person:sylvie chalaye

  • Sylvie Chalaye : « Les acteurs français noirs sont hors
    jeu »
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/10/16/sylvie-chalaye-les-acteurs-francais-noirs-sont-hors-jeu_4791033_3212.html

    Justement, quels rôles y a-t-il aujourd’hui pour les Noirs ?

    Il ne devrait pas y avoir des rôles pour les Noirs. Il est urgent que la société française se pense polychrome et que l’on voit sur les scènes contemporaines des acteurs de toute carnation, non pas pour leur couleur mais parce qu’ils correspondent aux rôles qu’ils jouent. Quand un metteur en scène cherche un Noir, c’est toujours un peu suspect et en général il a une idée très arrêtée sur le physique, l’accent, etc. Derrière ces rôles fantasmatiques, il y a des archétypes hérités de l’imaginaire colonial qui se sont solidement enkystés dans les esprits grâce à l’industrie du spectacle et de la publicité. Il faut apprendre à ne pas regarder la peau comme un signe ethnique d’altérité exogène. La Francité n’a pas de couleur, elle a une langue, des accents et une culture en partage.

  • "Dés l’origine, la logique française des races opère toujours par annexion de l’Autre racial et son ravalement dans le triple filet de l’exotisme, de la frivolité et du divertissement. Ainsi, le Noir que l’on admet de voir doit toujours faire, au préalable, l’objet de déguisement soit par le costume, soit par la couleur ou par les décors. Jusqu’à une époque relativement récente, il fallait, dans la peinture ou dans le théâtre par exemple, toujours l’affubler d’un costume oriental, de turbans et plumages, de culottes bouffantes ou de petits habits verts. Paradoxalement, pour qu’il émerge dans l’ordre du visible, sa figure ne doit surtout pas évoquer la violence fondatrice qui, l’ayant au préalable destitué de son humanité pure et simple, le reconstitue précisément en tant que « Noir ».

    Qu’à tous les autres toujours l’on préfère les petites négresses au teint d’ébène, les négrillons et jeunes pages moricauds jouant les compagnons des dames qui les prennent pour des perruches, bichons, et autres levrettes, les nègres rigolards, insouciants et bons danseurs, les bons nègres et leurs bons maîtres, affranchis mais reconnaissants et fidèles, dont le rôle est de faire valoir la magnanimité du Blanc - tout cela ne date pas d’aujourd’hui. L’habitus, progressivement, s’est sédimenté. Dès le XIXe siècle, ce sont de tels nègres que l’on tolère à la cour, dans les salons, dans la peinture, au théâtre. Comme l’indique Sylvie Chalaye, « ils égayent les assemblées mondaines, apportent une touche d’exotisme et de couleur au cœur des fêtes galantes, comme le montrent les peintres de l’époque : Hogarth, Raynolds, Watteau, Lancret, Pater, Fragonard, Carmontelle ». Dans une large mesure, le racisme à la française a donc été volontiers un racisme insouciant, libertin et frivole. Historiquement, il a toujours été profondément associé à une société elle-même insouciante, voire délurée, qui n’a jamais voulu ouvrir les yeux sur « l’horrible fumier qui se cache sous les dorures et la pourpre. » [...]

    Dans l’imaginaire exotique de la France, c’est sans doute le personnage de Joséphine Baker qui cimente, dans la culture populaire, cette forme de racisme désinvolte, insouciant et libertin. Le récit suivant de deux scènes que la troupe de Baker donne lors d’une à Paris dans les années 1920 résume bien cette modalité : « On ne comprend pas leur langue, on ne cherche pas à relier le fil des scènes, mais c’est toutes nos lectures qui défilent devant notre imagination ravie : romans d’aventures, chromos entrevus ou d’énormes paquebots engloutissant des grappes de Nègres chargés de riches ballots, une sirène miaulant dans un port inconnu encombré de sacs et d’hommes de couleur, des histoires de missionnaires et de voyageurs, Stanley, les frères Tharaud, Batouala, les danses sacrées, le Soudan, des demi-nudités illustrées de la farce d’un gibus, des paysages de plantations, toute la mélancolie des chansons de nourrices créoles, toute l’âme nègre avec ses convulsions animales, ses joies enfantines, la tristesse d’un passé de servitude, nous avons eu tout cela en entendant cette chanteuse à la voix de forêt vierge »..."

    [ Achille #Mbembe , Critique de la Raison nègre]

    • « À plusieurs égards, la logique française d’assignation raciale se caractérise par trois traits distinctifs. Le premier - et sans doute le trait capital - est le refus de voir - et donc la pratique de l’occultation et de la dénégation. Le deuxième est la pratique de ravalement et de travestissement, et le troisième la frivolité et l’exotisme. En effet, il existe en France une très longue tradition d’effacement, de relégation de la violence de la race dans le champ de ce ne mérite pas d’être montré, d’être su ou d’être donné à voir. Cette tradition de la dissimulation, du déni et du camouflage dont on peut constater la réactualisation dans les conditions contemporaines date précisément des XVIe-XVIIIe siècles. Elle émerge dans un contexte fondateur, à un moment où la France entreprend de codifier ses rapports avec ses esclaves. »

    • Le refus de voir n’est-il pas justement l’anti-racisme ? J’ai coutume de dire qu’il n’y a qu’une seule race - la race humaine... Et ma position est immanquablement contrée par certains de mes amis qui pensent que des statistiques ethno-phénotypiques amélioreraient leur sort. Peut-on refuser l’assignation raciale des individus sans être taxé de déni ? A l’inverse, ceux qui demandent le comptage des minorités visibles ne sombrent-ils pas dans l’assignation raciale ?

    • J’ai bien peur que tu ne comprennes pas le sens de la « race » et du « racisme ». Et tout particulièrement de la fonction politique de ceux-ci. La « race » est une croyance collective qui agit socialement, on t’y assigne sans te demander ton avis, et pour ce faire, elle n’a même pas besoin d’être nommée, elle peut n’être qu’une « structure de la pensée » qui devient une action pratique, sans passer par la mise en mot.

      Aussi ta stratégie ("individualiste") du déni (celle qui refuse de reconnaître ce qui est et ce qui a une force sociale ) pour des raisons de principe (c’est-à-dire finalement « morales »), volens nolens , est la complice du racisme contemporain... http://seenthis.net/messages/140460

    • Oui, je refuse de comprendre l’insensé. Je crois qu’on peut combattre les discriminations sans soi-même adopter les schémas de pensée de ceux qui discriminent. On me dit naïf à ce sujet. Tout comme ceux qui discriminent imposent leurs catégorisations, j’impose la mienne où ces catégories n’existent pas. Certes, je ne pèse pas lourd face à eux - mais ma conviction est de l’ordre de la foi.

      Ceci dit, je suis conscient que je suis ainsi politiquement inefficace. Mais doit-on abandonner une position morale au nom de l’efficacité sociale ? C’est un dilemme moral - la fin (justice sociale) justifie-t-elle les moyens (action collective au nom d’une catégorie inique) ?

    • Il me semble qu’une catégorie acceptable et utile dans la lutte comme dans l’analyse, c’est celle des personnes racisées, c’est-à-dire objets d’une racisation.

      La couleur de peau, le pays d’origine, le lieu de résidence, le nom & prénom, mais aussi la conformité d’un visage ou d’un corps à tel ou tel « canon », permettent d’évaluer la stigmatisation subie ou l’avantage acquis par une personne dans un contexte social donné et tout au long de sa vie.

      J’enfonce des portes ouvertes.