• Terricide de Moira Millan : le combat du peuple mapuche
    Marguerite Catton| 31 mai 2025 | France Culture
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-le-samedi/terricide-de-moira-millan-le-combat-du-peuple-mapuche-8997110

    Moira Millan est militante mapuche, militante des peuples indigènes et de l’environnement et publie un essai autant biographique que politique intitulé « Terricide, sagesse ancestrale pour un monde alterNATIF », aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque. Elle est l’invitée de Marguerite Catton.
    Avec

    Moira Millán, écrivaine et militante mapuche argentine

    #Terricide #Mapuche

    • Terricide. Sagesse ancestrale pour un monde alterNATIF

      Moira Millán dénonce le Terricide : l’extermination de toute forme de vie et de transmission.
      Moira Millán, militante indigène mapuche d’Argentine, a vu ses terres pillées et son peuple violenté par les gouvernements chilien et argentin. Dans ce manifeste, elle écrit sur le Terricide, concept qu’elle a inventé et qui va au-delà de l’écocide puisqu’il inclut non seulement la destruction de la terre, mais également celle de tous les êtres vivants ainsi que toute possibilité de transmission des cultures autochtones. Leader du Mouvement des Femmes et des Diversités Indigènes pour le Bien Vivre, elle propose une pensée décoloniale d’avenir menant à la solidarité et à l’autonomie pour les peuples opprimés. S’appuyant sur sa propre expérience ainsi que sur des témoignages recueillis au long de ses voyages, l’autrice décrit la lutte et les revendications des communautés telluriques, mais aussi leurs traditions, en lien étroit avec la spiritualité et l’attachement à la terre.
      Dans cet essai poignant, Moira Millán nous invite à une révolution de la pensée ainsi que de nos modèles sociaux, économiques et politiques, promouvant une nouvelle ontologie de l’humain fondée sur d’autres manières d’habiter la terre.

      https://www.desfemmes.fr/essai/terricide

      #Moira_Millan #peuples_autochtones #livre

    • Une autre émission récente de France Culture, littéraire celle-ci, sur la forêt Lacandone et le site de Bonampak.
      Mexique : de l‘exploration au pillage, avec Laetitia Bianchi
      https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/mexique-de-l-exploration-au-pillage-avec-laetitia-bianchi-1029560

      Dans son récit en forme d’enquête, notre invitée Laetitia Bianchi remonte le fil de l’histoire du site maya de Bonampak, au Mexique, célèbre pour ses fresques. Elle y examine la disparition progressive de la culture maya et la dévastation de la forêt par des explorateurs devenus exploitants.

      « Un Lacandon aux longs cheveux noirs, debout sur sa pirogue, vêtu d’une tunique blanche, creusant la transparence émeraude de la rivière d’une pagaie en bois. MÉXICO AUTÉNTICO. BONAMPAK. CHIAPAS. C’est peut-être le jour où j’ai vu, à l’aéroport de Mexico, sur un écran géant, cette publicité pour une agence de voyages, ce fantasme pour touriste en quête de bons sauvages, que ce livre est né. Un Lacandon ! Bonampak ! Authentique ! Vrai de vrai, à portée de main ! À portée de notre monde, à portée de nos yeux, là, pour nous, pour vous ! Et à ces visiteurs d’un jour qui achèteraient un petit jaguar en bois, il n’était donné qu’une image. Il n’était donné que le mensonge. »

    • Mexique : un défenseur des peuples indigènes à la tête de la Cour suprême
      https://www.leshumanites-media.com/post/mexique-un-défenseur-des-peuples-indigènes-à-la-tête-de-la-cour-

      Le prochain président de la Cour suprême (la plus haute instance judiciaire au #Mexique) sera Hugo Aguilar Ortiz (photo en tête d’article). Avocat d’origine mixteque, né en 1973 dans la région de #Oaxaca, il s’est distingué comme défenseur des droits des peuples autochtones : ancien avocat de l’Armée zapatiste de libération nationale (#EZLN), il a représenté plus de 25 communautés indigènes dans des litiges fonciers et politiques entre 1996 et 2010, obtenant des précédents importants devant les tribunaux locaux et fédéraux. Il a occupé le poste de coordinateur national des droits des peuples indigènes à l’Institut National des Peuples Indigènes (INPI), et a également travaillé comme consultant pour le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

      #Amérique_latine

  • Le #peuple qui compte
    https://laviedesidees.fr/Le-peuple-qui-compte

    Quelle forme de rationalité singulière identifier derrière la réforme de Clisthène qui marque pour beaucoup l’acte de naissance de la #démocratie grecque ? Quels dispositifs sociaux, quelles expériences citoyennes, quels savoirs vernaculaires ont permis cette nouvelle organisation politique ?

    #Philosophie #Histoire #Grèce_antique
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20250529_peuplequicompte-2.pdf

  • Après l’épisode de la guerre de Sécession, nous revenons aux États-Unis pour aborder la conquête du territoire américain et ses conséquences sur les #tribus_indiennes. Le corpus de cartographies et de documents concerne avant tout le niveau terminale. Il permet d’aborder les thèmes de la #guerre et de la paix mais aussi les #mémoires tout comme les enjeux patrimoniaux. Une sélection de documents est proposée en fin d’article pour permettre de construire un travail.

    https://www.cartolycee.net/spip.php?article291

  • How To Erase a People

    They did it to Native Americans, to Palestinians like my family in 1948, and now Trump wants to do it again in Gaza. It’s called ’forcible transfer,’ and it kills something much greater than any individual life.

    https://www.youtube.com/watch?v=IcVR3qwdkgM


    #peuples_autochtones #effacement #génocide #transferts_de_population #vidéo #Gaza #Trump #perte #Palestine #forêt #nakba #kibbutz #Kibboutz #destruction #Tlingit #langue #archipel_Alexandre #USA #Etats-Unis #saumon #Lakota #bisons #cherokee #irrigation #agriculture #Lakhota #nature #wilderness #histoire #Oklahoma #auto-suffisance #dépendance #enfants #assimilation #culture #expulsion #terre #fruits #légumes #oliviers #arbres #Israël #nettoyage_ethnique #réfugiés_palestiniens #camps_de_réfugiés #Liban #histoire_familiale #graines #semences #Cisjordanie #colonisation #écocide #pins #autochtonie
    ping @reka

    –—

    La réalisatrice fait référence à ce tableau intitulé « The immigrant » de #Sliman_Mansour :


    https://zawyeh.store/product-category/limited/sliman-mansour
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Sliman_Mansour

    #Piste_des_larmes (#trail_of_tears) :

    La Piste des larmes (en cherokee : Nunna daul Isunyi, « La piste où ils ont pleuré » ; en anglais : Trail of Tears) est le nom donné au #déplacement_forcé de plusieurs peuples natif américains par les États-Unis entre 1831 et 1838. Ces populations s’établissent à l’ouest du #Mississippi et leurs anciennes terres sont remises à des colons américains, en application de l’#Indian_Removal_Act, #loi proposée et signée par le président #Andrew_Jackson. Les Cherokees sont alors le plus important groupe autochtone de la zone impliquée.


    https://fr.wikipedia.org/wiki/Piste_des_larmes

    #Bruce_King :


    https://brucekingartist.weebly.com/smaller-paintings.html
    #art

    via @freakonometrics

  • New Zealand’s Mount #Taranaki is now legally a person

    The designation recognizes the mountain as a sacred ancestor of the Māori and relinquishes government ownership.

    #Mount_Taranaki, a towering 8,261-foot stratovolcano popular among skiers and snowboarders, was recognized as a legal person in New Zealand on Thursday.

    Known by its #Māori name #Taranaki_Maunga, the mountain is the latest natural feature in the country to be granted the rights, powers, duties, responsibilities and liabilities of a person.

    The government has effectively ceased ownership of the mountain, which the indigenous Māori people consider among their ancestors.

    Its legal name is #Te_Kāhui_Tupua, and is viewed by the law as “a living and indivisible whole.” It includes Taranaki and its surrounding peaks and land, “incorporating all their physical and metaphysical elements.”

    Now, members from the local Māori iwi, or tribe, and government officials will work together to manage it. The mountain will also no longer be called by its colonial name, #Mount_Egmont.

    New Zealand became the first country in the world to grant living rights to natural features in 2014 when it recognized the personhood of #Te_Urewera sacred forest in North Island, with guardianship handed to the #Tūhoe tribe.

    Then in 2017, the #Whanganui river was deemed human and turned over to the care of its local #iwi.

    The #Taranaki_Maunga_Collective_Redress_Bill passed Thursday also acknowledges the injustices and land confiscations against the Māori in the Taranaki region.

    “The mountain has long been an honored ancestor, a source of physical, cultural and spiritual sustenance and a final resting place,” Paul Goldsmith, a government official involved in the negotiations, told Parliament in a speech on Thursday.

    New Zealand’s colonizers first took the name, then the mountain itself, which the bills states was in breach of a treaty the Crown signed with Māori representatives.

    “The Crown failed to create most of the reserves it had promised,” the bill reads. “After further protest by Māori in Taranaki, the Crown eventually returned some reserves, but refused to include most of the mountains in those reserves, instead proclaiming them as a forest reserve, and later a national park.”

    The legal rights provided to the mountain are meant to be used for its preservation and the protection of its wildlife, and public access will continue.

    “I look forward very much to visiting Taranaki to deliver the Crown apology in the near future,” Goldsmith said.

    https://www.nbcnews.com/news/world/new-zealand-mount-taranaki-legal-person-rcna190124
    #personne_légale #Nouvelle_Zélande #peuples_autochtones #maoris #toponymie #montagne #droits #loi #rivière #forêt #protection

    • New Zealand mountain gets same legal rights as a person

      A settlement under which a New Zealand mountain has been granted the same legal right as a person has become law after years of negotiations.

      It means Taranaki Maunga [Mt Taranaki] will effectively own itself, with representatives of the local tribes, iwi, and government working together to manage it.

      The agreement aims to compensate Māori from the Taranaki region for injustices done to them during colonisation - including widespread land confiscation.

      “We must acknowledge the hurt that has been caused by past wrongs, so we can look to the future to support iwi to realise their own aspirations and opportunities,” Paul Goldsmith, the government minister responsible for the negotiations, said.

      The Taranaki Maunga Collective Redress Bill was passed into law by New Zealand’s parliament on Thursday - giving the mountain a legal name and protecting its surrounding peaks and land.

      It also recognises the Māori worldview that natural features, including mountains, are ancestors and living beings.

      “Today, Taranaki, our maunga [mountain], our maunga tupuna [ancestral mountain], is released from the shackles, the shackles of injustice, of ignorance, of hate,” said Debbie Ngarewa-Packer, co-leader of political party Te Pāti Māori [the Māori Party].

      Ngarewa-Packer is among one of the eight Taranaki iwi, on New Zealand’s west coast, to whom the mountain is sacred.

      Hundreds of other Māori from the area also turned up at parliament on Thursday to see the bill become law.

      The mountain will no longer be officially known as Egmont - the named given to it by British explorer James Cook in the 18th Century - and instead be called Taranaki Maunga, while the surrounding national park will also be given its Māori name.

      Aisha Campbell, who is also from a Taranaki iwi, told 1News that it was important for her to be at the event, and that the mountain “is what connects us and what binds us together as a people”.

      The Taranaki Maunga settlement is the latest that has been reached with Māori in an attempt to provide compensation for breaches of the Treaty of Waitangi - which established New Zealand as a country and granted indigenous people certain rights to their land and resources.

      The settlement also came with an apology from the government for the confiscation of Mt Taranaki and more than a million acres of land from local Māori in the 1860s.

      Paul Goldsmith acknowledged that the “breaches of the Treaty mean that immense and compounding harm have been inflicted upon the whānau [wider family], hapū [sub-tribe] and iwi of Taranaki, causing immeasurable harm over many decades”.

      He added that it had been agreed that access to the mountain would not change and that “all New Zealanders will be able to continue to visit and enjoy this most magnificent place for generations to come”.

      The mountain is not the first of New Zealand’s natural feature’s to be granted legal personhood.

      In 2014, the Urewera native forest became the first to gain such status, followed by the Whanganui River in 2017.

      https://www.bbc.com/news/articles/czep8gg5lx4o

  • Premier concerné, premiers concernés – Jeremy Roussay
    https://tsedek.fr/2024/12/16/premier-concerne-premiers-concernes

    Pour tenter de se dépêtrer de cette confusion fiévreuse, la fausse conscience juive affirme que si la Shoah a pu se produire, c’est parce que les Juifs n’avaient pas de pays comme les autres, et non parce qu’elle est le fruit d’une racialisation absolue des rapports sociaux occidentaux soutenue par un capitalisme bien en forme. La solution sioniste s’inscrit dans le prolongement de cette racialisation plutôt qu’elle ne témoigne d’une volonté de s’en émanciper. Elle s’ancre dans un récit identitaire essentialiste en se référant – et se réduisant – à une appartenance millénaire et immuable à une terre. La fausse conscience juive ne prête d’historicité au #peuple_juif que pour mieux affirmer qu’il est resté identique à lui-même. Le peuple juif est celui d’il y a 70 ans qui est celui d’il y a 200 ans qui est celui d’il y a 3000 ans. Il n’y a plus d’Histoire. Ni d’alternative.

    #Juifs #sionisme

    • C’est la quatrième fois que j’essaye de lire l’article, je me force mais n’arrive pas à suivre ce qu’il explique . Je suis dépitée.

  • "Excluding Indians" : Trump admin questions Native Americans’ birthright citizenship in court

    « Exclure les Indiens » : l’administration Trump remet en question le droit de citoyenneté par naissance des Amérindiens devant la justice

    https://www.msn.com/en-us/politics/government/excluding-indians-trump-admin-questions-native-americans-birthright-citizenship-in-court/ar-AA1xJKcs

    On lit ça et on croit à un gros fake. On vérifie, et puis non, c’est la réalité. Peu de chance que le truc passe, toutefois, le juge a dit qu’en quarante ans de pratique il n’avait jamais vu une ordonnance exécutive aussi inconstittionnelle. Mais sait-on jamais. Comme si il n’avait rien d’autres de mieux à foutre.

    Dans les arguments de l’administration Trump pour défendre son ordre suspendant la citoyenneté par naissance, le Département de la Justice remet en question la citoyenneté des Amérindiens nés aux États-Unis, en citant une loi du XIXe siècle qui excluait les Amérindiens de la citoyenneté par naissance.

    Dans une affaire concernant l’ordonnance exécutive de Trump sur la citoyenneté par naissance, émanant de Washington, les avocats du Département de la Justice citent le 14e amendement, qui stipule que « Toutes les personnes nées ou naturalisées aux États-Unis, et soumises à leur juridiction, sont citoyennes des États-Unis et de l’État où elles résident », et fondent l’un de leurs arguments sur la phrase « soumises à leur juridiction ».

    L’administration Trump soutient ensuite que la formulation du 14e amendement — la phrase « soumises à leur juridiction » — doit être interprétée « pour exclure les mêmes individus qui étaient exclus par la loi, c’est-à-dire ceux qui sont ‘soumis à toute puissance étrangère’ et ‘les Indiens non taxés’ ».

    Les avocats du Département de la Justice reviennent sur la question de savoir si les Amérindiens devraient ou non avoir droit à la citoyenneté par naissance plus loin dans leurs arguments, citant un arrêt de la Cour suprême, Elk v. Wilkins, dans lequel la cour a statué que « parce que les membres des tribus indiennes doivent ‘une allégeance immédiate’ à leurs tribus, ils ne sont pas ‘soumis à la juridiction’ des États-Unis et ne sont donc pas constitutionnellement en droit d’obtenir la citoyenneté. »

    « La relation des États-Unis avec les enfants d’immigrants illégaux et de visiteurs temporaires est plus faible que celle qu’ils entretiennent avec les membres des tribus indiennes. Si ce dernier lien est insuffisant pour la citoyenneté par naissance, le premier l’est certainement », a argumenté l’administration Trump.

    Cet argument marque un net changement par rapport à l’opinion gouvernementale, qui considère que les Amérindiens citoyens de leurs tribus respectives sont également citoyens des États-Unis.

    « Selon les termes clairs de la Clause, le fait de naître aux États-Unis ne confère pas en soi la citoyenneté. La personne doit également être ‘soumise à la juridiction’ des États-Unis » , indique le dossier.

    Le Département de la Justice cite ensuite la Civil Rights Act de 1866, qui précède de deux ans le 14e amendement. Les avocats du Département de la Justice citent spécifiquement une section de cette loi qui précise que « toutes les personnes nées aux États-Unis et non soumises à toute puissance étrangère, à l’exception des Indiens non taxés, sont déclarées citoyennes des États-Unis ».

    #premières_nations
    #peuples_autochtones
    #discriminations
    #Trump_décadence
    #Trump_fasciste

  • #Argentine : #Expulsion des #Mapuches dans le #parc_national #Los_Alerces

    Dans la matinée du jeudi 9 janvier, une expulsion d’une communauté mapuche a commencé à #Chubut. Le juge fédéral d’Esquel, #Guido_Otranto, a autorisé les forces de police à mener cette opération. La communauté mapuche #Paillako, occupe les terres depuis 2020, le gouvernement national a décidé de ne pas prolonger la loi N.º 26.160 sur l’#urgence_territoriale_indigène qui suspendait l’exécution des expulsions dans les territoires réclamés par certains groupes. Cette décision, leur donne le pouvoir d’agir en défense de la propriété privée et de l’ordre juridique sur tout le territoire national.


    https://secoursrouge.org/argentine-expulsion-des-mapuches-dans-le-parc-national-los-alerces
    #peuples_autochtones

  • #Pierre_Gaussens, sociologue : « Les #études_décoloniales réduisent l’Occident à un ectoplasme destructeur »

    Le chercheur détaille, dans un entretien au « Monde », les raisons qui l’ont conduit à réunir, dans un livre collectif, des auteurs latino-américains de gauche qui critiquent les #fondements_théoriques des études décoloniales.

    S’il passe son année en France comme résident à l’Institut d’études avancées de Paris, Pierre Gaussens évolue comme sociologue au Collège du Mexique, à Mexico, établissement d’enseignement supérieur et de recherche en sciences humaines. C’est d’Amérique latine qu’il a piloté, avec sa collègue #Gaya_Makaran, l’ouvrage Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle (L’Echappée, 256 pages, 19 euros), regroupant des auteurs anticoloniaux mais critiques des études décoloniales et de leur « #stratégie_de_rupture ».

    Que désignent exactement les études décoloniales, devenues un courant très controversé ?

    Les études décoloniales ont été impulsées par le groupe Modernité/Colonialité, un réseau interdisciplinaire constitué au début des années 2000 par des intellectuels latino-américains, essentiellement basés aux Etats-Unis. Il comptait, parmi ses animateurs les plus connus, le sociologue péruvien #Anibal_Quijano (1928-2018), le sémiologue argentin #Walter_Mignolo, l’anthropologue américano-colombien #Arturo_Escobar, ou encore le philosophe mexicain d’origine argentine #Enrique_Dussel (1934-2023). Les études décoloniales sont plurielles, mais s’articulent autour d’un dénominateur commun faisant de 1492 une date charnière de l’histoire. L’arrivée en Amérique de Christophe Colomb, inaugurant la #colonisation_européenne, aurait marqué l’entrée dans un schéma de #pouvoir perdurant jusqu’à aujourd’hui. Ce schéma est saisi par le concept central de « #colonialité », axe de #domination d’ordre racial qui aurait imprégné toutes les sphères – le pouvoir, le #savoir, le #genre, la #culture.

    Sa substance est définie par l’autre concept phare des études décoloniales, l’#eurocentrisme, désignant l’hégémonie destructrice qu’aurait exercée la pensée occidentale, annihilant le savoir, la culture et la mythologie des peuples dominés. Le courant décolonial se fonde sur ce diagnostic d’ordre intellectuel, mais en revendiquant dès le début une ambition politique : ce groupe cherchait à se positionner comme une avant-garde en vue d’influencer les mouvements sociaux et les gouvernements de gauche latino-américains. Il est ainsi né en critiquant les #études_postcoloniales, fondées dans les années 1980 en Inde avant d’essaimer aux Etats-Unis. Les décoloniaux vont leur reprocher de se cantonner à une critique « scolastique », centrée sur des études littéraires et philosophiques, et dépourvue de visée politique.

    Pourquoi avoir élaboré cet ouvrage collectif visant à critiquer la « #raison_décoloniale » ?

    Ce projet venait d’un double ras-le-bol, partagé avec ma collègue Gaya Makaran, de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Nous étions d’abord agacés par les faiblesses théoriques des études décoloniales, dont les travaux sont entachés de #simplisme et de #concepts_bancals enrobés dans un #jargon pompeux et se caractérisant par l’#ignorance, feinte ou volontaire, de tous les travaux antérieurs en vue d’alimenter une stratégie de #rupture. Celle-ci a fonctionné, car la multiplication des publications, des revues et des séminaires a permis au mouvement de gagner en succès dans le champ universitaire. Ce mouvement anti-impérialiste a paradoxalement profité du fait d’être basé dans des universités américaines pour acquérir une position de force dans le champ académique.

