• quérulents , plaignards, citoyens « déraisonnables » : Les fruits de la bureaucratisation, et du délire administratif de notre société
    NDR : Ils parlent aussi de mauvaise fois citoyenne, pas de l’exemple que donnent les dirigeants de nos pays

    Les citoyens « déraisonnables » font la vie dure aux organismes publics 16 janvier 2016 Marco Fortier Journal Le Devoir, Quebec.

    Ils inondent les tribunaux de poursuites. Ils écrivent à leur député, au premier ministre, aux Nations unies. Ils se disent victimes d’une injustice qui devient leur raison de vivre. Jusqu’à en perdre la raison. Incursion dans l’univers des quérulents, un phénomène qui préoccupe la justice, les organismes publics et la psychiatrie.

    
Ce phénomène prend de l’ampleur partout dans le monde, y compris au Québec. C’est devenu un fléau qui préoccupe le Barreau du Québec, les tribunaux et les organismes publics. Qu’est-ce qu’un quérulent ? C’est une personne qui perd les pédales après avoir été victime de ce qu’elle considère comme un tort irréparable. Ces gens s’engagent dans une bataille sans fin pour obtenir justice. Ils inondent les organismes publics de plaintes incessantes, de courriels de douzaines de pages, de lettres écrites en majuscules. Ils engueulent les responsables du service à la clientèle, font des menaces, du chantage, de fausses déclarations, peuvent recourir à la flatterie ou devenir violents.
     
    Comme Don Quichotte, ces valeureux chevaliers consacrent leur vie à un combat perdu d’avance.
     
    Ces clients à problème représentent de 3 % à 5 % des gens qui font appel au Protecteur du citoyen, mais accaparent entre 25 % et 30 % des ressources du service à la clientèle, selon une vaste étude de l’ombudsman de Nouvelle-Galles du Sud, en Australie.
     
    Le phénomène est tellement important que l’ombudsman australien a produit un guide de 134 pages sur la façon de composer avec ces batailleurs professionnels. Le guide est utilisé partout dans le monde. Il a été traduit en français à l’initiative du Forum canadien des ombudsmans, du Protecteur du citoyen du Québec et de l’ombudsman de Montréal.
     
    « C’est une réelle préoccupation. Si jamais il y a un quérulent qui t’a dans sa mire, ça devient l’enfer. Ça commence souvent par une chicane de clôture et ça dégénère en bataille sans fin. L’important, pour eux, n’est pas de gagner leur cause, mais d’être le plus fort » , explique le Dr Évens Villeneuve, psychiatre spécialiste des troubles sévères de personnalité au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale.
     
    « Il faut être bien organisé pour traiter avec un quérulent, parce que, autrement, c’est vraiment une lutte gréco-romaine sans fin avec eux » , ajoute-t-il.
     
    Guide pratique de la mauvaise foi citoyenne
     
    Observons-le de plus près, ce guide qui a été réédité en 2012. Il a été produit en Australie, mais ses conclusions valent pour le Québec. Bruce Barbour, l’ombudsman de Nouvelle-Galles du Sud, est d’ailleurs venu donner une formation aux enquêteurs du Protecteur du citoyen du Québec en 2013.
     
    « Il semble bien que les comportements hostiles et abusifs soient de plus en plus fréquents et que les fonctionnaires soient devenus des cibles faciles pour les frustrés et les mécontents » , écrit l’ombudsman australien. Il tire ses conclusions après avoir interrogé 180 fonctionnaires de 80 organismes publics australiens.
     
    « Les données empiriques provenant d’un grand nombre d’organismes et de pays indiquent que ce problème est répandu et prend de l’ampleur. De plus, les types de comportements auxquels les organismes et leur personnel doivent réagir gagnent en complexité » , ajoute-t-il.
     
    Ce guide pratique de la mauvaise foi citoyenne décrit en long et en large les subterfuges employés par les quérulents dans l’espoir d’arriver à leurs fins. L’ombudsman australien résume bien le phénomène dans les paragraphes suivants.
     
    « Ces plaignants sont menaçants, malhonnêtes, fournissent intentionnellement des renseignements trompeurs ou dissimulent sciemment des renseignements pertinents à l’égard de leur plainte. Certains assaillent les organismes d’appels téléphoniques et de courriels inutiles, les inondent d’une multitude de renseignements non pertinents, insistent pour obtenir des passe-droits. À la fin du processus, ces mêmes plaignants sont souvent peu disposés à accepter les décisions et continuent de demander d’autres mesures à l’égard de leur plainte, même s’ils ont épuisé toutes les options de révision interne.
     
