person:voltairine de cleyre

  • Le chant des batailles désertées
    Par Lola Lafon

    « Contester c’est dire ça ne va pas, je ne suis pas d’accord. Résister, c’est se charger de supprimer ce qui ne va pas ».(Ulrike Meinhof)

    Une lutte en est-elle encore une quand elle tremble de désigner des adversaires ? Comment combattre ce avec quoi on marche main dans la main ?Il faudrait commencer par consentir à déplaire, à fâcher. Oser être désagréable, folle même. Se méfier de cette sagesse qui gagne depuis quelques années, comme une paresse de fin d’après-midi d’hiver, cette fausse insolence adolescente, où, joyeusement turbulente, on se tait sitôt rappelées à l’ordre. Il faudrait ne pas avoir peur de faire peur. Et se souvenir de la bagarre. Celle qui fait le corps moite, les joues trop rouges et les cheveux en l’air. La bagarre aux mains sales. Il faudrait se souvenir qu’elle ne sera sûrement pas télévisée et que si elle l’est, c’est que la chorégraphie est réglée d’avance, et que rien, aucun faux mouvement nesurviendra.Entre le « féminisme MAIS » des médias (féministe mais hétéro, mais jolie, mais pas trop), et celui qui s’enterre majestueusement dans les musées ou soirées tendances, libérer les corps flirte de plus en plus avec l’eden sage d’un corps libéral. Trash ou légaliste, le féminisme se cherche frénétiquement une place (et l’a trouvée…), alors qu’il s’agissait peut-être de se vouloir fièrement en-dehors de toute place offerte.

    #féminisme

    • Le corps du combat

      A peine libéré d’une sexualité normée et moralisée, notre corps est entré dans l’ère du libérable obligatoire. Libérable de sa graisse, de traits jugés inégaux, à plastifier, de névroses le traversant ou d’ovaires paresseux. Et voilà chacune penchée sur son « soi », le massant d’huiles essentielles et guettant religieusement la provenance des nourritures proposées à ses entrailles et différents orifices et s’employant anxieusement à lui procurer un nombre suffisant d’orgasmes, à ce corps en « fonctionnement-production » maximal, signe extérieur d’équilibre obligatoire. Car il s’agit avant tout d’être épanouie, nouveau dogme qui semble interdire le désordre quel qu’il soit. A notre chevet, nous voilà devenues nos propres nourrissons.

      #sexualité #productivisme #libéralisme

    • Une maison de chair qui sent le renfermé

      Pouvoir enfin débattre du genre, de la prostitution et avoir un accès déculpabilisé à la pornographie, tout ça a un instant semblé créer de nouveaux(elles) êtres désentravé(e)s, loin d’un féminisme plus victimaire. Mais…Subversives, les femmes qui commentent inlassablement leur sexe, leur désir, comme enfermées dans une maison de chair, autophage, bientôt ? Sous des apparences joyeusement trash, revoilà l’injonction éternelle faite aux femmes de retourner à leur corps, au-dedans… Me voilà remise à ma place, enfermée face à mon sexe, cette place qui a toujours été la nôtre, où les femmes sont attendues et contenues, cette maison trop chaude : l’intime. La radicalité féministe aujourd’hui semble tourner presqu’uniquement autour de ce qu’on fait, ou pas, à et avec son corps.Et quand il relève la tête de son corps, le féminisme, il fait quoi ?Il demande à l’Empire de lui faire une place, en marge ou bien au centre.

    • Place de choix ou choix de la place.

      Le corps des femmes semble n’avoir aucune autre alternative que de toujours s’en remettre à un Empire. Empire-état, patriarcal, qui nous protègerait de ses lois, ou le dernier en date, l’Empire scientifique qui s’empare de nos corps comme de textes morcelables. Enfin, l’Empire total, celui qui contient tous les autres, dans lequel, du moment qu’on les paye, tous les choix sont égaux et possibles. Empire où il faut jouir de ce qu’on a ou voudrait avoir, jouir « illimité », du téléphone jusqu’au sex-toy, les yeux fermés. Pourvu que ça consomme.

      #patriarcat #objectivation

    • La « c’est mon choix » idéologie.

