• Guerre au Proche-Orient : à #Beyrouth, #Mona_Fawaz résiste par la #cartographie

    Professeure d’urbanisme et cofondatrice du #Beirut_Urban_Lab, la chercheuse cartographie le conflit à la frontière entre le #Liban et Israël. Et montre ainsi le « déséquilibre profond » entre les attaques visant le territoire libanais et celles ciblant le sol israélien.

    « Je suis entrée dans le centre de recherche ; tous mes collègues avaient les yeux rivés sur les nouvelles, l’air horrifié. C’est là que nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas simplement regarder : il fallait agir, et le faire du mieux possible », se rappelle Mona Fawaz, professeure d’urbanisme à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et cofondatrice du Beirut Urban Lab, un laboratoire de recherche interdisciplinaire créé en 2018 et spécialisé dans les questions d’#urbanisme et d’#inclusivité.

    Lundi 4 décembre, dans ce centre de recherche logé à l’AUB, près de deux mois après l’attaque sans précédent du groupe militant palestinien Hamas en Israël et le début des bombardements intensifs de l’armée israélienne sur la bande de Gaza, elle revoit l’élan impérieux qui a alors saisi ses collègues du Beirut Urban Lab, celui de cartographier, documenter et analyser.

    « Certains ont commencé à cartographier les dommages à #Gaza à partir de #photographies_aériennes. Personnellement, j’étais intéressée par la dimension régionale du conflit, afin de montrer comment le projet colonial israélien a déstabilisé l’ensemble de la zone », y compris le Liban.

    La frontière sud du pays est en effet le théâtre d’affrontements violents depuis le 8 octobre entre #Israël et des groupes alliés au #Hamas emmenés par le #Hezbollah, une puissante milice soutenue par l’#Iran. Qualifiés de « #front_de_pression » par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, les #combats sur le #front_libanais, qui visent notamment à détourner l’effort militaire israélien contre Gaza, ont tué au moins 107 personnes du côté libanais, dont 14 civils. Du côté israélien, six soldats et trois civils ont été tués.

    C’est ainsi que l’initiative « Cartographier l’escalade de violence à la frontière sud du Liban » est née. Le projet répertorie le nombre de #frappes quotidiennes et leur distance moyenne par rapport à la frontière depuis le début du conflit, en s’appuyant sur les données collectées par l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled : https://acleddata.com). Sur son écran d’ordinateur, Mona Fawaz montre une #carte_interactive, une des seules en son genre, qui révèle un déséquilibre saisissant entre les attaques revendiquées par Israël, au nombre de 985 depuis le début du conflit, et celles menées depuis le Liban : 270 frappes répertoriées sur le sol israélien.

    L’occasion pour Mona Fawaz de questionner les expressions répétées dans les médias, qui façonnent la compréhension du conflit sans remettre en cause leurs présupposés. « On parle de tirs transfrontaliers, par exemple, alors même qu’il y a un déséquilibre profond entre les deux parties impliquées », souligne-t-elle. « Une distorsion médiatique » que la chercheuse dénonce aussi dans la couverture de l’offensive israélienne contre l’enclave palestinienne.

    Une « lutte partagée » avec les Palestiniens

    Pour Mona Fawaz, il est important de documenter un conflit dont les racines vont au-delà des affrontements présents. « La création de l’État d’Israël en 1948 a provoqué une perturbation majeure au sud du Liban, brisant [ses] liens historiques, sociaux, politiques et économiques » avec la Galilée, explique-t-elle.

    Des bouleversements que la chercheuse, originaire du village de Tibnine, dans le sud du pays, connaît bien, puisqu’ils ont marqué son histoire familiale et personnelle. Elle explique que la proximité entre les populations était telle qu’au cours de la « #Nakba » (la « catastrophe », en arabe) en 1948 – l’exode massif de plus de 700 000 Palestinien·nes après la création de l’État d’Israël –, sa mère a été évacuée de son village aux côtés de Palestinien·nes chassés de leurs terres. « Les déplacés ne savaient pas où s’arrêteraient les Israéliens, raconte-t-elle. Dans cette région du Liban, on a grandi sans sentir de différences avec les Palestiniens : il y a une lutte partagée entre nous. »

    En 1982, Mona Fawaz, qui avait alors à peine 9 ans, vit plusieurs mois dans son village sous l’occupation de l’armée israélienne, qui a envahi le pays en pleine guerre civile (1975-1990) afin de chasser du Liban l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Elle se souvient des scènes d’#humiliation, des crosses des fusils israéliens défonçant le mobilier chez son grand-père. « Ce n’est rien par rapport à ce que Gaza vit, mais il y a définitivement un effet d’association pour moi avec cette période », explique-t-elle.

    Dans le petit pays multiconfessionnel et extrêmement polarisé qu’est le Liban, l’expérience de la chercheuse n’est cependant pas générale. Si une partie des Libanais·es, notamment dans le sud, est marquée par la mémoire des guerres contre Israël et de l’occupation encore relativement récente de la région – les troupes israéliennes se sont retirées en 2000 du Sud-Liban –, une autre maintient une défiance tenace contre la #résistance_palestinienne au Liban, notamment tenue responsable de la guerre civile.

    Celle qui a ensuite étudié au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston (États-Unis), pour y faire son doctorat en aménagement urbain à la fin des années 1990, explique ensuite qu’il a fallu des années aux États-Unis pour réaliser que « même le soldat qui est entré dans notre maison avait été conditionné pour commettre des atrocités ». Si l’ouverture à d’autres réalités est une étape indispensable pour construire la paix, c’est aussi un « luxe », reconnaît la chercheuse, qui semble hors de portée aujourd’hui. « L’horreur des massacres à Gaza a clos toute possibilité d’un avenir juste et pacifique », soupire-t-elle.

    Le tournant de la guerre de 2006

    Peu après son retour au Liban en 2004, Mona Fawaz se concentre sur les questions de l’informalité et de la justice sociale. Un événement majeur vient bouleverser ses recherches : le conflit israélo-libanais de 2006. Les combats entre Israël et le Hezbollah ont causé la mort de plus de 1 200 personnes du côté libanais, principalement des civil·es, en seulement un mois de combat.

    Du côté israélien, plus de 160 personnes, principalement des militaires, ont été tuées. Cette guerre va être une expérience fondatrice pour le Beirut Urban Lab. C’est à ce moment que ses quatre cofondateurs, Mona Fawaz, Ahmad Gharbieh, Howayda Al-Harithy et Mona Harb, chercheurs et chercheuses à l’AUB, commencent leurs premières collaborations sur une série de projets visant à analyser l’#impact de la guerre. L’initiative actuelle de cartographie s’inscrit en continuité directe avec les cartes quotidiennes produites notamment par #Ahmad_Gharbieh en 2006. « Le but était de rendre visible au monde entier le caractère asymétrique et violent des attaques israéliennes contre le Liban », explique Mona Fawaz.

    Dans les années qui suivent, les chercheurs participent à plusieurs projets en commun, notamment sur la militarisation de l’#espace_public, le rôle des réfugié·es en tant que créateurs de la ville ou la #privatisation des #biens_publics_urbains, avec pour objectif de faire de la « donnée un bien public », explique Mona Fawaz, dans un « pays où la collectivité n’existe pas ». « Nos recherches s’inscrivent toujours en réponse à la réalité dans laquelle nous vivons », ajoute-t-elle. Une réalité qui, aujourd’hui dans la région, est de nouveau envahie par la guerre et les destructions.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/121223/guerre-au-proche-orient-beyrouth-mona-fawaz-resiste-par-la-cartographie

    #résistance

    ping @visionscarto @reka

    • #Beirut_Urban_Lab

      The Beirut Urban Lab is a collaborative and interdisciplinary research space. The Lab produces scholarship on urbanization by documenting and analyzing ongoing transformation processes in Lebanon and its region’s natural and built environments. It intervenes as an interlocutor and contributor to academic debates about historical and contemporary urbanization from its position in the Global South. We work towards materializing our vision of an ecosystem of change empowered by critical inquiry and engaged research, and driven by committed urban citizens and collectives aspiring to just, inclusive, and viable cities.

      https://beiruturbanlab.com

      –—

      Mapping Escalation Along Lebanon’s Southern Border Since October 7

      Since October 7, the Middle East has occupied center stage in global media attention. Already rife with uncertainty, subjected to episodic bouts of violence, and severely affected by an ongoing project of ethnic cleansing for 75 years in Historic Palestine, our region is again bearing the weight of global, regional, and local violence. As we witness genocide unfolding and forceful population transfers in Gaza, along with an intensification of settler attacks in the West Bank and Jerusalem and the silencing of Palestinians everywhere, the conflict is also taking critical regional dimensions.

      As part of its effort to contribute to more just tomorrows through the production and dissemination of knowledge, the Beirut Urban Lab is producing a series of maps that document and provide analytical insights to the unfolding events. Our first intervention comes at a time in which bombs are raining on South Lebanon. Titled Escalation along Lebanon’s Southern Border since October 7, the platform monitors military activity between the Israeli Armed Forces and Lebanese factions. Two indicators reflect the varying intensity of the conflict: the number of daily strikes and the average distance of strikes from the border.

