Je m’appelle Nine, j’ai 19 ans et je suis étudiante. Je fais mon jogging tous les soirs. Ca me fait du bien, ça me détend. Je ferais mieux de parler au passé, car un peu plus chaque jour mon sport se transforme en traque.
Quand je cours, je ne ressemble pas exactement à un mannequin en train de défiler pour Victoria’s Secret. J’ai un legging noir, des baskets fluo, un pull de couleur vive, une grosse écharpe et mes écouteurs enfoncés dans les oreilles. Il se trouve que quand je cours, je transpire, je suis rouge, je suis bouffie. Au risque d’en surprendre plus d’un, je ne suis pas l’archétype du sex-symbol quand je fais du sport. Pourtant, pour une raison que j’ignore, je deviens une proie plus que jamais au moment où toute ma tenue indique que je suis dans un sale état et complètement indisponible. Après qu’on m’ai arrêtée un nombre incalculable de fois pour mon numéro de téléphone, qu’on m’ai reluquée comme un morceau de viande, qu’on m’ai suivie en camionnette sur plusieurs centaines de mètres jusqu’à trouver enfin une intersection à sens interdit, j’ai désormais peur de faire mon jogging. Je suis ceinture marron de karaté, je sais me défendre. Je suis une grande féministe, je connais toute les punchlines du monde pour clouer le bec de n’importe quel mec. Pourtant, en situation réelle, je n’ai plus aucune arme.
Jeudi soir, je sors courir. Rue de Vaugirard, un homme de l’âge de mon père m’arrête.
– J’ai deux questions pour vous.
– (Laisse-moi deviner, la première ça va être “ou est tel endroit” et la deuxième “vous pouvez me donner votre numéro de téléphone ?”)
– Ou est-ce que je peux trouver le prochain métro ?
– Tout droit. (bingo)
– Et vous êtes vraiment magnifique, vous voulez venir chez moi prendre un verre ?
PAUSE
Je fais mon jogging, je suis sale, dégoulinante même. Est-ce que j’ai l’air une demi-seconde disponible pour aller chez un vieux mec prendre un verre ?
ON REPREND
– Non je dois rentrer chez moi.
– Je peux prendre votre numéro au moins ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Je ne donne pas mon numéro aux inconnus.
– Mais je ne suis plus un inconnu, ça fait 5 minutes qu’on se parle et je t’ai même proposé de venir chez moi. Je te fais peur ?