#plagiait

  • Le titre et le début de l’article ressemblent à une mise en scène d’un mea-culpa minable. Le reste est inaccessible

    Etienne Klein, plagiaire « à l’insu de son plein gré »

    https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/08/18/etienne-klein-plagiaire-a-l-insu-de-son-plein-gre_6091756_3451060.html

    Par Jérôme Dupuis

    Publié le 18 août 2021 à 18h00

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    Série« Le plagiat, une impunité française » (6/6). En 2016, une enquête de « L’Express » révèle les nombreux emprunts auxquels se livre le médiatique physicien dans ses ouvrages et ses articles. Une affaire qui lui a « permis de se recentrer », assure au « Monde » celui qui reste aujourd’hui un « showman » apprécié.

    Un homme aussi brillant peut-il être un plagiaire ? Telle est, au fond, la question dérangeante posée par l’« affaire Etienne Klein ». Le célèbre physicien, dont les pirouettes philosophico-scientifiques fascinent auditeurs – il anime une émission hebdomadaire sur France Culture – et lecteurs – ses ouvrages s’écoulent par dizaines de milliers d’exemplaires –, est l’un de ces savants médiatiques à l’érudition joyeuse qui ont toujours enchanté les Français. A grands coups de quarks, de trous noirs et autres espaces-temps quantiques, sa rhétorique tout en paradoxes fait merveille. Les honneurs académiques ont rapidement suivi : déjà directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Etienne Klein est nommé par François Hollande, en septembre 2015, président de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST), un prestigieux organisme d’Etat. On murmure déjà qu’une chaire pourrait lui être réservée au Collège de France.
    Copier-coller d’auteurs célèbres

    Coup de théâtre quelques mois plus tard : en novembre 2016, L’Express révèle que le physicien s’est livré à de multiples plagiats dans ses ouvrages et articles. La liste des plagiés est interminable : Stefan Zweig, Emile Zola, Bertrand Russell, Jean Cocteau, Roman Jakobson, Emil Cioran, Clément Rosset, Philippe Claudel… La particularité des ouvrages d’Etienne Klein, en effet, est de mêler théorie physique et réflexions plus littéraires. Or, révèle l’hebdomadaire, nombre de ses envolées poétiques ne sont que des copier-coller d’auteurs célèbres. Ainsi, une page du Pays qu’habitait Albert Einstein (Actes Sud, 2016), son best-seller de l’époque, est un assemblage de citations de Paul Valéry, Gaston Bachelard et Aragon.

    Etienne Klein n’hésite pas non plus à faire de larges emprunts à des contemporains – collègues ou écrivains – dans les chroniques qu’il livre au quotidien La Croix. En juin 2016, l’une de ces savoureuses chroniques sur la trajectoire du ballon de football est empruntée presque mot pour mot à l’ouvrage La Matière espace-temps, signé Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro (Fayard, 1986). Et, comme le physicien a tendance à recycler ses chroniques écrites sous forme de billets radiophoniques, de livres et de conférences, ses plagiats semblent comme démultipliés. L’« affaire Etienne Klein » est lancée.

    Plus de quatre ans ont passé et, en ce mois d’août 2021, le physicien fait son mea culpa : « Oui, c’est vrai, je suis coupable de plagiats littéraires, mais en aucun cas de plagiats scientifiques », insiste-t-il auprès du Monde. Et de fournir trois explications. Une certaine « désinvolture », tout d’abord : « Je faisais trop de choses à la fois. Cela a été ma grande faute. Conséquence, j’ai régulièrement oublié de mettre des guillemets à des citations. » Une forme de légèreté technique, ensuite : « J’ai commis des erreurs de fichiers informatiques et j’ai confondu mes notes personnelles avec des citations de grands auteurs. » Mais, alors, comment expliquer les petites différences – un adverbe en plus par-ci, un changement de temps par-là – entre les citations originales et leurs versions signées Etienne Klein ? N’y a-t-il pas là une tentative de « maquiller » les emprunts ?

    • La troisième explication est encore plus surprenante : « Il y a une trentaine d’années, raconte le physicien, j’ai été victime d’une maladie qui m’a privé de voix pendant de longs mois. Pour la rééduquer, j’ai lu tout haut du Bachelard, du Valéry, du Stefan Zweig. Leurs phrases se sont alors fixées dans mon cerveau, et mon inconscient_ [qui est pourvu d’un large dos] les a restituées dans mes livres sans que je m’en rende compte. » Bref, Etienne Klein aurait inventé le plagiat « à l’insu de son plein gré »…

      Une mystérieuse cabale

      A l’époque des révélations de L’Express, pourtant, le physicien est plutôt dans le déni et publie une réponse en forme de démenti sur le site de France Culture. Fait très inhabituel, des collègues plagiés prennent même la défense de leur « plagieur ». Etienne Klein n’aurait fait que reprendre des définitions canoniques de la physique, plaident-ils, sans doute plus mus par le sens de l’amitié que par celui de l’objectivité scientifique…

      Le physicien laisse aussi entendre qu’une mystérieuse cabale aurait été ourdie contre lui par des confrères jaloux de sa nomination à l’IHEST. « J’ai contrarié des plans de carrière », persiste-t-il aujourd’hui. Sa chance est que les médias français ne relaient pas vraiment l’affaire : personne n’a envie de se fâcher avec ce « bon client ». Seul le mensuel Sciences et avenir ose fustiger son attitude. A l’étranger, on a moins d’indulgence. Le site du plus prestigieux magazine scientifique du monde, Science, enfonce le clou en titrant : « Un célèbre physicien français accusé d’avoir plagié des collègues et des écrivains fameux. »

      Est-ce l’article de Science qui amène les autorités à réagir ? Toujours est-il que, le 9 décembre 2016, Thierry Mandon, ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur, mandate une commission pour tirer l’affaire au clair. Ce comité, présidé par Michel Cosnard, président du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, va auditionner une dizaine de personnes. Etienne Klein se présente accompagné de son avocat. Une manière d’annoncer qu’il se battra bec et ongles.