      Cette « c’est mon choix idéologie » envahit les blogs, les romans et les essais. Faisant de nous des sujets-corps, isolées les unes des autres, toujours représentées par notre parole, le sacro saint témoignage. On exacerbe le parcours personnel, l’individue. C’est mon choix, je suis libre de. Et on s’égaye de ces nouvelles possibilités, tout trouvera sa place dans la vitrine du « c’est mon choix », ce supermarché des idées : vendre son cerveau-travail à un Manager, ou son vagin-travail sur le net, ou encore écarter ses jambes devant la science, qui a fait de la peur du manque d’enfant un marché sans fin, encore et encore du ventre, merveilleux marché autour des femmes, blanches (au sens politique), bien entendu. Aux Autres, non-blanches, la même science propose la stérilisation, voire le féminicide en Inde ou en Chine.

      #choix #dépolitiastion
      Voire aussi sur la question du choix dans le féminisme : https://seenthis.net/messages/507144

    • « Consommons-nous les uns les autres. »

      Si un moment, le droit de faire ce qu’on veut de son sexe a failli ressembler à un idéal libertaire, là, on est très loin d’un anticonformisme insolent. Les mots employés par ceux et celles qui disent« capitaliser sur leur sexe » sont étonnamment proches des mots de ceux qui prostituent leur cerveau à un quelconque marché. On « gère » sa « carrière », on vend du service. Avec le réalisme pragmatique d’un DRH, on prône une liberté empreinte d’une odeur de défaite absolue, dans l’enclos inquestionnable du systèmemarchand.Du corps libéré à libéral, ou, comment, en voulant faire la peau du moralisme, on s’assoupit et trébuche dans les bras du capitalisme, ravi.Et dans une torpeur toute légaliste, le féminisme emboîte le pas à l’écologie molle remplie de belles images tristes de gentils animaux disparus, et à cette grande fable du capitalisme à visage humain, vert et équitable, et s’inscrit parfaitement dans l’époque sagement biologique de l’obéissance indiscutée. Et la parité, réclamée à grands cris jusque dans l’Elysée, n’est qu’un autre aspect du même manque de fougue. Vouloir reproduire le même monde, mais au féminin, sans jamais le questionner, ce monde…Si la place médiatique est offerte à ces féminismes, c’est peut-être qu’ils caressent bien gentiment, chacun à leur façon, le patriarcapitalisme.

      #parité #capitalisme

    • Cyber-Pétain

      Capitalisme, patriarcat, que de gros mots qu’on n’ose plus brandir sous peine d’être « dépassées ».Et pourtant : le paysage sent sévèrement le moisi. Voilà, entre autres, le grand retour pétainiste à la valeur maternité, avec ces innombrables interviews de stars se terminant par : mon plus beau rôle, c’est maman. Comme pour se faire pardonner de la place arrachée socialement aux hommes, et toujours revenir à leur ventre, ce passeport pour la norme. On est passées d’ « un enfant si je veux » dans les années 70, à « un enfant est mon plus beau rôle », et tout ça s’accommode très bien de « un enfant à tout prix ». Ou comment les partisans de la technologie du ventre des femmes rejoignent l’instrumentalisation et la glorification du ventre maternant.

      #maternité

    • La pâleur du féminisme

      Alors, aux blanches, le choix des débats et mouvances, et aux Autres, non-blanches, noires, arabes, d’Europe de l’Est, tziganes et autres précaires, comme on dit quand on n’ose plus dire pauvres, à elles, on laissera le combat laborieux : emprunter (et le verbe emprunter là prend tout son sens) l’espace qui leur reste et la rue hétéro-normée sans se faire haranguer, juger pour un morceau de tissu en trop ou en moins, que celui-ci dévoile des cuisses ou couvre des cheveux.Sortir de chez soi, de l’intime, parfois de son pays et arriver en France. Se confronter au post colonialisme décomplexé et insouciant, à la violence administrative et policière quotidienne. A ces femmes là, aussi, nos Invisibles, tous les travaux de « service », à elles de s’occuper des corps blancs à garder, nettoyer, à branler. Pas le choix. Et ces Autres n’ont pas souvent droit aux attentions des féministes, si peu nombreuses à défendre les sans papières, par exemple, étouffées dans les charters et violées en rétention.A l’image de la France en 2010, le féminisme oublie la bagarre…Parce que sans doute, la bagarre, ça n’est pas très féminin ?

