• À #Montagnac, le maire balance sa source à #Cristaline

    Pour 30 000 euros, la marque est en passe de mettre la main sur une gigantesque masse d’eau près de #Béziers. Dans une zone frappée de plein fouet par les #sécheresses.

    Au début du printemps, au sortir d’une sécheresse hivernale inédite (lire l’épisode 1, « Eau, rage et désespoir » : https://lesjours.fr/obsessions/eau-guerres/ep1-macron-bassines), certains habitants d’#Occitanie ont appelé à l’aide leurs divinités pour faire venir la pluie. Ç’a été le cas à #Perpignan, mais aussi dans l’#Hérault, dans le village de #Corneilhan, près de Béziers. Le 30 mars, un cortège mené par un curé avait transporté une statue de Marie en plein cagnard pendant deux kilomètres et demi. Le #cortège, racontait alors France Bleu, s’était arrêté pour prier dans les vignes. Un viticulteur avait expliqué : « L’eau, on en manque. Donc, je demande au bon #Dieu de nous l’envoyer. Les politiques ne sont pas encore capables de faire tomber la pluie. Donc à part lui, je ne vois pas ! »

    Tout cela en vain, puisque la pluie ne s’est que peu montrée, en dehors de quelques averses en juin. Puis certaines communes alentour ont affronté l’angoisse du robinet à sec, le #lac_du_Salagou a connu son plus bas niveau depuis vingt ans, tandis que mi-août, un arrêté préfectoral plaçait pour la première fois les communes limitrophes de l’#étang_de_Thau en état de « #crise », seuil maximal de #restriction des usages face à la #sécheresse. En clair, l’#eau est rare dans le coin. Mais elle n’est pas forcément chère.

    L’association #Veille_Eau_Grain estime qu’il y a de quoi fournir de l’#eau_potable à 20 000 habitants pendant quinze ans

    C’est ce qu’on découvert les 4 000 habitants de Montagnac, à une trentaine de kilomètres au nord-est de #Corneilhan. Fin 2022 ils ont appris, un peu par hasard vous le verrez, que leur mairie avait décidé de vendre pour à peine 30 000 euros une parcelle dotée d’un #forage qui plonge à 1 500 mètres sous terre, jusqu’à une masse d’eau gigantesque. À l’abandon aujourd’hui, le #puits pourrait, moyennant de gros travaux, donner accès à cette #nappe_d’eau_souterraine de qualité et dont les volumes suscitent bien des convoitises. L’association Veille Eau Grain, née contre la vente de ce forage, a depuis réuni des informations permettant d’estimer qu’il y a là de quoi fournir de l’eau potable à 20 000 habitants pendant quinze ans !

    La générosité municipale est d’autant plus étonnante que le futur acquéreur n’est pas sans le sou : il s’agit de la #Compagnie_générale_d’eaux_de_source, une filiale du géant #Sources_Alma, connu pour ses bouteilles #Saint-Yorre, #Vichy_Célestins et surtout Cristaline. Cette dernière eau, née en 1992 et numéro 1 en #France aujourd’hui, est une simple marque et s’abreuve à 21 sources différentes dans l’Hexagone – et même en Allemagne et au Luxembourg. À Montagnac et en particulier dans le secteur où est situé le forage, elle est plébiscitée. Voisin, viticulteur et fondateur de l’association Veille Eau Grain, #Christophe_Savary_de_Beauregard s’en explique : « La zone qu’on habite est quasiment désertique, nous n’avons pas l’eau potable. L’eau, on l’achète, et celle qu’on choisit, c’est la Cristaline parce que c’est la moins chère. » Cruel.

    Comment expliquer une telle vente ? Cristaline et Alma ont été pointés du doigt pour leurs méthodes commerciales et pour leur capacité à obtenir les faveurs des autorités locales, le tout, selon leurs détracteurs, grâce à du #chantage à l’#emploi. Les généreuses #dérogations_préfectorales accordées à Cristaline pour des #prélèvements d’eau dans les #Pays-de-la-Loire ont aussi été dénoncées en 2018 par les représentants locaux du Mouvement national de lutte pour l’environnement. Rien de tout ça ici, semble-t-il, puisque c’est la mairie de Montagnac elle-même qui a démarché #Alma. C’est en tout cas ce que l’équipe de communication du géant de la bouteille nous a affirmé par écrit.

    Des #viticulteurs ont raconté avoir été démarchés par des intermédiaires pour autoriser le passage de tuyaux et de canalisations menant jusqu’à une future usine. C’est là qu’on a découvert que le conseil municipal avait voté la vente du forage.
    Christophe Savary de Beauregard, fondateur de l’association Veille Eau Grain

    Après plusieurs sollicitations en juillet et en septembre, #Yann_Llopis, le maire de Montagnac, nous a fait savoir qu’il refusait de répondre à la presse – lui qui ne rechigne pourtant pas à parler de lui et de sa « préoccupation » pour l’environnement sur le site de la ville. On ne saura donc pas s’il a vendu à vil #prix l’eau de sa commune dans l’espoir de #retombées_fiscales et de créations d’emplois. Ce silence n’étonnera pas les riverains, qui disent n’avoir à aucun moment été informés par l’édile et son équipe des tractations avec le groupe Alma. Christophe Savary de Beauregard raconte avoir découvert par hasard la décision du #conseil_municipal actant la vente de la parcelle et du forage : « Fin 2022, des viticulteurs nous ont raconté qu’ils avaient été démarchés par des intermédiaires, afin d’autoriser le passage sur le terrain de tuyaux et de canalisations venant du forage et menant jusqu’à une future usine. On s’est renseignés, et c’est là qu’on a découvert qu’en septembre le conseil municipal avait délibéré et voté pour la vente du terrain et du forage au groupe Alma. »

    Habitant de Montagnac, le conseiller régional socialiste René Moreno confirme et dénonce ce manque de transparence, avant de dresser une chronologie de ce forage qu’il connaît bien. Creusé en 1980 par deux entrepreneurs locaux, il est devenu propriété de l’État à la mort de ces derniers, en 2018. La parcelle et son forage ont alors été mis en vente sous le contrôle d’une instance locale, le comité technique de la #Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), dont l’élu est membre. « À l’époque, il y avait plusieurs projets de reprise, dont celui de la mairie de Montagnac qui avait pour ambition de le destiner à un élevage privé d’esturgeons, se souvient René Moreno. Ce genre d’élevage est consommateur d’eau mais dans de faibles quantités. J’ai insisté pour que la mairie obtienne le forage. » Il obtiendra gain de cause.

    Après l’achat de la parcelle par la mairie (pour la somme de 30 000 euros, déjà), les porteurs du projet d’élevage d’esturgeons ont malheureusement baissé les bras. La mairie s’est alors retrouvée le bec dans l’eau, selon le service de communication du groupe Alma. Celui-ci indique par mail que si celle-ci ne vend pas le forage aujourd’hui, elle devra assumer les coûts de son obturation (qu’il estime à 300 000 euros) ou de sa remise en service (on dépasserait alors les 500 000 euros). René Moreno assure de son côté que ces sommes, si elles étaient avérées, pourraient être déboursées en partie par l’État ou d’autres collectivités, afin de préserver la précieuse ressource souterraine ou la destiner aux populations locales en cas de crise.

    Le projet actuel est on ne peut plus à l’opposé : construire une gigantesque #usine privée d’#embouteillage d’#eau_minérale pour une grande marque, occasionnant quelques joyeusetés comme l’artificialisation de plusieurs milliers de mètres carrés ou le passage quotidien de plusieurs dizaines de camions pour le transport des packs. Une perspective qui inquiète les riverains, tout autant que la réputation sulfureuse du groupe. Une enquête de Médiacités publiée en décembre 2022 a, par exemple, révélé que 13 de ses 34 usines françaises avaient été épinglées par les services de l’État depuis 2010 : non-conformités, contaminations, pollution de ruisseau et mêmes fraudes…

    Derrière Cristaline, deux hommes à la réputation sulfureuse : le milliardaire #Pierre_Castel et #Pierre_Papillaud, le visage des pubs télé Rozana

    Quant aux créateurs de Cristaline, ils se signalent autant par leurs succès que par leurs casseroles. Le milliardaire Pierre Castel, l’un des dix Français les plus riches, a été condamné pour avoir abrité son immense fortune – faite dans la bière en Afrique et dans le vin partout dans le monde (les cavistes Nicolas, la marque Baron de Lestac…) – dans des #paradis_fiscaux. Il apparaît dans les listings des « Pandora Papers ». Son groupe est en prime visé par une enquête du parquet antiterroriste pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « complicité de crimes de guerre » parce qu’il aurait financé en Centrafrique une milice coupables d’exactions en masse. Pierre Castel a vendu ses parts à son compère Pierre Papillaud en 2008. Celui-ci, dont vous avez vu la tête dans les pubs télé pour la marque d’eau gazeuse #Rozana, a été accusé par d’anciens salariés de méthodes managériales violentes et de harcèlement moral, et condamné pour une campagne de dénigrement de l’eau du robinet. Il apparaît, lui, dans les listings des « Panama Papers ». Il est décédé en 2017.

    C’est face à ce groupe que se dressent la vingtaine de membres de l’association Veille Eau Grain. Ceux-ci ont entamé une procédure devant le tribunal administratif pour faire annuler la délibération du conseil municipal de Montagnac concernant la vente du forage, arguant que cette décision a été prise sans informer la population et à partir d’un corpus de documents trop limité pour juger de sa pertinence. Ce n’est que le début du combat. L’exploitation du forage est soumise à une étude d’impact environnementale, qui, selon le groupe Alma, a démarré en juillet et durera dix-huit mois.

    https://lesjours.fr/obsessions/eau-guerres/ep7-montagnac-cristaline

    #accès_à_l'eau #impact_environnemental

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/1016901

  • En matière de compréhension des enjeux, il n’y a pas pire naze dans l’intelligentsia écologiste que #Pierre_Charbonnier . Donc normal de le trouver dans Libé et au Climat Libé Tour de Paris.

    S’il fallait résumer, en quelques mots, l’histoire du problème environnemental, il faudrait dire que nous sommes plongés dans un dilemme entre développement économique et risque écologique.

    Comprenez-le bien : le problème, ce n’est pas la reproduction du capital, mais comment la rendre écolo-compatible.

    Le premier (donc le système capitaliste)

    est synonyme de prospérité, il émancipe la société des limitations de la nature et il ouvre la possibilité d’un partage des bénéfices du progrès. Le second, ce sont les retombées négatives de ce processus industriel et agronomique, qui peuvent aller jusqu’à nous faire douter de son bien-fondé.

    Douter seulement. Heureusement, Pierre Charbonnier est là pour vous rassurer.

    L’#écologie_politique est née avec la crise du progrès, et c’est la raison pour laquelle elle a si souvent été en porte-à-faux avec les revendications ouvrières et sociales qui conservent pour boussole principale l’accroissement du revenu et la démocratisation du travail.

    En vérité, l’écologie politique est un courant réformiste petit-bourgeois qui 1) est, depuis toujours, étranger aux idées, aux intérêts et aux combats de la classe ouvrière et qui 2) ne vise qu’à réaliser des alternatives au sein même de la société capitaliste (cette absurdité). Elle ne peut donc pas comprendre, à l’instar du naze, que la question écologique dépend, en vérité, fondamentalement du mouvement ouvrier qui, seul, peut mettre fin au capitalisme — qui est l’unique raison du désastre écologique.

    Aujourd’hui, ce clivage entre développement et économie est remis en question. En effet, la gauche est en train d’intérioriser la critique écologique de la productivité à tout prix. Mais ce changement de vision, parfois résumé dans le slogan « Fin du monde, fin du mois, même combat », peine à trouver un véritable aboutissement politique et électoral.

