholique, adroitement mobilisée lors de l’affaire de La Religieuse mais beaucoup plus réticente par la suite, sous l’effet de l’aggiornamento post-Vatican II. Toute l’ironie de telles affaires est qu’aucun des cinéastes attaqués n’entendait tenir un propos antichrétien ou même anticlérical.

    De la sorcellerie aux dévots contemporains, Jeanne Favret-Saada est allée toujours plus loin dans son implication. Discrète comme elle, son œuvre est essentielle parce qu’elle fait apparaître ce que notre « modernité » nous cache. L’anthropologie n’y est plus simple observation, mais intervention. « Les Sensibilités religieuses blessées est un livre politique, oui, c’est vrai, conclut-elle, mais en tant que tout chercheur est engagé dans le parti de la liberté d’expression. »

    Si l’accusation de blasphème est devenue incompatible avec la liberté d’expression, les coalitions dévotes, chrétiennes depuis les années 1960, puis musulmanes à partir de la fin des années 1980, n’en sont pas moins parvenues à imposer l’idée que certaines œuvres blessaient les « sensibilités religieuses ».

    Il y a plus de vingt ans de cela, Jeanne Favret-Saada avait consacré un séminaire à la plus célèbre histoire de censure au cinéma : celle qui concerna le film que Jacques Rivette avait tiré, en 1966, de La ­Religieuse, de Diderot (1796). A l’époque toutefois, elle était guidée par l’historien Emile Poulat. Lequel (aveuglement ou respect d’une sorte d’omerta ?) avait formellement écarté l’hypothèse d’un complot décidé au plus haut niveau. Depuis, l’accès à plusieurs fonds d’archives a prouvé que, sans l’intervention secrète du cardinal Feltin auprès du président de Gaulle, jamais les quelques « croisés » à la manœuvre ne seraient parvenus à faire interdire un film – au demeurant fort respectueux – avant même son tournage…

    L’essai de Jeanne Favret-Saada prend lui-même une dimension épique lorsqu’il est question des mobilisations – dont l’ampleur stupéfie – contre La Dernière Tentation du Christ, de Martin Scorcese, de 1983 jusqu’à la sortie du film en France en 1988. Trois univers s’y heurtent violemment : les dévots, dont l’image rétrograde masque l’extrême détermination ; les autorités ecclésiastiques, prises entre l’activisme de ces minorités et l’adaptation au monde contemporain ; enfin le monde de la culture, à des années-lumière de religieux qui lui paraissent, à chaque affaire, venir droit du Moyen Age, et dont il sous-estime dès lors l’influence.

    • Car les dévots ont peu à peu compris qu’il ne fallait plus se présenter comme la majorité morale, mais au contraire comme une minorité discriminée, autrement dit retourner les droits de l’homme et l’antiracisme (qu’ils exècrent) à leur profit en se présentant comme des victimes, heurtées dans leur sensibilité religieuse.

      Même technique pour les #masculinistes qui se font passé pour des victimes. Sois disant victimes des divorces, victimes de ne plus pouvoir « séduire » ou de prétendue « misère sexuelle » et « enfants dans le dos ». Ils sont souvent religieux mais pas toujours.

    • Sur les nouvelles méthodes des militant·e·s religieux voire aussi ceci :
      La croisade « anti-genre », du Vatican aux Manifs pour tous - entretien avec Sara Garbagnoli et Massimo Prearo
      http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/archive/2017/10/03/la-croisade-anti-genre-du-vatican-aux-manifs-pour-tous-entre-607259.html

      Nous nous inscrivons dans le sillage des recherches qui sont menées dans de nombreux pays depuis le début des années 2010 sur ces mobilisations. David Paternotte et Roman Kuhar ont dirigé un ouvrage collectif, Anti-gender Campaigns in Europe, qui vient d’être publié [5] et qui, très bonne nouvelle, sera bientôt traduit en français. En analysant quinze cas nationaux différents, ce livre constitue un formidable outil pour comprendre ce qui est en train de se passer dans un nombre toujours croissant de pays. Les répertoires d’actions de ces militant-e-s traversent les frontières, circulent et s’hybrident, grâce à l’implication d’organismes supranationaux tels le World Congress of Families ou à travers des échanges plus informels entre groupes conservateurs ou traditionalistes de différents pays. Il s’agit, en fait, d’un vaste mouvement réactionnaire transnational qui utilise une rhétorique élaborée par le Vatican dès le milieu des années 1990. Il la décline selon des spécificités liées aux histoires nationales, avec l’appui des réseaux de l’activisme anti-avortement, des mouvements ecclésiastiques, des groupes d’extrême-droite locaux. L’opposition au « gender » constitue une « colle symbolique », pour reprendre l’expression de Andrea Peto, Eszter Kováts et Maari Põim [6], qui permet à différents groupes et acteurs conservateurs, d’extrême droite, traditionalistes ou populistes, de collaborer, malgré leurs différences, voire leurs antagonismes. Il faut, donc, que l’analyse prenne toujours en compte, et en même temps, la dimension transnationale de ces mouvements et leurs spécificités nationales.

      Massimo Prearo : Dans notre livre, nous mettons en évidence comment, par exemple, la reconnaissance des études de genre dans l’université française a empêché, dans une certaine mesure, les « anti-genre » d’utiliser la rhétorique du « gender » comme ovni provenant des campus nord-américains. La circulation de la notion de genre, déjà présente en France, a entravé en quelque sorte l’usage déformé qu’en font les « anti-genre », même si, dans le débat public, on voit bien comment on continue à parler de « la théorie du genre » sans questionner la provenance de cette expression. En Italie, la présence fragile et la faible reconnaissance des études de genre ainsi que l’hégémonie du courant féministe différentialiste, au contraire, a permis une réelle « contamination » de la part des mouvements « anti-genre » du discours public. Tout le monde, y compris la grande partie des militant-e-s LGBTQI, d’ailleurs, adoptent les expressions (vides de sens) « le gender » (en anglais) ou « ideologia gender ».

      Le Vatican n’est pas seulement misogyne, mais, malgré ce qu’il dit, foncièrement antiféministe. Le dispositif discursif « anti-genre » vise au premier chef les féministes (anti-essentialistes) que le Vatican rebaptise – à travers une stratégie, encore une fois, d’étiquetage déformant – les « féministes du gender ». Il leur oppose un « nouveau féminisme » censé célébrer les vertus de « la différence sexuelle ». Il faut dire aussi que, au-delà du fait que le genre est une arme qui dénaturalise, le Vatican s’en prend à cette notion parce qu’elle n’est pas seulement un concept qui, avec ses différentes définitions, renvoie à diverses théories sur la nature sociale des groupes de sexe et, plus généralement, à un champ d’études. Le genre est aussi une catégorie mobilisée par le droit, l’administration, les instances politiques. Le Vatican a donc tenté de faire d’une pierre plusieurs coups. Cibler le genre – comme concept, comme théorie, comme champ, comme catégorie politique – est bien pratique car ça permet d’atteindre beaucoup de monde. Cela dit, l’opposition du Vatican au genre ne se caractérise pas seulement par sa précocité et par sa force, mais aussi par le type de riposte mis en place. Le Vatican s’oppose au concept de genre en créant un pseudo-concept, qu’il fabrique à travers des techniques de déformation et des mésusages conceptuels sous la forme d’un répertoire d’étiquettes telles que « la-théorie-du-genre », « idéologie du genre » ou « le gender », contre lesquelles il mène une bataille acharnée. Cet étiquetage a trois fonctions politiques principales : construire un ennemi unique et épouvantable, fédérer un front de mobilisation, en permettant de nouvelles connexions entre différents groupes conservateurs, et créer une vague de panique morale autour d’une prétendue « colonisation idéologique » dont les premières victimes seraient les enfants, mais aussi les habitant-e-s des pays anciennement colonisés. La référence notamment aux pays d’Afrique qui seraient à nouveaux « colonisé-e-s », cette fois de manière sournoise par « le lobby gay », revient constamment dans le discours des « anti-genre ». Il n’est pas anodin que le Quatrième Rapport annuel de la doctrine sociale de l’Église ait été consacré à la question de ce que le Vatican appelle « la colonisation de la nature humaine ». Il est intéressant de voir comment, tout en mobilisant la notion de « colonisation » contre ses adversaires, le Vatican s’inscrit dans la vaste cohorte des défenseurs d’une « théorie positive de la colonisation ». Dans ce texte, on lit que : « L’idéologie du gender est un nouveau colonialisme de l’Occident sur le reste du monde. Parmi beaucoup d’aspects négatifs, l’ancienne colonisation en a eu aussi d’héroïques (sic !). Elle était animée par un désir d’exporter quelque chose de significatif (re-sic !), tandis que cette nouvelle colonisation occidentale n’est que l’exportation du néant ». Il ne faut pas beaucoup de lignes aux rédacteurs de cet ouvrage pour exprimer, à la fois, leur sexisme, leur homophobie, leur transphobie et leur racisme.

      Cette métamorphose a notamment été élaborée tout au long du pontificat de Jean-Paul II (1978-2005) et se caractérise par un changement de référence : de la soumission des femmes aux hommes, on passe à l’égalité dans la différence et à la #complémentarité entre les sexes.

      La notion de « nationalisme sexuel » a été théorisée, sous l’impulsion des études intersectionnelles et post-coloniales, pour nommer les articulations, les imbrications entre le processus de construction de l’« identité nationale » d’un pays et l’élaboration d’une norme sexuée et sexuelle pensée comme « naturelle », « normale », légitime au sein d’un tel contexte. Ce processus s’accompagne d’une racisation contextuelle des groupes exclus de cette norme nationale. Une telle notion nous a paru utile pour montrer comment le discours « anti-genre » du Vatican est porteur d’une forme bien spécifique de nationalisme sexuel qui combine l’exclusion des couples et des familles LGBTQI et celle des personnes musulmanes.

      Ce « nationalisme sexuel » se trouve sous les appellation de « séduction à la française » ( beaucoup utilisé pendant l’affaire DSK et réactualisé par les misogynes actuels) ou « gauloiserie » (le mot gauloiserie viens d’une collection d’almanach porno du XVIIIeme ), la prétendue « courtoisie » et « galanterie » mis en opposition à un « puritanisme anglo-saxon » ou le machisme des « garçons arabes ».

      D’un côté, une telle réussite tient aux déguisements de ce discours : il s’affiche comme séculier, scientifique et même féministe, alors qu’il est religieux, doctrinaire et contre-révolutionnaire. De l’autre, il s’étaye sur le sens commun et la croyance en la naturalité de la différence et dans la complémentarité entre les sexes, que cette rhétorique ravive et sur laquelle elle se fonde.