    La seconde raison tenait à notre malaise face aux effets des théories décoloniales. Que ce soient nos étudiants, les organisations sociales comme les personnes indigènes rencontrées sur nos terrains d’enquête, nous constations que l’appropriation de ces pensées menait à la montée d’un #essentialisme fondé sur une approche mystifiée de l’#identité, ainsi qu’à des #dérives_racistes. Il nous semblait donc crucial de proposer une critique d’ordre théorique, latino-américaine et formulée depuis une perspective anticolonialiste. Car nous partageons avec les décoloniaux le diagnostic d’une continuité du fait colonial par-delà les #décolonisations, et le constat que cette grille de lecture demeure pertinente pour saisir la reproduction des #dominations actuelles. Notre ouvrage, paru initialement au Mexique en 2020 [Piel Blanca, Mascaras Negras. Critica de la Razon Decolonial, UNAM], présente donc un débat interne à la gauche intellectuelle latino-américaine, qui contraste avec le manichéisme du débat français, où la critique est monopolisée par une droite « #antiwoke ».

    Le cœur de votre critique se déploie justement autour de l’accusation d’« essentialisme ». Pourquoi ce trait vous pose-t-il problème ?

    En fétichisant la date de #1492, les études décoloniales procèdent à une rupture fondamentale qui conduit à un manichéisme et une réification d’ordre ethnique. L’Occident, porteur d’une modernité intrinsèquement toxique, devient un ectoplasme destructeur. Cette #satanisation produit, en miroir, une #idéalisation des #peuples_indigènes, des #cosmologies_traditionnelles et des temps préhispaniques. Une telle lecture crée un « #orientalisme_à_rebours », pour reprendre la formule de l’historien #Michel_Cahen [qui vient de publier Colonialité. Plaidoyer pour la précision d’un concept, Karthala, 232 pages, 24 euros], avec un #mythe stérile et mensonger du #paradis_perdu.

    Or, il s’agit à nos yeux de penser l’#hybridation et le #métissage possibles, en réfléchissant de façon #dialectique. Car la #modernité a aussi produit des pensées critiques et émancipatrices, comme le #marxisme, tandis que les coutumes indigènes comportent également des #oppressions, notamment patriarcales. Cette #focalisation_ethnique empêche de penser des #rapports_de_domination pluriels : il existe une #bourgeoisie_indigène comme un #prolétariat_blanc. Cette essentialisation suscite, en outre, un danger d’ordre politique, le « #campisme », faisant de toute puissance s’opposant à l’Occident une force par #essence_décoloniale. La guerre menée par la Russie en Ukraine montre à elle seule les limites d’une telle position.

    En quoi le positionnement théorique décolonial vous semble-t-il gênant ?

    La stratégie de rupture du mouvement conduit à plusieurs écueils problématiques, dont le principal tient au rapport avec sa tradition théorique. Il procède à des récupérations malhonnêtes, comme celle de #Frantz_Fanon (1925-1961). Les décoloniaux plaquent leur grille de lecture sur ce dernier, gommant la portée universaliste de sa pensée, qui l’oppose clairement à leur geste critique. Certains se sont rebellés contre cette appropriation, telle la sociologue bolivienne #Silvia_Rivera_Cusicanqui, qui a accusé Walter Mignolo d’avoir détourné sa pensée.

    Sur le plan conceptuel, nous critiquons le galimatias linguistique destiné à camoufler l’absence de nouveauté de certains concepts – comme la « colonialité », qui recoupe largement le « #colonialisme_interne » développé à la fin du XXe siècle – et, surtout, leur faiblesse. Au prétexte de fonder un cadre théorique non eurocentrique, les décoloniaux ont créé un #jargon en multipliant les notions obscures, comme « #pluriversalisme_transmoderne » ou « #différence_transontologique », qui sont d’abord là pour simuler une #rupture_épistémique.

    Votre critique s’en prend d’ailleurs à la méthode des études décoloniales…

    Les études décoloniales ne reposent sur aucune méthode : il n’y a pas de travail de terrain, hormis chez Arturo Escobar, et très peu de travail d’archives. Elles se contentent de synthèses critiques de textes littéraires et théoriques, discutant en particulier des philosophes comme Marx et Descartes, en s’enfermant dans un commentaire déconnecté du réel. Il est d’ailleurs significatif qu’aucune grande figure du mouvement ne parle de langue indigène. Alors qu’il est fondé sur la promotion de l’#altérité, ce courant ne juge pas nécessaire de connaître ceux qu’il défend.

    En réalité, les décoloniaux exploitent surtout un #misérabilisme en prétendant « penser depuis les frontières », selon le concept de Walter Mignolo. Ce credo justifie un rejet des bases méthodologiques, qui seraient l’apanage de la colonialité, tout en évacuant les critiques à son égard, puisqu’elles seraient formulées depuis l’eurocentrisme qu’ils pourfendent. Ce procédé conduit à un eurocentrisme tordu, puisque ces auteurs recréent, en l’inversant, le « #privilège_épistémique » dont ils ont fait l’objet de leur critique. Ils ont ainsi construit une bulle destinée à les protéger.

    Sur quelle base appelez-vous à fonder une critique de gauche du colonialisme ?

    En opposition aux penchants identitaires des décoloniaux, nous soutenons le retour à une approche matérialiste et #dialectique. Il s’agit de faire dialoguer la pensée anticoloniale, comme celle de Frantz Fanon, avec l’analyse du #capitalisme pour renouer avec une critique qui imbrique le social, l’économie et le politique, et pas seulement le prisme culturel fétichisé par les décoloniaux. Cette #intersectionnalité permet de saisir comment les pouvoirs néocoloniaux et le capitalisme contemporain reproduisent des phénomènes de #subalternisation des pays du Sud. Dans cette perspective, le #racisme n’est pas un moteur en soi, mais s’insère dans un processus social et économique plus large. Et il s’agit d’un processus historique dynamique, qui s’oppose donc aux essentialismes identitaires par nature figés.

    « Critique de la raison décoloniale » : la dénonciation d’une « #imposture »

    Les études décoloniales constitueraient une « #contre-révolution_intellectuelle ». L’expression, d’ordinaire réservée aux pensées réactionnaires, signale la frontalité de la critique, mais aussi son originalité. Dans un débat français où le label « décolonial » est réduit à un fourre-tout infamant, cet ouvrage collectif venu d’Amérique latine apporte un bol d’air frais. Copiloté par Pierre Gaussens et Gaya Makaran, chercheurs basés au Mexique, Critique de la raison décoloniale (L’Echappée, 256 pages, 19 euros) élève le débat en formulant une critique d’ordre théorique.

    Six textes exigeants, signés par des chercheurs eux-mêmes anticoloniaux, s’attachent à démolir ce courant, qualifié d’« imposture intellectuelle ». Les deux initiateurs du projet ouvrent l’ensemble en ramassant leurs griefs : l’essentialisation des peuples à travers un prisme culturel par des auteurs qui « partagent inconsciemment les prémisses de la théorie du choc des civilisations ». Les quatre contributions suivantes zooment sur des facettes des études décoloniales, en s’attaquant notamment à la philosophie de l’histoire qui sous-tend sa lecture de la modernité, à quelques-uns de ses concepts fondamentaux (« pensée frontalière », « colonialité du pouvoir »…) et à son « #ontologie de l’origine et de la #pureté ». Un dernier texte plus personnel de la chercheuse et activiste Andrea Barriga, ancienne décoloniale fervente, relate sa désillusion croissante à mesure de son approfondissement de la pensée d’Anibal Quijano, qui lui est finalement apparue comme « sans consistance ».

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/24/pierre-gaussens-sociologue-les-etudes-decoloniales-reduisent-l-occident-a-un
    #décolonial

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    • En complément :
      https://lvsl.fr/pourquoi-lextreme-droite-sinteresse-aux-theories-decoloniales

      L’extrême droite veut décoloniser. En France, les intellectuels d’extrême droite ont pris l’habitude de désigner l’Europe comme la victime autochtone d’une « colonisation par les immigrés » orchestrée par les élites « mondialistes ». Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », a même fait l’éloge des grands noms de la littérature anticoloniale – « tous les textes majeurs de la lutte contre la colonisation s’appliquent remarquablement à la France, en particulier ceux de Frantz Fanon » – en affirmant que l’Europe a besoin de son FLN (le Front de Libération Nationale a libéré l’Algérie de l’occupation française, ndlr). Le cas de Renaud Camus n’a rien d’isolé : d’Alain de Benoist à Alexandre Douguine, les figures de l’ethno-nationalisme lisent avec attention les théoriciens décoloniaux. Et ils incorporent leurs thèses, non pour contester le système dominant, mais pour opposer un capitalisme « mondialiste », sans racines et parasitaire, à un capitalisme national, « enraciné » et industriel.

      Article originellement publié dans la New Left Review sous le titre « Sea and Earth », traduit par Alexandra Knez pour LVSL.

    • Les pensées décoloniales d’Amérique latine violemment prises à partie depuis la gauche

      Dans un livre collectif, des universitaires marxistes dénoncent l’« imposture » des études décoloniales, ces théories qui tentent de déconstruire les rapports de domination en Amérique latine. Au risque de la simplification, répondent d’autres spécialistes.

      PourPour une fois, la critique ne vient pas de la droite ou de l’extrême droite, mais de courants d’une gauche marxiste que l’on n’attendait pas forcément à cet endroit. Dans un livre collectif publié en cette fin d’année, Critique de la raison décoloniale (L’échappée), une petite dizaine d’auteur·es livrent une charge virulente à l’égard des études décoloniales, tout à la fois, selon eux, « imposture », « pensée ventriloque », « populisme » et « contre-révolution intellectuelle ».

      Le champ décolonial, surgi dans les années 1990 sur le continent américain autour de penseurs comme Aníbal Quijano (1928-2018), reste confidentiel en France. Ce sociologue péruvien a forgé le concept de « colonialité du pouvoir », qui renvoie aux rapports de domination construits à partir de 1492 et le début des « conquêtes » des Européens aux Amériques. Pour ces intellectuel·les, les vagues d’indépendances et de décolonisations, à partir du XIXe siècle, n’ont pas changé en profondeur ces rapports de domination.

      La première génération des « décoloniaux » sud-américains, autour de Quijano, de l’historien argentino-mexicain Enrique Dussel (1934-2023) et du sémiologue argentin Walter Mignolo (né en 1941), a développé à la fin des années 1990 un programme de recherche intitulé « Modernité/Colonialité/Décolonialité » (M/C/D). Ils ont analysé, souvent depuis des campus états-uniens, la « colonialité », non seulement du « pouvoir », mais aussi des « savoirs » et de « l’être ».

      Pour eux, 1492 est un moment de bascule, qui marque le début de la « modernité » (le système capitaliste, pour le dire vite) et de son revers, la « colonialité » : le système capitaliste et le racisme sont indissociables. Selon ces auteurs, « le socle fondamental de la modernité est le “doute méthodique” jeté sur la pleine humanité des Indiens », doute qui deviendra un « scepticisme misanthrope systématique et durable » jusqu’à aujourd’hui, expliquent Philippe Colin et Lissell Quiroz dans leur ouvrage de synthèse sur les Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine, publié en 2023 (éditions de La Découverte).

      « Au-delà des indéniables effets de mode, la critique décoloniale est devenue l’un des paradigmes théoriques incontournables de notre temps », écrivent encore Colin et Quiroz. Depuis la fin des années 1990, cette manière de critiquer le capitalisme, sans en passer par le marxisme, s’est densifiée et complexifiée. Elle a été reprise dans la grammaire de certains mouvements sociaux, et récupérée aussi de manière rudimentaire par certains gouvernements étiquetés à gauche.

      C’est dans ce contexte qu’intervient la charge des éditions L’échappée, qui consiste dans la traduction de six textes déjà publiés en espagnol (cinq au Mexique en 2020, un autre en Argentine en 2021). Parmi eux, Pierre Gaussens et Gaya Makaran, deux universitaires basé·es à Mexico, l’un Français, l’autre Polonaise, s’en prennent à ces « discours académiques qui veulent parler à la place des subalternes » et dénoncent une « représentation ventriloque des altérités ».

      Préoccupé·es par l’influence grandissante des théories décoloniales dans leur milieu universitaire, Gaussens et Makaran veulent exposer leurs « dangers potentiels ». Dont celui de contribuer à « justifier des pratiques discriminatoires et excluantes, parfois même ouvertement racistes et xénophobes, dans les espaces où celles-ci parviennent à rencontrer un certain écho, surtout à l’intérieur du monde étudiant ».

      Les critiques formulées par ces penseurs d’obédience marxiste sont légion. Ils et elles reprochent une manière de penser l’Europe de manière monolithique, comme un seul bloc coupable de tous les maux – au risque d’invisibiliser des luttes internes au continent européen. Ils contestent la focalisation sur 1492 et jugent anachronique la référence à une pensée raciale dès le XVe siècle.

      De manière plus globale, ils dénoncent un « biais culturaliste », qui accorderait trop de place aux discours et aux imaginaires, et pas assez à l’observation de terrain des inégalités économiques et sociales ou encore à la pensée de la forme de l’État au fil des siècles. « L’attention qu’ils portent aux identités, aux spécificités culturelles et aux “cosmovisions” les conduit à essentialiser et à idéaliser les cultures indigènes et les peuples “non blancs”, dans ce qui en vient à ressembler à une simple inversion de l’ethnocentrisme d’origine européenne », écrit le journaliste Mikaël Faujour dans la préface de l’ouvrage.

      Ils critiquent encore le soutien de certains auteurs, dont Walter Mignolo, à Hugo Chávez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie – ce que certains avaient désigné comme une « alliance bolivarienne-décoloniale », au nom de laquelle ils ont pu soutenir des projets néo-extractivistes sur le sol des Amériques pourtant contraires aux intérêts des populations autochtones.

      Dans une recension enthousiaste qu’il vient de publier dans la revue Esprit, l’anthropologue Jean-Loup Amselle parle d’un livre qui « arrive à point nommé ». Il critique le fait que les décoloniaux ont « figé », à partir de 1492, l’Europe et l’Amérique en deux entités « hypostasiées dans leurs identités respectives ». « Pour les décoloniaux, insiste Amselle, c’est le racisme qui est au fondement de la conquête de l’Amérique, bien davantage que les richesses qu’elle recèle, et c’est le racisme qui façonne depuis la fin du XVe siècle le monde dans lequel on vit. »

      La parole d’Amselle importe d’autant plus ici qu’il est l’un des tout premiers, depuis la France, à avoir critiqué les fondements de la pensée décoloniale. Dans L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes (Seuil, 2008), il consacrait déjà plusieurs pages critiques en particulier de la pensée « culturaliste », essentialiste, de Walter Mignolo lorsque ce dernier pense le « post-occidentalisme ».

      À la lecture de Critique de la raison décoloniale, si les critiques sur les partis pris téléologiques dans certains travaux de Walter Mignolo et Enrique Dussel visent juste, la virulence de la charge interroge tout de même. D’autant qu’elle passe presque totalement sous silence l’existence de critiques plus anciennes, par exemple sur le concept de « colonialité du pouvoir », en Amérique latine.

      Dans une recension publiée dans le journal en ligne En attendant Nadeau, l’universitaire David Castañer résume la faille principale du livre, qui « réside dans l’écart entre ce qu’il annonce – une critique radicale de la théorie décoloniale dans son ensemble – et ce qu’il fait réellement – une lecture du tétramorphe Mignolo, Grosfoguel [sociologue d’origine portoricaine – ndlr], Quijano, Dussel ». Et de préciser : « Or, il y a un grand pas entre critiquer des points précis des pensées de ces quatre auteurs et déboulonner cette entité omniprésente que serait le décolonial. »

      Tout se passe comme si les auteurs de cette Critique passaient sous silence la manière dont ce champ s’est complexifié, et avait intégré ses critiques au fil des décennies. C’est ce que montre l’ouvrage de Colin et Quiroz dont le dernier chapitre est consacré, après les figures tutélaires des années 1990 – les seules qui retiennent l’attention de Gaussens et de ses collègues –, aux « élargissements théoriques et militants ».
      Méta-histoire

      L’exemple le plus saillant est la manière dont des féministes, à commencer par la philosophe argentine María Lugones (1944-2020), vont critiquer les travaux de Quijano, muets sur la question du genre, et proposer le concept de « colonialité du genre », à distance du « féminisme blanc », sans rejeter pour autant ce fameux « tournant décolonial ».

      Idem pour une pensée décoloniale de l’écologie, à travers des chercheurs et chercheuses d’autres générations que celles des fondateurs, comme l’anthropologue colombien Arturo Escobar (qui a critiqué le concept de développement comme une invention culturelle d’origine occidentale, et théorisé le « post-développement ») ou l’Argentine Maristella Svampa, devenue une référence incontournable sur l’économie extractiviste dans le Cône Sud.

      La critique formulée sur la fixation problématique sur 1492 chez les décoloniaux ne convainc pas non plus Capucine Boidin, anthropologue à l’université Sorbonne-Nouvelle, jointe par Mediapart : « Les auteurs décoloniaux font une philosophie de l’histoire. Ils proposent ce que j’appelle un méta-récit. Ce n’est pas de l’histoire. Il n’y a d’ailleurs aucun historien dans le groupe des études décoloniales. Cela n’a pas de sens de confronter une philosophie de l’histoire à des sources historiques : on ne peut qu’en conclure que c’est faux, incomplet ou imprécis. »

      Cette universitaire fut l’une des premières à présenter en France la pensée décoloniale, en invitant Ramón Grosfoguel alors à l’université californienne de Berkeley, dans un séminaire à Paris dès 2007, puis à coordonner un ensemble de textes – restés sans grand écho à l’époque – sur le « tournant décolonial » dès 2009.

      Elle tique aussi sur certaines des objections formulées à l’égard d’universitaires décoloniaux très dépendants des universités états-uniennes, et accusés d’être coupés des cultures autochtones dont ils parlent. À ce sujet, Silvia Rivera Cusicanqui, une sociologue bolivienne de premier plan, connue notamment pour avoir animé un atelier d’histoire orale andine, avait déjà accusé dès 2010 le décolonial Walter Mignolo, alors à l’université états-unienne Duke, d’« extractivisme académique » vis-à-vis de son propre travail mené depuis La Paz.

      « Contrairement à ce que dit Pierre Gaussens, nuance Capucine Boidin, Aníbal Quijano parlait très bien, et chantait même, en quechua. C’était un sociologue totalement en prise avec sa société. Il a d’ailleurs fait toute sa carrière au Pérou, à l’exception de voyages brefs aux États-Unis durant lesquels il a échangé avec [le sociologue états-unien] Immanuel Wallerstein. Pour moi, c’est donc un procès d’intention qui fait fi d’une lecture approfondie et nuancée. »
      L’héritage de Fanon

      Au-delà de ces débats de spécialistes, les auteur·es de Critique de la raison décoloniale s’emparent avec justesse de nombreux penseurs chers à la gauche, de Walter Benjamin à Frantz Fanon, pour mener leur démonstration. Le premier chapitre s’intitule « Peau blanche, masque noire », dans une référence au Peau noire, masques blancs (1952) de l’intellectuel martiniquais. Le coup est rude : il s’agit d’accuser sans détour les décoloniaux d’être des « blancs » qui se disent du côté des peuples autochtones sans l’être.

      Pierre Gaussens et Gaya Makaran insistent sur les critiques formulées par Fanon à l’égard du « courant culturaliste de la négritude », qu’ils reprennent pour en faire la clé de voûte du livre. « Si le colonisé se révolte, ce n’est donc pas pour découvrir une culture propre ou un passé glorieux, ni pour prendre conscience de sa “race”, mais parce que l’oppression socio-économique qu’il subit ne lui permet pas de mener une existence pleine et entière », écrivent-ils.

      Dans l’épilogue de sa biographie intellectuelle de Fanon (La Découverte, 2024), Adam Shatz constate que des critiques de l’antiracisme contemporain, depuis le marxisme notamment, se réclament parfois du Martiniquais. « Ce qui intéressait Fanon n’était pas la libération des Noirs, mais celle des damnés de la Terre », confirme-t-il. Mais Shatz se montre aussi plus prudent, alors que « l’horizon de la société post-raciale [que Fanon appelait de ses vœux – ndlr] s’est considérablement éloigné » par rapport à 1961, année de sa mort à 36 ans à peine.

      À lire Shatz, Fanon menait une critique des pensées binaires telles que certains universalistes et d’autres identitaires la pratiquent. La nature de son œuvre la rend rétive aux récupérations. Il juge aussi que les décoloniaux, et des mouvements comme Black Lives Matter, qui se revendiquent tout autant de Fanon que les marxistes critiques de l’antiracisme, « sont plus fidèles à la colère » du psychiatre martiniquais, avec « leur style d’activisme imprégné d’urgence existentielle ».

      Aussi stimulante soit-elle, la publication de Critique de la raison décoloniale témoigne surtout, en creux, de la trop faible circulation des textes originaux des théories décoloniales en France, et du trop petit nombre de traductions disponibles en français (parmi les exceptions notables, la publication aux PUF en 2023 de Philosophie de la libération, de Dussel, classique de 1977). Le livre des éditions de L’échappée est une entreprise de démontage d’un champ encore peu documenté en France, ce qui donne à sa lecture un abord inconfortable.

      Et ce, même si Mikaël Faujour, collaborateur au Monde diplomatique, qui a traduit une partie des textes du recueil en français, avec l’essayiste partisan de la décroissance Pierre Madelin, insiste, dans une préface périlleuse, sur une clé de lecture française, qui complique encore la réception de l’ouvrage. Le journaliste s’inquiète des « cheminements » de la pensée décoloniale dans l’espace francophone, d’abord via les revues Multitudes et Mouvements, puis à travers le parti des Indigènes de la République (PIR) autour notamment de Houria Bouteldja, jusqu’à déplorer « le rapprochement, à partir de 2019, entre les décoloniaux autour du PIR et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon ».