      The map uses data from the Armed Conflict Location and Event Data (ACLED) crisis mapping project, which draws upon local reporting to build its dataset. Since ACLED updates their dataset on Mondays, site visitors can expect updates to our mapping and analysis to be released on Tuesday afternoons. Please refer to ACLED’s methodology for questions about data sources and collection.

      As of November 14, the frequency and distribution of strikes reveals a clear asymmetry, with northward aggression far outweighing strikes by Lebanese factions. The dataset also indicates a clear escalation, with the number of incidents increasing day by day, particularly on the Lebanese side of the border.

      We see this contribution as an extension of our previous experiences in mapping conflicts in Lebanon and the region, specifically the 2006 Israeli assault on Lebanon.

      https://beiruturbanlab.com/en/Details/1958/escalation-along-lebanon%E2%80%99s-southern-border-since-october-7
      #cartographie_radicale #cartographie_critique #visualisationi

  • ‘Israel’ Used U.S.-supplied White Phosphorus in Lebanon Attack : Washington Post – Al-Manar TV Lebanon
    https://english.almanar.com.lb/1999296

    Si même la presse US le dit !...

    ‘Israel’ used U.S.-supplied white phosphorus munitions in an October attack in southern Lebanon that injured at least nine civilians in what a rights group says should be investigated as a war crime, according to a Washington Post analysis of shell fragments found in a small village.

    A journalist working for The Post found remnants of three 155-millimeter artillery rounds fired into Dheira, near the ‘border of Israel’, which incinerated at least four homes, residents said. The rounds, which eject felt wedges saturated with white phosphorous that burns at high temperatures, produce billowing smoke to obscure troop movements as it falls haphazardly over a wide area. Its contents can stick to skin, causing potentially fatal burns and respiratory damage, and its use near civilian areas could be prohibited under international humanitarian law.

    Of the nine injured in Israel’s attack on Dheira, at least three were hospitalized, one for days. Lot production codes found on the shells match the nomenclature used by the U.S. military to categorize domestically produced munitions, which show they were made by ammunition depots in Louisiana and Arkansas in 1989 and 1992. The light green color and other markings — like “WP” printed on one of the shells — are consistent with white phosphorous rounds, according to arms experts.
    Left: One of two remnants of white phosphorous smoke rounds found in Dheira. Their lot production codes begin with “PB-92,” which denotes production in Pine Bluff, Ark., in 1992. Right: A third remnant found in Dheira is printed with “THS-89,” which denotes production in 1989 by Thiokol Aerospace at a Louisiana plant. (William Christou for The Washington Post)
    Left: One of two remnants of white phosphorous smoke rounds found in Dheira. Their lot production codes begin with “PB-92,” which denotes production in Pine Bluff, Ark., in 1992. Right: A third remnant found in Dheira is printed with “THS-89,” which denotes production in 1989 by Thiokol Aerospace at a Louisiana plant. (William Christou for The Washington Post)

    The weapons are part of billions of dollars in U.S. military arms that flow to ‘Israel’ every year, which has fueled Israel’s war on Gaza Strip, launched after Hamas attack on Oct. 7. At least 17,700 people, many of them civilians, have been killed since the Israeli operation began, according to the Gaza Health Ministry.

    Photos and videos verified by Amnesty International and reviewed by The Post show the characteristic ribbons of white phosphorus smoke falling over Dheira on Oct. 16.

  • https://www.aljazeera.com/news/liveblog/2023/12/11/israel-hamas-war-live-who-decries-catastrophic-situation-in-gaza
    14:20 GMT

    Israel used US-made white phosphorus bombs in Lebanon

    Israel used US-supplied white phosphorus munitions in an October attack in southern Lebanon that wounded at least nine civilians and incinerated at least four homes, according to a Washington Post analysis of shell fragments found in Dheira village.

    A journalist working for the newspaper found remnants of three 155-mm artillery rounds fired into the small village, located near the border with Israel.

    Lot production codes found on the shells match the nomenclature used by the US military to categorise domestically produced munitions, which show they were made by ammunition depots in Louisiana and Arkansas in 1989 and 1992, the report said.

    The light green colour and other markings – like “WP” printed on one of the shells – are consistent with white phosphorous rounds, according to arms experts cited by the publication.

    In October, shortly after the attack, the Human Rights Watch investigation said verified footage taken in Lebanon and Gaza showed multiple uses of artillery-fired white phosphorus over the Gaza City port and two rural locations along the Israel-Lebanon border.

    #Phosphore_Blanc

  • Pactiser pour dominer
    https://laviedesidees.fr/Mills-Le-contrat-racial

    Sous le pacte social hypothétique des philosophes œuvre un contrat racial bien réel, qui a justifié l’exploitation des non-Blancs sur la base de distinctions morales, cognitives et esthétiques dont les effets pèsent encore aujourd’hui. Telle est la thèse de Charles Mills, enfin traduite en français. À propos de : Charles W. Mills, Le contrat racial, Mémoire d’encrier

    #Philosophie #race #négritude
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231211_pactiser.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231211_pactiser.docx

  • Pactiser pour dominer
    https://laviedesidees.fr/Pactiser-pour-dominer

    Sous le pacte social hypothétique des philosophes œuvre un contrat racial bien réel, qui a justifié l’exploitation des non-Blancs sur la base de distinctions morales, cognitives et esthétiques dont les effets pèsent encore aujourd’hui. Telle est la thèse de Charles Mills, enfin traduite en français. À propos de : Charles W. Mills, Le contrat racial, Mémoire d’encrier

    #Philosophie #race #négritude
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231211_pactiser.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231211_pactiser.docx

  • Je connais depuis toujours cette célèbre image de Paris, la carte postale du bouquiniste à la pipe avec au fond Notre Dame. [EDIT] D’autant plus que ce photographe était un proche. Il se faisait parfois enfermé dans la cathédrale pour capter les premières lueurs de l’aube sur Paris.
    C’était un fou de Paris, il s’appelait Pierre Yves Petit (1886-1969) et signait Yvon, au début en grattant la plaque de verre avec une plume, il a été un des premiers photographes éditeurs de cartes postales, tu sais, ces images que l’on s’envoyait par la poste quand on faisait du tourisme et que les appareils photos n’étaient pas encore dans nos téléphones de poche.

    petit hommage aux souris déglinguées autant que les bouquinistes par la politique olympique préfectorale, salut papy !

    Et je vois en publiant ici qu’internet s’approprie aussi cette image, comme la préfecture celle de Paris, je laisse la honte de ce sens unique rouge et injuste, c’est tout à fait représentatif de ce que je voulais dénoncer.

  • Quand la #nature revient en force
    https://laviedesidees.fr/Quand-la-nature-revient-en-force

    Les violentes conséquences naturelles du #réchauffement_climatique, pour le marxiste Andreas Malm, exigent de repenser la distinction entre rapports sociaux et causes naturelles, pour mieux comprendre leur combinaison et lutter efficacement pour le climat. À propos de : Andreas Malm, Avis de tempête, La Fabrique

    #Philosophie #culture #marxisme
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231207_malm.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231207_malm.pdf

  • Un mélange de faux souvenirs : Anima Sola #26
    Récit poétique à partir d’images créées par procuration.

    https://liminaire.fr/palimpseste/article/un-melange-de-faux-souvenirs

    Je confonds un mélange de faux souvenirs, d’erreurs. Je suis comme tout le monde. Je ferme les yeux. J’imagine que les visages vont naître de l’instant. Je rêve d’un homme qui habite sur une petite île. Je découvre les limites de son monde. Linguiste il est obligé d’abandonner sa femme pour son travail. Il part vivre à l’autre bout du monde pour sauver une langue qui risque de disparaître. Il partage la vie du dernier locuteur, un vieil homme fatigué. Il en profite pour noter toutes ses paroles, ses expressions, il échange avec lui pour apprendre sa langue, tout en élaborant parallèlement un dictionnaire et une méthode d’apprentissage.

    (...) #Écriture, #Langage, #Poésie, #Lecture, #Photographie, #Littérature, #Art, #AI, #IntelligenceArtificielle, #Dalle-e, #Récit, #Nature, #Nuit, #Paysage, #Lumière, #Rêve, (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/anima_sola_26.mp4

  • « Obsolescence des ruines » de Bruce Bégout
    https://topophile.net/savoir/obsolescence-des-ruines-de-bruce-begout

    Dans Obsolescence des ruines. Essai philosophique sur les gravats, publié aux éditions Inculte en 2022, le philosophe et écrivain Bruce Bégout propose une réflexion riche et fouillée sur la production architecturale contemporaine. Appuyée sur un nombre considérable de références, de Robert Smithson à Günther Anders, en passant, entre autres, par Hannah Arendt et Rem Koolhaas,... Voir l’article

  • Ces jeunes diplômés heureux dans les « big corpos » : « J’ai envie de gagner des sous, et je ne vais pas arrêter de faire ce que je fais pour aider la collectivité »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/12/04/ces-jeunes-diplomes-heureux-dans-les-big-corpos-j-ai-envie-de-gagner-des-sou

    Bien que conscients des enjeux environnementaux, une large partie des jeunes diplômés des grandes écoles intègrent des multinationales, préférant faire passer leurs ambitions professionnelles avant leur utilité sociale et écologique.

