• Box sécurisés dans les tribunaux : la fronde continue - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2017/12/11/box-securises-dans-les-tribunaux-la-fronde-continue_1615935

    Un magistrat du tribunal correctionnel de Créteil a refusé lundi que les prévenus jugés en comparution immédiate comparaissent dans un box vitré. Une décision symbolique qui s’inscrit dans la contestation de plus en plus importante de ces « cages de verre » .

    Le mouvement de protestations contre les box ultra-sécurisés commence à gagner plusieurs juridictions. Lundi, il a même pris un tournant inédit : un magistrat a accédé à la demande des avocats de faire comparaître le prévenu en dehors d’un box entièrement vitré. La scène – qui revêt une haute valeur symbolique – se passe aux comparutions immédiates de Créteil : le président, Matthieu Bonduelle, membre du Syndicat de la magistrature (SM) a invité le prévenu à s’avancer à la barre pour être jugé. Selon l’AFP, il a justifié cette décision en évoquant « certains problèmes pratiques et juridiques » et rappelé que « le président a la police de l’audience ».

    La phrase fait écho à un incident étonnant qui s’est produit à Toulouse au début du mois. La présidente avait demandé à entendre le prévenu hors du box vitré, et s’est alors vu opposer un refus… de la part de l’escorte. Les policiers ont argué « qu’ils avaient des ordres et ont refusé de sortir mon client du box », a témoigné un avocat indigné auprès de France 3 région. Le prévenu a donc comparu derrière la vitre.

    Bocal en verre, barreaux, filins

    Dans la France entière, les robes noires s’insurgent contre les « cages de verre », ou celles de fer, qui fleurissent dans les salles d’audience depuis quelques années. Décrites comme un « enclos de verre », une « cellule au sein de la salle d’audience » ou un « aquarium », elles posent un problème tant symbolique (l’atteinte à la présomption d’innocence, à la dignité et aux droits de la défense) que pratique : l’acoustique est souvent très mauvaise. Il y a quelques semaines Libération racontait, la genèse sécuritaire de ces box de plus en plus hermétiquement fermés. Il suffit de faire un rapide tour de France pour en répertorier quelques exemples. A Grenoble ou à Meaux, on voit un bocal en verre avec quelques petites lucarnes. A Colmar, ce sont des barres horizontales qui ont provoqué l’ire des avocats, aboutissant à leur remplacement par du verre. A Alençon, des barreaux. A Nîmes, même dispositif, avec des filins au plafond qui lui valent le surnom de « fosse ».

    Le mouvement de rébellion a commencé à la rentrée de septembre à Nanterre lorsque les avocats ont découvert à leur retour de congés, le nouveau dispositif : une cage de verre « avec deux fentes ridicules », entièrement clos, avec un seul accès vers la geôle. Me Fabien Arakelian, du barreau des Hauts-de-Seine, interrogé par Libération, a alors raconté des scènes ubuesques : dans un sens, le son passe mal, impossible de s’entretenir avec le client ; dans l’autre, le micro fixé trop bas oblige le prévenu à s’asseoir pour communiquer avec ses juges, ce qui le soustrait en même temps à leur vue. Après avoir déposé (en vain) des conclusions écrites auprès du tribunal, les avocats des Hauts-de-Seine ont décidé, le 12 octobre, de saisir le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Ils ont aussi assigné en référé la garde des Sceaux.

    « Risques d’agression » et « tentatives d’évasion »

    De son côté, la chancellerie répond que ces nouvelles boîtes ultrasécurisées correspondent à la « mise en œuvre de mesures exceptionnelles décidées en 2015 pour répondre à la menace terroriste ». Elles sont le fruit des plans de lutte contre le terrorisme (Plat) 1 et 2. « La sécurisation des box a été jugée prioritaire », explique-t-on. Cet été, 18 box ont été renforcés dans sept TGI d’Ile-de-France : Créteil, Bobigny, Meaux, Melun, Evry, Pontoise, Nanterre. Budget : 2 millions d’euros. Et le porte-parolat de préciser à Libération : « Il existe une pluralité d’acteurs qui rédigent le cahier des charges en fonction des contraintes et des demandes locales, liées à la configuration des salles d’audience, en fonction du guide élaboré par la Direction des services judiciaires (DSJ) et des besoins liés à la sûreté de la juridiction ».