      La charge n’est pas sans rappeler le débat suscité en 2021 par le texte du sociologue Stéphane Beaud et de l’historien Gérard Noiriel, sur le « tournant identitaire » dans les sciences sociales françaises. Au risque d’ouvrir ici une vaste discussion plus stratégique sur les gauches françaises, qui n’a que peu à voir avec les discussions théoriques posées par les limites des premières vagues de la théorie décoloniale en Amérique latine ?

      Joint par Mediapart, Faujour assure le contraire : « Il n’y a pas d’étanchéité entre les deux espaces [français et latino-américain]. D’ailleurs, le livre [original publié en 2020 au Mexique] contenait un texte critique de Philippe Corcuff sur les Indigènes de la République. Par ailleurs, Bouteldja salue Grosfoguel comme un “frère”. Dussel et Grosfoguel sont venus en France à l’invitation du PIR. Tout l’appareillage lexical et conceptuel, la lecture historiographique d’une modernité débutée en 1492 unissant dans la “colonialité”, modernité, colonialisme et capitalisme, mais aussi la critique de la “blanchité”, entre autres choses, constituent bel et bien un fonds commun. »

      Mais certain·es redoutent bien une confusion dans la réception du texte, dans le débat français. « Pierre Gaussens et Gaya Makaran travaillent depuis le Mexique, avance Capucine Boidin. Je comprends une partie de leur agacement, lorsqu’ils sont face à des étudiants latino-américains, de gauche, qui peuvent faire une lecture simplifiée et idéologique de certains textes décoloniaux. D’autant qu’il peut y avoir une vision essentialiste, romantique et orientaliste des cultures autochtones, dans certains de ces écrits. »

      « Mais en France, poursuit-elle, nous sommes dans une situation très différente, où les études décoloniales sont surtout attaquées sur leur droite. Manifestement, Pierre Gaussens est peu informé des débats français. Ce livre arrive comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec le risque de donner à la droite des arguments de gauche pour critiquer les études décoloniales. »

      https://www.mediapart.fr/journal/international/271224/les-pensees-decoloniales-d-amerique-latine-violemment-prises-partie-depuis

  • #Gaza : l’#ONU déclare #Israël coupable d’#extermination, un #crime_contre_l’humanité

    Ce #rapport récent de l’ONU, véritable bréviaire d’#horreurs qui surpassent les « #atrocités » alléguées du 7 octobre tant en nature qu’en ampleur, malgré les dénégations de certains, accuse Israël d’#extermination_méthodique à Gaza, créant délibérément des conditions de vie visant à entraîner la #destruction du #peuple_palestinien en tant que groupe. Les responsables et médias occidentaux, qui continuent de parler de « #guerre » alors qu’il s’agit d’un #cas_d’école de #génocide, sont complices, œuvrant à invisibiliser le plus grand crime du siècle.

    –-

    Nations Unies

    Assemblée générale
    11 septembre 2024

    Soixante-dix-neuvième session
    Point 71 de l’ordre du jour provisoire (A/79/150)
    Promotion et protection des droits de l’homme

    Rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël

    Source : ONU

    Traduction Alain Marshal

    Note du Secrétaire général

    Le Secrétaire général a l’honneur de transmettre à l’Assemblée générale le rapport de la Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, présenté conformément à la résolution S-30/1 du Conseil des droits de l’homme.

    Résumé

    La Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et Israël, soumet par la présente son troisième rapport à l’Assemblée générale. Le rapport examine le traitement des détenus et des otages ainsi que les attaques contre les installations et le personnel médicaux entre le 7 octobre 2023 et août 2024.

    Note du traducteur

    Dans ce rapport comme dans d’autres, les Palestiniens emprisonnés par les « forces de sécurité israéliennes » sont qualifiés de « détenus », même lorsqu’il s’agit d’arrestations arbitraires voire d’enfants, et les Israéliens capturés par les « groupes armés palestiniens » sont qualifiés d’ « otages », même quand il s’agit de soldats. Ce ne sont là que deux exemples de nombreux biais persistants qui amènent à prendre pour argent comptant la propagande israélienne génocidaire et à recycler ses éléments de langage, voire à renvoyer dos à dos une puissance régionale occupante et un peuple colonisé. Les crimes d’extermination et de génocide étaient flagrants dès la fin 2023, mais il a fallu attendre septembre 2024 pour que l’ONU puisse l’établir, uniquement parce qu’il s’agit d’Israël. Nous protestons contre cette conception dévoyée de « l’équité », omniprésente en Occident, et opposons à la partialité inavouée qui fait la part belle au récit israélien notre parti pris assumé pour les droits du peuple palestinien, qui nous a notamment valu une exclusion de la CGT. Par conséquent, nous ne traduisons pas les sections de ce rapport consacrés aux « crimes » imputés aux Palestiniens (20 paragraphes sur un total de 115), marquées par des ellipses entre crochets et identifiables avec la numérotation des paragraphes. Au sujet de la présence de ces biais jusque dans les rapports de l’ONU, lire Norman Finkelstein : les accusations de crimes sexuels contre le Hamas sont infondées.

    I. Introduction et méthodologie

    1. Dans ce rapport, la Commission résume ses conclusions factuelles et juridiques concernant les attaques menées depuis le 7 octobre 2023 contre des installations et du personnel médicaux, ainsi que le traitement des détenus sous la garde d’Israël et des otages détenus par des groupes armés palestiniens. Il s’agit du deuxième rapport de la Commission sur les attaques survenues à partir du 7 octobre 2023 [1] — [Note du traducteur : nous ne traduisons pas les notes de bas de page, mais laissons leur numéro pour permettre de s’y référer dans le document original].

    2. La Commission a adressé neuf demandes d’informations et d’accès au gouvernement israélien, deux demandes d’informations à l’État de Palestine et une au ministère de la Santé à Gaza. L’État de Palestine et le ministère de la Santé à Gaza ont répondu, tandis qu’aucune réponse n’a été reçue de la part d’Israël.

    3. La Commission a appliqué la même méthodologie et le même niveau de preuve que lors de ses enquêtes précédentes [2]. Elle a consulté de multiples sources d’information, recueilli des milliers de documents en source ouverte et mené des entretiens, à distance comme en personne, avec des victimes et des témoins. Les matériaux en source ouverte ont été collectés conformément aux normes internationales de préservation des contenus en ligne et aux règles d’admissibilité des preuves numériques. Lorsque cela était nécessaire, ces matériaux ont été vérifiés par recoupement avec un large éventail de sources fiables et enrichis par des examens médico-légaux avancés. Ces derniers incluent l’authentification de supports visuels, l’analyse de la géolocalisation et de la chronolocalisation, l’extraction des métadonnées et la reconnaissance faciale.

    II. Cadre juridique applicable

    4. La Commission rappelle que le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et Gaza, ainsi que le Golan syrien occupé, sont actuellement sous occupation belligérante par Israël. Cette situation est régie simultanément par le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme. [3] La Commission constate qu’Israël continue d’occuper Gaza, comme l’a confirmé la Cour internationale de justice en juillet 2024 [4], et qu’il a rétabli sa présence militaire dans la bande de Gaza depuis octobre 2023. [5] En tant que puissance occupante, Israël est tenu de respecter les obligations découlant de la quatrième Convention de Genève, du droit international coutumier et du Règlement de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.

    5. Dans son analyse juridique, la Commission s’est appuyée sur l’avis consultatif de la Cour internationale de justice dans l’affaire Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Dans cet avis, la Cour a conclu que la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé était illégale, en raison de l’exploitation constante de sa position de puissance occupante, de l’annexion et de l’imposition d’un contrôle permanent sur ce territoire, ainsi que du refus persistant de reconnaître le droit du peuple palestinien à l’autodétermination [6]. La Commission exposera ses recommandations sur les modalités de mise en œuvre de cet avis consultatif dans un document de synthèse juridique. Les conclusions de l’enquête présentées dans ce rapport seront également utilisées dans des affaires portées devant la Cour, notamment l’affaire Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).

    Lire à ce sujet la Plaidoirie de l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice : le comportement génocidaire d’Israël à Gaza et les intentions génocidaires d’Israël à Gaza

    III. Constatations factuelles [7]

    A. Attaques contre les installations et le personnel médicaux

    6. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre le 7 octobre 2023 et le 30 juillet 2024, Israël a mené 498 attaques contre des établissements de santé dans la bande de Gaza. Ces attaques ont causé directement la mort de 747 personnes et blessé 969 autres, touchant au total 110 installations [8]. L’OMS rapporte que 78 % des attaques survenues entre le 7 octobre 2023 et le 12 février 2024 ont été effectuées par la force militaire, 35 % ont consisté en des entraves à l’accès, et 9 % en des opérations militarisées de recherche et de détention. Ces attaques étaient généralisées et systématiques, débutant dans le nord de la bande de Gaza (d’octobre à décembre 2023), se poursuivant dans le centre (de décembre 2023 à janvier 2024), le sud (de janvier à mars 2024) et d’autres zones (d’avril à juin 2024). Les forces de sécurité israéliennes ont justifié ces attaques en affirmant que le Hamas utilisait les hôpitaux à des fins militaires, notamment comme centres de commandement et de contrôle.

    7. Les forces de sécurité israéliennes ont mené des frappes aériennes contre des hôpitaux, causant d’importants dégâts aux bâtiments et aux environs, ainsi que de nombreuses victimes. Elles ont encerclé et assiégé les locaux hospitaliers, empêché l’entrée de marchandises et de matériel médical, ainsi que la sortie et l’entrée de civils. Elles ont ordonné des évacuations tout en empêchant des évacuations sécurisées, et ont mené des raids dans les hôpitaux, procédant à l’arrestation de membres du personnel hospitalier et de patients. De plus, elles ont entravé l’accès des agences humanitaires.

    8. D’après le ministère de la Santé à Gaza, 500 membres du personnel médical ont été tués entre le 7 octobre 2023 et le 23 juin 2024 [9]. La Société du Croissant-Rouge palestinien a rapporté que 19 membres de son personnel ou bénévoles avaient été tués depuis le 7 octobre, tandis que de nombreux autres ont été détenus et attaqués. Les membres du personnel médical ont déclaré qu’ils estimaient avoir été intentionnellement pris pour cible.

    9. Des centaines de membres du personnel médical, dont trois directeurs d’hôpitaux et le chef d’un service orthopédique, ainsi que des patients et des journalistes, ont été arrêtés par les forces de sécurité israéliennes dans les hôpitaux Shifa, Nasr et Awdah lors d’offensives. Dans au moins deux cas, des membres du personnel médical de haut rang sont morts en détention israélienne (voir paragraphes 70-72). Au 15 juillet, 128 travailleurs de la santé seraient toujours détenus par les autorités israéliennes, dont quatre membres du personnel de la Société du Croissant-Rouge palestinien.

    10. Au 15 juillet, 113 ambulances avaient été attaquées, et au moins 61 avaient été endommagées [10]. La Commission a documenté des attaques directes visant des convois médicaux opérés par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), les Nations Unies, la Société du Croissant-Rouge palestinien et des organisations non gouvernementales. L’accès a également été entravé par le bouclage de zones par les forces de sécurité israéliennes, des retards dans la coordination des itinéraires sûrs, des postes de contrôle, des fouilles ou la destruction de routes.

    11. La Commission a enquêté sur l’attaque du 29 janvier à Tall al-Hawa visant une famille palestinienne et une ambulance du Croissant-Rouge palestinien appelée à leur secours. La famille comprenait deux adultes et cinq enfants, dont Leyan Hamada, 15 ans, et Hind Rajab, 5 ans. Ils ont été attaqués alors qu’ils tentaient d’évacuer les lieux à bord de leur voiture. L’ambulance, transportant deux ambulanciers, Yousef Zeino et Ahmed al-Madhoun, a été dépêchée après que son itinéraire a été coordonné avec les forces de sécurité israéliennes. Elle a été touchée par un obus de char à environ 50 mètres de la voiture de la famille. Hind était encore en vie au moment de l’envoi de l’ambulance. La présence des forces de sécurité israéliennes dans la zone a empêché l’accès, et les corps des membres de la famille n’ont pu être retirés de leur voiture criblée de balles que 12 jours après l’incident. L’ambulance a été retrouvée détruite à proximité, avec des restes humains à l’intérieur.

    12. Au 15 juillet, sur les 36 hôpitaux de Gaza, 20 étaient totalement hors service, et seuls 16 fonctionnaient encore partiellement [11] avec une surpopulation extrême et une capacité d’accueil réduite à seulement 1 490 lits [12].

    13. Les attaques et la destruction des hôpitaux, combinées à l’ampleur des blessures traumatiques dans la bande de Gaza, ont submergé les installations médicales restantes, provoquant l’effondrement du système de soins de santé. Le siège de Gaza, entraînant notamment une pénurie de carburant et d’électricité, a gravement affecté le fonctionnement des infrastructures médicales et réduit la disponibilité d’équipements vitaux, de fournitures médicales et de médicaments. Cette situation a privé de soins les patients atteints de maladies chroniques, causant des complications et des décès évitables. Les installations ont souffert d’un manque d’eau potable et d’assainissement, de systèmes de communication endommagés ou limités, d’un personnel insuffisant et de l’absence de services de santé publique.

    14. Les hôpitaux ont également servi d’abris pendant les hostilités, entraînant une surpopulation accrue et un risque supplémentaire pour les civils s’y réfugiant lors des attaques. Cette surpopulation a été particulièrement notable dans les hôpitaux Shifa’ et Quds, qui ont respectivement accueilli 50 000 et 12 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays.

    15. Des installations médicales en Cisjordanie ont également été ciblées. L’OMS a recensé 520 attaques contre des établissements de santé entre le 7 octobre 2023 et le 30 juillet 2024, faisant 23 morts et 100 blessés [13] La Société du Croissant-Rouge palestinien a signalé une augmentation des recours à une force excessive, des menaces et du harcèlement visant ses équipes d’ambulanciers. Le 30 janvier, des forces israéliennes déguisées en personnel médical et en femmes palestiniennes civiles ont fait une descente à l’hôpital Ibn Sina de Jénine, tuant intentionnellement trois hommes palestiniens.

    16. Plusieurs installations médicales et personnels soignants en Israël ont été attaqués entre le 7 et le 11 octobre par des groupes armés palestiniens. Le 7 octobre, un ambulancier a été tué par des membres de groupes armés palestiniens alors qu’il prodiguait des soins à des blessés dans une clinique dentaire du kibboutz de Be’eri [14] Par ailleurs, l’hôpital Barzilai à Ashkelon a été visé par deux attaques à la roquette, l’une survenue le 8 octobre et l’autre le 11 octobre. Selon des sources israéliennes, 17 ambulances ont été endommagées à divers endroits [15] Plusieurs sources rapportent qu’une ambulance présente au festival Nova le 7 octobre a été prise pour cible par des groupes armés palestiniens, entraînant la mort des 18 personnes qui s’étaient réfugiées à l’intérieur [16] Dans au moins un cas documenté par la Commission, le 7 octobre, une ambulance israélienne a transporté du personnel des forces de sécurité israéliennes. [Note du traducteur : ce paragraphe semble ignorer le fait que les roquettes, dépourvues de système de guidage contrairement aux missiles, ne sauraient être utilisées contre des cibles précises, et ignore le recours établi à la directive Hannibal par Tsahal le 7 octobre, établi par un autre rapport de l’ONU que nous traduirons prochainement, consistant à éliminer ses ressortissants – et leurs ravisseurs – pour empêcher qu’ils tombent vivants entre les mains de la résistance palestinienne (voir cet article d’Haaretz : La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal) ; la dernière phrase établit que les accusations d’Israël contre le Hamas sont des confessions de ses propres pratiques].

    17. Israël a également considérablement réduit l’approbation des autorisations permettant de quitter Gaza pour des traitements médicaux, empêchant principalement les patients d’accéder aux hôpitaux de Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Entre octobre 2023 et le 20 juin 2024, seuls 5 857 des 13 872 patients ayant demandé une évacuation médicale via le point de passage de Rafah ont obtenu une autorisation. Seules 54 % des demandes d’évacuation des patients atteints de cancer ont été approuvées durant cette période [17]. En juillet, Israël a retardé l’évacuation de 150 enfants de la bande de Gaza ayant besoin de soins médicaux spécialisés.

    Constatations sur les attaques des forces de sécurité israéliennes contre des hôpitaux spécifiques

    18. La Commission a enquêté sur les attaques menées contre quatre hôpitaux situés dans différentes zones de la bande de Gaza : le complexe médical Nasr (ci-après « hôpital Nasr »), ainsi que les hôpitaux Shifa’, Awdah et de l’Amitié turco-palestinienne (ci-après « hôpital turc »). Ces établissements comprennent deux grands complexes médicaux ainsi que des hôpitaux offrant des soins spécialisés tels que l’obstétrique, la pédiatrie et l’oncologie. La Commission a conclu que les forces de sécurité israéliennes ont attaqué ces installations de manière similaire, ce qui suggère l’existence de plans et de procédures opérationnels visant les structures de santé.

    19. Bien que les forces de sécurité israéliennes aient émis des ordres d’évacuation pour ces hôpitaux, la Commission a constaté que ces ordres étaient irréalisables, non coordonnés et impossibles à exécuter en toute sécurité. Dans certains cas, les administrations des hôpitaux n’ont eu que quelques heures pour évacuer des centaines de patients. Les forces israéliennes n’ont apporté aucune aide à l’évacuation sécurisée des patients. Selon plusieurs sources, il était impossible de procéder à des évacuations complètes sans mettre en danger la vie des patients. À l’hôpital Awdah et à l’hôpital pédiatrique Nasr, les forces de sécurité israéliennes ont refusé les demandes du personnel médical visant à faciliter la circulation des ambulances pour rendre l’évacuation plus fluide, ce qui a entraîné des conditions dangereuses. Les patients de ces hôpitaux, notamment ceux des unités de soins intensifs et les blessés graves, nécessitaient une prise en charge particulière pendant leur transport.

    20. La Commission a reçu des rapports faisant état du ciblage délibéré et direct d’hôpitaux, y compris des hôpitaux Awdah, Shifa’ et Nasr, par des tirs de snipers. Par exemple, le 13 février, les forces de sécurité israéliennes ont ordonné l’évacuation de l’hôpital Nasr. Peu après, un détenu palestinien menotté et vêtu d’une combinaison de protection blanche a été vu à l’intérieur de l’hôpital. Il aurait été contraint par les forces israéliennes d’ordonner aux personnes présentes d’évacuer. En quittant l’hôpital, il aurait été abattu par les forces de sécurité israéliennes.

    21. À partir du 6 novembre 2023, des attaques répétées contre les hôpitaux Shifa’ et Nasr, y compris des attaques spécifiquement dirigées contre la maternité et l’unité de soins intensifs de l’hôpital Shifa’, ont entraîné la fermeture totale ou quasi-totale de ces établissements. Ces fermetures ont eu de graves répercussions sur les autres hôpitaux de Gaza, déjà débordés, en raison du rôle central de ces deux hôpitaux dans le système de santé global. Des images satellites des hôpitaux Shifa’ et Nasr, prises respectivement le 4 avril et le 12 mars, montrent que les sites de ces hôpitaux ainsi que les routes environnantes ont été gravement endommagés.

    22. Selon le bureau des médias des autorités de facto à Gaza, plus de 500 corps ont été découverts dans des fosses communes situées sur les terrains des hôpitaux, notamment ceux de Shifa’ et de Nasr. Des images satellites datées du 23 avril montrent au moins deux fosses communes possibles à l’hôpital Nasr. Les autorités de facto à Gaza ont déclaré que plusieurs corps avaient été retrouvés dénudés et menottés, ce qui suggère que les victimes aient pu être exécutées. Un témoin ayant participé à l’exhumation des corps près de l’hôpital Nasr a déclaré à la Commission avoir vu des corps présentant des blessures par balle à la tête ou au cou. Les forces de sécurité israéliennes ont nié avoir enterré des corps dans des fosses communes, tout en reconnaissant que des soldats cherchant les corps d’otages avaient exhumé certaines fosses communes.

    23. Le 1er novembre, l’hôpital turc a cessé de fonctionner en raison des dégâts causés par les frappes aériennes des 30 et 31 octobre, ainsi que du manque de carburant et d’électricité, ce qui a entraîné la mort de plusieurs patients, notamment en raison d’un manque d’oxygène. Le gouvernement turc, qui finance l’hôpital, a condamné ces attaques, affirmant que les coordonnées de l’établissement avaient été communiquées à l’avance aux forces de sécurité israéliennes. Depuis novembre, les forces de sécurité israéliennes occupent l’hôpital, situé dans le corridor de Netzarim sous contrôle israélien, et l’utilisent comme base pour mener des opérations. Des images satellites de cette période montrent la construction de digues de protection et des dégâts progressifs causés par des bulldozers à certaines parties de l’hôpital. Des vidéos postées sur la plateforme X (anciennement Twitter) montrent plusieurs véhicules militaires israéliens à l’intérieur de l’hôpital et des forces de sécurité israéliennes célébrant une fête religieuse dans l’enceinte de l’établissement.

    24. L’hôpital turc était le seul établissement spécialisé en oncologie à Gaza. Depuis sa fermeture, environ 10 000 patients atteints de cancer n’ont plus accès à un traitement. En conséquence, plusieurs d’entre eux sont décédés faute de soins appropriés.