  • L’aura de Sifaoui et Chalgoumi donne le tournis à Kamel Daoud - RipouxBliqueDesCumulardsVentrusGrosQ
    http://slisel.over-blog.com/2017/09/l-aura-de-sifaoui-et-chalgoumi-donne-le-tournis-a-kamel-daoud.html

    Sifaoui -Chalghoumi et leurs mentors
    Dans son dernier "opus", KD "explique" pourquoi il n’est pas "solidaire" de la Palestine ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, ils seraient tentés de croire en "un revirement" de position et de conviction. Mais au fait, c’est un secret de polichinelle. Depuis quand "les chroniqueurs" de la veine de KD se sont souciés (et encore moins solidarisé) des cas des peuples (arabes à fortiori, et palestinien justement) ?

    Avant de continuer, je me dois de clarifier, que nulle n’est mon intention de discuter ses arguments égrenés au fil de son écrit, pour justifier cette position "chevaleresque", en essayant de se bunkeriser derrière le drame de nos frères de Ghardaia ou d’ailleurs, en fait KD n’a pas à s’inventer des arguments pour expliquer ce courage d’être en porte à faux avec les émotions "primitives", qu’il pourrait même trouver "antisémite" du ghachi que nous sommes, lui qui vient de raccorder son violon sur des notes culturellement correctes et adapté au solfège de l’autre rive, et semble en être ébloui au point de "transgresser" tous les tabous, en particulier ceux qui lui prodigueraient les sésames des plateaux TV gaulois.

    Ce genre de plumes, de tous les temps se sont mis du côté des "seigneurs" et se sont acoquinés avec les porteurs des bourses et des baïonnettes, depuis qu’ils ont connu les news rooms. N’a-t-il pas, il y a à peine quelques jours, traité le peuple algérien (incongru à son gout) avec dédain et mépris, sur ces nouveaux plateaux devenus sa prime convoitise ? Veut-il nous faire oublier qu’il n’y a pas si longtemps, il faisait partie du lot de ce qu’on appelle les journalistes "Embedded", enrôlés par les officines du DRS au nom de la lutte antiterroriste, ceux qui signaient des articles rédigés par les officiers du DRS, comme l’a relevé l’ancien journaliste du Matin Ahmed Semiane, dans son écrit "Au refuges des balles perdues", ces plumes ont toujours été de l’autre côté de la barrière, et ce n’est que lorsque le pole unique du pouvoir s’est effrité, que nos KD se sont découvert un courage et un franc parlé "désintéressé" pour abattre leur glaive sur la carcasse de celui qui leur semblait en perte de grâce. On les a vu d’ailleurs, se donner à cœur joie dans du punching ball "sécurisé", sur un président en fauteuil roulant : Bouteflika IV. Seulement, maintenant, à l’ère de la globalisation, qui rime et se conjugue à la vente de conscience et de la plume à l’échelle planétaire, notre KD s’est hissé avec son nouveau art, à une échelle internationale.

    Ne cherchez pas très loin le pourquoi de cette dite "désolidarisation" de KD, elle est de nature humaine, dans son sens basique, celle qui pour glaner certains "satisfécits" s’enfonce dans l’art de caresser dans le sens du poil du pole au commande, surtout quand ceux "qu’on flagelle" se trouvent dans une position "inoffensive", sans risque de nuire. Dans son "opus" on sent ce parfum, qui trahit une volonté hargneuse de la part de KD de concurrencer un certain Sifaoui, qui, depuis qu’il s’est autoproclamé expert "es" antiterrorisme, s’est vu ouvrir devant lui les plateaux des Telavivision comprendre France TV (emprunté à François Burgat), où il est quasi impossible, voire un crime de lèse-majesté , d’entendre une autre version de ce qui se passe à Gaza, autrement que de la manière conforme et agréé par les Enrico Macias, BHL, André Gluksman, Eric Zemour, M Sifaoui, et maintenant KD, à savoir la seule thèse acceptable, celle qui donne "exclusivement" à Israël le droit de se défendre, et la légitimité d’éradiquer des terroristes fussent-ils des enfants ou des femmes, sur des plateaux qui ne laissent pas un iota d’espace à l’autre version, celle du meurtre de population civile, chose que Sifaoui, Chalgoumi et maintenant KD semblent avoir bien "digéré". Certes pour faire dans l’humanisme, on condamnera "subtilement" les "dépassements", on dira "en sibylline", que les coups sont disproportionnés, et autres "stupidités" israélienne (nonobstant des corps d’enfants et de femmes déchiquetés que ces plateaux auront le soin de zapper, pour ne pas choquer les esprits, nous dit-on,), ces images sanglantes arrivent quand même à échapper à la vigilance des gardiens du temple, qui écument la toile, au grand regret de ces "humanistes", qui se seraient bien passés de pareilles "images encombrantes", et face auxquelles ils arborent leur rôle d’équilibriste, en usant du subterfuge bien rodé : la compassion conditionnée, celle de regretter les pertes humaines (qui sont toujours palestiniennes), comme si elles sont le résultat du néant ou de catastrophe, et non de l’hégémonie d’une force aveugle d’occupation, cet équilibrisme va jusqu’à porter la responsabilité de ces "pertes humaines" aux victimes elles-mêmes, qu’on accusera d’avoir provoqué, d’avoir obligé, d’avoir tout fait, sauf d’être des victimes d’un blocus assassin qui dure depuis des années, et d’être des cible "fair game" d’une armada israélienne, et d’être victime d’un "mass murder" sur leur propre sol, en leur déniant tout droit de se défendre (droit exclusif à Israël). Que reste-t-il, (que propose-t-on) au peuple palestinien en blocus, réprimé et privé de tous ses droits, sur son sol, et dont le seul tort est de lutter avec les moyens dont il dispose pour exprimer le refus de son aliénation et de recouvrer son indépendance ? On lui miroite la capitulation, sous un euphémisme reluisant, épousé par KD : une certaine paix, concoctée entre Sissi et Netanyahou.

    KD s’est depuis sa désolidarisation, semble-t-il, avoir rejoint le peloton, pour parfaire son harmonie avec ses nouveaux employeurs potentiels.

    A cet effet il est indispensable pour KD de présenter un CV consistant et convainquant, en "tolérance", comprendre banalisation des crimes sionistes, les réduisant en simple conflit, ce qui expliquerait son courage de la 13heure, pour pouvoir prétendre rejoindre et pourquoi pas détrôner les Sifaoui, Chalagoumi sur les plateaux auxquels il a pris gout, car KD semble ne plus se suffire des apparitions occasionnelles ; monsieur pour gagner son label d’expert en affaire terroriste, et casseur de tabous, est prêt à tout, quitte à puiser profondément dans la surenchère, dont il vient de faire preuve de sa première primeur, sa désolidarisation de Palestine, le reste est question de temps.

    En fait si on décarcasse l’"opus" de KD, de ses "arguments" justifiant sa dite "désolidarisation" on trouve son "opus" réduit à sa forme la plus commerciale, offre/demande : un CV clinquant à l’intention des maitres des plateaux TV, une manière d’étaler son savoir et son aptitude de plume indigène, prête à se surpasser dans l’art qu’il excelle, casser de l’arabe, quitte à justifier platement, leur épuration "salvatrice", d’autant qu’à l’ère de la sionisation globalisante, casser de l’islamo-arabe est devenu une affaire win/win, un sport sans risque et aux dividendes juteux, ça se vent tellement bien que KD s’en est découvert une passion et s’en est converti à cette vague new âge d’or.

    Ce sont en fait autant de pièces nécessaires et pas forcément suffisantes, pour embellir son CV, des prérequis à tout candidat à la banalisation des crimes sionistes et l’art de tordre le cou aux réalités du terrain, comme trouver des vocables visqueux, comme par exemple imputer la responsabilité du drame aux Palestiniens eux-mêmes des crimes dont ils sont victimes, une manière de criminaliser toute velléité de résistance à l’hégémonie sioniste, sous couvert de real politik, et de paix aux connotation de Dahlan et Mahmoud Abbas et en surfant sur les désirs de leurs employeurs et le sang des infra humains que sont les peuples arabes, c’est dans cette ambiance propice que KD a trouvé sa vocation ad hoc, longtemps récessive, et qui fait surface en ce moment de grande opportunité, alors pourquoi s’en priver !

    Alors que Noam Chomsky, Naomi Klein, et autres Finkelstein, affrontent avec magnanimité la machine sioniste à fabriquer le business de l’antisémitisme qui rapporte à ses gourous des milliards, tout en muselant toutes voix dissonantes qui osent condamner le génocide du peuple palestinien, et parce que cette lignée d’hommes et de femmes libres, étant juifs, ne peuvent pas être accusés antisémites, ils se trouvent taxés de "self hating jews", pendant ce temps nos KD et MS et Chalgoumi, se drapent du sceau de la tolérance, et d’un courage polarisé, qui leur permet de légitimer ces crimes sionistes. On serait tenté de leur apposer, le qualificatif de "self hating arabs", mais en fait le terme le plus approprié qui pourrait les qualifier, est un terme bien de chez nous : "rokhs".

    Evidemment il ne faudrait pas s’étonner qu’il nous fasse étaler les lettres de menace qu’il nous dira avoir reçu des "hordes" intégristes salafistes islamistes obscurantistes, et tous les chapelets de qualificatifs dont il détient le secret, et qu’il manie à la pavlovienne, n’est-ce pas d’ailleurs une autre "pièce jointe" toute aussi cruciale à ajouter à son palmarès pour renforcer son CV, et le hisser au rang des "victimes" de crimes de blasphème, tant valorisant, à l’image de Salman Rushdie, Teslima Nesrine et autre Ayann Hirsi.

    Quant au courage de KD et de ses congénères, pour "casser" de l’arabe (le pauvre petit peuple), il n’a d’égal que celui du Tsahal face à l’enclave d’hommes désarmés, d’enfants, de femmes et de vieillards, une situation décrite on ne peut mieux par… Chomsky : "Israël utilise des avions sophistiqués, des navires de guerre pour bombarder les camps de réfugiés surpeuplés, des écoles, des habitations, les mosquées, des bidonvilles, pour bombarder une population qui n’a ni armée de l’air, ni défense aérienne, ni marine, ni armes lourdes, aucune unités d’artillerie, pas d’unités mécanisées, aucune commande au sol, ni armée, et avec cela Israël appelle cela une guerre ; non ce n’est pas une guerre, c’est un MEURTRE".

    Rachid Ziani-Cherif
    20 juillet 2014

    *

    Ce pourquoi je ne suis pas « solidaire » de Gaza

    Non, le chroniqueur n’est pas « solidaire » de la Palestine. Le mot solidaire est entre guillemets. Car il a deux sens. D’abord non à la « solidarité » sélective. Celle qui s’émeut du drame palestinien parce que se sont des Israéliens qui bombardent. Et qui, donc, réagit à cause de l’ethnie, de la race, de la religion et pas à cause de la douleur. Celle qui ne s’émeut pas du M’zab, du Tibet ou de la Kabylie il y a des ans, du Soudan, des Syriens et des autres douleurs du monde, mais seulement de la « Palestine ». Non donc à la « solidarité » par conditionnement religieux et « nationaliste ». Cette « solidarité » qui nuit à la victime et au solidaire parce qu’elle piège la Palestine comme « cause arabe et musulmane », dédouanant le reste de l’humanité par appropriation abusive. La « solidarité » qui se juche sur l’histoire d’un peuple malmené et presque sans terre au nom de la haine de l’autre. Cette « solidarité » concomitante que le chroniqueur a vomi dans les écoles, les manuels scolaires, les chants et l’arabisme et l’unanimisme religieux.