    (...) Sarah l’avoue : pour elle, « l’écologie passe quasiment au dernier plan », notamment derrière les questions d’inclusivité, auxquelles la jeune femme est plus sensible. Celle qui se définit comme « très corpo » (de l’anglais corporate, « esprit d’entreprise ») est loin d’être seule à faire passer ses ambitions professionnelles avant son utilité sociale et écologique. Il y a une continuité claire entre les valeurs de travail, les logiques managériales enseignées dans les écoles et l’orientation vers de grandes entreprises. Pierre, 22 ans et en stage de master dans une grande banque française, le concède : « Il y a beaucoup d’égoïsme aussi. J’ai envie de faire ma vie, de gagner des sous, et je ne vais pas arrêter de faire ce que je fais pour aider la collectivité, il faut être honnête. » Car c’est aussi dans ces grandes entreprises que le salaire à l’embauche est le plus important – en moyenne 38 184 euros en 2023, selon la CGE – et les perspectives d’évolution parfois mirifiques.

    https://archive.is/fDpcF

    crevures ordinaires d’élite

    #grandes_écoles #militants_de_l'économie #multinationales #écologie

    • Ah mais, ces gens-là ne raisonnent pas comme nous : pour elleux, privilégier la carrière, c’est aussi la possibilité de pouvoir se bunkeriser à l’abri des crises qui se profilent et dont nous avons déjà quelques avant-goûts. Sans déconner, pour se la jouer « résilience », il vaut mieux avoir du biscuit à bord. Et tant pis pour celleux qui sont resté·es dans le zodiac à la dérive et qui se dégonfle ...

    • Et pourtant gagner plein de sous et aider la collectivité ne seraient pas inconciliables selon les préceptes de l’altruisme efficace :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Gagner_pour_donner

      Gagner pour donner (Earning to give en anglais) est employé pour signifier poursuivre délibérément une carrière bien rémunérée dans le but de donner une partie importante de son revenu, généralement en raison de sa conviction envers l’altruisme efficace.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Altruisme_efficace

      Une grande partie de la controverse sur l’altruisme efficace est en raison de l’idée qu’il peut être éthique de prendre une carrière à haut gain dans une industrie potentiellement contraire à l’éthique si cela permet de donner plus d’argent. [...].

    • Voilà voilà : ça s’appelle aussi le #charity_business et ça infuse dans l’opinion grâce à la théorie du #ruissellement chère à nos grands stratèges libertariens qui n’ont eu de cesse de démanteler l’état régalien depuis l’accession au pouvoir d’un certain Nicolas Sarkozy (mais il ne sort pas de nulle part non plus celui-là et, malheureusement, on a réussi à le cloner un peu partout au niveau européen et mondial).
      A propos de la fondation Bill & Melinda Gates pour ne citer que ces deux-là, bien que l’auteur mentionne également quelques beaux spécimens franco-centrés et tente de se raccrocher aux branches en prétendant que certaines organisations « philanthropo-capitalistes » sont des gens très bien comme il faut et qu’ils font « des choses formidables » :
      https://www.actes-sud.fr/node/67429

      Emblème de l’accumulation de richesses et géant de l’informatique, Bill Gates est devenu en quelques années une icône de la #philanthropie. Mais en réalité ses opérations philanthropiques s’apparentent à un outil au service des multinationales les plus nocives pour l’environnement, la santé et la justice sociale et parfois également au service des intérêts économiques de Bill Gates lui-même.
      Première publication sur ce sujet en France, ce livre en apporte la preuve en suivant, depuis leur source, les flux financiers qui alimentent les actions dites « caritatives » de la fondation Bill et Melinda Gates.

      Et le lien vers la vidéo sur Youtube, bien qu’elle eût été incrustée sur la page de chez Acte-Sud :
      https://www.youtube.com/watch?v=FBS6CYpTOhc

      #évitement_fiscal (pour rester poli et consensuel) ...

  • La matière du rituel
    https://laviedesidees.fr/Lemonnier-La-ritualite-des-choses

    Dans le sillage de Marcel Mauss, Pierre Lemonnier aborde les rites des initiations masculines des Baruya de Nouvelle-Guinée non pas en fonction du signifiant qu’on peut leur accoler, mais de l’action sur la matière qu’ils rendent possible. À propos de : Pierre Lemonnier, La ritualité des choses. Objets, gestes et paroles des initiations masculines baruya (Papouasie-Nouvelle-Guinée), Éditions Mimésis

    #Philosophie #anthropologie

  • REPORTAGE. « Si tu respires, tu t’étouffes » : des Libanais dénoncent l’utilisation de phosphore blanc par l’armée israélienne
    Noé Pignède | Radio France | Publié le 30/11/2023
    https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/reportage-si-tu-respires-tu-t-etouffes-a-la-frontiere-avec-israel-des-l

    Dans ce champ du village de Dhayra, le long de la frontière entre le Liban et Israël, des éclats d’obus jonchent le sol. C’est l’autre front de cette guerre déclenchée le 7 octobre par les attaques terroristes du Hamas : au nord d’Israël, les bombardements ont été nombreux entre le Hezbollah libanais et l’armée israélienne. Ils ont déjà fait plus d’une centaine de morts.

    Le calme est revenu depuis le début de la trêve à Gaza, permettant aux journalistes d’accéder aux villages bombardés. Les habitants accusent l’armée israélienne d’avoir utilisé du phosphore blanc lors de certaines attaques. Et sur plusieurs de ces éclats d’obus se trouvent effectivement l’inscription « WP », les initiales anglaises de « phosphore blanc », une substance extrêmement toxique, utilisée pour provoquer des écrans de fumée ou des incendies.

    « Si tu respires, tu t’étouffes immédiatement »

    Oday, le propriétaire des lieux, nous montre ces centaines de débris noires qui prennent feu lorsqu’on les écrase : « Ça, c’est du phosphore. C’est là depuis une quarantaine de jours, et regardez, il est toujours actif. Si tu respires, tu t’étouffes immédiatement », explique-t-il. Des caractéristiques typiques de la substance chimique, d’après plusieurs experts. Son utilisation est interdite dans les zones civiles, selon le droit international humanitaire.

    Pourtant, ici, on retrouve des résidus jusqu’à l’intérieur des maisons ravagées par les flammes. Le 16 octobre dernier, alors que son village est lourdement bombardé par l’armée israélienne, Ibtissem est chez elle avec son mari.

    « J’ai senti une odeur de fumée. Je lui ai dit : ’éteins ta cigarette’. Mais en fait, ça venait de l’extérieur ! Il y avait des flammes devant la porte. »

    Ibtissem raconte avoir essayé d’éteindre les flammes. « Puis, je me suis évanouie », ajoute-t-elle. (...)

    #Phosphore_blanc

  • Fabulations de l’enfance : Anima Sola #25
    Récit poétique à partir d’images créées par procuration.

    https://liminaire.fr/palimpseste/article/fabulations-de-l-enfance

    C’est une image d’enfance, une image qui revient me hanter régulièrement. Je suis seule, égarée en chemin dans un paysage que je ne reconnais plus, un lieu qui me devient étranger, sans doute à cause de la faible lumière. La nuit tombe, il fait froid. Le vent souffle et fait trembler les arbres. Leurs longues branches nues se balancent dans l’air gris du soir, et leurs bruits me glacent d’effroi. J’avance pour ne pas rester sans rien faire, immobile, en danger, exposée dans ce paysage désolé. Il va faire bientôt nuit.

    (...) #Écriture, #Langage, #Poésie, #Lecture, #Photographie, #Littérature, #Art, #AI, #IntelligenceArtificielle, #Dalle-e, #Récit, #Nature, #Nuit, #Corps, #Lumière (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/anima_sola_25.mp4

  • Les lubies technologiques de la #philanthropie
    https://laviedesidees.fr/Les-lubies-technologiques-de-la-philanthropie

    Appuyées par la philanthropie, les technologies mobiles dans la santé sont en plein essor dans les Suds. Marine Al Dahdah met en lumière les limites de ce « techno-solutionnisme » qui accentuent les inégalités Nord-Sud. À propos de : Marine Al Dahdah, Mobile (for) Development. When Digital Giants Take Care of Poor Women, “Elements in Global Development Studies”, Cambridge University Press

    #Société #nouvelles_technologies
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231130_thome.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231130_thome.pdf

  • Tal Bruttmann, historien : « Le Hamas a conçu, en amont, une politique de terreur visuelle destinée à être diffusée dans le monde entier »

    Le spécialiste de la Shoah estime, dans un entretien au « Monde », que l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre contre Israël n’est ni un pogrom ni un génocide mais un massacre de masse, et il met en garde contre les analogies avec le nazisme.

    L’historien Tal Bruttmann, spécialiste de la Shoah et de l’antisémitisme, est notamment l’auteur de La Logique des bourreaux (Hachette, 2003), et, avec Stefan Hördler et Christoph Kreutzmüller, d’Un album d’Auschwitz. Comment les nazis ont photographié leurs crimes (Le Seuil, 304 pages, 49 euros).

    Pour qualifier les attaques du Hamas, les hommes politiques, les historiens et les éditorialistes ont parlé de massacre, d’attentat, de pogrom, voire de génocide. En tant qu’historien, comment qualifieriez-vous cet événement ?

