• #Intersectionnalité : une #introduction (par #Eric_Fassin)

    Aujourd’hui, dans l’espace médiatico-politique, on attaque beaucoup l’intersectionnalité. Une fiche de poste a même été dépubliée sur le site du Ministère pour purger toute référence intersectionnelle. Dans le Manuel Indocile de Sciences Sociales (Copernic / La Découverte, 2019), avec Mara Viveros, nous avons publié une introduction à ce champ d’études. Pour ne pas laisser raconter n’importe quoi.

    « Les féministes intersectionnelles, en rupture avec l’universalisme, revendiquent de ne pas se limiter à la lutte contre le sexisme. »

    Marianne, « L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », 12 au 18 avril 2019

    Une médiatisation ambiguë

    En France, l’intersectionnalité vient d’entrer dans les magazines. Dans Le Point, L’Obs ou Marianne, on rencontre non seulement l’idée, mais aussi le mot, et même des références savantes. Les lesbiennes noires auraient-elles pris le pouvoir, jusque dans les rédactions ? En réalité si les médias en parlent, c’est surtout pour dénoncer la montée en puissance, dans l’université et plus largement dans la société, d’un féminisme dit « intersectionnel », accusé d’importer le « communautarisme à l’américaine ». On assiste en effet au recyclage des articles du début des années 1990 contre le « politiquement correct » : « On ne peut plus rien dire ! » C’est le monde à l’envers, paraît-il : l’homme blanc hétérosexuel subirait désormais la « tyrannie des minorités ».

    Faut-il le préciser ? Ce fantasme victimaire est démenti par l’expérience quotidienne. Pour se « rassurer », il n’y a qu’à regarder qui détient le pouvoir dans les médias et l’université, mais aussi dans l’économie ou la politique : les dominants d’hier ne sont pas les dominés d’aujourd’hui, et l’ordre ancien a encore de beaux jours devant lui. On fera plutôt l’hypothèse que cette réaction parfois virulente est le symptôme d’une inquiétude après la prise de conscience féministe de #MeToo, et les révélations sur le harcèlement sexiste, homophobe et raciste de la « Ligue du Lol » dans le petit monde des médias, et alors que les minorités raciales commencent (enfin) à se faire entendre dans l’espace public.

    Il en va des attaques actuelles contre l’intersectionnalité comme des campagnes contre la (supposée) « théorie du genre » au début des années 2010. La médiatisation assure une forme de publicité à un lexique qui, dès lors, n’est plus confiné à l’univers de la recherche. La polémique a ainsi fait entrevoir les analyses intersectionnelles à un public plus large, qu’articles et émissions se bousculent désormais pour informer… ou le plus souvent mettre en garde. Il n’empêche : même les tribunes indignées qui livrent des noms ou les dossiers scandalisés qui dressent des listes contribuent, à rebours de leurs intentions, à établir des bibliographies et à populariser des programmes universitaires. En retour, le milieu des sciences sociales lui-même, en France après beaucoup d’autres pays, a fini par s’intéresser à l’intersectionnalité – et pas seulement pour s’en inquiéter : ce concept voyageur est une invitation à reconnaître, avec la pluralité des logiques de domination, la complexité du monde social.

    Circulations internationales

    On parle d’intersectionnalité un peu partout dans le monde – non seulement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique du Sud ou en Inde. Il est vrai que le mot vient des États-Unis : c’est #Kimberlé_Crenshaw qui l’utilise d’abord dans deux articles publiés dans des revues de droit au tournant des années 1990. Toutefois, la chose, c’est-à-dire la prise en compte des dominations multiples, n’a pas attendu le mot. Et il est vrai aussi que cette juriste afro-américaine s’inscrit dans la lignée d’un « #féminisme_noir » états-unien, qui dans les années 1980 met l’accent sur les aveuglements croisés du mouvement des droits civiques (au #genre) et du mouvement des femmes (à la #race).

    Cependant, ces questions sont parallèlement soulevées, à la frontière entre l’anglais et l’espagnol, par des féministes « #chicanas » (comme #Cherríe_Moraga et #Gloria_Anzaldúa), dans une subculture que nourrit l’immigration mexicaine aux États-Unis ou même, dès les années 1960, au Brésil, au sein du Parti communiste ; des féministes brésiliennes (telles #Thereza_Santos, #Lélia_Gonzalez et #Sueli_Carneiro) développent aussi leurs analyses sur la triade « race-classe-genre ». Bref, la démarche intersectionnelle n’a pas attendu le mot intersectionnalité ; elle n’a pas une origine exclusivement états-unienne ; et nulle n’en a le monopole : ce n’est pas une « marque déposée ». Il faut donc toujours comprendre l’intersectionnalité en fonction des lieux et des moments où elle résonne.

