L’Association Française de Sociologie a diffusé en date du 11 février 2020 un communiqué intitulé « Mise en place d’un groupe de travail sur les violences sexistes, sexuelles et de genre » ▻https://afs-socio.fr/creation-dun-groupe-de-travail-sur-les-violences-sexistes-sexuelles-et-de- Ce communiqué est inédit. Il marque un tournant dans notre profession en nous invitant à agir collectivement face aux situations de violences sexuelles sur nos lieux de travail (dans nos congrès mais aussi dans nos laboratoires, nos départements, nos séminaires, etc.). Cette prise de position, qui fait suite à des années de mobilisation du CLASCHES (Collectif de lutte anti-sexiste contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur et la recherche), est salutaire. Elle doit aboutir à une véritable prise de conscience collective qui seule permettra d’en finir avec de tels agissements.
La prise de position de l’AFS est aussi l’occasion pour nous, enseignant·es et/ou chercheur·es en sciences sociales, de lancer un appel à notre communauté professionnelle : chacun·e de nous doit apprendre à réagir face aux dénonciations de violences sexuelles ! En effet, trop souvent encore, quand des collègues ou des étudiant·es osent en parler, les réactions immédiates protègent le mis-en-cause et renforcent la violence subie par la personne dénonçant les violences.
Ainsi, lorsqu’est évoquée, au détour d’un séminaire ou d’une pause-café, une « affaire » de violences sexuelles dans notre communauté professionnelle, on entend encore trop souvent :
– « C’est compliqué, il vaut mieux rester neutre ».
– « Est-ce qu’elle a porté plainte ? » – « Non, elle a préféré ne pas porter plainte » – « Ça ne doit donc pas être si grave ».
– « Est-ce qu’elle a porté plainte ? » – « Oui » – « Alors, attendons l’issue de la procédure, il faut rester neutre » (et d’ailleurs, s’il est condamné, il aura suffisamment payé).
– « Concrètement, il s’est passé quoi ? » – « Ah bon, y’a pas mort d’homme ».
– « Ah, c’est Untel qui est mis en cause ? Non, je n’y crois pas. C’est quelqu’un de bien ».
– « Attention à la diffamation, il faut rester neutre ».
– « On ne va pas cesser les collaborations avec lui, se priver de ce bon chercheur, on ne va pas se substituer au juge, il faut rester neutre ».
– « On ne va pas la dénigrer mais quand même… elle s’est mise dans une situation-limite, non ? ».
– « Elle ne serait pas en train de régler des comptes professionnels ? En tout cas, cette plainte, ça en arrange bien certains et certaines ».
– « Il vaut mieux ne pas faire trop de bruit tant qu’elle n’a pas soutenu, c’est mieux pour elle ; mais si elle préfère arrêter, ça se comprend ».
– « Si elle n’est plus à l’aise en sa présence, elle peut ne pas venir à la prochaine réunion ou au prochain colloque, pas de problème, on comprend ».
– « Le papier qu’elle préparait pour le numéro de revue en commun avec lui, si elle ne le sent plus, elle peut le retirer. On comprend ».
Adoptées souvent par souci de « neutralité », ces réactions et attitudes n’ont pourtant rien de neutre dans leurs conséquences. Elles favorisent le déni et valorisent le business as usual. In fine, elles protègent le mis-en-cause et renforcent la violence subie par la personne dénonçant les violences.
A tout cela, nous voulons répondre :
– Premièrement, en tant que chercheur·es en sciences sociales, et en tant que spécialistes du genre et de la sexualité pour certain·es d’entre nous, nous ne pouvons attendre, pour reconnaître la parole des personnes ayant subi des violences sexuelles et lui donner du crédit, l’issue de procédures pénales dont les enquêtes – aussi bien statistiques qu’ethnographiques et historiques – montrent la durée, les embûches et les biais en défaveur des plaignant·es.
– Deuxièmement, ce type de réactions se focalise sur les coûts professionnels pour la personne mise en cause et passe sous silence les conséquences pour la personne qui a subi les violences sexuelles et qui ose les dénoncer. Pour celle-ci, par-delà les conséquences personnelles, les coûts professionnels sont immédiats et systématiques. Il suffit de regarder autour de nous pour les observer, ils se font sentir très vite : interruption de son travail de mémoire ou de thèse, impossibilité de continuer ses collaborations avec son agresseur, exclusion et auto-exclusion des réunions de travail, séminaires, colloques, jurys, comités où il pourrait être présent, difficulté à maintenir un papier dans des numéros ou ouvrages communs, difficulté à soumettre un article à une revue dont il pourrait être l’évaluateur, à candidater à un concours de recrutement dont il serait membre du jury… Dans ces conditions, ne rien dire, ne rien faire, c’est accentuer activement l’asymétrie des conséquences de la dénonciation au profit du mis-en-cause et au détriment de la personne qui dénonce les faits.
