• Comment la société française a appris à mépriser les « paysans » et leurs « #patois »

    Les manifestations récentes par lesquelles le monde agricole français a fait entendre ses protestations et ses revendications ont, une fois de plus, fait apparaître des différences profondes, voire des fractures, entre le monde rural et le monde urbain et plus encore entre des images valorisantes de l’urbanité et dévalorisantes de la ruralité.

    La France moderne a été construite depuis Paris, lieu de la puissance politique, en développant un sentiment de supériorité de la capitale sur « la province » (le singulier est significatif) et des villes (supposées modernes) sur les campagnes (supposées arriérées). Au lieu d’être fédérale, vu sa diversité, « la France est un pays dont l’unité a été construite à coups de cravache […] par l’autorité de l’État central », selon Jean Viard.

    Les normes sociales valorisées ont donc été celles, urbaines, de la ville-capitale érigée en phare de l’État hypercentralisé. On le voit, par exemple, dans le fait qu’en français le mot urbain a le double sens « de la ville » et « poli, courtois » et que le mot paysan a le double sens de « rural, agricole » et « rustre, grossier ». Ce mode de relation est clairement confirmé par une analyse sociolinguistique plus large, comme on va le voir ci-après. En effet, la sociolinguistique a pour but d’étudier principalement deux choses : les effets de l’organisation d’une société sur les langues qu’on y parle et ce que la place faite aux langues révèle de l’organisation de cette société.
    Paris, ses bourgeois et leur langue érigés en modèle

    C’est en effet la langue de la capitale qui a été imposée notamment à partir de la Révolution française à l’ensemble des populations progressivement rattachées à la France. Elle est considérée comme la langue « normale » en France. Et c’est le français des classes supérieures parisiennes qui a été prescrit comme modèle d’expression. Ainsi le grammairien Vaugelas définissait-il ce « bon français » en 1647 :

    « La façon de parler de la plus saine partie de la Cour […] Quand je dis la cour, j’y comprends les femmes comme les hommes, et plusieurs personnes de la ville où le prince réside. »

    La prétendue supériorité universelle du français, par opposition à toutes les autres langues et d’autant plus aux « patois régionaux », affirmée dès 1784 par le pamphlétaire Rivarol, est régulièrement reprise dans les discours étatiques jusqu’à aujourd’hui, par exemple par le président de la République lui-même lorsqu’il inaugure une cité qui cultive les mythes sur la langue française.

    Tout au long du XIXe siècle, la construction de la nation française passe par cette vision de la langue française, que l’école de la IIIe République (1870-1940) est chargée de mettre en œuvre de façon particulièrement offensive.

    En 1951, le phonéticien Pierre Fouché poursuit cette vision suprémaciste de la langue de Paris et de ses classes dominantes en établissant pour l’enseignement une norme de prononciation du français sur le modèle d’une « conversation soignée chez des Parisiens cultivés ».
    Les « patois pauvres et corrompus » des campagnes « provinciales »

    Quant aux autres langues de France, comme on les appelle depuis 1999, elles ont, à l’inverse, été disqualifiées par le nom de « patois » au départ méprisant, par l’association au seul monde rural et à une arriération prétendue. L’origine du mot « patois » est discutée, mais il est très probable qu’il vienne du verbe « patoiller » qui veut dire soit « marcher dans la boue, barboter, patauger », soit « gesticuler, parler en faisant des signes avec les mains ». Dans les deux cas, c’est un terme péjoratif à l’origine.

    Or, tout ceci est doublement faux : ces langues étaient aussi celles des villes (à Marseille par exemple le provençal était la langue générale jusque dans les années 1920) et d’intellectuels (Frédéric Mistral, licencié en droit, a reçu le prix Nobel de littérature pour son œuvre toute en provençal).