    En #France, c’est au milieu des années 2000 qu’on commence à parler d’intersectionnalité ; et c’est d’abord au sein des #études_de_genre. Pourquoi ? Un premier contexte, c’est la visibilité nouvelle de la « #question_raciale » au sein même de la « #question_sociale », avec les émeutes ou révoltes urbaines de 2005 : l’analyse en termes de classe n’était manifestement plus suffisante ; on commence alors à le comprendre, pour les sciences sociales, se vouloir aveugle à la couleur dans une société qu’elle obsède revient à s’aveugler au #racisme. Un second contexte a joué un rôle plus immédiat encore : 2004, c’est la loi sur les signes religieux à l’école. La question du « #voile_islamique » divise les féministes : la frontière entre « eux » et « nous » passe désormais, en priorité, par « elles ». Autrement dit, la différence de culture (en l’occurrence religieuse) devient une question de genre. L’intersectionnalité permet de parler de ces logiques multiples. Importer le concept revient à le traduire dans un contexte différent : en France, ce n’est plus, comme aux États-Unis, l’invisibilité des #femmes_noires à l’intersection entre féminisme et droits civiques ; c’est plutôt l’hypervisibilité des #femmes_voilées, au croisement entre #antisexisme et #antiracisme.

    Circulations interdisciplinaires

    La traduction d’une langue à une autre, et d’un contexte états-unien au français, fait apparaître une deuxième différence. Kimberlé Crenshaw est juriste ; sa réflexion porte sur les outils du #droit qu’elle utilise pour lutter contre la #discrimination. Or aux États-Unis, le droit identifie des catégories « suspectes » : le sexe et la race. Dans les pratiques sociales, leur utilisation, implicite ou explicite, est soumise à un examen « strict » pour lutter contre la discrimination. Cependant, on passe inévitablement de la catégorie conceptuelle au groupe social. En effet, l’intersectionnalité s’emploie à montrer que, non seulement une femme peut être discriminée en tant que femme, et un Noir en tant que Noir, mais aussi une femme noire en tant que telle. C’est donc seulement pour autant qu’elle est supposée relever d’un groupe sexuel ou racial que le droit peut reconnaître une personne victime d’un traitement discriminatoire en raison de son sexe ou de sa race. Toutefois, dans son principe, cette démarche juridique n’a rien d’identitaire : comme toujours pour les discriminations, le point de départ, c’est le traitement subi. Il serait donc absurde de reprendre ici les clichés français sur le « communautarisme américain » : l’intersectionnalité vise au contraire à lutter contre l’#assignation discriminatoire à un groupe (femmes, Noirs, ou autre).

    En France, la logique est toute différente, dès lors que l’intersectionnalité est d’abord arrivée, via les études de genre, dans le champ des sciences sociales. La conséquence de cette translation disciplinaire, c’est qu’on n’a généralement pas affaire à des groupes. La sociologie s’intéresse davantage à des propriétés, qui peuvent fonctionner comme des variables. Bien sûr, on n’oublie pas la logique antidiscriminatoire pour autant : toutes choses égales par ailleurs (en l’occurrence dans une même classe sociale), on n’a pas le même salaire selon qu’on est blanc ou pas, ou la même retraite si l’on est homme ou femme. Il n’est donc pas ou plus possible de renvoyer toutes les explications à une détermination en dernière instance : toutes les #inégalités ne sont pas solubles dans la classe. C’est évident pour les femmes, qui appartiennent à toutes les classes ; mais on l’oublie parfois pour les personnes dites « non blanches », tant elles sont surreprésentées dans les classes populaires – mais n’est-ce pas justement, pour une part, l’effet de leur origine supposée ? Bien entendu, cela ne veut pas dire, à l’inverse, que la classe serait soluble dans une autre forme de #domination. En réalité, cela signifie simplement que les logiques peuvent se combiner.