    « Il est également très fréquent, chez ce type de plaignants, de perdre toute perspective et de changer l’objet de la plainte, d’abord orientée sur des questions de fond, en allégations d’incompétence, de collusion, de conspiration et de corruption contre les agents et les organismes responsables du dossier, ceux-là mêmes auxquels ils se sont adressés pour résoudre ces questions.
     
    « Ainsi, il n’est pas rare de découvrir que leurs plaintes ont pris de l’ampleur au fil du temps et qu’elles ont été soumises inutilement à plusieurs organismes à la fois, où ces plaignants recommencent depuis le début le cycle de traitement des plaintes. »
     
    Des complots partout
     
    Le problème avec les quérulents, c’est qu’ils ne reconnaissent pas leur problème, explique le Dr Villeneuve. Il existe des thérapies qui pourraient les aider, mais pour réussir une thérapie, il faut aspirer à changer, souligne-t-il. Il n’y a pratiquement jamais de quérulents parmi les patients de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, où travaille le psychiatre.
     
    Pour eux, toute contrariété entraîne une riposte assortie de menaces. Ceux qui ne soutiennent pas entièrement leur combat deviennent des ennemis. Tout compromis devient une défaite humiliante. Les quérulents voient des complots partout. Ils doivent blâmer quelqu’un quand ils subissent une défaite. La plupart n’ont aucune maladie mentale, mais certains deviennent paranoïaques. Ils affirment être suivis par des extraterrestres ou par la CIA.
     
    En 2014-2015, 57 % des 19 189 plaintes reçues par le Protecteur du citoyen du Québec visaient des ministères et organismes qui relèvent de sa compétence. Il a fallu réorienter 8243 personnes vers d’autres services d’aide. Ça fait beaucoup de déceptions à gérer.
     
    Les réseaux sociaux montrés du doigt
     
    Les fonctionnaires qui traitent avec ces clients frustrés vivent du stress, de l’anxiété et courent un risque accru de dépression par rapport aux autres employés de l’État, selon l’ombudsman australien. Et pour cause : des plaignants vont même jusqu’à se présenter aux bureaux des organismes qu’ils jugent fautifs en brandissant une arme !
     
    Les réseaux sociaux donnent aussi une occasion parfaite aux gens frustrés d’étaler leur colère. Dans son rapport, Bruce Barbour note « la tendance — de plus en plus marquée — de certains plaignants à utiliser Internet et les médias sociaux pour agresser, insulter, harceler, vilipender et diffamer les organismes et les fonctionnaires avec lesquels ils interagissent. Les organismes sont de plus en plus nombreux à être aux prises avec des incidents en ligne, de nature très publique et très extrême, dans lesquels leurs plaignants sont impliqués. Ces organismes se démènent pour trouver des moyens efficaces de rester à la hauteur et de gérer ces situations ».
     
    Le rapport cite des professeurs accusés à tort d’avoir agressé des élèves sur des sites comme RateMyTeachers, YouTube ou Facebook. Des enseignants ont raconté leur calvaire : dépression, arrêt de travail, idées suicidaires.
     
    Un policier australien a aussi été ciblé de façon criminelle sur Facebook par un citoyen frustré : un groupe public baptisé « Piss off [nom du policier] » montrait des photos du flic et de ses enfants, ainsi que leur adresse. Le site appelait à la violence contre ce policier chevronné.
     
    Dans son manuel Gestion du plaignant dont la conduite est déraisonnable , l’ombudsman australien formule une série de recommandations — qui s’étirent sur des dizaines de pages — sur la façon de gérer les relations avec les clients difficiles. Parler clairement. Dire des phrases courtes. Rester calme, même face à des citoyens colériques. Dire non quand la réponse est non.
     
    Il recommande aussi d’aménager les lieux de travail de façon à protéger les employés contre les intrus violents : contrôler l’accès aux portes par des cartes magnétiques et prévoir des portes de sortie à l’arrière des locaux.
     
    Tous les experts consultés par Le Devoir insistent : il faut prendre au sérieux toute menace, qu’elle soit proférée sur Internet, au téléphone, par courriel ou en personne. Après tout, les quérulents les plus convaincus, aux États-Unis, ont tendance à régler leurs comptes à coups d’armes semi-automatiques.
    http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/460368/alerte-aux-plaignards-professionnels

    #quérulents #plaignards_professionnels #Don_Quichotte #citoyenneté #réseaux_sociaux #RateMyTeachers #YouTube #Facebook #plaignards