    Le drame palestinien a été « arabisé » et islamisé à outrance au point où maintenant le reste de l’humanité peut se sentir débarrassé du poids de cette peine. C’est une affaire « arabe » et de musulmans. Cette solidarité qui a transformé un drame de colonisation entre clashs de religions, de haines et d’antiques mythologies exclusives. Cette solidarité VIP que le chroniqueur ne veut pas endosser, ni faire sienne. Cette « solidarité » qui préfère s’indigner de la Palestine, mais de chez soi, et ne rien voir chez soi de la « palestinisation » du M’zab ou du Sud ou des autres territoires du monde. Cette solidarité au nom de l’Islam et de la haine du juif ou de l’autre. Cette solidarité facile et de « droit public » dans nos aires. Qui au lieu de penser à construire des pays forts, des nations puissantes pour être à même d’aider les autres, de peser dans le monde et dans ses décisions. Cette « solidarité » pleurnicharde et émotive qui vous accuse de regarder le mondial du Brésil au lieu de regarder Al Jazeera. Cette « solidarité » facile qui ferme les yeux sur le Hamas et sa nature pour crier à l’indignation, sur les divisons palestiniennes, sur leurs incapacités et leurs faiblesses au nom du respect aux « combattants ». Au nom de l’orthodoxie pro-palestinienne que l’on ne doit jamais penser ni interroger.

    Non donc, le chroniquer n’est pas solidaire de cette « solidarité » qui vous vend la fin du monde et pas le début d’un monde, qui voit la solution dans l’extermination et pas dans l’humanité, qui vous parle de religion pas de dignité et de royaume céleste pas de terre vivante ensemencée.

    Si le chroniqueur est solidaire, c’est par une autre solidarité. Celle qui ne distingue pas le malheur et la douleur par l’étiquette de la race et de la confession. Aucune douleur n’est digne, plus qu’une autre, de la solidarité. Et solidarité n’est pas choix, mais élan total envers toutes et tous. Solidarité avec l’homme, partout, contre l’homme qui veut le tuer, le voler ou le spolier, partout. Solidarité avec la victime contre le bourreau parce qu’il est bourreau, pas parce qu’il est Israélien, Chinois ou Américain ou catholique ou musulman. Solidarité lucide aussi : que l’on cesse la jérémiade : le monde dit « arabe » est le poids mort du reste de l’humanité. Comment alors prétendre aider la Palestine avec des pays faibles, corrompus, ignorants, sans capitaux de savoir et de puissance, sans effet sur le monde, sans créateurs ni libertés ? Comment peut-on se permettre la vanité de la « solidarité » alors qu’on n’est pas capable de joueur le jeu des démocraties : avoir des élus juifs « chez nous », comme il y a des élus arabes « chez eux », présenter des condoléances pour leurs morts alors que des Israéliens présentent des condoléances pour le jeune Palestiniens brûlé vif, se dire sensible aux enfants morts alors qu’on n’est même pas sensible à l’humanité. Le chroniqueur est pour l’autre solidarité : celle totale et entière et indivise. Celle qui fait assumer, par votre dignité, au reste du monde, sa responsabilité envers une question de colonisation, pas de croyances. Celle qui vous rehausse comme interlocuteur, négociateur et vis-à-vis. Celle qui vous impose la lucidité quant à vos moyens et votre poids, à distinguer votre émotion de vos élans. Celle qui commence par soi, les siens pour justement mieux aider l’autre, partout, dans sa différence comme dans sa communauté. La solidarité avec le chrétien pourchassé en Irak et en Syrie, des musulmans de Birmanie, des habitants de l’Amazonie ou du jeune encore emprisonné à Oum El Bouaghi pour un casse-croute durant un ramadan.

    Les images qui viennent de Gaza sont terribles. Mais elles le sont depuis un demi-siècle. Et nos indignations sont encore aussi futiles et aussi myopes et aussi mauvaises. Et nos lucidités et nos humanités sont aussi rares et mal vues. Il y a donc quelque chose à changer et à assumer et à s’avouer. La « solidarité » n’est pas la solidarité.

    Ce que fait Israël contre Gaza est un crime abject. Mais nos « solidarités » sont un autre qui tue le Palestinien dans le dos.

    Que les amateurs des lapidations se lèvent donc : c’est la preuve que mis à part les jets de cailloux, ils ne savent rien faire d’autre.

    Kamel Daoud
    12 juin 2014
    Publié dans Le Quotidien d’Oran

    Tribune Libre - Ziani-Cherif Rachid

    http://www.hoggar.org

  • Le sourire du conteur, par Arnaud de Montjoye
    https://www.monde-diplomatique.fr/2017/05/MONTJOYE/57452 #st

    S’il est vrai que, de tout temps, les humains ont été fascinés par les djinns, « êtres de feu sans fumée », et par les djinnias, « faites de fumée sans feu », force est de constater qu’ils n’en connaissent pas grand-chose, un peu comme ces dormeurs brutalement réveillés au milieu d’un rêve dont ils ne parviennent quasiment plus à se souvenir. Mais il advient parfois qu’un conteur, ou peut-être bien une conteuse, s’empare de ces fragments épars et les remette, temporairement, dans l’ordre… Ce que fait magistralement Salman Rushdie dans son dernier roman, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, soit bien sûr mille et une nuits, c’est-à-dire le temps que durèrent selon l’histoire ici déroulée les événements connus sous les noms de « guerre des mondes » ou de « période d’Étrangeté ». Car les djinns, querelleurs, toniques, priapiques, amoraux, n’aiment rien tant que quitter leur magique Péristan pour se mêler à notre bas monde, dont l’extravagance les fascine.

    http://zinc.mondediplo.net/messages/66279 via Le Monde diplomatique

  • Mort du philosophe syrien Sadik Jalal Al-Azm
    Obituaire rédigé par Franck Mermier
    http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2016/12/18/mort-du-philosophe-syrien-sadik-jalal-al-azm_5050908_3382.html

    Sadik Jalal Al-Azm, né en 1934 à Damas, est mort le 11 décembre, à l’âge de 82 ans, dans un hôpital de Berlin. Ce spécialiste de Kant, titulaire d’un doctorat de l’université de Yale aux Etats-Unis, fut le principal chef de file du courant rationaliste, matérialiste et laïc dans le monde arabe.

    Sadik Jalal Al-Azm appartenait à une grande famille de notables musulmans de Damas qui contrôla le pouvoir politique de la ville durant une longue période. Un de ses grands-pères paternels, Sadik Pacha Al-Mu’ayyad Al-Azm, était ambassadeur plénipotentiaire et l’aide de camp du Sultan Abdülhamid II (qui régna de 1876 à 1909). Son père, admirateur d’Atatürk, prit part à la bataille de Gallipoli (Dardanelles, avril 1915 à janvier 1916) avant de devenir chef du corps des sapeurs-pompiers à Damas après un intermède de quelques années passées à Paris.

    Le nom de Sadik Jalal Al-Azm a périodiquement défrayé la chronique de la censure dès ses deux premiers ouvrages qui l’ont rendu célèbre dans tout le monde arabe. Le premier, Autocritique de la défaite (1968), traite de la défaite de 1967 lors de la guerre des Six Jours opposant Israël à l’Egypte, la Jordanie et la Syrie dont il situe les causes dans l’état de sous-développement social, culturel, politique et économique des sociétés arabes.

    La parution, en 1969, du livre de Sadik Jalal Al-Azm, Critique de la pensée religieuse, résonna comme un autre coup de tonnerre dans le marécage du consensus social et politique en déplaçant le débat sur le terrain même de l’idéologie religieuse islamique. Il sera emprisonné dix jours à Beyrouth à la suite de la plainte d’associations islamiques libanaises, mais sera relâché après l’intervention de Kamal Joumblatt, ministre de l’intérieur, et à la mobilisation des forces de gauche.
    Des mesures vexatoires à son encontre

    En 1968, il fut licencié de son poste de professeur à l’Université américaine de Beyrouth pour avoir signé une pétition demandant le retrait des troupes américaines du Vietnam, mais aussi à la suite d’une controverse sur la religion qui l’avait opposé à l’intellectuel et diplomate libanais Charles Malek. La même année, fut publié son ouvrage sur l’amour platonique dans la poésie arabe (1968) qui attend toujours une traduction.

    Un temps membre du Front démocratique pour la révolution de la Palestine, il rejoignit, en 1970, le Centre de recherches palestiniennes de Beyrouth. Son ouvrage Etudes critiques de la pensée de la Résistance palestinienne, publié en 1973, sur le Septembre noir de 1970, qui vit la victoire de l’armée jordanienne sur l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) suscita l’ire des dirigeants palestiniens. Après son retour en Syrie suite à l’invasion israélienne du Liban en 1982, il retourna à l’Université de Damas et fut nommé doyen du département de philosophie. Sa réserve vis-à-vis du Parti Baath et ses positions de gauche entraînèrent l’adoption de mesures vexatoires à son encontre et il fut relégué, un temps, à l’enseignement de l’anglais.

    Au cours du « Printemps de Damas » après le décès de Hafez al-Assad, il signa le « Manifeste des 99 » en septembre 2000 qui réclamait un changement démocratique, la suppression de l’état d’urgence, la libération des prisonniers politiques et la restauration de toutes les libertés publiques, puis la « Déclaration des 1 000 » (février 2001), plus radicale que le texte précédent, et qui appelait à la création de comités de la société civile. En 2006, il signa la pétition « Beyrouth-Damas/Damas-Beyrouth » qui réclamait la reconnaissance pleine et entière par le régime syrien de la souveraineté libanaise.

    Sadik Jalal Al-Azm, qui prônait une libéralisation progressive du régime, prit fait et cause pour le soulèvement pacifique de mars 2011 en Syrie. De ce fait, lui et son épouse Eman Chaker durent quitter Beyrouth, où ils ne se trouvaient plus en sécurité, pour se réfugier en Allemagne. En exil, Sadik Jalal Al-Azm devint le premier président de la Ligue des écrivains syriens créée en 2012 pour faire pièce à l’Union des écrivains arabes de Syrie inféodée au régime d’Al-Assad.
    Deux ouvrages sur l’affaire Rushdie

    Sadik Jalal Al-Azm tenait ses positions de manière vigoureuse que ce soit pour défendre le point de vue matérialiste devant le prédicateur islamique égyptien Al-Qaradawi, mufti de Qatar, ou le dirigeant islamiste soudanais Tourabi sur la chaine Al-Jazira, ou pour critiquer les positions de l’intellectuel palestino-américain Edward Saïd sur l’orientalisme ou celles des tenants du « retour à l’authenticité », tel Adonis, au moment de la révolution iranienne. Sadik Jalal Al-Azm publia aussi deux ouvrages sur l’affaire Rushdie en défense des droits de la fiction, discutant de la validité religieuse de la fatwa de l’imam Khomeyni et proposant une analyse littéraire approfondie des Versets sataniques.