    L’écologie politique est fondamentalement réactionnaire. Et la vieille gauche, déjà idiote, en « intériorisant la critique écologique de la productivité à tout prix », le devient tout autant. Car ce qu’il convient naturellement de comprendre, c’est que le problème ce n’est pas la productivité, dans un sens général, mais seulement les rapports sociaux de production actuels. Qui, à part les nazes, peut prétendre en effet qu’une société débarrassée du capital n’aura pas également le souci de produire le plus efficacement possible ? Bref, le problème, ce n’est pas la productivité, mais le fait que celle-ci n’est aujourd’hui conçue et organisée que pour reproduire le capital et engranger des profits pour une minorité de parasites.

    La gauche française semble désormais avoir attaché son avenir à celui des politiques climatiques.

    Seulement par opportunisme, car cela rapporte des voix — on le sait. Pour le reste, elle ne pourra fondamentalement rien changer à rien.

    […] au-delà des appels parfois quelque peu incantatoires à faire converger justice sociale et justice climatique, la construction de l’offre politique « rouge-vert » reste entravée par d’importants obstacles. Du côté « vert », la culpabilisation des habitudes de consommation et la promotion d’un style de vie moins matérialiste provoquent les réticences des classes moyennes et populaires. Celles-ci y voient souvent un amoindrissement de leurs perspectives économiques, ce qui resserre la base électorale autour des classes moyennes supérieures urbaines et diplômées.

    L’écologie politique est étrangère depuis toujours à l’analyse marxiste des rapports sociaux de production, elle a toujours préféré voir le problème dans les habitudes de consommation. Un vieux contresens qui permet de justifier le seul désir de moraliser l’ordre social.

    Du côté « rouge », les projets de planification écologique et de taxation du capital remettent à juste titre en selle un Etat capable de discipliner les investisseurs. Mais cette stratégie a encore deux points aveugles : quelle intégration de la France à l’économie européenne et mondiale est-il possible d’envisager dans ce cadre ? Et comment concrètement rééquilibrer le sort des « gagnants » et des « perdants » de l’ordre néolibéral sur la base de cette bifurcation ?

    Le naze voit du rouge dans des « projets [capitalistes, donc dérisoires] de planification écologique et de taxation du capital »…

    La question de la transition écologique a pourtant très largement été renouvelée dans les derniers mois par le développement d’une stratégie industrielle agressive aux Etats-Unis. L’« Inflation Reduction Act » de l’administration Biden est une façon (imparfaite mais efficace) de trancher les dilemmes écologiques : il vise à substituer une infrastructure électrique à l’infrastructure fossile, pour préserver le way of life américain, soutenir l’emploi et replacer les Etats-Unis dans la compétition économique mondiale pour les nouvelles filières de transition (solaire, éolien, batteries, etc.).

    L’utopie selon le naze…

    Ce faisant, le Parti démocrate espère renouer avec la lower middle class qui l’avait abandonnée au profit du Parti républicain, et apparaître comme un leader mondial de la lutte contre le réchauffement climatique.

    Il y a bien le verbe « apparaître » ici, mais le naze, naturellement, croit à ce bullshit.

    Il n’est pas question de copier naïvement ce plan à l’échelle de la France ou de l’Europe. Mais sa logique sous-jacente, qui tient en trois points, mérite d’être considérée.

    Le capitalisme peut être agréable aux animaux, aux végétaux et à nous. À 3 conditions : [ne riez pas]

    D’abord, la réinvention de la productivité axée sur les secteurs d’emploi concernés par la transition énergétique.

    Je résume : de nouvelles subventions en milliards pour le patronat, mais au prétexte de la transition écologique.

    Ensuite, la conquête d’une autonomie stratégique sur ces secteurs clés dans le contexte d’une rivalité économique mondiale accrue et d’une dominance de la Chine.

    Le réformiste est toujours un nationaliste. Et au service de son propre impérialisme.

    Enfin, la formation d’une coalition d’intérêts susceptible de rassembler les différentes fractions de la classe moyenne et de briser les clivages de diplômes, de génération et d’implantation géographique entre villes et campagnes.

    [non, vous pouvez rire, en fait]

    En France et en Europe, chacun de ces trois éléments doit faire l’objet d’une adaptation aux conditions socio-économiques et écologiques locales. D’abord parce que notre économie est structurée par l’Etat social qui, en assurant des missions d’éducation, de formation professionnelle et de prévention sanitaire, est en position pour jouer un rôle clé dans la transition.

    Le naze, par définition, ne peut se prévaloir d’aucune analyse de classe de l’État. Incapable de voir en lui le bras armé de la classe possédante, il n’hésitera donc pas à en faire une solution possible :

    un arbitre du capital privé et une institution régalienne. [mais] aussi
    une structure d’orientation de la société, qui doit être mobilisée pour inventer un welfare vert, c’est-à-dire des services publics qui permettent de faire face collectivement au risque climatique.

    Ensuite…

    … parce que nous n’avons ni les moyens ni l’intérêt de construire une transition en nous contentant de substituer des machines électriques aux machines thermiques. Nous devons développer un usage avisé de l’innovation technologique pour qu’elle serve une véritable réorganisation de la ville, du système productif industriel et agricole, pour intégrer les limites planétaires à nos modes de vie. C’est-à-dire, une transition plus ambitieuse à la fois sur le plan écologique et social que celle engagée aux Etats-Unis [rire], par le biais d’un effort massif pour l’efficacité énergétique et la sobriété des schémas de consommation.

    Marx disait : « les vérités technologiques déjà acquises ne pourront entrer dans le domaine de la pratique que sous un régime communiste » (un régime débarrassé du capital et de l’exploitation). Le naze, lui, imagine un capitalisme vertueux et efficace animé par des consciences vertueuses. #hihan

    Enfin, nous devons nous appuyer sur les forces économiques et géopolitiques de l’Europe pour engager une transition à l’échelle pertinente, qui permettra de réaliser enfin le projet de sécurité collective et de paix porté par cette communauté.

    Delirium tremens

    Mais cette stratégie sociale, industrielle et géopolitique ne pourra véritablement émerger que si un ensemble d’acteurs dessine avec précision ses contours et l’impose dans le débat public. Il faudra en particulier que nos dilemmes socio-écologiques sur le nucléaire, l’ouverture des mines de lithium sur notre territoire, le pouvoir du lobby automobile, l’accompagnement des perdants de la transition vers de nouveaux emplois soient tranchés avec courage et résolution.

    Mais le naze ne sait pas que c’est le capital qui décide, en dernière instance.

    Il faut donc assumer que notre socle énergétique doit être principalement renouvelable et secondairement nucléaire, que nous devons renouer avec les activités extractives longtemps déléguées aux pays du Sud global pour des raisons d’intérêt économique et de solidarité internationale, et que l’Etat ne peut plus subventionner les énergies fossiles et doit utiliser cet argent pour soutenir la transition des mobilités individuelles et collectives.

    Le naze veut donc que le capital investisse dans l’extraction de terres rares et ouvrent de nouvelles mines.

    La gauche, en d’autres termes, doit devenir l’avant-garde d’une stratégie industrielle et sociale à même de forger un équivalent moderne du compromis fordiste et protecteur issu de la Seconde Guerre mondiale.

    Le naze a besoin de s’appuyer sur des mythes pour produites ses propres bullshits.

    Elle se doit de mettre un terme définitif à l’âge néolibéral.

    Mais certainement pas au capitalisme.

    Il ne suffit plus de se complaire dans un projet réservé à la bohème cycliste ou à l’invocation abstraite du peuple. La gauche doit indiquer avec clarté ce qu’elle offre aux travailleurs du soin, de l’éducation et surtout aux opérateurs les plus concrets de la transition que sont les ouvriers et les artisans de l’énergie, du bâtiment, de l’agriculture, des transports. Ceux et celles qui contribueront directement à la construction des infrastructures techniques de demain ne peuvent être laissés à l’écart dans la définition de la stratégie qui les fera advenir.

    Charbonnier : bon pour être ministre au gouvernement de la bourgeoisie ✅

    #réformisme #charlatan #marxisme #écologie

  • Pour ceusses qui sont dans la BD SF etc : 3h avec Pierre Christin (1/3) | ARTE Radio
    https://www.arteradio.com/son/61675816/pierre_christin_1_3

    Le 2
    https://www.arteradio.com/son/61675828/pierre_christin_2_3

    Et le 3
    https://www.arteradio.com/son/61675840/pierre_christin_3_3

    Né en 1938 à Saint-Mandé (Val-de-Marne), Pierre Christin est l’un des scénaristes majeurs de la bande dessinée européenne. Souvenons-nous, en premier lieu, de sa saga spatio-temporelle au rayonnement international : « Valérian et Laureline », avec les dessins intersidéraux de Jean-Claude Mézières, dès la fin des années 60. Puis des premiers albums exceptionnels d’Enki Bilal, de « La Croisière des oubliés » à « Partie de chasse », en passant par son préféré : « Les Phalanges de l’Ordre noir », sur la réunion d’anciens membres des Brigades internationales pour un dernier baroud d’honneur contre des terroristes chrétiens.

    #Pierre_Christin #BD #bande_dessinée #littérature #interview

  • Du vin, de la bière, un héritage colonial et un mécano fiscal

    En poussant la porte d’un caviste Nicolas, peu de clients savent qu’ils pénètrent dans une enseigne du groupe Castel, une multinationale qui s’est im- posée comme le premier négociant français de vin, troisième sur le marché international. À la tête de l’entreprise, la très discrète famille Castel compte parmi les dix premières fortunes hexagonales. Mais ce champion vinicole est aussi – et surtout – un vieil empire françafricain de la bière et des boissons gazeuses.

    Note sur : Survie : De l’Afrique aux places offshore
    L’empire Castel brasse de l’or

    https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/07/12/du-vin-de-la-biere-un-heritage-colonial-et-un-mecano-fi

    #castel #afrique

  • Notes anthropologiques (LXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXI

    Signe des temps, les historiens s’intéressent désormais à l’activité des échanges qu’ils tentent de saisir sous le concept, légèrement éculé, d’économie, obéissant en cela à l’idéologie ambiante. Ils ouvrent ainsi tout un pan de notre histoire qui était jusqu’à maintenant mal connu : l’activité des échanges aux époques reculées. Afin d’appréhender les différentes formes prises par les échanges et d’en marquer l’évolution, ils se réfèrent volontiers à Karl Polanyi qui, dans ses livres comme La Grande Transformation ou La Subsistance de l’homme, a distingué trois formes d’échange, les échanges fondés sur la réciprocité, ceux qui reposent sur la répartition-distribution et enfin les échanges marchands liés à la politique. Dans son dernier livre intitulé Histoire des peuples d’Amérique, Carmen Bernand évoque, elle aussi, Polanyi avant de faire une synthèse heureuse de nos connaissances concernant l’échange, en convoquant des anthropologues comme Marcel Mauss ou Maurice Godelier :

    « Les principes qui fondent ce qu’on appelle des “économies primitives”, à savoir la réciprocité, la redistribution et la circulation des biens, obéissent à des règles particulières. Certains aspects nous sont connus parce que nous disposons de documents écrits et d’une bonne ethnographie de terrain qui nous aide à saisir la dimension symbolique des choses. La réciprocité se fonde sur une obligation (morale, religieuse, statutaire) alors que, dans l’économie de marché, le paiement selon des règles fixées déchargerait l’acquéreur de toute obligation (Polanyi, 1965, p. 243-270). Les descriptions regorgent d’exemples de cette “obligation” faite au partenaire de recevoir et de rendre. Toute rupture de cette règle entraîne une succession d’infortunes. D’une façon générale, les choses ne sont pas inertes ; une fois “données”, elles gardent quelque chose du donateur. Précisons encore qu’il y a des objets qui ne sont jamais donnés parce qu’ils sont “incomparables” » (p. 68).