    Il s’agit notamment de lutter contre les « risques d’agression » et les « tentatives d’évasion ». D’après des données qui viendraient d’être communiquées au porte-parolat par la DSJ, le nombre de tentatives d’évasion dans l’enceinte des palais de justice est passé de 11 à 21 entre 2015 et 2016. Mais il est redescendu à 16 en 2017. De plus, il faut noter que le chiffre regroupe à la fois des faits survenus dans une salle d’audience mais aussi dans les cabinets. Il est donc difficile à exploiter.

    La sécurisation des box participe, en tout cas, à un mouvement plus général touchant l’ensemble de l’architecture judiciaire. Il suffit d’observer les nouveaux palais de justice : matériaux modernes, accès sécurisés, badges nécessaires pour franchir chaque porte, ambiance high-tech. C’est toute la symbolique judiciaire qui est concernée. Dans une lettre ouverte à la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, publiée le 23 octobre, le Syndicat des avocats de France (SAF) et le Syndicat de la magistrature protestaient ainsi contre « une vision architecturale des futurs palais qui exclut le justiciable, qui le déshumanise en le réduisant à une dangerosité supposée, nécessitant de limiter autant que possible ses contacts avec les acteurs de l’institution judiciaire ».

    « Architecture sécuritaire »

    Le 15 novembre, la grogne est montée d’un cran : le SAF a assigné la garde des Sceaux et l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), devant le tribunal de grande instance de Paris, à jour fixe, pour faute lourde. L’audience se tiendra le 15 janvier 2018. Les avocats ont demandé le retrait des dispositifs de sécurité installés dans plusieurs salles d’audience françaises. En parrallèle, d’autres initiatives locales, comme à Nanterre ou Créteil, se multiplient. C’est ainsi que la section d’Aix-en-Provence du SAF, s’est réunie le 30 novembre pour dénoncer « ce recours systématique et endémique à une architecture sécuritaire » qui « heurte les principes fondamentaux de la présomption d’innocence et d’un exercice effectif des droits de la défense ».

    Il faut dire que le box des comparutions immédiates est particulièrement frappant : il s’agit d’une sorte de cellule miniature avec barreaux de fer. Dans le communiqué du SAF, il est rappelé que l’article 318 du code de procédure pénale prévoit une comparution libre sous la garde de l’escorte policière. « Nous projetons d’intervenir à l’audience correctionnelle le 22 décembre pour demander la comparution des prévenus détenus en dehors de la "cage de fer" implantée dans la salle d’audience », précise Me Julien Gautier. Le passé compte quelques précédents victorieux : en 2003, les avocats parisiens obtinrent que la vitre faciale du box de la 10e chambre correctionnelle soit remplacée par des lamelles.
    Julie Brafman

    Arguer de la lutte contre le terrorisme dans ces affaires alors que les comparutions immédiates ou correctionnelles n’ont rien à voir avec les affaires liées au terrorisme… Ça sert vraiment à tout le terrorisme c’est ça qui est pratique ! Et puis 2 millions d’euros dépensés sans état d’âme alors que les palais de justice manquent de tout, même de budget photocopies, on hallucine…
    #justice #SAF #avocats #présomption_d_innocence

  • Post coïtum animal triste - Journal d’un avocat
    http://www.maitre-eolas.fr/post/2011/05/22/Commentaire-d-un-juriste-sur-la-couverture-m%C3%A9diatique-de-l-affaire

    J’ai déjà parlé ici de la présomption d’innocence. En résumé : c’est avant tout une règle de preuve (c’est à l’accusation de démontrer la culpabilité), auquel nous avons, en France, ajouté un aspect protection de la réputation : il est interdit de présenter une personne faisant l’objet d’une enquête ou de poursuites comme coupable tant qu’elle n’a pas été définitivement condamnée. Ce n’est pas facile, même un avocat comme l’actuel président de la République se plante régulièrement.