    25. L’hôpital d’Awdah, principal prestataire de soins en santé reproductive dans le nord de Gaza, a été pris pour cible à plusieurs reprises par les forces de sécurité israéliennes entre novembre 2023 et janvier 2024, puis de nouveau en mai. Cela s’est produit alors que les autorités israéliennes avaient reçu les coordonnées géographiques de l’hôpital de la part de MSF (Médecins sans frontières), qui avait informé toutes les parties qu’il s’agissait d’un hôpital en état de fonctionnement. Trois médecins, dont deux affiliés à MSF, ont été tués lors d’une attaque le 21 novembre. En décembre, l’hôpital a été assiégé, avec environ 250 personnes piégées à l’intérieur, confrontées à de graves pénuries de nourriture, d’eau et de médicaments. Pendant le siège, tous les hommes âgés de plus de 15 ans ont reçu l’ordre de sortir de l’hôpital en sous-vêtements, et plusieurs membres du personnel médical, y compris le directeur de l’hôpital, ont été arrêtés. Plusieurs personnes, dont des membres du personnel médical et une femme enceinte, auraient été tuées par des tireurs embusqués.

    26. Jusqu’à la fin du mois de février, l’hôpital d’Awdah, qui abritait l’une des rares maternités encore fonctionnelles dans le gouvernorat de Gaza-Nord, était partiellement opérationnel, accueillant des patientes en couches bien au-delà de sa capacité. L’hôpital aurait pris en charge 15 577 patientes en maternité entre le 7 octobre et le 23 décembre, avec seulement 75 lits disponibles. Le 27 février, l’administration de l’hôpital a annoncé une cessation partielle de ses activités, en raison du manque de carburant, d’électricité et de fournitures médicales. Cette fermeture partielle a eu des conséquences désastreuses sur les services de santé dans le gouvernorat de Gaza-Nord, en particulier pour les patientes en maternité.

    Allégations d’utilisation des hôpitaux à des fins militaires

    27. Les forces de sécurité israéliennes ont affirmé que plus de 85 % des principaux établissements médicaux de Gaza étaient utilisés par le Hamas pour des opérations terroristes, sans toutefois fournir de preuves à l’appui de cette affirmation [18]. Elles ont également allégué l’existence de tunnels situés sous les hôpitaux ou les reliant, affirmant que le Hamas y stockait des armes, dissimulait du personnel et y dirigeait des quartiers généraux. Selon ces forces, le Hamas et le Jihad islamique palestinien auraient tiré des coups de feu depuis les locaux des hôpitaux et y auraient retenu des otages, soit dans les hôpitaux eux-mêmes, soit dans des tunnels situés en dessous. Le Hamas a nié ces allégations à plusieurs reprises. Plusieurs otages libérés ont toutefois déclaré publiquement avoir été détenus dans un hôpital (voir paragraphe 77 [Note du traducteur : ce paragraphe fait notamment état d’Israéliens blessés et emmenés dans des hôpitaux pour y être soignés…]). La Commission a interrogé des cadres du personnel médical qui ont réfuté toute activité militaire, insistant sur le fait que les hôpitaux n’avaient pour seule fonction que de soigner les patients.

    28. En octobre, les forces de sécurité israéliennes ont déclaré que l’enceinte de l’hôpital Shifa’ et les infrastructures souterraines situées en dessous étaient utilisées par le Hamas comme quartier général militaire. Elles ont diffusé des images montrant un réseau de tunnels supposément situé sous l’hôpital Shifa’ et employé par le Hamas à des fins militaires, ainsi qu’un puits de tunnel à environ 100 mètres du bâtiment principal, près d’une clôture. Lors d’une attaque menée en mars, ces forces ont affirmé avoir découvert de grandes quantités d’armes à l’intérieur de l’hôpital, y compris dans la maternité, et ont publié des photos de caches d’armes qui auraient été trouvées sur place. En février, elles avaient fait des déclarations similaires concernant l’hôpital Nasr, accompagnées de vidéos montrant prétendument des caches d’armes [Note du traducteur : bien des médias ont souligné les incohérences de ces images diffusées par Israël, indiquant que ces armes pouvaient très bien avoir été placées par l’armée d’occupation, voir entre autres cet article de CNN].

    29. La Commission a documenté un échange de tirs dans et autour des locaux de l’hôpital Shifa’, qui a débuté le 18 mars 2024, premier jour du raid des forces de sécurité israéliennes sur l’hôpital, et s’est poursuivi jusqu’à la fin du mois. Des vidéos diffusées par le Hamas montrent des membres des forces de sécurité israéliennes sur le toit de l’hôpital, libérant un drone de surveillance [Note du traducteur : C’est donc bel et bien Israël qui se sert d’hôpitaux pour ses opérations militaires]. Les images capturées par un drone des forces israéliennes montrent des échanges de tirs à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital et à l’entrée principale. Un grand nombre de patients, de membres du personnel médical et de déplacés internes se trouvaient alors dans l’hôpital.

    Soins de santé reproductive

    30. Les attaques directes contre les établissements de santé, y compris ceux dédiés aux soins de santé sexuelle et reproductive, ont affecté environ 540 000 femmes et filles en âge de procréer à Gaza. En avril, il a été rapporté que seuls deux des 12 hôpitaux partiellement fonctionnels offrant des soins dans ce domaine étaient en mesure de dispenser de tels services. Les attaques ciblant les principales maternités des hôpitaux Shifa’ et Nasr les ont rendues inopérantes. Plusieurs établissements désignés spécifiquement comme centres de santé sexuelle et reproductive, tels que la maternité Emirati, l’hôpital Awdah et l’hôpital Sahabah, ont été directement visés ou contraints de cesser leurs activités. Parallèlement, des services de maternité dans d’autres hôpitaux, notamment celui de l’hôpital Aqsa en janvier, ont été fermés. En décembre 2023, le centre de fertilité Basmah, la plus grande clinique de fécondation in vitro de Gaza, a été la cible directe de frappes aériennes qui auraient détruit environ 3 000 embryons.

    31. La Commission a documenté des conditions dangereuses pour les femmes accouchant dans les hôpitaux, caractérisées par un manque de personnel spécialisé, de médicaments et d’équipements. Les professionnels de santé ont souligné les défis immenses posés par la gestion de la douleur et la prévention des infections, les hôpitaux manquant souvent de fournitures essentielles telles que périduraux, anesthésiques et antibiotiques. Un spécialiste des urgences ayant travaillé à l’hôpital Nasr en janvier a décrit des difficultés majeures pour diagnostiquer et traiter les femmes enceintes en raison de l’absence de tests de laboratoire fiables ou d’équipements adéquats, ce qui a entraîné des complications évitables. Les obstétriciens ont rapporté que de nombreuses femmes recevaient des soins obstétriques très insuffisants et que plusieurs souffraient d’infections vaginales non traitées, susceptibles de provoquer des naissances prématurées, des fausses couches ou une stérilité. Le personnel médical a signalé des patientes en maternité souffrant de malnutrition, de déshydratation, d’infections diverses et d’anémie.

    32. Les femmes sont de plus en plus souvent contraintes d’accoucher dans des conditions dangereuses, que ce soit à domicile, dans des abris ou des camps, avec peu ou pas de soutien médical. Cela accroît le risque de complications entraînant des séquelles à vie ou des décès. Les perturbations des services d’électricité et de télécommunications ont rendu inaccessibles les lignes d’urgence dédiées aux accouchements à domicile, aggravant les dangers pour les femmes. Le maintien du siège et des hostilités a également entravé la distribution de kits d’accouchement sécurisés aux femmes enceintes.

    33. Une forte augmentation des admissions en urgence a entraîné une dépriorisation des soins de santé génésique dans les rares établissements médicaux encore opérationnels. Les patientes en post-partum et leurs nouveau-nés n’ont pas eu le temps de se rétablir après l’accouchement. Elles ont été renvoyées quelques heures après, encore fragiles physiquement et mentalement, pour libérer des places pour de nouvelles admissions. Environ 60 000 patientes en maternité n’ont pas été suivies de manière adéquate en raison de l’absence de soins prénatals et postnatals.

    34. Les hostilités ont eu un impact psychologique grave sur les femmes enceintes, en post-partum et allaitantes, en raison de leur exposition directe aux conflits armés, des déplacements, de la famine et de la mauvaise qualité des soins de santé. Les urgences obstétriques et les naissances prématurées auraient considérablement augmenté à cause du stress et des traumatismes. Une hausse des fausses couches, atteignant jusqu’à 300 %, a été signalée depuis le 7 octobre. Les experts ont déclaré à la Commission que les effets à long terme de ces conditions précaires, tant psychologiques que physiques, sur les femmes, les nouveau-nés et leurs familles, restent inconnus.

    Soins pédiatriques

    35. Les experts médicaux ont déclaré à la Commission que la destruction des infrastructures médicales, le manque de fournitures et le ciblage des personnels de santé ont compromis l’accès des enfants aux soins de base et aux traitements essentiels, entrainant ainsi des conséquences directes et indirectes sur leur santé à Gaza. Des enfants ont été tués lors d’attaques directes contre des hôpitaux. Les équipes médicales ont noté que le nombre élevé de décès parmi les enfants est probablement dû au fait qu’ils représentent la majorité des patients hospitalisés pour des traumatismes contondants et pénétrants.

    36. Les professionnels de santé ont également signalé avoir soigné des enfants blessés par des tirs directs, indiquant qu’ils avaient été spécifiquement pris pour cible. Ils ont souligné que traiter ces blessures était particulièrement difficile en raison du manque de fournitures médicales de base et des mauvaises conditions d’hygiène. La Commission avait précédemment noté que les enfants étaient particulièrement vulnérables aux décès et blessures en raison de leur âge, de leur stade de développement et de leur petite taille [19]. Les enfants étaient opérés sans soins préopératoires ni postopératoires, augmentant ainsi les risques d’infections, y compris par des insectes et parasites, ce qui entraînait des complications, voire des décès dans certains cas.

    Lire également : A Gaza, « un nombre incroyable d’enfants abattus d’une balle dans la tête »

    37. Les attaques contre les établissements de santé ont également eu des effets indirects graves sur la santé des enfants, augmentant de manière significative la mortalité et la morbidité infantiles. Les attaques contre les hôpitaux pédiatriques de Gaza, notamment les hôpitaux Rantisi et Nasr, ainsi que contre des hôpitaux plus grands, ont forcé les enfants atteints de maladies préexistantes à chercher des soins dans des établissements plus petits, dépourvus de personnel spécialisé et d’équipements pédiatriques adaptés. Un médecin de l’hôpital Ahli a déclaré que cet établissement manquait des médicaments et de l’expertise nécessaires pour traiter des cas médicaux complexes chez les enfants, tels que l’asthme sévère ou l’épilepsie.

    38. En juin, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a estimé que près de 3 000 enfants souffrant de malnutrition risquaient de mourir en raison de la pénurie alimentaire dans le sud de Gaza. La situation a été aggravée par les attaques incessantes contre les installations de santé. Seuls deux des trois centres de stabilisation pour traiter les enfants malnutris dans la bande de Gaza, l’un dans le gouvernorat de Gaza-Nord et l’autre dans celui de Deir al-Balah, étaient opérationnels. L’hospitalisation prolongée d’enfants privés d’une alimentation adéquate et vivant dans un environnement malsain a également été liée à la malnutrition. Un pédiatre a estimé que les enfants vivant à l’hôpital pendant de longues périodes sans accès à une alimentation appropriée souffriraient de carences nutritionnelles, avec des conséquences sanitaires à long terme. L’effondrement du système de santé a également entravé la capacité à fournir des vaccins. Les enfants de moins de cinq ans risquent de contracter la poliomyélite faute de vaccination. Le 16 août, le ministère de la Santé de Gaza a annoncé le premier cas de polio en 25 ans. En septembre 2024, les deux parties ont accepté une brève pause humanitaire afin de permettre une campagne de vaccination contre la polio dans la bande de Gaza [20].

    39. Les hôpitaux de Gaza ne sont plus en mesure d’offrir des soins en santé mentale et disposent de peu de personnel spécialisé pour traiter les enfants souffrant de troubles psychologiques, y compris ceux ayant des pensées suicidaires ou d’automutilation.

    40. Les médecins ont informé la Commission que, en raison des attaques contre les installations médicales et des options de traitement limitées, les nourrissons et enfants de Gaza risquent de souffrir de séquelles tout au long de leur vie. Parmi les complications à court terme, on peut citer l’incapacité des nourrissons à atteindre les étapes du développement moteur au cours de leur première année. À moyen terme, ces enfants pourraient être incapables de développer la parole ou d’atteindre les étapes du langage, et leurs capacités cognitives pourraient être gravement affectées à long terme. Un médecin a résumé la situation en déclarant que l’essence même de l’enfance a été détruite à Gaza.

    Traitement des détenus par les autorités israéliennes

    41. Entre le 7 octobre 2023 et juillet 2024, Israël a arrêté plus de 14 000 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est [21]. Parmi eux, environ 4 000 Palestiniens ont été arrêtés à Gaza, dont beaucoup ont été transférés en Israël pour y être interrogés. De plus, des centaines de membres de groupes armés palestiniens ont été arrêtés les 7 et 8 octobre à l’intérieur d’Israël. Les personnes arrêtées à Gaza et transférées en Israël ont principalement été appréhendées en vertu de la loi sur l’incarcération des combattants illégaux. Elles sont détenues dans des installations militaires, principalement au camp de Sde Teiman, dans le sud d’Israël, bien que certaines aient été transférées dans des établissements administrés par l’administration pénitentiaire israélienne. Des milliers de personnes originaires de Cisjordanie ont été arrêtées sur ordre de l’armée. De plus, des milliers de travailleurs palestiniens de Gaza présents légalement en Israël le 7 octobre ont été détenus dans le centre d’Anatot en Cisjordanie, géré par l’armée. En novembre, environ 3 000 travailleurs détenus ont été libérés et renvoyés à Gaza à la suite d’une requête déposée auprès de la Haute Cour de justice d’Israël.

    Arrestations et détentions arbitraires [22]

    42. Des milliers de Palestiniens, principalement des hommes, ont été arrêtés lors d’opérations militaires israéliennes et d’attaques à Gaza et en Cisjordanie, y compris des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, du personnel médical, des patients, des membres du personnel des Nations unies et des proches de suspects. Des garçons ont également été arrêtés. Nombre d’entre eux n’ont pas été informés des raisons de leur arrestation. Les détenus libérés ont déclaré avoir été interrogés sur leur possible implication dans les hostilités, y compris leur affiliation au Hamas, ainsi que sur l’emplacement des otages israéliens. Plusieurs femmes défenseures des droits de l’homme, journalistes et politiciennes de Cisjordanie ont également été arrêtées et détenues sous l’accusation d’« incitation au terrorisme ».

    43. Les responsables israéliens ont affirmé qu’après un contrôle de sécurité et un interrogatoire, « les personnes établies comme non impliquées dans des activités terroristes sont libérées et renvoyées dans la bande de Gaza [...] aussi rapidement que possible » [23] Toutefois, la Commission a constaté qu’Israël continuait de détenir des personnes, même après avoir effectué les contrôles de sécurité et déterminé qu’elles ne constituaient pas une menace réelle. Parmi ces détenus se trouvaient des personnes âgées, des malades chroniques, des femmes enceintes, des enfants, du personnel médical, ainsi que des détenus appelés « shawish », qui étaient maintenus en détention pour servir d’intermédiaires ou de traducteurs entre les gardes et d’autres détenus ou travailleurs de Gaza [Note du traducteur : cet article de Haaretz établit que les « shawish » sont surtout utilisés par l’armée israélienne comme boucliers humains].

    44. Selon des sources officielles israéliennes, les détenus de Gaza sont entendus, interrogés ou contrôlés par un officier supérieur des forces de sécurité israéliennes « dans un délai de 7 à 10 jours », tandis que la détention des Palestiniens de Cisjordanie est examinée par un juge militaire. La Commission note que de nombreux détenus libérés affirment ne toujours pas connaître la raison de leur arrestation, ce qui laisse supposer qu’ils n’ont pas été entendus ou, si une telle procédure a eu lieu, qu’ils n’ont pas compris la procédure.

    Disparitions forcées

    45. Les autorités israéliennes n’ont pas divulgué les noms des milliers de Palestiniens arrêtés à Gaza depuis le 7 octobre, ni leur lieu de détention, y compris en réponse à plusieurs demandes en habeas corpus soumises à la Haute Cour de justice. Les garanties minimales contre les disparitions forcées ont été supprimées à la suite de l’interdiction récente des visites du CICR et de nouveaux amendements aux lois sur l’incarcération des combattants illégaux, qui empêchent toute révision judiciaire de la détention pendant jusqu’à 75 jours et interdisent les visites d’avocats pendant jusqu’à 90 jours, en attendant l’approbation d’un tribunal. Cette situation perdure, bien que les autorités israéliennes aient fourni une adresse électronique censée faciliter les visites d’avocats pour les détenus de Gaza. Au 15 juillet, la Commission n’avait connaissance que d’un seul cas où un avocat avait été autorisé à rendre visite à un détenu de Gaza dans le camp de Sde Teiman.

    Libération des détenus

    46. Les détenus de Gaza sont libérés par les forces de sécurité israéliennes au point de passage de Kerem Shalom sans qu’aucune procédure n’ait été mise en place pour leur assurer des soins médicaux ou un soutien. Cette pratique a eu un effet particulièrement néfaste sur les enfants. La Commission note que la procédure suivie par les autorités israéliennes pour la libération des enfants détenus a contribué à ce que les enfants de la bande de Gaza soient séparés de leur famille, parce qu’ils reviennent non accompagnés, avec une capacité limitée à localiser leur famille ou à communiquer avec elle. Les enfants détenus libérés ont montré des signes de détresse psychologique et de traumatisme extrêmes.

    47. Les détenus palestiniens qui étaient initialement détenus dans les régions du nord de Gaza ont ensuite été libérés dans les régions du sud, loin de leurs maisons et de leurs familles. L’interdiction imposée par les forces de sécurité israéliennes de retourner dans le nord de la bande de Gaza et les attaques contre les civils qui tentent de retourner dans le nord ont entravé le retour des détenus dans leurs lieux d’origine et l’unification des familles.

    Mauvais traitements lors des arrestations et des transferts

    48. La Commission a reçu de nombreux rapports faisant état de détenus déshabillés, transportés nus, les yeux bandés, menottés de manière suffisamment serrée pour provoquer des blessures et des gonflements, frappés à coups de pied, battus, agressés sexuellement et soumis à des insultes religieuses et des menaces de mort, et dont les biens ont été endommagés lors de leur arrestation et de leur transfert vers des centres de détention en Israël et en Cisjordanie [24].

    49. La Commission a constaté des mauvais traitements lors du transfert des détenus de la bande de Gaza vers les centres de détention en Israël et en Cisjordanie et lors du transfert entre les centres. Un détenu libéré a déclaré à la Commission qu’il avait été giflé et menacé par un interrogateur des forces de sécurité israéliennes dans une « zone de rassemblement » située à l’extérieur de la base militaire de Zikim. L’interrogateur lui a dit : « Je vais te tuer et je peux te faire disparaître. Tu ne verras plus le soleil et personne ne saura où tu es ». Un autre détenu libéré a déclaré à la Commission que les détenus étaient sévèrement battus pendant le trajet entre les installations militaires et celles de l’administration pénitentiaire israélienne. Il a noté qu’un détenu avait reçu un coup de poing dans la mâchoire si fort que plusieurs de ses dents avaient été cassées.

    50. Le 22 juin 2024, dans le quartier de Jabariyat à Jénine, en Cisjordanie, les forces de sécurité israéliennes ont tiré sur deux Palestiniens et les ont blessés. Les blessés ont ensuite été arrêtés et transportés sur le capot de véhicules militaires blindés, alors que les tirs se poursuivaient dans la zone. L’un des détenus est passé devant au moins trois ambulances sans être transféré pour un traitement médical. La Commission a également recueilli des informations indiquant que les forces de sécurité israéliennes avaient forcé des détenus à pénétrer dans des tunnels et des bâtiments à Gaza avant les soldats chargés de nettoyer les lieux. La Commission a observé que des membres des forces de sécurité israéliennes utilisaient des détenus palestiniens pour se protéger des attaques.

    Mauvais traitements dans les centres de détention gérés par l’armée

    51. La Commission a vérifié des informations faisant état de mauvais traitements généralisés et institutionnalisés infligés à des détenus de Gaza, y compris des garçons, dans le camp de détention militaire de Sde Teiman, où tous les détenus de Gaza ont été initialement incarcérés depuis le 8 octobre. Les détenus avaient les yeux bandés et étaient menottés en permanence par le personnel des forces de sécurité israéliennes. Ils étaient confinés dans de grandes cellules de fortune surpeuplées et contraints de s’agenouiller dans des positions de stress pendant des heures, tout en n’ayant pas le droit de parler. Ils n’ont pas eu accès aux toilettes et aux douches, et nombre d’entre eux ont été contraints de porter des couches. Ils ont été battus, notamment avec des matraques et des bâtons de bois, même lorsqu’ils étaient immobilisés, et ont fait l’objet d’intimidations et d’attaques de la part de chiens. Les détenus ont indiqué qu’ils dormaient sur de minces matelas à même le sol, avec seulement de légères couvertures pour se couvrir, même pendant les mois d’hiver, et qu’ils étaient privés de sommeil. Ils n’étaient autorisés à dormir que quatre à cinq heures par nuit, la lumière restant allumée en permanence. Ils n’avaient pas le droit de dormir pendant la journée. Les détenus ont fait état d’un accès limité aux toilettes, parfois seulement une fois par jour, et d’un manque d’accès aux douches pendant des semaines. La nourriture fournie était insuffisante et peu variée, ce qui a entraîné une perte de poids importante et d’autres complications médicales.