    Mais les préjugés sont fondés sur un aveuglement pour ne voir que ce que l’on veut voir. Ainsi, on lit dans l’Encyclopédie (1765) :

    « Patois : Langage corrompu tel qu’il se parle presque dans toutes les provinces : chacune a son patois ; ainsi nous avons le patois bourguignon, le patois normand, le patois champenois, le patois gascon, le patois provençal, etc. On ne parle la langue que dans la capitale. »

    Le Dictionnaire de Furetière (1690) précisait :

    « Langage corrompu et grossier tel que celui du menu peuple, des paysans, et des enfants qui ne savent pas encore bien prononcer. »

    À la création de la 1ere République française, ses responsables considéraient ainsi que dans les provinces on parlait « ces jargons barbares et ces idiomes grossiers » à « éradiquer » (Rapport Barrère, publié en 1794). Pourquoi ? Parce que « nous n’avons plus de provinces et nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms » dont « deux idiomes très dégénérés » et parce que « l’homme des campagnes, peu accoutumé à généraliser ses idées, manquera toujours de termes abstraits » à cause de cette « inévitable pauvreté de langage, qui resserre l’esprit » disait le Rapport Grégoire (publié en 1794). Il ajoutait « les nègres de nos colonies, dont vous avez fait des hommes, ont une espèce d’idiome pauvre », ne mesurant pas le racisme linguistique de son propos.

    Le mépris des provinciaux, des ruraux et de leurs langues, alimentés par ces préjugés conjugués, a été sans borne. Il a culminé au XIXe siècle sous la forme d’un véritable racisme, dont celui contre les Bretons ou les Méridionaux, bien attesté.

    À l’époque l’étude scientifique des langues n’existait pas encore. La sociolinguistique, qui se développe à partir des années 1950-1970, a montré par la suite que toutes les langues sont égales (y compris celles dites « patois ») : aucune n’est supérieure ou inférieure à une autre en raison de ses caractéristiques proprement linguistiques. Ce sont les hiérarchisations sociales qui se reflètent en hiérarchisation des langues ou de leurs variétés locales ou sociales particulières.

    Hélas, comme on l’observe trop souvent et encore plus à l’époque des « fake news », les connaissances scientifiques ont du mal à remplacer les croyances répandues dans l’opinion publique. C’est d’autant plus le cas quand il s’agit de langues en France, pays où a été instaurée une véritable religion nationale de la langue française accompagnée d’une sorte d’excommunication des autres langues.

    En conséquence, cette conception est encore présente de nos jours. Le Trésor de la Langue française (CNRS) la décrit ainsi :

    « Patois : Parler essentiellement oral, pratiqué dans une localité ou un groupe de localités, principalement rurales. Système linguistique restreint fonctionnant en un point déterminé ou dans un espace géographique réduit, sans statut culturel et social stable […]. Langage obscur et inintelligible. Synonymes : baragouin, charabia, jargon. »

    Le « plouc » et son parler aussi méprisés l’un que l’autre

    Aujourd’hui encore, le stéréotype du « plouc » est fortement voire principalement constitué de caractéristiques linguistiques (“phrase, accent, prononciation, langue”), comme le montre l’étude de Corentin Roquebert, qui conclut :

    « On peut relever l’association forte entre des catégories et des objets plus ou moins valorisés socialement, ce qui favorise l’expression d’un jugement social positif ou négatif sur une population : le beauf comme personnage raciste et sexiste, le hipster branché et cool qui n’aime pas le mainstream, la prononciation et l’accent du plouc. »

    Les préjugés glottophobes contre des « patois » supposés employés (uniquement) par des « paysans » sont toujours là. Et même quand les « paysans » et autres « provinciaux » ont finalement adopté le français, bon gré mal gré, on continue à stigmatiser les traces de leurs “patois” dans leurs façons de parler français : mots locaux, expressions, tournures, et surtout accent…

    Le pseudo raisonnement, fondé sur des préjugés, est circulaire : les « patois » ne sont pas de vraies langues puisqu’ils sont parlés par des « paysans »/les « paysans » sont des rustres puisqu’ils parlent « patois ». Les deux stéréotypes négatifs projetés simultanément sur les « paysans » et sur les « patois » (ou les « accents » qu’il en reste), associés les uns aux autres, se renforcent réciproquement et produisent un mépris de classe renforcé.