    Dans les notes anthropologiques, je me suis intéressé, de mon côté, aux échanges et aux différents modes pris par cette activité, j’ai tenté, pour ma part, de faire ressortir le lien qui unit le pouvoir à l’activité marchande (et, inversement, l’activité marchande au pouvoir). (...)

    #anthropologie #histoire #échanges #argent #aliénation #État #Karl_Polanyi #Carmen_Bernand #Pierre_Clastres #Jean-Paul_Demoule

  • Tous chasseurs cueilleurs !
    https://www.franceinter.fr/emissions/comme-un-bruit-qui-court/comme-un-bruit-qui-court-08-juin-2019

    Quand la civilisation menace l’#environnement... retour à la chasse et la cueillette. Entretien avec James C. Scott autour de son livre "#HomoDomesticus, une histoire profonde des premiers Etats".

    On a tous en tête des souvenirs d’école sur les débuts de l’Histoire avec un grand H. Quelque part entre le Tigre et l’Euphrate il y a 10 000 ans, des chasseurs-cueilleurs se sont peu à peu sédentarisés en domestiquant les plantes et les animaux, inventant dans la foulée l’#agriculture, l’écriture et les premiers Etats. C’était l’aube de la #civilisation et le début de la marche forcée vers le #progrès.

    Cette histoire, #JamesScott, anthropologue anarchiste et professeur de sciences politiques, l’a enseignée pendant des années à ses élèves de l’Université de Yale. Mais les découvertes archéologiques dans l’actuel Irak des dernières années l’ont amené à réviser complètement ce « storytelling » du commencement des sociétés humaines, et par là même remettre en question notre rapport au monde dans son dernier livre : Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers Etats (Ed. La Découverte).

    Alors même que climat et biodiversité sont aujourd’hui plus que jamais menacés par les activités humaines, James C. Scott propose de réévaluer l’intérêt des sociétés d’avant l’Etat et l’agriculture. Car ces chasseurs-cueilleurs semi-nomades ont longtemps résisté face aux civilisations agraires, basées sur les céréales et qui, en domestiquant le monde, se sont domestiqués eux-mêmes, en appauvrissant leur connaissance du monde.

    Un reportage de Giv Anquetil.
    Les liens

    James C. Scott : « Le monde des chasseurs-cueilleurs était un monde enchanté » (Le grand entretien) par Jean-Christophe Cavallin, Diakritik

    Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l’effondrement, Corinne Morel Darleux, Editions Libertalia

    "Amador Rojas invite Karime Amaya" Chapiteau du Cirque Romanès - Paris 16, Paris. Prochaine séance le vendredi 14 juin à 20h.

    Homo Domesticus, une histoire profonde des premiers Etats, James C. Scott (Editions La Découverte)

    Eloge des chasseurs-cueilleurs, revue Books (mai 2019).

    HOMO DOMESTICUS - JAMES C. SCOTT Une Histoire profonde des premiers États [Fiche de lecture], Lundi matin

    Bibliographie de l’association Deep Green Resistance
    Programmation musicale

    "Mesopotamia"- B52’s

    "Cholera" - El Rego et ses commandos

    #podcast @cdb_77

    • Homo Domesticus. Une histoire profonde des premiers États

      Aucun ouvrage n’avait jusqu’à présent réussi à restituer toute la profondeur et l’extension universelle des dynamiques indissociablement écologiques et anthropologiques qui se sont déployées au cours des dix millénaires ayant précédé notre ère, de l’émergence de l’agriculture à la formation des premiers centres urbains, puis des premiers États.
      C’est ce tour de force que réalise avec un brio extraordinaire #Homo_domesticus. Servi par une érudition étourdissante, une plume agile et un sens aigu de la formule, ce livre démonte implacablement le grand récit de la naissance de l’#État antique comme étape cruciale de la « #civilisation » humaine.
      Ce faisant, il nous offre une véritable #écologie_politique des formes primitives d’#aménagement_du_territoire, de l’« #autodomestication » paradoxale de l’animal humain, des dynamiques démographiques et épidémiologiques de la #sédentarisation et des logiques de la #servitude et de la #guerre dans le monde antique.
      Cette fresque omnivore et iconoclaste révolutionne nos connaissances sur l’évolution de l’humanité et sur ce que Rousseau appelait « l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ».


      https://www.editionsladecouverte.fr/homo_domesticus-9782707199232

      #James_Scott #livre #démographie #épidémiologie #évolution #humanité #histoire #inégalité #inégalités #Etat #écologie #anthropologie #ressources_pédagogiques #auto-domestication

    • Fiche de lecture: Homo Domesticus - James C. Scott

      Un fidèle lecteur de lundimatin nous a transmis cette fiche de lecture du dernier ouvrage de James C. Scott, (on peut la retrouver sur le blog de la bibliothèque fahrenheit) qui peut s’avérer utile au moment l’institution étatique semble si forte et fragile à la fois.
      « L’État est à l’origine un racket de protection mis en œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres »
      À la recherche de l’origine des États antiques, James C. Scott, professeur de science politique et d’anthropologie, bouleverse les grands #récits_civilisationnels. Contrairement à bien des idées reçues, la #domestication des plantes et des animaux n’a pas entraîné la fin du #nomadisme ni engendré l’#agriculture_sédentaire. Et jusqu’il y a environ quatre siècles un tiers du globe était occupé par des #chasseurs-cueilleurs tandis que la majorité de la population mondiale vivait « hors d’atteinte des entités étatiques et de leur appareil fiscal ».
      Dans la continuité de #Pierre_Clastres et de #David_Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l’apparition de l’État est une anomalie et une contrainte, présentant plus d’inconvénients que d’avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l’État c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd’hui.

      La première domestication, celle du #feu, est responsable de la première #concentration_de_population. La construction de niche de #biodiversité par le biais d’une #horticulture assistée par le feu a permis de relocaliser la faune et la flore désirable à l’intérieur d’un cercle restreint autour des #campements. La #cuisson des aliments a externalisé une partie du processus de #digestion. Entre 8000 et 6000 avant notre ère, Homo sapiens a commencé à planter toute la gamme des #céréales et des #légumineuses, à domestiquer des #chèvres, des #moutons, des #porcs, des #bovins, c’est-à-dire bien avant l’émergence de sociétés étatiques de type agraire. Les premiers grands établissements sédentaires sont apparus en #zones_humides et non en milieu aride comme l’affirment les récits traditionnels, dans des plaines alluviales à la lisière de plusieurs écosystèmes (#Mésopotamie, #vallée_du_Nil, #fleuve_Indus, #baie_de_Hangzhou, #lac_Titicata, site de #Teotihuacan) reposant sur des modes de subsistance hautement diversifiés (sauvages, semi-apprivoisés et entièrement domestiqués) défiant toute forme de comptabilité centralisée. Des sous-groupes pouvaient se consacrer plus spécifiquement à une stratégie au sein d’un économie unifiée et des variations climatiques entraînaient mobilité et adaptation « technologique ». La #sécurité_alimentaire était donc incompatible avec une #spécialisation étroite sur une seule forme de #culture ou d’#élevage, requérant qui plus est un travail intensif. L’#agriculture_de_décrue fut la première à apparaître, n’impliquant que peu d’efforts humains.
      Les #plantes complètement domestiquées sont des « anomalies hyperspécialisées » puisque le cultivateur doit contre-sélectionner les traits sélectionnés à l’état sauvage (petite taille des graines, nombreux appendices, etc). De même les #animaux_domestiqués échappent à de nombreuses pressions sélectives (prédation, rivalité alimentaire ou sexuelle) tout en étant soumis à de nouvelles contraintes, par exemple leur moins grande réactivité aux stimuli externes va entraîner une évolution comportementale et provoquer la #sélection des plus dociles. On peut dire que l’espèce humaine elle-même a été domestiquée, enchaînée à un ensemble de routines. Les chasseurs-cueilleurs maîtrisaient une immense variété de techniques, basées sur une connaissance encyclopédique conservée dans la mémoire collective et transmise par #tradition_orale. « Une fois qu’#Homo_sapiens a franchi le Rubicon de l’agriculture, notre espèce s’est retrouvée prisonnière d’une austère discipline monacale rythmée essentiellement par le tic-tac contraignant de l’horloge génétique d’une poignée d’espèces cultivées. » James C. Scott considère la #révolution_néolithique récente comme « un cas de #déqualification massive », suscitant un #appauvrissement du #régime_alimentaire, une contraction de l’espace vital.
      Les humains se sont abstenus le plus longtemps possible de faire de l’agriculture et de l’élevage les pratiques de subsistance dominantes en raison des efforts qu’elles exigeaient. Ils ont peut-être été contraints d’essayer d’extraire plus de #ressources de leur environnement, au prix d’efforts plus intenses, à cause d’une pénurie de #gros_gibier.
      La population mondiale en 10 000 avant notre ère était sans doute de quatre millions de personnes. En 5 000, elle avait augmenté de cinq millions. Au cours des cinq mille ans qui suivront, elle sera multipliée par vingt pour atteindre cent millions. La stagnation démographique du #néolithique, contrastant avec le progrès apparent des #techniques_de_subsistance, permet de supposer que cette période fut la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité sur le plan épidémiologique. La sédentarisation créa des conditions de #concentration_démographique agissant comme de véritables « parcs d’engraissement » d’#agents_pathogènes affectant aussi bien les animaux, les plantes que les humains. Nombre de #maladies_infectieuses constituent un « #effet_civilisationnel » et un premier franchissement massif de la barrière des espèces par un groupe pathogènes.
      Le #régime_alimentaire_céréalier, déficient en #acides_gras essentiels, inhibe l’assimilation du #fer et affecte en premier lieu les #femmes. Malgré une #santé fragile, une #mortalité infantile et maternelle élevée par rapport aux chasseurs-cueilleurs, les agriculteurs sédentaires connaissaient des #taux_de_reproduction sans précédent, du fait de la combinaison d’une activité physique intense avec un régime riche en #glucides, provoquant une #puberté plus précoce, une #ovulation plus régulière et une #ménopause plus tardive.

      Les populations sédentaires cultivant des #céréales domestiquées, pratiquant le commerce par voie fluviale ou maritime, organisées en « #complexe_proto-urbain », étaient en place au néolithique, deux millénaires avant l’apparition des premiers États. Cette « plateforme » pouvait alors être « capturée », « parasitée » pour constituer une solide base de #pouvoir et de #privilèges politiques. Un #impôt sur les céréales, sans doute pas inférieur au cinquième de la récolte, fournissait une rente aux élites. « L’État archaïque était comme les aléas climatiques : une menace supplémentaire plus qu’un bienfaiteur. » Seules les céréales peuvent servir de base à l’impôt, de part leur visibilité, leur divisibilité, leur « évaluabilité », leur « stockabilité », leur transportabilité et leur « rationabilité ». Au détour d’un note James C. Scott réfute l’hypothèse selon laquelle des élites bienveillantes ont créé l’État essentiellement pour défendre les #stocks_de_céréales et affirme au contraire que « l’État est à l’origine un racket de protection mis en œuvre par une bande de voleurs qui l’a emporté sur les autres ». La majeure partie du monde et de sa population a longtemps existé en dehors du périmètre des premiers États céréaliers qui n’occupaient que des niches écologiques étroites favorisant l’#agriculture_intensive, les #plaines_alluviales. Les populations non-céréalières n’étaient pas isolées et autarciques mais s’adonnaient à l’#échange et au #commerce entre elles.
      Nombre de #villes de #Basse_Mésopotamie du milieu du troisième millénaire avant notre ère, étaient entourées de murailles, indicateurs infaillibles de la présence d’une agriculture sédentaire et de stocks d’aliments. De même que les grandes #murailles en Chine, ces #murs d’enceinte étaient érigés autant dans un but défensif que dans le but de confiner les paysans contribuables et de les empêcher de se soustraire.
      L’apparition des premiers systèmes scripturaux coïncide avec l’émergence des premiers États. Comme l’expliquait #Proudhon, « être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé ». L’#administration_étatique s’occupait de l’#inventaire des ressources disponibles, de #statistiques et de l’#uniformisation des #monnaies et des #unités_de_poids, de distance et de volume. En Mésopotamie l’#écriture a été utilisée à des fins de #comptabilité pendant cinq siècle avant de commencer à refléter les gloires civilisationnelles. Ces efforts de façonnage radical de la société ont entraîné la perte des États les plus ambitieux : la Troisième Dynastie d’#Ur (vers 2100 avant J.-C.) ne dura qu’à peine un siècle et la fameuse dynastie #Qin (221-206 avant J.-C.) seulement quinze ans. Les populations de la périphérie auraient rejeté l’usage de l’écriture, associée à l’État et à l’#impôt.