    52. Des détenus, y compris des personnes âgées, emmenés au Sde Teiman pour y être interrogés ont été attachés dans des positions douloureuses ou attachés à une vis placée en hauteur sur un mur pendant des heures, tout en ayant les yeux bandés et en étant suspendus avec les pieds touchant ou à peine touchant le sol (« shabah »). Dans un cas, un détenu a été laissé dans cette position pendant cinq à six heures alors que les interrogateurs le soumettaient de manière répétée à des changements de température extrêmes, en utilisant alternativement un ventilateur puissant et une lampe chauffante. La Commission a également reçu des rapports faisant état de l’utilisation de dispositifs de chocs électriques contre des détenus.

    53. Les conditions sanitaires inadéquates ont limité la capacité des détenus à effectuer des pratiques religieuses, telles que la prière et les ablutions, ont augmenté les risques pour la santé et ont servi à humilier et à déshumaniser davantage les détenus. Un détenu a déclaré à la Commission qu’en raison de la rareté de l’accès aux toilettes, les détenus étaient contraints d’uriner ou de déféquer dans leurs vêtements. Un détenu a déclaré qu’ils « avaient été dépouillés de leur humanité et traités comme des animaux ». Il a ajouté que « tous les détenus n’étaient pas lavés et sentaient mauvais, leurs pantalons étaient jaunis, tandis que les soldats qui s’occupaient d’eux portaient des gants qu’ils jetaient sur les détenus lorsqu’ils avaient fini ».

    54. Les conditions médicales liées au manque d’hygiène, notamment les éruptions cutanées, les furoncles et les abcès, se sont aggravées. Les soins médicaux étaient rares, de mauvaise qualité et dispensés dans un bâtiment séparé, alors que les détenus étaient menottés et avaient les yeux bandés. Dans certains cas, tant dans les installations militaires que dans celles de l’administration pénitentiaire israélienne, les coups reçus au cours des interrogatoires ont entraîné des fractures, sans que des soins médicaux appropriés soient dispensés. Des menottes constantes et des soins médicaux inadéquats auraient conduit certains détenus à se faire amputer d’un membre. Les déclarations de certains membres du personnel médical suggèrent qu’ils étaient complices de pratiques illégales.

    55. Le 3 juillet, le procureur général d’Israël a déclaré dans une lettre que le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, faisait obstacle aux transferts de prisonniers vers les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne. Au mois d’août, 28 détenus (tous des hommes) sont toujours détenus à Sde Teiman [25].

    Mauvais traitements dans les établissements de l’Administration pénitentiaire israélienne

    56. Le 16 octobre, le Ministre de la sécurité nationale a ordonné d’importantes restrictions supplémentaires dans les établissements de l’Administration pénitentiaire israélienne. Ces restrictions comprenaient l’imposition d’une interdiction totale des visites de la famille et du CICR, l’annulation ou la restriction des visites et des appels téléphoniques des avocats, et l’annulation des rendez-vous médicaux non urgents. L’électricité a été coupée dans les cellules des prisons, les biens personnels des détenus ont été confisqués et l’accès aux douches et aux toilettes a été sévèrement limité. L’accès à l’air frais dans la cour de la prison a été limité ou interdit. Des restrictions ont été imposées sur les rations alimentaires et appliquées à des milliers de détenus et de prisonniers, y compris des femmes et des enfants, qui avaient été détenus avant le 7 octobre. A plusieurs reprises, le ministre de la sécurité nationale a indiqué que ces politiques étaient motivées par la vengeance.

    57. La Commission a documenté de nombreux cas d’abus physiques et verbaux, y compris des menaces de mort, dans les installations de l’Administration pénitentiaire israélienne. Des détenus des prisons de Negev, Megiddo, Ofer et Ramon ont décrit avoir été battus par des gardiens à l’aide de matraques et de bâtons de bois alors qu’ils étaient menottés, y compris à leur arrivée dans ces prisons et pendant les fouilles de cellules menées par des unités spéciales de l’administration pénitentiaire israélienne utilisant des chiens pour intimider et attaquer les prisonniers.

    58. Les femmes détenues en Cisjordanie étaient soumises aux mêmes restrictions que les hommes dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne et étaient particulièrement affectées par l’insuffisance et l’inadéquation de la nourriture et de l’eau, ainsi que par le manque d’hygiène. La Commission a appris que les femmes enceintes détenues dans un établissement de l’administration pénitentiaire israélienne ne recevaient pas de nourriture suffisante ou adéquate et se voyaient refuser des soins médicaux. Plusieurs femmes ont indiqué qu’elles n’avaient pas été autorisées à utiliser les toilettes alors qu’elles en avaient fait la demande, ou qu’elles avaient été menottées pendant de longues périodes et qu’elles avaient donc eu besoin de l’aide d’autres détenus pour utiliser les toilettes. Les femmes détenues avaient un accès limité aux serviettes hygiéniques ou se les voyaient refuser.

    Traitement des enfants

    59. La Commission a établi que des centaines d’enfants de Gaza et de Cisjordanie ont été arrêtés, puis transférés et détenus en Israël et en Cisjordanie. Les enfants détenus ont été soumis à une extrême violence lors de leur arrestation, de leur détention, de leur interrogatoire et de leur libération.

    60. Des enfants de Gaza ont été détenus dans des établissements militaires et dans les locaux de l’administration pénitentiaire israélienne. A Sde Teiman, les enfants étaient détenus avec des adultes et subissaient les mêmes mauvais traitements. Un garçon de 15 ans détenu au centre de Sde Teiman a déclaré à la Commission qu’il avait été le seul enfant parmi 70 adultes dans une cellule. Ses jambes avaient été entravées par des chaînes métalliques et ses mains menottées si étroitement qu’elles avaient saigné, mais il n’avait reçu aucun soin médical. Il a été puni à plusieurs reprises en étant contraint de rester debout les mains levées pendant des heures. Il a décrit ses 23 jours de détention comme « les pires jours de ma vie ». Un garçon de 13 ans a déclaré à la Commission que des chiens avaient été utilisés contre lui pendant les interrogatoires et qu’il avait été placé à l’isolement.

    61. Des enfants ont été emprisonnés dans des sections pour mineurs surpeuplées dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne, principalement à Megiddo et à Ofer. Bien que les enfants soient séparés des adultes, les autorités israéliennes les soumettent tous aux mêmes restrictions que les adultes.

    Viols et autres formes de violence sexuelle et sexiste

    62. La Commission a documenté plus de 20 cas de violence sexuelle et sexiste à l’encontre de détenus hommes et femmes dans plus de 10 installations militaires et de l’administration pénitentiaire israélienne, en particulier dans la prison du Néguev et le camp de Sde Teiman pour les détenus hommes et dans les prisons de Damon et Hasharon pour les détenues femmes. La violence sexuelle a été utilisée comme moyen de punition et d’intimidation dès le moment de l’arrestation et tout au long de la détention, y compris pendant les interrogatoires et les fouilles. Les actes de violence sexuelle documentés par la Commission étaient motivés par une haine extrême envers le peuple palestinien et par le désir de le déshumaniser.

    63. La Commission a constaté que la nudité forcée, dans le but de dégrader et d’humilier les victimes devant les soldats et les autres détenus, était fréquemment utilisée à l’encontre des victimes masculines, notamment par des fouilles à nu répétées, l’interrogatoire des détenus alors qu’ils étaient nus ; forcer les détenus à effectuer certains mouvements alors qu’ils sont nus ou déshabillés et, dans certains cas, filmés ; soumettre les détenus à des insultes sexuelles alors qu’ils sont transportés nus ; forcer les détenus nus à se regrouper dans une cellule surpeuplée ; et forcer les détenus déshabillés et les yeux bandés à s’accroupir sur le sol avec les mains attachées dans le dos.

    64. Plusieurs détenus de sexe masculin ont déclaré que des membres des forces de sécurité israéliennes avaient battu, donné des coups de pied, tiré ou pressé leurs parties génitales, souvent alors que les détenus étaient nus. Dans certains cas, le personnel des forces de sécurité israéliennes a utilisé des objets tels que des détecteurs de métaux et des matraques. Un détenu qui avait été incarcéré dans la prison du Néguev des forces de sécurité israéliennes a déclaré qu’en novembre 2023, des membres de l’unité Keter de l’administration pénitentiaire israélienne l’avaient forcé à se déshabiller et lui avaient ensuite ordonné d’embrasser le drapeau israélien. Lorsqu’il a refusé, il a été battu et ses parties génitales ont reçu des coups de pied si violents qu’il a vomi et perdu connaissance.

    65. La Commission a également reçu des informations crédibles concernant des viols et des agressions sexuelles, y compris l’utilisation d’une sonde électrique pour causer des brûlures à l’anus et l’insertion d’objets, tels que des bâtons, des manches à balai et des légumes, dans l’anus. Certains de ces actes auraient été filmés par des soldats. En juillet, neuf soldats ont été interrogés et plusieurs ont été arrêtés pour avoir prétendument violé un détenu et lui avoir causé des blessures mortelles à Sde Teiman.

    Lire également Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d’Israël

    66. La Commission a établi que les détenus étaient régulièrement soumis à des abus sexuels et au harcèlement, et que des menaces d’agression sexuelle et de viol étaient adressées aux détenus ou aux membres féminins de leur famille. Un détenu de Sde Teiman a rapporté que des femmes soldats l’avaient forcé, lui et d’autres, à faire des bruits de mouton, à maudire les dirigeants du Hamas et le prophète Mohamed, et à dire « Je suis une p*te ». Les détenus étaient battus s’ils n’obtempéraient pas. Dans un autre cas, un soldat a enlevé son pantalon et a pressé son entrejambe contre le visage d’un détenu, en disant : « Tu es ma sal*pe. Suce ma b*te ».

    67. Les détenues ont également été victimes d’agressions et de harcèlement sexuels dans les locaux de l’armée et de l’administration pénitentiaire israélienne, ainsi que de menaces de mort et de menaces de viol. Le harcèlement sexuel comprenait des tentatives d’embrasser et de toucher leurs seins. Elles ont fait état de fouilles à nu répétées, prolongées et invasives, avant et après les interrogatoires. Les femmes ont été forcées d’enlever tous leurs vêtements, y compris le voile, devant des soldats hommes et femmes. Elles ont été battues et harcelées tout en étant traitées de « laides » et en subissant des insultes à caractère sexuel, telles que « chienne » et « put*in ». Dans un cas, une femme détenue dans une prison de l’administration pénitentiaire israélienne s’est vu refuser l’accès à son avocat après qu’elle l’eut informé de menaces de viol.

    68. La Commission a reçu des rapports de l’Autorité palestinienne concernant le viol de deux détenues. Elle tente de vérifier ces informations.

    69. Des détenues ont été photographiées sans leur consentement et dans des circonstances dégradantes, y compris en sous-vêtements devant des soldats de sexe masculin [26]. Dans un cas, une détenue a été soumise à des fouilles à nu répétées et invasives après son arrestation dans un poste de police du nord d’Israël. Elle a été battue, agressée verbalement, traînée par les cheveux et photographiée devant un drapeau israélien. Les photos ont été mises en ligne.

    Décès en détention

    70. Au 15 juillet, au moins 53 détenus palestiniens étaient morts dans des centres de détention israéliens depuis le 7 octobre 2023. Sur ce nombre, 44 personnes étaient originaires de Gaza, dont 36 sont décédées à Sde Teiman, et 9 étaient originaires de Cisjordanie. Les corps des détenus décédés n’ont, pour la plupart, pas été rendus à leurs familles pour qu’elles puissent les enterrer.

    71. Thaer Abu Assab, originaire de Qalqilya en Cisjordanie, emprisonné depuis 2005, est mort dans la prison du Néguev le 18 novembre 2023 après avoir été, selon les informations disponibles, violemment battu par des gardiens de l’unité Keter de l’administration pénitentiaire israélienne et après que son évacuation médicale a été retardée. Les autorités israéliennes ont ouvert une enquête criminelle, mais seules des mesures disciplinaires limitées auraient été prises à l’encontre des gardiens impliqués. Deux médecins palestiniens chevronnés de Gaza sont morts en détention israélienne. Le docteur Iyad Rantisi, directeur d’un hôpital pour femmes à Bayt Lahya, a été arrêté le 11 novembre à un poste de contrôle des forces de sécurité israéliennes et est décédé six jours plus tard dans la prison de Shikma, gérée par l’administration pénitentiaire israélienne, où il aurait été interrogé par l’Agence de sécurité israélienne (également connue sous le nom de Shin Bet). Le docteur Adnan al-Bursh, chef du service orthopédique de l’hôpital Shifa’ de Gaza, a été arrêté en décembre et est décédé à la prison d’Ofer en avril. Un détenu libéré a déclaré à la Commission qu’il avait vu le Dr Al-Bursh à Sde Teiman en décembre 2023, avec des ecchymoses sur le corps et se plaignant de douleurs à la poitrine.

    72. Israël n’a fourni aucune preuve que des enquêtes sur les décès en détention étaient menées en vue de garantir l’obligation de rendre des comptes. [...]

    IV. Conclusions

    Soins de santé

    88. L’offensive sur Gaza depuis le 7 octobre a entraîné la destruction du système de soins de santé déjà fragile dans la bande de Gaza, avec des effets préjudiciables à long terme sur les droits de la population civile à la santé et à la vie. Les attaques contre les établissements de santé sont un élément intrinsèque de l’assaut plus large des forces de sécurité israéliennes contre les Palestiniens de Gaza et l’infrastructure physique et démographique de Gaza, ainsi que des efforts visant à étendre l’occupation. Les actions d’Israël violent le droit humanitaire international et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, et sont en contradiction flagrante avec l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet 2024.

    89. La Commission constate qu’Israël a mis en œuvre une politique concertée visant à détruire le système de santé de Gaza. Les forces de sécurité israéliennes ont délibérément tué, blessé, arrêté, détenu, maltraité et torturé le personnel médical et pris pour cible des véhicules médicaux, ce qui constitue le crime de guerre d’homicide volontaire et de mauvais traitements et le crime contre l’humanité d’extermination. Les autorités israéliennes ont commis ces actes tout en renforçant le siège de la bande de Gaza, ce qui a empêché les hôpitaux de recevoir du carburant, de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des fournitures médicales, tout en réduisant considérablement les autorisations accordées aux patients de quitter le territoire pour recevoir un traitement médical. La Commission estime que ces mesures ont été prises à titre de punition collective contre les Palestiniens de Gaza et qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’attaque israélienne contre le peuple palestinien qui a débuté le 7 octobre.

    90. La destruction par les forces de sécurité israéliennes de l’infrastructure sanitaire de Gaza a eu un effet gravement préjudiciable sur l’accessibilité, la qualité et la disponibilité des services de santé, augmentant considérablement la mortalité et la morbidité, en violation du droit à la santé physique et mentale, qui est intrinsèquement lié au droit à la vie. Les attaques visant les établissements de santé ont exacerbé une situation déjà catastrophique, l’augmentation rapide du nombre de patients d’urgence souffrant de blessures graves venant s’ajouter au nombre de patients non traités souffrant de maladies chroniques ou nécessitant des soins spécialisés.

    91. En ce qui concerne les attaques contre les hôpitaux Nasr, Shifa’, Awdah et l’hôpital turc, la Commission constate que, compte tenu du nombre excessif de morts et de blessés civils, ainsi que des dommages causés aux installations des hôpitaux et de leur destruction, les forces de sécurité israéliennes n’ont pas respecté les principes de précaution, de distinction et de proportionnalité, ce qui constitue les crimes de guerre que sont l’homicide volontaire et les attaques contre des biens protégés. La Commission constate que, lors des attaques contre les hôpitaux Shifa’ et Nasr, les forces de sécurité israéliennes ont considéré que les locaux des hôpitaux et toutes les zones environnantes pouvaient être pris pour cible sans distinction et ont donc violé le principe de distinction. En ce qui concerne la saisie par les forces de sécurité israéliennes de l’hôpital turc à des fins militaires et l’établissement d’un poste militaire à l’intérieur, la Commission estime que ces actions n’étaient pas requises par l’impératif de nécessité militaire et qu’elles constituent donc un crime de guerre consistant à saisir des biens protégés.

    92. La Commission n’a pas trouvé de preuves d’une activité militaire des groupes armés palestiniens à Awdah ou à l’hôpital turc au moment où ils ont été attaqués. La Commission a documenté les déclarations des forces de sécurité israéliennes selon lesquelles les hôpitaux Shifa’ et Nasr étaient utilisés à des fins militaires, et les affirmations des forces de sécurité concernant la découverte de caches d’armes. Elle n’a toutefois pas été en mesure de vérifier ces affirmations de manière indépendante. La Commission a confirmé la présence d’un tunnel et d’un puits sur le terrain de l’hôpital Shifa’, mais elle n’a pas pu vérifier qu’ils étaient utilisés à des fins militaires. La Commission a vérifié des informations indiquant que des membres de groupes armés étaient entrés dans l’hôpital Shifa’ avec des véhicules des forces de sécurité israéliennes qui avaient été volés le 7 octobre. Cependant, elle n’a trouvé aucune preuve d’une présence militaire dans les services spécifiques de l’hôpital que les forces de sécurité israéliennes ont bombardés en novembre, y compris la maternité et l’unité de soins intensifs. La Commission conclut qu’au moment des attaques des forces de sécurité israéliennes, les hôpitaux et les installations médicales bénéficiaient d’une protection spéciale en vertu du droit international humanitaire et étaient à l’abri de telles attaques. […]

    94. Les attaques contre les établissements de santé ont directement entraîné la mort de civils, y compris des enfants et des femmes enceintes, qui recevaient un traitement ou cherchaient un abri, et ont indirectement entraîné la mort de civils en raison du manque de soins, de fournitures et d’équipements médicaux qui en a résulté, ce qui constitue une violation du droit à la vie des Palestiniens. La Commission conclut également que ces actes constituent le crime contre l’humanité d’extermination.

    95. En ce qui concerne l’attaque du 29 janvier contre une famille, dont cinq enfants, qui se trouvait dans un véhicule et contre une ambulance de la Société du Croissant-Rouge palestinien (voir paragraphe 11), la Commission, sur la base de son enquête, conclut avec des motifs raisonnables que la 162e division des forces de sécurité israéliennes opérait dans la région et est responsable du meurtre de la famille de sept personnes, ainsi que du bombardement de l’ambulance, tuant les deux ambulanciers qui se trouvaient à l’intérieur. Ces actions constituent les crimes de guerre d’homicide volontaire et d’attaque contre des biens civils.

    96. Les attaques israéliennes contre les installations médicales ont entraîné des blessures et la mort d’enfants et ont eu des conséquences dévastatrices pour les soins pédiatriques et néonatals dans les hôpitaux de Gaza, créant un besoin important et non satisfait de soins chirurgicaux et médicaux complexes pour les enfants, y compris les bébés prématurés. Israël n’a pas agi dans l’intérêt supérieur des enfants et n’a pas garanti la protection de leurs droits à la vie et au meilleur état de santé possible, et a délibérément créé des conditions de vie qui ont entraîné la destruction de générations d’enfants palestiniens et du peuple palestinien en tant que groupe.

    97. La Commission estime que la destruction délibérée des installations de soins de santé sexuelle et génésique constitue une violence génésique et a eu un effet particulièrement néfaste sur les femmes enceintes, les femmes en post-partum et les femmes allaitantes, qui restent exposées à un risque élevé de blessures et de décès. Le fait de viser de telles infrastructures constitue une violation des droits reproductifs des femmes et des jeunes filles, ainsi que des droits à la vie, à la santé, à la dignité humaine et à la non-discrimination. En outre, il a causé des dommages et des souffrances physiques et mentales immédiates aux femmes et aux filles et aura des effets irréversibles à long terme sur la santé mentale et les perspectives de reproduction physique et de fertilité du peuple palestinien en tant que groupe.

    98. Le fait de viser intentionnellement des installations cruciales pour la santé et la protection des femmes, des nouveau-nés et des enfants a violé la norme du droit international humanitaire coutumier qui accorde une protection spéciale aux femmes et aux enfants dans les conflits armés. Ces actes préjudiciables étaient prévisibles et n’ont pas été réparés. Les souffrances physiques et mentales prolongées des enfants blessés et le préjudice reproductif causé aux femmes enceintes, en post-partum et allaitantes relèvent du crime contre l’humanité d’autres actes inhumains.

    99. La Commission constate que les forces de sécurité israéliennes ont fait preuve de perfidie lorsque des soldats sont entrés dans un hôpital de Jénine déguisés en personnel médical et en femmes civiles le 30 janvier. Cette action constitue une violation du droit international humanitaire. […]

    Détention de Palestiniens

    101. La détention arbitraire massive de Palestiniens est une pratique de longue date au cours des 75 années d’occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie. La détention en Israël a été caractérisée par des abus généralisés et systématiques, des violences physiques et psychologiques, des violences sexuelles et sexistes, et des décès en détention. La fréquence et la gravité de ces pratiques ont augmenté depuis le 7 octobre.

