person:slobodan despot

  • Arabie Saoudite, notre « irremplaçable allié » - RipouxBlique des CumulardsVentrusGrosQ
    http://slisel.over-blog.com/2016/11/arabie-saoudite-notre-irremplacable-allie.html
    http://i1.wp.com/arretsurinfo.ch/wp-content/uploads/2016/01/arabie-saoudite-.jpg?resize=600%2C337

    Ryad, janvier 2015. DR.
    Slobodan Despot
    Publié le 27 janvier 2015
    « L’Arabie saoudite est pour nous, monde occidental, un allié irremplaçable » affirme en ouverture l’éditorial du journal suisse Le Temps au lendemain de la mort du roi Abdallah. Il atténue cet axiome d’une série de mais, mais des mais aussi délicats que les doigts d’un démineur sur le nez d’une bombe.
    Cette phrase, venant d’un quotidien suisse aussi correct et aussi bien noué que le nœud de cravate d’un banquier, mérite un peu de méditation. Décortiquons-la en commençant par la fin.
    1) Si l’Arabie saoudite est un allié irremplaçable, c’est que les droits de l’homme et la démocratie sont, eux, remplaçables. Or c’est toujours au nom des droits de l’homme et de la démocratie que les médias du mainstream moralisateur occidental — au sein desquels Le Temps de Genève pourrait faire figure de mètre étalon — approuvent voire encouragent les interventions des États-Unis et de l’OTAN aux quatre coins du monde. Les républiques corrompues mais plus ou moins laïques du Moyen-Orient sont remplaçables — et du reste remplacées. La théocratie iranienne est hautement remplaçable. L’anarchie afghane est remplaçable (par une anarchie d’importation, soit). Mais le royaume des coupeurs de têtes, des fouetteurs et lapideurs de femmes, ce pays de Cocagne rétrograde où l’on risque gros à affirmer que la terre n’est pas plate, lui, il est… irremplaçable !
    Si, donc, l’Arabie féodale, fondamentaliste, misogyne, inégalitaire et violente des Saoud, cette Arabie mère d’Al-Qaïda et de Daech qui finance le terrorisme mondial dans une mesure bien plus massive que n’importe quel autre pays connu, est réellement un allié irremplaçable de l’Occident, c’est que toutes les valeurs dont ce même Occident s’enorgueillit et dont il se sert de brevet pour policer la planète ne sont que du pipeau. De la verroterie pour indigènes. Des effets de prestidigitation. Une recréation de Tartuffe à l’échelle planétaire.
    Certes, le constat n’est pas nouveau. Le grand dissident Chomsky le clame dans le désert depuis bientôt un demi-siècle. Alexandre Zinoviev l’avait constaté sitôt qu’il eut posé le pied à l’ouest du rideau de fer et en avait conclu, logiquement, à l’identité de nature des deux régimes qu’il séparait. La propagande russe, iranienne, chinoise ne cesse de le ressasser, c’est même son argument le plus facile contre l’impérialisme occidental. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais… Cela allait sans dire, mais cela va mieux en le disant. Sauf qu’une fois que c’est dit, le voile commode de l’hypocrisie tombe et l’on est obligé de s’avancer à visage découvert.
    2) …pour nous, monde occidental… — Que fait-il là, ce nous ? Cette marque d’intégration au système ambiant est lourde de sens lorsqu’on la voit surgir chez des journalistes qui se font d’ordinaire un point d’honneur de rester au-dessus de la mêlée. Ils l’utilisaient surtout dans les moments d’indignation collective : « Nous ne pouvons rester les bras croisés face au massacre en XXX, à l’épuration ethnique chez ZZZ ». Dans les cas où l’intégrité morale du « système » apparaît douteuse — comme elle l’est, nettement, dans le cas du mariage cynique avec l’Arabie —, on préfère prudemment garder ses distances. Ici, on y va cash ! Nous sommes associés à des coupeurs de têtes fanatiques ! Et alors ? Ils nous sont irremplaçables…
    Ce nous, monde occidental utilisé dans le contexte de la plus profonde compromission morale, politique et même sécuritaire de la classe dirigeante occidentale donne à réfléchir. Il dénote une Gleichschaltung avancée du système politico-médiatique. L’une des plus puissantes anti-utopies qu’ait produites la littérature, la vision que Zamiatine eut dès 1920 de l’essence du totalitarisme, était sobrement intitulée Мы (Nous, en russe, traduit chez Gallimard par Nous autres). Lorsqu’un même « nous » unit la salle de rédaction du Temps à Genève au Bureau Ovale et au Pentagone, c’est qu’on est en train de construire, en face, un eux tout aussi compact et menaçant et que la pensée différenciée laisse la place à une logique de masse. Us and Them (Pink Floyd) sont les pronoms de la guerre. Mais laissons au rédacteur du Temps le bénéfice du doute : peut-être faisait-il de l’ironie ?
    3) L’Arabie saoudite, qu’est-ce au fond ? C’est à la fois un irremplaçable bailleur de fonds pour l’Empire occidental, et un véritable phare de l’obscurantisme dans le monde musulman — si j’ose me permettre cet oxymoron. Les mouvements, les idées et les conflits financés par l’Arabie saoudite imprègnent de plus en plus la civilisation de l’islam et contribuent à la dresser contre le reste du monde. Le rédacteur du Temps a raison : « C’est bien l’islamisme qui pose problème, c’est-à-dire une interprétation étriquée de l’islam mise au service de visées politiques. Or, l’alliance conclue entre le salafisme religieux et les wahhabites en est la source première. » Et c’est avec ça que nous demeurons alliés contre vents et marées ? C’est autour de ça que les dirigeants du monde occidental s’agglutinent lorsque l’obscurantiste en chef décède, comme des vassaux sur le catafalque de leur suzerain ?
    Dans quel chaudron de sorcière a-t-on bien pu décanter un tel amalgame, sceller une alliance aussi corrosive, où les pays qui ont inventé les droits de l’homme ont englouti leur honneur, leurs valeurs et leur raison d’être ?
    L’origine du pacte est connue : le deal pétrole-contre-protection signé en 1945 entre Roosevelt et le roi Abdelaziz Ibn Saoud, fondateur du royaume et père de feu Abdallah. Les motivations américaines sont claires comme de l’eau de roche. Mais s’est-on jamais demandé ce que les Arabes avaient alors en tête et ce qu’ils pensaient de leurs nouveaux alliés ?

