• Discriminations et #politisation ordinaire dans les #quartiers_populaires
    https://metropolitiques.eu/Discriminations-et-politisation-ordinaire-dans-les-quartiers-populai

    S’appuyant sur une enquête collective, Marion Carrel souligne que les expériences des discriminations structurent le rapport au politique dans les quartiers populaires. La politisation ordinaire issue de ces expériences, étouffée par les institutions, constitue une clé d’explication de l’embrasement qui a suivi la mort de Nahel Merzouk le 27 juin 2023 à Nanterre. Le 27 juin 2023 à Nanterre, Nahel Merzouk, 17 ans, était tué à bout portant par un policier invoquant un refus d’obtempérer et la légitime #Débats

    / #discrimination, #émeutes, politisation, #police, quartiers populaires

    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met-carrel.pdf

  • Pourquoi les #services_publics sont pris pour #cible

    Médiathèques, écoles ou centres sociaux ont été pris pour cibles dans la nuit du 28 au 29 juin dans différentes villes de France. À l’éternelle question de savoir pourquoi, les sciences sociales apportent des réponses de plus en plus précises depuis les émeutes de 2005.

    À chaque affrontement entre forces de l’ordre et jeunes des #quartiers_populaires, après chaque nuit de #soulèvement_urbain, une question revient parmi les observateurs mais aussi les habitant·es : pourquoi s’en prendre aux #équipements_publics qui offrent encore quelques #services sur des territoires le plus souvent déshérités en la matière ?

    Derrière cette interrogation se loge aussi une question plus souterraine : qu’y a-t-il dans la tête des #jeunes qui affrontent la police, mettent le feu ou défoncent des vitrines ? Les sciences sociales ont largement travaillé la question, particulièrement depuis les émeutes de 2005, et montrent qu’il est impossible de voir dans ces gestes le simple #nihilisme, voire le #banditisme auxquels certaines voix voudraient les réduire.

    Une réponse préliminaire à la question oblige à commencer par passer au tamis ce que signifient « #services » ou « #équipements » publics dans un contexte de #révoltes et de #tensions_urbaines. S’en prendre à un commissariat au lendemain du meurtre d’un adolescent par un policier, ou même à une mairie qui a autorité sur une partie des forces de l’ordre, n’a pas nécessairement la même signification que s’en prendre à une école, un CCAS (centre communal d’action sociale), une salle des fêtes ou une bibliothèque...

    Un second préliminaire contraint aussi de rester prudent, au-delà même de la nature des institutions visées, sur ce qu’elles peuvent représenter, et dont la signification peut rester opaque ou confuse. Un des jeunes ayant participé aux ateliers d’écriture organisés par l’écrivain et éducateur Joseph Ponthus dans une cité de Nanterre affirmait ainsi, à propos des émeutes de 2005 : « On a commencé par discuter de ce qu’il fallait pas brûler. Pas les voitures des gens, pas l’école, pas le centre commercial. On voulait s’attaquer à l’État. » De manière symptomatique, alors même que la volonté de s’en prendre à l’État est affirmée, l’école, pourtant l’institution publique qui maille l’ensemble du territoire, est mise de côté…

    Cela dit, et bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer l’ampleur du soulèvement actuel et répertorier ou cartographier précisément ce à quoi il s’attaque, il semble bien que les #équipements_publics soient particulièrement visés.

    Le seul ministère de l’éducation nationale a ainsi dénombré jeudi « une cinquantaine de structures scolaires impactées à des degrés divers » par les incidents survenus après la mort de #Nahel, aboutissant à la fermeture d’une « dizaine » d’entre elles, principalement dans les académies de Versailles, de Créteil et de Lille.

    Pour le sociologue Sebastian Roché, il y aurait même une distinction à faire à ce sujet entre aujourd’hui et l’automne 2005. Interrogé sur France Info jeudi 29 juin, il jugeait en effet que la révolte actuelle « était beaucoup plus tournée vers les #institutions_publiques », tandis que les émeutes de 2005 auraient en priorité visé « beaucoup plus les voitures », même si des attaques contre des institutions publiques – gymnases, crèches, bibliothèques – s’étaient alors produites.

    Le #livre sans doute le plus précis sur le sujet a été publié aux éditions Presses de l’Enssib en 2013 par le sociologue Denis Merklen et s’intitule Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ? (lire l’entretien que Mediapart avait conduit avec lui sur le sujet à l’occasion du dixième anniversaire des émeutes de 2005 : https://www.mediapart.fr/journal/france/021115/pourquoi-les-emeutiers-s-attaquent-aux-equipements-publics). Le chercheur y montrait qu’environ 70 bibliothèques avaient été incendiées en France entre 1996 et 2013, et que 2005 ne constituait pas une scène inédite ou inaugurale.

    Toutefois, soulignait #Denis_Merklen à propos de ces attaques commises envers les institutions publiques, « leur interprétation a changé après les émeutes qui ont eu lieu en France cette année-là, sûrement comme conséquence de l’ampleur de la mobilisation. Auparavant, elles étaient perçues comme des actes irrationnels, nihilistes, on parlait alors de “#violences_urbaines” et pas encore d’émeutes. Pourquoi s’attaquer à une école maternelle ou à un gymnase ? Pourquoi les bénéficiaires détruisaient-ils ce qui leur était destiné ? Ce n’était pas compréhensible. La plupart des lectures en faisaient la manifestation d’un déficit, voire d’une absence de #socialisation_politique. »

    Cette interprétation « nihiliste » demeure active dans certains secteurs de la société et du champ politique. Elle est propre à une manière de regarder les #marges de la ville-centre comme une zone peuplée de populations « ensauvagées », incapables de respecter le #bien_commun ou même de distinguer leur propre intérêt.

    Le sociologue et anthropologue #Jérôme_Beauchez, professeur à l’université de Strasbourg, a tout récemment retracé l’histoire longue de ce regard négatif dans un livre intitulé Les Sauvages de la civilisation. Regards sur la Zone, d’hier à aujourd’hui, publié par les éditions Amsterdam l’an dernier.

    Toutefois, même lorsque n’est pas entonné le refrain de la nécessaire remise en ordre d’un monde prétendument décivilisé à coups de renforts policiers, de couvre-feux ou d’états d’urgence, la dimension politique des attaques contre les institutions politiques demeure encore parfois déniée. Lorsque les institutions publiques visées sont des écoles ou des centres d’action sociale, mais aussi quand ceux qui les visent n’appartiennent pas à des organisations référencées et sont en outre le plus souvent cagoulés et racisés.

    À l’inverse, lorsque le mouvement poujadiste s’en était pris à des centres des impôts, lorsque des militants de la FNSEA ont attaqué manu militari des préfectures ou lorsque des marins-pêcheurs ont incendié le Parlement régional de Bretagne en février 1994, la dimension politique du geste a été immédiatement lue comme telle. Ce n’est donc pas la violence en elle-même qui distinguerait le bon grain politique de l’ivraie et de l’ivresse émeutières.

    Pour Denis Merklen, le ciblage des institutions publiques lors d’épisodes de #soulèvements_urbains est bien de nature politique, et même en quelque sorte au carré. « Aujourd’hui, affirme-t-il, les chercheurs en sciences sociales – sociologues, politistes, anthropologues – sont d’accord pour y voir au contraire un geste éminemment politique. Pourquoi cela ? Parce que les personnes vivant dans les quartiers populaires, plus que les autres, sont en contact permanent avec des institutions publiques pour résoudre les problèmes de leur vie quotidienne. S’en prendre à elles est une manière de signifier ce face-à-face. Ce n’est pas un déficit de #politisation, mais un changement dans la #politicité_populaire – c’est-à-dire de la manière de faire de la politique par les catégories populaires – par la #territorialisation des #conflits_sociaux. »

    Pour le sociologue, les émeutiers manifestent ainsi « le conflit dans lequel ils sont pris quotidiennement. Aux guichets des administrations, lieu principal des interactions, les #exclusions et les difficultés d’accès prennent la forme d’un #mépris fortement ressenti ».

    L’anthropologue #Alain_Bertho, professeur émérite à l’université Paris VIII, a consacré une grande partie de son travail aux #émeutes_urbaines, en France et à l’étranger, pour comprendre la mondialisation de ce vocabulaire de la protestation et en repérer les formes nationales ou locales. Il en a tiré deux ouvrages, Le Temps des émeutes, publié chez Bayard en 2009, puis Les Enfants du chaos, paru à La Découverte en 2016.

    Dans ces deux ouvrages, le chercheur insiste, lui aussi, pour prendre en compte la dimension politique des émeutes, précisément quand celle-ci est parfois occultée par le fait que ces soulèvements n’empruntent pas les voies de la politique institutionnelle, ni celles de la geste révolutionnaire qui vise les lieux incarnant le pouvoir en majesté, et non un gymnase ou l’antenne d’un centre de sécurité sociale.

    Il y a eu un débat en 2005, nous expliquait Alain Bertho au moment du soulèvement des « gilets jaunes », « sur la question de savoir si ces émeutes étaient un mouvement politique, proto-politique ou apolitique. La réponse que m’ont donnée ceux qui avaient alors brûlé des voitures est restée gravée dans ma tête : “Non, ce n’est pas politique, mais on voulait dire quelque chose à l’État.” Comment dire de façon plus claire que la politique partisane et parlementaire, à leurs yeux, ne servait à rien pour dire quelque chose à l’État ? ».

    Dans ce même entretien, Alain Bertho insistait également sur la nécessité d’être « attentif au répertoire d’action qu’est le langage de l’émeute », faisant une distinction notamment entre les émeutes avec et sans #pillage.

    Dans ce répertoire d’action en réalité pluriel de l’émeute, parfois masqué par les images répétitives des fumées et des affrontements, les attaques visant des équipements publics tiennent une place spécifique et paradoxale.

    Cependant, le #paradoxe n’est sans doute pas seulement celui qui se formule d’ores et déjà à large échelle, dans des micro-trottoirs se demandant pourquoi certains jeunes attaquent des institutions censées les et leur servir, ou même dans la bouche de chercheurs, à l’instar de #Sebastian_Roché jugeant, toujours sur France Info, qu’on assiste en ce moment à un « #désespoir que les populations retournent contre elles-mêmes ».

    Il réside aussi dans ce que souligne Denis Merklen, à savoir que, pour les personnes vivant dans les quartiers populaires, « les #services_publics sont leur seul recours pour leurs besoins les plus élémentaires, liés à l’éducation, à la santé, au transport, au logement, à l’énergie et à la culture. Quasiment tous les aspects de leur vie quotidienne sont entre les mains d’institutions publiques. C’est une situation paradoxale, car cela tient aussi à la solidité et à la pénétration de notre État social qui assure tant bien que mal des filets solides de protection ».

    Ces filets de protection sont certes moins nombreux et solides aujourd’hui qu’il y a dix ans, en raison du délitement des services publics, mais il n’en reste pas moins qu’une spécificité des soulèvements urbains en France, par rapport à d’autres pays, est de viser les institutions publiques, en partie parce qu’il existe – ou existait – encore un #espoir en leur effectivité et efficacité.

    C’est en tout cas ce qui ressortait de l’ouvrage codirigé par les sociologues #Hugues_Lagrange et #Marco_Oberti l’année suivant les émeutes de 2005, intitulé Émeutes urbaines et protestations et publié aux Presses de Sciences Po. Le livre collectif proposait notamment une comparaison entre les situations italienne et britannique en rappelant que la société française se « caractérise par un État centralisé, de puissants services publics, une référence forte à la laïcité, une immigration ancienne liée à une histoire coloniale et à une décolonisation douloureuses ».

    Pour les directeurs de cet ouvrage, la comparaison internationale des protestations urbaines conduisait à un « étrange paradoxe. La plus grande efficacité de la société française à lutter contre les inégalités sociales et à assurer une meilleure protection sociale produit simultanément un fort sentiment d’#exclusion, surtout dans les quartiers populaires et immigrés les plus ségrégués ».

    D’autant qu’à lire Hugues Lagrange et Marco Oberti, les Français, contrairement aux Britanniques, étaient « équipés de lunettes construites pour ne pas voir cette #ségrégation_ethnique ». Une situation largement liée à une pensée de la République et une #organisation_territoriale de ses services publics qui, à force de vouloir être « #colour_blind », s’avèrent aveugles aux #discriminations_ethnoraciales que leurs propres institutions publiques peuvent pourtant reproduire.

    C’est évidemment le cas avec cette institution particulière qu’est la #police, comme l’avait déjà montré le sociologue #Didier_Fassin dans son ouvrage La Force de l’ordre, qui explorait le #racisme présent à l’intérieur de certaines unités de la #BAC en particulier et l’éloignement croissant entre les #forces_de_l’ordre et les habitant·es des quartiers populaires de façon plus générale.


    Mais c’est aussi vrai d’institutions qui ont, au contraire, tenté de réduire la distance entre les institutions et les populations auxquelles elles s’adressent. Concernant le cas particulier des #bibliothèques, Denis Merklen notait ainsi qu’elles « ont fait un immense travail de réflexion autocritique. Elles ont renouvelé leurs approches ; elles se sont ouvertes ».

    Mais, poursuivait-il, elles ne peuvent, pas plus qu’aucun service public pris isolément, « résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posent dans ces quartiers », en raison « de la situation catastrophique du marché du travail » qui fait que « beaucoup d’habitants ne peuvent plus compter sur leur salaire » et n’ont plus que les services publics – et non plus les employeurs - comme interlocuteurs de leur situation sociale. Ce qui peut amener à détruire une salle des fêtes plutôt que séquestrer un patron…

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/290623/pourquoi-les-services-publics-sont-pris-pour-cible
    #quartiers_populaires #France #émeutes #sciences_sociales #SHS #ressources_pédagogiques #banlieues #violence
    ping @cede

    • « Pourquoi ont-ils brûlé les écoles ? »

      Pourquoi s’attaquer à l’école, laquelle est le plus grand symbole de l’égalité, un sanctuaire du savoir
      Et, c’est gratuit ! Ils se pénalisent eux-mêmes !
      Comme ils sont bêtes et barbares dans les quartiers !

      Si c’était plus compliqué  ?

      L’école est sans doute la première institution marquant les jeunesses populaires (des banlieues) en appliquant une domination, une ségrégation, une violence.
      Sûrement même avant celle de la police.
      Derrière un idéal et des valeurs théoriques, on ne peut nier l’effet de l’école.

      Quand l’école transforme l’inégalité sociale en inégalités scolaires, quand l’école humilie les familles et les élèves.
      Quand on forme des ghettos scolaires et que l’école n’offre pas de bonnes perspectives.

      La gauche quinoa ne comprend pas
      « il faut s’attaquer aux méchantes banques qui ont refusé mon deuxième crédit ! »
      Mais, l’école est aussi un lieu d’exclusion et de répression pour une partie de la population.

      Dans
      « Quand les banlieues brûlent Retour sur les émeutes de novembre 2005. »

      Laurent Ott écrit un texte assez intéressant.
      J’ai le pdf si besoin.

      Une école qui brûle ce n’est pas bien. Je le précise quand même.
      Mais, ce n’est sans doute pas un acte qui sort de nulle part et qui peut s’expliquer calmement.
      Sans l’encourager, je précise encore.

      https://www.cairn.info/quand-les-banlieues-brulent--9782707152176-page-126.htm

      https://twitter.com/Banlieuedeprof/status/1674813901874114560

    • Pourquoi les émeutiers s’en prennent-ils aux services publics ?

      À chaque émeute urbaine que la France connaît depuis maintenant près de quatre décennies, les symboles de l’État et les équipements collectifs semblent concentrer la colère d’une partie de la jeunesse des quartiers concernés. Cette situation suscite d’autant plus d’interrogations que des moyens significatifs ont été consacrés à la rénovation des banlieues françaises dans le cadre de la politique de la ville, en particulier depuis le début des années 2000. Cet article apporte des éléments de réponses à ce paradoxe apparent, en montrant que le besoin de participation et de reconnaissance des habitants reste peu pris en compte par les pouvoirs publics et explique largement le ressentiment d’une frange de la population.

      https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2017-3-page-631.html

    • Emeutes urbaines : « Ce qu’elles révèlent, ce n’est pas tant l’échec de la politique de la ville que celui de toutes les politiques publiques »

      Les crédits de la #politique_de_la_ville ont toujours été limités et ne compensent pas l’inégale allocation des budgets affectés au logement, à l’emploi, à la santé ou à la sécurité, qui s’opère au détriment des quartiers défavorisés, rappelle le sociologue #Renaud_Epstein, dans une tribune au « Monde ».

      Depuis le début des années 1980, les vagues émeutières embrasant les quartiers populaires s’accompagnent de controverses interprétatives enflammées dans les médias. Les explications proposées ont varié au fil du temps, mais un argument traverse les décennies qui semble faire consensus chez tous les commentateurs : l’émeute marquerait l’échec de la politique de la ville. La politique ainsi mise en cause a pourtant connu d’importantes évolutions au cours des quarante dernières années, le plus souvent à la suite d’épisodes émeutiers. Si échec de la politique de la ville il y a, ce n’est pas la même politique qui a échoué au début des années 1990, en 2005 ou aujourd’hui.

      Le jugement d’échec semble d’autant plus incontestable en 2023 que l’Etat aurait mobilisé, depuis une quinzaine d’années, des budgets considérables pour les quartiers populaires. Les annonces récurrentes d’un nouveau « plan banlieue » ont pu donner crédit à cette idée d’une politique de la ville richement dotée. Bien que ces annonces soient le plus souvent restées des annonces, elles ont ouvert la voie à la dénonciation des « milliards pour les banlieues », au profit de populations qui ne le mériteraient pas.

      Portée par des entrepreneurs de fracture sociale, cette critique a été d’autant plus ravageuse qu’elle s’est prolongée par une mise en concurrence des souffrances territoriales, opposant les quartiers défavorisés des métropoles et une « France périphérique » aux contours flous mais dont la couleur est claire. Les premiers bénéficieraient d’une discrimination positive, au détriment des villes moyennes, des espaces périurbains et des territoires ruraux, dont les populations sont pourtant durement affectées par les recompositions industrielles et la précarisation de l’emploi, les politiques d’austérité et les fermetures de services publics, ainsi que par l’augmentation du coût de la vie.

      La critique de l’inefficacité se mue alors en une mise en cause de la légitimité même de la politique de la ville, illustrée par cette formule qui fait florès à l’extrême droite : on déshabille la « France périphérique » pour habiller celle qui vit de l’autre côté du périph.

      (#paywall)

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/06/emeutes-urbaines-ce-qu-elles-relevent-ce-n-est-pas-tant-l-echec-de-la-politi

      déjà signalé sur seenthis :
      https://seenthis.net/messages/1008999

  • #Bien-être : « Tant qu’on utilisera le #yoga pour être en forme au #travail, on aura un problème »

    Loin de nous apporter le bonheur promis, la sphère bien-être perpétue un système nuisible qui ne peut que nous rendre malheureux. Interview de #Camille_Teste.

    Huiles essentielles, massages et salutations au soleil promettent de nous changer de l’intérieur, et le monde avec. À tort ? C’est le sujet de l’essai Politiser le bien-être (https://boutique.binge.audio/products/politiser-le-bien-etre-camille-teste) publié en avril dernier chez Binge Audio Editions. Selon l’ex-journaliste Camille Teste, non seulement nos petits gestes bien-être ne guériront pas les maux de nos sociétés occidentales, mais ils pourraient même les empirer. Rassurez-vous, Camille Teste, aujourd’hui professeur de yoga, ne propose pas de bannir les sophrologues et de brûler nos matelas. Elle nous invite en revanche à prendre conscience du rôle que jouent les pratiques de bien-être, celui de lubrifiant d’un système capitaliste. Interview.

    Le bien-être est la quête individuelle du moment. C’est aussi un #business : pouvez-vous préciser les contours de ce #marché ?

    Camille Treste : La sphère bien-être recouvre un marché très vaste qualifiant toutes les pratiques dont l’objectif est d’atteindre un équilibre dit « intégral », c’est-à-dire psychologique, physique, émotionnel, spirituel et social, au sens relationnel du terme. Cela inclut des pratiques esthétiques, psychocorporelles (yoga, muscu...), paramédicales (sophrologie, hypnose...) et spirituelles. En plein boom depuis les années 90, la sphère bien-être s’est démultipliée en ligne dans les années 2010. Cela débute sur YouTube avec des praticiens et coachs sportifs avant de s’orienter vers le développement personnel, notamment sur Instagram. Rappelons que le milieu est riche en complications, entre dérives sectaires et arnaques financières : par exemple, sous couvert d’élévation spirituelle, certains coachs autoproclamés vendent très cher leurs services pour se former... au #coaching. Un phénomène qui s’accélère depuis la pandémie et s’inscrit dans une dynamique de vente pyramidale ou système de Ponzi.

    Pourquoi la sphère bien-être se tourne-t-elle autant vers les cultures ancestrales ?

    C. T : Effectivement, les thérapies alternatives et les #néospiritualités ont volontiers tendance à picorer dans des pratiques culturelles asiatiques ou latines, comme l’Ayurveda née en Inde ou la cérémonie du cacao, originaire d’Amérique centrale. Ce phénomène relève aussi bien d’un intérêt authentique que d’une #stratégie_marketing. Le problème, c’est que pour notre usage, nous commercialisons et transformons des pratiques empruntées à des pays dominés, colonisés ou anciennement colonisés avant de le leur rendre, souvent diluées, galvaudées et abîmées, ce qu’on peut qualifier d’#appropriation_culturelle. C’est le cas par exemple des cérémonies ayahuasca pratiquées en Amazonie, durant lesquelles la concoction hallucinogène est originellement consommée par les chamanes, et non par les participants. Pourquoi cette propension à se servir chez les autres ? Notre culture occidentale qui a érigé la #rationalité en valeur suprême voit d’un mauvais œil le pas de côté spirituel. Se dissimuler derrière les pratiques de peuples extérieurs à l’Occident procure un #alibi, une sorte de laissez-passer un peu raciste qui autorise à profiter des bienfaits de coutumes que l’on ne s’explique pas et de traditions que l’on ne comprend pas vraiment. Il ne s’agit pas de dire que les #pratiques_spirituelles ne sont pas désirables, au contraire. Mais plutôt que de nous tourner vers celles d’autres peuples, peut-être pourrions-nous inventer les nôtres ou renouer avec celles auxquelles nous avons renoncé avec la modernité, comme le #néodruidisme. Le tout évidemment, sans renoncer à la #médecine_moderne, à la #science, à la rationalité, et sans tomber dans un #traditionalisme_réactionnaire.

    Vous affirmez que la sphère bien-être est « la meilleure amie du #néolibéralisme. » Où est la connivence ?

    C. T : La #culture_néolibérale précède bien sûr l’essor de la sphère bien-être. Théorisée au début du 20ème siècle, elle s’insère réellement dans nos vies dans les années 80 avec l’élection de Reagan-Thatcher. Avant cette décennie, le capitalisme laissait de côté nos relations personnelles, l’amour, le corps : cela change avec le néolibéralisme, qui appréhende tout ce qui relève de l’#intime comme un marché potentiel. Le capitalisme pénètre alors chaque pore de notre peau et tous les volets de notre existence. En parallèle, et à partir des années 90, le marché du bien-être explose, et l’économiste américain Paul Zane Pilzer prédit à raison qu’au 21ème siècle le marché brassera des milliards. Cela a été rendu possible par la mécanique du néolibéralisme qui pose les individus en tant que petites entreprises, responsables de leur croissance et de leur développement, et non plus en tant que personnes qui s’organisent ensemble pour faire société et répondre collectivement à leurs problèmes. Peu à peu, le néolibéralisme impose à grande échelle cette culture qui nous rend intégralement responsable de notre #bonheur et de notre #malheur, et à laquelle la sphère bien-être répond en nous gavant de yoga et de cristaux. Le problème, c’est que cela nous détourne de la véritable cause de nos problèmes, pourtant clairement identifiés : changement climatique, paupérisation, système productiviste, réformes tournées vers la santé du marché et non vers la nôtre. Finalement, la quête du bien-être, c’est le petit #mensonge que l’on se raconte tous les jours, mensonge qui consiste à se dire que cristaux et autres cérémonies du cacao permettent de colmater les brèches. En plus d’être complètement faux, cela démantèle toujours plus les #structures_collectives tout en continuant d’enrichir l’une des vaches à lait les plus grasses du capitalisme.

    Il semble que le #collectif attire moins que tout ce qui relève l’intime. Est-ce un problème d’esthétique ?

    C. T : La #culture_individualise née avec les Lumières promeut l’égalité et la liberté, suivie au 19ème et 20ème siècles par un effet pervers. L’#hyper-individualisme nous fait alors regarder le collectif avec de plus en plus d’ironie et rend les engagements – notamment ceux au sein des syndicats – un peu ringards. En parallèle, notre culture valorise énormément l’#esthétique, ce qui a rendu les salles de yoga au design soignées et les néospiritualités très attirantes. Récemment, avec le mouvement retraite et l’émergence de militants telle #Mathilde_Caillard, dite « #MC_danse_pour_le_climat » – qui utilise la danse en manif comme un outil de communication politique –, on a réussi à présenter l’#engagement et l’#organisation_collective comme quelque chose de cool. La poétesse et réalisatrice afro-américaine #Toni_Cade_Bambara dit qu’il faut rendre la résistance irrésistible, l’auteur #Alain_Damasio parle de battre le capitalisme sur le terrain du #désir. On peut le déplorer, mais la bataille culturelle se jouera aussi sur le terrain de l’esthétique.

    Vous écrivez : « La logique néolibérale n’a pas seulement détourné une dynamique contestataire et antisystème, elle en a fait un argument de vente. » La quête spirituelle finit donc comme le rock : rattrapée par le capitalisme ?

    C. T : La quête de « la meilleure version de soi-même » branchée sport et smoothie en 2010 est revue aujourd’hui à la sauce New Age. La promesse est de « nous faire sortir de la caverne » pour nous transformer en sur-personne libérée de la superficialité, de l’ego et du marasme ambiant. Il s’agit aussi d’un argument marketing extrêmement bien rodé pour vendre des séminaires à 3 333 euros ou vendre des fringues censées « favoriser l’#éveil_spirituel » comme le fait #Jaden_Smith avec sa marque #MSFTSrep. Mais ne nous trompons pas, cette rhétorique antisystème est très individualiste et laisse totalement de côté la #critique_sociale : le #New_Age ne propose jamais de solutions concrètes au fait que les plus faibles sont oppressés au bénéfice de quelques dominants, il ne parle pas de #lutte_des_classes. Les cristaux ne changent pas le fait qu’il y a d’un côté des possédants, de l’autre des personnes qui vendent leur force de travail pour pas grand-chose. Au contraire, il tend à faire du contournement spirituel, à savoir expliquer des problèmes très politiques – la pauvreté, le sexisme ou le racisme par exemple – par des causes vagues. Vous êtes victime de racisme ? Vibrez à des fréquences plus hautes. Votre patron vous exploite ? Avez-vous essayé le reiki ?

    Le bien-être est-il aussi l’apanage d’une classe sociale ?

    C. T : Prendre soin de soi est un #luxe : il faut avoir le temps et l’argent, c’est aussi un moyen de se démarquer. Le monde du bien-être est d’ailleurs formaté pour convenir à un certain type de personne : blanche, mince, aisée et non handicapée. Cela est particulièrement visible dans le milieu du yoga : au-delà de la barrière financière, la majorité des professeurs sont blancs et proposent des pratiques surtout pensées pour des corps minces, valides, sans besoins particuliers.

    Pensez notre bien-être personnel sans oublier les intérêts du grand collectif, c’est possible ?

    C. T : Les espaces de bien-être sont à sortir des logiques capitalistes, pas à jeter à la poubelle car ils ont des atouts majeurs : ils font partie des rares espaces dédiés à la #douceur, au #soin, à la prise en compte de nos #émotions, de notre corps, de notre vulnérabilité. Il s’agit tout d’abord de les transformer pour ne plus en faire un bien de consommation réservé à quelques-uns, mais un #bien_commun. C’est ce que fait le masseur #Yann_Croizé qui dans son centre masse prioritairement des corps LGBTQI+, mais aussi âgés, poilus, handicapés, souvent exclus de ces espaces, ou la professeure de yoga #Anaïs_Varnier qui adapte systématiquement ses cours aux différences corporelles : s’il manque une main à quelqu’un, aucune posture ne demandera d’en avoir deux durant son cours. Je recommande également de penser à l’impact de nos discours : a-t-on vraiment besoin, par exemple, de parler de féminin et de masculin sacré, comme le font de nombreux praticiens, ce qui, en plus d’essentialiser les qualités masculines et féminines, est très excluant pour les personnes queers, notamment trans, non-binaires ou intersexes. Il faut ensuite s’interroger sur les raisons qui nous poussent à adopter ces pratiques. Tant que l’on utilisera le yoga pour être en forme au travail et enrichir des actionnaires, ou le fitness pour renflouer son capital beauté dans un système qui donne plus de privilèges aux gens « beaux », on aura un problème. On peut en revanche utiliser le #yoga ou la #méditation pour réapprendre à ralentir et nous désintoxiquer d’un système qui nous veut toujours plus rapides, efficaces et productifs. On peut utiliser des #pratiques_corporelles comme la danse ou le mouvement pour tirer #plaisir de notre corps dans un système qui nous coupe de ce plaisir en nous laissant croire que l’exercice physique n’est qu’un moyen d’être plus beau ou plus dominant (une idée particulièrement répandue à l’extrême-droite où le muscle et la santé du corps servent à affirmer sa domination sur les autres). Cultiver le plaisir dans nos corps, dans ce contexte, est hautement subversif et politique... De même, nous pourrions utiliser les pratiques de bien-être comme des façons d’accueillir et de célébrer nos vulnérabilités, nos peines, nos hontes et nos « imperfections » dans une culture qui aspire à gommer nos failles et nos défauts pour nous transformer en robots invulnérables.

    https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/bien-etre-tant-quon-utilisera-le-yoga-pour-etre-en-forme-au-travail-on-aura-un-
    #responsabilité

    voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/817228

  • #David_Van_Reybrouck : « Il existe une forme de #colonisation de l’avenir »

    Dix ans après l’épais « Congo, une histoire », l’historien flamand déploie une histoire de la #décolonisation de l’#Indonésie. Entretien sur la #mémoire_coloniale, la #révolution et l’#héritage du #non-alignement forgé lors de la #conférence_de_Bandung en 1955.