    Le mot qui est revenu le plus souvent est « pogrom », mais les attaques du Hamas ne relèvent pas, à mon sens, d’une telle qualification. Ce terme russe désigne non pas les crimes de masse contre les juifs, mais la destruction des biens qui sont en leur possession, accompagnée de violences contre les personnes. Ce qui caractérise le #pogrom, c’est le fait qu’une majorité, excitée, voire incitée, par le pouvoir en place, s’attaque violemment à une minorité qui vit en son sein.

    Au XIXe et au début du XXe siècle, il y a eu, en Europe, beaucoup de pogroms antijuifs, notamment en Russie ou en Roumanie, mais ce terme ne convient pas aux attaques du Hamas. D’abord, parce qu’elles visaient non pas à détruire les biens des Israéliens, mais à tuer des juifs ; ensuite, parce que les juifs, en Israël, ne forment pas une minorité, mais une majorité ; enfin, parce que le Hamas n’est pas un peuple, mais une organisation terroriste. Pour moi, ces attaques sont des massacres de masse : le but était de tuer le plus de juifs possible.

    Certains ont utilisé le terme de génocide. Est-il, selon vous, pertinent ?

    Dans l’imaginaire occidental, le #génocide est devenu l’alpha et l’oméga du crime, alors qu’il n’est pas plus grave, en droit international, que le #crime_de_guerre ou le #crime_contre_l’humanité. Personnellement, en tant qu’historien, je n’utilise pas cette qualification juridique dont la définition est d’une immense complexité : je la laisse aux magistrats et aux tribunaux. C’est à eux d’établir, au terme d’une enquête, si les #massacres qui leur sont soumis sont, ou non, des génocides.

    L’écrivaine Elfriede Jelinek, Prix Nobel de littérature, a comparé le Hamas aux nazis. Que pensez-vous de cette analogie ?

    Il faut faire attention aux mots : la haine des #juifs ne suffit pas à caractériser le #nazisme. Le régime de Vichy ou le Parti populaire français [PPF, 1936-1945] de Jacques Doriot étaient profondément antisémites, mais ils n’étaient pas nazis pour autant : être nazi, c’est adhérer à l’idéologie politique élaborée par Adolf Hitler après la première guerre mondiale et mise en œuvre par le IIIe Reich à partir de 1933.

    Le #Hamas est évidemment profondément antisémite : sa charte initiale, qui fait explicitement référence aux #Protocoles des sages de Sion_ [un faux qui date du début du XXe siècle], affirme que les juifs sont à l’origine de la Révolution française, de la révolution bolchevique et de la première guerre mondiale. Il faut cependant prendre le Hamas pour ce qu’il est : un mouvement islamiste nationaliste qui n’est pas plus nazi qu’Al-Qaida, l’Iran ou Marine Le Pen.

    La Shoah est incontestablement le pire épisode de l’#histoire de l’antisémitisme, mais cela n’en fait pas la clé à partir de laquelle on peut comprendre toutes les #violences_antijuives. Parfois, elle nous empêche même de saisir la singularité des événements : à force d’associer l’#antisémitisme à la Shoah, on oublie que cette haine a pris, au cours de l’histoire, des formes très différentes.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/29/tal-bruttmann-historien-le-hamas-a-concu-en-amont-une-politique-de-terreur-v

    avec des extraits de Un album d’Auschwitz :
    https://archive.is/jO7UX

    #histoire #images #photos #films #attentat #attentat_massacre #islamisme #nationalisme #shoah #Extermination_des_juifs_par_les_nazis

    • Il est clair Tal Bruttmann et du coup ça permet de ne pas avoir un sac fourre tout d’où tu tires des mots chargés de sens et inappropriés pour un oui ou un non.

  • L’avant et l’après
    https://laviedesidees.fr/L-avant-et-l-apres

    Rien de plus difficile que de comprendre le #temps, dont on ne sait s’il existe par lui-même et s’il est même définissable. Le problème est classique, mais F. Wolff lui apporte une réponse originale, ni #physique, ni phénoménologique. À propos de : Francis Wolff, Le temps du monde, Fayard

    #Philosophie #métaphysique
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20231129_boutontemps.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20231129_boutontemps.pdf

  • Cette #hospitalité_radicale que prône la philosophe #Marie-José_Mondzain

    Dans « Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays », Marie-José Mondzain, 81 ans, se livre à un plaidoyer partageur. Elle oppose à la #haine d’autrui, dont nous éprouvons les ravages, l’#amour_sensible et politique de l’Autre, qu’il faudrait savoir adopter.

    En ces temps de crispations identitaires et même de haines communautaires, Marie-José Mondzain nous en conjure : choisissons, contre l’#hostilité, l’hospitalité. Une #hospitalité_créatrice, qui permette de se libérer à la fois de la loi du sang et du #patriarcat.

    Pour ce faire, il faut passer de la filiation biologique à la « #philiation » − du grec philia, « #amitié ». Mais une #amitié_politique et proactive : #abriter, #nourrir, #loger, #soigner l’Autre qui nous arrive ; ce si proche venu de si loin.

    L’hospitalité fut un objet d’étude et de réflexion de Jacques Derrida (1930-2004). Née douze ans après lui, à Alger comme lui, Marie-José Mondzain poursuit la réflexion en rompant avec « toute légitimité fondée sur la réalité ou le fantasme des origines ». Et en prônant l’#adoption comme voie de réception, de prise en charge, de #bienvenue.

    Son essai Accueillir. Venu(e)s d’un ventre ou d’un pays se voudrait programmatique en invitant à « repenser les #liens qui se constituent politiquement et poétiquement dans la #rencontre de tout sujet qu’il nous incombe d’adopter ».

    D’Abraham au film de Tarkovski Andreï Roublev, d’Ulysse à A. I. Intelligence artificielle de Spielberg en passant par Antigone, Shakespeare ou Melville, se déploie un plaidoyer radical et généreux, « phraternel », pour faire advenir l’humanité « en libérant les hommes et les femmes des chaînes qui les ont assignés à des #rapports_de_force et d’#inégalité ».

    En cette fin novembre 2023, alors que s’ajoute, à la phobie des migrants qui laboure le monde industriel, la guerre menée par Israël contre le Hamas, nous avons d’emblée voulu interroger Marie-José Mondzain sur cette violence-là.

    Signataire de la tribune « Vous n’aurez pas le silence des juifs de France » condamnant le pilonnage de Gaza, la philosophe est l’autrice d’un livre pionnier, adapté de sa thèse d’État qui forait dans la doctrine des Pères de l’Église concernant la représentation figurée : Image, icône, économie. Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain (Seuil, 1996).

    Mediapart : Comment voyez-vous les images qui nous travaillent depuis le 7 octobre ?

    Marie-José Mondzain : Il y a eu d’emblée un régime d’images relevant de l’événement dans sa violence : le massacre commis par le Hamas tel qu’il fut en partie montré par Israël. À cela s’est ensuite substitué le tableau des visages et des noms des otages, devenu toile de fond iconique.

    Du côté de Gaza apparaît un champ de ruines, des maisons effondrées, des rues impraticables. Le tout depuis un aplomb qui n’est plus un regard humain mais d’oiseau ou d’aviateur, du fait de l’usage des drones. La mort est alors sans visages et sans noms.

    Face au phénomène d’identification du côté israélien s’est donc développée une rhétorique de l’invisibilité palestinienne, avec ces guerriers du Hamas se terrant dans des souterrains et que traque l’armée israélienne sans jamais donner à voir la moindre réalité humaine de cet ennemi.

    Entre le visible et l’invisible ainsi organisés, cette question de l’image apparaît donc extrêmement dissymétrique. Dissymétrie accentuée par la mise en scène des chaînes d’information en continu, qui séparent sur les écrans, avec des bandes lumineuses et colorées, les vues de Gaza en ruine et l’iconostase des otages.

    C’est avec de telles illustrations dans leur dos que les prétendus experts rassemblés en studio s’interrogent : « Comment retrouver la paix ? » Comme si la paix était suspendue à ces images et à la seule question des otages. Or, le contraire de la guerre, ce n’est pas la paix − et encore moins la trêve −, mais la justice.

    Nous assistons plutôt au triomphe de la loi du talion, dont les images deviennent un levier. Au point que visionner les vidéos des massacres horrifiques du Hamas dégénère en obligation…

    Les images deviennent en effet une mise à l’épreuve et une punition. On laisse alors supposer qu’elles font suffisamment souffrir pour que l’on fasse souffrir ceux qui ne prennent pas la souffrance suffisamment au sérieux.

    Si nous continuons à être uniquement dans une réponse émotionnelle à la souffrance, nous n’irons pas au-delà d’une gestion de la trêve. Or la question, qui est celle de la justice, s’avère résolument politique.

    Mais jamais les choses ne sont posées politiquement. On va les poser en termes d’identité, de communauté, de religion − le climat très trouble que nous vivons, avec une indéniable remontée de l’antisémitisme, pousse en ce sens.

    Les chaînes d’information en continu ne nous montrent jamais une carte de la Cisjordanie, devenue trouée de toutes parts telle une tranche d’emmental, au point d’exclure encore et toujours la présence palestinienne. Les drones ne servent jamais à filmer les colonies israéliennes dans les Territoires occupés. Ce serait pourtant une image explicite et politique…

    Vous mettez en garde contre toute « réponse émotionnelle » à propos des images, mais vous en appelez dans votre livre aux affects, dans la mesure où, écrivez-vous, « accueillir, c’est métamorphoser son regard »…

    J’avais écrit, après le 11 septembre 2001, L’#image peut-elle tuer ?, ou comment l’#instrumentalisation du #régime_émotionnel fait appel à des énergies pulsionnelles, qui mettent le sujet en situation de terreur, de crainte, ou de pitié. Il s’agit d’un usage balistique des images, qui deviennent alors des armes parmi d’autres.