    L’intérêt scientifique (et politique) pour l’intersectionnalité est donc le signe d’une exigence de #complexité : il ne suffit pas d’analyser la classe pour en avoir fini avec les logiques de domination. C’est bien pourquoi les féministes n’ont pas attendu le concept d’intersectionnalité, ni sa traduction française, pour critiquer les explications monocausales. En France, par exemple, face au #marxisme, le #féminisme_matérialiste rejette de longue date cette logique, plus politique que scientifique, de l’« ennemi principal » (de classe), qui amène à occulter les autres formes de domination. En 1978, #Danièle_Kergoat interrogeait ainsi la neutralisation qui, effaçant l’inégalité entre les sexes, pose implicitement un signe d’égalité entre « ouvrières » et « ouvriers » : « La #sociologie_du_travail parle toujours des “#ouvriers” ou de la “#classe_ouvrière” sans faire aucune référence au #sexe des acteurs sociaux. Tout se passe comme si la place dans la production était un élément unificateur tel que faire partie de la classe ouvrière renvoyait à une série de comportements et d’attitudes relativement univoques (et cela, il faut le noter, est tout aussi vrai pour les sociologues se réclamant du #marxisme que pour les autres. »

    Or, ce n’est évidemment pas le cas. Contre cette simplification, qui a pour effet d’invisibiliser les ouvrières, la sociologue féministe ne se contente pas d’ajouter une propriété sociale, le sexe, à la classe ; elle montre plus profondément ce qu’elle appelle leur #consubstantialité. On n’est pas d’un côté « ouvrier » et de l’autre « femme » ; être une #ouvrière, ce n’est pas la même chose qu’ouvrier – et c’est aussi différent d’être une bourgeoise. On pourrait dire de même : être une femme blanche ou noire, un garçon arabe ou pas, mais encore un gay de banlieue ou de centre-ville, ce n’est vraiment pas pareil !

    Classe et race

    Dans un essai sur le poids de l’#assignation_raciale dans l’expérience sociale, le philosophe #Cornel_West a raconté combien les taxis à New York refusaient de s’arrêter pour lui : il est noir. Son costume trois-pièces n’y fait rien (ni la couleur du chauffeur, d’ailleurs) : la classe n’efface pas la race – ou pour le dire plus précisément, le #privilège_de_classe ne suffit pas à abolir le stigmate de race. Au Brésil, comme l’a montré #Lélia_Gonzalez, pour une femme noire de classe moyenne, il ne suffit pas d’être « bien habillée » et « bien élevée » : les concierges continuent de leur imposer l’entrée de service, conformément aux consignes de patrons blancs, qui n’ont d’yeux que pour elles lors du carnaval… En France, un documentaire intitulé #Trop_noire_pour_être_française part d’une même prise de conscience : la réalisatrice #Isabelle_Boni-Claverie appartient à la grande bourgeoisie ; pourtant, exposée aux discriminations, elle aussi a fini par être rattrapée par sa couleur.

    C’est tout l’intérêt d’étudier les classes moyennes (ou supérieures) de couleur. Premièrement, on voit mieux la logique propre de #racialisation, sans la rabattre aussitôt sur la classe. C’est justement parce que l’expérience de la bourgeoisie ne renvoie pas aux clichés habituels qui dissolvent les minorités dans les classes populaires. Deuxièmement, on est ainsi amené à repenser la classe : trop souvent, on réduit en effet ce concept à la réalité empirique des classes populaires – alors qu’il s’agit d’une logique théorique de #classement qui opère à tous les niveaux de la société. Troisièmement, ce sont souvent ces couches éduquées qui jouent un rôle important dans la constitution d’identités politiques minoritaires : les porte-parole ne proviennent que rarement des classes populaires, ou du moins sont plus favorisés culturellement.

    L’articulation entre classe et race se joue par exemple autour du concept de #blanchité. Le terme est récent en français : c’est la traduction de l’anglais #whiteness, soit un champ d’études constitué non pas tant autour d’un groupe social empirique (les Blancs) que d’un questionnement théorique sur une #identification (la blanchité). Il ne s’agit donc pas de réifier les catégories majoritaires (non plus, évidemment, que minoritaires) ; au contraire, les études sur la blanchité montrent bien, pour reprendre un titre célèbre, « comment les Irlandais sont devenus blancs » : c’est le rappel que la « race » ne doit rien à la #biologie, mais tout aux #rapports_de_pouvoir qu’elle cristallise dans des contextes historiques. À nouveau se pose toutefois la question : la blanchité est-elle réservée aux Blancs pauvres, condamnés à s’identifier en tant que tels faute d’autres ressources ? On parle ainsi de « #salaire_de_la_blanchité » : le #privilège de ceux qui n’en ont pas… Ou bien ne convient-il pas de l’appréhender, non seulement comme une compensation, mais aussi et surtout comme un langage de pouvoir – y compris, bien sûr, chez les dominants ?