    « Ce qui rend la Revolusi indonésienne passionnante, c’est l’énorme impact qu’elle a eu sur le reste de l’humanité : non seulement sur la décolonisation d’autres pays, mais plus encore sur la coopération entre tous ces nouveaux États. »

    David Van Reybrouck, écrivain et essayiste, auteur notamment de Congo, une histoire (prix Médicis Essai 2012), de Contre les élections ou de Zinc est un touche-à-tout obsédé par la volonté d’élargir sans cesse le spectre et le registre des expériences, qu’il s’agisse de promouvoir des innovations démocratiques ou des manières d’écrire l’histoire.

    Pour rédiger Revolusi. L’Indonésie et la naissance du monde moderne, que viennent de publier les éditions Actes Sud dans une traduction d’Isabelle Rosselin et Philippe Noble, David Van Reybrouck a mené près de deux cents entretiens dans près d’une dizaine de langues, et fait un usage inédit de Tinder, s’en servant non comme d’une application de rencontres mais comme un moyen de contacter les grands-parents de celles et ceux qui voulaient bien « matcher » avec lui dans tel ou tel espace du gigantesque archipel indonésien.

    Le résultat de cinq années de travail fait plus de 600 pages et remonte une histoire mal connue, d’autant que les Pays-Bas ont longtemps mis un écran entre leur monde et la violence du passé colonial de leur pays, mis en œuvre non pas par la Couronne ou le gouvernement lui-même mais par la VOC, la Compagnie Unie des Indes orientales, parce que « l’aventure coloniale néerlandaise n’a pas commencé par la soif de terres nouvelles, mais par la recherche de saveurs ».

    Cela l’a mené à la rencontre d’un géant démographique méconnu, et à une mosaïque politique et linguistique inédite, puisqu’un terrien sur 27 est indonésien, et que 300 groupes ethniques différents y parlent 700 langues. Entretien sur la mémoire coloniale, la révolution et l’héritage du non-alignement forgé lors de la conférence de Bandung en 1955.

    Mediapart : Zinc racontait le destin des plus petites entités territoriales et démographiques du monde. À l’inverse, votre dernier ouvrage déroule une copieuse histoire de l’Indonésie, fondée sur de très nombreux entretiens oraux. Pourquoi l’Indonésie demeure-t-elle pour nous un « géant silencieux », pour reprendre vos termes ?

    David Van Reybrouck : L’Indonésie est devenue un pays invisible, alors qu’il y a encore une soixantaine d’années, elle dominait la scène internationale, surtout après la conférence de Bandung de 1955 [qui réunissait pour la première fois les représentants de 29 pays africains et asiatiques - ndlr], qu’on peut qualifier de « 14-Juillet » à l’échelle mondiale.

    Sukarno, son président, était alors reçu à Washington, au Vatican, en Chine. Comment un pays aussi central dans les années 1940-1950 a-t-il pu devenir aussi invisible, alors qu’il demeure la quatrième puissance au monde, par sa démographie, et qu’il est devenu un acteur économique essentiel en Asie du Sud-Est ?

    J’ai l’impression que plus son économie devient importante, plus sa diplomatie devient discrète. C’est une grande démocratie qui, pour sa taille, se porte bien si on la compare à l’Inde ou même aux États-Unis, même s’il y a des tensions, notamment entre l’État laïc et l’État musulman, comme en Turquie.

    L’importance de l’Indonésie au sortir de la guerre était aussi liée à la figure de Sukarno, atypique dans le paysage politique indonésien : flamboyant, charismatique, charmeur, vaniteux, insupportable, brillant. Il me fait penser à Mohamed Ali en raison de la vitesse à laquelle il débitait ses mots. Il pouvait enthousiasmer l’audience.

    Le président actuel, Joko Widodo, surnommé Jokowi, est compétent, mais il a la particularité d’être un petit commerçant n’appartenant ni à l’élite traditionnelle ni à celle qui s’est forgée pendant et après l’indépendance.

    Pourquoi avoir choisi de raconter l’émancipation de l’Indonésie, dix ans après votre somme sur le « Congo » ?

    Pour des raisons à la fois subjectives et objectives. C’est un pays immense dont on ne parle jamais, le premier pays à avoir proclamé son indépendance, deux jours après la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais cela demeure peu connu, même les Indonésiens ne s’en vantent pas.

    J’étais encore au Congo en train de faire mes recherches dans une petite ville proche de l’océan lorsque j’ai rencontré un bibliothécaire de l’époque coloniale qui n’avait plus que 300 livres en flamand. Parmi eux se trouvait Max Haavelar, le grand roman anticolonial hollandais du XIXe siècle – l’équivalent de Moby Dick ou de La Case de l’Oncle Tom –, écrit par Eduard Douwes Dekker, dit Multatuli, un pseudonyme emprunté au latin qui signifie « J’ai beaucoup supporté ». Le roman est écrit à partir de son expérience de fonctionnaire envoyé aux Indes néerlandaises, où il découvre l’exploitation coloniale dans la culture du café.

    À partir de ce point de départ, j’avais gardé en tête l’idée de m’intéresser à l’Indonésie, d’autant que le roi belge Léopold II s’est beaucoup inspiré de la colonisation hollandaise, notamment du principe d’utiliser l’aristocratie indigène pour mener une politique de domination indirecte. Max Havelaar dépeint d’ailleurs très bien la corruption de l’élite indigène qui exploite son propre peuple.

    Pourquoi insister sur l’idée de révolution plutôt que celle de « guerre d’indépendance » pour désigner ce qui s’est déroulé en Indonésie en 1945 ?

    Ce fut à la fois une révolution et une guerre d’indépendance. La proclamation d’indépendance, le 17 août 1945, n’a pas été jugée crédible par les Occidentaux, et les Britanniques ont cru pouvoir reprendre le contrôle du territoire et le redonner aux Hollandais. Mais cela a provoqué une colère immense de la jeunesse indonésienne, dont j’ai retrouvé des témoins qui racontent une expérience particulièrement humiliante et répressive de la colonisation britannique dans les années 1930.

    Lorsque les Japonais arrivent en Indonésie en 1942, ils commencent par donner à cette jeunesse une leçon de fierté. Ils politisent les jeunes générations à travers des slogans, des entraînements de gymnastique, des films, des affiches… À partir de 1943, cette politisation se militarise, et les jeunes apprennent à manier les armes, à faire d’une tige de bambou verte une arme blanche.

    Mais les nonagénaires que j’ai interviewés, qui avaient pu au départ accueillir les Japonais avec reconnaissance, virent ensuite leurs pères emmenés de force comme travailleurs, des millions de personnes mourir de la famine en 1944, leurs sœurs et leurs mères enlevées pour les troupes japonaises pour devenir « des femmes de réconfort ».

    La sympathie initiale pour les Japonais s’est retournée contre eux, et la guerre d’indépendance contre les colons a ainsi pris l’air d’une révolution comparable à la Révolution française, mais menée par des personnes beaucoup plus jeunes. La volonté de renverser le régime était présente d’emblée. Alors que Sukarno était encore en train de négocier avec les Japonais, ce sont les plus jeunes qui l’ont poussé à proclamer l’indépendance sans attendre, avec une certaine improvisation et un drapeau indonésien cousu par sa femme la veille…

    Très vite, on a établi les ébauches de ce nouvel État. Début septembre, les Britanniques arrivent. Les Hollandais sont toujours dans les camps d’internement du Japon, ou alors partis en Australie ou au Sri Lanka. Les Britanniques assurent préparer le retour, désarmer les Japonais. Un premier bateau arrive, puis un deuxième, avec quelques officiers hollandais à bord et des parachutistes pour aller dans les camps d’internement des Japonais.

    Comme souvent dans les révolutions, celle-ci a eu sa part de violence, avec des atrocités commises envers les Indo-Européens, les Chinois et les Hollandais détenus dans les camps par les Japonais, et un bilan total qu’on a longtemps estimé à 20 000 morts, mais que certains estiment aujourd’hui plutôt autour de 6 000.

    Vous avez rencontré des survivants des massacres commis par les Hollandais. Beaucoup vous ont dit : « Vous êtes le premier Blanc à venir nous interroger. » Est-ce que cela vous a questionné ?

    J’ai interviewé presque 200 personnes, la plupart avaient au-delà de 90 ans. J’ai passé un an sur le terrain, même si ça n’était pas d’un bloc. Pour mon livre Congo, j’avais onze cahiers d’entretiens. Là, j’en avais 28. Je me suis retrouvé avec une documentation extrêmement riche. Il fallait organiser tout cela avec des résumés des entretiens, des schémas pour les axes chronologiques, les protagonistes, les figurants…

    Personne n’a refusé de témoigner et j’étais assez étonné de ce qui s’est dévoilé. La plupart des témoins parlent plus facilement des moments où ils étaient victimes que bourreaux, mais j’ai retrouvé des Hollandais et des Indonésiens qui n’hésitaient pas à décrire en détail les tortures qu’ils avaient eux-mêmes commises.

    J’avais la crainte qu’on juge que ce n’était pas à un Blanc de raconter cette histoire, mais j’avais la facilité de pouvoir dire que j’étais belge. Beaucoup de mes témoins ne connaissaient pas la Belgique. La différence aussi est que le souvenir du passé colonial est peut-être moins vif en Indonésie qu’au Congo, qui demeure dans une situation économique pénible. Même si l’Indonésie est un pays pauvre, il se trouve dans une dynamique positive.

    Comment la mémoire du passé colonial est-elle organisée en Indonésie et aux Pays-Bas ?

    Je suis frappé par le talent de l’oubli de la mémoire coloniale indonésienne. Nous, nous sommes obsédés par le passé. C’est important de le travailler, d’avoir une introspection morale, mais il faut aussi le laisser cicatriser pour avancer. Le livre se termine avec l’idée que le rétroviseur n’est pas le seul champ de vision à explorer.

    Souvent les traumatismes sont trop grands, la souffrance est encore trop forte, mais il existe aussi un conditionnement culturel différent. Pour la jeune génération indonésienne, l’époque coloniale est révolue. On trouve des cafés à Djakarta décorés dans un style colonial. Il y a en quelque sorte une appropriation culturelle du passé colonial, qui se voit lors de la fête de l’Indépendance, où il existe un folklore inspiré de la Hollande mais où personne ne parle de ce pays.

    Un sondage de YouGov, commandé par les Britanniques, a récemment cherché à savoir quelle était la nation la plus fière de son passé colonial. Les Britanniques, qui ont encore des colonies, pensaient que ce serait eux. Et, à leur grande surprise et soulagement, ce sont les Hollandais qui remportent haut la main ce triste concours de mémoire coloniale ! Plus de 50 % des sondés hollandais sont fiers du passé colonial, et seulement 6 % expriment de la honte…

    Ces dernières années, il y a cependant eu une accélération aux Pays-Bas de la mise en mémoire du passé colonial avec des excuses du roi, du premier ministre, une exposition au Rijksmuseum d’Amsterdam…

    Mais cette histoire demeure largement ignorée. Ma compagne est hollandaise, mais s’étonnait chaque soir de ce que je lui racontais et qui ne lui avait pas été enseigné, comme l’existence d’un véritable « goulag » où étaient envoyés, dans les années 1920-1930, les indépendantistes et les communistes, ou le fait que la Hollande exigeait des milliards de florins pour reconnaître l’indépendance et payer le coût de la guerre qu’elle avait perdue…

    Le non-alignement, qu’on a vu ressurgir au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a-t-il le même sens qu’en 1955 ? On voit comment il peut tendre à se confondre avec un refus de prendre la mesure de l’impérialisme russe. Vous semble-t-il malgré cela une position d’avenir ?

    Je trouve que nous assistons là à une perversion du mouvement du non-alignement. L’esprit de Bandung consiste à refuser l’impérialisme et constitue un mouvement moral fondé sur les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Si n’être pas aligné aujourd’hui, c’est ne pas s’exprimer sur la Russie, un Nehru, un Nasser ou un Mandela ont de quoi se retourner dans leur tombe. Le non-alignement est un idéalisme géopolitique, pas la somme de calculs économiques.

    Vous écrivez : « Même si nous parvenons un jour à apurer complètement le passif du colonialisme d’antan, nous n’aurons encore rien fait pour enrayer la colonisation dramatique à laquelle nous nous livrons aujourd’hui, celle de l’avenir. L’humanité confisque le siècle à venir avec la même rigueur impitoyable dont elle fit preuve aux temps anciens pour s’approprier des continents entiers. Le colonialisme est un fait non plus territorial, mais temporel. » Solder les comptes du colonialisme est-il une priorité si on veut faire face collectivement à un défi qui se situe à l’échelle planétaire ?

    Le passé est une plaie qu’on a très mal guérie, pas seulement dans le Sud. Elle continue à ternir ou à influencer les rapports entre Nord et Sud. Il faut s’occuper de cette plaie, d’autant plus qu’elle est toujours grande ouverte, comme le montre une carte des pays les plus vulnérables au changement climatique qui est superposable à celle des anciens pays colonisés. Ce qui se joue avec le changement climatique, ce n’est pas un ours polaire sur une banquise qui fond, c’est d’abord ce qui arrive aux peuples du Sud. Quand on parle de colonialisme, on pense en premier lieu au passé, mais il existe une forme de colonisation de l’avenir qui est menée par les mêmes pays qui ont été les acteurs du colonialisme du passé. Il est faux de dire que c’est l’humanité en général qui est responsable du changement climatique, les responsabilités ne sont pas égales.

    Pourquoi écrivez-vous alors que « le quatrième pays du monde n’aurait jamais vu le jour sans le soutien d’adolescents et de jeunes adultes – encore que j’ose espérer que les jeunes activistes de la “génération climat” recourent à des tactiques moins violentes ». Ne faut-il pas une « revolusi » pour le climat ?

    J’ai travaillé sur ce livre au moment où le mouvement de Greta Thunberg faisait parler de lui. Il y avait un regard condescendant sur ces adolescents, les considérant comme une forme politique non sérieuse. Regardez pourtant ce que la jeunesse a fait en Indonésie. Si le pays en est là, c’est grâce aux jeunes, même si j’espère que Greta Thunberg ne va pas se saisir de lances en bambou !

    Je participe à différentes conventions sur le climat qui se déroulent mieux qu’en France, où la transmission vers le politique a été mal faite. Je pense qu’il faut plutôt penser à une désobéissance civile, qui relève d’abord pour moi d’une désobéissance fiscale. Au milieu du XIXe siècle, David Thoreau refuse de payer l’impôt dans l’État du Massachusetts à cause de l’esclavagisme et de la guerre contre le Mexique. Il a été arrêté au bout de six ans.

    Regardons le budget de nos États, et calculons quel pourcentage des dépenses de l’État belge ou hollandais va vers le secteur fossile. Si c’est 18 %, on enlève 18 % de nos impôts et on le met au pot commun. Quand les lois ne sont pas justes, il est juste de leur désobéir.

    Dans la longue liste de vos remerciements, vous remerciez un tableau, « Composition en noir » de Nicolas de Staël, c’est étrange, non ?

    Je remercie deux peintures, celle que vous évoquez et une d’Affandi, un peintre indonésien. J’étais en train d’écrire, je cherchais encore le bon registre pour décrire les atrocités, sans esquiver les détails, mais sans perdre de vue l’ensemble. J’ai une passion pour la peinture et les arts plastiques, qui me vient de ma mère, elle-même peintre. Je me trouvais donc à Zurich, en pleine écriture de mon livre, et je vois cette toile qui m’a montré le chemin, fait de noirceur, d’humanisme, de précision et de lueur aussi. Celle d’Affandi aussi, parce qu’elle était faite de violence et de joie. Il aurait été considéré comme un peintre majeur s’il avait été américain ou français.

    La forme originale, très personnelle de cet ouvrage, comme celui sur le Congo, interpelle. Vous humanisez une histoire abstraite en ayant recours à la non-fiction littéraire. Pourquoi ? Pour la rendre plus accessible ?

    Le discours sur le Congo est trop souvent un monologue eurocentrique. Je voulais rédiger un dialogue en donnant la parole aux Congolais, mais aussi en écoutant des Belges. Dans ce livre sur l’Indonésie, je ne vais pas seulement du monologue vers le dialogue, mais je tends vers la polyphonie. Je suis parti aussi au Japon ou au Népal. Il était important de montrer la dimension internationale de cette histoire et de ne pas la réduire aux rapports verticaux et en silo entre les anciennes métropoles et les anciennes colonies, d’où le sous-titre de l’ouvrage : « et la naissance du monde moderne ».

    https://www.mediapart.fr/journal/international/011022/david-van-reybrouck-il-existe-une-forme-de-colonisation-de-l-avenir
    #Pays-Bas #violence #passé_colonial #livre #Sukarno #guerre_d'indépendance #politisation #fierté #Japon #torture #oubli #appropriation_culturelle #plaie #colonisation_de_l'avenir #désobéissance_civile #désobéissance_fiscale

    ping @cede

    • #Revolusi. L’Indonésie et la naissance du monde moderne

      Quelque dix ans après "Congo", David Van Reybrouck publie sa deuxième grande étude historique, consacrée cette fois à la saga de la décolonisation de l’Indonésie - premier pays colonisé à avoir proclamé son indépendance, le 17 août 1945. Il s’agit pour lui de comprendre l’histoire de l’émancipation des peuples non européens tout au long du siècle écoulé, et son incidence sur le monde contemporain.
      Fidèle à la méthode suivie dès son premier ouvrage, l’auteur se met lui-même en scène au cours de son enquête, alternant sans cesse, et avec bonheur, exposé de type scientifique et “reportage” à la première personne – ce qui rend la lecture de l’ouvrage à la fois aisée et passionnante.

      https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/revolusi

  • Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-neuroscientifiques

    Des chercheurs en neurosciences et sociologie mettent en garde contre la thèse, qu’ils jugent scientifiquement infondée, selon laquelle une de nos #structures_cérébrales nous conditionnerait à surconsommer.

    Selon Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux #comportements_individuels déterminés par notre cerveau. Une structure, le striatum, piloterait par l’intermédiaire d’une #molécule_neurochimique, la #dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation, indiquaient-ils récemment dans un entretien au Monde.

    (#paywall)
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/07/pourquoi-detruit-on-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-scientifi

    –—

    Tribune longue :

    Dans un entretien croisé pour Le Monde, Thierry Ripoll et Sébastien Bohler présentent leur thèse commune, développée dans deux ouvrages récents et que Bohler avait résumée dans un ouvrage précédent sous le titre évocateur de « bug humain » : les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux comportements individuels déterminés par la structure même du cerveau. Précisément, le dogme de la croissance viendrait du striatum. Selon lui, cette structure cérébrale piloterait par l’intermédiaire d’une molécule neurochimique, la dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation. Ripoll reprend cette thèse à son compte, et il affirme que la décroissance économique, qu’il appelle de ses vœux pour limiter les catastrophes en cours, bute ainsi sur des limites psychobiologiques.

    Cette thèse est très forte et a des conséquences politiques très préoccupantes : la #nature_humaine, ou plus précisément notre #programmation_biologique, conditionnerait le champ des possibles concernant l’organisation socio-économique. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le #fonctionnement_cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de #décroissance ou de stabilité basés sur la #délibération_démocratique. Cela déresponsabilise également les individus[i] : leur #comportement destructeur de l’#environnement n’est « pas de leur faute » mais « celle de leur #striatum ». Une conséquence logique peut être la nécessité de changer notre nature, ce qui évoque des perspectives transhumanistes, ou bien des mesures autoritaires pour contraindre à consommer moins, solution évoquée explicitement par les deux auteurs. Les neurosciences et la #psychologie_cognitive justifient-elles vraiment de telles perspectives ?

    Nous souhaitons ici solennellement informer les lectrices et les lecteurs de la totale absence de fondement scientifique de cette thèse, et les mettre en garde contre ses implications que nous jugeons dangereuses. Ce message s’adresse également à ces deux auteurs que nous estimons fourvoyés, sans préjuger de leur bonne foi. Nous ne doutons pas qu’ils soient sincèrement et fort justement préoccupés des désastres environnementaux mettant en danger les conditions d’une vie décente de l’humanité sur Terre, et qu’ils aient souhaité mobiliser leurs connaissances pour aider à trouver des solutions. Les arguments déployés sont cependant problématiques, en particulier ceux relevant des neurosciences, notre domaine principal de compétence.

    Tout d’abord, le striatum ne produit pas de #dopamine (il la reçoit), et la dopamine n’est pas l’#hormone_du_plaisir. Le neuroscientifique #Roy_Wise, qui formula cette hypothèse dans les années 70, reconnut lui-même « je ne crois plus que la quantité de plaisir ressentie est proportionnelle à la quantité de dopamine » en… 1997. L’absence de « fonction stop » du striatum pour lequel il faudrait toujours « augmenter les doses » est une invention de #Bohler (reprise sans recul par #Ripoll) en contresens avec les études scientifiques. Plus largement, la vision localisationniste du xixe siècle consistant à rattacher une fonction psychologique (le #plaisir, le #désir, l’#ingéniosité) à une structure cérébrale est bien sûr totalement obsolète. Le fonctionnement d’une aire cérébrale est donc rarement transposable en termes psychologiques, a fortiori sociologiques.

    Rien ne justifie non plus une opposition, invoquée par ces auteurs, entre une partie de #cerveau qui serait « récente » (et rationnelle) et une autre qui serait « archaïque » (et émotionnelle donc responsable de nos désirs, ou « instinctive », concept qui n’a pas de définition scientifique). Le striatum, le #système_dopaminergique et le #cortex_frontal, régions du cerveau présentes chez tous les mammifères, ont évolué de concert. Chez les primates, dont les humains, le #cortex_préfrontal a connu un développement et une complexification sans équivalent. Mais cette évolution du cortex préfrontal correspond aussi à l’accroissement de ses liens avec le reste du cerveau, dont le système dopaminergique et le striatum, qui se sont également complexifiés, formant de nouveaux réseaux fonctionnels. Le striatum archaïque est donc un #neuromythe.

    Plus généralement, les données neuroscientifiques ne défendent pas un #déterminisme des comportements humains par « le striatum » ou « la dopamine ». Ce que montrent les études actuelles en neurosciences, ce sont certaines relations entre des éléments de comportements isolés dans des conditions expérimentales simplifiées et contrôlées, chez l’humain ou d’autres animaux, et des mesures d’activités dans des circuits neuronaux, impliquant entre autres le striatum, la dopamine ou le cortex préfrontal. Le striatum autocrate, dont nous serions l’esclave, est donc aussi un neuromythe.

    Par ailleurs, Bohler et Ripoll font appel à une lecture psycho-évolutionniste simpliste, en fantasmant la vie des êtres humains au paléolithique et en supposant que les #gènes codant pour les structures du cerveau seraient adaptés à des conditions de vie « primitive », et pas à celles du monde moderne caractérisé par une surabondance de biens et de possibles[ii]. Il y a deux problèmes majeurs avec cette proposition. Tout d’abord, les liens entre les gènes qui sont soumis à la sélection naturelle, les structures cérébrales, et les #comportements_sociaux sont extrêmement complexes. Les #facteurs_génétiques et environnementaux sont tellement intriqués et à tous les stades de développement qu’il est impossible aujourd’hui d’isoler de façon fiable des #déterminismes_génétiques de comportements sociaux (et ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé). Poser la surconsommation actuelle comme sélectionnée par l’évolution, sans données génétiques, est une spéculation dévoyée de la #psychologie_évolutionniste. Le second problème concerne les très faibles connaissances des modes d’#organisation_sociale des peuples qui ont vécu dans la longue période du paléolithique. Il n’existe pas à notre connaissance de preuves d’invariants ou d’un mode dominant dans leur organisation sociale. Les affirmations évolutionnistes de Bohler et Ripoll n’ont donc pas de statut scientifique.

    Il est toujours problématique de privilégier un facteur principal pour rendre compte d’évolutions historiques, quel qu’il soit d’ailleurs, mais encore plus quand ce facteur n’existe pas. Les sciences humaines et sociales montrent la diversité des modèles d’organisation sociale qui ont existé sur Terre ainsi que les multiples déterminismes socio-historiques de la « grande accélération » caractéristique des sociétés modernes dopées aux énergies fossiles. Non, toutes les sociétés n’ont pas toujours été tournées vers le désir de toujours plus, vers le progrès et la croissance économique : on peut même argumenter que la « religion du #progrès » devient dominante dans les sociétés occidentales au cours du xixe siècle[iii], tandis que le modèle de la #croissance_économique (plutôt que la recherche d’un équilibre) n’émerge qu’autour de la seconde guerre mondiale[iv]. Invoquer la « #croissance » comme principe universel du vivant, comme le fait Ripoll, abuse du flou conceptuel de ce terme, car la croissance du PIB n’a rien à voir avec la croissance des plantes.

    Il peut certes sembler légitime d’interroger si le fonctionnement du cerveau a, au côté des multiples déterminismes sociohistoriques, une part de #responsabilité dans l’état de la planète. Mais la question est mal posée, l’activité de « milliards de striatum » et les phénomènes socioéconomiques ne constituant pas le même niveau d’analyse. Bohler et Ripoll ne proposent d’ailleurs pas d’explications au niveau cérébral, mais cherchent à légitimer une explication psychologique prétendument universelle (l’absence d’#autolimitation) par la #biologie. Leurs réflexions s’inscrivent donc dans une filiation ancienne qui cherche une explication simpliste aux comportements humains dans un #déterminisme_biologique, ce qu’on appelle une « #naturalisation » des #comportements. Un discours longtemps à la mode (et encore présent dans la psychologie populaire) invoquait par exemple le « #cerveau_reptilien » à l’origine de comportements archaïques et inadaptés, alors que cette pseudo-théorie proposée dans les années 60 a été invalidée quasiment dès son origine[v]. Le « striatum », la « dopamine », le « #système_de_récompense », ou le « #cerveau_rapide et le #cerveau_lent » sont en fait de nouvelles expressions qui racontent toujours à peu près la même histoire. Loin d’être subversive, cette focalisation sur des déterminismes individuels substitue la #panique_morale [vi] à la #réflexion_politique et ne peut mener, puisque nous serions « déterminés », qu’à l’#impuissance ou à l’#autoritarisme.

    Les erreurs des arguments développés par Bohler et Ripoll ont d’ores et déjà été soulignées à propos d’ouvrages précédents de Bohler[vii]. Nous souhaitons également rappeler qu’il existe un processus d’évaluation des productions scientifiques (y compris théoriques) certes imparfait mais qui a fait ses preuves : la revue par les pairs. Aucun de ces deux auteurs ne s’y est soumis pour avancer ces propositions[viii]. Il n’est pas sûr que notre rôle de scientifiques consiste à évaluer les approximations (et c’est un euphémisme) qui sont en continu publiées dans des livres ou dans la presse. Notre réaction présente est une exception justifiée par une usurpation des neurosciences, la gravité des enjeux écologiques dont ces auteurs prétendent traiter, ainsi que par la popularité grandissante que ces thèses semblent malheureusement rencontrer[ix].

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    Ce texte n’est pas issu des travaux de l’atelier d’écologie politique mais il résonne fortement avec d’autres travaux de l’atécopol. Il a été rédigé par Etienne Coutureau, chercheur CNRS en neurosciences (Bordeaux), Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS en neurosciences et en écologie politique et membre de l’atécopol (Toulouse), Sébastien Lemerle, enseignant-chercheur en sociologie (Paris-Nanterre), Jérémie Naudé, chercheur CNRS en neurosciences (Montpellier) et Emmanuel Procyk, chercheur CNRS en neurosciences (Lyon).

    [i] Jean-Michel Hupé, Vanessa Lea, « Nature humaine. L’être humain est-il écocidaire par nature ? », dans Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), Paris, Le Seuil, 2022, p. 150-156.

    [ii] Philippe Huneman, Hugh Desmond, Agathe Du Crest, « Du darwinisme en sciences humaines et sociales (1/2) », AOC, 15 décembre 2021.

    [iii] François Jarrige, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2014.

    [iv] Timothy Mitchell, « Economentality : how the future entered government », Critical inquiry, 2014, vol. 40, p. 479-507. Karl Polanyi a par ailleurs montré comment l’économie de marché est une construction socio-historique : La Grande Transformation, Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, (1944) 1983.

    [v] Sébastien Lemerle, Le cerveau reptilien. Sur la popularité d’une erreur scientifique, Paris, CNRS éditions, 2021.

    [vi] Jean-Michel Hupé, Jérôme Lamy, Arnaud Saint-Martin, « Effondrement sociologique ou la panique morale d’un sociologue », Politix, n° 134, 2021. Cet article témoigne également que Bohler et Ripoll ne sont pas les seuls intellectuels mobilisant les neurosciences de façon très contestable.

    [vii] Jérémie Naudé (2019), « Les problèmes avec la théorie du "bug humain", selon laquelle nos problème d’écologie viendraient d’un bout de cerveau, le striatum » ; Thibault Gardette (2020), « La faute à notre cerveau, vraiment ? Les erreurs du Bug humain de S. Bohler » ; Alexandre Gabert (2021), « Le cortex cingulaire peut-il vraiment "changer l’avenir de notre civilisation" ? », Cortex Mag, interview d’Emmanuel Procyk à propos de Sébastien Bohler, Où est le sens ?, Paris, Robert Laffont, 2020.

    [viii] Le bug humain de Sébastien Bohler (Paris, Robert Laffont, 2019) a certes obtenu « le Grand Prix du Livre sur le Cerveau » en 2020, décerné par la Revue Neurologique, une revue scientifique à comité de lecture. Ce prix récompense « un ouvrage traitant du cerveau à destination du grand public ». Les thèses de Bohler n’ont en revanche pas fait l’objet d’une expertise contradictoire par des spécialistes du domaine avant la publication de leurs propos, comme c’est la norme pour les travaux scientifiques, même théoriques.