      #féministes_blanches #intersectionnalité

    • Je ne renoncerai pas à ma part de violence.

      Les femmes tentées par la radicalité se confrontent à un territoire toujours pensé au masculin. Récemment, dans l’affaire des « anarcho-autonomes » de Tarnac, les intellectuels de gauche et de droite ont tous commenté, fascinés, la figure virile du héros emprisonné, Julien Coupat, tandis qu’Yldune Lévy, également emprisonnée pour les mêmes raisons, ne fut pas l’héroïne de son histoire, mais systématiquement décrite comme la « compagne de », perdant ainsi toute identité d’une volonté politiquepropre.De Florence Rey, devenue une icône rock bien malgré elle, à Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron (membres d’Action Directe), toutes ont été systématiquement décrites comme aveuglées par l’amour, suivant (le cerveau) un homme. On les place d’emblée dans l’affectif et le psychologique, hors du politique. Comme si l’engagement armé des femmes était impensable, pas « naturel », une femme étant « faite pour » donner la vie et pas la mort.

      #invisibilisation_des_femmes #effacement_des_femmes #machos_de_gauche #manarchisme

    • Voleuses de feu

      Je crois qu’il est grand temps de ressortir les petites sœurs crado et pas montrables du féminisme. Ces sorcières acrobates ou enfants sauvages, Voltairine de Cleyre anarchiste et féministe du XIX è pour qui le « mariage était une mauvaise action », les Rote Zora, ces femmes autonomes, qui en Allemagne de 1977 à 1995 attaquèrent à l’explosif le Tribunal opposé à l’avortement et incendièrent une cathédrale, entre autres. Ces collectifs de filles en France qui organisent des marches de nuit « pour ne plus se faire marcher dessus le jour », les Mujeres Creando en Bolivie, et le Pink Gang en Inde, ces « intouchables » en sari rose, armées de bâtons qui s’attaquent aux violeurs et aux policiers refusant d’enregistrer leurs plaintes. Qu’on reparle de toutes celles qui, à différentes époques, solidaires des femmes les plus précaires, ont mis des bombes dans des usines et pillé les grandes surfaces pour tout remettre, libre et gratuit, dans les rues. Qu’on fasse connaître celles qui, réunies en black blocs dans les manifestations, mettent le feu autour des prisons de femmes, un peu de lumière pour briser l’isolement. Sous les capuches noires, elles sont nombreuses, même si ce genre d’action est toujours taxé de « viril ». La casse et la destruction de biens symboliques ne pouvant être le fait de femmes…

      #sorcières

    • « Il est temps de passer de la nausée au vomissement » (Mujeres Creando)

      Je ne sais pas ce qu’est le féminisme mais ce que je sais, c’est que s’il s’agit de prendre ma part d’un système qui me détruit et m’enrage, je n’en suis pas. S’il s’agit de rester ce trou consommant et conso-aimable, saturé d’ordres et ouvert à toutes les obéissances « tendances », je n’en suis peut-être pas. Je veux bien décliner de nouveaux genres, mais pas des genres d’aliénations, je ne veux pas la place, ni les salaires de ces hommes dont je souhaite profondément l’éradication sociale, ni prendre part à toute cette nausée, même conjuguée au féminin. Je ne me satisferai pas de voir mon cerveau avalé par mon vagin. Je ne réclame aucun droits à cet état, parce qu’en demander quelques uns, c’est admettre qu’on ne les aura pas tous.Il nous faudra bien réapprendre la colère, apprendre à rendre les coups aux sexistes de droite qui ressemblent tant aux sexistes de gauche, voire les donner en premier si besoin est. Les femmes continuent d’être marchandées, happées, pesées, fouillées, jaugées, violées par des hommes, aussi bien blancs que non-blancs, derrière les portes closes des beaux appartements bourgeois aussi bien que dans les banlieues.Ilnous faudra reprendre par la main celles-là, invisibles, qui, sur le bord, nous regardent de trop loin. Réapprendre la bagarre ensemble, celle qui fait transpirer, et répandre la joie explosive de nos fêtes impolies. Conspirons, volons, sabotons, rejoignons nous en bandes dans la nuit pour détruire ceux qui nous détruisent, redevenons des bandites fiévreuses, des enfants acharnées à ne pas rester là où on nous pose.L’époque est dure aux voleuses de feu…Alors il nous faudra bien redevenir impitoyables, et, sans rien céder de nos vies ou de nos corps, saturer chaque atome de plaisirs vagabonds, sans jamais en payer aucun prix.