    Membre de l’Académie européenne des sciences et des arts, Sadik Jalal Al-Azm avait reçu de nombreuses distinctions, dont, en 2004, le prix Erasmus décerné par le Praemium Erasmianum sous le patronage du prince Bernhard des Pays-Bas et le prix Leopold-Lucas décerné par l’Université de Tübingen (Allemagne). En août 2015, il s’était rendu à Weimar pour recevoir la médaille Goethe qui est décernée chaque année à trois personnalités ayant rendu des « services exceptionnels aux relations culturelles internationales ».

    Si une partie de son œuvre a été traduite en anglais, on ne trouve en français qu’un seul recueil de ses principaux textes avec, outre un long entretien biographique, ses études majeures sur l’islamisme, l’orientalisme et Salman Rushdie : Ces interdits qui nous hantent. Islam, censure, orientalisme (Parenthèses Editions/MMSH/IFPO, 2008). Sadik Jalal Al-Azm laissera le souvenir d’une personne généreuse à l’intelligence pétillante et à l’humour éclatant, ainsi que l’image exemplaire d’un intellectuel engagé pour une Syrie libre et démocratique.

  • Les interdictions du ‘burkini’ en France ont à voir avec bien autre chose que la religion ou l’habillement

    Washington – Il y a quelque chose qui donne le tournis dans ces arrêtés d’interdiction du burkini qui fleurissent sur le littoral français. L’évidence de la contradiction – imposer des règles sur ce que les femmes peuvent porter sur la base de l’idée qu’il est injuste pour les femmes de devoir obéir à des règles sur ce que les femmes peuvent porter – montre clairement que quelque chose de plus profond doit être à l’œuvre.

    « Les « burkinis » sont à la base des maillots de bain qui recouvrent tout le corps en conformité avec les normes musulmanes relatives à la pudeur, et mercredi, le premier ministre Manuel Valls s’est jeté dans le débat enflammé sur les interdictions prononcées sans quelques villes balnéaires du pays, dénonçant ce vêtement qu’on voit rarement comme un élément de « l’asservissement des femmes. »

    Ceci ne porte évidemment pas réellement sur une tenue de bain. Les sociologues disent que cela n’a pas non plus un rapport premier avec la protection des femmes musulmanes contre le patriarcat, mais que c’est en lien avec une volonté d’éviter à la majorité non musulmane de la France de devoir se confronter à un monde qui change : un monde qui leur demande d’élargir leur vision de l’identité quand beaucoup voudraient qu’elle demeure telle qu’elle était.

    « Ce genre de déclaration [celle de Manuel Valls, NdT] est une manière de sanctionner [le sociologue emploie le verbe to police qui signifie contrôler, surveiller] ce qui est français et ce qui n’est pas français, » explique Terence G. Peterson, un professeur de la Florida International University qui étudie la relation de la France avec les immigrés musulmans et avec le monde musulman.

    Si cette bataille sur l’identité prend de l’ampleur au lendemain des attentats terroristes [Nice et Saint-Etienne du Rouvray, NdT], elle fait en réalité rage sous une forme ou une autre depuis des dizaines d’années dans la société française, affirme le Professeur Peterson. Ce qui semble être une confrontation sur une petite question de vêtement islamique porte en réalité sur ce que signifie être français.

    Pendant l’époque coloniale, quand la France contrôlait de vastes régions musulmanes, le voile était devenu un « symbole hyperchargé » explique le Professeur Peterson. Le voile était considéré comme un symbole de l’arriération des Musulmans et les normes vestimentaires féminines françaises, plus flexibles, étaient considérées comme un signe de supériorité culturelle, des façons de voir qui justifiaient le colonialisme.

    Le colonialisme est au fondement de la crise d’identité que vit la France actuellement parce qu’il a ancré un sentiment d’identité nationale française en tant que distinct et supérieur aux identités musulmanes – tout en promettant l’égalité aux Musulmans colonisés qui avaient commencé à immigrer en France en grand nombre. La choc qui en résulte prend souvent la forme de débats sur les tenues vestimentaires.

    Le voile est resté un symbole puissant de l’altérité quand le colonialisme s’est effondré après la seconde guerre mondiale et que les Musulmans des pays colonisés ont afflué en France. Mais maintenant, cette altérité se joue à l’intérieur même d’un pays qui tente de définir sa propre identité post-coloniale.

    Au fil des générations, le voile s’est répandu chez les Musulmanes françaises, en tant que pratique religieuse et, peut-être, comme symbole de leur héritage culturel particulier. Il était un signe visible de la manière dont la France elle-même, ainsi que son rôle dans le monde, était en train de changer.

    Le résultat a été que le voile est devenu le symbole non seulement d’une différence religieuse mais du fait que les Français « de souche » n’avaient plus le monopole de la définition de l’identité française. La France était devenue une nation multiculturelle et multiethnique où les traditions signifiaient différentes choses pour différentes personnes.

    Le symbole du voile à l’époque coloniale en tant que signe de l’infériorité musulmane en a fait une cible commode pour les arguments selon lesquels l’identité française « traditionnelle » devait demeurer non seulement dominante mais la seule identité culturelle en France.

    Les burkinis peuvent sembler effrayants car ils sont perçus comme menaçant ce type particulier d’identité française par l’expression d’une forme alternative d’identité – dans ce cas, en tant que Musulmans. Beaucoup de Français, au lieu de croire que ces identités peuvent coexister, les perçoivent comme nécessairement concurrentes.

    Il existe même un mot français péjoratif pour qualifier l’introduction de ces identités alternatives, le « communautarisme » dont le développement est considéré comme une crise nationale.

    Des articles d’habillement musulmans comme le voile ou le burkini sont devenus des symboles du fait que l’identité nationale française n’est plus le domaine réservé de groupes de populations qui vivent dans ce pays depuis des siècles. Des décisions comme les interdictions cet été du burkini ont pour but d’empêcher une redéfinition élargie de l’identité française en contraignant les Musulmans non seulement à s’assimiler mais aussi à adopter l’identité plus étroite et rigide [celle qui exclut les Français issus de l’immigration musulmane, NdT].

    C’est une méthode à laquelle la France a recouru pendant des dizaines d’années, et qui a à chaque fois échoué.

    John Bowen, anthropologue à la Washington University de Saint-Louis, explique que la France a rendu à essayer ce genre de restrictions aux moments où elle affrontait des tensions aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur en relation avec les Musulmans et le monde musulman.

    Les choses ont commencé en 1989 avec la fameuse affaire du foulard quand trois collégiennes françaises avaient été exclues pour avoir refusé de retirer leur coiffe. Ostensiblement, la raison était que les foulards étaient des symboles religieux visibles et qu’ils contrevenaient donc avec la loi française sur la laïcité, ou sécularisme. Mais la laïcité était dans la législation depuis 1905 et les foulards sur la tête étaient néanmoins autorisés en général.

    Ce qui a changé, écrivait le Professeur Bowen dans un livre sur le sujet, ce sont des événements dans le monde qui ont fait que l’Islam a semblé être une force particulièrement pernicieuse. En 1989, le leader de l’Iran, l’Ayatollah Rouhollah Khomeini avait signé un décret contre l’écrivain Salman Rushdie. A la même époque, des Algériens avaient constitué le Front Islamique du Salut (FIS), un parti tenant d’une ligne dure et qui basculera ensuite dans l’insurrection.

    Interdire les foulards dans les écoles françaises devenait une manière de gérer l’anxiété générée par les événements à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et d’affirmer le droit de protéger les valeurs françaises.

    Les foulards à l’école sont revenus sur le devant de la scène nationale en 1993 et 1994 quand les autorités françaises craignaient de voir de jeunes hommes membres de familles immigrées algériennes rejoindre les rangs de l’insurrection islamiste en Algérie. Après les attentats du 11 septembre 2001, le voile cristallisa une fois de plus les peurs à l’égard de communautés musulmanes qui étaient à l’écart de la culture et de la société française dominantes.

    Et cet été, la France est sous le choc d’une série d’agressions terroristes et est de plus en plus préoccupée par les jeunes Musulmans qui vont en Syrie pour rejoindre l’Etat Islamique ou d’autres organisations djihadistes. Une fois de plus, certains en France voient le processus d’assimilation comme une question de sécurité nationale.

    Le voile est un symbole qui a une puissance anxiogène spécifique en matière d’assimilation parce qu’il est porté par choix. Tandis que des caractéristiques fixes comme la race ou la couleur de la peau n’impliquent aucun jugement sur la culture ou les valeurs françaises, l’habillement implique une décision de se différencier – de donner la priorité à son identité culturelle ou religieuse par rapport à celle de son pas d’adoption.

    Les interdictions vestimentaires ont pour but, en effet, de faire pression sur les Musulmans français pour qu’ils se détournent de tout sentiment d’identité communautaire et adoptent l’identité française étroitement définie qui préexistait avant leur arrivée. Mais essayer de forcer à l’assimilation peut avoir l’effet contraire : dire aux Musulmans français qu’ils ne peuvent pas avoir simultanément une identité musulmane et une identité française, les forcer à choisir, c’est ainsi les exclure de ce que recouvre l’identité nationale au lieu de les convier à y contribuer.

    La France a un autre choix : elle pourrait élargir sa définition de l’identité nationale pour inclure les Musulmans français tels qu’ils sont. C’est quelque chose qui peut effrayer beaucoup de Français, qui le vivrait comme renoncer à une identité « traditionnelle » confortable et non comme l’ajout d’une nouvelle dimension à celle-ci. En l’absence d’acceptation de ce changement, il existe une volonté de faire pression sur les Musulmans français pour résoudre la crise identitaire, mais cette démarche employée pendant des dizaines d’années n’a apporté que peu de progrès – et beaucoup de tensions.

    [ Amanda Taub , The New York Times, 18 août 2016 traduit par Djazaïri ]

    https://mounadil.wordpress.com/2016/08/19/burkini-et-crise-de-lidentite-francaise-vus-par-le-new-york-time

  • Islamophobie
    Un article qui présente un maximum d’informations en un minimum d’espace sur l’islamophobie comme réalité historique. À lire absolument. Extraits.

    http://orientxxi.info/magazine/islamophobie-un-mot-un-mal-plus-que-centenaires,1155

    (...)
    le mot « islamophobie » paraît le mieux adapté. Et contrairement à une vulgate répandue, il est plus que centenaire. La première utilisation du mot retrouvée date de 1910. Elle figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié. Il proposait une définition d’une surprenante modernité :

    L’islamophobie : il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme2 est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans.

    La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose.

    Ainsi, dès sa première apparition écrite, le mot « islamophobie » était accompagné de celui de « préjugé » et du concept de « choc des civilisations ». Suivait une liste impressionnante de citations venant de tous les horizons, multipliant les reproches hostiles : l’islam était assimilé à la guerre sainte, à la polygamie, au fatalisme, enfin à l’inévitable fanatisme.