    [ix] La thèse du bug humain est ainsi reprise dans des discours de vulgarisation d’autorité sur le changement climatique, comme dans la bande dessinée de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, Le monde sans fin, Paris, Dargaud, 2021.

    https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/070722/pourquoi-detruit-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-neur
    #neuro-science #neuroscience #critique #écologie #surconsommation #politisation #dépolitisation #politique

  • Les plus pauvres ne votent pas toujours pour Marine Le Pen

    D’une élection à l’autre, le cliché est tenace. Les plus pauvres voteraient en masse pour Marine Le Pen. Or, expliquent les spécialistes du sujet, ce présupposé est à nuancer, même si les résultats électoraux établissent que plus le revenu fiscal est faible dans une commune, plus elle vote Le Pen. En réalité, ces électeurs du RN ne sont pas parmi les plus démunis.

    L’image est devenue virale. Au soir du second tour, le 24 avril, deux électrices de Marine Le Pen venues assister au résultat du scrutin présidentiel dans le bureau centralisateur d’Hénin-Beaumont (Hauts-de-France) s’emportent sitôt la défaite de leur candidate connue.
    Le doigt d’honneur et les insultes proférées témoignent de leur déception. Sitôt diffusées sur les réseaux sociaux par les journalistes présents (lire le billet de Khedidja Zerouali), ces images ont attiré pléthore de commentaires et de moqueries notamment sur la pauvreté supposée des deux femmes.

    Les journalistes de La Voix du Nord sont revenus sur cette séquence dans un article et affirment avec fermeté que les analyses sont fausses. « Même des gens de gauche ont dit de faire attention au mépris de classe, parce que ces femmes souffriraient de leur condition sociale. Mais pas du tout ! Des internautes les perçoivent comme des “cassos” alors qu’elles-mêmes disent vivre bien. »

    Le cliché est tenace, et bavard quant aux représentations des classes populaires dans l’imaginaire. Forcément, eu égard à leur origine géographique, ces femmes, supportrices du Rassemblement national, seraient fatalement pauvres.

    Car les plus précaires voteraient forcément pour Marine Le Pen et ses électeurs seraient forcément précaires. Ils la soutiendraient par désespoir de leur condition, un présupposé non attesté scientifiquement, expliquent les spécialistes du sujet.
    Et ce même si les résultats électoraux démontrent une corrélation entre le revenu fiscal de référence moyen dans une commune et le candidat arrivé en tête au second tour. Plus ce revenu diminue, plus la candidate du RN est plébiscitée.

    Selon une enquête Ipsos, Marine Le Pen ne devance Emmanuel Macron que parmi les foyers disposant d’un revenu mensuel net inférieur à 1 250 euros. Et dans un mouvement inverse, plus ce revenu augmente, plus le président sortant séduit.
    De la même manière, les personnes qui se disent satisfaites de leur vie vont voter Macron au contraire des insatisfaites qui vont choisir Marine Le Pen. Laquelle a tout fait pour s’adresser aux plus précaires en mettant en avant des mesures en faveur du pouvoir d’achat.
    Seulement, la question est plus complexe dès lors qu’on y plonge dans le détail. La sociologue Nonna Mayer, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’extrême droite, considère qu’il convient de prime abord de définir la réalité recouverte par la pauvreté des électeurs et électrices du Rassemblement national : « Parle-t-on de niveaux de vie, d’écart au revenu médian ? Peut-on se contenter de raisonner en termes de pauvreté matérielle ? L’indicateur de précarité me semble être davantage pertinent. »

    Il s’agit d’un indicateur constitué de onze questions auxquelles les sondé·es répondent par oui ou non qui permettent de déterminer, par exemple, si les sondé·es ont des fins de mois difficiles, s’ils sont en lien avec une assistante sociale, s’ils partent en vacances, s’ils ont dans leur entourage sur qui compter en cas de coup dur. « C’est encore plus important car on peut être pauvre en revenus mais avoir ses parents ou des amis derrière, donc on voit bien que la notion de pauvreté, en plus d’être stigmatisante, n’a pas grand sens quand elle est isolée de son contexte. »

    Bien sûr, poursuit-elle, « il est sûr que le Front national hier, le Rassemblement national aujourd’hui réalise ses meilleurs scores à mesure qu’on descend l’échelle des revenus. Mais ce sont des gens qui ne sont pas forcément en dessous du seuil de pauvreté. En réalité, il y a une dimension subjective à la pauvreté. Il y a des gens qui objectivement ne sont pas pauvres mais qui se sentent pauvres ou en déclin. Il y a tellement de manières de l’être ».

    Nicolas Duvoux, sociologue spécialiste de la pauvreté et professeur à l’université Paris 8, relève de son côté que les jeunes, une frange de la population plutôt possiblement en difficulté sociale, ont largement voté pour Jean-Luc Mélenchon.
    Ce qui prouve que la dimension économique ne saurait expliquer à elle seule le vote RN parmi les catégories sociales les plus pauvres.

    L’adhésion au discours raciste et identitaire, qui a essaimé par ailleurs à d’autres partis, ne peut être un élément évacué de l’analyse. Il s’agit aussi pour ces soutiens de Marine Le Pen de se distinguer des catégories sociales stigmatisées et racisées.

    De fait, pour Nicolas Duvoux, sans être riches non plus, « les électeurs du RN ne sont pas les plus démunis, ce ne sont pas ceux qui sont dans une détresse totale et sans perspective. En réalité, ils ont plutôt peur de ressembler à ceux qu’ils assimilent à des cas sociaux. Ils cherchent à mettre à distance ces figures repoussoirs, c’est un mécanisme absolument fondamental pour comprendre les ressorts de ce vote ».

    Violaine Girard, sociologue et maîtresse de conférences à l’université de Rouen-Normandie et autrice du livre Le Vote FN au village : trajectoires de ménages populaires du périurbain (éditions du Croquant), a enquêté dans les espaces périurbains du Bugey, région à une quarantaine de kilomètres à l’est de Lyon. Ce territoire a abrité des ménages des classes moyennes ou populaires, qui accèdent ensuite à la propriété.

    À la lumière de ses travaux, la sociologue confirme qu’il est compliqué d’imputer le vote RN des classes précarisées à leur seule condition économique. Le désespoir ne saurait l’expliquer en totalité.
    « Quand j’ai commencé à travailler sur ces questions-là, notamment entre 2009 et 2012, il y avait quand même aussi beaucoup de résultats d’enquêtes sociologiques qui montraient qu’il y a une part des électeurs du Front national qui venait des classes populaires et des catégories précarisées. Mais il y a aussi une proportion non négligeable d’indépendants ou de professions intermédiaires qui votaient pour Marine Le Pen, même s’ils sont moins nombreux que les ouvriers dans la société. Ces électorats sont composites et hétérogènes. »

    Violaine Girard insiste sur le fait que ces ménages populaires ou des catégories intermédiaires qui accèdent à la propriété dans des quartiers récents ne sont pas les plus pauvres. Le chômage de masse n’existe pas dans les zones qu’elle a étudiées. Ces personnes aspirent à une élévation sociale pour leurs enfants qui occupent des emplois stables grâce à leurs études, souvent en bac pro ou BTS.
    La chercheuse Nonna Mayer souligne qu’une des notions clés du vote en faveur de Marine Le Pen réside dans le niveau de diplôme. Moins on a fait d’études, plus il y a des chances qu’on vote pour elle. Ne pas avoir de diplôme dans une société de la connaissance peut engendrer beaucoup de frustration.

    Comme la peur du déclassement, forte chez les jeunes actifs parmi lesquels Marine Le Pen enregistre le meilleur score. « Il y a chez eux cette vieille idée tenace que les “assistés”, dans leur esprit les personnes issues de l’immigration, vivent mieux qu’eux et que tout leur est plus facile. » 

    Sortir d’une analyse nourrie de schémas misérabilistes

    Le sociologue Nicolas Duvoux voit aussi derrière le vote RN une occasion pour ces catégories populaires de se sentir privilégiées et d’obtenir une forme de reconnaissance symbolique. « Derrière le vote RN, il y a aussi une manière d’essayer de conjurer la crainte d’être déclassé ou d’être relégué. Elles se disent : on vaut mieux que ceux qui sont tout en bas et les étrangers, notamment par le truchement de la préférence nationale. » Ainsi pensent-elles, malgré le caractère antisocial du programme de Marine Le Pen, qu’il leur sera plus facile d’obtenir un logement ou un travail. Ce qui est faux. [c’est ne pas avoir lu le programme du RN que de dire cela, ndc]

    Divers travaux sociologiques ont exploré ce sentiment dont se nourrit l’extrême droite. « Le sociologue Robert Castel avait beaucoup travaillé sur la manière dont les aides sociales créent énormément de frustration et de concurrence au sein des pauvres, développe Nonna Mayer. Un autre sociologue, Olivier Schwartz, a écrit là-dessus et disait que les classes populaires ont une espèce de strabisme. Ils se définissent à la fois contre le haut et contre le bas de la société. Il montrait qu’il y avait la classe sociale objective mais aussi la classe sociale subjective et qu’elle était même plus importante. »

    Enfin, l’un des ressorts à ne pas négliger dans ce vote RN, pour Nicolas Duvoux, est ce sentiment de mépris des élites envers les classes moyennes et populaires. Ce qui explique pourquoi, dans les zones rurales, les personnes éloignées des centres de pouvoir et de décision peuvent opter pour l’extrême droite. « Les principaux représentants de la classe politique sont extrêmement distants socialement. Dans les anciennes professions des députés, il n’y a pas d’ouvriers », ajoute Violaine Girard.

    Il convient également d’observer les trajectoires de #politisation pour mieux comprendre ce qui se noue ici. De fait, les communes étudiées par Violaine Girard ne sont pas imprégnées par le militantisme, syndical ou politique, qui favorise plutôt le vote à gauche.
    D’où leur ancrage plutôt marqué à droite. « Les habitants du Bugey vivent parfois dans des déséquilibres financiers importants, ont des crédits sur trente-cinq ans, ont une seule voiture, ce qui complique leur vie. Face à la transformation du monde du travail, où les personnes se disent qu’elles doivent individuellement faire leurs preuves pour décrocher un CDI, par exemple en ne comptant pas leurs heures supplémentaires. Ce qui débouche sur des formes de politisation à droite. Puis, progressivement, les habitants de ces zones périurbaines se sont orientés vers le FN/RN. »

    Violaine Girard considère donc qu’il faut sortir d’une analyse nourrie « de schémas misérabilistes ». Elle explique à l’inverse que des personnes peuvent être au chômage et avoir gardé au contraire des formes de politisation à gauche pour différentes raisons, « parce qu’elles ont grandi dans une mairie communiste par exemple ».
    Ce que Nonna Mayer a également observé. « Il n’y a pas une fatalité qui ferait que systématiquement quand on est précaire on vote à l’extrême droite. Ça dépend du contexte politique. En 2012, plus on était précaire, plus on votait pour François Hollande, car ces personnes espéraient que la gauche s’occupe de leurs problèmes. Elles ont été très déçues et en 2017, à ma grande surprise, les plus précaires ont voté pour Marine Le Pen. Le vote dépend vraiment du contexte. »

    L’autre élément tendant à prouver que le vote RN n’est pas un vote cantonné aux classes les plus basses reste l’abstention. Le phénomène est massif chez les très pauvres, ceux qui sont en très grande précarité et échappent à tous les radars. « Il y a un gradient social très fort : plus vous êtes jeune et pauvre et moins vous votez. Et cette réalité s’est exprimée avec une très grande brutalité lors de cette élection », constate Nicolas Duvoux. 
    Une analyse partagée par Nonna Mayer qui rappelle que « le premier impact de la précarité, c’est de détourner du vote ». Dans les enquêtes que la chercheuse a menées lors des élections présidentielles de 2012 et 2017, elle a pu relever que les plus précaires ont tendance à se replier sur eux-mêmes et être démoralisés au point que cet exercice démocratique n’a plus de sens pour eux.

    D’autres font face à un obstacle matériel. Ils ne sont pas ou mal inscrits sur les listes électorales. « On a vu que plus de 50 % des précaires se sont exclus du vote d’une manière ou d’une autre à l’élection présidentielle de 2017, et ils font partie des rares abstentionnistes constants parce que, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les mêmes qui s’abstiennent d’un tour à l’autre. »

    Faïza Zerouala
    https://www.mediapart.fr/journal/france/280422/les-plus-pauvres-ne-votent-pas-toujours-pour-marine-le-pen

    #abstention #extrême_droite #RN #précarité #pauvreté

    • sur ces politisations fascisantes, on ne dira jamais assez la responsabilité d’une gauche qui a réintroduit la hiérarchie des salaires (individualisés) et excité la #concurrence entre les diverses figures du précarait (Jospin, 1998 déclarant préférer une « société de travail à l’assistance »). un point évacué par l’article qui ne cite à ce titre qu’une mécanique structrurale des « aides sociales » (sous couvert de Castel dont l’article à ce sujet évoquait le cas U.S, montrant que le welfare y est considéré comme profitant aux Noirs) et des contextes politiques locaux.

      instaurer ce type de concurrence, comme d’autres, tel est le rôle de l’État. il s’agit de rendre les ressorts de la domination immanents à la population elle-même.

  • Pfiou, encore plus de 430 000 cas détectés. Si on continue sur l’estimation d’un tiers seulement des cas officiellement détectés, on tourne à pas loin de 1 300 000 contaminations par jour. À ce rythme, ça va aller vers les 10 millions de contaminations en une semaine, dans un pays de 67 millions d’habitants, c’est dingue.

    On est très clairement en train d’appliquer le Great Barrington.

    • C’est pas une impression, mais un constat. On a vu Taubira. et de cela aussi la LFI est le symptôme https://seenthis.net/messages/944540

      Quant aux écolos, ils en sont là :

      La plupart des discours écologistes veulent se situer au-delà des vieux clivages politiques en énonçant les conditions de survie de la planète, mais ils court-circuitent ainsi la question du sujet politique : quelles forces combattantes, quelles formes de lutte peuvent faire de l’écologie la cause de tous et non celles d’experts s’en remettant au bon vouloir des maîtres du monde ? (J.R)
      https://seenthis.net/messages/944724

      Le PCF est désormais à la remorque du seul syndicat qui compte, celui de la police (Printemps républicain inclus).

      Et ce qui reste de gauchisme, une version sociale démocrate (NPA) s’intersectionne pour tenter sans aucune pratique théorique (même de son vivant, le travail critique de Bensaïd ne comptait plus guère) de recoller au socius, sans avoir giléjauné, c’est à dire hors du temps, si on excepte de rares moments où la puissance entravée de bases syndicales qui ont parfois forcé les directions à les suivre (cf les syndiqués CGT Ratp, le dernier bel exemple en date). Ils ne sont même pas assez « ouvriers » et encore moins devenus suffisamment écolos pour tenir et renouveler la tradition séculaire de défense des conditions de vie contre les effets du principe de non précaution capitaliste (malgré des tentatives où convergent de maigres forces, dans la logistique, Amazon, Géodis, livreurs). Et le reste ne pèse que dans le quotidien du labeur de la grande entreprise, la dispersion de quelques grèves et des périodes de mobilisation plus large.

      La politique est devenue essentiellement politicienne - voir encore la LFI avec ses nauséeux calculs d’apothicaire quant à son potentiel électoral à la ni droite ni gauche, ni faux ni vrai, et ses militants qui doivent s’auto-intoxiquer en se croyant aux portes du pouvoir (ce qui crétinise encore), et ce d’autant que c’est le dernier bal de leur bureaucrate tribun.

      Ce qui y fait exception compte pour peu.
      Il y a un pan de vulgate qui sert décidément trop peu : en bas et à gauche. La politicité n’est pas dans la politique. Elle ne sait ni ne peut encore la contraindre au niveau molaire (la seule concession réelle faite aux gilets jaunes a été une opération de pouvoir : modification de la prime d’activité afin de reconnaitre moins mal le smicard temps plein, au détriment de tous.tes les précaires du smicard horaire et du discontinu), et j’ai bien du mal à en voir des impacts significatifs sur le plan moléculaire, local ou « sectoriel » (cf. l’état de l’école, de la psychiatrie, de l’hosto, centralité de la reproduction, certes, mais dans l’impuissantement).

      Signature : voir dans la foulée de MeToo les fafs dire sans vergogne, « mon corps mon choix ».

      #covid-19 #politisation #présidentielle

    • Un aspect qui m’épate, c’est que je n’ai pas trouvé qu’il y avait eu une énorme communication gouvernementale pour contraindre l’opinion dans le sens du #tous_infectés. On a eu Véran et Attal qui ont lancé l’idée en deux-trois déclarations, sur une période de 3 jours, et ça a suffit à ce qu’absolument tout le monde embraie illico en mode balec’-les-faibles, c’est un rhume, Omicron c’est une chance… etc.

      Je veux dire, par rapport à la lourdeur des procédés (y compris sécuritaires) pour se faire vacciner, la facilité et l’immédiateté de l’adoption du rien-à-battre par l’ensemble de la société a tout de même quelque chose de remarquable. L’idée qu’il y a 300 morts par jour, 500 000 contaminations officielles par jour, et plus personne ne porte le masque dans les lieux clos bondés, c’est tout de même délirant comme vision de ce qu’est notre vie en société…

      On voit certes que pas mal de monde, d’un coup, porte un FFP2 dans les lieux publics, mais même ça c’est un signe plutôt inquiétant : porter un FFP2 n’est pas un geste altruiste, sa généralisation est une forme de marque de la prise de conscience que les autres ne sont pas fiables, et qu’il faut prendre toutes les mesures pour se protéger quand on sort. Du coup, alors qu’il y a un surgissement des FFP2 dans l’espace public début janvier, il n’y a rigoureusement aucune mobilisation/médiatisation d’un refus du « laisser contaminer ». Comme si on avait tous renoncé : le laisser contaminer, bon ben on va faire avec, et si on est contre, on va se protéger soi-même, protéger ses gamins (les petits ne sont plus à l’école depuis la semaine dernière, la grande ne mange plus à la cantine), ne plus aller au cinéma, réduire ses contacts sociaux, bouffer uniquement en terrasse, etc. Mais rien qui ressemble de près ou de loin à une mobilisation.

    • un camarade me faisait remarquer hier que les nombres de nouveaux cas qu’on mesure - et qu’on appelle un peu vite contaminations - sont pour partie des cas de tests positifs sur des personnes potentiellement non-contaminées ; son point, c’est qu’un test un peut sensible peut certainement détecter du virus dans le nez d’une personne qui porte en réalité une charge virale inférieure à la dose requise pour l’infecter.

      vous avez vu passer des stats ou des études ou des réflexions là dessus ? @kassem @simplicissimus @colporteur ou les autres qui suivent ?

    • hum, hum, je vois une foule de témoignages de toutes provenances (dont des toubibs et des laborantins) qui disent exactement l’inverse et pointent une fréquente inefficacité des #tests auto, tag et même PCR ! pour détecter le #covid-19 #Omicron y compris parmi des gens tout à fait symptomatiques (agueusie, anosmie, une signature). c’est d’ailleurs bien embêtant, pour les arrêts de travail, les sous... et le nombre de gens qui se baladent sur la foi de #Faux_négatifs.

      est-ce que ton « camarade » ressemble à ce chauve là ?

    • Pareil que Colporteur. Les tests sont réputés moins sensibles. La charge virale d’Omicron est réputée moins élevée que celle de Delta, d’où des difficultés à le détecter.

      Quant à la porte ouverte à la fin des restrictions, le bruit de fond ne laissait guère de place au doute dès Noël avec Blachier qui t’expliquait partout que nous étions face à une vague fantôme, Véran qui t’expliquait comme tu l’indiques, que nous allions tous acquérir une forme d’immunité, etc. Ce bruit de fond a été tellement bruyant qu’on a été plusieurs ici et sur Twitter totalement sidérés par la vague de déni en train de se former. Trois semaines plus tard, on est toujours sidéré. Et on ne peut que constater que la vague s’officialise en Conseil de Défense ce jour, en France, et simultanément en Grande Bretagne. Et de même aux US, où là-bas aussi, on trouve les mêmes réseaux qui tentent de lutter contre le déni général, et qui alertent contre cet eugénisme qui ne dit pas son nom.

    • Un collègue avait tous les symptômes, toute sa famille est covidée et officiellement positive, mais pour lui ce sera 2 tests négatifs... Le prix à payer pour ces tests non fiables : 3 jours de carence (il a préféré prendre sur ses congés payés au final).

    • Bon, du coup, nous les précautionneux·euses empathiques, on fait comment pour survivre à tout ce « zbeul viral » ?
      Ça me semble une vraie préoccupation. Parce que vivre dans l’angoisse permanente de se faire pécho par le virus (et de le transmettre), ça va pas le faire encore très longtemps (amha).
      Et je dis pas ça pour inciter à baisser la garde.

    • Alors vous êtes obtus tout de même : ça va baisser justement parce que ça augmente, c’est pas compliqué à comprendre.

      Je sais bien que dans notre logique, quand on croit que les Marcheurs ne pourraient pas faire pire, ils trouvent toujours le moyen de le faire, et cela à coup sûr (genre : Blanquer annonce le protocole le dimanche soir pour le lundi, dans un journal sous paywall, tu te dis que vraiment c’est pas possible qu’il fasse pire ; mais dans la semaine où l’école explose en vol à cause de son protocole qu’il a changé 4 fois, il trouve le temps de participer à un colloque contre le wokisme à l’université, là c’est bon, tu te dis qu’il touche le fond ; mais juste après on te dis qu’il a balancé son « interview » depuis Ibiza, OK le gars je crois que là, vraiment… ; ah mais non, le lendemain c’est sa propre épouse qui était à Ibiza avec lui qui anime un débat à la télé pour savoir si c’est un scandale ou pas du tout…).

      Mais dans la vraie politique, c’est pas comme ça que ça marche : il faut bien comprendre que plus c’est pire, plus ça veut dire qu’on se rapproche du mieux.

      (Et puis dans une logique Grand Barrington, ça se tient : si tu contamines 10 millions de Français en une semaine, et que tu peux espérer un petit niveau de protection derrière - même imparfait -, c’est sûr que ça va pas pouvoir durer très longtemps. D’ici mi-février on aura contaminé l’intégralité de la population qui a une vague vie sociale « à risque » parce qu’ils travaillent, étudient et/ou ont des enfants scolarisés, ça va donc baisser très vite et c’est assez logique dans ce cas de se dire qu’on va pouvoir rouvrir les boîtes de nuit. À moins de réussir à re-contaminer tout le monde toutes les 3 semaines…)

  • Quelle #hospitalité est encore possible aujourd’hui ?

    À partir de quelques traits saillants de la définition de l’hospitalité, une analyse des pratiques d’hospitalité à l’épreuve du contexte politique actuel.

    Il existe plusieurs manières de définir l’hospitalité et l’une d’elles consiste à y voir un rapport positif à l’étranger. Autant dire un contre-courant radical des tendances du moment. L’action des gouvernements récents relèvent davantage d’une police des populations exilées, érigée en #politique mais qui précisément n’a rien de politique. Il s’agit d’une gestion, souvent violente et toujours anti-migratoire, des personnes, pour reprendre une idée empruntée à Étienne Tassin.

    Certes il existe une opposition à cette #gestion, mais elle ne forme pas un ensemble homogène. Elle est au contraire traversée de tensions et de conflits qui trouvent leurs racines dans des conceptions, moyens et temporalités différentes. Ce champ conflictuel met régulièrement en scène, pour les opposer, le milieu militant et les collectivités territoriales, pourtant rares à être volontaires pour entreprendre des #politiques_d’accueil*.

    L’#inconditionnalité de l’#accueil et la #réciprocité dans l’hospitalité sont deux piliers de ces pratiques. Elles nous aident à comprendre certaines tensions et certains écueils. Prenons-les pour guides dans une analyse des pratiques actuelles dites d’hospitalité, qu’elles soient privées ou institutionnelles.

    Inconditionnalité

    L’hospitalité se définit notamment par son inconditionnalité. Elle prévoit donc d’accueillir toute personne, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne et quelle que soit la raison de sa présence.

    Il est d’ailleurs intéressant de voir combien, dans la diversité des traditions d’hospitalité, cette question de l’origine de la personne accueillie est très différemment traitée. Certaines traditions interdisent simplement de questionner l’étranger·e accueilli·e sur qui ielle est et d’où ielle vient ; d’autres au contraire le prévoient, sans que cela conditionne ou détermine les modalités de l’hospitalité. Dans ce cas-là, il s’agit plutôt d’une pratique d’ordre protocolaire.

    Aujourd’hui, l’équivalent de cette question porte, outre le pays d’origine, sur le statut administratif de la personne accueillie, c’est-à-dire sur la légalité ou non de son séjour sur le territoire. Le pays d’origine nourrit un certain nombre de préjugés que peuvent refléter les offres d’hospitalité privée quand les volontaires à l’accueil expriment une préférence en matière de nationalité. Ces #préjugés sont très largement nourris par la médiatisation comme le révèlent les contextes de 2015 au plus fort de l’exil des Syrien·nes ou plus récemment à la fin de l’été 2021 après la prise de pouvoir par les Talibans à Kaboul. La médiatisation des crises façonne la perception des personnes en besoin d’hospitalité au point parfois de déterminer l’offre. Le #statut_administratif conditionne de façon plus significative l’accueil et il peut devenir un critère ; autant du côté des collectifs citoyens d’accueil que des institutions dont les moyens financiers sont généralement conditionnés par le profil du public bénéficiaire et la régularité du statut.

    Qui organise aujourd’hui un accueil inconditionnel ?

    Une enquête récente (dont quelques résultats sont publiés dans cet article : https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2021-3-page-65.htm) montre que les institutions et les collectivités territoriales rencontrent des contraintes qui entravent la mise en œuvre d’un accueil inconditionnel : la #catégorisation des publics destinataires distingués bien souvent par leur statut administratif et les territoires d’intervention en font partie. Les #collectifs_citoyens étudiés dans cette enquête réussissent à mettre ces contraintes à distance. Il faut préciser qu’à leur création, tous ne s’inscrivent pas dans un choix clair et conscient pour l’accueil inconditionnel mais c’est la pratique et ce qu’elle leur permet de comprendre du traitement administratif des populations exilées qui produit cet effet de mise à distance des contraintes. Le lien personnel créé par l’accueil explique également qu’il se poursuit au-delà des limites dans lesquelles le collectif s’est créé (statut administratif ; temporalité). Plusieurs collectifs montrent qu’un accueil inconditionnel a été effectivement mis en pratique, non sans débat, gestion de désaccords et disputes parfois, et grâce aux moyens à la disposition du collectif, à la capacité d’invention de ses membres et à l’indignation générée par le traitement administratif et politique des personnes et de la migration en général.

    Réciprocité

    « L’hospitalité, quoique asymétrique, rime avec réciprocité » (Anne Gotman)

    La réciprocité est un autre des éléments constitutifs fondamentaux de l’hospitalité. Comme le souligne #Anne_Gotman (Le sens de l’hospitalité), l’hospitalité pour s’exercer doit résoudre la contradiction entre la nécessaire réciprocité et l’#asymétrie évidente de la situation entre un besoin et une possibilité d’offre. Et c’est le décalage dans le temps qui permet cela : la réciprocité est mise en œuvre par la promesse d’accueil. On accueille inconditionnellement parce que tout le monde a besoin de savoir qu’ielle pourra être accueilli·e, sans faille, lorqu’ielle en aura besoin. Si l’on admet de considérer l’hospitalité comme une pratique de #don, la réciprocité est le #contre-don différé dans le temps.

    Cette interdépendance tient à un contexte où les circulations humaines et les voyages dépendaient de l’hospitalité sans laquelle il était impossible de trouver à se loger et se nourrir. Il s’agissait bien souvent d’un enjeu de survie dans des environnements hostiles. Si chacun·e a besoin de pouvoir compter sur l’hospitalité, chacun·e accueille. Aujourd’hui pourtant, la répartition des richesses et des pouvoirs au niveau global fait que ceux et celles qui voyagent n’ont plus besoin de l’hospitalité parce que cette fonction est devenue marchande et les voyageurs achètent l’« hospitalité » dont ielles ont besoin ; ce qui alors lui retire toute valeur d’hospitalité. Cette réalité crée une asymétrie, abyssale en réalité. Elle tire ses origines des fondations du capitalisme qui a construit l’Europe comme centre global et a posé les bases de la puissance et de la modernité occidentales.

    Aujourd’hui et dans le contexte français, cette asymétrie se retrouve dans une distribution de positions : celles et ceux qui sont les acteurs et actrices de l’hospitalité ne s’inscrivent plus dans ce système d’interdépendance dans lequel se situait l’hospitalité, ou se situe encore dans d’autres régions du monde. Ielles accueillent pour d’autres raisons. La #rencontre est souvent évoquée dans les enquêtes ethnographiques parmi les motivations principales des personnes engagées dans l’accueil des personnes venues chercher un refuge. Pourtant les personnes accueillies ne sont pas forcément dans cette démarche. Au contraire, parfois, elles se révèlent même fuyantes, renfermées par besoin de se protéger quand elles ont été abîmées par le voyage. Cette soif de rencontre qui anime les personnes offrant leur hospitalité n’est pas toujours partagée.

    Dans ce contexte, nous comprenons que l’hospitalité telle qu’elle est mise en œuvre aujourd’hui autour de nous, et du fait de l’asymétrie des positions, pose une relation d’#aide. Or celle-ci est elle-même fortement asymétrique car elle peut se révéler prolonger et reproduire, dans une autre modalité, la relation de #domination. La #relation_d’aide est dominante quand elle ne conscientise pas l’asymétrie justement des positions et des moyens des personnes qu’elle met en jeu. Elle sortira de cet écueil de prolonger la domination en trouvant une place pour la réciprocité. C’est #Paulo_Freire qui nous a appris que l’#aide_authentique est celle qui permet à toutes les personnes impliquées de s’aider mutuellement. Cela permet que l’acte d’aider ne se transforme pas en domination de celle ou celui qui aide sur celle ou celui aidé·e.