    Un tel bombardement d’images qui sème l’effroi, qui nous réduit au silence ou au cri, prive de « logos » : de parole, de pensée, d’adresse aux autres. On s’en remet à la spontanéité d’une émotivité immédiate qui supprime le temps et les moyens de l’analyse, de la mise en rapport, de la mise en relation.

    Or, comme le pensait Édouard Glissant, il n’y a qu’une poétique de la relation qui peut mener à une politique de la relation, donc à une construction mentale et affective de l’accueil.

    Vous prônez un « #tout-accueil » qui semble faire écho au « Tout-monde » de Glissant…

    Oui, le lien est évident, jusqu’en ce #modèle_archipélique pensé par Glissant, c’est-à-dire le rapport entre l’insularité et la circulation en des espaces qui sont à la fois autonomes et séparables, qui forment une unité dans le respect des écarts.

    Ces écarts assument la #conflictualité et organisent le champ des rapports, des mises en relation, naviguant ainsi entre deux écueils : l’#exclusion et la #fusion.

    Comment ressentir comme un apport la vague migratoire, présentée, voire appréhendée tel un trop-plein ?

    Ce qui anime mon livre, c’est de reconnaître que celui qui arrive dans sa nudité, sa fragilité, sa misère et sa demande est l’occasion d’un accroissement de nos #ressources. Oui, le pauvre peut être porteur de quelque chose qui nous manque. Il nous faut dire merci à ceux qui arrivent. Ils deviennent une #richesse qui mérite #abri et #protection, sous le signe d’une #gratitude_partagée.

    Ils arrivent par milliers. Ils vont arriver par millions − je ne serai alors plus là, vu mon âge −, compte tenu des conditions économiques et climatiques à venir. Il nous faut donc nous y préparer culturellement, puisque l’hospitalité est pour moi un autre nom de la #culture.

    Il nous faut préméditer un monde à partager, à construire ensemble ; sur des bases qui ne soient pas la reproduction ou le prolongement de l’état de fait actuel, que déserte la prospérité et où semble s’universaliser la guerre. Cette préparation relève pour moi, plus que jamais, d’une #poétique_des_relations.

    Je travaille avec et auprès d’artistes − plasticiens, poètes, cinéastes, musiciens −, qui s’emparent de toutes les matières traditionnelles ou nouvelles pour créer la scène des rapports possibles. Il faut rompre avec ce qui n’a servi qu’à uniformiser le monde, en faisant appel à toutes les turbulences et à toutes les insoumissions, en inventant et en créant.

    En établissant des #zones_à_créer (#ZAC) ?

    Oui, des zones où seraient rappelées la force des faibles, la richesse des pauvres et toutes les ressources de l’indigence qu’il y a dans des formes de précarité.

    La ZAD (zone à défendre) ne m’intéresse effectivement que dans la mesure où elle se donne pour but d’occuper autrement les lieux, c’est-à-dire en y créant la scène d’une redistribution des places et d’un partage des pouvoirs face aux tyrannies économiques.

    Pas uniquement économiques...

    Il faut bien sûr compter avec ce qui vient les soutenir, anthropologiquement, puisque ces tyrannies s’équipent de tout un appareil symbolique et d’affects touchant à l’imaginaire.

    Aujourd’hui, ce qui me frappe, c’est la place de la haine dans les formes de #despotisme à l’œuvre. Après – ou avant – Trump, nous venons d’avoir droit, en Argentine, à Javier Milei, l’homme qui se pose en meurtrier prenant le pouvoir avec une tronçonneuse.

    Vous y opposez une forme d’amitié, de #fraternité, la « #filia », que vous écrivez « #philia ».

    Le [ph] désigne des #liens_choisis et construits, qui engagent politiquement tous nos affects, la totalité de notre expérience sensible, pour faire échec aux formes d’exclusion inspirées par la #phobie.

    Est-ce une façon d’échapper au piège de l’origine ?

    Oui, ainsi que de la #naturalisation : le #capitalisme se considère comme un système naturel, de même que la rivalité, le désir de #propriété ou de #richesse sont envisagés comme des #lois_de_la_nature.

    D’où l’appellation de « #jungle_de_Calais », qui fait référence à un état de nature et d’ensauvagement, alors que le film de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval, L’Héroïque lande. La frontière brûle (2018), montre magnifiquement que ce refuge n’était pas une #jungle mais une cité et une sociabilité créées par des gens venus de contrées, de langues et de religions différentes.

    Vous est-il arrivé personnellement d’accueillir, donc d’adopter ?

    J’ai en en effet tissé avec des gens indépendants de mes liens familiaux des relations d’adoption. Des gens dont je me sentais responsable et dont la fragilité que j’accueillais m’apportait bien plus que ce que je pouvais, par mes ressources, leur offrir.

    Il arrive, du reste, à mes enfants de m’en faire le reproche, tant les font parfois douter de leur situation les relations que je constitue et qui tiennent une place si considérable dans ma vie. Sans ces relations d’adoption, aux liens si constituants, je ne me serais pas sentie aussi vivante que je le suis.

    D’où mon refus du seul #héritage_biologique. Ce qui se transmet se construit. C’est toujours dans un geste de fiction turbulente et joyeuse que l’on produit les liens que l’on veut faire advenir, la #vie_commune que l’on désire partager, la cohérence politique d’une #égalité entre parties inégales – voire conflictuelles.

    La lecture de #Castoriadis a pu alimenter ma défense de la #radicalité. Et m’a fait reconnaître que la question du #désordre et du #chaos, il faut l’assumer et en tirer l’énergie qui saura donner une forme. Le compositeur Pascal Dusapin, interrogé sur la création, a eu cette réponse admirable : « C’est donner des bords au chaos. »

    Toutefois, ces bords ne sont pas des blocs mais des frontières toujours poreuses et fluantes, dans une mobilité et un déplacement ininterrompus.

    Accueillir, est-ce « donner des bords » à l’exil ?

    C’est donner son #territoire au corps qui arrive, un territoire où se créent non pas des murs aux allures de fin de non-recevoir, mais des cloisons – entre l’intime et le public, entre toi et moi : ni exclusion ni fusion…

    Mon livre est un plaidoyer en faveur de ce qui circule et contre ce qui est pétrifié. C’est le #mouvement qui aura raison du monde. Et si nous voulons que ce mouvement ne soit pas une déclaration de guerre généralisée, il nous faut créer une #culture_de_l’hospitalité, c’est-à-dire apprendre à recevoir les nouvelles conditions du #partage.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/271123/cette-hospitalite-radicale-que-prone-la-philosophe-marie-jose-mondzain
    #hospitalité #amour_politique

    via @karine4

    • Accueillir - venu(e)s d’un ventre ou d’un pays

      Naître ne suffit pas, encore faut-il être adopté. La filiation biologique, et donc l’arrivée d’un nouveau-né dans une famille, n’est pas le modèle de tout accueil mais un de ses cas particuliers. Il ne faut pas penser la filiation dans son lien plus ou moins fort avec le modèle normatif de la transmission biologique, mais du point de vue d’une attention à ce qui la fonde : l’hospitalité. Elle est un art, celui de l’exercice de la philia, de l’affect et du lien qui dans la rencontre et l’accueil de tout autre exige de substituer au terme de filiation celui de philiation. Il nous faut rompre avec toute légitimité fondée sur la réalité ou le fantasme des origines. Cette rupture est impérative dans un temps de migrations planétaires, de déplacements subjectifs et de mutations identitaires. Ce qu’on appelait jadis « les lois de l’hospitalité » sont bafouées par tous les replis haineux et phobiques qui nous privent des joies et des richesses procurées par l’accueil. Faute d’adopter et d’être adopté, une masse d’orphelins ne peut plus devenir un peuple. La défense des philiations opère un geste théorique qui permet de repenser les liens qui se constituent politiquement et poétiquement dans la rencontre de tout sujet qu’il nous incombe d’adopter, qu’il provienne d’un ventre ou d’un pays. Le nouveau venu comme le premier venu ne serait-il pas celle ou celui qui me manquait ? D’où qu’il vienne ou provienne, sa nouveauté nous offre la possibilité de faire œuvre.

      https://www.quaidesmots.fr/accueillir-venu-e-s-d-un-ventre-ou-d-un-pays.html
      #livre #filiation_biologique #accueil

  • Islande : revirement surprenant dans la menace d’éruption du volcan sous la ville de Grindavik
    https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/volcanologie-islande-revirement-surprenant-menace-eruption-volcan-s

    Les volcans sont imprévisibles. Alors que tout le monde s’attendait à une nouvelle éruption de grande ampleur sur la péninsule de Reykjanes, en Islande, la diminution significative de l’activité sismique depuis quelques jours semble indiquer une stabilisation de la situation. L’office météorologique islandais indique également que le taux de déformation du sol diminue. L’ensemble de ces observations suggère que la probabilité d’une éruption est désormais bien plus faible qu’au début de la crise, débutée le 10 novembre.
    Levée de l’état d’urgence

    Une bouffée d’espoir pour les 3 700 habitants de la ville de Grindavik, forcés d’évacuer leurs logements. Bien qu’ils ne soient toujours pas autorisés à rentrer chez eux, le risque de voir leurs maisons et leurs biens disparaître sous la lave s’amenuise considérablement. Si l’état d’urgence vient d’être levé, la prudence reste cependant de mise.

