Migration : « Il faut modifier le principe selon lequel les personnes mettant le pied en Europe ont le droit d’y faire traiter leur demande d’asile »
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Migration : « Il faut modifier le principe selon lequel les personnes mettant le pied en Europe ont le droit d’y faire traiter leur demande d’asile »
Tribune
Kaare Dybvad Bek Ministre danois de l’immigration et de l’intégration
Peter Nedergaard Professeur à l’université de Copenhague
Les réfugiés et les migrants en provenance du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’autres régions du monde participent chaque année à une course souvent tragique pour rejoindre l’Europe. Après la pandémie de Covid-19, l’afflux vers notre continent s’est violemment intensifié : l’année dernière, près d’un million de demandes d’asile ont été déposées dans l’Union européenne (UE), le rythme s’accélérant encore cette année.
Un tel phénomène est extrêmement inquiétant à plusieurs niveaux. D’une part parce que des milliers de personnes se noient en Méditerranée dans leur périple, mais aussi parce qu’une grande partie de la population européenne a de plus en plus le sentiment que l’immigration est hors de contrôle. La plupart des pays de l’UE possèdent aujourd’hui des décennies d’expérience en matière d’immigration. Si de nombreux entrants non occidentaux se comportent de manière exemplaire, nombre de nos concitoyens rencontrent des frictions et des conflits culturels dans leur vie quotidienne. Les statistiques mettant en évidence un taux de criminalité élevé et un faible niveau d’emploi parmi les immigrés sont bien connues, et de nombreuses personnes ont le sentiment que leurs préoccupations concernant la radicalisation et la formation de ghettos ne sont pas prises au sérieux, à en juger par les flux de migrants se poursuivant sans relâche vers l’Europe. Cet état de fait est en partie dû à notre système d’asile, qui est à l’origine de certaines dynamiques catastrophiques. En effet, bien que les pays européens acceptent un nombre record de demandeurs d’asile, nous abandonnons les réfugiés les plus vulnérables du monde – femmes, enfants, personnes handicapées ou en mauvaise condition physique. Ces laissés-pour-compte n’ont souvent ni l’argent ni la force nécessaire pour entreprendre le voyage dangereux vers l’Europe, et se retrouvent dans des camps de réfugiés sous-financés.
Au contraire, nous dépensons d’énormes ressources pour traiter des cas, notamment de jeunes hommes, dont beaucoup n’ont aucun motif légal d’asile, mais qui essaient d’aller en Europe pour des raisons financières, afin d’obtenir de meilleures conditions de vie. Chaque année, les pays de l’UE examinent des milliers de demandes d’asile. L’année dernière, plus de la moitié ont fait l’objet d’un refus en première instance. Il est navrant de penser aux sommes que nous dépensons pour les interprètes, les avocats, l’hébergement et le rapatriement de personnes qui n’auraient jamais dû être ici – alors même que l’Organisation des Nations unies et la Croix-Rouge internationale manquent désespérément de moyens pour faire face à la misère dans certaines zones du monde.
Rappelons expressément que le droit d’asile est réservé aux personnes victimes de persécutions. Les individus souhaitant vivre en Europe pour d’autres raisons doivent déposer leur dossier par les canaux réglementés, tels que les permis de travail ou les séjours d’études. Si nous ne modifions pas la politique actuelle en matière d’asile et de réfugiés, les accidents mortels se poursuivront, tandis que nous courons le risque de voir les citoyens ordinaires perdre confiance dans les dirigeants et les institutions. A long terme, cela pourrait conduire les électeurs à se tourner vers l’extrême droite européenne, qui ne tentera de résoudre le problème qu’avec des murs plus hauts et des barbelés, sans aucun égard pour l’aspect humanitaire. Le Danemark a l’ambition de faire des propositions concrètes sur ce à quoi pourrait ressembler l’avenir de la politique européenne d’asile et d’immigration. En premier lieu, nous devons effectivement anéantir le modèle commercial cynique des trafiquants d’êtres humains qui spéculent sur la misère des gens. En juin, nous avons vécu l’un des pires naufrages de migrants en Méditerranée : un bateau de pêche surpeuplé avec environ 750 personnes à son bord a chaviré au large des côtes grecques. Une semaine plus tard, un canot pneumatique a coulé en mer lors de sa route vers les îles Canaries, tandis que près de 100 personnes ont disparu dans un accident au large des côtes italiennes en février.
Les ONG et certains médias accusent souvent les opérations de sauvetage européennes d’être bien trop inefficaces et pressent les dirigeants de l’UE à faire plus pour aider les personnes embarquées dans les canots pneumatiques dangereux. Mais trop peu d’acteurs de ce débat mettent en avant le fait que les accidents continueront jusqu’à ce que nous arrêtions les cerveaux sans scrupule qui font fortune en entraînant les gens dans un voyage souvent mortel. Le gouvernement danois a lancé un projet de réforme du système d’asile qui combattra la traite des êtres humains et veillera à ce que nous fournissions une protection à celles et ceux qui se trouvent éligibles au droit d’asile, tout en maîtrisant l’afflux, afin de ne pas recevoir plus de personnes que nous ne sommes capables d’intégrer. Pour ce faire, il convient de modifier le principe actuel selon lequel les personnes mettant le pied sur le sol européen ont le droit d’y faire traiter leur demande d’asile.
Si le Danemark et les pays européens doivent continuer à offrir une protection à ceux qui en ont besoin, il est nécessaire que l’UE fasse preuve de diligence raisonnable en trouvant des solutions innovantes pour améliorer le contrôle de l’afflux, dans le respect de nos obligations internationales. Le Danemark a ainsi proposé que les demandeurs d’asile spontanés soient transférés vers un pays partenaire sûr en dehors de l’UE, où les demandes doivent être instruites et une protection potentiellement offerte. Cependant, nous sommes également ouverts à d’autres solutions, telles que des partenariats migratoires avec d’autres pays, sur le modèle du pacte migratoire établi entre l’UE et la Turquie en mars 2016. Les réfugiés devraient venir en Europe sur la base de principes humanitaires et non parce qu’ils ont réussi à entrer clandestinement sur son sol. Nous devons supprimer le droit du plus fort dans la politique d’accueil des réfugiés.
Le souhait du Danemark est que nous réaffections nos ressources, de sorte que beaucoup plus de moyens soient alloués au soutien des organisations humanitaires qui accomplissent une tâche énorme à proximité des conflits. Il s’agit à la fois de fournir la nourriture, les médicaments, les couvertures et d’autres besoins urgents aux déplacés. Mais il s’agit également de scolariser les enfants, de proposer un emploi aux parents et de soutenir les communautés locales, qui font face à un énorme travail d’intégration.
Le Danemark a été le premier pays à avoir ratifié la convention de Genève sur les réfugiés, et nous serons le dernier pays à l’abandonner. Cependant, il convient d’adopter une posture différente de sorte que les citoyens puissent continuer à reconnaître leurs propres sociétés.
Kaare Dybvad Bek est le ministre danois de l’immigration et de l’intégration ; Peter Nedergaard est professeur de sciences politiques, docteur du troisième cycle à l’université de Copenhague
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