    • Bibliographie
      Voltairine De Cleyre : « D’espoir et de raison, écrits d’une insoumise »
      LuxHistoire et communiqués des Rote Zora : « En Catimini ».
      Fanny Bugnon : « Quand le militantisme fait le choix des armes : Les femmes d’Action Directe et les médias. »
      Offensive Libertaire N°=24 : « Un autre genre d’aliénation » (Anita Bomba)
      Charlie Devilliers : « Les femmes et la lutte armée »

    • Chouette digression au texte d’ouverture -Le chant des batailles désertées- par Lola Lafon . Et la bibliographie de @mad_meg qui m’a replongé dans ma collection d’OLS et le
      N°24 cité en référence. Les numéros OLS c/o Mille Bâbords sont téléchargeables, en particulier les exemplaires épuisés, comme le N°4 par exemple : http://offensiverevue.wordpress.com/2015/02/02/offensive-4
      et sur Ulrike Meinhof : http://www.pontcerq.fr/livres/ulrike-meinhof-68-76-rfa

    • Arf. Dommage que j’ai pas le temps de rentrer dans les détails :(
      – déjà placer sous théorie queer ces différents auteurs, je trouve ça assez suspect (Haraway est queer comme un morceau de fromage mais bon). Ce qui est vrai pour les un.es n’est pas vrai pour les autr.e.s
      – sur le cyberf, #Haraway et #Preciado (plutôt que Testo Junky - assez d’accord sur les critiques, même si je n’ai pas ce fétichisme de « la nature » vs les adjuvants chimiques/techniques — je conseille le livre sur Playboy, Pornotopie, beaucoup plus lisible et vraiment intéressant), il n’y a pas — selon moi — matière à jeter tout le bébé avec l’eau du bain — surtout que le Cyborg Manifesto d’Haraway est un micro texte par rapport à tout ce qu’elle a écrit par la suite et qui s’éloigne progressivement de ce vieux manifesto.

      En attendant le lien direct vers offensive n°4 https://offensiverevue.files.wordpress.com/2015/02/offensive4.pdf

  • Ni patrie ni frontières n° 2 (décembre 2002) en PDF - mondialisme.org
    http://www.mondialisme.org/spip.php?article2332

    Edito

    Dans sa partie thématique, ce numéro est principalement consacré aux rapports hommes-femmes à travers les questions de la famille, du mariage, de la morale sexuelle et du viol. En découvrant les textes de Voltairine de Cleyre, Lindsey German, Wendy McElroy et Arturo Peregalli., le lecteur décèlera rapidement les différences d’approches entre marxistes et anarchistes sur ces questions sensibles, Voltairine de Cleyre et Wendy McElroy étant certainement les auteures qui prennent le plus de risques en défendant leurs conceptions personnelles.

    Dans Traditions politiques américaines et défi anarchiste Chris Crass nous donne quelques clés pour comprendre la place de Voltairine de Cleyre dans la pensée politique libertaire.

    De l’action directe (1912) n’est pas consacré à la situation spécifique des femmes mais ce texte montre que Voltairine de Cleyre ne peut être réduite à une icône féministe, comme le font celles qui dissimulent les positions politiques radicales de cette militante du mouvement ouvrier et théoricienne anarchiste. Ce texte s’adresse à un public américain et puise ses exemples dans l’histoire du Nouveau Continent. Voltairine de Cleyre tente de convaincre ses compatriotes que l’action directe n’est pas une spécificité anarchiste, et est pratiquée par toutes les tendances politiques, voire même par la plupart des individus à un moment ou l’autre de leur vie. Mais elle plaide aussi pour la révolution sociale, aux Etats-Unis comme dans le monde entier.