  • Dans une Hongrie dépourvue d’immigrés, l’arrivée nouvelle de travailleurs étrangers suscite des tensions
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/26/dans-une-hongrie-depourvue-d-immigres-l-arrivee-nouvelle-de-travailleurs-etr

    Le Monde - retour à la une

    Dans une Hongrie dépourvue d’immigrés, l’arrivée nouvelle de travailleurs étrangers suscite des tensions
    Par Jean-Baptiste Chastand (Berettyoujfalu, Debrecen [Hongrie], envoyé spécial)
    Dans l’est du pays, l’immense chantier d’une usine BMW a entraîné l’arrivée d’ouvriers venus d’Asie, des « invités », selon la terminologie du gouvernement Orban. Or dans cette région, la population est chauffée à blanc par la rhétorique anti-immigrés du parti au pouvoir.
    Quelques dizaines d’habitants se serrent, mercredi 15 novembre, dans la petite salle surchauffée du conseil municipal de Berettyoujfalu, une ville de 14 000 habitants perdue dans l’est de la Hongrie. L’heure est grave, à en croire le maire, Istvan Muraközi, qui a convoqué en urgence cette réunion publique pour parler « du problème des 150 travailleurs indiens apparus par surprise » en octobre sur le territoire de cette commune typique des campagnes magyares profondes où l’on n’a jamais vu d’immigrés, surtout non européens.

    « Cela fait déjà 1 % de notre population », s’inquiète ce quinquagénaire au look de paisible fonctionnaire, avec sa chemise à carreaux et sa chevelure bien rangée. Elu du Fidesz, le parti nationaliste et anti-immigrés du premier ministre, Viktor Orban, il promet : « Ce n’est pas la mairie qui a fait venir » ces jeunes hommes. Hébergés dans un ancien internat vétuste et un village vacances tristounet planté près d’un étang, ils sont employés sur le chantier de la future usine de voiture électrique BMW, qui doit ouvrir en 2025 à Debrecen, deuxième ville de Hongrie, à quarante-cinq minutes de bus de là.
    Istvan Muraközi, maire de Berettyoujfalu, tient une audience publique sur les travailleurs « invités », le 15 novembre 2023.
    Istvan Muraközi, maire de Berettyoujfalu, tient une audience publique sur les travailleurs « invités », le 15 novembre 2023. ANDRAS ZOLTAI POUR « LE MONDE »

    « Je n’ai pas de problème avec le fait de faire venir des travailleurs invités », précise d’ailleurs l’édile, qui veille soigneusement à ne pas critiquer M. Orban. Après des années de messages anti-immigration, ce dernier a fait volte-face. Depuis 2022, le gouvernement laisse des dizaines de milliers de travailleurs asiatiques venir combler le manque criant de main-d’œuvre de son pays, en plein déclin démographique et où le chômage est au-dessous de 5 %. « Mais je ne suis pas d’accord pour avoir des foyers de travailleurs invités dans nos quartiers résidentiels ou à côté de nos hôpitaux ou de nos écoles », se plaint-il, en reprenant délibérément le vocable du gouvernement, qui évite soigneusement le mot « immigré » pour privilégier celui d’« invité ».
    « Sans compter qu’ils ont des baux de cinq ans et qu’on n’a aucune idée de quel pays, de quelle religion, de quelle culture ils vont venir. Cela pose problème pour la sécurité et notre système de santé. » Dans la salle, un quinquagénaire qui dit vivre chichement des allocations pour personnes handicapées bondit : « Orban a promis à la télé qu’il ne laisserait pas les étrangers prendre le travail des Hongrois et, maintenant, j’ai peur que mes petits-enfants soient forcés d’apprendre le philippin. » « Le Fidesz nous dit depuis treize ans qu’il ne faut pas faire venir des immigrés et, à présent, ce sont eux qui les font venir. C’est complètement hypocrite ! », renchérit un entrepreneur.
    En mars 2023, le dirigeant nationaliste a en effet annoncé aux Hongrois que leur pays allait avoir besoin de faire venir « 500 000 nouveaux travailleurs d’ici un an ou deux ». Ce chiffre, considérable pour un pays d’à peine 9,7 millions d’habitants, doit permettre de satisfaire le développement industriel à tout crin souhaité par le pouvoir, notamment dans le domaine de la voiture électrique. Mais si un peu partout en Hongrie les Magyars se sont habitués à voir apparaître des infirmières thaïlandaises dans les maisons de retraite ou des chauffeurs philippins dans les bus de Budapest, l’ambiance s’est en revanche tendue, ces derniers mois, dans la région de Debrecen.Réputée pour son nationalisme, la ville de 200 000 habitants avait été, dès 2015, témoin de manifestations d’extrême droite qui restent dans les mémoires contre un centre de réfugiés, lequel avait finalement dû fermer. Huit ans plus tard, Indiens, Turcs et Phillippins affluent pourtant par centaines pour travailler sur les chantiers des usines qui poussent comme des champignons dans cette région longtemps déshéritée. En plus de BMW, le chinois CATL construit au sud de la ville un gigantesque site de production de batteries sur plus de 200 hectares. Supérieur à 7 milliards d’euros, l’investissement est le plus important de l’histoire de la Hongrie et devrait employer à terme jusqu’à 9 000 personnes.
    Amenés par avions entiers, les travailleurs étrangers sont hébergés dans des conditions improvisées et parfois spartiates dans tout ce que la région compte de foyers disponibles. Sur les réseaux sociaux, certains Hongrois les accusent, sans preuve, de faire monter la criminalité. Signe du caractère très délicat du sujet, BMW a refusé de répondre aux questions du Monde, en faisant seulement savoir qu’il n’employait pas directement de travailleurs étrangers. Les services de sécurité de son usine ont par ailleurs violemment écarté le photographe du Monde lorsqu’il a essayé, au petit matin, de prendre en photo les grappes de travailleurs étrangers descendant, encore endormis, des bus les amenant de toute la région jusqu’au site de Debrecen.
    A sept mois des élections municipales de juin 2024, les maires de la région, presque tous du Fidesz, s’inquiètent. « Il faut qu’ils soient hébergés là où ils travaillent », réclame ainsi le maire de Berettyoujfalu, en annonçant qu’il va lancer une consultation postale de tous ses concitoyens. A Debrecen, le maire, Laszlo Papp, doit, lui, s’essayer à une pédagogie inédite dans la bouche d’un élu du Fidesz. « On a besoin des travailleurs invités pour participer à la construction de ces usines », défend-il auprès du Monde, en rappelant que sa ville, jusqu’ici un peu morne et endormie, va créer « entre 15 000 et 16 000 emplois » dans les prochaines années. « Les travailleurs invités ne sont pas des immigrés illégaux, ils doivent repartir au bout de deux ans et ils ne prennent pas le travail des Hongrois », précise-t-il. « L’exemple de l’Europe de l’Ouest nous montre qu’il ne faut pas commettre les mêmes erreurs. »
    Pour justifier ce virage politique majeur, M. Orban insiste en effet régulièrement sur le fait que ces « invités » auront l’interdiction de rester plus de deux ans en Hongrie et d’amener leur famille, en dépit du droit fondamental au regroupement familial. Il continue par ailleurs de répéter des messages anti-immigrés en boucle, en affirmant par exemple, depuis début novembre, qu’il ne veut « pas voir de ghetto et de mini-Gaza se constituer à Budapest ». Cela explique pourquoi la nuance n’est pas toujours bien comprise par une population hongroise chauffée à blanc depuis des années par sa propagande.« Pour beaucoup de personnes sensibles aux messages du pouvoir, un étranger reste un étranger », raille ainsi Zoltan Varga, député local du parti de gauche Coalition démocratique. Sa formation a d’ailleurs décidé de faire du sujet l’un de ses principaux axes de campagne pour les municipales en vue d’essayer de déloger le Fidesz de la mairie. « Tous ces immigrés asiatiques sont des esclaves modernes amenés par le gouvernement pour casser les salaires plutôt que d’essayer de faire revenir au pays les centaines de milliers de jeunes Hongrois qui l’ont quitté pour aller travailler en Europe de l’Ouest », fustige-t-il, avec un ton qui provoque des remous au sein de la gauche hongroise, pas toujours d’accord pour s’en prendre ainsi aux immigrés.
    Amener des travailleurs étrangers « est une chose nécessaire », car « les entreprises ont de gros problèmes de recrutement et cela menace les investissements », estime ainsi Balazs Babel, le vice-président du syndicat de la métallurgie Vasas, qui a déjà dû intervenir dans plusieurs usines hongroises ces derniers mois face à l’apparition de tensions entre travailleurs locaux et étrangers.
    Hésitations juridiques« On explique que, jusqu’ici, on n’a pas vu de dumping social parce que cela revient toujours plus cher d’employer quelqu’un d’étranger dans la mesure où il faut lui fournir un logement et lui payer les frais de voyage », défend le syndicaliste, en critiquant toutefois la politique gouvernementale. Celle-ci pousse les entreprises à passer par des agences d’intérim agréées par le pouvoir et dont les « travailleurs invités » sont à sa merci, car immédiatement expulsables s’ils perdent leur emploi.
    La fébrilité du pouvoir se ressent aussi dans ses hésitations juridiques. En octobre, le gouvernement a subitement annulé l’entrée en vigueur d’une loi qui devait faciliter l’embauche de « travailleurs invités », en promettant de la remplacer par un texte plus strict. Examiné depuis le mardi 21 novembre au Parlement, celui-ci impose aux entreprises de vérifier qu’il n’y a aucun Hongrois disponible avant de faire venir un travailleur étranger, interdit que plus d’un quart des travailleurs arrivant en Hongrie soient issus du même pays et prévoit une disposition taillée sur mesure pour répondre aux préoccupations des maires de la région de Debrecen : la possibilité d’héberger les « travailleurs invités » dans les zones industrielles.
    Devant le futur site de BMW, les sous-traitants du constructeur allemand ont déjà commencé à ériger un gigantesque village de conteneurs où les travailleurs étrangers peuvent dormir, loin de tout, à commencer du regard des Hongrois. La mairie de Debrecen s’apprête à autoriser la même chose devant l’usine de CATL. Laszlo Papp a vanté cette politique lors d’une discrète réunion avec les maires du Fidesz de la région, organisée le jeudi 16 novembre, pour les rassurer en vue des élections municipales. « Cela va être mieux coordonné », se félicite à la sortie Gyula Czegledi, maire d’une commune touristique voisine qui avait vu apparaître entre « 200 et 300 travailleurs invités cet été » et a dû plusieurs fois expliquer à sa population que la criminalité n’avait pas bougé, chiffres de la police à l’appui.
    A Berettyoujfalu, tous les habitants ne se montrent pourtant pas hostiles à cette petite révolution dans une Hongrie qui comptait, jusqu’ici, à peine 2 % de résidents étrangers. « Ces immigrés sont là pour travailler et ne dérangent pas beaucoup », a ainsi expliqué un trentenaire lors de la réunion publique, avant d’être immédiatement corrigé par le maire : « On dit “travailleurs invités”. » « Au lieu de faire peur, vous feriez mieux de calmer la population en rappelant qu’on ne les voit nulle part en ville à part au supermarché quand ils viennent faire leurs courses. Ils m’ont même dit bonjour », a rétorqué un homme dans la cinquantaine, après trois heures de débat où les participants se sont montrés finalement plus préoccupés par les problèmes d’eau.
    Au même moment, à 2 kilomètres de là, Rahul, 24 ans, ne se doute de rien des remous qu’il suscite, alors qu’il cherche à regagner son lit le plus rapidement possible après une journée de travail harassante. Venu du Tamil Nadu, un Etat du sud-est de l’Inde, il gagne environ 650 euros par mois en travaillant douze heures par jour, six jours par semaine, pour l’entreprise de construction turque missionnée par BMW pour construire l’usine. (....)Face aux tensions grandissantes, les Indiens de Berettyoujfalu ont reçu pour consigne de ne plus parler aux journalistes.