      La #paysannerie ne produisait pas automatiquement un excédent susceptible d’être approprié par les élites non productrices et devait être contrainte par le biais de #travail_forcé (#corvées, réquisitions de céréales, #servitude pour dettes, #servage, #asservissement_collectif ou paiement d’un tribu, #esclavage). L’État devait respecter un équilibre entre maximisation de l’excédent et risque de provoquer un exode massif. Les premiers codes juridiques témoignent des efforts en vue de décourager et punir l’#immigration même si l’État archaïque n’avait pas les moyens d’empêcher un certain degré de déperdition démographique. Comme pour la sédentarité et la domestication des céréales, il n’a cependant fait que développer et consolider l’esclavage, pratiqué antérieurement par les peuples sans État. Égypte, Mésopotamie, Grèce, Sparte, Rome impériale, Chine, « sans esclavage, pas d’État. » L’asservissement des #prisonniers_de_guerre constituait un prélèvement sauvage de main d’œuvre immédiatement productive et compétente. Disposer d’un #prolétariat corvéable épargnait aux sujets les travaux les plus dégradants et prévenait les tensions insurrectionnelles tout en satisfaisant les ambitions militaires et monumentales.

      La disparition périodique de la plupart de ces entités politiques était « surdéterminée » en raison de leur dépendance à une seule récolte annuelle d’une ou deux céréales de base, de la concentration démographique qui rendait la population et le bétail vulnérables aux maladies infectieuses. La vaste expansion de la sphère commerciale eut pour effet d’étendre le domaine des maladies transmissibles. L’appétit dévorant de #bois des États archaïques pour le #chauffage, la cuisson et la #construction, est responsable de la #déforestation et de la #salinisation_des_sols. Des #conflits incessants et la rivalité autour du contrôle de la #main-d’œuvre locale ont également contribué à la fragilité des premiers États. Ce que l’histoire interprète comme un « effondrement » pouvait aussi être provoqué par une fuite des sujets de la région centrale et vécu comme une #émancipation. James C. Scott conteste le #préjugé selon lequel « la concentration de la population au cœur des centres étatiques constituerait une grande conquête de la civilisation, tandis que la décentralisation à travers des unités politiques de taille inférieure traduirait une rupture ou un échec de l’ordre politique ». De même, les « âges sombres » qui suivaient, peuvent être interprétés comme des moments de résistance, de retours à des #économies_mixtes, plus à même de composer avec son environnement, préservé des effets négatifs de la concentration et des fardeaux imposés par l’État.

      Jusqu’en 1600 de notre ère, en dehors de quelques centres étatiques, la population mondiale occupait en majorité des territoires non gouvernés, constituant soit des « #barbares », c’est-à-dire des « populations pastorales hostiles qui constituaient une menace militaire » pour l’État, soit des « #sauvages », impropres à servir de matière première à la #civilisation. La menace des barbares limitait la croissance des États et ceux-ci constituaient des cibles de pillages et de prélèvement de tribut. James C. Scott considère la période qui s’étend entre l’émergence initiale de l’État jusqu’à sa conquête de l’hégémonie sur les peuples sans État, comme une sorte d’ « âge d’or des barbares ». Les notions de #tribu ou de peuple sont des « #fictions_administratives » inventées en tant qu’instrument de #domination, pour désigner des #réfugiés politiques ou économiques ayant fuit vers la périphérie. « Avec le recul, on peut percevoir les relations entre les barbares et l’État comme une compétition pour le droit de s’approprier l’excédent du module sédentaire « céréales/main-d’œuvre ». » Si les chasseurs-cueilleurs itinérants grappillaient quelques miettes de la richesse étatique, de grandes confédérations politiques, notamment les peuples équestres, véritables « proto-États » ou « Empires fantômes » comme l’État itinérant de #Gengis_Kahn ou l’#Empire_Comanche, constituaient des concurrents redoutables. Les milices barbares, en reconstituant les réserves de main d’œuvre de l’État et en mettant leur savoir faire militaire au service de sa protection et de son expansion, ont creusé leur propre tombe.

      Dans la continuité de Pierre Clastres et de David Graeber, James C. Scott contribue à mettre à mal les récits civilisationnels dominants. Avec cette étude, il démontre que l’apparition de l’État est une #anomalie et une #contrainte, présentant plus d’inconvénients que d’avantages, raison pour laquelle ses sujets le fuyait. Comprendre la véritable origine de l’État c’est découvrir qu’une toute autre voie était possible et sans doute encore aujourd’hui.

      https://lundi.am/HOMO-DOMESTICUS-Une-Histoire-profonde-des-premiers-Etats
      #historicisation

  • L’idéologie propriétaire
    https://laviedesidees.fr/L-ideologie-proprietaire.html

    À propos de : Pierre Crétois, La part commune. Critique de la propriété privée, Éditions Amsterdam. L’individu possède-t-il un droit absolu sur les choses dans lesquelles il met son travail ? La proposition paraît aller de soi, mais elle est pourtant contestable. Pour délimiter la propriété individuelle, il faut un accord entre nous, donc des valeurs communes.

    #capitalisme #Philosophie #propriété #commun
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210101_cretois.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210101_cretois.pdf

  • Réécrire l’histoire, neutraliser l’écologie politique
    https://www.terrestres.org/2020/11/02/reecrire-lhistoire-neutraliser-lecologie-politique

    Une critique d’Aurélien Berlan du livre de Pierre Charbonnier Abondance et liberté paru à La Découverte en 2019.

    Je vais analyser le livre de Charbonnier de la même manière qu’il aborde les discours qu’il a sélectionnés, comme une série « d’opérations conceptuelles » et « d’interventions théoriques » dans les « controverses » liées à l’écologie politique (p. 28-29). Ces opérations permettront de mieux identifier sa position réelle dans le débat actuel. L’auteur présente d’abord son ouvrage comme une philosophie de la liberté dans ses rapports avec l’abondance et, de manière classique dans la philosophie académique, il recourt à l’histoire des idées comme moyen pour enquêter sur cette problématique, le tout dans le but de politiser la question écologique. Je vais analyser ces trois versants du livre comme trois opérations : un brouillage des notions de liberté et d’abondance, une purge dans l’histoire des idées et une mise au rebut de l’écologie politique, afin d’en neutraliser le potentiel subversif.

    Ces trois opérations peuvent être lues comme les trois moments de ce qui constitue l’opération principale du livre, relative à l’usage du terme « autonomie ». On sait que depuis les années 1970, et malgré les tentatives du management pour la récupérer, cette notion est très valorisée dans les milieux écologistes (et au-delà) comme alternative à la pseudo liberté promise par la « société d’abondance ». Sans jamais discuter cet usage, Charbonnier emploie quant à lui la notion dans un sens large qui la remet sur les rails du grand récit de la conquête moderne de la « liberté illimitée ». C’est que cet Humpty Dumpty de l’écologisme cherche moins à préserver l’habitabilité de notre planète qu’à sauver l’idée de Progrès.

    #Pierre_Charbonnier #Aurélien_Berlan #écologie_politique #Liberté_et_autonomie #abondance

  • Le devoir de parole

    Pierre Clastres

    https://lavoiedujaguar.net/Le-devoir-de-parole

    Parler, c’est avant tout détenir le pouvoir de parler. Ou bien encore, l’exercice du pouvoir assure la domination de la parole : seuls les maîtres peuvent parler. Quant aux sujets : commis au silence du respect, de la vénération ou de la terreur. Parole et pouvoir entretiennent des rapports tels que le désir de l’un se réalise dans la conquête de l’autre. Prince, despote ou chef d’État, l’homme de pouvoir est toujours non seulement l’homme qui parle, mais la seule source de parole légitime : parole appauvrie, parole pauvre certes, mais riche d’efficience, car elle a nom commandement et ne veut que l’obéissance de l’exécutant. Extrêmes inertes chacun pour soi, pouvoir et parole ne subsistent que l’un dans l’autre, chacun d’eux est substance de l’autre et la permanence de leur couple, si elle paraît transcender l’Histoire, en nourrit néanmoins le mouvement : il y a événement historique lorsque, aboli ce qui les sépare et donc les voue à l’inexistence, pouvoir et parole s’établissent dans l’acte même de leur rencontre. Toute prise de pouvoir est aussi un gain de parole.

    Il va de soi que tout cela concerne en premier lieu les sociétés fondées sur la division : maîtres-esclaves, seigneurs-sujets, dirigeants-citoyens, etc. La marque primordiale de cette division, son lieu privilégié de déploiement, c’est le fait massif, irréductible, peut-être irréversible, d’un pouvoir détaché de la société globale en ce que quelques membres seulement le détiennent, d’un pouvoir qui, séparé de la société, s’exerce sur elle et, au besoin, contre elle. Ce qui est ici désigné, c’est l’ensemble des sociétés à État, depuis les despotismes les plus archaïques jusqu’aux États totalitaires les plus modernes, en passant par les sociétés démocratiques dont l’appareil d’État, pour être libéral, n’en demeure pas moins le maître lointain de la violence légitime. (...)

    #Pierre_Clastres #parole #pouvoir #commandement #État #société

  • Faut-il en finir avec la civilisation ?
    Primitivisme et effondrement

    Ernest London

    https://lavoiedujaguar.net/Faut-il-en-finir-avec-la-civilisation-Primitivisme-et-effondrement

    Et si la parabole du péché originel qui nous chassa du jardin d’abondance, représentait le passage d’une vie nomade de chasse et de cueillette à une économie agricole qui nous contraint, depuis, à « gagner notre pain à la sueur de notre front » ? C’est la thèse que défendent certains primitivistes, accusant la révolution néolithique d’être à l’origine de la crise écologique et de toutes les oppressions. Pierre Madelin, avec son sens aigu de la synthèse, déconstruit ces théories, avec cependant beaucoup de nuance, leur reconnaissant parfois de grandes pertinences anthropologiques et historiques.

    Selon les dernières découvertes archéologique, Homo sapiens quitte l’Afrique il y a cent trente-cinq mille ans et colonise petit à petit l’ensemble de la planète, arrivant en Australie en ─ 65000, en Europe de l’Ouest en ─ 43000 et franchissant le détroit de Béring pour peupler les Amériques en ─ 18000. Cette expansion correspond à l’extinction de la mégafaune du Pléistocène, des animaux de plus de 40 kilos. En Afrique, la plupart d’entre eux y sont encore abondants, ayant coévolué pendant des centaines de milliers d’années avec les hommes, alors que partout ailleurs, ils auraient succombé à une chasse excessive et à un usage inconsidéré du feu, sans avoir eu le temps d’adopter des stratégies d’évitement ou de défense. Les sociétés préhistoriques ne vivaient donc pas toujours « en parfaite harmonie avec leur environnement ». Cependant, ces extinctions n’ont pas été massives et n’ont affecté que quelques centaines d’espèces, tandis qu’à l’heure actuelle plus d’un million, animales et végétales, sont « menacées par la dynamique du capitalisme industriel ». (...)