      Fin février 2017, le comité conclut que ces plagiats sont difficilement compatibles avec les fonctions de président de l’IHEST. Commence alors en coulisses l’un de ces bras de fer politico-académiques dont la France a le secret. Nous sommes à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, et Etienne Klein va jouer la montre, espérant que l’affaire passera à la trappe avec l’alternance. Malgré les demandes répétées du ministère, qui veut lui ménager une sortie honorable, il refuse obstinément de démissionner. « J’ai été condamné sans être jugé dans les formes », se justifie-t-il aujourd’hui. Mais, alors, pourquoi ne pas avoir attaqué L’Express en justice ? « Cela aurait pris trop de temps », balaie-t-il.

      Coup de théâtre !

      Etienne Klein le sait : seul un décret contresigné par le président de la République pourrait le destituer. Thierry Mandon et sa ministre de tutelle, Najat Vallaud-Belkacem, doivent donc faire vite. Ils signent son décret de révocation, qui atterrit en urgence chez le premier ministre. Bernard Cazeneuve le contresigne. Mais, quand le décret arrive sur le bureau de François Hollande, on est déjà dans l’entre-deux-tours et l’Elysée a plus la tête dans les cartons que dans les dossiers.

      Nouveau coup de théâtre, le 26 avril : lors de l’avant-dernier conseil des ministres du quinquennat, le président contresigne le décret. « Il est mis fin aux fonctions de M. Etienne Klein en qualité de président du conseil d’administration de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie », peut-on lire deux jours plus tard au Journal officiel.

      J’avais 20 ans :

      Une décision plutôt inhabituelle dans un pays qui a tendance à faire preuve d’une certaine mansuétude pour ce genre de dérives. Pour autant, ce décret a-t-il eu d’autres conséquences pour Etienne Klein ? « Cela a été dur à vivre, mais, avec le recul, cette histoire m’a permis de me recentrer, de moins me disperser. J’ai aussi découvert à cette occasion que j’avais des ennemis », confie-t-il.

      Pour autant, le CEA, son employeur, lui a renouvelé toute sa confiance. France Culture, radio de service public, lui offre toujours sa tribune du samedi, « La Conversation scientifique ». Les éditeurs se bousculent encore pour l’éditer. En 2020, la prestigieuse Académie des sciences morales et politiques lui a même décerné le prix Corbay pour son ouvrage Ce qui est sans être tout à fait. Essai sur le vide (Actes Sud). Et le « showman » Klein continue à battre les estrades un peu partout dans le monde. Bien sûr, les perspectives de rejoindre le Collège de France se sont éloignées. Mais, au fond, qui se souvient de l’« affaire Klein » ?

      L’ORIGINAL ET SA COPIE – EXTRAITS

      « L’excitation médiatique, l’hédonisme institué en règle de vie, l’eschatologie consumériste de notre société ne conjuguent-ils pas leurs échappements délétères ? (…) Cette serre anesthésie notre sensation d’un ciel. (…) Nous n’avons plus de hauteur vers laquelle lever les yeux. »
      « Effet de serre », de François Cassingena-Trévedy (revue « Etudes », mars 2015, pages 97-98)
      « L’excitation médiatique, l’hédonisme institué en règle de vie, l’eschatologie consumériste de notre société ne conjuguent-ils pas leurs échappements délétères pour anesthésier notre sensation d’un ciel ? Où sont les hauteurs vers lesquelles lever les yeux ? »
      Le Pays qu’habitait Albert Einstein, d’Etienne Klein (Actes Sud, 2016, page 237)
      §
      « La lumière est d’abord ce que m’apprennent d’elle mes yeux, ce qui me fait différent de l’aveugle, ce qui en elle est, d’un certain point de vue, matière à miracle. »
      Le Paysan de Paris, d’Aragon (Gallimard, 1926, page 13).
      « La lumière est d’abord ce que m’apprennent d’elle mes yeux, ce qui me fait différent de l’aveugle, ce qui en elle est, d’un certain point de vue, matière à miracle. »
      Le Pays qu’habitait Albert Einstein, d’Etienne Klein (Actes Sud, 2016, page 89)
      §
      « Symbiose ouvrant grandes les portes à une post-humanité dont nos ridicules limites humaines peinent à concevoir l’étendue des facultés, notre seule gloire étant de concourir à l’avènement de cette nouvelle espèce qui portera sur nous, pauvres hères, un regard de pitié condescendante et incrédule. »
      Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit, d’Olivier Rey (Seuil, 2006, page 174)
      « Il devrait ouvrir grand les portes à une post-humanité dont nos ridicules limites humaines peinent à concevoir l’étendue des facultés, notre seule gloire étant de concourir à l’avènement de cette nouvelle espèce qui portera sur nous un regard de pitié condescendante et incrédule. »
      Le Small Bang des nanotechnologies, d’Etienne Klein (Odile Jacob, 2011, page 85)

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