    #Covid-19#migrant#migration#hongrie#asie#inde#Philippines#turquie#thailande#infirmiere#travailleurmigrant#economie#industrie#nationalisme#sante#immigrationorganisee

  • Fermes, coopératives... « En #Palestine, une nouvelle forme de #résistance »

    Jardins communautaires, coopératives... En Cisjordanie et à Gaza, les Palestiniens ont développé une « #écologie_de_la_subsistance qui n’est pas séparée de la résistance », raconte l’historienne #Stéphanie_Latte_Abdallah.

    Alors qu’une trêve vient de commencer au Proche-Orient entre Israël et le Hamas, la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah souligne les enjeux écologiques qui se profilent derrière le #conflit_armé. Elle rappelle le lien entre #colonisation et #destruction de l’#environnement, et « la relation symbiotique » qu’entretiennent les Palestiniens avec leur #terre et les êtres qui la peuplent. Ils partagent un même destin, une même #lutte contre l’#effacement et la #disparition.

    Stéphanie Latte Abdallah est historienne et anthropologue du politique, directrice de recherche au CNRS (CéSor-EHESS). Elle a récemment publié La toile carcérale, une histoire de l’enfermement en Palestine (Bayard, 2021).

    Reporterre — Comment analysez-vous à la situation à #Gaza et en #Cisjordanie ?

    Stéphanie Latte Abdallah — L’attaque du #Hamas et ses répercussions prolongent des dynamiques déjà à l’œuvre mais c’est une rupture historique dans le déchaînement de #violence que cela a provoqué. Depuis le 7 octobre, le processus d’#encerclement de la population palestinienne s’est intensifié. #Israël les prive de tout #moyens_de_subsistance, à court terme comme à moyen terme, avec une offensive massive sur leurs conditions matérielles d’existence. À Gaza, il n’y a plus d’accès à l’#eau, à l’#électricité ou à la #nourriture. Des boulangeries et des marchés sont bombardés. Les pêcheurs ne peuvent plus accéder à la mer. Les infrastructures agricoles, les lieux de stockage, les élevages de volailles sont méthodiquement démolis.

    En Cisjordanie, les Palestiniens subissent — depuis quelques années déjà mais de manière accrue maintenant — une forme d’#assiègement. Des #cultures_vivrières sont détruites, des oliviers abattus, des terres volées. Les #raids de colons ont été multipliés par deux, de manière totalement décomplexée, pour pousser la population à partir, notamment la population bédouine qui vit dans des zones plus isolées. On assiste à un approfondissement du phénomène colonial. Certains parlent de nouvelle #Nakba [littéralement « catastrophe » en Arabe. Cette expression fait référence à l’exode forcé de la population palestinienne en 1948]. On compte plus d’1,7 million de #déplacés à Gaza. Où iront-ils demain ?

    « Israël mène une #guerre_totale à une population civile »

    Gaza a connu six guerres en dix-sept ans mais il y a quelque chose d’inédit aujourd’hui, par l’ampleur des #destructions, le nombre de #morts et l’#effet_de_sidération. À défaut d’arriver à véritablement éliminer le Hamas – ce qui est, selon moi, impossible — Israël mène une guerre totale à une population civile. Il pratique la politique de la #terre_brûlée, rase Gaza ville, pilonne des hôpitaux, humilie et terrorise tout un peuple. Cette stratégie a été théorisée dès 2006 par #Gadi_Eizenkot, aujourd’hui ministre et membre du cabinet de guerre, et baptisée « la #doctrine_Dahiya », en référence à la banlieue sud de Beyrouth. Cette doctrine ne fait pas de distinction entre #cibles_civiles et #cibles_militaires et ignore délibérément le #principe_de_proportionnalité_de_la_force. L’objectif est de détruire toutes les infrastructures, de créer un #choc_psychologique suffisamment fort, et de retourner la population contre le Hamas. Cette situation nous enferme dans un #cycle_de_violence.

    Vos travaux les plus récents portent sur les initiatives écologiques palestiniennes. Face à la fureur des armes, on en entend évidemment peu parler. Vous expliquez pourtant qu’elles sont essentielles. Quelles sont-elles ?

    La Palestine est un vivier d’#innovations politiques et écologiques, un lieu de #créativité_sociale. Ces dernières années, suite au constat d’échec des négociations liées aux accords d’Oslo [1] mais aussi de l’échec de la lutte armée, s’est dessinée une #troisième_voie.

    Depuis le début des années 2000, la #société_civile a repris l’initiative. Dans de nombreux villages, des #marches et des #manifestations hebdomadaires sont organisées contre la prédation des colons ou pour l’#accès_aux_ressources. Plus récemment, s’est développée une #économie_alternative, dite de résistance, avec la création de #fermes, parfois communautaires, et un renouveau des #coopératives.

    L’objectif est de reconstruire une autre société libérée du #néolibéralisme, de l’occupation et de la #dépendance à l’#aide_internationale. Des agronomes, des intellectuels, des agriculteurs, des agricultrices, des associations et des syndicats de gauche se sont retrouvés dans cette nouvelle forme de résistance en dehors de la politique institutionnelle. Une jeune génération a rejoint des pionniers. Plutôt qu’une solution nationale et étatique à la colonisation israélienne — un objectif trop abstrait sur lequel personne n’a aujourd’hui de prise — il s’agit de promouvoir des actions à l’échelle citoyenne et locale. L’idée est de retrouver de l’#autonomie et de parvenir à des formes de #souveraineté par le bas. Des terres ont été remises en culture, des #fermes_agroécologiques ont été installées — dont le nombre a explosé ces cinq dernières années — des #banques_de_semences locales créées, des modes d’#échange directs entre producteurs et consommateurs mis en place. On a parlé d’« #intifada_verte ».

    Une « intifada verte » pour retrouver de l’autonomie

    Tout est né d’une #prise_de_conscience. Les #territoires_palestiniens sont un marché captif pour l’#économie israélienne. Il y a très peu de #production. Entre 1975 et 2014, la part des secteurs de l’agriculture et de l’#industrie dans le PIB a diminué de moitié. 65 % des produits consommés en Cisjordanie viennent d’Israël, et plus encore à Gaza. Depuis les accords d’Oslo en 1995, la #production_agricole est passée de 13 % à 6 % du PIB.