    Pour éviter de rejouer une relation de domination, l’hospitalité qu’elle soit privée ou institutionnelle doit trouver ou créer un espace pour l’#aide_mutuelle. Dans les pratiques actuelles de l’hospitalité, les situations d’asymétrie sont nombreuses.

    Les deux parties réunies autour la pratique de l’accueil ne disposent pas d’une répartition égale de l’information sur chacune. En effet, les personnes accueillies disposent généralement de très peu, voire pas du tout, d’information sur les personnes qui les accueillent. Alors que les hébergeur·ses connaissent les nom, prénom, date de naissance et pays d’origine, et parfois des détails du parcours de la personne qu’ielles accueillent. Cette asymétrie de connaissance organise bien différemment la rencontre, en fonction du côté duquel on se trouve. Sans information, ce sont les représentations déjà construites qui s’imposent et plusieurs personnes accueillies témoignent de la peur qu’elles ont à l’arrivée, à la première rencontre, une peur du mauvais traitement qui peu à peu cède la place à l’étonnement face à la générosité, parfois à l’abnégation, des personnes accueillantes. On comprend qu’il contraste fortement avec les représentations premières.

    Une autre asymétrie, créant une forte dépendance, repose sur le fait de posséder un #espace_intime, un #foyer. Les personnes accueillies n’en ont plus ; elles l’ont perdu. Et aucun autre ne leur est offert dans cette configuration. En étant accueilli·es, ielles ne peuvent se projeter à long terme dans un espace intime où ielles peuvent déposer leur bagage en sécurité, inviter des ami·es, offrir l’hospitalité. L’#hébergement est généralement, au moins au début, pensé comme #temporaire. Ielles n’ont pas la maîtrise de leur habitat d’une manière générale et plus particulièrement quand des heures d’entrée et de sortie de l’habitation sont fixées, quand ielles ne disposent pas des clés, quand ielles ne sont pas autorisé·es à rester seul·es.

    Enfin cette relation dissymétrique s’exprime également dans les #attentes perçues par les personnes accueillies et qui sont ressenties comme pesantes. Le récit de soi fait partie de ces attentes implicites. Les personnes accueillies parlent de peur de décevoir leurs hôtes. Ielles perçoivent l’accueil qui leur est fait comme très fragile et craignent de retourner à la rue à tout moment. Cette #précarité rend par ailleurs impossible d’évoquer des choses mal comprises ou qui ne se passent pas bien, et ainsi d’éluder des malentendus, de s’ajuster mutuellement.

    Cette asymétrie finalement dessine les contours d’une relation unilatérale de l’accueil [peut-on encore parler d’hospitalité ?]. Les personnes et les entités (les institutions qu’elles soient publiques – collectivités territoriales – ou privées – associations) qui organisent une offre d’hospitalité, ne laissant pas de place à la réciprocité. Cela signifie que cette offre produit de la #dépendance et une grande incertitude : on peut en bénéficier quand l’offre existe mais on est dépendant de son existence. Par exemple, certains dispositifs publics ont des saisonnalité ; ils ouvrent, ils ferment. De même que l’hospitalité privée peut prendre fin : les collectifs citoyens peuvent se trouver à bout de ressources et ne plus pouvoir accueillir. Ou de manière moins absolue : les règles de l’accueil, dans le cas de l’hébergement en famille, sont fixées unilatéralement par les personnes qui accueillent : les heures d’arrivée et de retour ; les conditions de la présence dans le foyer etc. Cette asymétrie nous semble renforcée dans le cas de l’hospitalité institutionnelle où l’apparition du lien personnel qui peut produire de la réciprocité par le fait de se rendre mutuellement des services par exemple, a plus de mal à trouver une place.

    On le voit, il est nécessaire d’imaginer la forme et les modalités que pourraient prendre la réciprocité dans le cadre de l’hospitalité institutionnelle où elle ne peut surgir naturellement, mais également s’assurer qu’elle trouve un espace dans les initiatives citoyennes.

    Michel Agier voit dans le #récit_de_soi, livré par les personnes accueillies, une pratique de la réciprocité. L’accueil trouvé auprès d’une famille ou d’un foyer par une personne venue chercher un refuge en Europe ce serait le don. L’histoire de son exil racontée à ses hôtes serait le contre-don. Pourtant une analyse différente peut être faite : dans ces circonstances, le récit entendu par les hôtes relève d’une injonction supplémentaire adressée aux personnes venues chercher un refuge. Qu’elle soit implicite ou ouvertement exprimée, cette injonction structure la relation de domination qu’ielles trouvent à leur arrivée. C’est pourquoi le #récit ne peut représenter cette réciprocité nécessaire à l’instauration de l’égalité.

    La place de la réciprocité et l’égalité dans les relations qui se nouent autour des actes d’hospitalité se jouent à n’en pas douter autour des représentations de personnes auxquelles ces pratiques s’adressent : les discours dominants, qu’ils soient médiatiques ou politiques, construisent les personnes venues chercher un refuge comme des #victimes. S’il serait injuste de ne pas les voir comme telles, en revanche, ce serait une #instrumentalisation de ne les voir que par ce prisme-là. Ce sont avant tout des personnes autonomes et non des victimes à assister. L’#autonomie respective des protagonistes de l’acte d’hospitalité ouvre l’espace pour la réciprocité.

    #Politisation

    Le 21 décembre 1996, au Théâtre des Amandiers de Nanterre où avait été organisée une soirée de soutien à la lutte des « sans papiers », #Jacques_Derrida s’émeut de l’invention de l’expression « #délit_d’hospitalité » et appelle à la #désobéissance_civile. Suite à l’adoption d’une loi qui prévoit un tel délit et des sanctions jusqu’à l’emprisonnement, le philosophe invite à défier le gouvernement en jugeant librement de l’hospitalité que nous voulons apporter aux personnes irrégularisées. Avec cet appel, il transforme une opposition binaire qui mettait face à face dans ce conflit l’État et des immigré·es, en un triangle avec l’intervention des citoyens. Il appelle à la politisation de l’hospitalité.

    De son côté, Anne Gotman reconnaît le sens politique de la sphère privée quand elle devient refuge. Cette politisation s’exprime également par la mutation du geste d’hospitalité initial qui est action #humanitaire et d’#urgence à la fin de l’été 2015, quand les citoyen·nes ouvrent leur maison, offrent un lit et un repas chaud. En réalité, ielles créent les conditions d’un accueil que l’État se refusent à endosser dans l’objectif de dégrader les conditions de vie des personnes venues chercher un refuge pour les décourager. L’action citoyenne est de ce point de vue une #opposition ou une #résistance. Cette #dimension_politique devient consciente quand les citoyen·nes côtoient le quotidien des personnes en recherche de refuge et découvrent le traitement administratif qu’ils et elles reçoivent. Cette découverte crée une réaction d’#indignation et pose les bases d’actes de résistance conscients, de l’ordre de la #désobéissance.

    –-

    * Ceci dit, l’association des villes et territoires accueillants, l’ANVITA, a vu récemment le nombre de ses adhérents considérablement augmenter : en novembre 2021, elle compte 52 membres-villes et 46 membres élu·es.

    –-> Intervention présentée à la semaine de l’Hospitalité, organisée entre le 13 et le 23 octobre par la métropole du Grand Lyon

    Références :

    – « Philosophie /et/ politique de la migration », Étienne Tassin, éditions Raison publique, 2017/1 n°21, p197-215

    – Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil à l’autre, Anne Gotman, PUF 2001

    – Lettres à la Guinée-Bissau sur l’alphabétisation : une expérience en cours de réalisation, Paulo Freire, Maspero, 1978

    – Hospitalité en France : Mobilités intimes et politiques, Bibliothèque des frontières, Babels, Le passager clandestin, 2019, coordonné par Michel Agier, Marjorie Gerbier-Aublanc et Evangéline Masson Diaz

    – « Quand j’ai entendu l’expression “délit d’hospitalité”… », Jacques Derrida, Intervention retranscrite, 21/12/1996 au Théâtre des Amandiers ; http://www.gisti.org/spip.php?article3736

    https://blogs.mediapart.fr/modop/blog/221121/quelle-hospitalite-est-encore-possible-aujourd-hui

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  • Grèves d’ouvrières en usine : une non-mixité émancipatrice ?
    https://metropolitiques.eu/Greves-d-ouvrieres-en-usine-une-non-mixite-emancipatrice.html

    La division du travail industriel place souvent les ouvrières dans des usines composées exclusivement de femmes et de postes peu qualifiés. Ève Meuret-Campfort étudie comment les périodes de grèves conduisent – ou non – ces travailleuses à politiser et revendiquer cette non-mixité de fait comme instrument d’émancipation. Dans le monde #ouvrier industriel, les ouvrières se trouvent souvent en situation de non-mixité de fait, concentrées dans des secteurs d’emploi très féminisés, comme celui de #Terrains

    / non-mixité, #mobilisation, #féminisme, ouvrier, #politisation

    #non-mixité
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_meuret-campfort.pdf

  • En #1926, les entraves à la migration tuaient déjà en Méditerranée

    Alors que la « #liberté_de_voyage » avait été reconnue aux « indigènes » par la loi du 15 juillet 1914, les #circulaires_Chautemps de 1924 établirent un nouveau régime de contrôle migratoire entre les départements d’#Algérie et la métropole. Les promesses d’égalité formulées à la fin de la Première Guerre mondiale s’estompant, les arguments des partisans d’un contrôle des déplacements furent entendus.

    Les « #Algériens_musulmans » furent les seuls passagers ciblés par la mise en place d’autorisations de traversée, officiellement destinées aux personnes embarquant en 3e ou 4e classe. Jusqu’à la suppression (provisoire) de ces dispositions à l’été 1936, une partie des voyageurs les contournèrent en embarquant clandestinement à fond de cale, périples qui prirent parfois un tour dramatique rappelant que la #létalité des #contrôles_migratoires doit être réinscrite dans une histoire longue des prétentions à entraver les circulations humaines.

    Un « drame » médiatisé

    Il reste peu de traces de ces traversées macabres de la Méditerranée mais la presse de l’époque se fit un large écho de « l’horrible drame du #Sidi_Ferruch ». Le 27 avril 1926, à la suite d’une dénonciation, onze Marocains embarqués clandestinement à Alger furent découverts asphyxiés dans les cales du bateau éponyme qui faisait escale à Marseille. Comme le décrivent des rapports de police conservés aux Archives des Bouches-du-Rhône, ils avaient été cachés « dans les ballasts du navire, sous les machines » où la température pouvait monter jusqu’à 70 degrés. Dix-neuf autres « passagers » furent retrouvés sains et saufs dans la soute à charbon, mais une inconnue demeura à propos du sort d’éventuelles autres victimes qui auraient pu être ensevelies sous les 285 tonnes de combustible entreposées dans les cales du bateau.

    Le Sidi Ferruch repartit en effet vers Bougie (actuelle Bejaïa, sur la côte à l’est d’Alger) sans qu’une fouille complète ait pu être effectuée, tandis que les survivants, après avoir été interrogés, étaient refoulés vers Alger d’où ils avaient embarqué. Quatre matelots corses, désignés comme ayant procédé à l’embarquement, furent placés sous mandat de dépôt et des suspects (« marocains », « algériens » ou « européens ») ayant opéré depuis Alger, comme rabatteurs ou organisateurs du trafic, furent recherchés, apparemment sans succès. Hormis la désignation d’un juge d’instruction, les suites judiciaires de l’affaire ne nous sont d’ailleurs pas connues.

    L’écho donné à la « #tragédie_du_Sidi_Ferruch » permit d’apprendre que ces cas de morts en migration n’étaient pas isolés : ainsi, le 9 avril 1926, le vapeur #Anfa, un courrier parti de Casablanca, avait lui aussi été au centre d’une affaire d’embarquements clandestins nécessitant plus d’investigations que le simple #refoulement des « indigènes » découverts à leur arrivée. Alors qu’une douzaine de clandestins cachés dans des canots avaient été débarqués à Tanger, ceux dissimulés à fond de cale ne furent découverts qu’en haute mer. Deux d’entre eux étaient morts par asphyxie. Le timonier dénoncé par les survivants aurait fait des aveux immédiats et se serait suicidé avec son arme personnelle.

    Incidemment, et sans faire état d’une quelconque surprise ou volonté d’enquêter, le commissaire spécial de Marseille rapporta alors à ses supérieurs de la Sûreté générale que trois corps avaient été « immergés » avant l’arrivée dans le port de la cité phocéenne. On imagine avec quelle facilité il pouvait être possible pour les capitaines de navires, véritables « maîtres à bord », de faire disparaître des cadavres de clandestins sans que personne ne s’en inquiète.

    Des victimes sans noms

    Dans ce cas, comme dans celui du Sidi Ferruch, l’identité des victimes ne fut jamais établie : l’absence de papiers suffisait à justifier cet anonymat, sans qu’aucune autre forme d’attestation soit recherchée, y compris auprès des survivants promptement refoulés vers leur port d’embarquement. Selon toute probabilité, les cadavres qui n’avaient pas été immergés faisaient l’objet d’une « inhumation administrative » (enterrement « sous X » dans une fosse commune réservée aux indigents) dans un cimetière de Marseille.

    Il est donc impossible d’établir la moindre estimation du nombre des « morts en Méditerranée » provoqués par l’introduction d’un « #délit_d’embarquement_clandestin » (loi du 30 mai 1923) et de #restrictions_à_la_circulation entre le #Maroc (1922) – puis l’Algérie (1924) – et la métropole. Le « drame du Sidi Ferruch » ne peut cependant être considéré comme un événement isolé, même s’il fut le seul à attirer l’attention de la grande presse. Ainsi, au cours des mois suivants, des militants du secrétariat colonial de la CGTU dénoncèrent la répétition de ces événements : la brochure L’indigénat, code d’esclavage (1928) rappelle plusieurs cas d’Algériens sortis « agonisants » ou de Nord-africains descendus de bateau « dans un état de santé alarmant ». Surtout, elle signale que pour échapper aux contrôles, ces clandestins évitaient les grands ports et pouvaient s’entasser dans de simples voiliers : quatre morts par dénutrition, après 23 jours de voyage, furent ainsi découverts le 25 février 1927, à Port-la-Nouvelle (Aude).

    Dix ans plus tard, Saïd Faci suggérait dans L’Algérie sous l’égide de la France (1936) que les morts à fond de cale étaient bien plus nombreux que les seuls cas recensés : « qu’importe que les indigènes meurent pourvu que les colons algériens aient de la main-d’œuvre à bon marché », écrivait-il, afin de dénoncer les funestes conséquences des restrictions à la libre circulation entre l’Algérie et la métropole.

    Il est vrai qu’avant même que la relative émotion suscitée par les cadavres du Sidi Ferruch ne retombe, les réactions officielles avaient été sans surprise : Octave Depont qui faisait alors figure de principal expert en « émigration nord-africaine » fit ainsi savoir dans la presse que « l’indigène sans papiers devait être renvoyé en Algérie ». L’objectif affiché était « de tarir l’#émigration_clandestine qui, ces derniers temps, a pris un développement redoutable », tout en évitant « les centaines de morts » en mer qu’Octave Depont évoquait sans plus de précisions (Le Petit Versaillais, mai 1926). Son appel à une répression plus sévère fut entendu et les peines relatives à la loi du 30 mai 1923 qui avait défini le délit d’embarquement clandestin furent alourdies (loi du 17 décembre 1926).

    Contourner les #contrôles_migratoires

    Les #contournements des contrôles ne semblent pas avoir diminué dans les années suivantes, même si la plupart des candidats au départ cherchaient à éviter les modes opératoires les plus périlleux, en particulier les embarquements à fond de cale. Un certain nombre de Marocains, passés par Oran sans avoir pu réunir les faux documents et autres autorisations achetées qui auraient pu leur donner l’apparence d’Algériens en règle, devaient cependant s’y résoudre. Des Algériens munis de faux papiers étaient aussi interpellés à Marseille et immédiatement refoulés, mais la plupart de ces migrants clandestins, ou #harragas, bénéficiaient de complicités qui leur permettaient d’échapper aux contrôles à l’arrivée.

    Une fois passée la flambée politico-médiatique suscitée par l’affaire du Sidi Ferruch, la question des trafics de pièces d’identité et des « #embarquements_clandestins » resurgit périodiquement, en fonction notamment des mobilisations en faveur d’un durcissement des contrôles. Cette #politisation rend d’autant plus délicate toute évaluation du poids et des conséquences de « l’émigration clandestine ». Les #refoulements depuis Marseille étaient relativement peu nombreux (de l’ordre de quelques dizaines par mois), mais les capitaines de navire avaient tout intérêt à faire débarquer discrètement les clandestins découverts en mer plutôt qu’à les dénoncer, au risque de devoir prendre en charge leur voyage retour.

    Les plus lucides des policiers reconnaissaient d’ailleurs que le nombre des « clandestins » et les risques qu’ils étaient prêts à encourir dépendaient avant tout de la rigueur de la législation et des contrôles en vigueur. Ces constats furent cependant peu mobilisés au service d’argumentaires en faveur de la liberté de voyage, sinon par les militants anticolonialistes qui voyaient dans ces contrôles et leurs dramatiques conséquences humaines une des déclinaisons de « l’odieux #Code_de_l’indigénat ».

    https://theconversation.com/en-1926-les-entraves-a-la-migration-tuaient-deja-en-mediterranee-16

    #histoire #Méditerranée #migrations #frontières #fermeture_des_frontières #morts #décès #mourir_en_mer #France
    #Emmanuel_Blanchard

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  • Le modèle #Sciences_Po dans la tourmente avec les #polémiques sur la « #culture_du_viol » et l’« #islamophobie »

    Quelque chose serait-il cassé, dans le monde feutré des #instituts_d'études_politiques (#IEP) ? Depuis la déflagration qui a touché début janvier le vaisseau amiral Sciences Po Paris, entraînant la démission à un mois d’intervalle des deux têtes dirigeantes de l’école le directeur, #Frédéric_Mion, a menti en assurant ne pas connaître les accusations d’#inceste visant le président, #Olivier_Duhamel , pas une semaine ne s’écoule sans que « la maison », composée de dix établissements, ne fasse parler d’elle.

    Dernier épisode en date, lundi 22 mars, le collectif féministe de l’IEP de Lyon Pamplemousse et le syndicat Solidaires-Etudiants ont demandé l’exclusion de la #Ligue_internationale_contre_le_racisme_et_l'antisémitisme (#Licra) d’un partenariat noué par leur école. En cause : les « nombreuses ambiguïtés vis-à-vis de son rapport à l’islamophobie, ainsi qu’à la #laïcité » que la Licra aurait manifestées lors d’un débat dans un lycée de Besançon en décembre, donnant lieu à une requête de parents d’élèves et d’enseignants auprès du recteur. « Nous estimons que la lutte contre l’islamophobie, l’#antisémitisme, la #négrophobie ou toute autre forme de #racisme doit être une priorité et qu’à ce titre, les institutions comme Sciences Po Lyon doivent s’entourer de collectifs et associations dont le travail se montre à la hauteur de la lutte. La Licra n’en fait pas partie », soutiennent ces étudiants dans leur communiqué.

    Le 18 mars, à Strasbourg cette fois, le syndicat étudiant UNI a pris à partie la direction de l’IEP qui aurait, selon le syndicat, interdit d’attribuer « #Samuel_Paty » comme nom de promotion, au motif qu’il fallait alterner chaque année entre un homme et une femme. « Ce procédé est révélateur de ce qui se passe à #Sciences_Po_Strasbourg depuis des années. L’#idéologie et les #militants d’#extrême_gauche font la loi et n’hésitent plus à fouler du pied la mémoire d’un martyr de la liberté », affirme François Blumenroeder, président de l’UNI Strasbourg.

    Ces épisodes font suite à deux autres événements à très haute tension : la vague #sciencesporcs, lancée le 7 février par une ancienne élève de l’IEP de Toulouse, la blogueuse féministe #Anna_Toumazoff, pour dénoncer « la culture du viol » dont se rendraient « complices » les directions des IEP en ne sanctionnant pas systématiquement les auteurs de #violences_sexistes et sexuelles. Enfin, le 4 mars, le placardage des noms de deux professeurs d’allemand et de science politique sur les murs de l’IEP de Grenoble, accusés de « fascisme » et d’ « islamophobie », après avoir signifié, avec véhémence parfois, leur opposition à une collègue sociologue sur la notion d’islamophobie. Le syndicat étudiant US a appelé à suspendre un cours d’un de ces enseignants dans le cas où son appel à témoignages lancé sur Facebook permettrait d’établir le caractère islamophobe de certains contenus.

    Cette escalade subite de #tensions s’enracine dans la communauté des étudiants de Sciences Po, lauréats d’un concours aussi sélectif que prestigieux. L’attractivité des instituts, fondés entre 1945 et 1956 puis en 1991 pour les deux derniers (Lille et Rennes), ne s’est jamais démentie et atteint même des sommets depuis leur entrée sur la plate-forme d’affectation dans l’enseignement supérieur Parcoursup en 2020. « Tout ce qui nous est tombé sur la figure depuis janvier a eu pour conséquence 54 % d’augmentation du nombre de candidats », ironise Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille, à propos du concours commun des sept instituts de région qui attire cette année 17 000 candidats pour un total de 1 150 places. Hors concours commun, Sciences Po Bordeaux enregistre aussi une poussée sur deux ans, passant de 2 800 à 6 000 candidatures pour 275 places, quand Paris en comptabilise 19 000 pour 1 500 places, en hausse de 50 % sur un an.

    Evolution de la #politisation

    Ces histoires révèlent surtout que la politisation des étudiants, constante, voit ses formes et expressions considérablement évo luer, les IEP se faisant le miroir de la société. « Je vois se former de véritables militants dont les objectifs ont changé. C’est un marqueur générationnel qui n’est pas propre à notre formation », analyse Jean-Philippe Heurtin, directeur de l’IEP de Strasbourg. C’en est fini ou presque de l’engagement dans les partis ou syndicats traditionnels, note Anthonin Minier, étudiant en première année à Sciences Po Paris et représentant des écologistes. « Je pensais arriver dans une école où tout le monde serait encarté ! En fait, il y en a 5 % au plus qui se disent proches d’un parti », rapporte-t-il. Les #discriminations sociales, et plus encore sexuelles et raciales, focalisent l’attention de ceux qui bénéficient la plupart du temps d’enseignements sur les études de genre et sur l’#intersectionnalité, ce qui place les IEP parmi les suspects de militantisme « islamo-gauchiste » dont la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, cherche à établir une liste. « Les IEP ne sont plus des boys’clubs et #Parcoursup n’a fait qu’accentuer le changement, avec des promotions composées à 70 % ou 75 % de filles, relève Vincent Tiberj, professeur à Sciences Po Bordeaux. Le #genre est désormais quelque chose d’important et nos instituts tels qu’ils fonctionnent n’ont peut-être pas bougé assez vite face à des étudiantes qui intègrent complètement ces problématiques. #sciencesporcs raconte aussi cela. » « Le type de débat en classe est différent d’il y a quelques années, et il faut se battre contre des habitudes qui ont été développées par les réseaux sociaux, mais cela ne touche vraiment pas que Sciences Po », relativise Anne Boring, qui dirige la chaire pour l’entrepreneuriat des femmes à Sciences Po Paris.

    L’#année_à_l'étranger, obligatoire depuis le début des années 2000, explique en partie ces nouveaux comportements, note Francis Vérillaud qui a dirigé pendant vingt-cinq ans les relations internationales de l’institut parisien. « Sciences Po est challengé depuis longtemps par ses propres #étudiants parce qu’ils sont très internationalisés. Quand ils rentrent d’un an au Canada, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou en Allemagne, où les sujets des violences sexuelles et sexistes sont traités dans les universités, ils viennent avec un apport. Je me souviens de discussions compliquées, car ce n’était pas évident dans la #culture_française. »

    Les IEP ont bien changé depuis leur création, précisément lors du passage de la scolarité de trois à cinq ans pour se conformer aux standards internationaux, à partir de l’an 2000. Les fondamentaux demeurent, autour des cours d’histoire, de sociologie, de science politique et de droit, mais il a fallu revoir les maquettes, notamment en master, là où les étudiants se spécialisent, chaque école proposant des dizaines de voies différentes. « Penser qu’on fait Sciences Po uniquement pour passer le concours de l’Ecole nationale d’administration est une image d’Epinal, relève Yves Déloye, directeur de l’IEP de Bordeaux. Les concours administratifs, qui étaient au coeur de la création des instituts après la guerre, n’attirent qu’un tiers de nos étudiants. Les autres aspirent à des carrières de plus en plus diversifiées en entreprise, dans des ONG, dans l’économie sociale et solidaire. »

    Enseignement passe-temps

    Le profil des enseignants a lui aussi évolué, les instituts cherchant à « s’académiser » en recrutant davantage d’enseignants-chercheurs que de personnalités politiques et économiques vacataires, qui prenaient comme un passe-temps le fait d’enseigner à Sciences Po. « Je me souviens du grand cours d’économie de deuxième année fait par Michel Pébereau [président de la Banque nationale de Paris qui deviendra BNP Paribas], sourit Vincent Tiberj, ex-étudiant de l’IEP parisien. Il distribuait un polycopié qui datait de 1986. Or nous étions en 1993 et entre-temps, il y avait eu la chute du mur de Berlin, mais dans ce monde élitaire classique, le temps était suspendu. » Ce décalage entre l’élite dirigeante et l’apport en temps réel des #recherches en #sciences_sociales fonde l’#incompréhension actuelle autour des accusations d’ « islamo-gauchisme . Les #gender_studies se banalisent, Sciences Po Toulouse ayant même constitué un master dédié tandis que presque tous les autres IEP en font des modules ou des thématiques abordés en cours de sociologie. « Ces questions sont analysées au même titre que d’autres formes de discriminations, ce qui est tout à fait légitime », appuie Jean-Philippe Heurtin, à Strasbourg.

    Le débat est pourtant loin d’être clos parmi les étudiants : « Se présenter en fonction de son sexe, de sa position sociale et de sa couleur est une pratique en vogue dans ce type d’enseignement, ce que je trouve ahurissant, lâche Quentin Coton, étudiant de Sciences Po Paris et membre de l’UNI. Ce sont des questions que les gens ne se posaient même plus dans la société française et qui reviennent à Sciences Po. Elle n’est pas là, la déconnexion de notre école ? » L’objet des débats politiques change, mais le ton reste vif.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/31/polemiques-sur-la-culture-du-viol-l-islamophobie-le-modele-sciences-po-dans-

    Et cette phrase prononcée par un étudiant... au demeurant, évidemment, (certainement) un homme (très probablement) blanc et (probablement) d’origine sociale pas vraiment modeste...

    « Se présenter en fonction de son sexe, de sa position sociale et de sa couleur est une pratique en vogue dans ce type d’enseignement, ce que je trouve ahurissant, lâche Quentin Coton, étudiant de Sciences Po Paris et membre de l’UNI. Ce sont des questions que les gens ne se posaient même plus dans la société française et qui reviennent à Sciences Po. Elle n’est pas là, la déconnexion de notre école ? ».

    #déni

    Ajouté à ce fil de discussion sur les événements qui ont eu lieu à #Sciences_Po_Grenoble :
    https://seenthis.net/messages/905509

    ping @karine4 @cede

    • 09.03.20 21, 2h, un vidéo de la « Nouvelle Action Royaliste »,
      quand même il y a de valeur pour l’écouter

      Les médias français présentent l’ #opposition en #Russie sous la forme incarnée d’un seul opposant, suivi par des foules plus ou moins importantes selon les années : le joueur d’échec Garry Kasparov a longtemps tenu ce rôle, maintenant dévolu à Alexeï #Navalny. Cette focalisation sur un personnage masque une réalité complexe et mouvante car il n’y a pas qu’une seule opposition en Russie mais des oppositions, à l’intérieur des institutions et hors de celles-ci.

      Professeur de civilisation russe contemporaine à l’université de Paris-Ouest Nanterre, ancien directeur du collège universitaire français de Saint-Pétersbourg et du collège universitaire français de Moscou, Jean-Robert Raviot présente dans sa conférence le parti communiste russe et le parti nationaliste, les groupes ultras, les mouvements protestataires… et donne à voir une société russe diverse et très vivante.

  • "Réfugiés", « migrants », « exilés » ou « demandeur d’asile » : à chaque mot sa fiction, et son ombre portée

    Alors que les violences policières contre un campement éphémère de personnes exilées font scandale, comment faut-il nommer ceux dont les tentes ont été déchiquetées ?

    Nombreuses et largement unanimes, les réactions qui ont suivi l’intervention de la police, lundi 23 novembre au soir, place de la République à Paris, condamnent la violence des forces de l’ordre. De fait, après cette intervention pour déloger le campement éphémère installé en plein Paris dans le but de donner de l’écho à l’évacuation récente d’un vaste camp de réfugiés sur les contreforts du périphérique, les images montrent les tentes qui valsent, les coups qui pleuvent, des matraques qui cognent en cadence, et de nombreux soutiens nassés en pleine nuit ainsi que la presse. Survenu en plein débat sur la loi de sécurité globale, et après de longs mois d’un travail tous azimuts pour poser la question des violences policières, l’épisode a quelque chose d’emblématique, qui remet au passage l’enjeu de l’accueil migratoire à la Une des médias.

    Une occasion utile pour regarder et penser la façon dont on nomme ceux qui, notamment, vivent ici dans ces tentes-là. Durant toute la soirée de lundi, la réponse policière à leur présence sur la place de la République a été amplement commentée, en direct sur les réseaux sociaux d’abord, puis sur les sites de nombreux médias. Si certains utilisaient le mot “migrants” désormais ordinaire chez les journalistes, il était frappant de voir que d’autres termes prenaient une place rare à la faveur de l’événement à chaud. Et en particulier, les mots “réfugiés” et “exilés”.

