On oublie de rappeler que les enseignants eux-mêmes ont appris la grammaire en préparant leurs cours.
On oublie que C. Freinet disait, avec un bon sens que bien des gens ont perdu, que pour apprendre à rouler à vélo, on ne démonte pas le vélo pour s’attarder sur chacune des pièces, on ne met pas d’abord des mots sur des objets et sur des détails, on monte sur le vélo, on pédale, on roule. La méconnaissance du fonctionnement du pédalier n’a jamais été une cause des chutes inévitables.
On oublie qu’il est impossible d’apprendre des mots hors d’un contexte familier, que le réinvestissement de mots appris artificiellement est terriblement faible et que c’est vrai pour nous aussi.
On oublie complètement, sous l’influence de linguistes bien en cour, que l’on peut connaître par cœur toutes les règles de grammaire et d’orthographe, tous les tableaux de conjugaison, les définitions de tous les mots du dictionnaire, et être incapable d’exprimer une pensée, une émotion, un besoin, un sentiment, un raisonnement.
L’idée même de prérequis, de bases des bases, tue les apprentissages et, en toute bonne foi généralement, accentue les inégalités.
Tout se passe comme si les enfants des autres étaient différents des nôtres, moins intelligents, qu’ils avaient besoin de choses simplifiées, de mécanique, avant de prétendre au sens et à l’intelligence. Ah, le simple ! Les enfants des autres sont tellement petits et bêtes qu’il faut disséquer le réel, le décomposer, le désincarner, le réduire, le mettre en progressions du simple conçu par l’adulte au complexe qui nous environne. Le simple n’existe pas à l’état naturel, il faut que des savants l’inventent pour les petits enfants. Le malheur, c’est que les petits enfants ne comprennent rien à ces abstractions, résultats d’une activité intellectuelle d’adulte savant.
[…]
Si le bon sens et la volonté de lutter réellement contre les inégalités pouvaient refaire surface après tout le mal que l’on s’est donné pour les noyer dans la technocratie, l’évaluationnite aiguë, la supercherie de l’aide individualisée, la déshumanisation de l’éducation et le mensonge…