Fin de grève amère dans les usines textiles du Bangladesh
▻https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/17/fin-de-greve-amere-dans-les-usines-textiles-du-bangladesh_6200798_3234.html
Des #ouvriers textiles bangladais retournent travailler dans leur usine à Ashulia, au nord de Dhaka (?), le 15 novembre 2023. MUNIR UZ ZAMAN / AFP
Le mouvement de revendication pour de meilleurs salaires, qui a mis l’industrie textile à l’arrêt pendant trois semaines, n’a pas eu gain de cause. Presque aucun donneur d’ordre occidental n’a incité ses fournisseurs à payer décemment les ouvriers.
Les ouvriers des usines textiles du Bangladesh n’ont pas eu gain de cause. Après trois semaines de #grève, de manifestations et de heurts avec la police, ceux qui fabriquent les vêtements #Levi’s, #Zara et autres H&M ont repris le travail, mercredi 15 novembre, sans obtenir le quasi-triplement de leurs salaires demandé.
Le comité du #salaire minimum du secteur textile a décidé d’augmenter la rémunération de base de 56 %, la portant à 12 500 takas, soit 104 euros, mardi 8 novembre. Un montant que les syndicats jugent « ridicule » au regard des 23 000 takas, soit environ 190 euros, revendiqués.
Sheikh Hasina, la première ministre du pays qui briguera un cinquième mandat lors des élections générales, le 7 janvier 2024, a refusé toute nouvelle hausse du salaire minimum et intimé les ouvriers de reprendre le travail sous peine de perdre leur emploi et d’avoir « à retourner dans leurs villages ».
Troisième plus gros fournisseur mondial
De fait, « c’est par obligation financière et sous la pression du gouvernement et la menace des autorités policières, y compris physiques, que les ouvriers grévistes ont repris le travail », observe Christie Miedema, coordinatrice de Clean Clothes Campaign, une fédération d’organisations non gouvernementales qui militent pour le respect des droits humains.
« La situation ressemble à celle d’il y a cinq ans », déplore Mme Miedema. En 2018, le salaire minimum dans ce secteur, qui emploie quatre millions de personnes, avait été révisé à 8 000 takas, soit 65 euros, pour cinq ans. Depuis, le secteur a traversé la crise du Covid-19 et essuyé l’inflation galopante, de l’ordre de 35 % depuis 2019.
A l’été 2023, pour la première fois, le gouvernement a monté un comité pour déterminer un #salaire_minimum applicable dans le secteur du #prêt-à-porter au 1er décembre, sans attendre l’échéance de 2024. Toutefois, aucun des syndicats représentatifs du personnel de cette puissante industrie n’y siège. A l’évidence, le patronat local rechigne à augmenter les salaires de peur de dégrader la compétitivité d’un secteur qui représente 85 % des 55 milliards d’euros d’exportations annuelles du pays. Grâce à un réseau de 3 500 usines, le secteur est connu pour être l’un des moins chers au monde : le pays est le troisième fournisseur de vêtements, derrière la Chine et le Vietnam.
Quatre morts à Dacca
Dix ans après l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza à Dacca, tuant plus de 1 100 ouvriers textiles, les conditions de travail n’ont guère évolué. En outre, le #Bangladesh est toujours dans la ligne de mire des ONG qui y dénoncent les atteintes au droit syndical. En juin dernier, Luc Triangle, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale, a condamné le meurtre de Shahidul Islam Shahid, responsable syndical de la Fédération des travailleurs de l’industrie et des usines textiles du Bangladesh, « battu à mort » par un gang après avoir assisté à une réunion syndicale. « Cet assassinat s’inscrit dans un contexte d’attaques ciblées contre les leaders syndicaux au Bangladesh et aura un effet dissuasif sur le mouvement ouvrier déjà très restreint », avait alors réagi l’ONG américaine Human Rights Watch.
Les manifestations de l’automne ont aussi été très violentes pour les grévistes, notamment à Dacca. Au moins quatre ouvriers ont été tués lors des manifestations, dont trois ont été abattus par les forces de l’ordre, d’après l’AFP. Quelque 140 ouvriers et plusieurs dirigeants syndicaux ont été arrêtés, et environ 10 000 travailleurs font l’objet de poursuites pour violences, selon la police, précise aussi l’agence d’informations.
Mercredi 15 novembre, le principal dirigeant syndical, Babul Akhter, a demandé au gouvernement de « libérer tous les ouvriers arrêtés », avant d’appeler à reprendre le travail, tout en maintenant ses revendications. « Nous n’avons pas dévié de notre revendication d’un salaire minimum de 23 000 takas », a-t-il déclaré à l’AFP. « La colère des ouvriers a été alimentée par la hausse du coût de la vie, avec des denrées de base qui sont devenues inabordables, affirme Taslima Akhter, membre du mouvement d’ouvriers Bangladesh Garment Workers Solidarity, mais la violence s’exprime d’autant plus facilement que les syndicats ne sont autorisés que sur le papier et sont contrôlés par les propriétaires d’usines. »
Les marques occidentales « responsables »
De son côté, le patronat bangladais pointe le rôle ambivalent des #donneurs_d’ordre. L’Association des fabricants et des exportateurs de vêtements du Bangladesh a notamment estimé que le niveau de salaire pratiqué dans leurs usines découlait des prix imposés par leurs clients, dont surtout des #marques occidentales. « Elles sont autant responsables de la hausse des salaires que les fabricants bangladais », déclare au Monde Miran Ali, son vice-président. Selon lui, il n’est pas acceptable que ces donneurs d’ordre « prennent publiquement position en faveur d’une hausse des salaires et, en privé, refusent d’absorber cette hausse de coûts » en relevant leurs prix d’achat.
De fait, rares sont les marques à avoir répondu aux appels de soutien des revendications salariales. L’association Clean Clothes Campaign avait notamment interpellé une douzaine d’entre elles, dont #H&M et #C&A, qui fabriquent leurs collections à moindre prix au Bangladesh. Mais seule Patagonia a répondu, observe Mme Miedema. La marque de sport américaine a rejoint l’association Fair Labor pour appeler Dacca à porter le salaire minimum à 23 000 takas. « Les autres fabricants sont moins explicites, voire totalement muets », pointe Mme Miedema. En septembre, Human Rights Watch constatait que la question de la liberté d’expression était « à peine abordée » dans la plupart des rapports d’audit sociaux commandés par les grandes marques d’habillement.
En France, #Carrefour se contente de rappeler avoir « pris position le 13 septembre en faveur d’une revalorisation du salaire minimum des travailleurs des usines textiles ». En Espagne, #Inditex est aussi fort prudent. Le numéro un mondial de l’habillement refuse de commenter les événements récents et renvoie à ses déclarations de septembre. Il exprimait alors toute sa confiance envers le comité du salaire minimum du secteur textile afin « d’établir un salaire minimum au Bangladesh qui couvre le coût de la vie des ouvriers et de leurs familles ».
Il n’en a rien été, estiment nombre d’ONG, dont la Fair Wear Foundation. L’association, qui travaille avec des marques, des usines et des syndicats pour améliorer les conditions de travail des employés dans l’industrie textile, fait partie des 2 500 signataires d’une lettre envoyée le 16 novembre à la première ministre pour exprimer « leur inquiétude » et l’inviter « à revoir sa décision » puisque, prévient-elle, le nouveau salaire minimum « ne couvre pas les besoins fondamentaux » des ouvriers textiles du Bangladesh.