person:xavier guilbert

  • Vient d’être mis en ligne par du9 une série de textes sur le travail de bande dessinée (son cadre social, politique, théorique aussi bien que ses dispositifs techniques ou son articulation à d’autres disciplines), qui prennent prétexte de notes digressives sur mes propres bouquins pour amorcer quelques pistes de réflexion sur le dessin en bandes et la création en général.
    C’est découpé en huit chapitres et précédé d’un entretien avec Xavier Guilbert, et c’est là :

    http://www.du9.org/dossier/comment-jai-ecrit-certains-de-mes-livres

    • Merci pource texte !

      Je ne peux m’empêcher d’en citer un court (si si) extrait :

      Quel rapport avec l’objet de ce texte ? Un lien d’importance, nodal, originel, même, si vous voulez mon avis :
      mon travail tourne invariablement autour de deux ou trois toutes petites idées et notamment celle-ci, si banale qu’il m’étonne d’avoir eu à la reformuler si souvent : enfant, ce qui nous grandit et qui nous habitera au point de nous constituer, ce n’est pas ce qu’on nous destine, ce qui est prétendument fait pour nous, mais ce qui nous est impénétrable, inintelligible, ou interdit. Ce sont les livres pris dans la bibliothèque parentale dont nous traquerons le sens pendant des années, les films « de grands » furtivement surpris dans le salon, dont le sens nous a totalement échappé et dont les images nous poursuivrons des années, les idées qu’on n’a pas daigné nous décortiquer et pour lesquelles il nous faudra longtemps inventer nous-mêmes une signification.
      Tout ce qu’on nous explique, tout ce qui nous est destiné, ce qui est taillé pour cette caricature de nous-mêmes qu’on appelle l’enfance, est outrancièrement normatif et ne laisse aucune place à l’invention de notre propre chef.
      Adulte, cette sensation forte, vertigineuse, que provoque la rencontre d’idées, de productions humaines vraiment autres, insoupçonnables, déstabilisantes, qui ne se donnent pas à nous du premier coup, se fait trop rare. Parce que le mot d’ordre est la clarté, la simplicité, la communication. Nous devrions, croit-on, avancer sans inquiétude dans le sens. Et quand on ne comprends pas, c’est celui qui parle qui est regardé avec soupçon. L’incommuniquant est renvoyé au mieux au caprice d’artiste, à la poésie (ce coup de la poésie qui y balance dans ses cordes toute écriture nouvelle[2] ), au pire à l’escroquerie intellectuelle ou la sphère clinique. Ah ah, le poète, le rêveur ! Ah ah, l’intello, le snob, le masturbé ! Ah ah, le taré.
      Je continue de préférer dans ma bibliothèque les livres qui me résistent, ceux dont les auteurs n’ont pas cherché à traduire leur vérité en termes illusoirement moyens, intelligibles par tous. C’est à mes yeux la plus belle forme de générosité qu’un auteur puisse m’offrir, celle qui me laisse la place de penser et d’inventer avec lui. Et j’ai décidé de ne pas plus traduire mon travail dans une langue moyenne fictive que mes poètes, essayistes ou romanciers préférés ne l’ont fait pour moi.

    • un autre passage

      À la question « Pourquoi faites-vous de la philosophie ? » B. Preciado répond que dès sa petite enfance elle était traitée comme une sale petite gouine. Il lui fut urgent de s’armer pour comprendre ce qui l’excluait, ne serait-ce que pour déterminer son implication personnelle réelle dans ce qu’un monde lui renvoyait de sa culpabilité. Le lien entre toutes les expressions minoritaires, artistiques ou philosophiques, se tisse depuis la violence faites aux enfants dès les premières rencontres avec le corps social et sa puissante détermination normative. Ce lien entre les corps chétifs et recrachés par les structures sociales, les institutions, les groupes d’affinités, les clubs, est le trou noir de toute société civilisée dans lequel se cache le vrai monde ; celui qui n’abdique rien pour lui-même, ne se refuse rien, rit de toute forme d’autorité, se soustrait à toutes les formes instituées de gratifications pour fonder seul son ordre, impossible, grotesque, irrécupérable, de grandeur. Tous mes amis sont restés ces petits monstres, ces erreurs sociales, les lopettes, débiles, minables, bizarres, de la cour d’école. Ils auraient pu, comme j’aurais pu moi-même, en crever. Ou pire, gommer leurs aspérités pour ressembler à leurs milliards de tortionnaires possibles. Le plus sage était de prendre la position de Topor : si vous prenez un taxi et que vous dites « chouette, il pleut », en général le chauffeur vous regarde avec une haine… ! comme si vous étiez le responsable de ce temps là. Je trouve ça chic d’être le maître du temps. Alors vous ajoutez : « J’espère que demain il pleuvra aussi ».