    La même année, Maurice Delafosse, étudiant lui aussi l’islam, cette fois en Afrique subsaharienne, l’emploie à son tour :

    Pris en bloc, et à l’exception de quelques groupements de Mauritanie encore hostiles à la domination européenne, l’état d’esprit des musulmans de l’Afrique occidentale n’est certainement pas opposé à notre civilisation (…). Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des musulmans en Afrique occidentale que des non musulmans (…). L’islamophobie n’a donc pas de raison d’être dans l’Afrique occidentale.

    Revue du Monde musulman, vol. XI, 1910.
    (...)
    Le mot (non la chose) va ensuite disparaître du vocabulaire jusqu’aux années 1970-1980. En 2003, deux écrivaines, Caroline Fourest et Fiametta Venner, publient dans leur revue un dossier au titre évocateur, « Islamophobes… ou simplement laïques ? »6. Le titre de l’article introductif utilise le mot « islamophobie » assorti d’un prudent — et significatif — point d’interrogation. Il commence par cette formule : « Le mot “islamophobie“ a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère ». Certes. Mais elles se fourvoient et, exposition médiatique aidant, elles ont fourvoyé depuis des dizaines d’essayistes, probablement des milliers de lecteurs. Car elles affirment que les mots « islamophobie » et « islamophobe » ont été en quelque sorte des bombes à retardement déposées par la révolution iranienne, puis repris par des obscurantistes musulmans un peu partout en Occident. Les deux essayistes affirment en effet :

    Il [le mot « islamophobie »] a été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes“ en les accusant d’être “islamophobes“. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu“. De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc.). Les premières victimes de l’islamophobie sont à leurs yeux les Talibans, tandis que les “islamophobes“ les plus souvent cités par ces groupes s’appellent Salman Rushdie ou Taslima Nasreen !

    Cette version, qui ignore totalement l’antériorité coloniale du mot, sera reprise sans distance critique en 2010 par l’équipe du Dictionnaire historique de la langue française : « Islamophobie et islamophobe, apparus dans les années 1980… », donnant ainsi à cette datation – une « simple erreur » d’un siècle — un couronnement scientifique.
    (...)

    #Islam #Islamophobie #Histoire

  • « Islamophobie », un mot, un mal plus que centenaires
    Une ressource indispensable pour comprendre les polémiques que ce mot engendre,

    http://orientxxi.info/magazine/islamophobie-un-mot-un-mal-plus-que-centenaires,1155

    Historiquement, l’affrontement armé a encadré la totalité de l’histoire des rapports entre l’Occident et le monde musulman. Il fut le premier mode de contact, lors de la conquête arabe du sud de l’Europe, puis lors des Croisades, en Orient. Et si l’on s’en tient à la colonisation française à l’ère moderne, toutes les générations de Français depuis 1830 ont perçu des échos d’affrontements avec le monde arabo-musulman au sein de l’empire : prise d’Alger (1830), guerre menée par Abd el-Kader (1832-1847), révolte de Kabylie (1871), lutte contre les Kroumirs et établissement du protectorat sur la Tunisie (1880-1881), conquête du Maroc et établissement du protectorat sur ce pays (1907-1912), révolte en Algérie (1916-1917), guerre du Rif (1924-1926), révolte et répression en Algérie (mai 1945), affrontements avec l’Istiqlal et le sultan au Maroc (1952-1956), avec le Néo-Destour en Tunisie (1952-1954), cycle clos par la guerre d’Algérie (1954-1962). La parenthèse fut ensuite refermée...provisoirement, puisque le concept de « choc des civilisations » est revenu en force depuis le début du XXIe siècle.

    L’islamophobie, historiquement inséparable du racisme anti-arabe, a plusieurs siècles d’existence. N’est-il pas remarquable, par exemple, que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman ? Pourquoi Poitiers, bataille mineure, a-t-elle pris la dimension de prélude — victorieux — au « choc des civilisations » ? Pourquoi Charles Martel, un peu barbare sur les bords, est-il l’un des premiers héros de l’histoire de France, comme « rempart » de la civilisation ? Interrogez les « Français moyens », ceux en tout cas qui ont encore la mémoire des dates : Poitiers (732) arrive encore dans le peloton de tête, avec le couronnement de Charlemagne en 800, la bataille de Marignan en 1515 ou la prise de la Bastille en 1789.

    Pourquoi la bataille de Roncevaux en 778, où pas un seul musulman n’a combattu (les ennemis du preux Roland étaient des guerriers basques) est-elle devenue le symbole de la fourberie des Sarrazins, attaquant en traîtres à dix contre un ? Nul ancien collégien n’a oublié qu’il a fait connaissance avec la littérature française, naguère, par la Chanson de Roland. Et nul ne peut avoir chassé de sa mémoire la personnification du Bien par les chevaliers de lumière venant d’Occident et celle du Mal par les sombres guerriers de la « nation maudite / Qui est plus noire que n’est l’encre ». C’est plusieurs siècles avant les théoriciens et illustrateurs de la pensée coloniale que l’auteur écrit : « Les païens ont tort, les chrétiens ont le droit. » La guerre entre « eux » et « nous » commençait sous les auspices du manichéisme le plus candide. Oui, le racisme anti-arabe, longtemps (toujours ?) inséparable de l’islamophobie, a plusieurs siècles d’existence, remonte au Moyen-âge (croisades), puis à la Renaissance avec, notamment, les matamores, littéralement les tueurs de maures, de la Reconquista espagnole.

    Plus tard, à l’ère coloniale, l’hostilité fut énoncée avec la plus parfaite bonne conscience, sur le ton de l’évidence : « C’est évident : l’islam est une force de mort, non une force de vie »1. Persuadés d’être porteurs des vraies — des seules — valeurs civilisationnelles, les contemporains de la conquête, puis de la colonisation, allèrent de déboires en désillusions : les catholiques et les missionnaires constataient, navrés, que la religion musulmane était un bloc infissurable ; les laïques intransigeants se désolaient, rageurs, de voir que leur conception de la Raison ne pénétrait pas dans ces cerveaux obscurcis par le fanatisme… Dès lors, les notions d’« Arabes » — la majorité des Français appelaient Arabes tous les colonisés du Maghreb — et de musulmans se fondirent en une sorte de magma incompréhensible, impénétrable. Hostilité de race et hostilité de religion se mêlèrent en une seule « phobie ».

    Il revenait à Ernest Renan de synthétiser tout l’esprit d’une époque :

    L’islam est la plus complète négation de l’Europe. L’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile, c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : “Dieu est Dieu“.

    La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1871.

    Un mot qui remonte à 1910

    Il faut nommer cet état d’esprit ; le mot « islamophobie » paraît le mieux adapté. Et contrairement à une vulgate répandue, il est plus que centenaire. La première utilisation du mot retrouvée date de 1910. Elle figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié. Il proposait une définition d’une surprenante modernité :

    L’islamophobie : il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme2 est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans.

    La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose.

    Ainsi, dès sa première apparition écrite, le mot « islamophobie » était accompagné de celui de « préjugé » et du concept de « choc des civilisations ». Suivait une liste impressionnante de citations venant de tous les horizons, multipliant les reproches hostiles : l’islam était assimilé à la guerre sainte, à la polygamie, au fatalisme, enfin à l’inévitable fanatisme.

    La même année, Maurice Delafosse, étudiant lui aussi l’islam, cette fois en Afrique subsaharienne, l’emploie à son tour :

    Pris en bloc, et à l’exception de quelques groupements de Mauritanie encore hostiles à la domination européenne, l’état d’esprit des musulmans de l’Afrique occidentale n’est certainement pas opposé à notre civilisation (…). Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des musulmans en Afrique occidentale que des non musulmans (…). L’islamophobie n’a donc pas de raison d’être dans l’Afrique occidentale.

    Revue du Monde musulman, vol. XI, 1910.

    Deux ans plus tard, Delafosse publie son maître ouvrage, dans lequel il reprend mot à mot son article de 1910, en remplaçant seulement les mots « Afrique occidentale » par « Haut-Sénégal-Niger ».

    En 1912, le grand savant Louis Massignon rapporte les propos de Rachid Ridha, un intellectuel égyptien, lors du congrès international des oulémas. Évoquant les attitudes des différentes puissances à l’égard de l’islam, Massignon reprend le mot à son compte : « La politique française pourra devenir moins islamophobe » (sous-entendu : que les autres puissances coloniales). De façon significative, il titre son article « La défensive musulmane »3. On a bien lu : « défensive » et non « offensive ».

    Après guerre, Étienne Dinet, grand peintre orientaliste converti à l’islam et son ami Slimane ben Ibrahim réemploient le mot dans deux ouvrages, en 1918 puis en 19214. Dans le second, ils exécutent avec un certain plaisir un jésuite, le père Henri Lammens, qui avait publié des écrits à prétention scientifique, en fait des attaques en règle contre le Coran et Mohammed. Dinet conclut : « Il nous a semblé nécessaire de dévoiler, non seulement aux musulmans, mais aussi aux chrétiens impartiaux, à quel degré d’aberration l’islamophobie pouvait conduire un savant. »

    Le mot apparaît également dans la presse, justement dans une critique fort louangeuse du premier de ces ouvrages : « Le fanatisme de Mohammed n’est ni dans sa vie ni dans le Coran ; c’est une légende inventée par les islamophobes du Moyen Âge »5.
    Un mensonge historique qui dure

    Le mot (non la chose) va ensuite disparaître du vocabulaire jusqu’aux années 1970-1980. En 2003, deux écrivaines, Caroline Fourest et Fiametta Venner, publient dans leur revue un dossier au titre évocateur, « Islamophobes… ou simplement laïques ? »6. Le titre de l’article introductif utilise le mot « islamophobie » assorti d’un prudent — et significatif — point d’interrogation. Il commence par cette formule : « Le mot “islamophobie“ a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère ». Certes. Mais elles se fourvoient et, exposition médiatique aidant, elles ont fourvoyé depuis des dizaines d’essayistes, probablement des milliers de lecteurs. Car elles affirment que les mots « islamophobie » et « islamophobe » ont été en quelque sorte des bombes à retardement déposées par la révolution iranienne, puis repris par des obscurantistes musulmans un peu partout en Occident. Les deux essayistes affirment en effet :

    Il [le mot « islamophobie »] a été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes“ en les accusant d’être “islamophobes“. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu“. De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc.). Les premières victimes de l’islamophobie sont à leurs yeux les Talibans, tandis que les “islamophobes“ les plus souvent cités par ces groupes s’appellent Salman Rushdie ou Taslima Nasreen !

    Cette version, qui ignore totalement l’antériorité coloniale du mot, sera reprise sans distance critique en 2010 par l’équipe du Dictionnaire historique de la langue française : « Islamophobie et islamophobe, apparus dans les années 1980… », donnant ainsi à cette datation – une « simple erreur » d’un siècle — un couronnement scientifique.