    Ces nouvelles actions s’inscrivent aussi dans l’histoire de la résistance : au cours de la première Intifada (1987-1993), le #boycott des taxes et des produits israéliens, les #grèves massives et la mise en place d’une économie alternative autogérée, notamment autour de l’agriculture, avaient été centraux. À l’époque, des #jardins_communautaires, appelés « les #jardins_de_la_victoire » avait été créés. Ce #soulèvement, d’abord conçu comme une #guerre_économique, entendait alors se réapproprier les #ressources captées par l’occupation totale de la Cisjordanie et de la #bande_de_Gaza.

    Comment définiriez-vous l’#écologie palestinienne ?

    C’est une écologie de la subsistance qui n’est pas séparée de la résistance, et même au-delà, une #écologie_existentielle. Le #retour_à_la_terre participe de la lutte. C’est le seul moyen de la conserver, et donc d’empêcher la disparition totale, de continuer à exister. En Cisjordanie, si les terres ne sont pas cultivées pendant 3 ou 10 ans selon les modes de propriété, elles peuvent tomber dans l’escarcelle de l’État d’Israël, en vertu d’une ancienne loi ottomane réactualisée par les autorités israéliennes en 1976. Donc, il y a une nécessité de maintenir et augmenter les cultures, de redevenir paysans, pour limiter l’expansion de la #colonisation. Il y a aussi une nécessité d’aller vers des modes de production plus écologiques pour des raisons autant climatiques que politiques. Les #engrais et les #produits_chimiques proviennent des #multinationales via Israël, ces produits sont coûteux et rendent les sols peu à peu stériles. Il faut donc inventer autre chose.

    Les Palestiniens renouent avec une forme d’#agriculture_économe, ancrée dans des #savoir-faire_ancestraux, une agriculture locale et paysanne (#baladi) et #baaliya, c’est-à-dire basée sur la pluviométrie, tout en s’appuyant sur des savoirs nouveaux. Le manque d’#eau pousse à développer cette méthode sans #irrigation et avec des #semences anciennes résistantes. L’idée est de revenir à des formes d’#agriculture_vivrière.

    La #révolution_verte productiviste avec ses #monocultures de tabac, de fraises et d’avocats destinée à l’export a fragilisé l’#économie_palestinienne. Elle n’est pas compatible avec l’occupation et le contrôle de toutes les frontières extérieures par les autorités israéliennes qui les ferment quand elles le souhaitent. Par ailleurs, en Cisjordanie, il existe environ 600 formes de check-points internes, eux aussi actionnés en fonction de la situation, qui permettent de créer ce que l’armée a nommé des « #cellules_territoriales ». Le #territoire est morcelé. Il faut donc apprendre à survivre dans des zones encerclées, être prêt à affronter des #blocus et développer l’#autosuffisance dans des espaces restreints. Il n’y a quasiment plus de profondeur de #paysage palestinien.

    « Il faut apprendre à survivre dans des zones encerclées »

    À Gaza, on voit poindre une #économie_circulaire, même si elle n’est pas nommée ainsi. C’est un mélange de #débrouille et d’#inventivité. Il faut, en effet, recycler les matériaux des immeubles détruits pour pouvoir faire de nouvelles constructions, parce qu’il y a très peu de matériaux qui peuvent entrer sur le territoire. Un entrepreneur a mis au point un moyen d’utiliser les ordures comme #matériaux. Les modes de construction anciens, en terre ou en sable, apparaissent aussi mieux adaptés au territoire et au climat. On utilise des modes de production agricole innovants, en #hydroponie ou bien à la #verticale, parce que la terre manque, et les sols sont pollués. De nouvelles pratiques énergétiques ont été mises en place, surtout à Gaza, où, outre les #générateurs qui remplacent le peu d’électricité fournie, des #panneaux_solaires ont été installés en nombre pour permettre de maintenir certaines activités, notamment celles des hôpitaux.

    Est-ce qu’on peut parler d’#écocide en ce moment ?

    Tout à fait. Nombre de Palestiniens emploient maintenant le terme, de même qu’ils mettent en avant la notion d’#inégalités_environnementales avec la captation des #ressources_naturelles par Israël (terre, ressources en eau…). Cela permet de comprendre dans leur ensemble les dégradations faites à l’#environnement, et leur sens politique. Cela permet aussi d’interpeller le mouvement écologiste israélien, peu concerné jusque-là, et de dénoncer le #greenwashing des autorités. À Gaza, des #pesticides sont épandus par avion sur les zones frontalières, des #oliveraies et des #orangeraies ont été arrachées. Partout, les #sols sont pollués par la toxicité de la guerre et la pluie de #bombes, dont certaines au #phosphore. En Cisjordanie, les autorités israéliennes et des acteurs privés externalisent certaines #nuisances_environnementales. À Hébron, une décharge de déchets électroniques a ainsi été créée. Les eaux usées ne sont pas également réparties. À Tulkarem, une usine chimique considérée trop toxique a été également déplacée de l’autre côté du Mur et pollue massivement les habitants, les terres et les fermes palestiniennes alentour.

    « Il existe une relation intime entre les Palestiniens et leur environnement »

    Les habitants des territoires occupés, et leur environnement — les plantes, les arbres, le paysage et les espèces qui le composent — sont attaqués et visés de manière similaire. Ils sont placés dans une même #vulnérabilité. Pour certains, il apparaît clair que leur destin est commun, et qu’ils doivent donc d’une certaine manière résister ensemble. C’est ce que j’appelle des « #résistances_multispécifiques », en écho à la pensée de la [philosophe féministe étasunienne] #Donna_Haraway. [2] Il existe une relation intime entre les Palestiniens et leur environnement. Une même crainte pour l’existence. La même menace d’#effacement. C’est très palpable dans le discours de certaines personnes. Il y a une lutte commune pour la #survie, qui concerne autant les humains que le reste du vivant, une nécessité écologique encore plus aigüe. C’est pour cette raison que je parle d’#écologisme_existentiel en Palestine.

    Aujourd’hui, ces initiatives écologistes ne sont-elles pas cependant menacées ? Cet élan écologiste ne risque-t-il pas d’être brisé par la guerre ?

    Il est évidemment difficile d’exister dans une guerre totale mais on ne sait pas encore comment cela va finir. D’un côté, on assiste à un réarmement des esprits, les attaques de colons s’accélèrent et les populations palestiniennes en Cisjordanie réfléchissent à comment se défendre. De l’autre côté, ces initiatives restent une nécessité pour les Palestiniens. J’ai pu le constater lors de mon dernier voyage en juin, l’engouement est réel, la dynamique importante. Ce sont des #utopies qui tentent de vivre en pleine #dystopie.

    https://reporterre.net/En-Palestine-l-ecologie-n-est-pas-separee-de-la-resistance
    #agriculture #humiliation #pollution #recyclage #réusage #utopie

    • La toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine

      Dans les Territoires palestiniens, depuis l’occupation de 1967, le passage par la prison a marqué les vécus et l’histoire collective. Les arrestations et les incarcérations massives ont installé une toile carcérale, une détention suspendue. Environ 40 % des hommes palestiniens sont passés par les prisons israéliennes depuis 1967. Cet ouvrage remarquable permet de comprendre en quoi et comment le système pénal et pénitentiaire est un mode de contrôle fractal des Territoires palestiniens qui participe de la gestion des frontières. Il raconte l’envahissement carcéral mais aussi la manière dont la politique s’exerce entre Dedans et Dehors, ses effets sur les masculinités et les féminités, les intimités. Stéphanie Latte Abdallah a conduit une longue enquête ethnographique, elle a réalisé plus de 350 entretiens et a travaillé à partir d’archives et de documents institutionnels. Grâce à une narration sensible s’apparentant souvent au documentaire, le lecteur met ses pas dans ceux de l’auteure à la rencontre des protagonistes de cette histoire contemporaine méconnue.

      https://livres.bayard-editions.com/livres/66002-la-toile-carcerale-une-histoire-de-lenfermement-en-pal
      #livre

  • Sur le visage comme un oubli : Anima Sola #24
    Récit poétique à partir d’images créées par procuration.

    https://liminaire.fr/palimpseste/article/sur-le-visage-comme-un-oubli

    La nuit est tombée. J’admets que ce doit être bien difficile de tout prévoir à l’avance. La pluie continue à tomber, les gouttes d’eau ricochent sur la surface translucide de mon parapluie. Je vois leurs ondes se former au sol, tandis que les lumières de la rue sont éclaboussées dans les flaques par leurs reflets. J’arrive à un carrefour, je cherche ma direction. Et soudain, un son tremblotant m’interrompt. C’est une voix frêle que j’entends dans le tumulte de la circulation nocturne. Une voix privée de toute signification qui prononce des paroles incompréhensibles. Une voix sans âge ni sexe qui vient de loin.

    (...) #Écriture, #Langage, #Poésie, #Lecture, #Photographie, #Littérature, #Art, #AI, #IntelligenceArtificielle, #Dalle-e, #Récit, #Portrait, #Corps, #Lumière, #Pluie (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/anima_sola_24.mp4