    En ligne, Utopia56, le collectif à l’origine de l’opération, parle de “personnes exilées”. Chez Caritas France (ex-Secours catholique), c’est aussi l’expression qu’utilise par exemple, sur la brève bio de son compte twitter, la salariée de l’humanitaire en charge des projets “solidarité et défense des droits des personnes exilées”. Ce lexique n’a rien de rare dans le monde associatif : la Cimade parle aussi de longue date de “personnes exilées”, la Fédération des acteurs de solidarités qui chapeaute 870 associations de même, et chez chez Act up par exemple, on ne dit pas non plus “migrants” mais “exilés”. Dans la classe politique, la nuit de violences policières a donné lieu à des déclarations de protestation où il n’était pas inintéressant d’observer l’usage des mots choisis dans le feu de l’action, et sous le projecteur des médias : plutôt “exilés” chez les écologistes, via le compte twitter “groupeecoloParis”, tandis qu’Anne Hidalgo, la maire de Paris, parlait quant à elle de “réfugiés”.

    Du côté des médias, le terme poussé par le monde associatif n’a sans doute jamais aussi bien pris qu’à chaud, dans l’épisode de lundi soir : sur son compte Twitter, CNews oscillait par exemple entre “migrants” et “personnes exilées”... au point de se faire tacler par ses abonnés - il faudrait plutôt dire “clandestins”. Edwy Plenel panachait pour sa part le lexique, le co-fondateur de Médiapart dénonçant au petit matin la violence dont avaient fait l’objet les “migrants exilés”.

    Peu suspect de gauchisme lexical, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, affirmait de son côté saisir l’IGPN pour une enquête sur cette évacuation d’un “campement de migrants”, tandis que le mot s’affichait aussi sur la plupart des pages d’accueil des sites de médias. Comme si le terme “migrants” était devenu un terme générique pour dire cette foule anonyme de l’immigration - sans que, le plus souvent, on interroge en vertu de quels critères ? Cet épisode de l’évacuation violente de la place de la République est en fait l’occasion idéale pour regarder la façon dont le mot “migrants” s’est disséminé, et remonter le film pour comprendre comment il a été forgé. Car ce que montre la sociologue Karen Akoka dans un livre qui vient justement de paraître mi-novembre (à La Découverte) c’est que cette catégorie est avant tout une construction dont la sociogenèse éclaire non seulement notre façon de dire et de penser, mais surtout des politiques publiques largement restées dans l’ombre.
    Les mots de l’asile, ces constructions politiques

    L’Asile et l’exil, ce livre formidable tiré de sa thèse, est à mettre entre toutes les mains car précisément il décortique en quoi ces mots de l’immigration sont d’abord le fruit d’un travail politique et d’une construction historique (tout aussi politique). Les acteurs de cette histoire appartiennent non seulement à la classe politique, mais aussi aux effectifs des officiers qui sont recrutés pour instruire les demandes. En centrant son travail de doctorat sur une sociohistoire de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, créé en 1952, la chercheuse rappelle qu’il n’est pas équivalent de parler d’exil et d’asile, d’exilés, de demandeurs d’asile, de migrants ou de réfugiés. Mais l’ensemble de sa démonstration éclaire en outre toute la part d’artifice que peut receler ce raffinage lexical qui a permis à l’Etat de construire des catégories d’aspirants à l’exil comme on labelliserait des candidats plus ou moins désirables. Face aux "réfugiés", légitimes et acceptables depuis ce qu’on a construit comme une forme de consensus humaniste, les "migrants" seraient d’abord là par émigration économique - et moins éligibles. Tout son livre consiste au fond en une déconstruction méthodique de la figure du réfugié désirable.

    Les tout premiers mots de l’introduction de ce livre (qu’il faut lire en entier) remontent à 2015 : cette année-là, Al-Jazeera annonçait que désormais, celles et ceux qui traversent la Méditerranée seront pour de bon des “réfugiés”. Et pas des “migrants”, contrairement à l’usage qui était alors en train de s’installer dans le lexique journalistique à ce moment d’explosion des tentatives migratoires par la mer. Le média qatari précisait que “migrants” s’apparentait à ses yeux à un “outil de deshumanisation”. On comprenait en fait que “réfugié” était non seulement plus positif, mais aussi plus légitime que “migrant”.

    En droit, c’est la Convention de Genève qui fait les “réfugiés” selon une définition que vous pouvez consulter ici. Avant ce texte qui remonte à 1951, on accueillait aussi des réfugiés, quand se négociait, au cas par cas et sous les auspices de la Société des nations, la reconnaissance de groupes éligibles. Mais le flou demeure largement, notamment sur ce qui, en pratique, départirait le “réfugié” de “l’étranger”. A partir de 1952, ces réfugiés répondent à une définition, mais surtout à des procédures, qui sont principalement confiées à l’Ofpra, créé dans l’année qui suit la Convention de Genève. L’autrice rappelle qu’à cette époque où l’Ofpra passe d’abord pour une sorte de “consulat des régimes disparus”, il y a consensus pour considérer que l’institution doit elle-même employer des réfugiés chargés de décider du sort de nouveaux candidats à l’asile. A l’époque, ces procédures et ces arbitrages n’intéressent que très peu de hauts fonctionnaires. Ca change progressivement à mesure que l’asile se politise, et la décennie 1980 est une bonne période pour observer l’asile en train de se faire. C’est-à-dire, en train de se fabriquer.

    La construction du "réfugié militant"

    Sur fond d’anticommunisme et d’intérêt à relever la tête après la guerre coloniale perdue, la France décidait ainsi au début des années 80 d’accueillir 130 000 personnes parmi celles qui avaient fui l’un des trois pays de l’ex-Indochine (et en particulier, le Vietnam). On s’en souvient encore comme des “boat people”. Ils deviendront massivement des “réfugiés”, alors que le mot, du point de vue juridique, renvoie aux critères de la Convention de Genève, et à l’idée de persécutions avérées. Or Karen Akoka rappelle que, bien souvent, ces procédures ont en réalité fait l’objet d’un traitement de gros. C’est-à-dire, qu’on n’a pas toujours documenté, dans le détail, et à l’échelle individuelle, les expériences vécues et la position des uns et des autres. Au point de ne pas trop chercher à savoir par exemple si l’on avait plutôt affaire à des victimes ou à des bourreaux ? Alors que le génocide khmer rouge commençait à être largement connu, l’idée que ces boat people massivement arrivés par avion camperaient pour de bon la figure du “bon réfugié” avait cristallisé. La chercheuse montre aussi que ceux qui sont par exemple arrivés du Vietnam avaient fait l’objet d’un double tri : par les autorités françaises d’une part, mais par le régime vietnamien d’autre part… et qu’il avait été explicitement convenu qu’on exclurait les militants politiques.

    Or dans l’imaginaire collectif comme dans le discours politique, cette représentation du réfugié persécuté politiquement est toujours très active. Elle continue souvent de faire écran à une lecture plus attentive aux tris opérés sur le terrain. Et empêche par exemple de voir en quoi on a fini par se représenter certaines origines comme plus désirables, par exemple parce qu’il s’agirait d’une main-d’œuvre réputée plus docile. Aujourd’hui, cette image très puissante du "réfugié militant" reste arrimée à l’idée d’une histoire personnelle légitime, qui justifierait l’étiquetage de certains “réfugiés” plutôt que d’autres. C’est pour cela qu’on continue aujourd’hui de réclamer aux demandeurs d’asile de faire la preuve des persécutions dont ils auraient fait l’objet.

    Cette enquête approfondie s’attèle à détricoter ce mirage du "bon réfugié" en montrant par exemple que, loin de répondre à des critères objectifs, cette catégorie est éminemment ancrée dans la Guerre froide et dans le contexte post-colonial. Et qu’elle échappe largement à une approche empirique rigoureuse, et critique. Karen Akoka nous dépeint la Convention de Genève comme un cadre qui se révèle finalement assez flou, ou lâche, pour avoir permis des lectures et des usages oscillatoires au gré de l’agenda diplomatique ou politique. On le comprend par exemple en regardant le sort de dossiers qu’on peut apparenter à une migration économique. Sur le papier, c’est incompatible avec le label de “réfugié”. Or dans la pratique, la ligne de partage entre asile d’un côté, et immigration de l’autre, ne semble plus si étanche lorsqu’on regarde de près qui a pu obtenir le statut dans les années 1970. On le comprend mieux lorsqu’on accède aux logiques de traitement dans les années 70 et 80 : elles n’ont pas toujours été les mêmes, ni été armées du même zèle, selon l’origine géographique des candidats. Edifiant et très pédagogique, le sixième chapitre du livre d’Akoka s’intitule d’ailleurs “L’Asile à deux vitesses”.

    L’autrice accorde par exemple une attention particulière à la question des fraudes. Pas seulement à leur nombre, ou à leur nature, mais aussi au statut que les institutions ont pu donner à ces fraudes. Ainsi, Karen Akoka montre l’intérêt qu’a pu avoir l’Etat français, à révéler à grand bruit l’existence de “filières zaïroises” à une époque où la France cherchait à endiguer l’immigration d’origine africaine autant qu’à sceller une alliance avec le Zaïre de Mobutu. En miroir, les entretiens qu’elle a menés avec d’anciens fonctionnaires de l’Ofpra dévoilent qu’on a, au contraire, cherché à dissimuler des montages frauduleux impliquant d’ex-Indochinois.

    Les "vrais réfugiés"... et les faux

    Entre 1970 et 1990, les chances de se voir reconnaître “réfugié” par l’Ofpra ont fondu plus vite que la banquise : on est passé de 90% à la fin des années 70 à 15% en 1990. Aujourd’hui, ce taux est remonté (de l’ordre de 30% en 2018), mais on continue de lire que c’est le profil des demandeurs d’asile qui aurait muté au point d’expliquer que le taux d’échec explose. Ou que la démarche serait en quelque sorte détournée par de “faux demandeurs d’asile”, assez habiles pour instrumentaliser les rouages de l’Ofpra en espérant passer entre les gouttes… au détriment de “vrais réfugiés” qu’on continue de penser comme tels. Karen Akoka montre qu’en réalité, c’est plutôt la manière dont on instruit ces demandes en les plaçant sous l’égide de politiques migratoires plus restrictives, mais aussi l’histoire propre de ceux qui les instruisent, qui expliquent bien plus efficacement cette chute. Entre 1950 et 1980 par exemple, nombre d’officiers instructeurs étaient issus des mêmes pays que les requérants. C’était l’époque où l’Ofpra faisait davantage figure de “consulat des pays disparus”, et où, par leur trajectoire personnelle, les instructeurs se trouvaient être eux-mêmes des réfugiés, ou les enfants de réfugiés. Aujourd’hui ce sont massivement des agents français, fonctionnaires, qui traitent les dossiers à une époque où l’on ne subordonne plus les choix au Rideau de fer, mais plutôt sous la houlette d’une politique migratoire et de ce qui a sédimenté dans les politiques publiques comme “le problème islamiste”.

    Rassemblé ici au pas de course mais très dense, le travail de Karen Akoka est un exemple vibrant de la façon dont l’histoire, et donc une approche pluridisciplinaire qui fait la part belle aux archives et à une enquête d’histoire orale, enrichit dans toute son épaisseur un travail entamé comme sociologue. Du fait de la trajectoire de l’autrice, il est aussi un exemple lumineux de tout ce que peut apporter une démarche réflexive. Ca vaut pour la façon dont on choisit un mot plutôt qu’un autre. Mais ça vaut aussi pour la manière dont on peut déconstruire des façons de penser, ou des habitudes sur son lieu de travail, par exemple. En effet, avant de soutenir sa thèse en 2012, Karen Akoka a travaillé durant cinq ans pour le HCR, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies. On comprend très bien, à la lire, combien elle a pu d’abord croire, et même nourrir, certaines fausses évidences. Jusqu’à être “mal à l’aise” avec ces images et ces chimères qu’elle entretenait, depuis son travail - qui, en fait, consistait à “fabriquer des réfugiés”. Pour en éliminer d’autres.

    https://www.franceculture.fr/societe/refugies-migrants-exiles-ou-demandeur-dasile-a-chaque-mot-sa-fiction-e

    #asile #migrations #réfugiés #catégorisation #catégories #mots #terminologie #vocabulaire #Ofpra #France #histoire #légitimité #migrants_économiques #réfugié_désirable #déshumanisation #Convention_de_Genève #politisation #réfugié_militant #Indochine #boat_people #bon_réfugié #Vietnam #militants #imaginaire #discours #persécution #persécution_politique #preuves #guerre_froide #immigration #fraudes #abus #Zaïre #filières_zaïroises #Mobutu #vrais_réfugiés #faux_réfugiés #procédure_d'asile #consulat_des_pays_disparus #politique_migratoire
    #Karen_Akoka
    ping @isskein @karine4 @sinehebdo @_kg_

    • ...même jour que l’envoi de ce post on a discuté en cours Licence Géo le séjour d’Ahmed publié en forme de carte par Karen Akoka dans l’atlas migreurop - hasard ! Et à la fin de son exposé un étudiant proposait par rapport aux catégories : Wie wäre es mit « Mensch » ? L’exemple du campement à Paris - des pistes ici pour approfondir !

    • Ce qui fait un réfugié

      Il y aurait d’un côté des réfugiés et de l’autre des migrants économiques. La réalité des migrations s’avère autrement complexe souligne la politiste #Karen_Akoka qui examine en détail comment ces catégories sont historiquement, socialement et politiquement construites.

      L’asile est une notion juridique précieuse. Depuis le milieu du XXe siècle, elle permet, à certaines conditions, de protéger des individus qui fuient leur pays d’origine en les qualifiant de réfugiés. Mais l’asile est aussi, à certains égards, une notion dangereuse, qui permet paradoxalement de justifier le fait de ne pas accueillir d’autres individus, les rejetant vers un autre statut, celui de migrant économique. L’asile devenant alors ce qui permet la mise en œuvre d’une politique migratoire de fermeture. Mais comment faire la différence entre un réfugié et un migrant économique ? La seule manière d’y prétendre consiste à s’intéresser non pas aux caractéristiques des personnes, qu’elles soient rangées dans la catégorie de réfugié ou de migrant, mais bien plutôt au travail qui consiste à les ranger dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. C’est le grand mérite de « #L’Asile_et_l’exil », le livre important de Karen Akoka que de proposer ce renversement de perspective. Elle est cette semaine l’invitée de La Suite dans Les Idées.

      Et c’est la metteuse en scène Judith Depaule qui nous rejoint en seconde partie, pour évoquer « Je passe » un spectacle qui aborde le sujet des migrations mais aussi pour présenter l’Atelier des artistes en exil, qu’elle dirige.

      https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/ce-qui-fait-un-refugie

      #livre #catégorisation #catégories #distinction #hiérarchisation #histoire #ofpra #tri #subordination_politique #politique_étrangère #guerre_froide #politique_migratoire #diplomatie

    • La fabrique du demandeur d’asile

      « Il y a les réfugiés politiques, et c’est l’honneur de la France que de respecter le droit d’asile : toutes les communes de France en prennent leur part. Il y a enfin ceux qui sont entrés illégalement sur le territoire : ceux-là ne sont pas des réfugiés, mais des clandestins qui doivent retourner dans leur pays », disait déjà Gerald Darmanin en 2015. Mais pourquoi risquer de mourir de faim serait-il moins grave que risquer de mourir en prison ? Pourquoi serait-il moins « politique » d’être victime de programmes d’ajustement structurels que d’être victime de censure ?

      Dans son livre L’asile et l’exil, une histoire de la distinction réfugiés migrants (La découverte, 2020), Karen Akoka revient sur la construction très idéologique de cette hiérarchisation, qui est liée à la définition du réfugié telle qu’elle a été décidée lors de la Convention de Genève de 1951, à l’issue d’âpres négociations.

      Cette dichotomie réfugié politique/migrant économique paraît d’autant plus artificielle que, jusqu’aux années 1970, il suffisait d’être russe, hongrois, tchécoslovaque – et un peu plus tard de venir d’Asie du Sud-Est, du Cambodge, du Laos ou du Vietnam – pour décrocher le statut de réfugié, l’objectif premier de la France étant de discréditer les régimes communistes. Nul besoin, à l’époque, de montrer qu’on avait été individuellement persécuté ni de nier la dimension économique de l’exil.

      Aujourd’hui, la vaste majorité des demandes d’asile sont rejetées. Qu’est ce qui a changé dans les années 1980 ? D’où sort l’obsession actuelle des agents de l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour la fraude et les « faux » demandeurs d’asile ?

      Plutôt que de sonder en vain les identités et les trajectoires des « demandeurs d’asile » à la recherche d’une introuvable essence de migrant ou de réfugié, Karen Akoka déplace le regard vers « l’offre » d’asile. Avec la conviction que les étiquettes en disent moins sur les exilés que sur ceux qui les décernent.

      https://www.youtube.com/watch?v=bvcc0v7h2_w&feature=emb_logo

      https://www.hors-serie.net/Aux-Ressources/2020-12-19/La-fabrique-du-demandeur-d-asile-id426

    • « Il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte »

      La chercheuse Karen Akoka a retracé l’histoire du droit d’asile en France. Elle montre que l’attribution de ce statut a toujours reposé sur des intérêts politiques et diplomatiques. Et que la distinction entre les « vrais » et les « faux » réfugiés est donc discutable.

      Qui étaient les personnes qui ont été violemment évacuées du camp de la place de la République, il y a quatre semaines ? Ceux qui les aident et les défendent utilisent le mot « exilés », pour décrire une condition qui transcende les statuts administratifs : que l’on soit demandeur d’asile, sans-papiers, ou sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, les difficultés restent sensiblement les mêmes. D’autres préfèrent le mot « illégaux », utilisé pour distinguer ces étrangers venus pour des raisons économiques du seul groupe que la France aurait la volonté et les moyens d’accueillir : les réfugiés protégés par le droit d’asile. Accordé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) depuis 1952, ce statut permet aujourd’hui de travailler et de vivre en France à celles et ceux qui peuvent prouver une persécution ou une menace dans leur pays d’origine. Pour les autres, le retour s’impose. Mais qui décide de l’attribution du statut, et selon quels critères ?

      Pour le savoir, Karen Akoka a retracé l’histoire de l’Ofpra. Dressant une galerie de portraits des membres de l’institution, retraçant le regard porté sur les Espagnols, les Yougoslaves, les boat-people ou encore les Zaïrois, elle montre dans l’Asile et l’Exil (La Découverte) que l’asile a toujours été accordé en fonction de considérations politiques et diplomatiques. Elle remet ainsi en cause l’idée que les réfugiés seraient « objectivement » différents des autres exilés, et seuls légitimes à être dignement accueillis. De quoi prendre conscience (s’il en était encore besoin) qu’une autre politique d’accueil est possible.
      Comment interprétez-vous les images de l’évacuation du camp de la place de la République ?

      Quand on ne connaît pas la situation des personnes exilées en France, cela peut confirmer l’idée que nous serions en situation de saturation. Il y aurait trop de migrants, la preuve, ils sont dans la rue. Ce n’est pas vrai : si ces personnes sont dans cette situation, c’est à cause de choix politiques qui empêchent toute forme d’intégration au tissu social. Depuis les années 90, on ne peut plus légalement travailler quand on est demandeur d’asile. On est donc dépendant de l’aide publique. Avec le règlement européen de Dublin, on ne peut demander l’asile que dans le premier pays de l’Union européenne dans lequel on s’enregistre. Tout cela produit des illégaux, qui se trouvent par ailleurs enfermés dans des statuts divers et complexes. Place de la République, il y avait à la fois des demandeurs d’asile, des déboutés du droit d’asile, des « dublinés », etc.
      Y a-t-il encore des groupes ou des nationalités qui incarnent la figure du « bon réfugié » ?

      Aujourd’hui, il n’y a pas de figure archétypale du bon réfugié au même titre que le dissident soviétique des années 50-60 ou le boat-people des années 80. Il y a tout de même une hiérarchie des nationalités qui fait que les Syriens sont perçus le plus positivement. Mais avec une différence majeure : alors qu’on acheminait en France les boat-people, les Syriens (comme beaucoup d’autres) doivent traverser des mers, franchir des murs… On fait tout pour les empêcher d’arriver, et une fois qu’ils sont sur place, on les reconnaît à 90 %. Il y a là quelque chose de particulièrement cynique.
      Vos travaux reviennent à la création de l’Ofpra en 1952. Pourquoi avoir repris cette histoire déjà lointaine ?

      Jusqu’aux années 80, l’Ofpra accordait le statut de réfugié à 80 % des demandeurs. Depuis les années 90, environ 20 % l’obtiennent. Cette inversion du pourcentage peut amener à la conclusion qu’entre les années 50 et 80, les demandeurs d’asile étaient tous de « vrais » réfugiés, et que depuis, ce sont majoritairement des « faux ». Il était donc important d’étudier cette période, parce qu’elle détermine notre perception actuelle selon laquelle l’asile aurait été dénaturé. Or il apparaît que cette catégorie de réfugié a sans cesse été mobilisée en fonction de considérations diplomatiques et politiques.

      La question de l’asile n’a jamais été neutre. En contexte de guerre froide, le statut de réfugié est attribué presque automatiquement aux personnes fuyant des régimes communistes que l’on cherche à décrédibiliser. Lorsqu’on est russe, hongrois ou roumain, ou plus tard vietnamien, cambodgien ou laotien, on est automatiquement reconnu réfugié sans qu’il soit nécessaire de prouver que l’on risque d’être persécuté ou de cacher ses motivations économiques. Ce qui apparaît comme de la générosité est un calcul politique et diplomatique. Les 80 % d’accords de l’époque sont autant pétris de considérations politiques que les 80 % de rejets aujourd’hui.
      Ces considérations conduisent alors à rejeter les demandes émanant de certaines nationalités, même dans le cas de régimes communistes et/ou autoritaires.

      Il y a en effet d’importantes différences de traitement, qui s’expliquent principalement par l’état des relations diplomatiques. La France est réticente à accorder l’asile aux Yougoslaves ou aux Portugais, car les relations avec Tito ou Salazar sont bonnes. Il n’y a d’ailleurs même pas de section portugaise à l’Ofpra ! Mais au lieu de les rejeter massivement, on les dirige vers les procédures d’immigration. La France passe des accords de main- d’œuvre avec Belgrade, qui permettent d’orienter les Yougoslaves vers la régularisation par le travail et de faire baisser le nombre de demandeurs d’asile.

      Grâce aux politiques d’immigration ouvertes on pouvait donc diriger vers la régularisation par le travail les nationalités rendues « indésirables » en tant que réfugiés en raison des relations diplomatiques. On pouvait prendre en compte les questions de politique étrangère, sans que cela ne nuise aux exilés. Aujourd’hui, on ne peut plus procéder comme cela, puisque la régularisation par le travail a été bloquée. Les rejets ont donc augmenté et la question du « vrai-faux » est devenu le paradigme dominant. Comme il faut bien justifier les rejets, on déplace la cause des refus sur les demandeurs en disséquant de plus en plus les biographies pour scruter si elles correspondent ou non à la fiction d’une identité de réfugié supposée neutre et objective.

      Cela montre qu’il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte, d’abord parce que les catégories de réfugiés et de migrants sont poreuses et ne reflètent qu’imparfaitement la complexité des parcours migratoires, ensuite parce qu’elles sont largement façonnées par des considérations politiques.
      Vous identifiez les années 80 comme le moment où change la politique d’asile. Comment se déroule cette évolution ?

      Les changements de cette période sont liés à trois grands facteurs : la construction de l’immigration comme un problème qui arrime la politique d’asile à l’impératif de réduction des flux migratoires ; la fin de la guerre froide qui diminue l’intérêt politique à l’attribution du statut ; et la construction d’une crise de l’Etat social, dépeint comme trop dépensier et inefficace, ce qui justifie l’austérité budgétaire et la rigueur juridique dans les institutions en charge des étrangers (et plus généralement des pauvres). L’Ofpra va alors passer d’un régime des réfugiés, marqué par un fort taux d’attribution du statut, des critères souples, une activité tournée vers l’accompagnement des réfugiés en vue de leur intégration, à un régime des demandeurs d’asile orienté vers une sélection stricte et la production de rejets qui s’appuient sur des exigences nouvelles. Désormais, les demandeurs doivent montrer qu’ils risquent d’être individuellement persécutés, que leurs motivations sont purement politiques et sans aucune considération économique. Ils doivent aussi fournir toujours plus de preuves.
      Dans les années 80, ce n’était pas le cas ?

      La particularité de la décennie 80 est qu’elle voit coexister ces deux régimes, en fonction des nationalités. Les boat-people du Laos, du Cambodge et du Vietnam reçoivent automatiquement le statut de réfugié sur la seule base de leur nationalité. Et pour cause, non seulement on retrouve les questions de guerre froide, mais s’ajoutent des enjeux postcoloniaux : il faut que la figure de l’oppresseur soit incarnée par les anciens colonisés et non plus par la France. Et n’oublions pas les besoins de main- d’œuvre, toujours forts malgré les restrictions de l’immigration de travail mises en place dès les années 70. L’arrivée de ces travailleurs potentiels apparaît comme une opportunité, d’autant qu’on les présume dociles par stéréotype. Au même moment, les Zaïrois, qui fuient le régime du général Mobutu, sont massivement rejetés.
      Pourquoi ?

      Après les indépendances, la France s’efforce de maintenir une influence forte en Afrique, notamment au Zaïre car c’est un pays francophone où la France ne porte pas la responsabilité de la colonisation. C’est également un pays riche en matières premières, qui fait figure de rempart face aux Etats communistes qui l’entourent. Les Zaïrois qui demandent l’asile doivent donc montrer qu’ils sont individuellement recherchés, là où prévalait auparavant une gestion par nationalité. L’Ofpra surmédiatise les fraudes des Zaïrois, alors qu’il étouffe celles des boat-people. On a donc au même moment deux figures absolument inversées. Dans les années 90, la gestion de l’asile bascule pour tous dans le système appliqué aux Zaïrois. Cette rigidification entraîne une augmentation des fraudes, qui justifie une nouvelle surenchère d’exigences et de contrôles dans un cercle vicieux qui perdure jusqu’aujourd’hui.
      Il faut ajouter le fait que l’Ofpra devient un laboratoire des logiques de management.

      L’Ofpra est longtemps resté une institution faible. Il était peu considéré par les pouvoirs publics, en particulier par sa tutelle, les Affaires étrangères, et dirigé par les diplomates les plus relégués de ce ministère. Au début des années 90, avec la construction de l’asile comme « problème », des sommes importantes sont injectées dans l’Ofpra qui s’ennoblit mais sert en retour de lieu d’expérimentation des stratégies de management issues du secteur privé. Les agents sont soumis à des exigences de productivité, de standardisation, et à la segmentation de leur travail. On leur demande notamment de prendre un certain nombre de décisions par jour (deux à trois aujourd’hui), faute de quoi ils sont sanctionnés.

      Cette exigence de rapidité s’accompagne de l’injonction à justifier longuement les décisions positives, tandis qu’auparavant c’était davantage les rejets qui devaient être motivés. Cette organisation productiviste est un facteur d’explication du nombre grandissant de rejets. La division du travail produit une dilution du sentiment de responsabilité qui facilite cette production des rejets. Ce n’est pas que les agents de l’Ofpra fassent mal leur travail. Mais les techniques managériales influent sur leurs pratiques et elles contribuent aux 80 % de refus actuels.
      Quelle est l’influence de la question religieuse sur l’asile ?

      Pour aborder cette question, je suis partie d’un constat : depuis la fin des années 90, un nouveau groupe, composé de femmes potentiellement victimes d’excision ou de mariage forcé et de personnes homosexuelles, a accès au statut de réfugié. Comment expliquer cette ouverture à un moment où la politique menée est de plus en plus restrictive ? On pense bien sûr au changement des « mentalités », mais cette idée, si elle est vraie, me semble insuffisante. Mon hypothèse est que c’est aussi parce que nous sommes passés du problème communiste au problème islamiste comme soubassement idéologique de l’attribution du statut. Par ces nouvelles modalités d’inclusion se rejoue la dichotomie entre un Occident tolérant, ouvert, et un Sud global homophobe, masculiniste, sexiste.

      Cette dichotomie a été réactualisée avec le 11 septembre 2001, qui a donné un succès aux thèses sur le choc des civilisations. On retrouve cette vision binaire dans la façon dont on se représente les guerres en Afrique. Ce seraient des conflits ethniques, flous, irrationnels, où tout le monde tire sur tout le monde, par opposition aux conflits politiques de la guerre froide. Cette mise en opposition permet de sous-tendre l’idée selon laquelle il y avait bien par le passé de vrais réfugiés qui arrivaient de pays avec des problèmes clairs, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui. Cette vision culturaliste des conflits africains permet également de dépolitiser les mouvements migratoires auxquels ils donnent lieu, et donc de délégitimer les demandes d’asile.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/12/20/il-n-est-pas-possible-d-avoir-un-systeme-d-asile-juste-sans-politique-d-i

    • Le tri aux frontières

      En retraçant l’histoire de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, Karen Akoka montre que l’accueil des migrants en France relève d’une distinction non assumée entre « bons » réfugiés politiques et « mauvais » migrants économiques.
      « Pourquoi serait-il plus légitime de fuir des persécutions individuelles que des violences collectives ? Pourquoi serait-il plus grave de mourir en prison que de mourir de faim ? Pourquoi l’absence de perspectives socio-économiques serait-elle moins problématique que l’absence de liberté politique ? »

      (p. 324)

      Karen Akoka, maîtresse de conférences en sciences politique à l’Université Paris Nanterre et associée à l’Institut des sciences sociales du politique, pose dans cet ouvrage des questions essentielles sur les fondements moraux de notre société, à la lumière du traitement réservé aux étrangers demandant une forme de protection sur le territoire français. Les institutions publiques concernées – principalement le ministère des Affaires Étrangères, l’ Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), le ministère de l’Intérieur – attribuent depuis toujours aux requérants un degré variable de légitimité : ce dernier, longtemps lié à la nationalité d’origine, s’incarne en des catégories (réfugié, boat people, demandeur d’asile, migrant…) qui sont censées les distinguer et les classer, et dont le sens, les usages, et les effets en termes d’accès aux droits évoluent dans le temps. Cet ouvrage a le grand mérite de dévoiler les processus organisationnels, les rapports de force, les intérêts politiques, et les principes moraux qui sous-tendent ces évolutions de sens et d’usage des catégories de l’asile.