    #Pierre_Madelin #civilisation #primitivisme #Pléistocène #capitalisme_industriel #Pierre_Clastres #Marshall_Sahlins #James_Scott #Emmanuel_Guy #chasseurs-cueilleurs #Alain_Testart #Paléolithique #Murray_Bookchin #écologie_sociale #parcs_nationaux #wilderness #Thoreau

  • Digression autour de la question hiérarchique

    Louis de Colmar

    https://lavoiedujaguar.net/Digression-autour-de-la-question-hierarchique

    Louis Dumont, dans son livre de 1966 Homo hierarchicus, développe une thèse tout à fait stimulante pour la compréhension de la société de castes telle qu’elle s’est établie en Inde. Il considère que cette société de castes ne peut se comprendre que si l’on rattache centralement la question hiérarchique au domaine religieux, et non au pouvoir. Alors que dans nos sociétés occidentales, la question hiérarchique est rattachée au pouvoir, ce décentrement permet un autre regard sur notre propre structure sociétale, en particulier invite à repenser l’articulation du religieux et du pouvoir dans le contexte de l’État moderne.

    L’articulation de la hiérarchie et du pouvoir en Inde peut certes être abordée comme une particularité locale, il est également possible d’envisager la question sous un autre angle : ce pourrait aussi être la confusion de la hiérarchie et du pouvoir en Occident qui pourrait se révéler une particularité et une exception historique, confusion qui pourrait être une clé pour expliquer le fait que la modernité ne réussit décidément pas à se dépêtrer de la question religieuse…

    La critique de la modernité s’attache depuis longtemps à tirer des enseignements des modalités de fonctionnement des sociétés non étatiques, dans le sillage des travaux ethnologiques et d’anthropologie sociale, en particulier dans le sillage des travaux de Pierre Clastres ou de Marshall Sahlins. (...)

    #Louis_Dumont #hiérarchie #religion #État #critique #modernité #égalité #Pierre_Clastres #Marshall_Sahlins #Mauss #Landauer #anarchisme #individualisme #islam #communauté

  • Considérations sur les temps qui courent (IIIb)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Considerations-sur-les-temps-qui-courent-IIIb

    Le fil qui, de nos jours, lie la production à l’échange est perdu chez ceux qui travaillent à la production d’un bien à échanger. Ce fil n’est pas perdu pour tout le monde, il n’est pas perdu pour les banquiers et ceux que l’on dit capitalistes qui ont investi de l’argent dans la production d’une marchandise et qui comptent bien le récupérer avec intérêt quand la marchandise entrera dans le vaste circuit des échanges. Les ouvriers, eux, vont travailler pour un salaire, pour un moment de l’argent, pour un moment dans le mouvement de la pensée, pour un moment éphémère englouti dans le mouvement général de l’argent ; le mouvement lui-même et son universalité leur échappe et il ne les concerne pas, ils n’ont que le particulier de l’argent, l’argent pauvre.

    La production intensive, la création des usines, la révolution industrielle, ce que l’on nomme encore avec plus de justesse la domestication industrielle, aura marqué les esprits, celui de Karl Marx ou celui de Karl Polanyi et celui de bien d’autres théoriciens du marché, comme si l’activité marchande et ce qu’ils appellent le capitalisme devaient commencer à cette époque. (...)

    #anthropologie #Malinowski #Marx #Polanyi #échange #marchandises #salaire #domestication #capitalisme #argent #Gustav_Landauer #Pierre_Clastres #pensée_magique #esprit #aliénation #État

  • « Cette épidémie électrise la gauche »
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/160520/cette-epidemie-electrise-la-gauche?onglet=full

    Le philosophe Pierre Charbonnier réfléchit à la matérialité des idées politiques, et à la possibilité de conserver l’idéal de la liberté à l’époque des bouleversements écologiques. Pour Mediapart, il examine la façon dont l’épidémie actuelle percute nos pensées et modes de vie.

    Auteur, en début d’année, d’un livre ambitieux, Abondance et liberté , où il montrait comment nos imaginaires et nos institutions ont été structurés par un pacte aujourd’hui impossible entre croissance et autonomie, le philosophe Pierre Charbonnier développe une « histoire environnementale des idées », distincte d’une histoire des idées environnementales.

    De cet ouvrage cherchant à cerner les « structures géo-écologiques de la pensée » et à montrer à quel point nos formes démocratiques, mais aussi nos idées politiques, sont dépendantes des sources d’énergies et des modes d’occupation de l’espace, les virus et les épidémies étaient toutefois absents.

    Nous lui avons donc demandé comment il les intégrerait dans une réflexion marquée par un moment où « la crise donne prise à l’imagination politique » mais où il faut se méfier de prêter des « capacités de révélation » au virus.

    Quel regard portez-vous sur le moment que nous venons de vivre et que le déconfinement n’a pas clos ? Est-ce une bascule ou l’accentuation d’une tendance à l’œuvre ?

    Pierre Charbonnier : Depuis quelques semaines, on est confrontés à un conflit d’interprétation entre ceux qui pensent que plus rien ne sera comme avant et d’autres qui affirment que le retour à la normale sera brutal, voire que l’ordre économique et politique en ressortira consolidé.

    On avait beaucoup dit après 2008 que le capitalisme financiarisé savait parfaitement s’adapter à ses propres crises, voire en tirer profit, et c’est certainement juste. Mais cette adaptation n’a rien de naturel et de spontané, pas plus d’ailleurs que le changement de paradigme ne l’est.

    La crise révèle néanmoins aux yeux du plus grand nombre ce qu’il en coûte à un système qu’on tend à considérer comme allant de soi pour se maintenir. Et en ce sens la crise a un effet de dénaturalisation des phénomènes sociaux, c’est en cela qu’elle est politique. Elle donne prise à l’imagination politique.

    Vit-on un exemple de ce que l’infrastructure matérielle, et souvent ignorée, de nos modes de vie est prête à nous exploser au visage ?

    Ce qui est curieux en ce moment, c’est qu’au contraire les infrastructures matérielles s’avèrent extrêmement robustes. On ne manque ni de nourriture, ni d’énergie, ni d’eau, et si des phénomènes de privation se produisent bel et bien, c’est moins à cause du virus lui-même que des inégalités d’accès aux biens essentiels qui préexistaient, et sont mises à nu. Si on veut un exemple de déstabilisation écologique majeure des bases matérielles de la subsistance, il faut plutôt regarder en Afrique de l’Est et dans le pourtour de l’océan Indien, où les invasions de criquets mettent directement en danger des millions de personnes.

    On a vu également que les chaînes d’approvisionnement alimentaires sont fragilisées, mais ce n’est pas parce qu’on n’arrive plus à produire assez de nourriture. C’est parce que l’organisation économique du secteur agricole est dépendante d’une logique absurde : les travailleurs saisonniers qui récoltent les fraises sont bloqués aux frontières, les ports de commerce tournent au ralenti et freinent de fait l’approvisionnement des pays importateurs, les Belges se retrouvent avec des tonnes de pommes de terre sur les bras, etc.

    Depuis le XIXe siècle, de nombreux économistes alertent sur le fait que l’organisation selon la loi du marché, et donc de l’amoindrissement des coûts, est gravement sous-efficiente d’un point de vue matériel. C’est cela qui est manifeste en ce moment : soumettre l’approvisionnement en biens essentiels à la logique marchande est un enfer logistique, car la logique de la valeur d’échange et celle de la valeur d’usage sont largement contradictoires.

    Mais les infrastructures matérielles, elles, surtout lorsqu’elles sont régies selon des règles sociales, tiennent bien le choc. Cela prouve d’ailleurs que nous ne vivons que partiellement en régime capitaliste : l’eau, l’énergie, la santé, sont des secteurs hautement régulés, et ce sont ces régulations qui, en limitant la raison du profit, les font tenir.

    L’idéal de liberté, dont votre dernier livre réfléchit au soubassement concret dans un souci de le préserver alors même que son sol historique se défait, vous semble-t-il sauvable par temps d’insécurité sanitaire exacerbée ?

    Lorsque j’ai essayé d’écrire cette histoire matérielle de la liberté, je me suis intéressé aux partenaires productifs et géographiques des sociétés modernes : la terre, les ressources, l’énergie, les territoires. Et on voit bien, je crois, comment nos conceptions de la justice sociale et leurs mises en forme juridiques évoluent avec les transformations techniques et écologiques. Mais j’ai laissé de côté ces autres partenaires non-humains que sont les pathogènes, virus et bactéries. Et pourtant, les circonstances écologiques qui ont accompagné l’édification de nos idéaux d’émancipation intègrent aussi l’exposition aux maladies et la gestion de leur diffusion.

    On peut même dire que le développement de la médecine a été l’un des principaux fronts de la modernisation : la connaissance des maladies, puis la possibilité d’en limiter les effets sur la population, voire de les éradiquer, ont très souvent été présentées comme des manifestations éclatantes du progrès. Autrefois assimilée à une fatalité naturelle, voire à l’expression de la Providence divine, la maladie est progressivement devenue un mal social, quelque chose qui dépend de nous. C’est ce que l’on appelle parfois en philosophie, en se référant à Rousseau, la « sécularisation de la théodicée » : nous nous proclamons maîtres de notre destin, et si le mal existe, il ne peut être renvoyé à une instance extérieure. Cette conception triomphale de la maîtrise des événements est un legs difficile à porter, car cela signifie aussi que nous nous considérons responsables de tout ce qui nous arrive.

    Au XIXe siècle, le choléra et la tuberculose en particulier ont été l’objet d’immenses campagnes de santé publique, et même d’embryons de coordination supranationale. Les découvertes de Koch et Pasteur ont donné un visage à l’ennemi autrefois invisible, et ont permis de faire en sorte que ces maladies, qui jusqu’alors humiliaient le projet moderne de contrôle de notre destin, lui soient soumises. La santé a ainsi progressivement été assimilée à un droit humain placé sous la responsabilité directe de l’État. Les historiens racontent qu’en 1955, quand le vaccin contre la polio a été découvert, les cloches ont résonné partout à travers les États-Unis.

    Donc notre liberté moderne est liée au partage de la terre, aux grèves de mineurs, à la voiture et à la maison individuelle, c’est-à-dire à ces infrastructures éco-politiques sur lesquelles j’ai travaillé, mais aussi, il faut bien le dire, à la délivrance à l’égard de la fatalité naturelle. L’idée qu’on se fait aujourd’hui d’une vie pleine et entière, en possession de ses moyens, est entièrement configurée par cette avancée du front de modernisation médical. Mais cette délivrance, comme celle qui concerne la démultiplication des richesses, a une face sombre : nous avons développé une très grande aversion à l’égard de certaines façons de mourir. La vie et la mort, en devenant des affaires intégralement sociales, ont vu leurs frontières se mouvoir.

    Alors est-ce que, aujourd’hui, nous devons à nouveau apprendre à accepter l’aléa naturel, parce que les virus et les bactéries vont devenir de plus en plus agressifs ? Je ne l’espère pas ! En ce sens, je suis bien moderne.

    Ce virus, il parle de nous, il parle de la globalisation, des inégalités, de la hiérarchisation des priorités politiques, et donc on ne peut se défausser de notre responsabilité. Mais comme le dit Mike Davis, le monstre est à notre porte, et si on ajoute cela au problème climatique, il me semble évident que nous ne remporterons plus toutes nos victoires contre les risques biologiques et écologiques sur le modèle triomphaliste de l’éradication : certaines menaces sont là pour rester, elles deviennent structurelles.

    « Voir dans l’accumulation des épisodes caniculaires, des événements climatiques extrêmes, de la fonte des glaciers ou de l’effondrement des populations d’insectes des phénomènes politiques de première importance est en décalage manifeste avec notre définition implicite de ce qui est politique », écriviez-vous en conclusion de votre dernier ouvrage. Est-ce la même chose pour cette épidémie ?