    Excellente pédagogue, Voltairine de Cleyre part du vécu de ses lecteurs ou de son auditoire, des faits historiques qu’ils connaissent, pour les amener à une réflexion plus générale sur le rôle de la violence dans l’histoire. Loin d’opposer, de façon dogmatique ou caricaturale, action politique (légale/ parlementaire/gouvernementale) et action directe (illégale/extraparlementaire/ populaire), elle montre finement quels liens s’établissent entre ces formes d’action et pourquoi l’action directe est indispensable. Si les formes de lutte radicales qu’elle décrit ont — hélas ! —pratiquement disparu aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux développés, les explications politiques fondamentales de l’auteure gardent toute leur force. Le mariage est une mauvaise action (1907) est une conférence donnée dans le cadre d’un débat contradictoire. Contrairement à ce que ce titre pourrait suggérer, Voltairine de Cleyre ne se livre pas ici à une plaisante polémique anticléricale ou à une défense légère du libertinage ; elle nous offre une réflexion philosophique originale à la fois sur l’évolution de l’humanité et le rôle de la liberté individuelle.

    Loin d’être datées, ou dépassées, les réflexions de Voltairine sont essentielles. D’abord parce que le féminisme révolutionnaire des années 60 et 70 a disparu, notamment en France. En partie à cause d’une évolution interne au mouvement féministe et en partie grâce aux manœuvres de récupération des appareils politiques, la lutte des femmes s’est pratiquement réduite à de minables histoires de quotas pour accéder à la mangeoire électorale, ou à des débats « psy », comme en témoigne la multiplication des émissions télévisées consacrées à la vie privée. Ces débats aboutissent, selon les cas, à infantiliser, culpabiliser, ou criminaliser tous les hommes (tous incapables d’effectuer la moindre tâche domestique, tous harceleurs impénitents, ou tous violeurs) et renvoient les femmes à des « solutions » individuelles : elles sont censées résoudre seules les problèmes de leur couple, de leurs enfants, de leurs compagnons ou maris, etc. Une telle façon de poser les problèmes ne peut que renforcer les rancœurs et les haines, la « guerre des sexes ».

    Les textes de Voltairine de Cleyre sont également importants parce qu’ils expriment une saine révolte qui relie la libération des femmes à la lutte contre l’exploitation. Voltairine paya très cher son opposition au système capitaliste. Cette militante a toujours vécu et combattu aux côtés des ouvriers, et n’a jamais cherché la moindre position de pouvoir. On est à des kilomètres de toutes ces petites et grandes bourgeoises qui paradent aujourd’hui sur les plateaux de télévision (1).

    Dans La famille aujourd’hui (1989), Lindsey German décrit le rôle économique et idéologique de la famille, en particulier dans la classe ouvrière britannique. Si ce texte a une tonalité plus impersonnelle que celui de Voltairine, il a le mérite d’indiquer les tendances contradictoires qui influencent le destin de la famille aujourd’hui et de ne pas idéaliser la famille ouvrière comme le fit une certaine tradition marxiste, social-démocrate puis stalinienne. Nous présenterons, dans un prochain numéro, d’autres textes de Lindsey German, plus polémiques, sur le Mouvement de libération des femmes dans les pays anglo-saxons et la critique des théories du patriarcat.

    Wendy McElroy se situe dans une perspective radicalement opposée à celle de Lindsey German. Se réclamant de l’anarchisme individualiste américain, elle prône l’autodéfense des femmes qui passe, selon elle, par l’apprentissage du maniement individuel des armes et la défense de la propriété privée (!?). Ses références répétées à Camille Paglia, intellectuelle très conservatrice, n’inspirent guère confiance. Mais au-delà de ces réserves, l’essentiel, dans La nouvelle mythologie du viol et son utilisation politique, est ailleurs. L’article de Wendy McElroy constitue une excellente réponse à tous ceux, de droite ou de gauche, féministes ou pas, qui essaient de politiser ou de raciser la question du viol (2). A ce titre, il m’a semblé utile de publier ce texte décapant, même s’il ne vient pas du « camp » révolutionnaire.