      Ce dévoilement procède d’une entreprise socio-historique autour de la naissance et du fonctionnement de l’Ofpra, entre les années 1950 et les années 2010, et notamment des pratiques de ses agents. Dans une approche résolument constructiviste, la figure du « réfugié » (et en creux de celui qui n’est pas considéré « réfugié ») émerge comme étant le produit d’un étiquetage dont sont responsables, certes, les institutions, mais qui est finalement délégué aux agents chargés de la mise en œuvre des règles et orientations politiques.

      Comment est-on passé d’une reconnaissance presque automatique du statut de réfugié pour des communautés entières de Russes, Géorgiens, Hongrois dans les années 1960 et 1970, à des taux de rejets très élevés à partir des années 1990 ? À quel moment et pourquoi la preuve d’un risque individuel (et non plus d’une persécution collective) est devenue un requis ? À rebours d’une explication qui suggérerait un changement de profil des requérants, l’auteure nous invite à rentrer dans les rouages de la fabrique du « réfugié » et de ses alter ego : le « demandeur d’asile » et le « migrant économique ». Pour comprendre à quoi cela tient, elle se penche sur le travail des agents qui sont appelés à les ranger dans une de ces multiples catégories, et sur les éléments (moraux, organisationnels, économiques, et politiques) qui influencent leurs arbitrages.
      Un voyage dans le temps au sein de l’OFPRA

      En s’appuyant à la fois sur les archives ouvertes et sur de nombreux entretiens, son livre propose un éclairage sur l’évolution des décisions prises au sein de l’Ofpra, au plus près des profils et des expériences des hommes et femmes à qui cette responsabilité a été déléguée : les agents.

      Karen Akoka propose une reconstruction chronologique des événements et des logiques qui ont régi l’octroi de l’asile en France à partir de l’entre-deux-guerres (chapitre 1), en s’attardant sur la « fausse rupture » que représente la création de l’Ofpra en 1952, à la suite de la ratification de la Convention de Genève (chapitre 2). Elle montre en effet que, loin de représenter un réel changement avec le passé, la protection des réfugiés après la naissance de cette institution continue d’être un enjeu diplomatique et de politique étrangère pendant plusieurs décennies.

      Les chapitres suivants s’attachent à montrer, de façon documentée et parfois à rebours d’une littérature scientifique jusque-là peu discutée (voir Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers, Paris, Hachette, 1998), que la création de l’Ofpra n’est pas exemplaire d’un contrôle « purement français » de l’asile : le profil des agents de l’Ofpra compte, et se révèle déterminant pour la compréhension de l’évolution des pourcentages de refus et d’acceptation des demandes. En effet, entre 1952 et la fin des années 1970, des réfugiés et des enfants de réfugiés occupent largement la place d’instructeurs de demandes de leurs compatriotes, dans une période de guerre froide où les ressortissants russes, géorgiens, hongrois sont reconnus comme réfugiés sur la simple base de leur nationalité. Les contre-exemples sont heuristiques et ils montrent les intérêts français en politique étrangère : les Yougoslaves, considérés comme étant des ressortissants d’un régime qui s’était désolidarisé de l’URSS, et les Portugais, dont le président Salazar entretenait d’excellents rapports diplomatiques avec la France, étaient pour la plupart déboutés de leur demande ; y répondre positivement aurait été considéré comme un « acte inamical » vis-à-vis de leurs dirigeants.

      Les années 1980 sont une décennie de transition, pendant laquelle on passe d’un « régime des réfugiés » à un « régime des demandeurs d’asile », où la recherche d’une crainte individuelle de persécution émerge dans les pratiques des agents. Mais toujours pas vis-à-vis de l’ensemble des requérants : des traitements différenciés continuent d’exister, avec d’évidentes préférences nationales, comme pour les Indochinois ou boat people, et des postures de méfiance pour d’autres ressortissants, tels les Zaïrois. Ce traitement discriminatoire découle encore des profils des agents chargés d’instruire les demandes : ils sont indochinois pour les Indochinois, et français pour les Zaïrois. La rhétorique de la fraude, pourtant bien documentée pour les ressortissants indochinois aussi, est largement mobilisée à charge des requérants africains. Elle occupe une place centrale dans le registre gouvernemental dans les années 1990, afin de légitimer des politiques migratoires visant à réduire les flux.

      L’entrée par le profil sociologique des agents de l’Ofpra et par les changements organisationnels internes à cet organisme est éclairante : la proximité culturelle et linguistique avec les publics n’est plus valorisée ; on recherche des agents neutres, distanciés. À partir des années 1990, l’institution fait évoluer les procédures d’instruction des demandes de façon à segmenter les compétences des agents, à déléguer aux experts (juristes et documentaristes), à réduire le contact avec les requérants ; l’organisation introduit progressivement des primes au rendement selon le nombre de dossiers traités, et des sanctions en cas de non remplissage des objectifs ; des modalités informelles de stigmatisation touchent les agents qui accordent trop de statuts de réfugié ; le recrutement d’agents contractuels permet aux cadres de l’Ofpra d’orienter davantage leur façon de travailler. Il apparaît alors qu’agir sur le profil des recrutés et sur leurs conditions de travail est une manière de les « contrôler sans contrôle officiel ».

      L’approche socio-historique, faisant place à différents types de données tels les mémoires, le dépouillement d’archives, et les entretiens, a l’avantage de décrire finement les continuités et les ruptures macro, et de les faire résonner avec les expériences plus micro des agents dans un temps long. Aussi, l’auteure montre que leurs marges de manœuvre sont largement influencées par, d’un côté, les équilibres politiques internationaux, et de l’autre, par l’impact du new public management sur cette organisation.

      Le retour réflexif de l’auteure sur sa propre expérience au sein du HCR, où elle a travaillé entre 1999 et 2004, est aussi le gage d’une enquête où le sens accordé par les interlocuteurs à leurs pratiques est pris au sérieux, sans pour autant qu’elles fassent l’objet d’un jugement moral. Les dilemmes moraux qui parfois traversent les choix et les hésitations des enquêté.e.s éclairent le continuum qui existe entre l’adhésion et la résistance à l’institution. Mobiliser à la fois des extraits d’entretiens de « résistants » et d’« adhérents », restituer la puissance des coûts de la dissidence en termes de réputation auprès des collègues, faire de la place aux bruits de couloirs : voilà les ingrédients d’une enquête socio-historique se rapprochant de la démarche ethnographique.
      Pour en finir avec la dichotomie réfugié/migrant et la morale du vrai/faux

      Une des contributions essentielles de l’ouvrage consiste à déconstruire l’édifice moral de l’asile, jusqu’à faire émerger les paradoxes de l’argument qui consisterait à dire que protéger l’asile aujourd’hui implique de lutter contre les fraudeurs et de limiter l’attribution du statut aux plus méritants. Karen Akoka aborde au fond des enjeux politiques cruciaux pour notre société, en nous obligeant, si encore il en était besoin, à questionner la légitimité de distinctions (entre réfugié et migrant) qui ne sont pas sociologiquement fondées, mais qui servent en revanche des intérêts et des logiques politiques des plus dangereuses, que ce soit pour maquiller d’humanitarisme la volonté cynique de davantage sélectionner les candidats à l’immigration, ou pour affirmer des objectifs populistes et/ou xénophobes de réduction des entrées d’étrangers sur le territoire sous prétexte d’une prétendue trop grande diversité culturelle ou encore d’une faible rentabilité économique.

      Ce livre est une prise de position salutaire contre la rhétorique des « vrais et faux réfugiés », contre la posture de « autrefois c’était différent » (p. 27), et invite à arrêter de porter un regard moralisateur sur les mensonges éventuels des demandeurs : ces mensonges sont la conséquence du rétrécissement des cases de la protection, de la surenchère des horreurs exigées pour avoir une chance de l’obtenir, de la réduction des recours suspensifs à l’éloignement du territoire en cas de refus de l’Ofpra… La portée politique d’une sociohistoire critique des étiquetages est en ce sens évidente, et l’épilogue de Karen Akoka monte en généralité en mettant en perspective la dichotomie réfugié/migrant avec d’autres populations faisant l’objet de tri : le parallèle avec les pauvres et les guichetiers étudiés par Vincent Dubois (La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2003) permet de décloisonner le cas des étrangers pour montrer comment le système justifie la (non)protection des (in)désirables en la présentant comme nécessaire ou inévitable.

      https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/05/25/defacto-026-08

    • Karen Akoka : « Le statut de réfugié en dit plus sur ceux qui l’attribuent que sur ceux qu’il désigne »

      Alors que l’accueil d’exilés afghans divise les pays de l’Union européenne, l’interprétation par la France du droit d’asile n’a pas toujours été aussi restrictive qu’aujourd’hui, explique, dans un entretien au « Monde », la sociologue spécialiste des questions migratoires.

      (#paywall)

      https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/30/karen-akoka-le-statut-de-refugie-en-dit-plus-sur-ceux-qui-l-attribuent-que-s

  • Prise de pouvoir de l’administration #Trump sur les données concernant l’évolution du #Covid-19 - Heidi.news
    https://www.heidi.news/sante/la-maison-blanche-retire-la-recolte-des-donnees-sur-covid-19-des-mains-des-c

    Le gouvernement de Donald Trump a ordonné aux hôpitaux du pays d’envoyer les données relatives au #coronavirus à une base de données centrale à Washington dès ce mercredi 15 juillet. Jusqu’à présent, ces informations indispensables pour surveiller la situation sanitaire étaient recueillies quotidiennement par les #CDC (les Centers for Disease Control and Prevention), l’agence du gouvernement chargée du contrôle des maladies. La Maison blanche affirme que ce nouveau procédé permettra une collecte plus rapide et complète des informations et une meilleure allocation des ressources. Mais cette décision soulève des questions de transparence.

    Pourquoi c’est inquiétant.
    La base de données du Département de la Santé où seront envoyées les informations n’est pas accessible au public. Cela pourraient donc affecter le travail des chercheurs, des journalistes et de divers acteurs de santé publique qui s’appuient sur les CDC pour établir des projections et prendre des décisions. De nombreux experts en #santé_publique, interrogés par le New York Times, expriment aussi leurs inquiétudes vis-à-vis de la politisation des données. La représentante de Floride, Donna E. Shalala, ministre de la santé sous Bill Clinton, a ainsi déclaré dans les colonnes du quotidien : « seules les CDC ont l’expertise nécessaire pour collecter des données. Je pense que toute tentative de déresponsabiliser les personnes qui ont l’expertise est une politisation ».

    A lire dans le New York Times

    « #Politisation » en lieu et place d’acte #criminel.

  • « Ça nous dépasse et c’est ce qu’on veut » : comment le comité Adama a réussi une mobilisation surprise contre les violences policières, Abel Mestre et Louise Couvelaire
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/08/justice-pour-adama-histoire-d-une-mobilisation_6042118_3224.html


    Assa Traore, la sœur d’Adama Traore, lors de la manifestation du 2 juin devant le tribunal judiciaire de Paris. Michel Euler / AP

    Le 2 juin, au moins 20 000 personnes manifestaient à Paris, à l’appel du comité La Vérité pour Adama Traoré, mort en 2016 après une interpellation par les gendarmes. Jeunes des quartiers, « gilets jaunes », lycéens : l’ampleur du rassemblement a pris tout le monde de court.

    Les jeunes des quartiers « qui ne se mobilisent jamais », des personnalités « qu’on avait jamais vues avant », des « gilets jaunes » « qui n’imaginaient pas avoir des points communs avec cette lutte », des lycéens militants du climat « qui veulent que le monde change », des Blancs plus aisés aussi « qui commencent à comprendre qu’ils ont leur part dans ce combat ». Ils étaient tous là, le mardi 2 juin, devant le tribunal judiciaire de Paris, pour faire entendre leur voix et leur colère face aux violences policières, à l’appel du comité La Vérité pour Adama, ce jeune homme de 24 ans mort sur le sol de la caserne de Persan (Val-d’Oise) en juillet 2016, après une interpellation musclée par les gendarmes. 20 000, selon la Préfecture de police, au moins 60 000, selon les organisateurs.

    Sa sœur, Assa Traoré, ne s’y attendait pas. Ni les militants aguerris qui l’entourent. « Cette mobilisation marque une rupture générationnelle, analyse Almamy Kanouté, du comité Adama. Ils sont jeunes, voire très jeunes. » Personne n’avait vu venir l’ampleur de la mobilisation, qui s’est poursuivie ce week-end dans plusieurs villes de France. Un peu plus de 23 000 personnes au total se sont rassemblées à Paris, Lyon, Marseille, Lille, Bordeaux…

    « Conscientisation accélérée »

    Dans les rangs des militants, on parle d’une conjonction d’événements participant à une « conscientisation accélérée » sur le sujet d’une génération – celle qui marche aussi pour le climat – qui ne craint pas de renverser les normes, d’une « coïncidence parfaite » après des décennies de lutte contre le racisme et quatre années de combat du comité Adama, une machine de guerre qui ne s’essouffle pas, bien au contraire.

    Sans QG ni financements pérennes, mis à part la vente de tee-shirts, c’est dans le Val-de-Marne, dans le salon d’Assa Traoré, que tout se passe et se pense, autour d’un grand canapé en cuir noir qui mange la moitié de la pièce.
    « Justice pour Adama », c’est avant tout un combat pour la vérité sur la mort d’Adama Traoré ; c’est une procédure judiciaire à rebondissements, jalonnée d’expertises et de contre-expertises médicales ; c’est un visage, celui d’Assa Traoré, la grande sœur charismatique, figure de proue de la lutte contre les violences policières ; c’est, en coulisses, un comité qui œuvre pour multiplier ses actions dans les quartiers populaires, faire tourner sa propre plate-forme d’informations sur les réseaux sociaux et construire des alliances stratégiques avec des organisations de la gauche extra-parlementaire.

    Depuis le 2 juin, c’est un slogan, un cri de colère et de ralliement, la version française du mouvement de protestations planétaire né aux Etats-Unis le 25 mai, jour de la mort – filmée – de George Floyd, afro-américain de 46 ans, lors de son interpellation par un policier blanc. « Justice pour Adama », c’est la traduction de ses derniers mots, « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer »), qui s’affichent dans toutes les manifestations. « Ce sont aussi ceux que mon frère a prononcés avant de mourir », martèle Assa Traoré. L’onde de choc mondiale provoquée par les images de la mort de George Floyd et la vague Black Lives Matter « a mis une claque à la planète » , dit-elle. Et trouvé un écho en France.

    « Adama » est partout

    Le confinement et la succession d’histoires de violences policières pendant cette période ont « créé une indignation qui s’est propagée sur les réseaux sociaux pendant des semaines », a observé Massy Badji, 37 ans, entrepreneur social à Châtillon (Hauts-de-Seine) et professeur dans un lycée pro. « Après tout ça, je ne pouvais plus rester derrière mon écran d’ordinateur sans rien faire », raconte Saly, la vingtaine, gestionnaire dans une entreprise des Hauts-de-Seine. Le 2 juin, elle est allée manifester pour la première fois de sa vie. Pour George Floyd et pour Adama Traoré, dont elle connaissait « évidemment ! » l’histoire.

    Cela fait quatre ans que la grande sœur d’Adama scande et impose le prénom de son petit frère, « partout où il y a de l’injustice, de l’inégalité et de la répression », explique Assa Traoré, qui refuse de parler de « convergence des luttes ». « Chacun garde sa spécificité, mais on peut faire alliance, être là les uns pour les autres quand il faut. » « Adama » est partout.

    On l’a vu se battre aux côtés des agents de nettoyage des gares ; défiler avec des cheminots du syndicat SUD-Rail pendant les manifestations des « gilets jaunes » en décembre 2018 ; rejoindre les jeunes de Youth for Climate en septembre 2019 ; occuper un centre commercial avec les écologistes du mouvement Extinction Rebellion (XR) un mois plus tard et apporter son soutien au collectif contre l’enfouissement des déchets nucléaires de Bure (Meuse).
    Le comité est surtout, de toutes les manifestations et marches blanches contre les violences policières. Et, plus discrètement, dans les quartiers populaires de France. Cela fait trois ans que, avec les membres du comité Adama, Assa Traoré arpente les cités du pays pour « discuter avec les jeunes ».

    « La voix des quartiers »

    Symbole le plus connu en France de la lutte contre les violences policières, « Justice pour Adama » devient aussi celui d’un combat, « la voix des quartiers » contre « le racisme, les discriminations et les inégalités », et occupe le vide laissé par les organisations antiracistes traditionnelles des années 1980 [Pas bravo Le Monde : SOS race a été crée par le PS pour faire le vide là où de nombreuses formes d’auto-organisation des premiers concernés se développaient...] Aussi bien SOS-Racisme que le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) sont en perte de vitesse depuis plusieurs années. « Le comité Adama est devenu un point d’accroche pour la communauté noire, pour les Arabes aussi, pour tous ceux qui n’avaient plus d’organisation ou de figure à laquelle se raccrocher », commente Assa Traoré.

    Conscient d’avoir un rôle politique à jouer pour construire un mouvement populaire large, il n’est pas question pour autant pour le comité d’être sous la tutelle d’un parti comme le furent à leur époque SOS-Racisme (Parti socialiste) et le MRAP (Parti communiste), malgré l’appui de plusieurs d’entre eux, comme notamment le Nouveau Parti anticapitaliste, La France insoumise et Europe Ecologie-Les Verts, ou le Parti communiste. « Personne ne pourra nous récupérer, on a appris des erreurs de nos aînés , lance Youcef Brakni, du comité Adama. Nous sommes politisés et politiques, mais au sens noble du terme. »

    Le comité accepte néanmoins le soutien d’élus à titre individuel, comme celui des députés « insoumis » Eric Coquerel et Clémentine Autain (Seine-Saint-Denis), ou la sénatrice Verte de Paris Esther Benbassa. « Eux étaient bienvenus mardi. En revanche, François Ruffin aurait été reçu autrement… », souligne Madjid Messaoudene, élu municipal sur le départ à Saint-Denis et soutien actif de longue date du comité Adama. Le député de [l’IGPN de] la Somme avait, en effet, déclaré en septembre 2017 lors d’un meeting qu’il voulait « mener l’enquête d’abord » avant de « se positionner ». Des propos qui lui sont encore reprochés aujourd’hui.

    « Le comité Adama dénonce un système, comme nous, les anticapitalistes, et comme beaucoup d’autres », explique Anasse Kazib, cheminot syndicaliste SUD-Rail, présent à toutes les marches pour Adama, organisées chaque été à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), où habitait le jeune homme.

    Soutien aux « gilets jaunes »

    C’est le cas de l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA). Ses militants étaient tous là mardi soir, il était même prévu qu’ils interviennent – un texte avait été écrit – mais ils ont « finalement fait la sécu ». Camille, l’un de ces antifascistes, raconte : « On est en lien avec eux depuis juillet 2016. Les ex du Mouvement de l’immigration et des banlieues [MIB] qui sont proches de nous ont joué un rôle. Et notre composition sociale et raciale fait que les choses se font naturellement. C’est une génération des quartiers populaires qui lutte avec des petits Blancs. » Les antifascistes de l’AFA estiment que ce que subissent les militants radicaux depuis les manifestations contre la loi travail en 2016 est la reproduction de ce qu’il se passe depuis des décennies dans les quartiers populaires contre « les Noirs et les Arabes ».

    Autre point de convergence : le mouvement des « gilets jaunes ». Le comité Adama a soutenu les manifestants et les antifascistes ont été de tous les « actes », participant à certains points de blocage, comme au Marché international de Rungis. « Tous les “gilets jaunes” de Rungis étaient là mardi soir », assure Camille. Pour lui, il y a un point commun entre le comité Adama, les « gilets jaunes », les zadistes ou encore le cortège de tête dans les manifestations syndicales : « Assumer l’antagonisme avec la police. » Edouard (un prénom d’emprunt), militant autonome et également « gilet jaune », abonde : « On voit que la lutte contre les violences policières et la lutte contre le gouvernement est un tout, presque une continuité. »

    En arrière-plan, c’est la lutte contre un système « de domination » qui se joue, avec des messages venus d’outre-Atlantique fondés sur le « privilège blanc ». Ils ont inondé les réseaux sociaux et particulièrement Instagram depuis la mort de George Floyd : « Muted, listen and educate yourself » (« Taisez-vous, écoutez et éduquez-vous »), pouvait-on lire sur de multiples comptes, très relayés dans les milieux artistiques et de la mode.

    « On s’inscrit complètement dans cette logique en dénonçant le racisme systémique dans la police », acquiesce Assa Traoré. « On a longtemps été parasités par le Parti des indigènes de la République qui ne représente rien et qui n’a fait que créer des polémiques, explique Youcef Brakni. Aujourd’hui, il y a un changement de paradigme, une digue est en train de sauter. »

    « Je dois être là »

    Ces événements marquent le début « d’une prise de conscience, en tant que Blanche », abonde Cloé, 31 ans, réalisatrice de fictions et de films publicitaires, à Paris. « Je croyais être très au clair sur mon antiracisme, j’avais tout faux. Le 2 juin, je me suis dit : c’est le moment, je ne dois pas parler pour eux, mais je dois être là. » Pour les militants de l’antiracisme décolonial ou politique, Cloé est une « alliée ». « L’antiracisme des alliés est une transformation radicale, analyse la sociologue Nacira Guénif, proche des milieux décoloniaux. Ils sont en train de comprendre qu’il ne faut pas faire à notre place, mais avec nous. »

    « La jeune génération a moins de réticences à se remettre en question, à questionner la norme, à utiliser des mots qui font peur aux générations précédentes, affirme Dawud, militante afro-féministe parisienne de 28 ans. Pour eux, parler de “blanc” ne pose aucun problème. »

    Comme Gabriel, lycéen parisien de 16 ans, venu manifester samedi 6 juin place de la Concorde, à Paris, qui ne veut « plus de ce monde-là », ne veut « plus laisser passer ça ». « Ça », c’est « la violence de la police » envers les minorités ; « ça », c’est « la planète qu’on saccage » ; « ce monde-là », c’est aussi « la couleur de ma peau, blanche, qui, de fait, me confère une position dominante dans la société ». « Tout ça, c’est le même combat », conclut-il.

    « Même sans nous, le mouvement continue constate, satisfait, Youcef Brakni. Le comité Adama n’était à l’origine d’aucun des appels à manifester ce week-end. « Ça ne nous appartient plus, ça nous dépasse, et c’est ce qu’on veut. A chacun de prendre part au combat. »

    Face à l’événement. La classe dominante a le droit d’être informée de ce qui la menace. On en vient à ne pas dire (trop) n’importe quoi.

    #confinement #Irruption #police #racisme #justice #violences_policières #Morts_aux_mains_de_la_police #Adama_Traoré #Recomposition_politique #Manifestation_du_2_juin_2020 #Luttes #Faire_alliance #politisation #antiracisme #Vérité_pour_Adama_Traoré #cortège_de_tête #Gilets_jaunes #antifascistes #quartiers_populaires #lycéens #banlieues #cités

    • Le comité Adama appelle à un rassemblement national massif ce samedi à Paris
      https://twitter.com/laveritepradama/status/1270074397290835976

      Notre avocat a été contacté aujourd’hui par le cabinet de Madame Nicole Belloubet, ministre de la justice, garde sceaux.

      Il lui a été proposé d’organiser une rencontre entre le garde des sceaux et la famille d’Adama Traore.

      Contrairement à ce qu’affirme certains médias, sans avoir attendu la réponse de la famille Traoré, celle-ci refuse de rencontrer la garde des sceaux pour échanger.

      Elle demande depuis quatre ans que les gendarmes entre les mains desquels est mort Adama Traoré soient convoqués devant la justice, interrogés et mis en examen.

      La famille d’Adama Traoré rappelle qu’elle attend des avancées judiciaires, et non des invitations à la discussion qui n’auraient aucune finalité procédurale.

      C’est la raison pour laquelle le comité Adama appelle à un rassemblement nationale massif ce samedi au départ de la Place de la République à 14h30.

      La conférence de presse se déroulera demain 9 juin à 12h00 49bis Rue Louis Blanc, 75010 Paris.

      Bien joué ! Accepter un tel rendez-vous c’était devenir des justiciables plus égaux d’autres hors de tout cadre juridique, rendre service au gouvernement.
      C’est exceptionnel que le leurre si terriblement efficace de la reconnaissance institutionnelle ne fonctionne pas.

    • « Il ne faut pas perdre la jeunesse » : l’Elysée craint un vent de révolte
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/10/il-ne-faut-pas-perdre-la-jeunesse-l-elysee-craint-un-vent-de-revolte_6042430

      Emmanuel Macron prononcera dimanche une allocution depuis l’Elysée. L’occasion pour le chef de l’Etat d’apparaître en père de la nation, alors que les manifestations se multiplient.

      [...] « On a fait vivre à la jeunesse quelque chose de terrible à travers le confinement : on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. Il est normal qu’ils trouvent dans la lutte contre le racisme un idéal, un universalisme » , répète [le père de la nation] à ses interlocuteurs.

      Maxime du dentifrice

      Pour [le p. de la nation], le confinement a été pénalisant avant tout pour les jeunes, alors qu’il a d’abord été décidé pour protéger les plus âgés, davantage exposés au coronavirus. Un paradoxe qui, si l’on n’y prend garde, pourrait déboucher sur un « conflit de générations », craint M.

      [Le p.] partage les analyses de ceux qui estiment que la génération de #Mai_68 est responsable d’un certain nombre de maux du pays mais aussi du monde, notamment en matière d’écologie.

      [...] la menace sécessionniste est réelle au sein du pays, affirme-t-on au sein de l’exécutif. Pour le chef de l’Etat, l’affaire George Floyd entre en résonance avec un passé colonial non encore digéré. « La guerre d’Algérie reste un impensé » , aime répéter le locataire de l’Elysée, qui a tenté à plusieurs reprises de faire évoluer les mentalités sur ce sujet depuis le début de son quinquennat mais dit se heurter à l’absence d’interlocuteurs. « Il y a tout un travail à faire avec les historiens, mais cela prend du temps » , explique-t-on au cabinet [du p. de la nation].

      [...] « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste [le p. de la plantation Uber Frichti Amazon raconte sa vie, ndc]. Cela revient à casser la République en deux », estime en privé le chef de l’Etat, qui souligne notamment les ambivalences des discours racisés [sic] ou sur l’intersectionnalité [et qui] dit ne pas craindre une « FNisation » de la police. « Ce sont des citoyens comme les autres »_ , répète-t-il.

      #laquestionsociale #lajeunesse

    • Aujourd’hui, le toujours prêt Pelloux a voulu rendre service au gouvernement en ce jour de manif santé en déclarant sur BFN que place des Invalides des « tshirts Adama ont brûlé deux voitures »...

      Il y n’a pas eu de voitures brulées, pas plus que d’attaque par les manifestants du Premier mai 2019 de la Pitié-Salpétrière.

  • How a ban on pro-Trump patterns unraveled the online knitting world - MIT Technology Review
    https://www.technologyreview.com/s/615325/ravelry-ban-on-pro-trump-patterns-unraveled-the-online-knitting-world-censorship-free/?truid=a497ecb44646822921c70e7e051f7f1a

    When knitting site Ravely banned all pro-Trump content it caused a schism in the community—but it also shone a spotlight on how women are using niche sites to politicize.

    But the infighting in one of the internet’s most niche communities is about more than just politics and knitting. It’s a glimpse of how otherwise ignored populations—here, predominantly older women—are using online platforms to organize and make their voices heard. And the Ravelry falling-out highlights questions other platforms, like Facebook and Twitter, have tiptoed around: What constitutes hate speech, and how should censorship work online?

    For some, the politicization of knitting groups started in earnest with the Women’s March in 2017. Thousands of women knitted “pussy hats” to protest the “grab ’em by the pussy” comment the president was revealed to have made in 2005. Nearly 5,000 knitters were active on Ravelry’s dedicated subgroup for the march. Three years later, a majority remained active, says Sandra Markus, a professor at the Fashion Institute of Technology. Together with Ioana Literat, a professor at Columbia University Teachers College, she published a paper last year that chronicles online “craftivism” and how politics has grown with it.

    But with the ban on Trump-related content, many of those voices moved elsewhere. In the eight months since the ban, a slew of right-leaning Ravelry copycats have sprung up. Deplorable Knitter launched her own site, subtitled “The Adventures of a Politically Incorrect Knitter,” where she’s gained a cult following and is currently hosting a knit-along of a hat and cowl emblazoned with “Women for Trump.” There’s the independent 18,000-strong Fiberkind, whose threaded chat layout most resembles Ravelry. And there’s Trump-supporting Freedom Knits, “where artistic freedom is respected.” It has grown to 400 members in the two months since it launched.

    The increased politicization of the online knitting world has come as part of a demographic shift. While the community still skews older and mostly female, it is fast diversifying. Millennials—who are generally more politically active and came of age in the AIM chatroom—are now signing up to Ravelry and its offshoots. “They’ve been awakened in this particular moment to capitalize on their identity,” Literat says.

    Online communities that are hyperspecific to certain hobbies also help engender dialogue across the political divide—a key point in a polarized political environment where people spend much of their time in ideological bubbles, says Literat.

    “You get a much wider spectrum of opinions in these spaces,” she says. “You see people who are already politically engaged, but also people who aren’t coming to these places, at least at first, because of politics.”

    The controversy shines a light on the future of political organizing: ultra-niche, small-but-vocal online communities built around an otherwise nonpolitical hobby or interest. For Literat, Ravelry’s ban presents a litmus test for the future of niche-site censorship and whether it’s best to forge a single, politically homogenous community or to splinter fringe users off.

    It is also giving women a new way to become politicized online. For Amy Singer, the founder of another knitting site, Knitty, that’s good news.

    “The one thing that crafts have always done is bring solace,” she says. “It gives us a way to express what’s upsetting us, hope for change, and bring comfort. Knitting’s not for grannies. We’re not scared any more.”