    En particulier, si le regard « orientaliste » exotise l’autre et l’érotise en même temps, la #sexualisation n’est pas réservée aux populations noires ou arabes (en France), ou afro-américaines et hispaniques (comme aux États-Unis), bref racisées. En miroir, la #blanchité_sexuelle est une manière, pour les classes moyennes ou supérieures blanches, de s’affirmer « normales », donc de fixer la #norme, en particulier dans les projets d’#identité_nationale. Certes, depuis le monde colonial au moins, les minorités raciales sont toujours (indifféremment ou alternativement) hypo- – ou hyper- –sexualisées : pas assez ou bien trop, mais jamais comme il faut. Mais qu’en est-il des majoritaires ? Ils se contentent d’incarner la norme – soit d’ériger leurs pratiques et leurs représentations en normes ou pratiques légitimes. C’est bien pourquoi la blanchité peut être mobilisée dans des discours politiques, par exemple des chefs d’État (de la Colombie d’Álvaro Uribe aux États-Unis de Donald Trump), le plus souvent pour rappeler à l’ordre les minorités indociles. La « question sociale » n’a donc pas cédé la place à la « question raciale » ; mais la première ne peut plus servir à masquer la seconde. Au contraire, une « question » aide à repenser l’autre.

    Les #contrôles_au_faciès

    Regardons maintenant les contrôles policiers « au faciès », c’est-à-dire fondés sur l’#apparence. Une enquête quantitative du défenseur des droits, institution républicaine qui est chargée de défendre les citoyens face aux abus de l’État, a récemment démontré qu’il touche inégalement, non seulement selon les quartiers (les classes populaires), mais aussi en fonction de l’âge (les jeunes) et de l’apparence (les Arabes et les Noirs), et enfin du sexe (les garçons plus que les filles). Le résultat, c’est bien ce qu’on peut appeler « intersectionnalité ». Cependant, on voit ici que le croisement des logiques discriminatoires ne se résume pas à un cumul des handicaps : le sexe masculin fonctionne ici comme un #stigmate plutôt qu’un privilège. L’intersectionnalité est bien synonyme de complexité.

    « Les jeunes de dix-huit-vingt-cinq ans déclarent ainsi sept fois plus de contrôles que l’ensemble de la population, et les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c’est-à-dire plus de cinq fois dans les cinq dernières années). Si l’on combine ces deux critères, 80 % des personnes correspondant au profil de “jeune homme perçu comme noir ou arabe” déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. »

    Répétons-le : il n’y a rien d’identitaire dans cette démarche. D’ailleurs, la formulation du défenseur des droits dissipe toute ambiguïté : « perçus comme noirs ou arabes ». Autrement dit, c’est l’origine réelle ou supposée qui est en jeu. On peut être victime d’antisémitisme sans être juif – en raison d’un trait physique, d’un patronyme, ou même d’opinions politiques. Pour peu qu’on porte un prénom lié à l’islam, ou même qu’on ait l’air « d’origine maghrébine », musulman ou pas, on risque de subir l’#islamophobie. L’#homophobie frappe surtout les homosexuels, et plus largement les minorités sexuelles ; toutefois, un garçon réputé efféminé pourra y être confronté, quelle que soit sa sexualité.

    Et c’est d’ailleurs selon la même logique qu’en France l’État a pu justifier les contrôles au faciès. Condamné en 2015 pour « faute lourde », il a fait appel ; sans remettre en cause les faits établis, l’État explique que la législation sur les étrangers suppose de contrôler « les personnes d’#apparence_étrangère », voire « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ». Traiter des individus en raison de leur apparence, supposée renvoyer à une origine, à une nationalité, voire à l’irrégularité du séjour, c’est alimenter la confusion en racialisant la nationalité. On le comprend ainsi : être, c’est être perçu ; l’#identité n’existe pas indépendamment du regard des autres.