    Arturo Peregalli, militant marxiste italien, décédé l’année dernière, s’est intéressé, entre autres, à l’évolution des positions du Parti communiste italien sur les femmes, comme en témoigne son texte Femme, famille, morale sexuelle, PCI (1945- 1970). Son article très vivant fourmille d’informations concrètes ; il montre bien comment les partis staliniens ont toujours eu une position extrêmement conservatrice sur l’émancipation des femmes et à quel point ces appareils ont contribué à entretenir leur soumission vis-à-vis du Parti et des hommes en général.

    Chris Crass, militant anarchiste, présente une Discussion entre plusieurs militants du mouvement antiguerre aux États-Unis. Son rapport est suivi d’une interview.

    Les luttes paysannes et le mouvement des sans-terre au Brésil (2000) a été écrit par Maxwell Teixeira da Paula, militant anarchiste, et déjà publié dans le N°8 de l’Oiseau Tempête. A l’heure où le Brésil vient d’élire un président « de gauche », il est important de revenir sur l’une des questions essentielles pour le peuple brésilien : celle de la terre. A travers plusieurs descriptions concrètes, ce texte démonte les processus de récupération et de bureaucratisation qui se mettent en place chaque fois que les exploités tentent de remettre en cause l’ordre existant. Et il décrit le jeu trouble du PT depuis des années, mise au point nécessaire face à ceux qui, après Castro, Guevara, Torrijos, Ortega, Marcos et Chavez, cherchent une nouvelle fois à nous faire prendre des vessies pour des lanternes avec le camarade-président Lula.

    Les deux textes de Nicolas, du Cercle social — Paradis fiscaux, néo-réformisme et rôle de l’Etat (2000) et Idéologie et fonctionnement d’ATTAC (2001) — ont été publiés dans la revue Maïra et se trouvent également sur le site demainlemonde. Ils exposent très concrètement les contradictions de l’organisation altermondialiste, sans tomber dans la polémique sectaire ni les imprécations.

    Principes du verbalisme radical (1989) de Guy Fargette démonte et épingle quelques mécanismes élémentaires, mais pernicieux, chez les « révolutionnaires de la phrase » et les « bavards d’arrière-salles de café ». « Toute ressemblance avec des personnages réels » est… parfaitement délibérée ! Bonne lecture ! (Y.C.)

    (20/12/2002)

    P.S. : Ce numéro paraît en décembre… mais la page de couverture est datée du mois de novembre ! Il n’a pas été matériellement possible de sortir Ni patrie ni frontières à une échéance plus rapprochée. Le rythme trimestriel (septembre, décembre, mars et juin) semble donc s’imposer, sauf si ce projet suscitait soudain une avalanche de vocations… Le prochain numéro portera sur la question nationale et la révolution permanente. Pour le moment, il est prévu de publier des textes de Hal Draper, Voltairine de Cleyre, Emma Goldman, Tony Cliff, Neil Davidson, Donny Gluckstein, C.L.R. James, Murray Bookchin, George Novack et Paolo Casciola, mais le sommaire évoluera peut-être si nous dénichons des textes qui dialoguent mieux ensemble. Vos suggestions sont les bienvenues !!!

    (1) Curieusement, lorsqu’un homme accepte une position de pouvoir, on n’a guère de mal à comprendre qu’il se compromet pour un plat de lentilles. Par contre, lorsqu’une femme intègre l’élite politique, économique ou médiatique, c’est à la fois une « libération individuelle » et une contribution à la Cause des Femmes. Ce tour de passe-passe permet de justifier trahisons et appétits carriéristes.