    #Tricot #Culture_participative #Politisation #Liberté_expression #Culture_numérique

  • Réinventer l’accueil et rejeter les politiques migratoires actuelles

    Karine Gatelier et Cristina Del Biaggio ont été interviewées par le magazine « Faim et développement », porté par le Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement « Terre Solidaire ». Dans le cadre de ce reportage centré sur les mouvements d’accueil citoyen grenoblois, les deux chercheuses se sont exprimées sur le rôle des collectifs et de la ville dans l’accueil des personnes migrantes :


    –-> mini-interview de @karine4 et moi-même pour le magazine Faim et développement - Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement « Terre Solidaire » (décembre 2019)

    https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/reinventer-l-accueil-et-rejeter-les-politiques-migratoires-actuelles-
    #accueil #asile #migrations #réfugiés #collectifs_solidaires #Grenoble #politisation #prise_de_conscience #violence #injustice #solidarité #villes-refuge #hospitalité #politique_de_l'hospitalité #autonomie #citoyenneté #citoyenneté_en_actes
    ping @isskein

    • Sur comment @karine4 interprète le concept de citoyenneté, voir aussi :

      Pour une anthropologie de la citoyenneté à partir des luttes sociales des exilés

      Dans les années 90, la France a connu une lutte sociale dite des «  sans papiers  », qui a vu une forte mobilisation des populations en situation irrégulière, soutenues par des Français, et qui tous ensemble ont dénoncé des situations d’injustice et revendiqué l’application des droits et l’élargissement des conditions de régularisation du séjour sur le territoire. La question migratoire revient en force dans l’actualité et de façon spectaculaire depuis 2015, puisqu’on voit que les sociétés européennes connaissent un moment migratoire d’une ampleur nouvelle. Parallèlement, les systèmes d’asile européens échouent à mettre en œuvre les droits fondamentaux et la protection des personnes en besoin  ; les politiques migratoires offrent de moins en moins de possibilités d’entrée et d’installation sur le territoire.

      Cet article prend pour fondement l’observation empirique du quotidien de personnes dans des situations administratives diverses. Certaines vivent et s’intègrent dans la société française et mènent une existence, riche d’une socialisation, de contributions à la société et de participation sous diverses formes, sans pour autant être régularisées au titre du séjour.

      Les pratiques quotidiennes de ces personnes servent de base pour réfléchir aux modalités de leur présence et de leur participation dans notre société et questionner les instruments juridiques disponibles. À partir du constat de leur participation à l’espace social et politique, c’est le concept de «  citoyenneté  » qui est examiné pour faire une nouvelle lecture des modalités de leur présence, et le questionner.

      Loin d’une conception de leur présence comme une errance, les pratiques qui ancrent les exilés dans la ville sont les mêmes qui peuvent former la base pour une ré-interprétation de la citoyenneté dans un contexte migratoire renouvelé : la citoyenneté avait été revisitée avec la construction de l’Union européenne et les perspectives qu’elle ouvrait de remises en cause des souverainetés nationales. Elle avait donné lieu à de nombreux travaux. De la même manière, le moment que l’Union européenne est en train de vivre avec ce phénomène migratoire rarement aussi important, devrait donner lieu à une réflexion sur qui sont les citoyens européens.

      Cette proposition ouvre un horizon idéologique mais surtout elle se veut la manifestation d’un hiatus : entre les discours de la classe politique et la réalité d’une société dont des segments entiers sont exclus de la vie publique ou existent seulement pour se voir adresser des politiques sécuritaires pour les exclure encore plus, les repousser encore plus loin, les priver encore davantage de leurs droits. Dans ce contexte, nous trouvons particulièrement pertinent le constat de la sortie de la «  société des semblables  » (Léon Bourgeois, Robert Castel) et celui de la fragmentation du corps social, pour interroger à la fois la nature de notre société et questionner la durabilité de son modèle.

      Dans une publication récente, Robert Castel1 empreinte à Léon Bourgeois sa définition de la «  société des semblables  » : «  une société dont tous les membres disposent des ressources et des droits de base nécessaires pour s’inscrire dans des systèmes d’échanges réciproques au sein desquels chacun peut être traité à parité  ». La société des semblables donne par conséquent la possibilité à tous ses citoyens de «  disposer d’un minimum de ressources et de droits indispensables pour s’assurer une certaine indépendance sociale  ». C’est l’indépendance sociale minimale qui permet à chacun d’être maître de ses choix et d’éviter la dépendance, la sujétion, l’assistance «   qui fait que de faibles ressources vous sont octroyées sur la base d’une déficience  ».

      Cette étude prend pour hypothèse une citoyenneté en actes et cherche à la documenter par la description de pratiques quotidiennes de participation, de contribution ou encore d’interventions comme autant de manières pour ces personnes de ré-inventer de la citoyenneté.

      Après une description du terrain, cet article exposera la démarche ethnographique de recueil de quelques pratiques – habituer un squat, un cycle d’ateliers de coproduction de connaissance sur la procédure de l’asile et le bénévolat associatif. Elles seront ensuite analysées dans un corpus théorique qui permet de les lire comme autant d’ancrages dans un espace précis, celui de la ville  ; et selon des modalités qui oscillent entre la désobéissance et la coopération avec les pouvoirs publics.

      Le terrain de la recherche

      Le terrain de recherche est donc à comprendre au sens des «  nouveaux terrains  » tels que désignés par l’anthropologie depuis les années 90, à savoir : en rupture avec l’idée d’un terrain territorialisé et délimité avec précision qui s’inscrit dans une perspective monographique sur la base d’un essentialisme identitaire, bien souvent ethniciste. La mondialisation a notamment induit une transformation des représentations de l’individu vers un individualisme accru remettant en cause nos lectures des communautés et de ce qui les fondent et les relient. Du même fait, elle a opéré une rupture avec la séparation Nord-Sud et la division entre le proche et le lointain. Les anthropologues ne s’intéressent plus seulement aux sociétés lointaines mais ils travaillent également dans les sociétés occidentales : dans quelles conditions cette discipline continue de fournir des outils pertinents pour les comprendre  ? En critiquant d’abord l’ethnologie classique comme ethnique et monographique (inventaire culturel), il s’agit de comprendre que les communautés, les lieux de production du commun, se sont transformés, imposant de penser les terrains non plus territorialisés, dans une production monographique mais, dans une démarche inductive (de l’observation à l’interprétation  ; de l’enquête à l’analyse), d’identifier les lieux et toutes les situations contemporaines qui, dans un contexte d’individualisation extrême et de développement de l’urbanité, font communauté.

      Étudier et rendre compte d’un terrain (un quartier par exemple) consiste également à le décrire aussi à travers ses circulations, ses échanges, ses contacts. C’est voir le monde à travers un lieu, comprendre les enjeux à des échelles plus larges à partir du terrain : par les connexions avec l’extérieur du «  terrain  », par les circulations, par les similitudes des situations, des logiques et des enjeux. Cette réflexion critique sur les terrains cherche ainsi à critiquer le «  lieu anthropologique  », traditionnellement délimité spatialement et formant la base d’un travail monographique, pour aller vers une autre approche des terrains, parfois qualifiés de «  non-lieux  » - c’est-à-dire le multi-site et les réseaux.

      Ce non-lieu de l’anthropologie et l’anti-monde des géographes :

      Le «  non-lieu  » (Augé, 1992) de l’anthropologie est cette «  instance  » (Agier, 2013) représentée par les lieux et toutes les situations contemporaines qui, dans un contexte d’individualisation extrême et de développement de l’urbanité, font communauté, ce sont les lieux de production du commun. Les anthropologues ont proposé une autre approche des terrains, parfois qualifiés de «  non-lieux  » - c’est-à-dire le multi-site et les réseaux.

      L’anti-monde est cette «  partie du monde mal connue et qui tient à le rester, qui se présente à la fois comme le négatif du monde et comme son double indispensable  » (Brunet, Ferras et Théry, 1992). Il n’existe que dans ses rapports indissociables avec le monde. Ce sont ses relations dialectiques avec le monde qui sont les plus intéressantes pour nous permettre de rendre compte de notre contemporain, dans les divers espaces dérogatoires de nos sociétés  ; la demande d’asile et la question des réfugiés en font partie.

      Ces espaces connaissent plusieurs paradoxes notamment celui de leur sur-encadrement juridique et celui de leur visibilité : ils font l’objet de règles nombreuses et strictes mais leur échappent  ; ils sont connus mais cachés. Ce sont les mondes de la relégation et de l’écart.

      De cette position complexe et de ces paradoxes, nous retiendrons que la distance que posent ces lieux protègent les personnes qui s’y trouvent, elle leur permet de vivre, mais sans que cette distance les isole car les contacts et les interventions à l’extérieur de l’anti-monde sont recherchés. Ce sont donc les pratiques de cette distance et de ces contacts qui sont étudiées.

      Ce questionnement sur les terrains renvoie aussi à la production du savoir : cette approche qui se met en œuvre dans l’empirisme de l’observation pour rendre une analyse de ce que sont les communautés, s’accompagne d’une réflexivité de l’observateur sur son terrain, forcément impliqué, pour produire un savoir plus empathique, plus proche des raisons des sujets présents sur le terrain. Cette réflexivité prend la forme d’une réflexion de la situation sur elle-même, des relations établies entre l’observateur et les sujets sur le terrain. Chaque observation, et chaque analyse à laquelle elle conduit, doit être contextualisée au lieu et au moment de l’observation, dans l’objectif d’expliquer la logique qui l’anime, pour éviter la tentation essentialiste qui conduirait à figer des représentations, des pratiques, des traits et de les prêter au groupe identifié. L’individu est le point de départ pour reconstruire le groupe pour éviter d’identifier des groupes fictifs.

      Une approche anthropologique de la citoyenneté

      Nous voudrions défendre l’idée que la citoyenneté est un objet approprié pour l’anthropologie sur la base du constat que le fondement purement juridique qui lui est généralement attribué est un construit social et politique (Neveu, 2004), et qu’il peut, par conséquent être également étudié comme des représentations et des pratiques, comme «  une inscription positive et socialement reconnue dans un espace social et politique  ». Cette approche, en plus d’envisager sa dimension horizontale à savoir les relations entre citoyens et avec ceux qui ne le sont pas, permet de la concevoir comme autant de dynamiques constitutives d’une citoyenneté en actes. Cette conception empirique de la citoyenneté laisse toute la place à sa description comme un faisceau de pratiques et de relations : parce qu’on est là, ici et maintenant, parce qu’on pratique le lien avec les autres, dans une sorte d’immanence.

      Une démarche ethnographique : quelques pratiques d’une citoyenneté en actes

      Trois registres d’interactions des exilés sont étudiés pour mettre en œuvre la démarche ethnographique et pour étudier les modalités de leur participation à l’espace politique : habiter un squat  ; débattre sur la réforme de l’asile  ; travailler bénévolement.

      Habiter un squat

      Le squat dont il est question est le lieu d’habitation de personnes en situation d’exil. Il constitue un lieu de mise en œuvre de plusieurs formes de citoyenneté en actes.

      Le fait d’habiter un lieu illégalement occupé pour une personne étrangère qui possède des droits, notamment à l’hébergement, procure d’emblée une conscientisation politique, qui passe par l’illégalité et la désobéissance. Cette conscientisation repose d’abord sur le choix d’habiter ou non le squat. Ensuite, habiter le squat suppose l’acceptation d’une série de règles toutes dirigées vers la protection du squat. Ce sont des précautions à prendre au quotidien mais aussi une stratégie de négociation à élaborer pour obtenir des propriétaires et des pouvoirs publics de maintenir le lieu. Nous y voyons à la fois une expérience commune dans la vie à la marge et la subversion et dans l’occupation illégale et sa défense. Cette expérience est celle qui met en œuvre la rencontre et le contact avec différents acteurs de la société : militants, responsables politiques, journalistes, voisins… Il s’agit donc d’une socialisation singulière autant avec les habitants avec lesquels l’espace de vie est partagé qu’avec la société et l’État français.

      À chacune des étapes de la vie du squat, les questions en jeu ont été celles de la légitimité de la présence de ses habitants. Il s’agit pour eux , à travers la défense du squat, d’une lutte de reconnaissance pour leur présence et leurs droits. Il était notamment frappant comme dans les interactions avec les différents représentants des pouvoirs publics, ils n’étaient généralement pas reconnus comme des interlocuteurs et des représentants du lieu occupé. Les responsables, de la préfecture, du CROUS (propriétaire du lieu), de la mairie, les journalistes, évitaient le contact avec eux pour chercher à s’adresser aux militants, membres du comité de soutien. Ce fut un enjeu important, par exemple, que de faire accepter un habitant lors d’une rencontre à la préfecture.

      Le lutte de reconnaissance commence donc déjà avec la possibilité de parler et d’être entendu par les autorités dans ce rapport qui sort de la relation habituelle entre exilés et autorités. Ici ils ont quitté la position de dépendance et de sollicitude dans laquelle ils sont habituellement placés face à l’administration dans la demande d’asile ou de titre de séjour. Les interactions déterminées par la défense du squat les situent dans un rapport de force bien plus favorable.

      Débattre sur la réforme de l’asile

      Dans le contexte des débats sur le projet de réforme de la loi sur l’asile, un cycle d’ateliers de coproduction de connaissance sur la procédure de demande d’asile a été ouvert au printemps 2014. Il a été proposé à des personnes, pendant ou à l’issue de leur procédure de demande d’asile. Il a réuni une quinzaine de personnes pendant deux mois.

      La réforme de l’asile a en effet constitué une opportunité pour ouvrir un espace de parole aux exilés en demande d’asile, en leur proposant, sur la base de leur expérience de la procédure, de l’évaluer et de formuler des propositions pour la modifier.

      À la fin, ces ateliers ont pris deux formes : la rédaction d’un livret qui reprend les propositions des exilés2  ; une série d’amendements soumis aux députés locaux en prévision des débats parlementaires. Et finalement, un groupe de participants a pu assister à une partie des débats parlementaires à l’Assemblée nationale (décembre 2014).

      Comme d’autres cadres peuvent également en fournir des exemples, ces ateliers ont été l’occasion pour les participants d’exprimer une expertise politique sur la procédure. Ces ateliers ayant été une initiative associative sans commande des pouvoirs publics, d’une part ils ne peuvent être vus comme la mise en œuvre de la participation politique des exilés à l’élaboration des politiques publiques, en revanche, leur investissement et les apports qu’ils ont constitués montrent à la fois la forte demande pour des démarches dans ce sens, et la valeur de «  l’expertise politique  » dont ils disposent. D’autre part, ces ateliers n’ayant pas suscité d’attente en amont de la part de la puissance publique, il a fallu a posteriori la faire connaître et diffuser ses résultats. Ces derniers ont servi à étayer et légitimer un travail de plaidoyer mené dans la région Rhône-Alpes, associé à une analyse juridique basée sur l’expérience des associations d’accompagnement des demandeurs d’asile, pour formuler des propositions d’amendements soumis aux élus régionaux.

      Pour les personnes qui ont pris part aux ateliers, le principal résultat a été de ne pas se laisser raconter par les autres, ne pas se laisser enfermer et assigner dans des représentations qu’ils ne contrôlent pas. Cette attente importante et omniprésente, et la conscience de la mécanique de la fabrique des préjugés est forte. De nombreux témoignages au quotidien montrent comment ces préjugés peuvent être construits et persister car les contacts entre exilés et Français sont évités. Cette situation est vécue parfois comme une bizarrerie, une maladresse, parfois comme une politique délibérée d’altérisation.

      Au niveau méthodologique, ces ateliers ont essayé de répondre à la rigueur méthodologique soulevée par Spivak dans son questionnement sur les conditions dans lesquelles les subalternes peuvent parler. En effet, sur la base du constat que la production intellectuelle occidentale de préjugés et de catégories sociales et administratives limitent nos analyses, elles doivent être questionnées constamment pour comprendre les enjeux de leur fabrication. Pour les remettre en cause, il s’agit de permettre l’émergence d’une parole autre, celle des personnes qu’on écoute peu, qui trouvent rarement l’occasion de l’exprimer. Mais pour y parvenir, les conditions d’émergence de cette parole doivent tenir compte de l’ensemble des dominations à l’œuvre dans les rapports au sein de notre société, pour les réduire voire les supprimer. Les analyses issues du courant des Subaltern studies (Spivak) nourrissent ces réflexions, ainsi que les méthodes inspirées de l’éducation populaire politique.

      Travailler bénévolement

      Enfin, la dernière expérience mobilisée dans le recueil des pratiques quotidiennes est le bénévolat pratiqué par certains exilés, au sein des associations de solidarité avec les étrangers. En plus des compétences sur lesquelles repose le bénévolat (notamment la traduction), c’est la position de valoriser et de voir reconnaître ses compétences, ainsi que d’aider, qui sert notre argumentation. Il s’agit là encore de la question de la reconnaissance des capacités des exilés, à apporter des contributions dans notre société.

      Ainsi, nous retiendrons de ces quelques expériences, pour les lire en termes de ré-invention d’une citoyenneté, la défense d’un droit fondamental, celui du droit d’asile  ; du droit au logement, dans le cadre de la défense du squat  ; la reconnaissance d’une connaissance d’une question de politique publique – l’asile – comme pouvant contribuer à l’amélioration de celle-ci  ; enfin, la valorisation de compétences (traduction et interprétariat) comme contribution en termes économiques.

      Nous proposons de lire l’exercice de cette citoyenneté en actes à l’échelle de la ville, pour y voir cette inscription dans l’espace social et politique.

      Une citoyenneté en actes dans la ville

      En contraste avec les perceptions d’instabilité et d’errance, de marginalisation, dans lesquelles sont vus les exilés, nous avons présenté plusieurs pratiques que nous lisons comme les modalités d’une socialisation qui les ancre dans la ville, des pratiques quotidiennes de leur participation à la vie de la cité.

      1. La ville comme espace de rencontres qui nouent des appartenances à une échelle translocale (Neveu, 2004) :

      sa dimension horizontale à savoir les relations entre citoyens et avec ceux qui ne le sont pas, permet de la concevoir comme autant de dynamiques constitutives d’une citoyenneté en actes. Cette conception empirique de la citoyenneté laisse toute la place à sa description comme un faisceau de pratiques et de relations : parce qu’on est là, ici et maintenant, parce qu’on pratique le lien avec les autres, dans une sorte d’immanence. À ce titre, l’observation désigne la ville comme échelle pertinente pour articuler la complexité des relations et des appartenances et les inscrire dans un territoire, en rupture avec l’idée que la citoyenneté a forcément à voir avec l’échelle de l’État pour en régir les droits et les devoirs.

      2. L’échelle de la ville pour repenser la citoyenneté :

      L’observation a montré que la ville est le lieu dans lequel se développe la sociabilité. Elle devient vecteur de mobilisation et de pratiques de participation à l’espace social et politique, cadre des luttes sociales. Le droit à l’hébergement et la lutte entreprise pour le défendre est une lutte sociale de redistribution qui a été possible par les sociabilités rendues possibles par la ville. Le besoin d’espace de paroles pour se réapproprier son image et ne pas se résigner à se voir assigner cette image est une lutte de reconnaissance, de même que la nécessité de proposer et valoriser ses compétences dans le cadre du bénévolat.

      Pour S. Sassen et E. Isin, la ville est l’espace de prédilection pour l’expérience de la citoyenneté et pour sa mise en œuvre. La ville, vue comme le lieu du social (Isin, 2009), offre les moyens de s’organiser, en permettant de se rassembler, se mettre en scène, se définir à travers des symboles et s’imaginer, se constituer en groupe social. Dès lors, la ville posent les conditions de droits à la ville, c’est-à-dire les droits de la citoyenneté urbaine : constituer de groupes sociaux, pour se représenter et être représentés  ; pour revendiquer et imposer. Ces droits ne sont pas contenus dans les droits de la ville (Isin, 2009). Les «  droits à la ville  » tels que définis par Isin sont l’autonomie, l’appropriation, la différence et la sécurité et leur revendication donnent lieu à des luttes de reconnaissance et de redistribution. Ces droits sont distincts mais interdépendants.

      Enfin, les formes de la citoyenneté organisée par la ville en tant que lieu du social peuvent transcender les frontières nationales.

      La ville comme lieu du social fait écho à la citoyenneté ancrée dans le social, une approche ordinaire de la citoyenneté, en rupture avec une citoyenneté stato-nationale fondée sur une «   définition normative, transcendante et impersonnelle d’un régime procédural de type habermassien, essentialisé dans un rapport à l’État  » (Carrel et Neveu, 2014) : «  la citoyenneté est alors conçue par les intéressés comme l’expression d’une appartenance collective  » dans laquelle le rapport de force prend toute sa place à travers une lutte pour la reconnaissance. La ville c’est la proximité, la rencontre avec l’autre, l’autre différent de soi. Cette conception de la citoyenneté permet d’apercevoir les appartenance sociales à la plus petite des échelles – les voisins par exemple – autant qu’à l’échelle plus large de communautés transnationales, dans la diversité des modes de participation à la vie publique .

      Ainsi la citoyenneté est expérimentée, au sens où elle est exercée, à travers des luttes sociales, de deux types. Nous voyons d’abord des luttes de redistribution quand, pour défendre le droit au logement, des logements vacants sont réappropriés et occupés. Le logement en tant qu’un aspect de la citoyenneté sociale, de la citoyenneté tout court, et le droit de s’approprier des logements vacants, le droit au squat, est une illustration. En défendant le squat, l’espace créé par cette lutte permet des prises de parole, crée de la représentation, dans un rapport de force constant pour trouver cet espace : on a vu combien il a été difficile de faire accepter la présence d’un habitant du squat lors d’une réunion à la préfecture. Ça n’est pas avec eux que les représentants de l’État souhaitaient échanger. Enfin, le squat offre un espace de liberté et d’autonomie : les habitants du squat sont chargés de son organisation interne, en plus de sa défense à l’extérieur  ; ils sont ainsi pleinement acteurs de leur propre hospitalité, et libre d’accueillir au squat. C’est pourquoi on entre vite dans un paradoxe : la défense du squat repose sur la dénonciation de la non-prise en charge de l’hébergement par l’État et donc le déni du droit fondamental au logement. Pourtant, une fois que le squat existe, il confère une liberté à laquelle il est difficile de renoncer et des propositions d’hébergement par l’État peuvent être refusées pour leur préférer la vie au squat. En plus de l’isolement qu’impose le dispositif d’hébergement des demandeurs d’asile – les CADA sont souvent bien loin dans les campagnes – le contrôle social qui existe dans les centres d’hébergement et auquel ils sont identifiés est bien connu.

      La défense d’un squat a permis de valider ce lieu comme un vecteur de conscientisation qui permet aux habitants disqualifiés de la ville de devenir acteur, de passer d’un discours de la plainte à un discours de lutte, de revendication de droits  ; d’un discours personnel à un discours collectif (Bouillon, 2009). La lutte partagée instaure le lien avec la ville, avec les autorités et avec l’autre, celui qui n’a pas d’expérience de la migration. Ce passage du mode personnel à un registre collectif met en marche, permet de poser des actes car il déculpabilise, dé-stigmatise et restaure la qualité de sujet. La sociabilité de la ville le permet par la dénonciation de l’injustice (déni de droits) et la lutte pour la défense des droits (droit à l’hébergement). De plus, elle rend possible la production d’identités différenciées de la norme établie.

      Le squat est aussi le lieu de l’appropriation de l’espace, d’une parcelle de la ville  ; ceci dans une dialectique ambivalente entre accueil et relégation, hospitalité et contrôle.

      L’autre type de lutte concerne les luttes de reconnaissance de la condition d’exilés et la dénonciation des politiques migratoires à l’échelle européenne qui convergent vers la délégitimation de l’exil et de la demande d’asile. Cette quête de reconnaissance exprime le besoin de voir reconnue leur légitimité à se trouver à cet endroit-là à ce moment-là, simplement. Cette demande n’est pas forcément politisée dans un discours sur la liberté de circulation et d’installation ou sur une critique des impacts du libéralisme voire d’un impérialisme de l’Occident.

      Ainsi, nous concevons les luttes sociales comme une modalité de la participation à l’espace social et politique et la citoyenneté comme la revendication des droits à la ville (Isin, 2010). Les formes translocales de la citoyenneté organisée par la ville en tant que lieu du social transcendent les frontières nationales. (Isin 2009). Enfin, il s’agit de penser la citoyenneté non à travers l’expérience de la construction européenne mais à travers celle, plus longue dans le temps et qui connaît une actualité dense, des migrations.

      Les luttes sociales comme modalité possible de la citoyenneté permet également une lecture de la citoyenneté comme confrontation avec l’autre, avec la différence. Balibar par exemple exprime toute sa reconnaissance à la lutte des sans-papiers pour avoir «  recréer de la citoyenneté  », «  montrant qu’il n’est pas nécessaire d’être un national pour contribuer de façon responsable à la vie de la cité  » (Balibar, 1998).

      3. La citoyenneté comme confrontation avec la différence :

      La capacité d’exposer un litige et de reformuler les questions du droit et du non-droit. (Rancière, 2000) est une des caractéristique de la citoyenneté, dans sa capacité à organiser la vie de la cité et le «  vivre-ensemble  ». Et les exemples sont nombreux en effet de la capacité des citoyens à se mobiliser dans une logique de confrontation, voire de conflit .

      L’expérience du squat produit pourtant une conscientisation et fabrique une citoyenneté paradoxales : si on définit ici la citoyenneté comme une pratique de l’appartenance à un ensemble qui dépasse son propre collectif, alors cette «  appartenance  » prend la forme d’un rejet, ou du moins d’une mise à distance. C’est parce que les droits ne sont pas pris en charge par l’État (hébergement) que des solutions sont inventées (squat), dans une critique des modes d’action de l’État et, dans le cas qui nous intéresse, en dehors du droit. Le squat est la réappropriation d’un espace privé, en en privant ainsi son propriétaire. La revendication et la réappropriation de cet espace, métaphoriquement, est aussi une revendication à trouver sa place dans l’espace social et politique. Il fait écho à un des droits à la ville – appropriation – identifié par Isin. La citoyenneté en actes prend ici la forme d’une lutte qui positionne dans l’illégalité.

      4. Le rapport à la loi et à l’illégalité :

      La citoyenneté pose donc la question du rapport à la loi et à la légalité. Quand la loi se délégitime, cela produit de la défiance voire de la réaction. Balibar considère que la légitimité de la loi se dégrade quand elle ne respecte plus les «  lois supérieures de l’humanité  », des «  lois non écrites  » qui posent «  le respect des vivants et des morts, l’hospitalité, l’inviolabilité de l’être humain, imprescriptibilité de la vérité  » (Balibar, 1998). Cette situation crée de la désobéissance quand les droits ne sont plus respectés par l’administration. Balibar reconnaît le devoir des citoyens de porter sur la place publique tout constat que d’une contradiction flagrante entre ces lois supérieures et une loi positive ou une législation de circonstance, en proclamant leur désobéissance. En désobéissant, les citoyens «  recréent les conditions d’une législation  ». Balibar considèrent qu’ «  ils n’attaquent pas le concept de loi, ils le défendent  ».

      La désobéissance civique comme action collective recrée la citoyenneté dans une circonstance grave (Balibar, 1998) : «  je crois bien cependant que la citoyenneté et la communauté ne peuvent exister sans cette référence nécessaire à la désobéissance, et même sans que périodiquement le risque d’y recourir ne soit effectivement assumé  ».

      La citoyenneté parle de subjectivité politique  ; elle rend possible son affirmation, son expression. La citoyenneté ouvre la politique comme une pratique de contestation par laquelle les sujets deviennent politiques. Avant qu’un sujet puisse lutter pour revendiquer des droits, ce sujet doit d’abord avoir gagné le droit de faire cette lutte en premier lieu. C’est «  le droit d’avoir des droits  » de Hannah Arendt. La citoyenneté s’est forgée par les luttes sociales d’identité, d’inclusion, de ressources et de mémoire (Isin, 2009). De là, on peut maintenant voir la citoyenneté comme une subjectivité politique (Isin 2015) : il devient alors impossible de penser la citoyenneté comme uniquement une nationalité ou une appartenance à un État-nation.

      L’appartenance, la proximité, l’attention, l’égard, l’être ensemble, la solidarité que permet la ville de façon plus immédiate mais qui peuvent également être mises en œuvre à des échelles plus larges, translocales, sont vues comme les fondements de la communauté politique aujourd’hui. Le phénomène des mobilités rend possible l’échelle du translocal par l’activité des réseaux.

      Conclusion

      Cette analyse propose une citoyenneté pensée à plusieurs échelles, en particulier en défiant l’échelle du national et par conséquent remettant en cause la relation entre citoyenneté et nationalité. La citoyenneté comme une praxis  ? À partir du constat que la citoyenneté est une pratique collective, sous-tendue par une idée, celle des «  lois supérieures de l’humanité  » (Balibar, 1998), et tendant à un résultat pratique, leur respect, dans une visée de transformer les rapports sociaux. Les luttes sociales sont un des modes opératoires. La praxis d’une citoyenneté en actes, expérimentée et construite dans une pratique collective, et une immanence. Elle est donc ouverte à tous ceux qui ont la volonté d’appartenir à ce collectif qui se donne comme contrainte et comme objectif de partager un espace et ses ressources, dans le respect de la différence et de la sécurité de tous. Le rapport à l’État est également mis en cause en questionnant sa légitimité et percevant la désobéissance comme un moteur pour renouveler et réactiver la citoyenneté  ; enfin en refusant tout lien de subordination pour une autonomie. Les luttes des sans papiers «  ont contribué à donner à l’activité politique cette dimension transnationale dont nous avons tant besoin  » (Balibar, 1998 : 25).

      http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-1105_fr.html

  • Premio diritti umani ai solidali delle montagne alpine

    Il ministero della Giustizia francese da un lato criminalizza chi solidarizza con i migranti sulle Alpi e dall’altro premia le stesse persone come difensori dei diritti umani.