    102. Les mauvais traitements infligés aux détenus palestiniens par les autorités israéliennes sont le résultat d’une politique intentionnelle. Des actes de violence physique, psychologique, sexuelle et reproductive ont été perpétrés pour humilier et dégrader les Palestiniens. Ces actes ont été observés dans plusieurs installations et lieux de détention temporaire, ainsi que pendant les interrogatoires et les déplacements vers et depuis les installations. Les détenus, y compris les personnes âgées et les enfants, ont été soumis à des mauvais traitements constants, notamment l’absence de nourriture suffisante et d’installations d’hygiène appropriées, des coups, des propos injurieux et l’obligation d’accomplir des actes humiliants. Les forces de sécurité israéliennes ont commis ces actes avec l’intention d’infliger des douleurs et des souffrances, ce qui équivaut à de la torture en tant que crime de guerre et crime contre l’humanité et constitue une violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le décès de détenus à la suite de sévices ou de négligence constitue un crime de guerre, à savoir un homicide volontaire ou un meurtre, ainsi qu’une violation du droit à la vie.

    103. Ces abus systématiques sont directement et causalement liés aux déclarations faites par des responsables israéliens, y compris le ministre de la sécurité nationale, qui dirige l’administration pénitentiaire israélienne, et d’autres membres de la coalition gouvernementale israélienne légitimant la vengeance et la violence à l’encontre des Palestiniens. Le fait que les membres des forces de sécurité israéliennes n’aient pas à rendre compte de leurs actes et que la violence contre les Palestiniens soit de plus en plus acceptée a permis à ces comportements de se poursuivre sans interruption et de devenir systématiques et institutionnalisés.

    104. Des arrestations massives d’hommes et de garçons palestiniens ont été effectuées sans motif justifiable ou presque, dans de nombreux cas apparemment simplement parce qu’ils étaient considérés comme étant en « âge de combattre » ou qu’ils n’avaient pas suivi les ordres d’évacuation. La détention de milliers de Palestiniens pendant des périodes prolongées, même lorsqu’ils ne présentaient manifestement aucun risque pour la sécurité, est arbitraire, illégale et constitue une punition collective et une persécution fondée sur le sexe [Note du traducteur : Pourquoi ne pas les désigner comme ce qu’ils sont, à savoir des « otages » ?].

    105. La politique israélienne consistant à dissimuler délibérément des informations concernant les noms, le lieu de détention et le statut des détenus relève du crime contre l’humanité de disparition forcée. Les souffrances mentales des familles des détenus sont assimilables à de la torture.

    106. Les forces de sécurité israéliennes ont intentionnellement, illégalement et arbitrairement privé des enfants palestiniens de leur liberté et de leurs droits fondamentaux et leur ont causé de graves souffrances physiques et mentales. Les forces de sécurité israéliennes ont transféré des enfants détenus de Gaza et de Cisjordanie vers des centres de détention militaires israéliens, où ils ont été détenus pendant des périodes prolongées dans les mêmes quartiers que les adultes et soumis à de graves mauvais traitements, humiliations et tortures. Des mauvais traitements ont également été observés dans les établissements de l’administration pénitentiaire israélienne. Les enfants libérés présentaient des signes de blessures physiques graves, de détresse psychologique extrême et de traumatisme.

    107. Les forces de sécurité israéliennes ont utilisé des détenus comme boucliers humains à plusieurs reprises en Cisjordanie et à Gaza, ce qui constitue un crime de guerre. Les forces de sécurité israéliennes ont transporté des détenus de Cisjordanie sur le capot de véhicules des forces de sécurité israéliennes au milieu d’un échange de tirs. Elles ont forcé des détenus à entrer dans des tunnels et des bâtiments avant le personnel militaire dans la bande de Gaza.

    108. L’intensité des hostilités a augmenté, de même que la prévalence et les types de violences sexuelles et sexistes commises. Dans son précédent rapport au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/56/26), la Commission a identifié des actes de persécution commis à l’encontre d’hommes et de garçons palestiniens, y compris le fait de filmer des scènes de déshabillage et de nudité forcés en public. La Commission constate que ces actes de persécution se sont poursuivis en détention sous la forme de tortures sexualisées. Les détenus de sexe masculin ont subi des atteintes à leur sexualité et à leurs organes reproducteurs, notamment des violences sur leurs organes génitaux et leur anus, et ont été contraints d’accomplir des actes humiliants et pénibles, nus ou déshabillés, à titre de punition ou d’intimidation, dans le but de leur soutirer des informations. Des détenus de sexe masculin ont été victimes de viols, ce qui constitue un crime de guerre et un crime contre l’humanité. De tels actes de violence sexuelle, causant de graves souffrances physiques et mentales, sont également assimilables à de la torture.

    109. Les forces de sécurité israéliennes ont soumis des détenus, hommes et femmes, à une nudité forcée et à un déshabillage pendant leur transfert, dans les centres de détention et pendant les interrogatoires ou les fouilles corporelles, de manière généralisée et systématique. Associés à d’autres actes de violence sexuelle commis à des fins d’humiliation ou de dégradation, tels que le fait d’être photographié entièrement ou partiellement nu et de faire l’objet d’abus sexuels verbaux et physiques et de menaces de viol, les actes susmentionnés constituent les crimes de guerre que sont les traitements inhumains et les atteintes à la dignité de la personne, ainsi que le crime contre l’humanité que constituent les autres actes inhumains. Dans certains cas, ces actes constituent le crime de guerre et le crime contre l’humanité de torture.

    110. Les forces de sécurité israéliennes ont interdit aux détenus libérés de retourner sur leurs lieux de résidence dans le nord de Gaza. Cette interdiction constitue un déplacement forcé. Les attaques contre les civils qui tentent de retourner auprès de leurs familles s’apparentent à un transfert forcé. Il s’agit de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. […]

    V. Recommandations

    113. La Commission recommande au gouvernement d’Israël de :

    (a) Mette immédiatement fin à l’occupation illégale du territoire palestinien, cesse tous les nouveaux plans et activités de colonisation, y compris en ce qui concerne la bande de Gaza, et supprime toutes les colonies aussi rapidement que possible, conformément à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de juillet 2024 ;

    (b) Veille, en tant que puissance occupante, à ce que les droits de la population sous son contrôle effectif soient sauvegardés et à ce que des services médicaux soient disponibles pour tous ;

    (c) Se conforme à toutes les mesures provisoires ordonnées par la Cour internationale de Justice, en prenant toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher la commission de tous les actes relevant de l’article II, alinéas a) à d), de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;

    (d) Cesse immédiatement de prendre pour cible les installations, le personnel et les véhicules médicaux et cesser l’utilisation militaire des installations médicales, conformément au droit international humanitaire ; et assurer au personnel médical et aux ambulances un accès rapide, sûr et sans entrave aux personnes blessées ;

    (e) Assure la reconstruction du système de soins de santé de Gaza et fournir immédiatement des traitements médicaux répondant aux normes les plus élevées possibles ;

    (f) Mette fin au siège de Gaza et assurer la fourniture de tous les biens nécessaires au maintien de la santé de la population et des patients ayant besoin de soins médicaux ;

    (g) Facilite immédiatement l’évacuation médicale des Palestiniens de Gaza, en particulier des malades du cancer et des enfants, ainsi que de leurs tuteurs ;

    (h) Cesse immédiatement de prendre pour cible les établissements de soins de santé sexuelle et génésique ; respecter l’obligation de garantir l’accès et la disponibilité de services, de biens et d’établissements de soins de santé génésique de qualité ;

    (i) S’engage à mettre en œuvre un plan d’action assorti d’un calendrier pour mettre fin aux violations graves des droits de l’enfant, y compris des mesures de responsabilisation pour les attaques contre les installations médicales, compte tenu du fait que les forces armées et de sécurité israéliennes sont énumérées dans les annexes du rapport du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés (A/78/842-S/2024/384) ;

    (j) Cesse immédiatement la détention arbitraire et illégale de Palestiniens, y compris d’enfants, et garantir une procédure régulière et des procès équitables, conformément aux normes internationales en matière de justice ;

    (k) Veille à ce que tous les Palestiniens qui ont été arrêtés ou détenus soient traités humainement ; mettre immédiatement fin à la torture et aux autres mauvais traitements ; prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les violations et enquêter sur celles-ci et veiller à ce que les auteurs soient tenus pour responsables ; veiller à ce que les conditions de détention soient strictement conformes aux normes internationales ;

    (l) Mette fin immédiatement aux viols et aux autres formes de violence sexuelle et sexiste en détention ; établir des protocoles et des conditions de détention appropriés et sexospécifiques, notamment en ce qui concerne la recherche de prisonniers ; fournir aux femmes des soins de santé sexospécifiques et répondre à leurs besoins en matière d’hygiène ;

    (m) Fournisse des informations sur les noms, le lieu de détention et l’état de tous les détenus et les corps retenus ; permettre au CICR d’avoir accès aux détenus et de leur fournir une assistance et une représentation juridiques ;

    (n) Donne accès à la Commission et l’autoriser à pénétrer en Israël et dans le territoire palestinien occupé pour enquêter sur toutes les violations du droit international, comme l’a ordonné la Cour internationale de justice ; […]

    115. La Commission recommande que tous les États membres

    (a) Se conforment à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice et aux obligations juridiques internationales de ne pas reconnaître l’occupation illégale d’Israël, de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de l’occupation et de faire la distinction dans leurs relations entre Israël et les Territoires palestiniens occupés ;

    (b) Respectent toutes les obligations découlant du droit international, y compris l’obligation, en vertu de l’article 1er commun aux conventions de Genève, assurent le respect du droit humanitaire international par tous les États parties, y compris Israël et l’État de Palestine, ainsi que les obligations découlant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention sur le génocide ;

    (c) Cessent d’aider ou d’assister à la commission de violations ; explorent les mesures de responsabilisation à l’encontre des auteurs présumés de crimes internationaux, de violations graves des droits de l’homme et d’abus en Israël et dans le territoire palestinien occupé ;

    (d) Coopèrent avec l’enquête du bureau du procureur de la Cour pénale internationale.

    https://bellaciao.org/Gaza-l-ONU-declare-Israel-coupable-d-extermination-un-crime-contre-l-huma

  • Polluer, c’est coloniser

    « Les structures qui rendent possibles la distribution mondiale des #plastiques et leur complète intégration dans les #écosystèmes et le quotidien des humains reposent sur une #relation_coloniale au #territoire – c’est-à-dire sur le présupposé que les colons et les projets coloniaux ont accès aux #terres_autochtones pour mener à bien leurs visées d’#occupation et de #colonisation. »

    Salué comme incontournable dès sa parution en anglais, Polluer, c’est coloniser est d’abord un livre de méthode, qui cherche à définir une #éthique, une manière collective d’être au monde. Au fil d’une enquête sur l’histoire, la conception et la réglementation de la pollution engendrée par les plastiques, il montre que cette dernière n’est pas une expression ou un effet du #colonialisme mais la mise en œuvre de rapports coloniaux à la terre, rapports que peuvent involontairement reproduire des militant·es et des scientifiques animé·es des meilleures intentions.
    Mais, éthique ne voulant pas dire leçon de morale, l’ouvrage rejette les jugements expéditifs et les idées toutes faites. La clé réside dans l’attention aux lieux : parce qu’une méthode est toujours située, inscrite dans des relations particulières à des territoires, elle est investie d’une responsabilité particulière vis-à-vis d’eux. S’appuyant sur un travail mené à #Terre-Neuve-et-Labrador, #Max_Liboiron propose de bâtir une #science_anticoloniale, avec le double souci d’échapper aux cadres de pensée uniformisants et de livrer des enseignements dont d’autres, ailleurs, pourront s’emparer.

    http://www.editionsamsterdam.fr/polluer-cest-coloniser
    #pollution #plastique #recherche #science #méthodologie #Canada #peuples_autochtones
    #livre
    ping @reka

  • #Nous_sans_l'État

    Une réflexion profonde et vivifiante sur les #résistances aux États-nations, par l’une des voix les plus fécondes de la critique décoloniale en Amérique latine.

    À rebours des assignations et représentations homogénéisantes façonnées par le #pouvoir, ce recueil de textes fondateurs de #Yasnaya_Aguilar, interroge à la source l’« #être_indigène », ce « nous » inscrit dans une catégorie paradoxale, à la fois levier de #résistance et d’#oppression. Yasnaya Aguilar mène la discussion sur trois points-clés de la recherche d’alternatives à la mondialisation néolibérale : l’importance de la #langue et de la #culture dans la résistance, la complexité de situation des #femmes_autochtones face à l’#assimilationnisme et enfin, la critique de l’État-nation colonial par les « premières nations ».

    Nous sans l’État rappelle avec force une donnée fondamentale : les États-nations modernes ont façonné leur politique d’oppression des peuples par le croisement de logiques capitalistes, patriarcales et coloniales.

    Cette parole située nous invite, chacun depuis nos géographies, à décoloniser nos #imaginaires pour une émancipation définitive et globale.

    https://editionsicibas.fr/livres/nous-sans-letat-une-reflexion-profonde-et-vivifiante-sur-les-resistan
    #Etat-nation #nationalisme #décolonial #peuples_autochtones #intersectionnalité #patriarcat #colonialisme #colonialité #capitalisme
    #livre
    ping @karine4 @reka

    • Yásnaya Aguilar: la defensora de lenguas que imagina un mundo sin Estados

      #Yásnaya_Elena_Aguilar_Gil es lingüista, escritora, traductora y activista mixe; su voz es cada vez más relevante en un país enfrentado con su propio racismo y donde los pueblos indígenas aún son discriminados y despojados de sus territorios

      En febrero de 2019, Yásnaya Elena Aguilar Gil subió a una de las tribunas más importantes del país y dio un discurso en mixe, o ayuujk, su lengua natal, con motivo de la celebración del Año Internacional de las Lenguas Indígenas. Advirtió que cada tres meses muere una lengua en el mundo, y que esta pérdida cultural acelerada es resultado de las prácticas y políticas nacionalistas de los Estados, en general, y de México, en particular. Sus oyentes en la sala eran los diputados del Congreso de la Unión, uno de los pilares de esa entidad abstracta que llamamos Estado mexicano.

      “Fue México quien nos quitó nuestras lenguas, el agua de su nombre nos borra y nos silencia”, pronunció Yásnaya en su idioma. “Nuestras lenguas continúan siendo discriminadas dentro del sistema educativo, dentro del sistema judicial y dentro del sistema de salud. Nuestras lenguas no mueren solas, a nuestras lenguas las matan”.

      De acuerdo con los datos presentados por la lingüista originaria de Ayutla Mixe (Oaxaca), en 1820, 65 por ciento de quienes habitaban el recién creado territorio mexicano hablaba una lengua indígena. En la actualidad, dos siglos más tarde, esa proporción se redujo a 6.5 por ciento de la población. “Se quitó el valor a nuestras lenguas en favor de una lengua única, el español. Con el fin de hacer desaparecer nuestras lenguas, a nuestros antepasados se les golpeó, se les regañó y se les discriminó por el hecho de hablarlas”, continuó Yásnaya, quien advierte que, de mantenerse la tendencia, en cien años sólo 0.5 por ciento de los mexicanos se considerarán a sí mismos indígenas.

      La desaparición de la diversidad lingüística es una de las mayores preocupaciones de Aguilar Gil, y por eso trata el tema desde distintos ángulos en buena parte de sus ensayos. Sus ideas pueden encontrarse en diversas publicaciones colectivas e individuales, como la antología de autoras mexicanas que escriben sobre feminismo en Tsunami (Sexo Piso, 2018); o el libro breve Un Nosotrxs sin Estado (OnA Ediciones, 2018), donde la autora se pregunta si “necesitamos al Estado para nombrarnos o podemos gobernarnos nosotrxs mismxs”.

      Su voz se vuelve cada vez más relevante en un país enfrentado con su propio racismo, y en el que las comunidades indígenas aún son despojadas de sus territorios por gobiernos y empresas con proyectos extractivistas. A Yásnaya se le escucha en conferencias y en ferias de libros; en los medios de comunicación y en Twitter, la red que amplifica sus reflexiones, sus demandas y sus historias de Ayutla.

      ¿Cómo llega una lingüista mixe, nacida y criada en la sierra norte de Oaxaca, a plantear un debate sobre la deseable —aunque improbable en el corto plazo— desaparición de los Estados? La propia Aguilar Gil describe su recorrido intelectual en una entrevista telefónica. Cuando cursaba la licenciatura de Literaturas Hispánicas, en la UNAM, la estudiante descubrió su pasión por la gramática, y pronto se dio cuenta de que no conocía la descripción gramatical del mixe. No sabía cómo escribir su propia lengua materna. Por eso, ella y uno de sus amigos se propusieron analizarla.

      “Empezamos a transcribir un casete de mi abuela para tratar de entender la fonología y el funcionamiento de la lengua. Muchos de mis trabajos fueron sobre ese tema y así me conecté, por fin, con el movimiento que estaba escribiendo el mixe desde hacía más de veinte años”, cuenta la escritora, quien más tarde cursó la Maestría en Lingüística en la misma universidad. También, de esa forma, Yásnaya entró en contacto con aquellos con quienes después fundaría el Colmix, un colectivo de jóvenes que realiza actividades de investigación y difusión de la lengua, la historia y la cultura mixes (colmix.org).

      En los periodos vacacionales, cuando regresaba a su pueblo desde Ciudad de México, Aguilar Gil comenzó a notar un proceso de pérdida lingüística en su comunidad: “Veía diferencias respecto a la época en la que yo era una niña; cada vez escuchaba menos hablantes de mixe y esto me empezó a preocupar”. Aunque es verdad que para un observador externo puede parecer una lengua muy viva, hablada por más de 80 por ciento de la población mixe, también es cierto que la tendencia a perder hablantes es la misma en todas las lenguas no oficiales del mundo.

      El foco de atención de Yásnaya se centró entonces en la pérdida de las lenguas indígenas, y su primer objetivo fue buscar el porqué. “La respuesta que encontré, y que hoy me parece evidente —aunque no me lo parecía entonces—, es que el fenómeno tiene que ver con la conformación de los Estados”, dice. En otro de sus ensayos, titulado “Lo lingüístico es político” (2019), Aguilar Gil hace una distinción “entre las lenguas de Estado y las lenguas a pesar del Estado”.

      Como lingüista, analiza el origen y la carga simbólica de las palabras. Indio viene del sánscrito, sindhu, y su uso por los colonizadores españoles fue, como se sabe, el resultado de una confusión geográfica. La autora explica que la palabra indígena comenzó a utilizarse varios siglos después, tras la creación del Estado mexicano, y que, contrario a lo que se cree, ambos términos no tienen una relación etimológica. Indígena viene del latín indi (“de allí”) y gen (“nacido”), y significa “nacido allí” u “originario”. Hoy usamos esta palabra indistintamente para referirnos a las más de 68 naciones y las 12 familias lingüísticas que coexisten en territorio mexicano, aunque haya diferencias radicales entre ellas.

      Por eso, Aguilar Gil sostiene, como una de sus tesis principales, que “la categoría indígena es una categoría política, no una categoría cultural ni una categoría racial (aunque ciertamente ha sido racializada)”. Indígenas, propone, son las más de siete mil naciones en el mundo que no conformaron Estados, tales como “el pueblo ainú en Japón, el pueblo sami en Noruega y el pueblo mixe en Oaxaca”.

      El problema radica en que los cerca de 200 Estados modernos suelen negar o combatir la existencia misma de otras naciones con lengua, territorio y un pasado común propios. Estas naciones son la negación del proyecto de Estado, dice la lingüista, ya que dicho proyecto se fundamenta en una supuesta identidad homogénea, con una sola lengua, una bandera, un himno, una historia, unas fiestas y un territorio. “El nacionalismo mexicano es la narrativa que justifica la violencia racista que han padecido los pueblos indígenas de México”, afirma en su ensayo.

      Pero la autora también nos recuerda que tal división política del mundo funciona apenas desde hace un par de siglos —de los nueve mil años de historia mesoamericana—, y que no tiene por qué ser eterna. En un mundo sin Estados, deduce Aguilar Gil, ella dejaría de ser indígena para ser sólo mixe, y lo mismo pasaría con los ainú, los sami, los mapuche, los rarámuri o los wixaritari. El gran reto es imaginar cómo podría funcionar un mundo así.

      Las primeras lecturas

      Yásnaya Elena Aguilar Gil es parte de la segunda generación en su familia que terminó la educación primaria y la primera en obtener el grado de maestría. En un breve ensayo titulado “Los actos de lectura están inmersos en una red tejida por el colonialismo”, cuenta que su abuelo estudió hasta el segundo grado y que aun así trabajó como escribano, campesino y albañil: “Ayudaba con la correspondencia de las personas, leía las cartas a los destinatarios de mi comunidad cuando así se lo pedían, les traducía al mixe, escuchaba la respuesta, la traducía de nuevo al español, y por fin escribía la contestación con una hermosa letra que nunca he podido lograr”.

      Las letras siguieron presentes en la casa familiar. Los tíos de Yásnaya pudieron salir de Ayutla en la década de 1970 para estudiar la preparatoria y la universidad, y a su regreso se convirtieron en mentores de lectura para la futura escritora. Pero Aguilar confiesa que no siempre disfrutó leer, pues en los inicios tuvo que lidiar con textos complejos sin entender demasiado el español. Sus tíos se habían enfrentado a contextos de discriminación y querían evitar que ella pasara por lo mismo. La solución que idearon fue enseñarla a leer el castellano antes de entrar a la escuela, para eliminar su acento de mixehablante.

      Yásnaya describe la alfabetización que el Estado mexicano llevó a cabo en las comunidades indígenas como “un proyecto castellanizador belicoso y amedrentante”. Sucedió sobre todo a partir de la primera mitad del siglo XX, con el objetivo, afirma, de desaparecer las lenguas indígenas. “Alfabetizar significaba hacer triunfar la llamada lengua ‘nacional’ sobre dialectos que significaban pobreza y atraso en los discursos de educadores rurales oficiales como Rafael Ramírez” (quien colaboró con la reforma educativa impulsada por José Vasconcelos).