    Le caractère structural de la crise écologique et climatique fait que l’on est en train de réviser notre conception de ce qui est politique et de ce qui ne l’est pas. Le schéma productif qui a dominé la période industrielle, et a permis la constitution de l’État social sur le socle des droits conquis par les travailleurs, est en train de s’éroder, et on ne sait pas encore bien quoi mettre à la place.

    En ce qui concerne les maladies infectieuses, c’est un peu différent. Car en réalité la construction de la société moderne est étroitement liée à la prise en compte de ces maladies. Sur les conseils de mon collègue sociologue Nicolas Duvoux, je me suis retrouvé à lire ce théoricien de la solidarité sociale du début du XXe siècle, un peu oublié aujourd’hui, qu’est Léon Bourgeois. Le solidarisme est l’idéologie officielle de la IIIe République. C’est une mystique de la communauté morale et économique que forme la Nation, mais aussi de la communauté microbienne, pourrait-on dire.

    Bourgeois affirme que Pasteur est un père fondateur de la République, car en identifiant les microbes, il nous a montré que le lien entre nous n’est pas seulement idéel, mais aussi biologique : chacun étant potentiellement pour l’autre une source d’infection, la maladie est une responsabilité collective, le socle le plus tangible de la solidarité qui existe de fait entre nous.

    Et de ce constat naît la nécessité d’institutions protectrices qui traduisent la solidarité microbienne en mesures d’éducation et de prévoyance. L’éducation à l’hygiène était alors essentielle dans l’idéologie républicaine, avec les formes primitives de la sécurité sociale, et un certain paternalisme médical. La société naît donc de la nécessité de se protéger contre les effets du marché, comme disait Polanyi, mais aussi de cette opération biopolitique qui transfigure l’appartenance biologique en appartenance politique.

    Léon Bourgeois développait une réflexion très enlevée sur les devoirs qui découlent de cette condition microbienne : la liberté ne peut plus se concevoir de façon insulaire, à partir de l’individu, mais comme un système de garanties mutuelles sans cesse mis à l’épreuve par le mal social.

    Avons-nous les idées politiques et les structures de pensée aptes à penser l’événement en cours ?

    Tout le problème est de savoir si c’est un événement, ou une nouvelle condition permanente : si le virus sera parti dans quelques mois ou années, ou s’il faudra ajouter, à côté des maladies cardio-vasculaires, des cancers, etc., une nouvelle cause de décès « acceptée ».

    Dans tous les cas, et dans l’éventualité où cela devienne permanent, on a affaire à un jeu de rapidité. Les modèles épidémiologiques montrent que l’évolution de la contagion est exponentielle, ce qui implique que retarder les mesures de confinement, ou mieux de test-traçage-isolement, de quelques jours aboutit à des courbes de mortalité totalement différentes. Le week-end du premier tour des élections municipales qui a été perdu a sans doute multiplié par deux le nombre de morts…

    Donc la mobilisation rapide des moyens sanitaires est cruciale : c’est moins un enjeu idéologique que technique, cela relève de l’art de gouverner. La preuve, des pays tout à fait libéraux et individualistes, comme l’Australie, ont bien géré l’épidémie, alors qu’ils font n’importe quoi sur le climat, par exemple. Nous ne sommes pas condamnés à laisser mourir 30 000 personnes à chaque vague épidémique.

    Mais de façon plus large, il est frappant de voir à quel point cette épidémie électrise la gauche. Ça n’était pas le cas des grandes épidémies récentes. En 1918 et en 1968, où les grippes ont été très agressives, personne n’aurait eu l’idée d’y voir une défaillance du capitalisme. Le mouvement social s’adossait à d’autres pathologies, il était moins lié à la science, et il semble que tout le monde acceptait une soustraction démographique en attendant le remède. Aujourd’hui, certainement sous l’effet de la crise climatique, on a pris l’habitude d’interpréter les chocs matériels comme des défaillances politiques. C’est une excellente chose, mais encore faut-il que l’appareil interprétatif soit au point.

    Une partie des interprétations se réfugie de façon un peu simpliste dans la catégorie de « capitalisme », mais ça ne marche pas très bien. Le virus est né dans la zone de contact entre la pression économique et foncière asiatique et les réservoirs de biodiversité : c’est donc plutôt lié au développementalisme qu’au capitalisme lui-même, et à certaines habitudes de consommation qui préexistaient au décollage économique chinois.

    Il s’est diffusé en suivant les canaux de la globalisation : exact, mais si cette dernière est bien un aspect du capitalisme contemporain, c’est aussi risqué de vouloir bloquer tous les flux humains dans l’espace national, et on sait que l’on a besoin de coopération internationale pour faire de la santé publique.

    Et enfin le virus révèle l’inégale exposition aux risques sanitaires : c’est là encore une caractéristique du capitalisme que d’être inégalitaire, mais encore faut-il se mettre d’accord sur les institutions qui œuvreront à la correction de ces inégalités. Une partie de la gauche étant devenue aussi anti-étatiste que la droite, on se trouve dans l’embarras.

    Donc autant la crise climatique est vraiment une contradiction éclatante du capitalisme, car elle oppose des intérêts économiques investis dans les énergies fossiles et des multitudes de citoyens exposés aux risques, autant la pandémie actuelle se situe de biais par rapport à cette logique.

    Je ne tiens pas spécialement à congédier la notion de capitalisme, mais je crois surtout que l’on doit à présent associer notre réflexion sur l’économie politique à une bonne connaissance des assemblages entre humains et non-humains, connaissance qui nous vient de l’histoire des sciences et des techniques, de l’histoire environnementale, de la sociologie des controverses, de l’anthropologie de la nature.

    Une de vos hypothèses principales est qu’abondance et liberté ont longtemps marché main dans la main, mais que cette alliance se heurte désormais à une impasse. Comment pourrait-on contourner une alternative qui se présente souvent comme « l’abandon pur et simple des idéaux d’émancipation sous la pression des contraintes écologiques sévères » ou « la jouissance des derniers moments d’autonomie qui nous restent » ?

    La première chose à dire est qu’il n’est pas nécessaire d’être un pays très riche et à la pointe de la technologie pour faire face habilement à ce virus. Parmi les pays qui s’en sortent bien, il y en a des riches, comme la Corée ou la Nouvelle-Zélande, mais aussi de plus pauvres, comme le Viêtnam. Mis à part les tests eux-mêmes, qui sont le produit des biotechnologies avancées, mais que l’on peut produire un peu partout, la résistance à l’épidémie demande surtout des masques, du savon, de la logistique (recruter des traceurs, organiser une réponse sanitaire coordonnée), des chambres d’hôtel disponibles, et une capacité de remettre en forme l’espace public. À part les unités de soins intensifs, c’est très low tech ! Et ce qui fait la différence, c’est souvent l’implication active des citoyens informés et éduqués à l’épidémiologie, comme c’est le cas à Hawaï.

    Pour le dire en termes plus théoriques, ce qu’il faut pour éviter la catastrophe sanitaire, c’est une prévalence de la valeur d’usage sur la valeur d’échange (stocker des masques même si ce n’est pas rentable, par exemple), et avoir des institutions publiques robustes ainsi qu’une population bien préparée. Pas besoin d’être une start up nation pour réussir cela.

    La construction moderne de l’autonomie a été énormément tributaire des infrastructures fossiles, et notamment pétrolières, qui alimentent des modes de vie individualistes, centrés sur la maison et la voiture. Le contraire de ce mode de vie-là, ce n’est pas l’idéalisation de l’authenticité romantique du passé, mais le renforcement de la solidarité, qu’elle soit locale, nationale, ou supra-nationale.

    Investir sa richesse dans des équipements collectifs de luxe qui permettent de jouir du temps et de l’espace, c’est à notre portée, mais c’est en partie en tension avec la façon dont nos individualités se sont construites, car pour le faire il faut prendre sur le capital privé.

    Est-ce que cette crise va entraîner une transformation de notre sens de l’autonomie vers une forme plus collective, plus socialisée, je l’ignore. Le contraire pourrait très bien se produire. Mais le choix existe.

    Vous cherchiez à redéfinir la manière d’habiter un « territoire politique » qui nous sorte de la mauvaise alternative entre le local et le global. De quoi peut-il être fait alors qu’on assiste à un retour brutal des frontières et des États-nations comme seul mode de gestion de la crise ?

    Face à la crise, la réponse spontanée, à droite comme à gauche, est de s’en remettre à l’État, y compris comme souveraineté territoriale : on boucle les frontières, on exige une mobilisation totale et consensuelle dans l’effort. Pas étonnant que la métaphore de la guerre ait été utilisée : c’est le paroxysme d’étatisation de la société. Pourquoi pas, mais d’une part le virus fonctionne plutôt par nappes infectieuses régionales, que l’on peut contenir à des échelles plus locales que l’État-nation, et appelle à une coordination scientifique internationale ; et d’autre part on sait très bien ce qu’il advient, dans notre contexte idéologique, de ce recours d’urgence à la souveraineté. Ce qui s’est passé en Hongrie devrait retenir notre attention, et dans une moindre mesure aussi la résistance de l’Allemagne – et de la France en réalité – à la solidarité européenne.

    On vit en réalité d’emblée dans un entrelacs de juridictions dont la nation n’est qu’une strate, et les dépendances écologiques et matérielles qui nous font vivre sont indifférentes aux barrières que s’efforcent d’imposer ces juridictions. Il y a quelques semaines, le président Emmanuel Macron a donné une interview au Financial Times dans laquelle il affirme que le virus nous plonge dans une crise anthropologique, car il entrave l’idéal moderne par excellence qu’est la fluidité : fluidité des humains, du capital et de l’information, tout est bouleversé. Et il tente le coup de poker habituel : si on lâche là-dessus, on fait gagner les horribles nationalistes.

    Mais il ignore que cet idéal est un faux semblant, et que la modernité libérale n’a jamais tenu cette promesse de fluidité intégrale. Il fallait d’abord des empires pour organiser les différences de développement et de garanties juridiques à l’échelle du monde, puis il a fallu des firmes transnationales pour faire transiter le capital en fonction de nos intérêts, et la réponse nationaliste à ce globalisme-là est en quelque sorte inscrite d’emblée dans l’arrangement territorial instable de la modernité. Le souverainisme, en ce sens, est une pathologie de la globalisation.

    L’autre réaction possible est de considérer que nos appartenances politiques sont aussi des appartenances écologiques : on vit sur un territoire discontinu fait des forêts qui nous fournissent de l’oxygène, des sols cultivés loin de chez nous qui nous fournissent des aliments, ou des mines qui nous fournissent de l’énergie. Peut-être que si l’on se gouvernait en fonction de ces dépendances-là, avec l’impératif de ne pas se couper l’herbe sous le pied, nous parviendrions à protéger le véritable socle matériel de nos existences. L’atterrissage préconisé par Bruno Latour se joue là : dans la fin de ce pas de deux entre le globalisme sans terre et le souverainisme qui fétichise le local. Mais on en est loin !

    Que fait-on dans ce contexte de l’idée de progrès ? On comprend bien comment par exemple le développement, l’urbanisme, les technologies ont pu se situer aux racines de la pandémie en empiétant sur les mondes sauvages, mais on voit aussi qu’on compte pour s’en sortir sur les prouesses de la médecine…

    Oui, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne suis pas très à l’aise avec le concept de progrès. Ce terme contient déjà en lui-même une interprétation abusive de notre trajectoire historique, puisqu’il laisse entendre qu’elle est unitaire, que ses moteurs principaux sont les innovations des sciences et les techniques, et qu’il faudrait l’accepter ou le refuser en bloc. Les « critiques du progrès » se sont souvent fait piéger par ce terme en acceptant de façon naïve une idéalisation implicite de l’Ancien Régime, ou en laissant penser que les relations sociales préindustrielles étaient pacifiques et généreuses.

    Donc s’il faut faire une critique du progrès, il faut surtout faire une critique de cette catégorie de pensée et de ses confiscations. Prenons un exemple très simple : aujourd’hui le vélo est à la fois une technologie de déplacement ancienne, et l’avenir des mobilités urbaines – donc une technique qui nécessite une révolution urbanistique majeure.