    L’historien des civilisations, diplomate et conférencier Amaury de Riencourt fut, en février 1947, l’un des premiers Occidentaux admis à Riyad en tant qu’émissaire britannique. La cité archaïque qu’il découvre avec émerveillement semble encore sortir des Mille et Une nuits. Dans ses mémoires, il a laissé un portrait empreint de respect et même d’admiration du premier roi séoudien, qui fut en premier lieu un grand homme de guerre. L’hospitalité d’Ibn Saoud est simple et généreuse, comme ses manières. Sa parole est sacrée. La puissance pétrolière naissante est encore profondément ancrée dans l’existence austère des bédouins. Mais Amaury nous relate en détail un incident cocasse et éloquent. Un soir, il est invité à un banquet donné par le roi pour un groupe d’hommes d’affaires et d’ingénieurs pétroliers américains. En arrivant dans la cour du palais, il découvre un spectacle ahurissant :
    « Des hommes s’agitaient comme des Amérindiens se préparant à la guerre : bien qu’ils fussent habillés en Arabes, je reconnus sans peine les patrons américains d’Aramco qui se comportaient comme si on les avait amenés dans le Far West, au campement de Taureau Assis ou de Nuage Rouge (…) Je me souviens que l’un des deux Américains disait à l’autre : « Je crois savoir que nous allons être placés auprès du roi. De quoi va-t-on bien pouvoir parler ? Il n’aime ni l’alcool, ni le tabac, ni la musique. L’autre répondit : « Mais il aime les dames. Parlons donc des femmes ». »
    Avec un humour rentré, mais aussi une horreur perceptible, l’agent franco-britannique relate la suite du dîner, une fois les invités d’honneur installés auprès du roi :
    « S’étant raclé la gorge, l’un des Américains demanda : « Majesté, j’ai entendu dire que vous aimiez les femmes. » Je risquai un bref regard du côté de l’interprète, qui semblait profondément embarrassé et qui bredouilla n’importe quoi en arabe. L’autre Américain, sentant que le message n’avait pas passé, reformula la question. Face à tant de détermination, l’interprète se résolut, au moins, à résumer la teneur des questions. Le visage du roi se pétrifia. Il n’eut plus aucun échange avec les Américains jusqu’à la fin du dîner. »1
    En 1945, l’une des sociétés les plus archaïques au monde a conclu un mariage de raison avec la modernité dans sa version la plus impudente et la plus cuistre. Depuis, le ménage a vécu dans un mépris mutuel complet, chaque partie s’efforçant cyniquement de tirer le plus grand avantage possible de l’autre. Soudain bénéficiaires d’un flot d’argent incommensurable, les Saoudiens ont adopté les attributs les plus voyants de la civilisation moderne — technologie et consommation effrénée — tout en conservant sous verre leurs croyances et coutumes, de plus en plus décalées et déracinées au fil du temps. La manne pétrolière a cristallisé cette société dans sa structure féodale et ses croyances et, comme un signe de faveur céleste, sanctifié la dynastie régnante. Tel est donc le tandem initié depuis 1945 : deux ambitions de domination planétaire sous-tendues par la conviction d’une mission divine et opposées par une haine mutuelle irréconciliable.
    Les pays d’Europe occidentale auraient pu, auraient dû s’écarter de ce couple satanique à la première occasion et se construire une géopolitique et une stratégie énergétique indépendantes. Avec l’UE, au lieu de réaliser leur souveraineté, ils ont choisi la voie contraire. Ils seront les premiers à faire les frais du divorce sanglant, ou à faire soumission si les maîtres s’entendent à prolonger leur irremplaçable alliance sur le dos de leurs valets.
    Slobodan Despot
    Première publication le 27 janvier 2015 par Le CAUSEUR
     1Amaury de Riencourt, A Child of the Century, Honeyglen, 1996, pp. 137-138.