    (...)

    Alors pour éviter de torturer la langue française et d’employer ce pauvre mot de “présumé” à toutes les sauces, mettons les choses au point.

    Parler de Dominique Strauss-Kahn comme d’un suspect, d’un inculpé ou d’un accusé est tout à fait correct. Juridiquement, le terme le plus exact à ce stade est accusé, puisque l’indictment a été prononcé par le Grand Jury. Le désigner comme “violeur” serait une atteinte à la présomption d’innocence. Mais le désigner comme “violeur présumé” est lourd, inélégant et imprécis, le terme présumé, sans doute inspiré par présomption d’innocence, ayant le sens de “Qui est supposé par hypothèse, par conjecture”. Soit l’inverse de ce qu’on veut dire, en somme. Un violeur présumé n’est pas un innocent présumé.

    Là où l’auditeur risque la migraine, c’est quand la victime devient à son tour présumée. Diable ! Si le violeur est présumé innocent, la victime est-elle présumée menteuse ? Non, bien sûr, mais on la rétrograde au rang de victime présumée. Ce qui fait beaucoup de présumés.

    Le mot français pour “victime présumée” est “plaignante”. (...) Bref, le terme de victime est incompatible avec la présomption d’innocence. (...)
    Ce qui m’amène à ma remarque finale.

    (...) À chaque fois qu’une personne est accusée de quelque chose d’incroyablement grave, ses proches ont le réflexe naturel de refuser de croire que c’est seulement possible. (...)

    Des réactions maladroites, voire complètement idiotes ont eu lieu. La plupart de ceux qui les ont tenues se sont rétractés ou ont exprimé leurs regrets en réalisant absurdité de leurs propos. Mais il y a une réaction à la réaction qui me paraît totalement déplacée et qui fleure bon son Tartuffe. C’est le refrain du “vous n’avez pas eu un mot pour la victime”. La palme revient sans doute à Laurent Joffrin, opportunément soutenu par Franz-Olivier Gisbert s’en prenant à Robert Badinter jeudi soir sur France 2. On sent les éditorialistes qui savaient que DSK avait un problème relationnel avec les femmes et qui tentent de se racheter une virginité en jouant les sycophantes.

    Le terme de ‘politiquement correct” est souvent galvaudé, mais là on est plein dedans.

    (...) On peut être convaincu, irrationnellement puisque sans se reposer sur des éléments objectifs dont on ignore tout, de l’innocence d’un ami. Ce qui implique de penser que la plaignante n’est pas et ne sera jamais une victime. La décence invite uniquement à ne pas accabler cette personne dont on ne sait rien, parce qu’on peut se tromper sur un ami, et le mieux à faire pour cela est de ne pas parler d’elle. Cette attitude est tout à fait morale et même recommandable. Et le fait d’interpréter ce silence comme la preuve irréfutable d’un mépris ne mérite que ce dernier sentiment en retour.

    Quand j’appelle une mère pour lui annoncer que son fils est à Fleury, elle n’a jamais un mot pour le plaignant éventuel. Elle ne se soucie que de son fils. Dois-je donc l’engueuler, monsieur Joffrin ?

    (...) Prendre position, c’est prendre le risque de se tromper, et cela implique d’être cohérent. Que penseriez-vous d’un avocat qui clamerait “mon client est innocent, mais toutes mes pensées vont bien sûr à la victime ?” Sans doute la même chose que j’ai pensé de ceux offrant ce désolant spectacle sur le plateau de France 2.

    #droit #dsk #présomption_d_innocence #accusé #plaignante

    • Meci pour ton com. En effet, n’étant pas juriste mais sensible quand même à cette approche, j’attends souvent l’avis du maître :-)

      « (...) À chaque fois qu’une personne est accusée de quelque chose d’incroyablement grave, ses proches ont le réflexe naturel de refuser de croire que c’est seulement possible. (...) ».

      Cet article évoque largement cette question. Certes, il y a (eu) #media-war en outre.