    (2) Le 4 octobre 2002, Libération a publié, dans ses pages Rebonds, un article incroyable d’une sociologue sur les prétendues « tournantes » : commentant le procès d’Argenteuil et les condamnations de 5 à 12 ans d’emprisonnement qui ont été prononcées (« La disparité des peines entre le viol collectif et certains crimes de sang amène à réfléchir sur ce qu’on attend d’une sanction », ajoute notre auteure pour nous faire croire à son esprit critique) Elisabeth Zucker-Rouvillois (co-auteure d’un livre intitulé Reconsidérer la famille) explique en substance que les viols collectifs seraient en quelque sorte un rite de passage jouissif pour les adolescents dans les quartiers populaires. Citons un extrait de sa prose : « Pour un adolescent qui découvre les pulsions de son corps, le viol collectif cumule de nombreux avantages, s’il n’est pas sanctionné. Il permet d’affirmer sa supériorité mâle hétérosexuelle, alors même qu’il est dans l’acte sexuel commun avec ses pairs garçons dans l’accomplissement même de son homosexualité qu’il dénie et réprouve ; il se déculpabilise par le rabaissement de la sexualité. Ce viol garantit aussi de ne pas consommer l’inceste avec sa mère, puisque celle qu’il force est précisément, par son apparence, son émancipation affichée et sa conduite, pour lesquelles elle doit être punie, à l’opposé de cette mère qu’il protège et qu’il hait à la fois parce qu’elle le tue et l’étouffe de son amour ou le déçoit sans cesse par son indifférence à son égard et par sa soumission à l’ordre mâle auquel elle l’oblige. Celle qu’il viole n’a plus de visage. En revanche, il est fixé sur l’approbation et les encouragements de ses copains et complices avec qui il n’aspire qu’à la fusion. Ce tableau fait horreur mais il est hélas familier à l’inconscient le plus archaïque de tout un chacun pour peu qu’il s’interroge. » (Les passages soulignés l’ont été par moi.)

    Il faudrait consacrer une longue réponse à cet étalage de pseudo-connaissances psychanalytiques, qui fait partie d’un processus plus large : l’utilisation pernicieuse de la psychologie et de la psychanalyse comme grille de lecture systématique de tous les phénomènes sociaux ou politiques. Ce procédé cache le plus souvent des préjugés sociaux ou raciaux, ou camoufle simplement des enjeux de pouvoir. Cet article sur un viol collectif à Argenteuil et le procès qui a suivi concentre tous les lieux communs actuellement répandus dans le corps enseignant, chez les travailleurs sociaux et les psychologues scolaires, et bien sûr chez un certain nombre d’hommes politiques, de féministes et de militants de gauche. Derrière des propos apparemment sophistiqués, se cachent en fait de sordides intérêts : certaines femmes et certains hommes, appartenant à des associations ou à des partis politiques très divers, orchestrent et politisent les conflits entre des individus de sexe différent. A la haine (maladroitement dissimulée) contre les « classes dangereuses » viennent s’ajouter maintenant la peur et la haine du sexe (ou du « genre ») dangereux : le sexe mâle. A la criminalisation systématique de la jeunesse populaire masculine, des hommes et des hétérosexuels s’ajoutent deux autres éléments répugnants : dans les grands médias d’information, ces réflexions sont presque toujours énoncées à propos des habitants des quartiers ouvriers et, de plus, d’origine étrangère. La loi française interdisant de nommer l’origine nationale ou ethnique des jeunes violeurs d’Argenteuil, les considérations psychanalytiques de notre sociologue (ou d’innombrables journalistes) servent à raciser (de manière dissimulée) le problème du viol, comme si les Français (et d’ailleurs tous les Européens) de « pure souche » ne pratiquaient pas le viol, individuel, et collectif depuis des siècles, de la Saint-Barthélemy à la guerre d’Algérie en passant par la campagne de Russie. Enfin, si l’on peut ajouter à ces propos sur « ces gens-là » (terme utilisé par les médias et les intellectuels à propos des musulmans ou des jeunes immigrés ou descendants d’immigrés) quelques considérations sur le machisme de la religion musulmane, la boucle est bouclée. Le lundi 16 décembre 2002, dans la même soirée, deux chaînes de télévision différentes se consacraient l’une aux luttes des femmes dans le tiers monde et l’autre aux immigrés en Europe. Invités et journalistes reprenaient jusqu’à la nausée ces amalgames entre mâles et violeurs ; musulmans et exciseurs ; maris violents et étrangers « extra-communautaires » ; prolétaires et brutes épaisses ; Africains, Turcs ou Arabes et ignorants, etc. Dans un cas, la chaîne bénéficiait de la caution de femmes politiques algériennes, marocaines, jordaniennes, somaliennes et burkinabés ; dans l’autre, Arte avait invité des hommes censés représenter les immigrés et leurs descendants français ainsi qu’un criminologue allemand, grand spécialiste de la compassion et de la psychologie !

    http://www.mondialisme.org/IMG/pdf/no_2.pdf