    Paradossi e cortocircuiti logici di questa epoca di migrazioni, di accoglienza, vera, da parte di privati e associazioni umanitarie, e di repressione, vera anche questa, da parte di forze dell’ordine che pattugliano i confini degli Stati europei pronti a respingere persone in fuga da guerre e carestie.

    Mentre la giustizia francese manda a processo donne e uomini, accusati di crimini di umanità, per aver prestato soccorso nella neve alpina a migliaia di donne, uomini, bambini che in questi anni tentano la sorte del viaggio attraverso valichi alpini, il ministero della Giustizia transalpina ha premiato ieri 10 dicembre in occasione della giornata internazionale per i diritti dell’uomo l’associazione #Tous_Migrants, creata a Briançon sulle Alpi francesi nel 2015 proprio nel tentativo di aiutare i flussi di persone improvvisamente emersi in questi anni. Il premio è stato assegnato dalla Commissione nazionale consultiva dei diritti dell’uomo che fa capo proprio al ministero della Giustizia.

    Benoit Ducos, uno degli uomini a processo per aver soccorso persone al confine, ne sottolinea la schizofrenica assurdità di tutto ciò: «E’ surreale, perché i valori che difendiamo sono condannati dalle decisioni giudiziarie di questo governo, che con l’altro braccio premia il nostro impegno sul campo. Incredibile. Il riconoscimento va a tutti coloro che con coraggio offrono aiuto, cibo, soccorso, in maniera anonima, senza protagonismi. Un premio che ci spinge a continuare a gridare le nostre convinzioni».

    Senza alcuna etichetta politica o religiosa, Tous Migrants è un movimento pacifista di sensibilizzazione e azione dei cittadini nato in reazione alla tragedia umanitaria dei migranti in Europa. Con il sostegno di più di 700 cittadini per la causa che difende, oltre 9800 amici Facebook e 2700 destinatari della sua Newsletter, Tous migrants svolge azioni complementari nella’area del Briançonnais: monitoraggio e condivisione delle informazioni tramite una newsletter periodica, un sito Web e una pagina Facebook, conferenze, dibattiti sul cinema, seminari di scrittura, eventi di supporto artistico o culturale, campagne di sensibilizzazione, azioni legali ...

    L’intervento dei volontari dell’associazione al momento della consegna del premio ha ricodato come «Quattro anni fa eravamo solo persone comuni di montagna, a pochi chilometri dall’Italia, che guardavano in faccia e in modo pragmatico la realtà migratoria, esercitando il dovere di assistere le persone in pericolo e aprendo le nostre porte alla gente proveniente da altrove. Incondizionatamente e spontaneamente.

    Ma in questo approccio fraterno, ci siamo trovati gradualmente e violentemente di fronte all’impensabile:

    • Cacce all’uomo di colore, alcune delle quali sono seguite da morte, disabilità

    • L’abbandono di persone indebolite ed esauste in ambienti ostili

    • abuso psicologico e fisico, ripetute umiliazioni

    • Atti e istigazione al razzismo

    • Bullismo, repressione e condanne giudiziarie per atti di assistenza alle persone in pericolo

    Di conseguenza, il dovere della fraternità è stato criminalizzato.

    Di fronte a questo, nelle nostre montagne, centinaia di persone sono indignate. Dobbiamo chiudere gli occhi e le porte? Abbiamo deciso di continuare a fare rete. Abbiamo deciso di denunciare tutte queste violazioni ai diritti fondamentali. Oggi siamo qui, siamo diventati sentinelle per i diritti umani in Francia ...

    Ringraziamo il coraggio e la lungimiranza del Comitato di assegnarci questa menzione speciale del Premio sui diritti umani della Repubblica francese.

    Questo premio è per tutti i coraggiosi. Tutti noi nelle Hautes-Alpes, e ovunque, in Francia, ai confini, tutti noi che ci alziamo la mattina per portare aiuto e soccorso ai rifugiati; tutti noi che vigiliamo di notte per evitare nuove tragedie. Tutti noi che rispettiamo la libertà, l’uguaglianza e difendiamo questa bellissima fratellanza. È per tutte le vittime delle rotte migratorie che fuggono per proteggere i loro diritti.

    Tuttavia, ricevere questo premio ci rattrista e ci fa arrabbiare perché arriva dopo la morte dei diritti umani nel nostro territorio. Siamo in Francia! Come è possibile che spetti a noi difendere quei diritti che sono la sostanza stessa del nostro paese e che dovrebbero guidare tutte le scelte dei nostri leader e le decisioni della nostra giustizia?

    Ora stiamo tornando sulle nostre montagne perché il tempo sta per scadere, la neve è lì, le vite sono in pericolo, i diritti sono infranti. Per quanto ancora?».

    https://riforma.it/it/articolo/2019/12/11/premio-diritti-umani-ai-solidali-delle-montagne-alpine
    #solidarité #asile #migrations #réfugiés #prix #Alpes #frontière_sud-alpine #frontières #solidarité #droits_humains #ministère_de_la_justice #France #absurdité

    –-------------

    Extrait:

    «Quattro anni fa eravamo solo persone comuni di montagna, a pochi chilometri dall’Italia, che guardavano in faccia e in modo pragmatico la realtà migratoria, esercitando il dovere di assistere le persone in pericolo e aprendo le nostre porte alla gente proveniente da altrove. Incondizionatamente e spontaneamente. (...) Oggi siamo qui, siamo diventati sentinelle per i diritti umani in Francia ...»

    –-> De l’#humanisme - #humanitarisme (et la #charité) à l’engagement politique...
    #politisation

  • Repolitiser l’écologie : c’est toujours un champs de bataille ! Les traces - Rencontre des Continents
    http://www.rencontredescontinents.be/Repolitiser-l-ecologie-c-est-toujours-un-champs-de-bataille-L

    Ci-dessous, vous trouverez les traces du cycle (3 rencontres et ateliers) organisé entre janvier et juin 2019 par Rencontre des Continents, Bxl Laïque et Présence et Action Culturelles (PAC), qui ont choisi en 2019 de s’associer pour proposer un cycle de rencontres/ateliers sur le thème suivant :

    Traces et comptes-rendus

    ▶ Rencontre n°1 - 5 avril : L’effondrement : un concept à débattre. Avec Renaud Duterme et Gauthier Chapelle.
    http://www.rencontredescontinents.be/Rencontre-no1-L-effondrement-un-concept-a-debattre.html

    ▶ Rencontre n°2 - 14 mai : Liens entre les enjeux sociaux et écologique à travers le prisme des inégalités et des rapports de domination. Avec Thierry Amougou, Claudine Drion, Luis Martinez

    http://www.rencontredescontinents.be/Rencontre-no2-Liens-entre-les-enjeux-sociaux-et-ecologique-a- ?

    ▶ Rencontre n°3 - 19 juin : Histoire et actualité des stratégies politiques et des luttes. Avec Brigitte Gloire, Daniel Tanuro, Alain Adriaens

    http://www.rencontredescontinents.be/Rencontre-no3-Histoire-et-actualite-des-strategies-politiques

    En guise de RAPPEL :

    Quelle était l’intention de ce cycle ?

    Ce cycle s’est déroulé entre janvier et juin 2019, dans un contexte de mobilisations climatiques sans précédent en Belgique sur les questions sociales et écologiques. Alors que les craintes et interrogations se multiplient, pas seulement sur l’état et le devenir de notre planète, mais aussi sur le fonctionnement du système social et économique dans son ensemble, nous avons souhaité prendre le temps de mieux comprendre ces questions à travers un regard qui articule les enjeus sociaux et écologiques. Le cycle a été structuré de la façon suivante :

    > 3 thèmes « porte d’entrée » différents
    > 3 conférences / rencontres en soirée & 3 ateliers dynamiques d’un 1/2 jour en plus petit groupe.

    #écologie_sociale #écosocialisme

  • The Conversation | Contrairement aux idées reçues, l’accueil des réfugiés a suscité un élan citoyen en Europe
    https://asile.ch/2019/10/14/the-conversation

    Dans cet article, The Conversation, démontre que l’accueil des réfugiés a suscité un élan citoyen en Europe, et ce, contrairement aux idées reçues et que des actions collectives spontanées initiées par des volontaires non-politisés peuvent aboutir à des actions ayant un impact sur les structures politiques et les opinions publiques. Dans son ouvrage à paraitre, […]

  • Semaine internationale de la rébellion
    Face au militantisme, “nous sommes revenus à un système de répression des années 1960 et 1970”

    Lycéens fichés S, écolos entendus par la police, Gilets jaunes renvoyés en correctionnelle : Vanessa Codaccioni explique comment l’#antiterrorisme a contaminé l’appareil répressif. Et comment la France a fait un bond de 40 ans en arrière.

    La chercheuse en sciences politiques Vanessa Codaccioni s’inquiète de la #criminalisation croissante du #militantisme. En refusant la #politisation des mouvements de #contestation, le pouvoir va jusqu’à les assimiler à du #terrorisme. Suite et fin de notre série d’articles consacrée à la Semaine internationale de la rébellion qui se déroule du 12 au 19 avril.

    https://www.telerama.fr/idees/face-au-militantisme,-nous-sommes-revenus-a-un-systeme-de-repression-des-an


    illustration photo : Abdulmonam Eassa/AFP : Manifestation des Gilets jaunes, à Paris, le 1er décembre 2018.

    En quatre mois de mobilisation des Gilets jaunes, 8 645 personnes ont été placées en garde à vue, 2 000 ont été condamnées, et 1 800 sont en attente de jugement. A titre de comparaison, environ 11 000 individus avaient été arrêtés pendant les grèves de mineurs sous Thatcher entre 1984 et 1985. Ce qui est inédit, c’est ce niveau de contestation politique, ou la vigueur de la punition ?

    /.../

    ++ SEMAINE DE LA REBELLION, MODE D’EMPLOI
    C’est quoi : la Semaine internationale de la rébellion a été lancée par Extinction Rebellion, https://extinctionrebellion.fr, un mouvement né en Angleterre en octobre 2018 et qui depuis essaime dans de nombreux pays – parmi lesquels la France, l’Italie, l’Allemagne et les Etats-Unis. L’idée : mener des actions de #désobéissance civile non-violente afin d’intensifier la protestation contre l’inaction politique en matière de lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces. D’autres organisations environnementales ont annoncé qu’elles participeraient à cette semaine internationale de la rébellion.
    C’est quand : la semaine internationale de la rébellion se déroule du 12 au 19 avril.
    Quelles actions : Impossible de tenir un agenda précis. Car si certains collectifs communiquent depuis plusieurs semaines sur leurs prochaines actions pour s’assurer une médiatisation maximale, d’autres cultivent au contraire le secret, afin d’amplifier l’effet de surprise.
    En France, citons une « action contre l’industrie du textile et la fast fashion » menée par #Extinction #Rebellion, qui s’est déroulée le vendredi 12 avril. Et « bloquons la République des pollueurs », une action en Ile-de-France organisée par les Amis de la Terre, ANV-COP21 et Greenpeace. Des actions de « swarming » (blocages éphémères de la circulation) sont annoncées à travers le monde…
    Marc Belpois

    #répression

  • « CE QU’ON S’EST DIT » : L’#ACTIVISME | École Urbaine de Lyon
    https://www.sondekla.com/user/event/9479

    #Marina_Garces (en Français <3) avec #Michel_Lussault

    MG : l’activisme ce qui considère la vie comme un problème commun. En ce sens, ce n’est pas tellement une action, mais plutôt une continuité, un engagement
    ML : l’activisme c’est une continuation de l’existence dans laquelle les individus sont des acteurs au service d’intérêts collectif. Cela devrait être une finalité de la politique

    [...]

    MG : Dans l’#anthropocène il n’y a plus de structure sociale qui ne soit pas environnementale. On ne peut plus séparer, parler dans le dualisme. Le #corps est l’exemple de cela. Il y a une politisation du corps qui n’est pas seulement le corps de l’action. C’est aussi le corps traversé par des phénomènes de toxicité, de santé. Cela nous fait être en commun. Le corps traversé par la vie. La vie digne est limité. Les #limites sont partout, il ne s’agit pas de les traduire par des lois, des murs, des protections aseptisées, comme s’y essayent les politiques. Il s’agit de partager ces blessures, l’expulsion d’un pays en guerre et la migration, l’expulsion d’un quartier gentrifié. Comment partager ces limites, les accueillir, les transformer ensemble. C’est la nouveauté de l’activisme.
    [...]
    ML : Pour cela l’Anthropocène, le corps et sa politisation remettent en évidence la #fragilité et par conséquent l’inter-dépendance. Nous sommes vulnérables, nous sommes dans le besoin d’autrui.

    (pas de guillemets, ce sont des extrait de mes notes/ce n’est pas une retranscription fidèle)

    #politisation_des_corps #art

  • Stopper la montée de l’insignifiance, par Cornelius #Castoriadis (Le Monde diplomatique, août 1998)
    https://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/CASTORIADIS/3964

    Il y a la merveilleuse phrase d’Aristote : « Qui est #citoyen ? Est citoyen quelqu’un qui est capable de gouverner et d’être gouverné. » Il y a des millions de citoyens en France. Pourquoi ne seraient-ils pas capables de gouverner ? Parce que toute la vie politique vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu’il y a des experts à qui il faut confier les affaires. Il y a donc une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s’habituer à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives, ils s’habituent à suivre ou à voter pour des options que d’autres leur présentent. Et comme les gens sont loin d’être idiots, le résultat, c’est qu’ils y croient de moins en moins et qu’ils deviennent cyniques.

    L’idée des #communs en quelques mots !

    #EducationPopulaire #Politisation

  • Pour la liberté de choisir son avenir professionnel, euh j’ai relu cette phrase plusieurs fois en pensant que s’était une erreur où une blague. Et non, cette loi est le mode d’emploi trouvé par ces cons de technocrates pour sabrer dans la masse des chômeurs, chômeuses, précaires ... J’ai trouvé ce tract, aujourd’hui, dans un #pôle-emploi à Rennes.

    Amorcée avec la loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » passée en septembre, la réforme de l’assurance chômage entre dans son dernier acte. Depuis mi-octobre les partenaires sociaux, syndicats de travailleurs et représentants du patronat qui gèrent actuellement l’assurance chômage, se sont mis autour de la table afin de négocier les nouvelles conditions « d’accompagnement » et d’indemnisation des chômeurs et chômeuses.

    Leur discussion est encadrée par un document de travail transmis par le gouvernement qui fixe les objectifs à atteindre et les axes de la réforme.

    S’ils ne trouvent pas d’accord d’ici la fin du mois de janvier, le gouvernement tranchera.

    https://contrelareformechomage.noblogs.org

    Ce qui est déjà en place
    LE RENFORCEMENT DU CONTRÔLE
    Avant même la réforme en cours, le contrôle des chômeur-euses a déjà été largement renforcé. Depuis 2015, des agents spécialisés sont chargés de « vérifier la recherche d’emploi » de certain des inscrit-es à Pôle emploi, choisis au hasard ou dénoncés par un conseiller zélé. L’État a fait passer son armée de contrôleurs de 215 à 600 cette année, et veut les passer à 1000 d’ici 2020.

    En parallèle, comme à la CAF d’ailleurs, la dématerialisation s’accélère : les agences sont progressivement fermées au public, les échanges avec Pôle emploi se font par le 3949 et le site internet, ce qui réduit drastiquement les possibilités de se défendre, de connaître ses droits, de faire face à des sanctions, mais aussi nous met des bâtons dans les roues pour nous rencontrer et nous organiser.

    Pour nous, usager-es de la CAF et de Pôle emploi, le contrôle c’est toujours la menace de la suspension de nos revenus, c’est toujours une attaque directe contre nos conditions de vie. Contrôler les #chômeur·euses, comme toutes les formes de contrôle social, est une manière de les trier, les séparer, les renvoyer chacun à leur situation individuelle : il s’agit d’opposer deux figures mythologiques, celle du « demandeur d’emploi modèle » prêt à tout pour retrouver sa place sur le marché du travail et celle du prétendu « parasite ».

    Cette opposition permet de faire oublier que cet « État social » ne fait que redistribuer les miettes de la richesse produite par notre propre exploitation.

    Pour les gestionnaires de Pôle emploi, contrôler les inscrit-es à l’assurance chômage c’est faire d’une pierre deux coups : régner sur tout le monde par une discipline basée sur la culpabilisation et la peur (volet prévention), tout en réduisant les coûts en sanctionnant une partie d’entre-nous (volet répression).

    En effet, un contrôle peut donner lieu à une suspension des revenus, entre 15 jours et 6 mois. Quand il ou elle ne subit pas une telle sanction, un chômeur ou une chômeuse, selon le terme de Pôle emploi, peut être « remobilisé », autant dire subir serrage de vis et leçon de morale.

    LE PORTE-FEUILLE DE COMPÉTENCES OU LA LOGIQUE DU CHÔMEUR « ENTREPRENEUR DE LUI-MÊME »
    Il faut désormais remplir un porte-feuille de Compétences dans son espace personnel : sur le site internet de Pôle emploi sont apparues des vidéos et rubriques valorisant la mise en avant de ses compétences afin de se donner « plus de chances » pour retrouver un emploi.

    D’ailleurs, le mot « compétence » ne fleurit pas que dans le discours de Pôle emploi, il se diffuse aussi dans d’autres secteurs comme l’éducation, la formation, le monde du travail…

    On nous explique que les employeurs recherchent avant tout des qualités personnelles : être disponible à tout moment, flexible en permanence et capable d’adaptation à toutes les tâches. Et aussi, qu’il vaut mieux rechercher un emploi par le biais des compétences et non plus par les qualifications ou le métier de chacun-e, car cela ouvre d’autres opportunités que l’on n’aurait pas imaginées.

    La volonté du gouvernement, derrière cette notion de « Compétence », est double : remettre les chômeur-euses au travail via des emplois non-qualifiés, plus flexibles et plus précaires en faisant planer la menace permanente d’une sanction ou d’une radiation.

    Mais aussi faire adhérer les individus en leur faisant adopter le langage, l’imaginaire entrepreneurial ; et par conséquent, faire d’un chômeur « un capital de compétences » prêt à se lancer sur le marché des auto-entrepreneurs, où en plus de n’avoir aucune protection sociale, il sortirait de lui-même des chiffres du chômage sans que Pôle Emploi n’ait besoin de le radier.

    Ce qu’ils nous réservent
    LA PERMITTENCE, QU’EST CE QUE C’EST ? VOUS PERMITTEZ ?
    Le terme de « permittence » est central dans le document qui encadre les discussions autour de l’Assurance chômage. Il fait référence à la fois à l’intermittence (statut de celles et ceux qui travaillent dans le milieu de l’art et du spectacle) et à la notion de permanence. Un permittent serait donc quelqu’un qui alterne, sur la durée, périodes de travail et de chômage.

    Or, pour inciter au « retour à l’emploi », les dernières conventions UNEDIC ont autorisé le cumul d’un salaire et d’une allocation chômage pour les salariés précaires. Le but était de garantir partiellement aux demandeurs d’emploi de ne pas perdre leurs droits au chômage lorsqu’ils acceptaient un travail, même s’il s’agissait d’un contrat de très courte durée et/ou moins bien rémunéré que leur précédent emploi.

    Ce dispositif a d’abord permis à l’assurance chômage de réduire ses dépenses à court terme, puisque Pôle emploi ne versait qu’un petit complément au salaire à la place de l’Allocation de Retour à l’Emploi. L’opération, destinée à remettre les allocataires sur des postes précaires en échange de ce complément de Pôle emploi, visait aussi à faire baisser rapidement les chiffres du chômage.

    Mais en définitive, ce système s’est révélé être avant tout une aubaine pour les employeurs, qui ont profité de ce complément de salaire fourni par Pôle emploi pour multiplier les contrats mal payés et temporaires : l’Assurance chômage complétait des salaires faibles et assurait les périodes sans activité pour les intérimaires et les précaires qui cumulaient les CDD et les petits boulots.

    Le gouvernement, qui cherche aujourd’hui à faire des économies par tous les moyens, veut donc limiter le recours à cette « permittence » qui lui coûterait trop cher (5 milliards nous dit-il). Sa solution : aligner le calcul du complément de salaire par Pôle emploi pour quelqu’un qui alterne des contrats courts à temps plein sur celui de quelqu’un qui travaille en CDI à temps partiel.

    Par exemple : 2 personnes ont travaillé 15 jours par mois pendant 10 mois avec un salaire brut de 60 euros par jour. Avec le système actuel, la première personne qui a enchaîné les contrats de courte durée (type interim) se verra attribuer une allocation de 34 euros pendant 150 jours. La seconde qui a un CDD de 10 mois à temps partiel ne touchera que 16 euros mais pendant 304 jours.

    Avec le nouveau système de calcul basé sur une moyenne des jours travaillés et des jours sans boulot, l’intérimaire qui faisait ses journées à temps plein se retrouve avec le même chômage que celui qui est en CDD à temps partiel : il passe de 34 euros par jour pendant 150 jours à 16 euros pendant 304 jours.

    Cet « étirement » des droits permet de réduire le montant des allocations versées. Avec la multiplication des contrôles et la pression exercée sur les allocataires, on comprend bien la stratégie du gouvernement pour gratter d’avantage sur le dos des précaires : si votre durée d’indemnisation se rallonge, que vos droits sont réduits par rapport à votre niveau de rémunération habituel, et qu’on vous met la pression pour accepter n’importe quel boulot, vous avez beaucoup moins de chance de toucher la totalité de vos droits.

    LA DÉGRESSIVITÉ DES ALLOCATIONS CHÔMAGE
    Celle-ci n’est plus « taboue » pour le 1er ministre et la ministre du travail depuis cet été puisque le MEDEF l’a évoquée. Le principe est simple, plus on reste longtemps au chômage, plus l’allocation que l’on touche est réduite (par exemple, diminution de 25 % de l’allocation après 6 mois de chômage). La dégressivité a pourtant été abandonnée en 2001 car elle s’avérait inefficace en terme de « lutte contre le chômage ». Son seul intérêt est de contraindre les chômeur-euses a reprendre rapidement un emploi !

    Le Collectif des précaires s’est recréé au printemps 2018 quand le gouvernement a lancé sa procédure accélérée pour faire passer la réforme de l’Assurance Chômage, il se transforme en novembre 2018 en Collectif contre la Réforme Chômage. Il est composé de chômeur-euses, de travailleur-euses précaires, d’étudiant-es et de personnes travaillant à Pôle Emploi (syndiqué-es ou non).

    Nous appelons à nous organiser contre le chantage au travail et le flicage généralisé des précaires, qui se met en place aujourd’hui sous couvert d’un « plan pauvreté ».

    Nous refusons la mise en concurrence de tous contre tous, et l’opposition entre travailleur-euses et chômeurs-euses, entre allocataires des minimas sociaux (RSA, AAH, aide au logement, prime d’activité…) et ceux touchant un salaire indirect (chômeur-euses, retraité-es).

    Parce qu’il est difficile de s’organiser lorsqu’on est isolé ou dans des espaces de plus en plus dématérialisés (CAF, Pôle Emploi, sécurité sociale), nous appelons à nous réunir et former une coordination large, ouverte, regroupant toutes les personnes, les groupes et les organisations déterminées à bloquer et empêcher la mise en place des mesures du gouvernement contre les précaires et les chômeur-euses.

    Collectif contre la Réforme Chômage

    #assurance-chômage #réforme #précarité @colporteur

    • À propos du droit au chômage (n’ai pas encore lu le texte que tu proposes @vanderling)

      UNÉDIC. Le patronat provoque les #chômeurs (Huma)
      https://www.humanite.fr/unedic-le-patronat-provoque-les-chomeurs-664725

      Un sentiment de déconnexion totale. Hier, lors de la quatrième séance de négociation de la convention d’#assurance-chômage, le patronat a donné de multiples pistes de baisses massives des droits des chômeurs et #précaires. Une tonalité offensive faisant fi du contexte social tendu, avec le mouvement des gilets jaunes et leurs revendications de hausse du pouvoir d’achat.

      Les négociations sur l’assurance chômage électrisées par les "Gilets jaunes", REUTERS•05/12/2018
      https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/les-negociations-sur-l-assurance-chomage-electrisees-par-les-gilets-jaun

      Pour avoir droit à l’indemnisation, il est ainsi proposé que le demandeur d’emploi ait travaillé quatre mois dans les douze derniers plutôt que dans les 28 derniers. La durée d’allocation serait également calculée en fonction du travail effectué dans les 24 derniers mois et non plus 28. Ces mesures permettraient de réaliser 360 millions d’euros, selon le patronat.

      La deuxième proposition est de verser une allocation identique chaque mois, équivalente à 30 jours d’indemnisation. Les allocations des jours manquants seraient reportées en fin de droits. Cette mesure permettrait, en régime de croisière d’économiser, « un peu moins de 400 millions d’euros d’économie ».

      Le patronat propose également de moduler les indemnités en fonction de « l’intensité de travail ». Les personnes qui cumulent donc courtes périodes de chômage et emploi verraient leurs indemnités étalées sur une plus longue période, façon d’éviter que la situation ne perdure. Cette mesure rapporterait entre 800 et 900 millions d’économies au régime.

      Il propose par ailleurs de revoir la formule de calcul des indemnisations pour introduire une forme de dégressivité des allocations pour les hauts salaires. (...)
      Pour le négociateur de la CGT, Denis Gravouil, ces propositions sont « totalement irresponsables au regard de la situation sociale dans le pays, des revendications des Gilets jaunes » et des « travailleurs précaires » de « vivre dignement ».

      Pour le négociateur de la CFDT, Eric Courpotin, et Michel Beaugas de FO, « c’était maladroit » de la part du patronat. ( faudrait confier à la CFDT le gvt et l’organisation des patrons, ils ont des idées, ndc )

      Un des aspects intéressants des questions fiscales soulevées actuellement c’est que cela impose de mettre en cause les mythos (de gauche et syndicaux) sur la cotisation sociale qui serait le seul financement légitime et (soit disant…) démocratique possible, alors que, depuis le reflux des mouvements de chômeurs et précaires des années 90 et l’avénement du Pare, les bêtises de Friot font sur ces enjeux office de tisane dormitive, y compris dans des secteurs s’affirmant révolutionnaires

      Ce serait quoi de tenir sur " cotisation sociale (réinstaurée et sans exemptions généralisées) mais pas seulement » ?

      Pour mémoire lors des mouvements de chômeurs et précaires de 97/98, la CGT refusait d’inclure la hausse du RMI et son extension aux moins de 25 ans (le "c’est vrai quoi, on est contre l’assistanat » interne à « la gauche » - cf Jospin- n’épargne pas le syndicat et élargit tous les boulevard des politiques de #précarisation), préférant s’en tenir à l’allocation Unedic. La force du mvt (et d’AC !, à l’époque…) avait fait tomber ce verrou idéologique : la CGT avait du accepter d’intégrer un cadre unitaire qui posait aussi ces exigences, subsumant (provisoirement) le travaillisme structurel du syndical

      Aujourd’hui, depuis ce que portent « les gilets jaunes » et à propos du droit au chômage (RSA inclus) à la formation (avec par exemple l’arrivée en grand par la porte xénophobe de la fac payante avec des frais d’inscription quintuplés ou décuplés pour les étrangers non communautaires) et à la retraite (minimum vieillesse inclus) il y aurait de quoi poser bien des problèmes qui viendraient bousculer/ moduler les présupposés et énoncés actuels en ouvrant de nouvelles questions par scandalisation, interruptions, et ce malgré le prévisible regain de ronron syndical, para syndical et gauchiste sur ces enjeux.

      Les discours contre les assistés, sous jacent ou explicites parmi des gilets jaunes, ont reculés avec la durée de mobilisation (les assistés sont-ils ces "autres" à blâmer, ce n’est plus évident) et ils peuvent être délégitimés plus radicalement encore. Et cela serait une bonne nouvelle pour tous les précaires pas trop "gaulois", exploités ++ dans des conditions qui en font aussi les premiers des "assistés".

      #politisation #xénophobie #fiscalité #droits_sociaux

    • Depuis le début de l’année, de nouvelles sanctions à l’encontre des #chômeurs sont en vigueur, depuis la publication d’un décret au journal officiel le 30 décembre dernier. Elles sont dénoncées aussi bien par les syndicats que par les demandeurs d’emploi.
      https://www.francebleu.fr/infos/societe/comment-les-chomeurs-de-toulouse-accueillent-le-durcissement-des-regles-d

      Les demandeurs d’emploi qui ratent un rendez-vous sans raison valable et justifiée sont radiés un mois d’après le texte du décret, alors qu’il était question de 15 jours au départ au moment du vote de la réforme « avenir professionnel ». Mais surtout, ce qui fait bondir les syndicats, c’est que dès le 2ème rendez-vous raté, c’est 2 mois de radiation et la suppression des allocations. "C’est la double peine" estime Sylvie Cayron, de la CGT Pôle Emploi Midi-Pyrénées. Jusqu’ici les allocs étaient suspendues et le demandeur d’emploi pouvait les récupérer à l’issue de la période de radiation, « aujourd’hui elles sont perdues et ça peut être dramatique pour certains » explique la syndicaliste.


      http://berth.canalblog.com/tag/ch%C3%B4mage
      #double_peine #Berth #chômage

  • PLUS POLITIQUES QUE DANS LES JOURNAUX : LES GILETS JAUNES DANS LE MIROIR DE FACEBOOK

    Quatre chercheurs d’un labo toulousain en sciences sociales ont décortiqué des milliers de tweets, posts Facebook et commentaires des Gilets jaunes. Ils les ont comparés au traitement du mouvement par la presse écrite. Leur verdict : de l’Huma au Figaro en passant par le Monde, les journaux dépeignent des automobilistes fâchés, parfois racistes, et indifférents aux enjeux climatiques. Sur les réseaux sociaux, les chercheurs, dans ce rapport révélé par ASI, ont vu au contraire l’affirmation croissante et argumentée d’une citoyenneté.

    https://www.arretsurimages.net/articles/plus-politiques-que-dans-les-journaux-les-gilets-jaunes-dans-le-miro

    #giletsjaunes #presse #médias #médias_sociaux