    Alors le « progrès », ou si on veut l’amélioration, tient à un objet technique ancien qui s’insère dans une structure institutionnelle et matérielle tout à fait contemporaine. Cela rejoint ce que je disais sur le caractère low tech de l’épidémiologie populaire.

    L’autre problème avec la notion de progrès est qu’elle est terriblement occidentale. Si vous voyagez dans des pays qui n’ont pas connu la même trajectoire de développement que nous, vous verrez des gens qui possèdent des téléphones portables mais n’ont pas accès régulièrement à des toilettes. Vous verrez une économie informelle de subsistance dans laquelle s’enchâssent des projets de développement urbain, ou agricole, qui mobilisent des banques et des technologies financières très complexes. Et puis si vous allez aux États-Unis, vous verrez le pays le plus riche du monde mais sans sécurité sociale, ce qui fait dire à certains, à gauche, qu’il s’agit d’un pays sous-développé à certains égards.

    Donc notre monde socio-technique est fait d’assemblages souvent hétéroclites de techniques et de façons de gouverner qui coexistent tout en étant issues de temporalités différentes. Vous avez dans l’agroécologie, par exemple, des éléments de connaissance scientifiques de pointe, très raffinés, qui coexistent avec des savoirs traditionnels, ce qui empêche totalement d’y voir une pratique authentique ou immémoriale. La recomposition de liens sociaux plus en phase avec les exigences écologiques, et conforme à nos idéaux démocratiques, n’a donc pas pour modèle la communauté pré-moderne, le retrait de l’État, ou la haine de la technique.

    Dans un moment où nos modes de vie dévorent l’avenir, ce moment d’arrêt peut-il être l’occasion de se réapproprier le futur ?

    Ce que je disais tout à l’heure sur le front de modernisation et le rôle clé de la médecine dans cette histoire a un rapport étroit avec la conscience sociale du temps. Les sociétés modernes sont des machines à prévoir le futur : l’assemblage des capitaux sous la protection de l’État en vue de profits à très long terme, la possibilité de canaliser l’expérience collective dans des infrastructures qui permettent à peu près de savoir de quoi demain sera fait, c’est notre spécialité.

    Et bien sûr, l’impasse climatique et l’émergence des pandémies rendent ces certitudes beaucoup plus fragiles – voire les mettent à terre. Je ne sais pas du tout à quel point cette montée des incertitudes écologiques, qui s’ajoute aux incertitudes sociales classiques liées à l’emploi dont parlait Robert Castel, va affecter les représentations politiques du plus grand nombre.

    Une chose cependant peut être dite : il faut refuser de naturaliser l’incertitude. C’est le fond conceptuel de l’exigence démocratique moderne, et ni la crise climatique ni les pandémies ne doivent nous inciter à le laisser tomber. On voit bien comment les pays qui échouent à contenir l’épidémie, ou qui refusent de le faire, ont recours à ce naturalisme politique : on dit alors que c’est un événement naturel qui affecte la population, que les plus faibles sont voués à être éliminés, que l’infection est une affaire de responsabilité individuelle, et que vouloir échapper à la mort est une perversion de gauchiste. Parfois cette façon d’interpréter la maladie se confond avec des motifs religieux, comme c’est le cas aux États-Unis et au Brésil, et le contrepied avec l’idéal de solidarité microbienne, dont je parlais tout à l’heure avec Léon Bourgeois, est manifeste.

    Sur la question écologique, il en va de même : entre ceux qui nient le changement climatique et ceux qui nous condamnent à l’effondrement, c’est la même incapacité à envisager l’avenir autrement que dans l’alternative entre le business as usual et la fin du monde.

    Donc la pandémie met à l’épreuve notre contrôle du temps, notre rapport à l’avenir, et on est coincés entre un modernisme triomphaliste qui prétendait surmonter toutes les épreuves de façon définitive, et un nouveau naturalisme qui professe la loi du plus apte ou la sanction divine. Le premier est caduc, le second est criminel, donc que fait-on ?

    Tout cela peut sembler très général et très conceptuel, mais les idées imprègnent très profondément les façons de gouverner, les choix collectifs qui sont faits. Une fenêtre est peut-être en train de s’ouvrir pour envisager l’avenir autrement, comme une relance des politiques de solidarité qui s’adosserait moins à un rapport productif à l’égard des territoires, des ressources, des milieux, mais il y a du boulot pour donner forme à cette idée.

    Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur le « monde d’après ». Repérez-vous des idées novatrices ?

    Je suis d’accord avec ceux et celles qui disent que le virus n’a pas de vertus, et qu’il faut se méfier quand on lui prête des capacités de révélation. Mais la grande congélation de l’économie globale peut donner des indications empiriques, que peut-être il s’agirait ensuite de penser. J’en vois deux.

    La première ressort de cet article expliquant que le coronacrash est en train de provoquer la plus grande chute des émissions de GES jamais connue, entre 5 % et 8 % des émissions de l’année 2019 – en fonction des estimations et de la durée du lockdown. Cette baisse correspond à peu près, dans son estimation haute, à la baisse annuelle nécessaire pour rejoindre l’objectif de 1,5 °C de réchauffement climatique.

    Mais bien sûr ce n’est pas ce qui va se passer, car « l’économie » va redémarrer, et avec elle les émissions. Avec même sans doute un effet de rattrapage. Donc on sait deux choses : le coup de frein à apporter aux émissions est gigantesque, et surtout, il ne peut venir d’un ralentissement des infrastructures existantes, sous peine de menacer la subsistance d’un grand nombre de personnes.

    Autrement dit, pour satisfaire des exigences climatiques, ne serait-ce que minimales, il faut mettre en œuvre un monumental projet de refonte des infrastructures globales. On peut parler de nucléaire, de géo-ingénierie, de reforestation, d’agroécologie, d’économie circulaire, de tout ce que vous voulez, mais ça devrait être notre unique sujet de discussion. Ou plutôt, notre sujet de discussion devrait être : entre quelles mains va-t-on mettre ces technologies et ces infrastructures pour qu’elles servent l’intérêt commun ? Quelles relations internationales sont nécessaires à la mise en place de ce projet ? Voilà un programme qui pourrait mobiliser quelques idées sur l’après, non ? Mais pour cela il faudrait que les écolos arrêtent de parler de façon consensuelle de la Terre qu’il faut sauver, et accepter de déclarer la guerre.

    Le second point est lié à l’action de l’État dans la fameuse « relance » économique. Je crois que l’on n’a pas suffisamment souligné le caractère révolutionnaire de la proposition toute simple faite dans différents contextes parlementaires, en France par exemple, et qui consiste à conditionner le sauvetage des entreprises en difficulté à des contraintes environnementales. Si on prend cette proposition au pied de la lettre et de façon conséquente, cela signifie que la relation entre l’État et le capital s’affranchit totalement de l’impératif productif. En gros, on ne subventionne plus la création de richesse écologiquement néfaste.

    Cela ne signifie pas que Air France ou Renault doivent s’ajuster à des mesures marginales sur leur modèle économique, mais que l’on utilise les richesses gigantesques de l’État, c’est-à-dire les nôtres, pour faire basculer l’édifice économique d’une théorie de la valeur à une autre. Certainement que les concepteurs de cette proposition ne voient pas les choses de façon aussi radicale, mais en tout cas on pourrait suggérer d’aller jusqu’au bout de la logique et de susciter un séisme majeur dans l’économie capitaliste de production. Avec bien sûr, comme l’a rappelé par exemple Gaël Giraud, la question de l’emploi dans ce basculement.

    Quel type de socialisme faudrait-il réinventer, si c’est le mot qui convient, pour espérer un monde d’après habitable, c’est-à-dire à la fois vivable et soutenable ?

    La question est de savoir si le socialisme du XXIe siècle est celui qui empêche que toutes ces catastrophes ne se produisent, ou celui qui les encaisse, limite leur portée, et distribue de façon socialement juste leurs effets. J’ai pas mal d’amis anticapitalistes qui ont l’air de penser, en affirmant que tout ce qui nous arrive est l’œuvre du capitalisme, que le socialisme est un rempart contre toute pathologie sociale, qu’avec lui « rien de tout ça ne nous serait arrivé ». Je n’en crois rien, et je crois qu’il ne faut pas faire de fausses promesses. Pour l’avenir radieux, c’est trop tard.

    En revanche, dans une période caractérisée par la certitude de crises écologiques majeures et la forte probabilité de crises sanitaires, s’équiper d’un outil politique haut de gamme, qui résiste bien aux chocs et qui organise l’effort collectif vers la justice sociale, cela me semble nécessaire.

    #Pierre_Charbonnier #covid-19

  • Pierre Charbonnier : « L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/pierre-charbonnier-l-ecologie-ne-nous-rassemble-pas-elle-nous-divise_6039590

    La stratégie de la communion universelle est assez ancienne dans la mouvance environnementaliste, mais aujourd’hui elle crée le malaise, en particulier dans les rangs écologistes les plus conséquents, car l’unanimité dont elle se prévaut est feinte, incantatoire, et inefficace.

    On peut même craindre que cette stratégie soit contre-productive. Et s’il en va ainsi, c’est parce qu’elle occulte une vérité un peu plus inconfortable : l’écologie, c’est-à-dire la volonté de rendre la reproduction d’une société des égaux et la reproduction du milieu compatibles à long terme, nous divise bien plus qu’elle nous rassemble.

    #Pierre_Charbonnier #écologie_politique #écologie

  • Pierre Clastres l’intempestif ou un Indien parmi nous

    Hicham-Stéphane Afeissa

    https://lavoiedujaguar.net/Pierre-Clastres-l-intempestif-ou-un-Indien-parmi-nous

    Eduardo Viveiros de Castro
    Politique des multiplicités. Pierre Clastres face à l’État

    L’ouvrage qui paraît ces jours-ci [en novembre 2019] aux éditions Dehors de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro, Politique des multiplicités. Pierre Clastres face à l’État, a été publié à l’origine en 2010 comme introduction à la deuxième édition en anglais du livre posthume de Pierre Clastres intitulé Recherches d’anthropologie politique, puis a été republié en portugais l’année suivante, sous une forme modifiée, avant d’être traduit en français dans la présente édition par les bons soins de Julien Pallotta.

    Il s’agit d’un volume de petit format, très élégant, qui constitue à sa manière un double événement, aussi bien par le sujet qu’il traite que par l’auteur qui le fait. Viveiros de Castro et Pierre Clastres comptent en effet parmi les anthropologues les plus prestigieux de la discipline : le premier est un spécialiste de premier rang des sociétés amérindiennes, et l’auteur d’un livre unanimement salué comme l’un des plus importants de ce début de XXIe siècle sous le titre de Métaphysiques cannibales ; le second est une figure légendaire de l’anthropologie, brutalement disparue le 29 juillet 1977 dans un accident de voiture à l’âge de quarante-trois ans, et l’auteur d’un livre dont le titre est devenu un véritable slogan, La Société contre l’État, paru en 1974. (...)

    #Viveiros_de_Castro #Clastres #anthropologie #politique #dialogue #Deleuze #Guattari #Anti-Œdipe #Lévi-Strauss #société-contre-l’État #Brésil

  • Gébé, on arrête tout, on réfléchit, un nouveau docu d’1h de Pierre Carles sur Gébé
    http://www.pierrecarles.org/-rubrique16-

    L’arrêt général de la production des biens et des services conduit les citoyens à s’interroger collectivement sur ce qu’il serait nécessaire de continuer de produire et de consommer mais aussi ce qu’il serait souhaitable de cesser de fabriquer dans notre société. Le film résonne avec la situation actuelle, même si l’arrêt – partiel – de la production est de nos jours quelque chose de subi et non pas une situation choisie.