Faut-il encore et toujours rappeler que dénoncer des violences sexuelles subies est non seulement un risque personnel et professionnel mais que cela n’apporte jamais aucun bénéfice de carrière, au contraire ? Que dénoncer « par plaisir » ou « par opportunisme » n’existe pas ? Que la question du consentement sexuel n’est pas plus « compliquée » que celle du consentement à une tasse de thé (cf. cette courte vidéo bien connue : ▻https://www.youtube.com/watch?v=S-50iVx_yxU
) ?Il est temps de bannir ces réactions et attitudes qui infligent une violence supplémentaire aux personnes qui osent dénoncer les violences sexuelles qu’elles ont subies, et contribuent à protéger les agresseurs. Nous nous devons d’adopter d’autres réactions et comportements, de croire la parole des collègues et étudiant·es qui paient immédiatement et cher le fait d’avoir le courage de dénoncer ces violences. De les protéger et pas leurs agresseurs !
Sous couvert de « neutralité », nous contribuons collectivement à renforcer l’asymétrie. Nous portons, chacun et chacune d’entre nous, la responsabilité que cela ne se passe plus comme ça.
Une personne a subi des violences sexuelles,
faisons en sorte qu’elle ne subisse pas aussi des violences professionnelles !
Signataires :
Catherine Achin (Univ. Paris-Dauphine/IRISSO), Eric Agrikoliansky (Univ. Paris-Dau- phine/IRISSO), Viviane Albenga (Univ. Bordeaux Montaigne/MICA), Olivier Allard (EHESS/LAS), Armelle Andro (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/IDUP), Valérie Asensi (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Christelle Avril (EHESS/CMH), Nathalie Bajos (INSERM/IRIS), Pascal Barbier (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Lucie Bargel
(Univ. Côte d’Azur/ERMES), Christian Baudelot (émérite ENS/CMH), Pierre-Yves Baudot (Univ. Paris-Dauphine/IRISSO), Aude Béliard (Univ. de Paris/Cermes3), Marlène Benquet (CNRS/IRISSO), Hourya Bentouhami (Univ. Toulouse 2/ERRAPHIS), Céline Béraud (EHESS/CéSor), Laure Bereni (CNRS/CMH), Sophie Bernard (Univ. Paris- Dauphine/IRISSO), Yasmine Berriane (CNRS/CMH), Céline Bessière (Univ. Paris-Dau- phine/IRISSO), Marc Bessin (CNRS/IRIS), Emilie Biland (Sciences Po/CSO), Laetitia Bis- carrat (Univ. Côte d’Azur/LIRCES), Michel Bozon (INED/IRIS), Hélène Bretin (Univ. Paris 13/IRIS), Carole Brugeilles (Univ. Paris Nanterre/CRESPPA), Coline Cardi (Univ. Paris 8, CRESPPA), Sylvie Chaperon (Univ. Toulouse 2/FRAMESPA), Marion Charpenel (Univ. Rouen Normandie/DySoLab), Sébastien Chauvin (Univ. Lausanne/CEG), Isabelle Clair (CNRS/IRIS), Stéphanie Condon (INED), Christel Coton (Univ. Paris 1 Panthéon-Sor- bonne/CESSP), Baptiste Coulmont (Univ. Paris 8/CRESPPA), Thérèse Courau (Univ. Tou- louse 3/IPEAT), Martine Court (Univ. Clermont Auvergne/LAPSCO/Centre Max Weber), Caroline Datchary (Univ. Toulouse 2/ LISST), Alice Debauche (Univ. de Strasbourg/SAGE), Pauline Delage (CNRS/CRESPPA), Magali Della Sudda (CNRS/Centre Émile Durkheim), Benjamin Derbez (Univ. de Bretagne Occidentale/LabERS), Virginie Descoutures (Univ. Picardie/CURAPP-ESS), Christine Detrez (ENS Lyon/Centre Max We- ber), Anne-Marie Devreux (CNRS/CRESPPA), Lucia Direnberger (CNRS/CMH), Anne-Cécile Douillet (Univ. de Lille/CERAPS), Delphine Dulong (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Dorothée Dussy (CNRS/Centre Norbert Elias), Virginie Dutoya (CNRS/CEIAS), Jean-Sébastien Eideliman (Univ. de Paris/CERLIS), Eléonora Elguezabal (INRA/CESAER), Arnaud Esquerre (CNRS/IRIS), Didier Fassin (Institute for Advanced Study/Collège de France), Eric Fassin (Univ. Paris 8/LEGS), Fanny Gallot (Univ. Paris- Est-Créteil/CRHEC), Jérôme Gautié (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CET), Vincent Gay (Univ. Paris Diderot/LCSP), Marie-Laure Geoffray (Univ. Sorbonne Nouvelle/IHEAL- CREDA), Violaine Girard (Univ. Rouen Normandie/DySoLab), Colin Giraud (Univ. Paris Nanterre/CRESPPA), Isabelle Gouarné (CNRS/CURAPP-ESS), Sarah Carton de Grammont (Univ. Nanterre/LESC), Karima Guenfoud (Univ. Paris 13/IRIS), Stéphanie Guyon (Univ. Picardie/CURAPP-ESS), Rémi Habouzit (Univ. Paris 13/IDPS), Christine Hamelin (Univ. Versailles-St-Quentin/Printemps), Karim Hammou (CNRS/CRESPPA), Jean-Pascal Higelé (Univ. de Lorraine, 2L2S), Alban Jacquemart (Univ. Paris-Dauphine/IRISSO), Florence Jamay (Univ. Picardie/CURAPP-ESS), Julie Jarty (Univ. Toulouse 2/CERTOP), Solenne Jouanneau (Univ. de Strasbourg/SAGE), Romain Juston Morival (Univ. Rouen Nor- mandie/DySoLab-IRIHS), Danièle Kergoat (CNRS/CRESPPA), Rose-Marie Lagrave (EHESS/IRIS), Anne Lambert (INED/CMH), Nathalie Lapeyre (Univ. Toulouse 2/CER- TOP), Sylvain Laurens (EHESS/CMH), Bleuwen Lechaux (Univ. Rennes 2/ARENES), Cécile Lefèvre (Univ. de Paris/ CERLIS), Elise Lemercier (Univ. Rouen Normandie/DySolab), Éléonore Lépinard (Univ. de Lausanne/CEG), Amélie Le Renard (CNRS/CMH), Sandrine Lévêque (Univ. Lumière Lyon 2/TRIANGLE), Marylène Lieber (Université de Genève/IEG), Wilfried Lignier CNRS/CESSP), Léa Lima (CNAM/ LISE), Pascal Marichalar (CNRS/IRIS), Audrey Mariette (Univ. Paris 8/CRESPPA), Catherine Marry (CNRS/CMH), Elise Marsicano (Univ. de Strasbourg/SAGE), Olivier Martin (Univ. de Paris/CERLIS), Camille Masclet (CNRS/CESSP), Frédérique Matonti (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Dominique Méda (Univ. Paris-Dauphine/IRISSO), Pierre Mercklé (Univ. de Grenoble Alpes/Pacte), Muriel Mille (Univ. Versailles-St-Quentin/Prin- temps), Hasnia-Sonia Missaoui (Univ. Toulouse 2/LISST), Lamia Missaoui (Univ. Ver- sailles-St-Quentin/Printemps), Stéphanie Mulot (Univ. Toulouse 2/CERTOP), Michel Naepels (EHESS/CEMS), Delphine Naudier (CNRS/CRESPPA), Hélène Nicolas (Univ. Paris 8/ LEGS), Alexandra Oeser (Univ. Paris Nanterre/ISP), Anne Paillet (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Elise Palomares (Univ. Rouen Normandie, DySolab), Paul Pasquali (CNRS/CURAPP-ESS), Bibia Pavard (Univ. Paris 2/CARISM), Ana Perrin-Heredia (CNRS/CURAPP-ESS), Laure Pitti (Univ. Paris 8/CRESPPA), Clyde Plumauzille
(CNRS/Centre Roland Mousnier), Sophie Pochic (CNRS/CMH), Edmond Préteceille (émérite CNRS, OSC), Wilfried Rault (INED), Gianfranco Rebucini (CNRS/IIAC), Juliette Rennes (EHESS/CEMS), Olivier Roueff (CNRS/CRESPPA), Marie Saiget (Univ. Lille/CERAPS), Olivia Samuel (Univ. Versailles-St-Quentin/Printemps), François Sarfati (Univ. Evry/Centre Pierre Naville), Regis Schlagdenhauffen (EHESS, IRIS), Gabrielle Schütz (Univ. Versailles-St-Quentin/Printemps), Yohan Selponi (Univ. Paris 1 Panthéon-Sor- bonne/CESSP), Delphine Serre (Univ. de Paris/CERLIS), Yasmine Siblot (Univ. Paris 8/CRESPPA), Patrick Simon (INED/Centre d’études européennes), Maud Simonet (CNRS/IDHES), Sabrina Sinigaglia-Amadio (Univ. de Lorraine, 2L2S), Paul Sorrentino (EHESS/CASE), Hélène Steinmetz (Univ. du Havre/IDEES), Stéphanie Tawa Lama-Rewal (CNRS/CEIAS), Albena Tcholakova (Univ. de Lorraine/2L2S), Françoise Thébaud (émérite Univ. Avignon/IEG Genève), Marion Tillous (Univ. Paris 8/LEGS), Sylvie Tissot (Univ. Paris 8/CRESPPA), Mathieu Trachman (INED/IRIS), Benoît Trépied (CNRS/IRIS), Ingrid Volery (Univ. de Lorraine/2L2S), Florian Vörös (Univ. de Lille/GERIICO), Anne-Catherine Wagner (Univ. Paris 1 Panthéon-Sorbonne/CESSP), Karel Yon (CNRS/IDHES), Michelle Zancarini-Fournel (émérite Univ. Lyon 1/LAHRA).