La thèse qui court tout au long du « Le nouvel esprit du #capitalisme » est la suivante : la #critique_artiste (fondée sur, et revendiquant la liberté, l’autonomie et l’#authenticité) et la #critique_sociale (fondée sur, et revendiquant la solidarité, la sécurité et l’#égalité) « sont le plus souvent portées par des groupes distincts » et sont « incompatibles ».[1] Le flambeau de la critique artiste, transmis par les artistes aux étudiants de #mai_68, aurait été repris par la suite par les gens « branchés » qui travaillent dans les médias, la finance, le show business, la mode, Internet, etc., c’est-à-dire, les « créatifs » du « haut de la hiérarchie socioculturelle ». La critique sociale, par contre, portée par les ouvriers de 68, aurait été reprise par les petits gens, les subordonnés, les exclus du libéralisme. Critique artiste et critique sociale sont donc « largement incompatibles ».
La « critique artiste » suscite un malaise chez les auteurs, voir un certain mépris, qu’ils ont du mal à cacher. De leur point de vue, cela se comprend aisément, puisque la « critique artiste […] n’est pas spontanément égalitaire ; elle court même toujours le risque d’être réinterprétée dans un sens aristocratique » et « non tempérée par les considérations d’égalité et de solidarité de la critique sociale peut très rapidement faire le jeu d’un libéralisme particulièrement destructeur comme nous l’ont montré les dernières années ». D’ailleurs, la critique artiste n’est « pas en soi nécessaire à la mise en cause efficace du capitalisme comme le montrent les succès antérieurs du mouvement ouvrier sans les renforts de la critique artiste. Mai 68 était, de ce point de vue, exceptionnel ». A la lecture, on sent aussi que le livre est parcouru par un ressentiment contre mai 68 qui, depuis quelques années, traverse les élites intellectuelles françaises, et dont font les frais, ici aussi, comme chez l’ancien ministre de l’Education Nationale, Michel #Foucault, Gilles #Deleuze et Félix #Guattari, qui, en tant que maîtres de la pensée 68, auraient déposés des germes de libéralisme dans les têtes de gens sans y prendre garde.
Donc non seulement la critique artiste n’est pas nécessaire, sinon à « modérer le trop d’égalité de la critique sociale » qui risque de « faire fi à la liberté » (sic), mais en plus elle joue le cheval de Troie du libéralisme, à qui elle est apparenté par le goût aristocratique de la liberté, de l’autonomie et de l’authenticité que les artistes auraient transmis d’abord aux « étudiants », et qui aurait ensuite transité chez les « bobos ». Boltanski et Chiapello nous rejouent ici l’opposition de la liberté et de l’égalité , de l’autonomie et de la sécurité, d’une autre époque, sur laquelle d’ailleurs se sont cassés les dents aussi bien le socialisme et le communisme,.