    https://theconversation.com/comment-la-societe-francaise-a-appris-a-mepriser-les-paysans-et-leu

    #mépris #France #fracture #rural #urbain #villes #campagnes #ruralité #dévalorisation #province #ville-capitale #centralisme #sociolinguistique #langue #bon_français #patois_régionaux #langues_régionales #Rivarol #mythe #nation #Etat-nation #Pierre_Fouché #préjugés #aveuglement #racisme_linguistique #préjugés #racisme #hiérarchisation #plouc #accents #mépris_de_classe

    • Le rapport de domination, en France, entre la capitale et le reste du pays est un fait difficilement contestable. Comme l’indique ce texte, cela se voit notamment par l’obligation, dictée par le pouvoir central d’État, établi à Paris, d’adopter sur tout le territoire la même langue. Pour autant, cet héritage centralisateur ne me semble pas être la seule explication dans la construction d’une idéologie de classe méprisante à l’encontre du monde paysan.

      On pourrait croire, en lisant ce texte, que le pays se résumait à un clivage entre Paris et « la province », cette dernière étant assimilée au « monde paysan », or le pays a compté quand même nombres de grandes villes sur le territoire, qui ont constitué autant de métropoles locales dont l’importance dans le développement du capitalisme en France a été tout aussi déterminante que celle de Paris. Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui, le concept politique de « métropole » fait vibrer nombre de représentants de la classe dominante en Europe, y compris en France (et en Île-de-France).

      Témoignage personnel anecdotique : une partie de ma famille est nantaise et j’ai été frappé de constater à quel point les expressions de mépris anti-paysan, quasi-raciste, revenaient dans les propos de mes oncles et tantes. Cela dépasse de loin ce que j’ai entendu, en comparaison, à Paris, en tous cas, pour cette génération-là.

  • Les électeurs de gauche et écologistes ne sont pas responsables de la montée du Front national
    http://www.reporterre.net/Les-electeurs-de-gauche-et-ecologistes-ne-sont-pas-responsables-de-la-mo

    Caroline De Haas est militante féministe. Elle est l’une des initiatrices du référendum « Face à la droite et l’extrême droite, souhaitez-vous que le gouvernement mène une politique de gauche ? ».

    ...

    Lorsque Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, a annoncé un référendum auprès des citoyennes et citoyens pour l’unité des partis de gauche aux régionales, j’ai d’abord cru à une farce.

    ...

    En fait, en quelques pages, le site résume les deux possibilités qui te sont offertes à toi, sympathisant-e de gauche : soit tu es pour l’unité avec les socialistes, soit tu es pour l’extrême-droite. Le choix est donc on ne peut plus réduit.

    ...

    C’est quand même une étrangeté de notre vie politique qui veut que le principal parti au pouvoir renvoie sur l’ensemble des autres formations et militant-e-s politiques la responsabilité de son échec. Échec à tenir ses engagements, échec à transformer les rapports de forces dans la société, échec à faire reculer le racisme ou les violences contre les femmes, échec à mettre en œuvre des promesses comme le droit de vote des étrangers ou la fin du contrôle au faciès, échec à résister aux lobbys pétroliers, échec à renforcer les protections sociales, échec à parler de solidarité plus que de fermeté à l’arrivée des réfugié-e-s…
    ...

    Et dangereux : cela signifie qu’au final, ces derniers ne seraient pas responsables de grand chose.

    #crétin_abyssal #plouc #mascarade

  • Je vous fais suivre un courrier d’un prof d’histoire-géo adressé à d’autres profs (si je comprends bien) concernant une double-page du manuel Belin 3e.
    Les arguments pro-avortement ne sont pas développés tandis que les anti-avortement, oui…

    Bonjour,

    Je prépare le cours sur la vie politique depuis 1969 en 3eme, et en
    particulier les grands débats idéologiques.

