L’Empire de la perfection de Julien Faraut est un film très étrange ; une manière de feinte absolue, un contre-pied parfait. De 1977 à 1984, Gil de Kermadec, directeur technique national du tennis français va filmer des joueurs de tennis professionnels dans la quête sans cesse fuyante de percer le mystère de leurs gestes parfaits (réputés tels). A ses débuts ce seront des films didactiques dans lesquels nous verrons des joueurs reproduire le geste : images curieuses de joueurs de tennis sans balle. Réalisant avec retard que ses tentatives pseudo scientifiques sans balle sont vaines, il va installer ses caméras 16mm dans les arènes de Roland-Garros.
Ici le commentaire s’arrête sur ce fait surprenant que cette démarche scientifique d’étude de mouvement à Roland Garros se produit en fait là même où se tenaient les anciens ateliers de photographie expérimentales d’Etienne-Jules Marey, sur les décombres desquels ont été construits les courts de roland Garros.
Revenons à nos moutons. Refusant d’emblée les images pourtant luxueuses que lui proposait la télévision française, il s’obstine à faire filmer lui-même les joueurs produisant une majorité d’images asez curieuses finalement parce que la caméra est centrée sur un seul joueur, images qui finissent par donner le sentiment que ce dernier se bat contre lui-même ou qu’il fait du mur. Ce qui, dans le cas de John McEnroe, n’est pas le moins incident des éclairages.
L’histoire prend un tour d’autant plus singulier quand Gil de Kermadec finit par concentrer tous ses efforts sur un joueur dont d’ailleurs on peut se demander ce qui pouvait l’intéresser dans sa quête pédagogique, tant les gestes de McEnroe sont, de notoriété publique, à proscrire. Et au delà même des images de McEnroe jouant contre des adversaires invisibles, les caméras continuent de filmer même quand il ne joue pas (on peut se demander de quels moyens, sans doute pléthoriques, disposait Gil de Kermadec pour autant filmer) et ce faisant les caméras enregistrent une manière de part inconsciente du drame en préparation la fameuse finale de Roland Garros opposant McEnroe donc à Lendl, joueur tchécoslovaque, peu élégant mais terriblement efficace et combatif, le drame de toute une vie, celle de McEnroe, son pire cauchemar, un échec vif et dont le film est finalement l’autopsie.
La légende veut que McEnroe ait perdu cette finale, qu’il ne pouvait pas perdre, qu’il dominait de façon écrasante, à force de déconcentration due à ses crises de nerfs. L’autopsie révèle sans le montrer de façon ostentatoire que non seulement c’est plus compliqué que cela (entre autres choses, les colères de McEnroe étaient l’occasion pour lui de se reconcentrer sur le jeu, san compter que nul doute, ce n’est pas beau, cela devait aussi avoir mauvais effet sur la concentrationd e son adversaire, ce que le film ne dit pas mais suggère, notamment quand Ivan Lendel demande à ’larbitre s’il a peur de McEnroe) mais surtout qu’on ne sait pas ce qu’il s’est passé : McEnroe s’est absenté de cette finale au pire moment qui soit (au moment où il devait porter l’estocade finale à son adversaire) et n’a jamais pu ni su réparer cette bascule délétère.
Le film de Julien Faraut est une véritable autopsie psychanalytique de cet échec, tant il ne cesse de s’efforcer de regarder dans la mauvaise direction, comme de mettre systématiquement en avant des images qu’on n’aurait jamais du voir, ainsi le preneur de son qui tape sur sa bonnette en indiquant le numéro de sa prise pour la synchronisation sonore plus tard au montage et qui, chaque fois, produit son petit poc ! A aucun moment le film ne dit à son public où il doit regarder, de temps en temps le film part en vadrouille, s’amuse de son propre casting (ben oui, les films ne sont pas si nombreux à pouvoir lister Lino Ventura, Vincent Lindon ou Jean-Paul Belmondo dans leur distribution, en fait ces géants du cinéma français en simples spectateurs), fait son propre making of ou encore fait semblant d’aller chercher des explications auprès d’un psychiâtre expert qui annone quelques évidences pour mieux tromper l’adversaire, nous-mêmes, ou encore le film cite à la fois pour la parole lapidaire et pour les astuces de montage rien moins que Jean-Luc Godard (et pour une fois qu’il est cité de façon non incantatoire, on ne peut que se réjouir).
C’est un film presque parfait, rempli de défauts (ne serait-ce que la musique lourdissime de Serge Teyssot-Gay n’est pas Fred Frith qui veut) et dont le sujet est infiniment plus grand qu’il ne le laisse supposer, il est beaucoup moins question de tennis que de psychanalyse ou encore d’humanité, rappelant utilement sans doute que la perfection n’est pas de ce monde et que c’est l’immense grandeur du genre humain, devoir composer avec ses erreurs.
cc @hannah (fanatique de McEnroe)