      Algunos de los textos con los que Aguilar Gil aprendió a pronunciar las palabras del nuevo idioma, sin entender su significado, provenían de ejemplares traducidos de la revista soviética Sputnik y del Libro Rojo, de Mao Tse-Tung. Los tíos de la autora estaban entusiasmados con el comunismo y con la urss, y gracias a esas lecturas se enteraban de la existencia de lugares “donde los obreros podían asistir a clases de Física o talleres de arte y donde todas las personas eran iguales”. De hecho, Yásnaya se llama así gracias a esa filia por lo ruso que existía en su familia. Su primer nombre lo eligió el mayor de sus tíos a partir de un sitio particular: Yásnaia Poliana, una finca rural a unos 200 kilómetros al sur de Moscú donde nació, vivió y fue enterrado el novelista León Tolstoi.

      “Con el paso del tiempo, conforme fui aprendiendo castellano, los edificios sonoros comenzaron a tomar sentido. Islas de significado iban emergiendo entre los textos del libro Español Lecturas que nos repartían en la escuela”, narra la lingüista. Sus tíos le dejaron una indicación muy concreta antes de tener que emigrar de Ayutla: elegir los libros que estuvieran clasificados como clásicos. Así fue como Yásnaya leyó adaptaciones infantiles de Las mil y una noches, La Ilíada o La Odisea. Y fue gracias a estas historias que comenzó a amar la lectura.

      Agua para Ayutla

      Además de su activismo por la diversidad lingüística, la escritora afirma que su otra gran lucha es por devolverle el agua a su comunidad. Ella ha denunciado una y otra vez, en distintos foros, que, desde junio de 2017, los habitantes de San Pedro y San Pablo Ayutla no tienen acceso al agua potable. Las autoridades estatales lo han llamado un conflicto agrario entre este municipio y su vecino, Tamazulápam del Espíritu Santo. Pero es más que eso, pues los habitantes de este último están respaldados por un grupo armado presuntamente ligado a la siembra de amapola.

      Aguilar Gil habló de este problema en su discurso ante los diputados: “Por medio de armas y de balas nos despojaron del manantial, por medio de armas tomaron y callaron la fuente de agua para nosotros. A pesar de que las leyes dicen que el agua es un derecho humano, ya el agua no llega desde hace dos años a nuestras casas y esto afecta, sobre todo, a ancianos y niños”.

      El día en que su sistema de agua potable fue dinamitado, la comunidad de Ayutla también perdió a uno de sus miembros —Luis Juan Guadalupe, quien fue asesinado—, debió atender a más de seis heridos y sufrió la ausencia temporal de cuatro compañeras que fueron secuestradas y torturadas. En más de dos años y medio, las autoridades responsables no han hecho justicia ni han sido capaces de devolver el servicio básico a un poblado de más de tres mil habitantes.

      La lingüista no duda que el Estado es parte del problema al solapar las violencias cometidas contra su pueblo. “Hay una impunidad activa, voluntaria, que no entiendo. Hay una complicidad, incluso, un dejar hacer”, lamenta.

      A pesar de las enormes dificultades que supone la carencia de agua potable, la comunidad continúa su vida colectiva en Ayutla. Aguilar Gil regresó al pueblo cuando la asamblea comunitaria —el máximo órgano de decisión— la nombró secretaria del presidente municipal y guardiana del archivo. Ahora, explica, se encuentra en un periodo de descanso al que tienen derecho todos los servidores públicos de este sistema normativo propio —conocido como “usos y costumbres”—, gracias al cual algunos pueblos indígenas ejercen un grado de autonomía establecido en la ley.

      En la asamblea comunitaria están obligados a participar todos los ciudadanos mayores de 18 años, excepto los estudiantes, los mayores de 70 o quienes hayan cumplido ya con todos sus cargos. El presidente municipal es nombrado por la asamblea y no puede hacer nada sin consultarla; a escala local no hay partidos políticos ni elecciones tradicionales y las autoridades municipales no cobran sueldos. Por el contrario, un cargo público supone un desgaste económico para quien lo asume.

      Aunque actualmente Yásnaya no tiene un cargo oficial, la asamblea le ha conferido un encargo: acompañar la interlocución con el Estado en el problema del agua. Por eso, el pasado 13 de enero, Aguilar Gil acudió, junto a las responsables de bienes comunales, a interpelar, una vez más, al gobernador de Oaxaca. Alejandro Murat hablaba en el Foro Estatal Hacia una Nueva Ley General de Aguas sobre el derecho humano de acceso a este recurso, cuando la lingüista y sus compañeras se pusieron de pie para mostrar una cartulina con la leyenda: “Agua para Ayutla”.

      La otra gran razón por la que Yásnaya decidió regresar a la vida rural fue su abuela, la persona con la que se crió. Quienes siguen a la lingüista en las redes (su cuenta en Twitter es @yasnayae) saben de su amor incondicional por ella, y lo difícil que ha sido su duelo tras perderla. “Ahora estoy tratando de continuar con todo lo que ella hacía; estoy concentrada en mantener todo vivo: la siembra, sus animales, sus plantas”, cuenta. Esto también la ha obligado a bajar el ritmo en la escritura. Mientras se acopla a sus nuevas labores, dice, escribe sólo cuando tiene un encargo o cuando aterriza alguna nueva idea.

      La organización comunitariacomo alternativa

      El pasado 13 de diciembre, la Banda Filarmónica de Ayutla sufrió el robo de la mitad de sus instrumentos musicales, que estaban resguardados en la escoleta municipal. De inmediato, figuras como el alcalde, el presidente de la banda y la lingüista Yásnaya Aguilar Gil denunciaron el hecho y pidieron ayuda para recuperar los instrumentos que, en su mayoría, son tocados por niños y niñas de entre seis y 13 años. El mensaje se difundió rápidamente. Tanto, que en pocos días la Secretaría de Cultura de Oaxaca resarció parte de los daños al entregar, de manos del gobernador, 36 instrumentos nuevos a los jóvenes músicos.

      El pueblo entero y algunos de sus vecinos se movilizaron para recuperar cuanto antes “el corazón de la comunidad”, como nombró Yásnaya a la agrupación musical. También tuvo un efecto significativo el llamado de la escritora vía su cuenta de Twitter, donde tiene más de 23 mil seguidores. Algunos de ellos hicieron donaciones que se convirtieron en tres flautas transversales, un saxofón alto, un clarinete, un violín, una trompeta, un arpa pequeña, una flauta alto y un atril. El 26 de diciembre, después de que la banda realizara los rituales de agradecimiento, la música en Ayutla volvió a sonar.

      También la lingüista ha puesto a discusión con sus interlocutores tuiteros su idea utópica de la desaparición de los Estados, llamando a aportar ideas sobre posibles formas de autogestión. Aguilar cuenta que, en efecto, ha recibido propuestas interesantes, pero, sobre todo, una lluvia de comentarios que expresan preocupación. “Resulta casi imposible pensar el mundo sin estas divisiones que se asumen como existentes desde siempre”, escribe en Un Nosotrxs sin Estado. Y en la entrevista agrega: “Yo les digo que no se preocupen, no creo que lo lleguemos a ver en esta vida; pero, ¿por qué no podemos imaginarlo? Hay incluso una colonización de la imaginación”.

      Lo que ella imagina “es una diversidad de sistemas políticos; una confederación o alianzas libres de unidades mucho más pequeñas y autogestivas que no dependan del famoso monopolio del uso legítimo de la violencia del Estado”. También señala que, en este ejercicio imaginativo, es importante no caer en la tentación de replicar el modelo de opresión al que siempre han resistido los pueblos indígenas: “Los Estados administran un sistema colonialista, capitalista y patriarcal, ¿por qué habríamos de replicarlo?”.

      Hacia el final de su ensayo, Yásnaya esboza algunas propuestas concretas para este mundo imaginario, relacionadas con la seguridad, la educación, la salud y la impartición de justicia. Además, deja abierta una invitación generalizada: arrebatar cada vez más funciones al Estado. Lo anterior ya se hace, en cierta medida, en Ayutla y otros municipios de Oaxaca, donde las asambleas de comuneros han cooptado la institución municipal.

      Pero el primer gran paso, sostiene Aguilar, sería declarar la existencia de territorios indígenas autónomos en los que el Estado no pueda concesionar proyectos extractivos que atenten contra la salud y la calidad de vida de las personas. “A nuestras lenguas las matan cuando no se respetan nuestros territorios, cuando venden y hacen concesiones con nuestras tierras”, pronunció Yásnaya en mixe durante su discurso en la Cámara de Diputados. “Es la tierra, el agua, los árboles los que nutren la existencia de nuestras lenguas. Bajo el ataque constante de nuestro territorio, ¿cómo se puede revitalizar nuestra lengua?”.

      https://magis.iteso.mx/nota/yasnaya-aguilar-la-defensora-de-lenguas-que-imagina-un-mundo-sin-estados

  • « Nous sans l’État »
    https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/2024/10/14/nous-sans-letat

    de Yásnaya Elena Aguilar Gil (2024) L’ouvrage « Nous sans l’État » de Yásnaya Elena Aguilar Gil, publié en 2024 aux éditions Ici-bas, constitue une analyse saisissante des formes de résistance indigène et communautaire face à l’État moderne. Aguilar Gil, auteure et linguiste zapotèque, y expose la manière dont les #Peuples_autochtones au Mexique et dans le […]

    #Recensions_d'ouvrages_divers #[VF] #Peuples_premiers #Premières_nations


    https://2.gravatar.com/avatar/2cef04a2923b4b5ffd87d36fa9b79bc27ee5b22c4478d785c3a3b7ef8ab60424?s=96&d=

  • #Turtle_Island Decolonized : Mapping Indigenous Names across “North America”

    Indigenous place names carry the stories of the land and its people, reflecting the unbroken relationships between them. From the moment Columbus landed at Guanahaní and christened it “San Salvador,” place names became weapons to claim Indigenous land. The erasure of Indigenous peoples from colonial maps was deliberate. Reclaiming these names is part of a movement to revitalize endangered languages, undo centuries of suppression and widespread misinformation, and acknowledge unextinguished Indigenous land tenure.

    This map was a collaborative endeavor involving hundreds of Indigenous elders and language-keepers across the continent to accurately document place names for major cities and historical sites. The process of consultation and research for the map was a 9-year effort. In fact, the Decolonial Atlas was started in 2014 initially just to make this map.

    Nearly 300 names are compiled here, representing about 150 languages. Some names are from the precolonial era, while others are not quite as old, and in certain cases where the original name has been lost, Indigenous collaborators reconstructed names based on their cultural relationship with that location. Because Indigenous languages are living and dynamic, none of these names are any less “authentic” than others. Embedded in all these names are ancestral words and worldviews. However, some major cities are missing from the map because, as our collaborator DeLesslin George-Warren (Catawba) pointed out, “The fact is that we’ve lost so much in terms of our language and place names. It might be more honest to recognize that loss in the map instead of giving the false notion that the place name still exists for us.”

    The names are written as they were shared with us, but may be spelled differently depending on the orthography. Note that some languages, like Lushootseed, do not use capital letters, while others, like Saanich, are written only in capital letters. Most names are spelled in the modern orthographies of their languages, but some, like the Lenape name for Philadelphia, were spelled as recorded by early settlers because it could not be confidently interpreted.

    In the context of Indigenous erasure, the global collapse of traditional ecological knowledge, language suppression and revitalization, our hope is that this map will lead to more accurate cultural representation and recognition of Indigenous sovereignty.

    Indigenous Names of Major Cities and Historical Sites

    The following is a list of every name as it appears on the map. Pronunciation resources can be found by clicking the hyperlinked names.

    https://decolonialatlas.wordpress.com/turtle-island-decolonized
    #toponymie #toponymie_politique #toponymie_décoloniale #colonialisme #décolonial #peuples_autochtones #cartographie #visualisation #contre-cartographie
    ping @reka

  • #Mishtamishk, la #légende du #castor_géant

    Montage audiovisuel réalisé dans le cadre du projet numérique #Uelutshiun de la Société d’histoire et d’archéologie de #Mashteuiatsh. Légende #ilnu racontée en nehlueun par Jack Germain avec la narration française par Alain Connolly. L’illustration et l’animation ont été réalisée par l’artiste Sophie Kurtness.

    https://www.youtube.com/watch?v=fJFU1_uz_-k

    #castor #peuples_autochtones #animation #film_d'animation #castors

  • « La #forêt_amazonienne est habitée depuis toujours »

    Sous ses dehors sauvages, la forêt amazonienne est habitée depuis des millénaires par des populations qui ont su l’exploiter tout en la préservant, comme le raconte le géographe François-Michel Le Tourneau dans ce 4ᵉ volet de notre série d’été consacrée à la forêt.

    On imagine la forêt amazonienne comme un espace vierge de présence humaine. Mais c’est loin de la vérité. Vous êtes spécialiste de la région amazonienne, notamment dans sa partie brésilienne. Pouvez-vous nous dire qui habite cette forêt aujourd’hui ?
    François-Michel Le Tourneau1. Depuis une trentaine d’années, le concept de forêt vierge appliqué à l’Amazonie est en train de voler en éclats. L’histoire de la région a été dominée jusqu’aux années 1970 par des archéologues occidentaux, qui avaient imposé l’idée d’une forêt impénétrable, produisant peu de ressources, en particulier peu de protéines animales, où ne pouvaient subsister que quelques tribus nomades. Mais c’est faux ! D’abord, le peuplement de cette région remonte au moins à 11 000 ans avant notre ère. Différentes populations ont peu à peu domestiqué des plantes comme le riz et le manioc. Elles ont par ailleurs développé des civilisations denses et quasi-urbaines dans les siècles qui ont précédé la colonisation européenne, comme le montre l’apport récent du lidar, une technique de télédétection laser qui traverse la canopée et révèle le modelé exact du sol.

    Mais à cause de l’arrivée des Européens et, avec eux, des épidémies, 80 % à 90 % de cette population a été décimée. Les Portugais ont alors importé de la main-d’œuvre depuis l’Afrique et une partie de ces esclaves, les quilombolas, appelés aussi « Noirs marrons », se sont échappés pour vivre en forêt. Par ailleurs, des métissages ont eu lieu entre Amérindiens et Européens, dont sont issus les caboclos, des paysans qui ont formé petit à petit le gros de la population du bassin amazonien. Le peuplement de la forêt amazonienne est donc le fruit d’une histoire où se sont succédé et mélangées des populations d’origines très différentes.

    Les Amérindiens ne sont donc pas les seuls habitants de cette forêt ?
    F.-M. Le T. Non, en effet. Et l’histoire ne se termine pas là ! Au XIXe et au XXe siècle, deux grandes vagues d’immigration ont entraîné des afflux de population du Nord-Est. À la fin du XIXe siècle, quand la demande de latex a explosé dans le monde, 500 000 seringueiros sont venus pratiquer en forêt la saignée des hévéas (seringueira en portugais, Ndlr). L’euphorie liée au commerce du caoutchouc n’a pas duré longtemps, car la Malaisie a repris cette exploitation à grande échelle. Comme dans le conte de Cendrillon, la région amazonienne s’est rendormie pour plus d’un siècle. Jusqu’à ce que le régime militaire brésilien arrivé au pouvoir en 1964 décide de développer une région considérée – toujours à tort ! – comme vide et arriérée et de l’arrimer au reste du pays, craignant une prise de contrôle par d’autres puissances. Il organise alors un grand plan de colonisation agricole par des populations paysannes sans terre, ce qui lui permet en même temps d’éviter une réforme agraire dans le reste du pays.

    Plusieurs millions de personnes arrivent ainsi dans les années 1970-1980, profitant des routes qui sont construites dans le même temps à travers la forêt. La population urbaine commence à dépasser la population rurale… au point que la géographe brésilienne Bertha Becker qualifiait dès 2000 cette Amazonie brésilienne de « forêt urbanisée » ! Aujourd’hui, environ 25 millions de personnes vivent en Amazonie brésilienne, dont 753 000 Amérindiens. Parmi elles, 350 000 habitent au cœur même de la forêt.

    La population amérindienne est à nouveau en progression ?
    F.-M. Le T. Oui, elle a fortement augmenté depuis trente ans au Brésil en général et en Amazonie en particulier. Depuis les années 1970, une meilleure prise en charge sanitaire, notamment vaccinale, a amélioré la santé des Amérindiens. Surtout, une convergence est apparue à partir de 1985 entre la montée des préoccupations environnementales d’une part et les luttes sociales des populations autochtones d’autre part.

    En 1988, une nouvelle constitution a reconnu leurs droits et leurs langues, et leur a restitué de larges pans de territoires : aujourd’hui, sur 3,3 millions de kilomètres carrés de forêt amazonienne brésilienne, environ 1,3 million de kilomètres carrés (trois fois la France métropolitaine environ) sont exclusivement réservés aux Amérindiens. À cela s’ajoutent les terres allouées à d’autres populations traditionnelles, comme les seringueiros. Confrontés dans les années 1970 à l’arrivée de propriétaires qui défrichent massivement, ils ont obtenu une gestion communautaire de ces terres. Même chose pour les ribeirinhos vivant sur les berges du fleuve, qui ont récupéré des réserves de développement durable et des droits spécifiques dans la préservation de ces écosystèmes.

    On oublie trop souvent que des centaines d’espèces et de variétés étaient cultivées en forêt par les Amérindiens avant le contact avec les Européens, sans entraîner de dégradation de la fertilité des sols, au contraire ! Là où les grandes entreprises agricoles défrichent d’immenses surfaces pour ne faire pousser que quelques espèces à grand renfort d’intrants chimiques.

    De quelle façon ces populations vivent-elles de la forêt ?
    F.-M. Le T. Les Amérindiens pratiquent pour la plupart un système mixte qui repose sur une agriculture rotative par abattis-brûlis, la collecte de ressources végétales (graines, semences, lianes), ainsi que la pêche et la chasse. Pour fonctionner, ce système impose d’avoir accès à de vastes surfaces qu’ils parcourent en fonction des saisons et des besoins.

    Les autres populations traditionnelles ont repris certaines bases des Amérindiens, notamment l’agriculture rotative, mais elles utilisent souvent plus intensivement d’autres ressources car elles tirent une partie de leur subsistance de la vente de ces produits (noix, fibres, semences, etc.) sur les marchés. Dans les deux cas, de plus en plus, les allocations sociales et les salaires participent aussi aux économies des familles, entraînant des changements de régimes alimentaires pas toujours heureux.

    Ces populations traditionnelles sont-elles un rempart contre la déforestation ?
    F.-M. Le T. En partie oui. Le gouvernement brésilien considère d’ailleurs que les territoires amérindiens participent au réseau des unités de conservation de l’environnement. Dans le même temps, les politiques de développement se pensent toujours face à une nature sauvage qu’il s’agirait de domestiquer, avec des plantations monospécifiques, des pâturages destinés aux élevages ovins et bovins, des grandes cultures, qui ne laissent aucune place aux processus naturels. L’idée perverse d’une profusion inépuisable de la forêt n’est pas remise en question...

    Mais les peuples autochtones deviennent aussi, pour certains, prisonniers d’une injonction à sauver la forêt. Or, leur projet de développement dans le futur n’est pas forcément de conserver un mode de vie traditionnel. De nouveaux besoins se font jour, qui nécessitent souvent l’accès à des revenus monétaires. Certains, pour subsister, acceptent de faire des coupes à blanc (abattage sur de très grandes surfaces de la totalité des arbres d’une exploitation forestière, Ndlr) dans la forêt afin d’y créer des pâturages pour de l’élevage. Doit-on les en empêcher ? Il faut noter enfin que la plupart ne résident plus seulement dans leurs territoires d’origine mais pratiquent des mobilités circulaires entre ville et forêt, utilisant l’espace périurbain pour continuer leurs activités agricoles et de collecte tout en profitant des avantages de la ville, comme l’accès à la scolarité ou à des emplois rémunérés.

    Le sujet est compliqué. En réalité, ce devrait être à l’État de protéger cet environnement, tout en acceptant le droit à l’autodétermination de ces populations et leur aspiration à une prospérité matérielle équivalente à celle du reste du Brésil.

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-foret-amazonienne-est-habitee-depuis-toujours

    #géographie_du_vide #géographie_du_plein #Amazonie #peuples_autochtones #forêt #Amérique_latine #forêt_vierge #exploitation #Brésil #peuplement #quilombolas #noirs_marrons #esclavage #histoire #caboclos #agriculture #villes #urbanité #latex #hévéas #caoutchouc #colonisation #colonisation_agricole #réforme_agraire #forêt_urbanisée #vaccins #vaccination #démographie #agriculture_rotative #abattis-brûlis #alimentation #régime_alimentaire #déforestation #plantations #pâturages #terres #coupes_à_blanc #élevage #mobilités_circulaires

  • Tentative d’épuration toponymique néocoloniale et déni des droits autochtones : le lac argentin Acigami voit son nom d’origine autochtone effacé pour lui substituer celui du conquérant des terres du sud
    https://neotopo.hypotheses.org/7920

    Stupéfiante et terrible nouvelle toponymique : en Terre de Feu argentine, un important lac (le lac Acigami) voit son nom d’origine autochtone effacé par les nouvelles autorités argentines pour lui substituer le nom du...