    Avec Gébé, on arrête tout, on réfléchit nous essayons de rendre hommage – trop tardivement, certes – à ce grand bonhomme à qui nous devons beaucoup, à cet esprit indépendant dont l’œuvre, parfois déroutante, mérite un détour. Ce petit film vous est proposé en accès libre, gratuitement. Vous pouvez le faire circuler à votre guise. Il a néanmoins nécessité le travail de plusieurs personnes pour voir le jour (monteurs, mixeurs, documentalistes, graphistes, etc.). Aussi, n’hésitez pas soutenir financièrement cette réalisation indépendante en faisant un don sur le site www.pierrecarles.org Nous espérons être en mesure de vous proposer d’autres films de ce type à l’avenir.

    https://tube.aquilenet.fr/videos/watch/4f4601fb-8f1a-4a6a-b02e-2b8478d1b79e

    #documentaire #Gébé #Pierre_Carles

  • #Pierre_Charbonnier : « Mon principal espoir est que le zadiste, le jacobin écolo et le #technocrate_radicalisé pactisent »
    https://lvsl.fr/pierre-charbonnier-mon-principal-espoir-est-que-le-zadiste-le-jacobin-ecolo-et-


    #polanyi

    Les arrangements #techno-politiques des Trente Glorieuses ont permis une amélioration de la condition sociale pour beaucoup de gens mais aujourd’hui, outre le fait qu’à l’échelle globale ils ont été très injustes, ce sont précisément les idéologies anti-démocratiques voire proto-fascistes qui renaissent pour prolonger l’utopie de la croissance infinie. On peut difficilement trouver un paradoxe historique plus parlant : ce qui a été mis en place pour nous protéger des grandes explosions politiques est en train d’en provoquer une nouvelle.

    « Les arrangements techno-politiques des #Trente_Glorieuses ont permis une amélioration de la condition sociale pour beaucoup de gens mais aujourd’hui, outre le fait qu’à l’échelle globale ils ont été très injustes, ce sont précisément les idéologies anti-démocratiques voire proto-fascistes qui renaissent pour prolonger l’utopie de la #croissance_infinie. On peut difficilement trouver un paradoxe historique plus parlant : ce qui a été mis en place pour nous protéger des grandes explosions politiques est en train d’en provoquer une nouvelle.« 

  • Un monde en train de sortir de ses gonds - Ép. 3/5 - Le capitalisme est-il soluble dans le XXIe siècle ?
    https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser/le-capitalisme-est-il-soluble-dans-le-xxie-siecle-35-un-monde-en-train


    Depuis une thèse remarquée où il est question de Durkheim, de Lévi-Strauss et de Philippe Descola, l’invité de ce soir, Pierre Charbonnier, philosophe et chargé de recherches au CNRS, travaille sur les liens entre l’histoire de la pensée politique moderne et la question des ressources. Il veut rapprocher les sciences sociales, l’anthropologie mais aussi la sociologie et l’histoire, des questions environnementales, en remontant jusqu’à l’apparition des préoccupations environnementales (qui ne portaient pas encore ce nom) dans les sociétés industrielles, et relevant les obstacles qu’elles rencontrent. Il s’agit, comme il le dit dans son prochain livre Abondance et liberté, à paraître en janvier 2020, de contribuer à la politisation du problème environnemental. Cela passe bien sûr par une réflexion sur la conduite des affaires économiques dans le monde et sur le modèle dominant, bien vivant, qui nous intéresse cette semaine, le capitalisme.

    #écologie #économie #Pierre_Charbonnier

  • Abondance et liberté de Pierre Charbonnier / Libres d’obéir de Johann Chapoutot
    https://www.franceculture.fr/emissions/avis-critique/abondance-et-liberte-de-pierre-charbonnier-libres-dobeir-de-johann-cha


    Comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : « Abondance et liberté : Une histoire environnementale des idées politiques », de Pierre Charbonnier (La Découverte) et « Libres d’obéir : le management du nazisme à aujourd’hui » de Johann Chapoutot (Gallimard).

    #audio

  • Enfants volés d’Angleterre

    Au #Royaume-Uni, les #services_sociaux sont financièrement encouragés à retirer leurs enfants à des parents soupçonnés de #maltraitance ou jugés à l’avance incapables d’assumer leur rôle, à l’instar des mères célibataires ou des couples désargentés.

    Chaque année en Angleterre, les services sociaux retirent à leurs parents des dizaines de milliers d’enfants. Non que ces parents soient violents, maltraitants ou abusifs mais au motif qu’ils sont potentiellement dangereux pour leur progéniture. Ce sont le plus souvent des parents économiquement fragiles, précaires, des familles monoparentales. Autant de situations qui induisent, selon les services sociaux britanniques, un risque potentiel.

    Un tiers de ces enfants au moins serait retiré de manière totalement abusive. Dénoncé par #Ken_Loach dans son film #Lady_Bird, le scandale commence en 1989 lorsque #Margaret_Thatcher fait voter le Children Act qui introduit la notion de « #probabilité_de_faire_du_mal ». Pour enlever des enfants à leur famille, une simple #suspicion de #maltraitance_future, non avérée, suffit à enclencher une procédure à laquelle il est très difficile de se soustraire. La procédure est confiée aux autorités locales qui sont encouragées financièrement à retirer le plus d’enfants possible. Chaque comté reçoit des #quotas d’#adoption et si le quota n’est pas atteint, le #budget d’aide à l’enfance en est réduit d’autant.

    Ensuite la machine est encore plus infernale puisque parmi les enfants retirés, certains parfois dès leur naissance, des milliers sont confiés à des agences privées, parfois cotées en bourse, qui vont les faire adopter par des couples sans enfants.

    Régis et Gena ont été victimes de ce silencieux scandale. Ils racontent.

    https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/enfants-voles-dangleterre


    #enfants_volés #enfance #UK #Angleterre #audio #enfants #anticipation #Thatcher

    • Les Enfants volés d’Angleterre

      Au Royaume-Uni, les services sociaux sont financièrement encouragés à priver de leurs enfants des parents soupçonnés de maltraitance. Plus de deux millions d’enfants sont ainsi « fichés » par les services sociaux anglais et leurs parents, pris dans la tourmente d’une machine administrative devenue folle. Confiés dans un premier temps à des familles d’accueil, ces enfants « volés » sont proposés à l’adoption par des agences spécialisées, privatisées par David Cameron. Soumis à une obligation de silence, les parents légitimes, généralement démunis, n’ont ensuite aucune possibilité légale de retrouver un jour leurs enfants.


      http://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/49439_1

      #film #documentaire #Pierre_Chassagnieux #Stéphanie_Thomas

    • Et effectivement, à (re)voir, le film de #Ken_Loach, #Ladybird...

      Maggie, sur la scène d’un karaoké, chante tandis que Jorge, un client admiratif, la regarde et l’écoute. Rassurée par la bienveillance de ce réfugié politique latino-américain, Maggie se confie. Elle est la mère célibataire de quatre enfants issus de pères différents, et reste encore cabossée par sa dernière relation avec un homme qui la battait. L’assistance publique, dont elle n’est que trop familière, finit par lui retirer la garde de ses enfants après qu’elle les a laissés seuls un soir où un incendie s’est déclaré. Mais pour une fois, elle a trouvé en Jorge un homme attentionné et qui ne la malmène pas. Lui l’écoute, ce que se refusent à faire les services sociaux. Maggie, qui semble avoir réussi à enrayer le cercle vicieux de la violence conjugale, reste enfermée dans une image négative aux yeux de l’assistance sociale qui refuse de lui rendre ses enfants. Ensemble Jorge et Maggie vont se battre pour récupérer leur dignité et le droit à fonder une famille…

      Notes : Ladybird est issu d’un fait divers découvert par Ken Loach grâce une correspondance avec une admiratrice inconnue. Cette dernière lui a confié son histoire, comment les services sociaux suite à un incendie lui ont retiré tour à tour ses six enfants. Le titre, lui, provient d’une comptine anglaise « Ladybird, Ladybird, va-t’en vite de chez toi, ta maison est en feu, et tes enfants s’en sont allés, tous sauf une, c’est la petite Ann, et elle s’est cachée sous, la poêle . »


      https://www.lacinetek.com/fr/tous-les-films/2463-ladybird-ken-loach-vod.html

    • Le film de ken Loach Ladybird a été réalisé il y a 25 ans. Mais il semble que l’Angleterre ne s’intéresse toujours pas au sort des enfants sauf à organiser leur trafic sexuel.

      #pédophilie #services_sociaux

      je signalais il y a quelques jours le dyptique documentaire de Pierre Chassagnieux et Stéphanie Thomas sur ce sujet

      https://seenthis.net/messages/777819
      « Les enfants perdus d’Angleterre »
      et
      « Les enfants volés d’Angleterre »

      Le fait que ce #trafic_d'enfants soit étouffé avec interdiction aux journalistes d’évoquer ces #enlèvements est tout à fait hallucinant.

      La loi impose le silence aux parents et aux journalistes qui ne peuvent raconter leur drame sous peine de condamnations judiciaires.

      #liberté_de_la_presse
      #tabou #censure

      « C’est le business n°1 en Angleterre : voler les enfants. » rediffusion 15/nov/2016
      http://media.radiofrance-podcast.net/podcast09/10078-15.04.2019-ITEMA_22036237-0.mp3

      Un enfant kidnappé par les services sociaux se vend 40.000€ sur internet

    • Pour te dire que tout est bien verrouillé le documentaire télévisé est interdit de visionnement en Angleterre (testé sur #TOR). Faut espérer que l’émission de France Culture traverse la manche.

    • Remarque qu’en tant que #mère_célibataire à deux reprises et en France j’ai été menacé de me faire retirer ma fille. Une fois par des policiers qui ont forcé ma porte en pleine nuit et une autre par le service hygiène et sécurité de la ville de Clichy auquel j’avais fait appel pour habitat indigne. A chaque fois, ces menaces ont été faites pour que je garde le silence sur leurs agissements illégaux.
      #guerre_aux_pauvres

  • « La bande dessinée permet de revendiquer la dimension subjective de toute enquête anthropologique », entretien avec Alessandro Pignocchi
    https://www.revue-ballast.fr/alessandro-pignocchi-un-contre-pouvoir-ancre-sur-un-territoire

    De l’Amazonie à Notre-Dame-des-Landes, Alessandro Pignocchi — chercheur en sciences cognitives et philosophie de l’art et auteur à ce jour de trois albums de bande dessinée et du même nombre d’essais — ne se défait pas de l’humilité de l’anthropologue face à l’objet souvent incompris de ses observations. Face à sa table à dessin, il convoque les penseurs pour les faire dialoguer avec des politiciens devenus animistes, des mésanges révolutionnaires ou des habitants d’une bourgade de Seine-et-Marne. Source : Ballast

    • Les liens au territoire qui s’inventent sur les ZAD sont d’un type opposé à ceux, réactionnaires, auquel on pense souvent en parlant de lien à la terre (et qui concernent les ancêtres, l’histoire du lieu, le sang, etc.), tous ces liens qui permettent aux habitants d’un lieu de vous appeler « étranger » même si vous partagez leur quotidien depuis vingt ans. Sur la ZAD, toute personne de passage peut, en quelques heures, se sentir une maille de l’entrelacs de liens qui s’y tissent, peut faire sien cet attachement au territoire. C’est un point important : j’ai peur qu’une partie de la gauche soit en train de passer à côté de cette distinction entre deux façons opposées de s’attacher à un territoire. Je pense par exemple à l’article du Monde Diplomatique de juin, « Le Terroir ne ment pas », qui rapproche les liens à la terre les plus réactionnaires — le retour à la terre pétainiste — à ce qui se fait en la matière de plus progressiste (avec une notion de progrès redéfinie, bien sûr) — à savoir les liens que les zadistes nouent avec le territoire qu’ils défendent.

      #territoire