    Le manuel Belin présente la loi sur l’IVG (p192-193) : 2 documents non
    explicités sur les arguments en faveur de la légalisation (viol et
    avortement, droit des femmes à disposer de leur corps), les arguments
    moralistes de Simone Veil, les extraits de la loi Veil, et enfin 3 extraits
    de textes contre la légalisation qui eux, sont explicites, d’autant plus
    qu’ils sont accompagnés par la reproduction d’une affiche en rouge, en gros
    caractères (c’est la première chose que l’on voit en ouvrant le dossier)
    affirmant qu’ « avorter c’est tuer un enfant », suivie des coordonnées et de
    l’adresse de « Laisser les vivre - SOS futures mères » !

    Je comprends qu’on puisse être contre l’avortement et je le respecte. Je
    comprends moins que l’on puisse être contre la légalisation de l’avortement
    mais je le respecte aussi. Par contre je ne peux pas admettre que l’on
    puisse traumatiser des jeunes filles de 14-15 ans par cette affiche de
    « laisser les vivre » assimilant l’avortement à tuer, accompagnée de textes
    qui expliquent que c’est « supprimer la vie d’un innocent », qui assimilent la
    loi aux" poubelles des petits corps des enfants avortés" et qui avertissent
    que l’avortement compromettra [sans tenir compte de l’absence de logique] « la santé des enfants à venir et supprime même la possibilité d’en avoir
    d’autres » !

    Comment a-t-on pu laisser passer un dossier tellement partisan ? Peut-on
    accorder à Belin de la simple maladresse alors que l’éditeur n’a même pas
    supprimé les coordonnées de « Laisser les vivre » ?

    En plein débat sur le mariage pour tous, après les manifestations contre la
    liberté et l’égalité des citoyens, je vois qu’une certaine morale anti
    républicaine trouve des racines insoupçonnées dans les sources même de
    l’éducation que délivrent nos manuels pourtant si riches. Je n’avais
    malheureusement pas vu ce dossier lors du choix des manuels de 3e de mon
    établissement l’an dernier sinon je m’y serai formellement opposé.

    Il est vrai aussi que les manuels Bordas et Hachette montrent au contraire
    une affiche avec les coordonnées du planning familial. Pourtant je ne peux
    me résoudre à mettre ces 2 documents sur le même plan. Celui du planning
    familial défend les droits de la femme (contraception, avortement) qui
    offrent la POSSIBILITE d’utiliser ces moyens ou pas, et celui de laisser les
    vivre, moralisateur et mensonger qui veut EMPECHER et INTERDIRE A TOUS
    d’utiliser ces moyens.

    http://feminisme.fr-bb.com/t1538-belin-livre-d-histoire-geo-arguments-anti-avortement-tres-pre

    #ivg #education #ecole

  • Humour ;-) le nouveau Plouc !
    Vieux papier que je n’avais jamais lu. Attention, pas conseillé à tout le monde (censeurs passez votre chemin, ce papier est dangereux car il vous décrit).

    Bigot de gauche urbanisé et connecté dont les indignations sont celles de tout le monde - indignations suscitées par des médias racoleurs et méprisants –, sans imagination ni flair, d’une bêtise dévastatrice mais de bonne foi (1) - du moins pour la majorité d’entre eux –, courageux mais pas téméraire pour un sou, la tripe sensible mais le coeur dur comme la pierre, très politisé, actif sur Internet mais moyennement informé tout en l’ignorant puisque le nouveau plouc se dit et se croit au courant de tout, le nouveau plouc vote PS et quelquefois Bayrou ; il est chômeur ou cadre, déclassé ou bien CSP+, universitaire ou ouvrier, homme ou femme

    le nouveau Plouc, et c’est à cela qu’on le reconnaît, penchera toujours du côté de la censure et de la répression au nom même de la liberté et de la démocratie qu’il croit soutenir à bon compte et sans frais

    http://blogs.mediapart.fr/blog/serge-uleski/171012/les-nouveaux-ploucs-de-la-conscience-politique-et-autres

    #humour #plouc #gôche