    #A_votre_vote_ !A_vos_noms ! #ExploreNeotopo

    • La toponymie argentine : un enjeu de pouvoir pour le gouvernement de #Javier_Milei

      Il y a trois jours un mouvement que je pensais inaliénable pour la reconnaissance des peuples de Patagonie s’est brusquement interrompu : Manuel Adorni, porte-parole du gouvernement de Javier Milei, a annoncé depuis la Casa Rosada le changement de nom d’un lac situé à quelques kilomètres à l’ouest d’Ushuaia, pour “rétablir l’ordre dans le sud du pays”, “protéger les propriétaires des terres prises” dans le cadre d’”usurpations de terres par des pseudo-mapuches”. La décision a été prise par le gouvernement le vendredi 7 juin 2024 et est soutenue par le Président de l’Administration des Parcs Nationaux, Cristian Larsen.

      Cela pourrait sembler dérisoire, un nom de lac, mais la symbolique qu’il revêt dépasse de loin ce que mon esprit pouvait imaginer. Ce n’est que depuis le début des années 2000, sous la présidence de Cristina Kirchner, que ce lac avait retrouvé son nom yagan “Acigami”, s’ajoutant ainsi à la liste des rares toponymes d’origine yagan, selk’nam, haush ou kawesqar encore présents dans les bases de données géographiques officielles en Argentine et au Chili.

      Selon mes analyses du catalogue de l’Institut Géographique National d’Argentine, en 2019 moins de 8% des toponymes de la province de Terre de Feu avaient une origine indigène, ce qui signifie que plus de 90% des noms de lieux sont liés aux différentes vagues d’exploration et de colonisation de cette région. Le lac Acigami faisait donc partie jusqu’à il y a peu des rares noms yagan a avoir retrouvé sa place après qu’un autre nom, “#Lac_Roca”, lui ait pris sa place durant de nombreuses décennies.

      Lors de la revue de presse du 12 juin 2024, Manuel Adorni a déclaré : “le lac Acigami, qui est un nom aborigène qui signifie “poche allongée”, Dieu sait ce que cela a à voir avec, le lac Roca a été rebaptisé, comme il l’était avant 2008, en l’honneur du héros, ancien président de la République et architecte de la consolidation de l’État-nation, qui avec sa vision et son leadership a fini par délimiter l’extension de notre territoire” (“El lago Acigami, que es un nombre aborigen que significa ‘bolsa alargada’, vaya a saber Dios qué tenía que ver, se volvió a llamar al lago Roca, como lo hizo hasta 2008, en honor al prócer, expresidente de la República y artífice de la consolidación Estado-nación, quien con su visión y liderazgo terminó por delimitar la extensión en nuestro territorio”).

      En plus d’un ton dépréciatif non dissimulé à l’égard de ce nom yagan et plus généralement envers ce peuple qualifié de “pseudo-mapuche”, nous pouvons reprocher aux décisionnaires une méconnaissance de l’histoire argentine liée à ce lieu. Ce lac se nommait ainsi bien avant que les terribles effets de la Conquête du Désert (qui n’en était pas un !) menée par le Général Roca ne s’y manifestent. Pour rappel, et ce rappel démontre à quel point ce changement de nom est idéologiquement terrible, Julio Argentino Roca, avant de devenir président de 1880 à 1886, était un militaire et a eu pour mission de conquérir les terres situées au sud du Rio Negro, la Patagonie donc, afin d’y affirmer la souveraineté argentine. Nommée “Conquête du Désert”, cette expédition de plusieurs années a eu pour effet le génocide des peuples de Patagonie, encore trop peu documenté à ce jour et d’une ampleur effroyable, afin que des colons les remplacent en s’y installant avec leurs ovins.

      Il est à noter que nous retrouvons la mention de ce nom de lieu dès 1883, à la page 81 du rapport d’expédition de Giacomo Bove réalisée à la demande du gouvernement argentin et en partenariat avec le Consulat Italien à Buenos Aires, durant la présidence de Julio Argentino Roca. Il apparaît également dans de nombreuses sources (Thomas Bridges, Nathalie Goodall,…) et pas toujours orthographié de la même manière (Acacima, Ucasimae, Acagimi, Asigami,…).

      Affirmer qu’avant 2008 ce lac avait pour seul nom “Roca” démontre une méconnaissance des archives de l’Institut Géographique National et un mépris protéiforme pour l’histoire. Les yagans habitent ces territoires depuis des milliers d’années et le retour de ce nom de lieu était lié à des obligations légales relatives aux peuples indigènes, l’Argentine ayant ratifiée la Convention 169 de l’OIT en 2000.

      Et surtout, cette décision ne manque pas d’ironie puisque sous couvert de modernisation et de regard tourné vers un Occident présenté comme modèle, le gouvernement de Milei fait l’exact inverse de ce qui se passe de plus en plus généralement en Europe, avec la cohabitation de toponymes dans diverses régions, la mienne par exemple (Bretagne, avec des noms en français, gallo et breton).

      En tant que chercheuse dédiée aux questions de toponymie (>3000 noms de lieux recensés), je dénonce cette attaque contre les yagan et apporte tout mon soutien à ce peuple dont le porte-parole, Victor Vargas Filgueira, n’a de cesse de lutter pour visibiliser son peuple, comme il a pu le faire en présentiel en France lors du festival Haizebegi de Bayonne en 2019 et durant lequel l’association Karukinka était investie.

      Pour terminer cet article bien amer, je citerai les mots réconfortants de David Alday, ex-président de la communauté yagan de la baie Mejillones au Chili : “L’histoire et la mémoires de nos peuples originaires ont des milliers d’années et cela ne s’efface pas comme ça, quelque soit les annonces qu’ils font, il y a toujours quelqu’un pour enseigner et souligner la réalité de notre riche toponymie. Il est temps d’écouter et d’observer tranquillement Marraku [Victor], écouter et observer.” (“La historia y memoria de nuestros pueblos originarios tienen miles de años, no se borra por más anuncios que se hagan, siempre hay alguien que enseñe y señale la realidad de nuestra rica toponimia. Es tiempo de escuchar y observar tranquilos Marraku, escuchar y observar.”)

      https://karukinka.eu/fr/la-toponymie-argentine-un-enjeu-de-pouvoir-pour-le-gouvernement-de-milei

  • Point de suspension – #Gaza et la nécessité de dire
    https://ecologiesocialeetcommunalisme.org/2024/07/16/point-de-suspension-gaza-et-la-necessite-de-dire

    « Point de suspension » est un ouvrage poétique singulier, fruit du travail commun de Olivia Elias et Michaël Glück, publié par les éditions L’AMOURIER au second trimestre 2024. Ce recueil se distingue par sa profondeur thématique et sa richesse stylistique, explorant les méandres de l’existence, de l’absence et de l’attente, symbolisés par les points de suspension […]

    #Recensions_d'ouvrages_divers #[VF] #Peuple_palestinien


    https://2.gravatar.com/avatar/2cef04a2923b4b5ffd87d36fa9b79bc27ee5b22c4478d785c3a3b7ef8ab60424?s=96&d=

  • #Législatives_2024 : « J’y croyais à cet #Etat qui aide le #peuple. J’ai été communiste, socialiste, mais ils ont tous capitulé face au #capitalisme. Alors, j’ai voté #blanc »

    https://www.lemonde.fr/intimites/article/2024/07/05/legislatives-2024-j-y-croyais-a-cet-etat-qui-aide-le-peuple-j-ai-ete-communi

    Moi, l’argent, je lui cours après. Je suis #fonctionnaire, je gagne à peu près 2 000 euros par mois. Je suis maître-nageur sauveteur, je suis prof de sport. Tous les week-ends, je suis à la piscine, je donne des cours particuliers : trente minutes, 15 euros. Et malgré tout, je suis à zéro tous les mois. Voire, des fois, à moins de zéro. Cet hiver, pour faire des #économies d’électricité, ma compagne et moi, on dormait en jogging avec nos capuches sur la tête. J’ai dû demander de l’argent à mes parents. J’ai 42 ans. J’ai honte. Et Macron n’a rien fait à part tabasser les “#gilets_jaunes”, alors que, justement, ils voulaient aller au travail, sauf qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour payer l’essence.

  • “Quand le moment sera venu”
    https://www.kedistan.net/2024/06/02/quand-le-moment-sera-venu

    La vraie question est celle de la reconnaissance de la #Palestine et de l’ensemble des populations qui la composent Cet article “Quand le moment sera venu” a été publié par KEDISTAN.

    #Analyses #Chroniques_de_Daniel_Fleury #Droits_humains #Intégrismes #Peuples #Gaza #Génocide

  • #COLD_CASES

    These three videos 2021-22 investigate the politics of ‘cold’ through the examination of a series of cases and contexts in which the thermostatic condition of cold and its differential experiences and effects are entangled with legal questions, human rights violations, but also claims for social and environmental justice.

    Through the analysis of a series of contemporary as well as historic ‘cold cases’ the project explores the strategic role of temperature and speculates about the emergence of a new thermo-politics defined by cold.

    Each of these COLD CASES exposes the degree to which temperature becomes a register of violence. One that includes the leagcies of climate colonialism, longstanding socio-economic inequalities, and ongoing structural racism.

    https://susanschuppli.com/COLD-CASES-1

    #architecture_forensique #froid #décès #violence #température #thermopolitique #thermo-politique #racisme_structurel #Susan_Schuppli #mourir_de_froid #peuples_autochtones #eau #abandon #Canada

    ping @reka @fil @karine4

  • Contester l’ordre et l’héritage colonial avec Manuel Quintín Lame
    https://www.terrestres.org/2024/05/24/contester-lordre-et-lheritage-colonial-avec-manuel-quintin-lame

    Trente ans après avoir été enterré dans la montagne colombienne, un manuscrit est exhumé et publié en 1971. C’est le testament politique et spirituel d’un acteur central des luttes autochtones d’Amérique latine, Manuel Quintín Lame, décédé quelques années plus tôt. Contre la dépossession foncière, économique et politique, une décolonisation ambitieuse reste à mener. Retour sur un livre, une philosophie et un parcours subversifs. L’article Contester l’ordre et l’héritage colonial avec Manuel Quintín Lame est apparu en premier sur Terrestres.

    #Amérique_Latine #Décolonial #Droits_des_peuples_autochtones #Forêt #Modernité #Savoirs #Stratégie

  • Planter 1 milliard d’arbres : comment le plan de #Macron rase des #forêts

    Le projet du gouvernement de planter #1_milliard_d’arbres est « une #supercherie », dénoncent des associations. D’après des documents obtenus par Reporterre, il servirait à financer des #coupes_rases et à industrialiser la filière.

    L’État plante des arbres pour mieux raser des forêts. C’est la réalité cachée du projet de plantation de 1 milliard d’arbres vanté par Emmanuel Macron. Dix-huit mois après son annonce en grande pompe, au lendemain des incendies de l’été 2022, le plan qui avait pour ambition de « renouveler 10 % de la forêt française » et de « #réparer_la_nature » montre un tout autre visage : les millions d’euros d’argent public déversés dans la filière servent de prime aux coupes rases et transforment des forêts diversifiées en #monocultures_résineuses. Une situation qui inquiète gravement les associations écologistes.

    D’après les documents officiels du ministère de l’Agriculture, que Reporterre a pu consulter, 50 millions d’arbres ont déjà été plantés, sur 35 935 hectares. Dans de nombreuses régions, les conditions dans lesquelles se sont déroulés ces chantiers posent problème.

    Les documents indiquent que 15 millions de plants d’arbres auraient été replantés sur 10 000 hectares de forêts qualifiées de « pauvres » par le gouvernement. Ces forêts rasées étaient en réalité « saines et bien portantes », assure l’association Canopée, qui a enquêté sur le terrain. Des coupes rases sur 6 500 hectares auraient même été réalisées en zone Natura 2000. Sur ces surfaces dévolues d’ordinaire à la protection du vivant, 1 500 hectares auraient été ensuite plantés exclusivement en #pins_douglas, une essence prisée par les industriels.

    Adapter la forêt aux besoins de l’industrie

    « On nage en plein délire, s’emporte Bruno Doucet, chargé de campagnes au sein de l’association. Alors même qu’il y a urgence à préserver les forêts, on les rase pour les transformer en #champs_d’arbres. » Les associations écologistes dénoncent un « coup de communication » et « un projet mégalomane ». Le milliard d’arbres plantés aurait vocation non pas à aider la forêt à affronter le dérèglement climatique, mais à l’adapter aux besoins de l’#industrie. « Si tous les arbres du plan “1 milliard d’arbres” sont plantés dans les mêmes conditions, cela signifierait que 200 000 hectares de forêts saines et vivantes seraient rasés d’ici 2032 », ajoute-t-il.

    « La #biodiversité a peu à peu été rejetée au second plan pour prioriser la #récolte_de_bois et les #fonctions_productives de la forêt », regrette de son côté Christophe Chauvin, pilote du réseau forêt à France Nature Environnement (FNE). En septembre 2023, plusieurs ONG écologistes [1] alertaient déjà sur les dérives en cours. « La stratégie s’est éloignée de l’enjeu qui en a initié l’élaboration », écrivaient-ils dans un rapport. « La restauration des écosystèmes » et le « renforcement de la résilience des forêts » ont été délaissés au profit d’une logique simpliste et comptable qui privilégie « les #plantations_en_plein », c’est-à-dire les #plantations après coupes rases, prévenaient-ils.

    « Plutôt que de protéger les peuplements existants, en les enrichissant et en travaillant avec finesse, les industriels préfèrent tout couper pour les substituer à d’autres essences, du #résineux majoritairement, qu’ils jugent plus résistant et plus intéressant économiquement », observe Christophe Chauvin.

    Plus de 80 % des arbres sont plantés après une coupe rase

    Selon un rapport du Conseil supérieur de la forêt et du bois, un organisme ministériel, les plantations en plein, donc après coupes rases, représenteraient près de 80 % des opérations à effectuer pour atteindre la cible du milliard d’arbres, et donc se feraient en lieu et place d’anciennes forêts. Seuls 7 % des arbres plantés viendraient s’ajouter aux forêts existantes, principalement sur des terres agricoles abandonnées. À TF1, le ministère de l’Agriculture a tenu à préciser que « l’objectif du milliard d’arbres ne visait pas à créer de nouvelles forêts, mais bien à renouveler celles déjà existantes ».

    « #Renouveler », ou plutôt « #transformer » la forêt et « #abattre » des parcelles entières pour y #replanter de jeunes arbres. Ce que le ministère assume auprès de Reporterre : « France Relance s’adresse à des forêts malades ou non adaptées au changement climatique. Il est donc normal que les plantations en plein soient très majoritaires. Les coupes rases sont essentiellement sanitaires », assure-t-il.

    Les grandes #coopératives_forestières en embuscade

    Concrètement, 35 935 hectares ont été replantés de 2021 à 2023 pour un coût de 150 millions d’euros, d’après la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE). Le #pin_maritime et le #douglas ont été les principales essences replantées sur d’anciennes #forêts_feuillues et les plantations après coupes rases ont représenté 32 046 hectares (soit 89 % de la surface totale). Ces chantiers lourds et coûteux ont été portés en grande majorité par les coopératives forestières, des entreprises qui plaident pour l’#industrialisation de la filière.

    « Ce plan favorise une logique prométhéenne »

    Selon le document de la DGPE, les #coopératives ont capté plus du tiers des #subventions totales, le reste est allé aux particuliers et aux propriétaires (parfois eux-même en lien avec des coopératives). « Le #plan a constitué un effet d’aubaine pour asseoir leur #modèle_productiviste. Ces acteurs se sont accaparé l’argent public pour leur business », dénonce Bruno Doucet. La plus grande coopérative, #Alliance_Forêts_Bois, critiquée pour ses méthodes destructrices des écosystèmes, a même perçu 10 % des subventions. C’est en #Nouvelle-Aquitaine, dans la forêt des #Landes — où l’entreprise est hégémonique —, qu’il y a d’ailleurs eu le plus de #reboisements. À l’inverse, les experts et gestionnaires indépendants qui privilégient souvent d’autres méthodes sylvicoles plus proches de la nature n’ont reçu que des miettes. Ils ne représentent que 7 % des dossiers soutenus par les pouvoirs publics.

    « Ce plan favorise une logique prométhéenne, soutient Christophe Chauvin, c’est une négation de l’#écologie et de ses équilibres. On croit à la toute-puissance de l’intervention humaine et à celles des machines. C’est soit naïf, soit complètement opportuniste. »

    « Si une forêt est pauvre, il faut l’enrichir, pas la détruire »

    Au cœur des polémiques résident les critères d’attribution de ces #aides. Pour être éligible aux #subventions et pouvoir replanter sa forêt au nom du milliard d’arbres, il faut que son peuplement soit considéré comme « dépérissant »,« vulnérable » ou « pauvre ».

    Pour l’État, un « #peuplement_dépérissant » est une forêt où 20 % des arbres seraient morts après une catastrophe naturelle ou une attaque de pathogènes. Une forêt « vulnérable » est une forêt que l’on suppose menacée à terme par le réchauffement climatique avec des essences jugées fragiles comme le châtaignier ou le hêtre. Tandis qu’un peuplement est considéré comme « pauvre », lorsque sa valeur économique est inférieure à 15 000 euros l’hectare, soit environ trois fois son coût de plantation.

    Ces définitions font l’objet de vifs débats. Les ONG écologistes jugent trop faible le curseur de 20 % pour un peuplement dépérissant. Par exemple, dans une forêt composée à 80 % de chênes sains et à 20 % d’épicéas attaqués par des scolytes, le propriétaire pourrait légalement tout raser, toucher des subventions et dire qu’il participe au grand projet du milliard d’arbres.

    Les peuplements dits « vulnérables » suscitent aussi des controverses. Sans nier les conséquences du réchauffement climatique sur les forêts — la mortalité des arbres a augmenté de 80 % en dix ans —, la vulnérabilité d’un massif reste très difficile à établir. Elle dépend de multiples facteurs et repose aussi sur le scénario climatique auquel on se réfère, à +2 °C, +4 °C, etc.

    « Il faut être vigilant quant à ces projections, prévient Marc Deconchat, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). On ne sait pas exactement comment les essences vont survivre ou non. On connaît encore mal leur capacité d’adaptation et d’évolution génétiques. »

    Les modèles qui prédisent une migration vers le nord de certaines essences d’arbres indigènes ou leur disparition reposent sur des moyennes générales, avec des échelles parfois très grossières. « Quand on regarde de manière plus subtile, en prenant en compte les variations de pente, le type de sol ou d’orientation au soleil, le risque de disparition est très variable, affirme Marc Deconchat. Ce ne sont d’ailleurs pas uniquement les essences qui sont en cause, mais aussi le mode de #sylviculture qui leur est associé. »

    Un exemple de #maladaptation

    C’est surtout le terme de « #peuplement_pauvre » qui provoque l’ire des écologistes. Cette expression servirait de prétexte pour tout ratiboiser. Selon les calculs de plusieurs forestiers et écologistes, près de 95 % des forêts françaises auraient une valeur sur pied inférieur à 15 000 euros l’hectare. Avec ce critère, quasiment toute la forêt métropolitaine pourrait donc être considérée comme pauvre et être remplacée par des plantations.

    Dans un documentaire, le journaliste Hugo Clément montre comment des parcelles de forêts #feuillues diversifiées considérées comme pauvres ont été rasées, partout à travers la #France, avec ce type d’argumentaire. Le #bois a été transformé en #broyat pour partir ensuite en fumée, nourrir des chaudières ou faire de l’électricité. « C’est une supercherie, un non-sens écologique et climatique. Une forêt pauvre, il faut l’enrichir, pas la détruire », enchérit Christophe Chauvin.

    Les défenseurs de l’environnement craignent que ce plan de 1 milliard d’arbres ne soit finalement qu’un exemple de maladaptation au changement climatique. Ils rappellent que les #monocultures sont plus fragiles que les vieilles forêts face aux aléas naturels. 38 % des plantations de jeunes arbres sont morts l’an dernier à cause de la sécheresse. La coupe rase est aussi décriée pour ses conséquences climatiques. « Elle est à éviter autant que possible et ne doit être utilisée qu’en dernier recours », déclare le climatologue Philippe Ciais. Dans une expertise scientifique commandée par le ministère de la Transition écologique, soixante-dix chercheurs affirment que « les principaux effets des coupes rases sur le milieu physique et chimique sont généralement négatifs et globalement bien documentés, notamment sur la structure, la fertilité et le stockage de carbone des sols, la biodiversité, l’érosion ou encore la qualité des cours d’eau ».

    « Dans une période de restriction budgétaire où le ministre de l’Économie appelle à faire la chasse aux dépenses inutiles, on peut se demander légitimement si ce plan n’en fait pas partie », déclare Bruno Doucet. Jusqu’à 2032, l’État souhaite mobiliser 8 à 10 milliards d’euros pour planter son milliard d’arbres.

    https://reporterre.net/1-milliard-d-arbres-plantes-le-mensonge-de-Macron-Le-milliard-d-arbres-d
    #déforestation

  • La Fleur de Buriti

    A travers les yeux de sa fille, Patpro va parcourir trois époques de l’histoire de son peuple indigène, au cœur de la #forêt brésilienne. Inlassablement persécutés, mais guidés par leurs rites ancestraux, leur amour de la nature et leur combat pour préserver leur liberté, les #Krahô n’ont de cesse d’inventer de nouvelles formes de #résistance.

    https://www.youtube.com/watch?v=sWDHI-T50c8


    https://www.advitamdistribution.com/films/la-fleur-de-buriti
    #peuples_autochtones #Brésil #film #documentaire #film_documentaire #persécution #massacre_de_Krahô #Amérique_latine