    Cette « erreur » reste très largement majoritaire, malgré les mille et un démentis. Caroline Fourest a ensuite proposé en 2004 dans son essai Frère Tariq, une filiation directe entre le khomeinisme et le penseur musulman Tariq Ramadan, qui le premier aurait tenté selon elle d’importer ce concept en Europe dans un article du Monde Diplomatique de 1998. En fait, si le mot y figure effectivement, entre guillemets, ce n’est que sous forme de reprise : « On peut parler d’une sorte d’ “islamophobie“, selon le titre de la précieuse étude commandée en Grande-Bretagne par le Runnymede Trust en 1997 »7. Il paraît difficile de faire de ce membre de phrase une tentative subreptice d’introduire un concept dans le débat français. D’autant… qu’il y figurait déjà. Un an plus tôt, dans le même mensuel, le mot était déjà prononcé par Soheib Ben Cheikh, mufti de la mosquée de Marseille : « La trentaine ardente et cultivée, il entend “adapter un islam authentique au monde moderne“, combattre l’ “islamophobie“ et, simultanément, le sentiment de rejet, de frustration et d’“enfermement“ dont souffrent les musulmans de Marseille »8.
    Le « sanglot » de l’homme blanc

    Pour les deux écrivaines déjà citées, c’est le mot même qui est pourtant à proscrire, car il est porteur de « terrorisme intellectuel », il serait une arme des intégristes dans leur lutte contre la laïcité, interdisant de fait toute critique de l’islam.

    L’essayiste Pascal Bruckner, naguère auteur du Sanglot de l’homme blanc, sous-titré Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi (1983), pourfendeur plus récemment de la Tyrannie de la pénitence (2006), ne pouvait que partager les convictions de ses jeunes collègues :

    Forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 70 pour contrer les féministes américaines, le terme d’“islamophobie“, calqué sur celui de xénophobie, a pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme (…). Nous assistons à la fabrication d’un nouveau délit d’opinion, analogue à ce qui se faisait jadis dans l’Union soviétique contre les ennemis du peuple. Il est des mots qui contribuent à infecter la langue, à obscurcir le sens. “Islamophobie“ fait partie de ces termes à bannir d’urgence du vocabulaire ».

    Libération, 23 novembre 2010.

    Pour sa part, Claude Imbert, le fondateur et éditorialiste historique du Point, un hebdomadaire en pointe en ce domaine, utilisa — et même revendiqua — le mot dans une déclaration sur la chaîne de télévision LCI le 24 octobre 2003 :

    Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire (…). J’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays à penser que l’islam — je dis bien l’islam, je ne parle même pas des islamistes — en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme, de déclasser régulièrement la femme et en plus un souci de supplanter la loi des États par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe.

    Cette déclaration suscita diverses critiques, qui amenèrent le journaliste à répliquer, la semaine suivante, lors de la même émission : « L’islam, depuis le XIIIe siècle, s’est calcifié et a jeté sur l’ensemble des peuples une sorte de camisole, une sorte de carcan ». Il se disait « agacé » par l’accusation de racisme dont il était l’objet : « L’islamophobie (…) s’adresse à une religion, l’islam, non pas à une ethnie, une nation, un peuple, pas non plus à des individus constituant le peuple des musulmans… ».

    Est-il bien utile de poursuivre la liste de ces nouveaux combattants, de ces modernes « écraseurs de l’infâme »9 ? Chaque jour, parfois chaque heure, ils ont l’occasion de répéter leurs vérités, dans des hebdomadaires à couvertures en papier glacé, à la télévision, dans des cénacles, sans craindre des contradicteurs ultra-minoritaires… ou absents.

    Si l’utilisation du concept par certains musulmans fondamentalistes, à la moindre occasion, peut et doit irriter, il paraît cependant difficile de contester que des islamophobes existent et qu’ils agissent. Tout acte hostile, tout geste brutal, toute parole insultante contre un(e) musulman(e) parce qu’il (elle) est musulman(e), contre une mosquée ou une salle de prière, ne peut être qualifié que d’acte islamophobe. Et, puisqu’il y a des islamophobes, qu’ils constituent désormais un courant qui s’exprime au sein de la société française, comment qualifier celui-ci autrement que d’islamophobe ?

    Les musulmans de France n’ont nullement besoin d’avocats. Dans leur grande majorité hostiles à la montée — réelle — de l’intégrisme, ils placent leur combat sur le terrain de la défense d’un islam vrai, moderne, tolérant, tout en restant fidèle à la source.
    Réfuter la logique d’affrontement

    Parallèlement, une forte réaction s’est dessinée, par des auteurs ne se situant pas du tout dans une vision religieuse, pour réfuter et dénoncer la logique d’affrontement. Alors que l’usage même du mot apparaissait à beaucoup comme une concession aux terroristes (au moins de la pensée), Alain Gresh titra justement : « Islamophobie » un article novateur du Monde Diplomatique (novembre 2001). En 2004, le sociologue Vincent Geisser publiait aux éditions La Découverte la première étude synthétique sur la question, La nouvelle islamophobie. L’année suivante, un autre chercheur, Thomas Deltombe, décortiquait chez le même éditeur L’islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005.

    Les essais plus récents d’Edwy Plenel, Pour les musulmans (La Découverte, 2013) et de Claude Askolovitch, Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas( Grasset, 2013) ont entamé une contre-offensive. Ce dernier affirme, dans son chapitre de conclusion :

    Ce que la France a construit depuis vingt-cinq ans à gauche comme à droite, à force de scandales, de lois et de dénis, de mensonges nostalgiques, c’est l’idée de l’altérité musulmane, irréductible à la raison et irréductible à la République ; la proclamation d’une identité en danger, nationale ou républicaine, et tout sera licite — légalement — pour la préserver...

    Chez les catholiques progressistes, même réponse :

    Schizophrénie. Tandis que les révolutions arabes témoignent d’une soif de démocratie de la part des musulmans, la peur de l’islam empoisonne l’atmosphère en France et, à l’approche des élections, l’épouvantail est agité plus que jamais. Sarkozy n’a-t-il pas voulu un débat sur la place de l’islam dans la République ? Il reprend ainsi un des thèmes favoris du Front national.

    Revue Golias, n° 137, mars 2011.

    Autre écho contemporain, sous la plume de Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et de la laïcité :

    De divers côtés, on assiste à la multiplication d’indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre valeur d’évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la communication de masse. L’évolution globale est inquiétante, et cela est dû à la fois à la montée d’extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au pluriel) et d’un extrême centre qui veut s’imposer socialement comme la (non) pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas (…). L’Occident est le “monde libre“ paré de toutes les vertus face à un islam monolithique et diabolisé.

    Le Monde, 6 octobre 2006.

    Suit dans le même article un parallèle entre l’antisémitisme du temps de l’affaire Dreyfus et la montée de l’islamophobie au début du XXIe siècle : « De tels stéréotypes sont permanents : seuls changent les minorités qu’ils transforment en boucs émissaires. La lutte contre l’intolérance ne dispense pas de la lutte contre la bêtise haineuse ». En ces temps où les grands qui nous dirigent n’ont que le mot « guerre » à la bouche ou sous la plume, il est des phrases réconfortantes10.
    Alain Ruscio

    1Arnold Van Gennep, La mentalité indigène en Algérie, Mercure de France, septembre-décembre 1913.

    2À l’époque synonyme d’islam.

    3Revue du Monde musulman, vol. XIX, juin 1912.

    4La vie de Mohammed, Prophète d’Allah, H. Piazza & Cie ; L’Orient vu de l’Occident, Piazza & Geuthner.

    5Édouard Sarrazin, Journal des Débats, 6 août 1919.

    6Revue ProChoix, n° 26-27, automne-hiver 2003.

    7Commission présidée par le professeur Gordon Conway, Islamophobia : Fact Not Fiction, Runnymede Trust, octobre 1997.

    8Cité par Philippe Pons, juillet 1997.

    9NDLR. Surnom de Voltaire, pour qui l’« infâme » était le fanatisme religieux.

    10On notera la prise de position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui a entériné le terme d’islamophobie dans son rapport de 201

  • « Islamophobie », un mot, un mal plus que centenaires

    http://orientxxi.info/magazine/islamophobie-un-mot-un-mal-plus-que-centenaires,1155

    Historiquement, l’affrontement armé a encadré la totalité de l’histoire des rapports entre l’Occident et le monde musulman. Il fut le premier mode de contact, lors de la conquête arabe du sud de l’Europe, puis lors des Croisades, en Orient. Et si l’on s’en tient à la colonisation française à l’ère moderne, toutes les générations de Français depuis 1830 ont perçu des échos d’affrontements avec le monde arabo-musulman au sein de l’empire : prise d’Alger (1830), guerre menée par Abd el-Kader (1832-1847), révolte de Kabylie (1871), lutte contre les Kroumirs et établissement du protectorat sur la Tunisie (1880-1881), conquête du Maroc et établissement du protectorat sur ce pays (1907-1912), révolte en Algérie (1916-1917), guerre du Rif (1924-1926), révolte et répression en Algérie (mai 1945), affrontements avec l’Istiqlal et le sultan au Maroc (1952-1956), avec le Néo-Destour en Tunisie (1952-1954), cycle clos par la guerre d’Algérie (1954-1962). La parenthèse fut ensuite refermée...provisoirement, puisque le concept de « choc des civilisations » est revenu en force depuis le début du XXIe siècle.

    L’islamophobie, historiquement inséparable du racisme anti-arabe, a plusieurs siècles d’existence. N’est-il pas remarquable, par exemple, que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman ? Pourquoi Poitiers, bataille mineure, a-t-elle pris la dimension de prélude — victorieux — au « choc des civilisations » ? Pourquoi Charles Martel, un peu barbare sur les bords, est-il l’un des premiers héros de l’histoire de France, comme « rempart » de la civilisation ? Interrogez les « Français moyens », ceux en tout cas qui ont encore la mémoire des dates : Poitiers (732) arrive encore dans le peloton de tête, avec le couronnement de Charlemagne en 800, la bataille de Marignan en 1515 ou la prise de la Bastille en 1789.

    Pourquoi la bataille de Roncevaux en 778, où pas un seul musulman n’a combattu (les ennemis du preux Roland étaient des guerriers basques) est-elle devenue le symbole de la fourberie des Sarrazins, attaquant en traîtres à dix contre un ? Nul ancien collégien n’a oublié qu’il a fait connaissance avec la littérature française, naguère, par la Chanson de Roland. Et nul ne peut avoir chassé de sa mémoire la personnification du Bien par les chevaliers de lumière venant d’Occident et celle du Mal par les sombres guerriers de la « nation maudite / Qui est plus noire que n’est l’encre ». C’est plusieurs siècles avant les théoriciens et illustrateurs de la pensée coloniale que l’auteur écrit : « Les païens ont tort, les chrétiens ont le droit. » La guerre entre « eux » et « nous » commençait sous les auspices du manichéisme le plus candide. Oui, le racisme anti-arabe, longtemps (toujours ?) inséparable de l’islamophobie, a plusieurs siècles d’existence, remonte au Moyen-âge (croisades), puis à la Renaissance avec, notamment, les matamores, littéralement les tueurs de maures, de la Reconquista espagnole.