  • La politique, à quoi bon ?
    http://vilistia.org/archives/11636

    Par Slobodan Despot le 21 août 2016 Slobodan Despot (1967), éditeur et écrivain suisse, d’origine serbe et croate. Son dernier roman : Le miel. Collection Blanche, Gallimard Lettre d’information ANTIPRESSE N° 38 | 21.8.2016 NOUVELLEAKS par Slobodan Despot La politique, à quoi bon ? L’automne et … Lire la suite →

    #Dégénérescence #Le_déclin #Ordre_mondial

  • Citations tirées du très bon livre « Le miel » de Slobodan Despot :

    « En arrivant à la hauteur de la sortie #Jasenovac, il éprouva un frisson. Jasenovac, c’était le célèbre camp de concentration croate où les oustachis, durant la #Seconde_Guerre_mondiale, avaient massacré à l’arme blanche des populations entières de Serbes de la Kranjina et de Bosnie. Chaque famille, dans la région de ses racines, avait vu quelqu’un des siens finir à Jasenovac. Les néomartyrs. C’était le nom que donnaient à ces malheureux les prêtres orthodoxes, évoquant une ville entière engloutie dans les fosses et le limon de la Save. Un afflux de chrétiens suppliciés comme le ciel n’en avait, soulignaient-ils, jamais vu depuis deux mille ans. D’après l’Eglise, le Jasenovac souterrain aurait été, peut-être, la deuxième ville serbe par son nombre d’habitants.
    Ces visions pathétiques et macabres lui faisaient horreur. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de les imaginer, ces milliers d’égorgés et d’assommés, entassés depuis un demi-siècle dans le sol, sous les fermes, sous la route, sous ses roues. Il se mit à trembler. Il était de leur sang, de leur tribu : raison suffisante pour finir comme eux sous ce régime grotesque qui s’obstinait à rejouer son passé dans una mascarada sanglante sur laquelle le monde entier fermait les yeux »

    Slobodan DESPOT, Le miel, Gallimard, 2014, p.71.

    « Lynyrd Skynyrd. Sweet Home Alabama. Un morceau qui avait bercé son adolescence, et qu’il n’avait plus entendu depuis. En un instant, comme à l’heure dernière, il revécut toutes ces vacances d’été vagabondes, sous les tentes et dans le spins. On sautait avec trois sous en poche et le sac au dos dans des trains bondés pour n’importe quelle destination côtière, on se rassemblait au coin du feu autour de mauvaises grattes, on chantait faux des chants dj’ici et d’Amérique. On était en Yougoslavie, un pays sûr, décontracté, prestigieux. On était non aligné, ouvert au monde entier. On allait partout, et sans visa. La jeunesse y faisait ce qu’elle voulait… Cocagne ! Et lui, maintenant, il roulait sur cette autouroute déserte avec ce chien de garde qui allait peut-être le fusiller tout à l’heure, juste à cause de son origine.
    Une origine à laquelle, du temps de cette musique, il ne songeait même pas ! Si on lui avait dit, alors, que ses camarades de camping n’étaient pas de la même ethnie que lui ! Quelle rigolade ! Même les Macédoniens et les Slovènes étaient de ’nôtres’ ; du reste, ils parlaient tous serbo-croate… »

    Slobodan DESPOT, Le miel, Gallimard, 2014, p.75.

    #Yougoslavie #Deuxième_guerre_mondiale #Seconde_guerre_mondiale #spomeniks
    cc @albertocampiphoto

    A Jasenovac il y a maintenant un #spomenik :


    http://rga.revues.org/2799