    Plus tard, à l’ère coloniale, l’hostilité fut énoncée avec la plus parfaite bonne conscience, sur le ton de l’évidence : « C’est évident : l’islam est une force de mort, non une force de vie »1. Persuadés d’être porteurs des vraies — des seules — valeurs civilisationnelles, les contemporains de la conquête, puis de la colonisation, allèrent de déboires en désillusions : les catholiques et les missionnaires constataient, navrés, que la religion musulmane était un bloc infissurable ; les laïques intransigeants se désolaient, rageurs, de voir que leur conception de la Raison ne pénétrait pas dans ces cerveaux obscurcis par le fanatisme… Dès lors, les notions d’« Arabes » — la majorité des Français appelaient Arabes tous les colonisés du Maghreb — et de musulmans se fondirent en une sorte de magma incompréhensible, impénétrable. Hostilité de race et hostilité de religion se mêlèrent en une seule « phobie ».

    Il revenait à Ernest Renan de synthétiser tout l’esprit d’une époque :

    L’islam est la plus complète négation de l’Europe. L’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile, c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : “Dieu est Dieu“.

    La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1871.

    Un mot qui remonte à 1910

    Il faut nommer cet état d’esprit ; le mot « islamophobie » paraît le mieux adapté. Et contrairement à une vulgate répandue, il est plus que centenaire. La première utilisation du mot retrouvée date de 1910. Elle figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié. Il proposait une définition d’une surprenante modernité :

    L’islamophobie : il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme2 est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans.

    La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose.

    Ainsi, dès sa première apparition écrite, le mot « islamophobie » était accompagné de celui de « préjugé » et du concept de « choc des civilisations ». Suivait une liste impressionnante de citations venant de tous les horizons, multipliant les reproches hostiles : l’islam était assimilé à la guerre sainte, à la polygamie, au fatalisme, enfin à l’inévitable fanatisme.

    La même année, Maurice Delafosse, étudiant lui aussi l’islam, cette fois en Afrique subsaharienne, l’emploie à son tour :

    Pris en bloc, et à l’exception de quelques groupements de Mauritanie encore hostiles à la domination européenne, l’état d’esprit des musulmans de l’Afrique occidentale n’est certainement pas opposé à notre civilisation (…). Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des musulmans en Afrique occidentale que des non musulmans (…). L’islamophobie n’a donc pas de raison d’être dans l’Afrique occidentale.

    Revue du Monde musulman, vol. XI, 1910.

    Deux ans plus tard, Delafosse publie son maître ouvrage, dans lequel il reprend mot à mot son article de 1910, en remplaçant seulement les mots « Afrique occidentale » par « Haut-Sénégal-Niger ».

    En 1912, le grand savant Louis Massignon rapporte les propos de Rachid Ridha, un intellectuel égyptien, lors du congrès international des oulémas. Évoquant les attitudes des différentes puissances à l’égard de l’islam, Massignon reprend le mot à son compte : « La politique française pourra devenir moins islamophobe » (sous-entendu : que les autres puissances coloniales). De façon significative, il titre son article « La défensive musulmane »3. On a bien lu : « défensive » et non « offensive ».

    Après guerre, Étienne Dinet, grand peintre orientaliste converti à l’islam et son ami Slimane ben Ibrahim réemploient le mot dans deux ouvrages, en 1918 puis en 19214. Dans le second, ils exécutent avec un certain plaisir un jésuite, le père Henri Lammens, qui avait publié des écrits à prétention scientifique, en fait des attaques en règle contre le Coran et Mohammed. Dinet conclut : « Il nous a semblé nécessaire de dévoiler, non seulement aux musulmans, mais aussi aux chrétiens impartiaux, à quel degré d’aberration l’islamophobie pouvait conduire un savant. »

    Le mot apparaît également dans la presse, justement dans une critique fort louangeuse du premier de ces ouvrages : « Le fanatisme de Mohammed n’est ni dans sa vie ni dans le Coran ; c’est une légende inventée par les islamophobes du Moyen Âge »5.
    Un mensonge historique qui dure

    Le mot (non la chose) va ensuite disparaître du vocabulaire jusqu’aux années 1970-1980. En 2003, deux écrivaines, Caroline Fourest et Fiametta Venner, publient dans leur revue un dossier au titre évocateur, « Islamophobes… ou simplement laïques ? »6. Le titre de l’article introductif utilise le mot « islamophobie » assorti d’un prudent — et significatif — point d’interrogation. Il commence par cette formule : « Le mot “islamophobie“ a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère ». Certes. Mais elles se fourvoient et, exposition médiatique aidant, elles ont fourvoyé depuis des dizaines d’essayistes, probablement des milliers de lecteurs. Car elles affirment que les mots « islamophobie » et « islamophobe » ont été en quelque sorte des bombes à retardement déposées par la révolution iranienne, puis repris par des obscurantistes musulmans un peu partout en Occident. Les deux essayistes affirment en effet :

    Il [le mot « islamophobie »] a été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes“ en les accusant d’être “islamophobes“. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu“. De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc.). Les premières victimes de l’islamophobie sont à leurs yeux les Talibans, tandis que les “islamophobes“ les plus souvent cités par ces groupes s’appellent Salman Rushdie ou Taslima Nasreen !

    Cette version, qui ignore totalement l’antériorité coloniale du mot, sera reprise sans distance critique en 2010 par l’équipe du Dictionnaire historique de la langue française : « Islamophobie et islamophobe, apparus dans les années 1980… », donnant ainsi à cette datation – une « simple erreur » d’un siècle — un couronnement scientifique.

    Cette « erreur » reste très largement majoritaire, malgré les mille et un démentis. Caroline Fourest a ensuite proposé en 2004 dans son essai Frère Tariq, une filiation directe entre le khomeinisme et le penseur musulman Tariq Ramadan, qui le premier aurait tenté selon elle d’importer ce concept en Europe dans un article du Monde Diplomatique de 1998. En fait, si le mot y figure effectivement, entre guillemets, ce n’est que sous forme de reprise : « On peut parler d’une sorte d’ “islamophobie“, selon le titre de la précieuse étude commandée en Grande-Bretagne par le Runnymede Trust en 1997 »7. Il paraît difficile de faire de ce membre de phrase une tentative subreptice d’introduire un concept dans le débat français. D’autant… qu’il y figurait déjà. Un an plus tôt, dans le même mensuel, le mot était déjà prononcé par Soheib Ben Cheikh, mufti de la mosquée de Marseille : « La trentaine ardente et cultivée, il entend “adapter un islam authentique au monde moderne“, combattre l’ “islamophobie“ et, simultanément, le sentiment de rejet, de frustration et d’“enfermement“ dont souffrent les musulmans de Marseille »8.
    Le « sanglot » de l’homme blanc

    Pour les deux écrivaines déjà citées, c’est le mot même qui est pourtant à proscrire, car il est porteur de « terrorisme intellectuel », il serait une arme des intégristes dans leur lutte contre la laïcité, interdisant de fait toute critique de l’islam.

    L’essayiste Pascal Bruckner, naguère auteur du Sanglot de l’homme blanc, sous-titré Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi (1983), pourfendeur plus récemment de la Tyrannie de la pénitence (2006), ne pouvait que partager les convictions de ses jeunes collègues :

    Forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 70 pour contrer les féministes américaines, le terme d’“islamophobie“, calqué sur celui de xénophobie, a pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme (…). Nous assistons à la fabrication d’un nouveau délit d’opinion, analogue à ce qui se faisait jadis dans l’Union soviétique contre les ennemis du peuple. Il est des mots qui contribuent à infecter la langue, à obscurcir le sens. “Islamophobie“ fait partie de ces termes à bannir d’urgence du vocabulaire ».

    Libération, 23 novembre 2010.

    Pour sa part, Claude Imbert, le fondateur et éditorialiste historique du Point, un hebdomadaire en pointe en ce domaine, utilisa — et même revendiqua — le mot dans une déclaration sur la chaîne de télévision LCI le 24 octobre 2003 :

    Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire (…). J’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays à penser que l’islam — je dis bien l’islam, je ne parle même pas des islamistes — en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme, de déclasser régulièrement la femme et en plus un souci de supplanter la loi des États par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe.

    Cette déclaration suscita diverses critiques, qui amenèrent le journaliste à répliquer, la semaine suivante, lors de la même émission : « L’islam, depuis le XIIIe siècle, s’est calcifié et a jeté sur l’ensemble des peuples une sorte de camisole, une sorte de carcan ». Il se disait « agacé » par l’accusation de racisme dont il était l’objet : « L’islamophobie (…) s’adresse à une religion, l’islam, non pas à une ethnie, une nation, un peuple, pas non plus à des individus constituant le peuple des musulmans… ».

    Est-il bien utile de poursuivre la liste de ces nouveaux combattants, de ces modernes « écraseurs de l’infâme »9 ? Chaque jour, parfois chaque heure, ils ont l’occasion de répéter leurs vérités, dans des hebdomadaires à couvertures en papier glacé, à la télévision, dans des cénacles, sans craindre des contradicteurs ultra-minoritaires… ou absents.

    Si l’utilisation du concept par certains musulmans fondamentalistes, à la moindre occasion, peut et doit irriter, il paraît cependant difficile de contester que des islamophobes existent et qu’ils agissent. Tout acte hostile, tout geste brutal, toute parole insultante contre un(e) musulman(e) parce qu’il (elle) est musulman(e), contre une mosquée ou une salle de prière, ne peut être qualifié que d’acte islamophobe. Et, puisqu’il y a des islamophobes, qu’ils constituent désormais un courant qui s’exprime au sein de la société française, comment qualifier celui-ci autrement que d’islamophobe ?

    Les musulmans de France n’ont nullement besoin d’avocats. Dans leur grande majorité hostiles à la montée — réelle — de l’intégrisme, ils placent leur combat sur le terrain de la défense d’un islam vrai, moderne, tolérant, tout en restant fidèle à la source.
    Réfuter la logique d’affrontement

    Parallèlement, une forte réaction s’est dessinée, par des auteurs ne se situant pas du tout dans une vision religieuse, pour réfuter et dénoncer la logique d’affrontement. Alors que l’usage même du mot apparaissait à beaucoup comme une concession aux terroristes (au moins de la pensée), Alain Gresh titra justement : « Islamophobie » un article novateur du Monde Diplomatique (novembre 2001). En 2004, le sociologue Vincent Geisser publiait aux éditions La Découverte la première étude synthétique sur la question, La nouvelle islamophobie. L’année suivante, un autre chercheur, Thomas Deltombe, décortiquait chez le même éditeur L’islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005.

    Les essais plus récents d’Edwy Plenel, Pour les musulmans (La Découverte, 2013) et de Claude Askolovitch, Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas( Grasset, 2013) ont entamé une contre-offensive. Ce dernier affirme, dans son chapitre de conclusion :

    Ce que la France a construit depuis vingt-cinq ans à gauche comme à droite, à force de scandales, de lois et de dénis, de mensonges nostalgiques, c’est l’idée de l’altérité musulmane, irréductible à la raison et irréductible à la République ; la proclamation d’une identité en danger, nationale ou républicaine, et tout sera licite — légalement — pour la préserver...

    Chez les catholiques progressistes, même réponse :

    Schizophrénie. Tandis que les révolutions arabes témoignent d’une soif de démocratie de la part des musulmans, la peur de l’islam empoisonne l’atmosphère en France et, à l’approche des élections, l’épouvantail est agité plus que jamais. Sarkozy n’a-t-il pas voulu un débat sur la place de l’islam dans la République ? Il reprend ainsi un des thèmes favoris du Front national.

    Revue Golias, n° 137, mars 2011.

    Autre écho contemporain, sous la plume de Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et de la laïcité :

    De divers côtés, on assiste à la multiplication d’indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre valeur d’évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la communication de masse. L’évolution globale est inquiétante, et cela est dû à la fois à la montée d’extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au pluriel) et d’un extrême centre qui veut s’imposer socialement comme la (non) pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas (…). L’Occident est le “monde libre“ paré de toutes les vertus face à un islam monolithique et diabolisé.

    Le Monde, 6 octobre 2006.

    Suit dans le même article un parallèle entre l’antisémitisme du temps de l’affaire Dreyfus et la montée de l’islamophobie au début du XXIe siècle : « De tels stéréotypes sont permanents : seuls changent les minorités qu’ils transforment en boucs émissaires. La lutte contre l’intolérance ne dispense pas de la lutte contre la bêtise haineuse ». En ces temps où les grands qui nous dirigent n’ont que le mot « guerre » à la bouche ou sous la plume, il est des phrases réconfortantes10.
    Alain Ruscio

    1Arnold Van Gennep, La mentalité indigène en Algérie, Mercure de France, septembre-décembre 1913.

    2À l’époque synonyme d’islam.

    3Revue du Monde musulman, vol. XIX, juin 1912.

    4La vie de Mohammed, Prophète d’Allah, H. Piazza & Cie ; L’Orient vu de l’Occident, Piazza & Geuthner.

    5Édouard Sarrazin, Journal des Débats, 6 août 1919.

    6Revue ProChoix, n° 26-27, automne-hiver 2003.

    7Commission présidée par le professeur Gordon Conway, Islamophobia : Fact Not Fiction, Runnymede Trust, octobre 1997.

    8Cité par Philippe Pons, juillet 1997.

    9NDLR. Surnom de Voltaire, pour qui l’« infâme » était le fanatisme religieux.

    10On notera la prise de position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui a entériné le terme d’islamophobie dans son rapport de 201

  • Pando : #Silicon_Valley vs Civilization
    https://pando.com/2015/11/17/silicon-valley-vs-civilization/446c5504d796dfc506200e27a414235ccdd356dd

    Late in September, Mark Zuckerberg was pictured hugging India prime minister Narendra Modi at Facebook’s Menlo Park headquarters.

    About the same time, on the other side of the world in Modi’s India, a Hindu lynch mob broke into a local Muslim family’s home and bludgeoned to death 50-year-old Mohammad Akhlaq by smashing in his skull, and then dragged him through the streets of Bisara, a village just 30 miles north of the capital New Delhi. The mob also bashed in his 22-year-old son’s head, leaving him in a coma with severe brain damage, and sexually assaulted the dead man’s daughter.

    It was just the latest in a series of increasingly gruesome attacks by Hindu extremists, reportedly inspired and encouraged by Modi’s far-right political party, and affiliated grassroots organizations like the notorious RSS, a paramilitary group established in the 1920s explicitly modeled after Mussolini’s and Hitler’s paramilitaries, through the ranks of which Modi rose to power. For weeks, Modi kept menacingly quiet about the lynching, one of several this year, while his ministers and party officials fanned the flames.

    Modi’s culture minister dismissed the lynching as an “accident” in which no one was at fault — even though a local Hindu temple priest admitted he organized the mob at his temple through announcements over the loudspeaker falsely accusing the only Muslim family in the village of killing a cow. Modi’s culture minister then claimed that the father had died of “shock” after being wrongly told that his son had been killed. This is the father whose head was crushed by bricks in front of his family, and whose body was dragged through the streets of the village.

    Other members of Modi’s party threatened riots and worse if any of the lynch mob murderers were prosecuted. Another BJP party official called for the prosecution of the Muslim family’s survivors for allegedly killing the cow.

    After two weeks, Modi finally issued a statement so vague and tepid that it worked more like gasoline than cold water. Which was exactly the point. As many have explained already, it was Modi himself who began exploiting cow-slaughtering and beef-eating as a way to whip up hatred and rearrange the political divisions along communal religious lines rather than along class and caste lines.

    (For an excellent rundown of how Modi has spent years cultivating and whipping up communal violence with speeches about minorities slaughtering cows and political rivals waging a “pink revolution” [i.e. raw meat] read this Quartz article, “How Narendra Modi spread anti-beef hysteria in India”.)

    While Silicon Valley swoons over Modi’s talk of Digital India and SmartCities and bullet trains and the rest, back at home Modi has talked up a very different and very violent, far-right game. And it seems just about everyone in the world who isn’t a far-right Hindu chauvinist understands just how bad and how dangerous Modi is. 

    Everyone, that is, apart from Silicon Valley’s “smartest guys in the room.”

    The New York Times editorial board has been sounding the alarm over Modi’s dangerous lean towards violent sectarianism, authoritarianism and censorship for the past half year (see here, here, here, here, and here). Meanwhile, India under Modi now leads the world in Facebook censorship, and well surpassed Putin in shutting down progressive western NGOs and foundations (excluding Omidyar Network, which has played a hugely supportive role in helping Modi to power). Indian Nobel laureate Amartya Sen was forced out as chancellor of Nalanda University, set up by a consortium of Asian governments on the site of what was one of the oldest universities in the world, as Modi’s allies have cracked down on academics and intellectuals across the country who don’t adhere to the ruling party’s line. In an unprecedented protest for India, dozens of leading writers have been returning the most prestigious literary award from India’s National Academy of Letters, citing intolerance and violence against intellectuals and minorities.

    Salman Rushdie spoke about what writers are facing in India under Modi:

    “There are attacks on ordinary liberties, the ordinary right to assembly, the ordinary right to organize an event in which people can talk about books and ideas freely and without hostility.”
    Last month, Rushdie tweeted,

    “Alarming times for free expression in India.”
    And it isn’t just intellectuals and minorities who have been complaining. The head of India’s central bank, Raghuram Rajan—long a respected favorite of the global neoliberal elites, and a quiet supporter of Modi’s election victory—made a rare and unusual public criticism of Modi’s intolerance. And Moodys, the ratings agency, issued a warning to Modi that his ruling party’s violent intolerance could jeopardize business and investments.

    None of this, however, seems to have put even the slightest damper on Silicon Valley’s love affair with their favorite world leader.

    It’s not hard to imagine how Zuckerberg’s photo gleefully bro-hugging the far-right Indian leader — or Pierre Omidyar’s top India partner in Omidyar Network becoming Modi’s Minister for Finance after spending years helping to elect Modi using his Omidyar perch — will come back to haunt them.

    Zuckerberg especially should be worried. There are those rare photos in history that can capture something dark and contrary that can never be erased from a public figure’s image: Donald Rumsfeld shaking Saddam’s hand a few years before the Iraqi dictator gassed Kurdish villages; Milton Friedman advising Gen. Pinochet even as his concentration camps were torturing tens of thousands of Chilean students, intellectuals and labor union activists.

    Ignorance is no defense; particularly when you pride yourself in being boy-geniuses, with the best information of anyone in the world. Silicon Valley’s Modi problem is apparent to everyone in the world but Silicon Valley’s billionaires. Now, even Modi’s own citizens in India are revolting against him. In the recent election in the state of Bihar, Modi’s party suffered a shocking, crushing defeat to a socialist-led rival. In the campaign before the election, Modi and his top party officials tried inciting communal violence for electoral gain, but locals overwhelmingly rejected it. Now Modi’s own party is openly criticizing him.

    It’s not like Pando hasn’t been warning about the Modi danger since he was first elected in May 2014. Modi crossed our radar precisely because he was such a favorite of so many big-name Silicon Valley leaders — Pierre Omidyar, Zuckerberg, Eric Schmidt, Sheryl Sandberg, Tim Cook. . . .

    And yet, what we’re seeing is that one of the most divisive, intolerant and dangerous leaders in the world has charmed the socks off of Silicon Valley’s best and brightest, against all information and opinion and evidence out there. Our tech leaders are literally the last people in the world to get it.

  • Authors weigh in on the Amazon-Hachette war - World Socialist Web Site

    http://www.wsws.org/en/articles/2014/10/10/amaz-o10.html

    In the latest development in the long-running dispute between Amazon and publishing conglomerate Hachette, hundreds of authors, including such prominent figures as Philip Roth, Salman Rushdie and V.S. Naipaul, have added their voices to a call for an antitrust inquiry into the giant online retailer by the US Justice Department.

    Amazon, originating at the dawn of the Internet age as an online bookseller, now has a workforce of 132,000, warehouse centers in almost every corner of the globe and annual revenues fast approaching $100 billion. Its founder, Jeff Bezos, with a net wealth of about $28 billion, is currently ranked as the world’s 17th richest individual.

    #amazon #hachette #livre #corporation

  • CRISE DE FOI – Salman Rushdie censuré à Paris | Big Browser
    http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2012/10/11/crise-de-foi-salman-rushdie-censure-a-paris

    On peut comprendre sa stupéfaction. Une semaine après avoir vu une de ses vidéos, Technologia, interdite au Printemps de septembre, le festival de création contemporaine de Toulouse, en raison de protestations de musulmans indignés d’avoir vu des passants marcher sur des versets du Coran projetés au sol, le plasticien vient de voir une autre de ses créations censurée. Sleep, une installation vidéo montrant l’écrivain Salman Rushdie en train de dormir, a été retirée de l’exposition « Vingt-cinq ans de créativité arabe » qui ouvrira le 16 octobre à l’Institut du monde arabe au motif qu’elle serait « trop sensible », selon Le Figaro.fr.

    #censure #Islam

  • Facebook rend son identité à Salman Rushdie - LeMonde.fr
    http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/11/15/m-rushdie-a-le-droit-de-s-appeler-salman-sur-facebook_1604088_651865.html

    « Je me sens tellement mieux. Une crise identitaire à mon âge, ce n’est pas drôle. » C’est non sans une pointe d’humour que Salman Rushdie évoque sur Twitter la bataille qu’il a menée ces derniers jours contre Facebook. Il faut dire que l’épilogue est heureux pour le Britannique, victime de la politique anti-pseudonyme du réseau social, qui a obtenu la possibilité de conserver le prénom avec lequel il est mondialement connu.