    L’exemple des contrôles au faciès est important, non seulement pour celles et ceux qui les subissent, bien sûr, mais aussi pour la société tout entière : ils contribuent à la constitution d’identités fondées sur l’expérience commune de la discrimination. Les personnes racisées sont celles dont la #subjectivité se constitue dans ces incidents à répétition, qui finissent par tracer des frontières entre les #expériences minoritaires et majoritaires. Mais l’enjeu est aussi théorique : on voit ici que l’identité n’est pas première ; elle est la conséquence de #pratiques_sociales de #racialisation – y compris de pratiques d’État. Le racisme ne se réduit pas à l’#intention : le racisme en effet est défini par ses résultats – et d’abord sur les personnes concernées, assignées à la différence par la discrimination.

    Le mot race

    Les logiques de domination sont plurielles : il y a non seulement la classe, mais aussi le sexe et la race, ainsi que l’#âge ou le #handicap. Dans leur enchevêtrement, il est à chaque fois question, non pas seulement d’#inégalités, mais aussi de la #naturalisation de ces hiérarchies marquées dans les corps. Reste que c’est surtout l’articulation du sexe ou de la classe avec la race qui est au cœur des débats actuels sur l’intersectionnalité. Et l’on retrouve ici une singularité nationale : d’après l’ONU, les deux tiers des pays incluent dans leur recensement des questions sur la race, l’#ethnicité ou l’#origine_nationale. En France, il n’en est pas question – ce qui complique l’établissement de #statistiques « ethno-raciales » utilisées dans d’autre pays pour analyser les discriminations.

    Mais il y a plus : c’est seulement en France que, pour lutter contre le racisme, on se mobilise régulièrement en vue de supprimer le mot race de la Constitution ; il n’y apparaît pourtant, depuis son préambule de 1946 rédigé en réaction au nazisme, que pour énoncer un principe antiraciste : « sans distinction de race ». C’est aujourd’hui une bataille qui divise selon qu’on se réclame d’un antiracisme dit « universaliste » ou « politique » : alors que le premier rejette le mot race, jugé indissociable du racisme, le second s’en empare comme d’une arme contre la #racialisation de la société. Ce qui se joue là, c’est la définition du racisme, selon qu’on met l’accent sur sa version idéologique (qui suppose l’intention, et passe par le mot), ou au contraire structurelle (que l’on mesure à ses effets, et qui impose de nommer la chose).

    La bataille n’est pas cantonnée au champ politique ; elle s’étend au champ scientifique. Le racisme savant parlait naguère des races (au pluriel), soit une manière de mettre la science au service d’un #ordre_racial, comme dans le monde colonial. Dans la recherche antiraciste, il est aujourd’hui question de la race (au singulier) : non pas l’inventaire des populations, sur un critère biologique ou même culturel, mais l’analyse critique d’un mécanisme social qui assigne des individus à des groupes, et ces groupes à des positions hiérarchisées en raison de leur origine, de leur apparence, de leur religion, etc. Il n’est donc pas question de revenir aux élucubrations racistes sur les Aryens ou les Sémites ; en revanche, parler de la race, c’est se donner un vocabulaire pour voir ce qu’on ne veut pas voir : la #discrimination_raciste est aussi une #assignation_raciale. S’aveugler à la race ne revient-il pas à s’aveugler au racisme ?

    Il ne faut donc pas s’y tromper : pour les sciences sociales actuelles, la race n’est pas un fait empirique ; c’est un concept qui permet de nommer le traitement inégal réservé à des individus et des groupes ainsi constitués comme différents. La réalité de la race n’est donc ni biologique ni culturelle ; elle est sociale, en ce qu’elle est définie par les effets de ces traitements, soit la racialisation de la société tout entière traversée par la logique raciale. On revient ici aux analyses classiques d’une féministe matérialiste, #Colette_Guillaumin : « C’est très exactement la réalité de la “race”. Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts. [...] Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non, certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. »

    Morale de l’histoire

    A-t-on raison de s’inquiéter d’un recul de l’#universalisme en France ? Les logiques identitaires sont-elles en train de gagner du terrain ? Sans nul doute : c’est bien ce qu’entraîne la racialisation de notre société. Encore ne faut-il pas confondre les causes et les effets, ni d’ailleurs le poison et l’antidote. En premier lieu, c’est l’#extrême_droite qui revendique explicitement le label identitaire : des États-Unis de Donald Trump au Brésil de Jair Bolsonaro, on assiste à la revanche de la #masculinité_blanche contre les #minorités_raciales et sexuelles. Ne nous y trompons pas : celles-ci sont donc les victimes, et non pas les coupables, de ce retour de bâton (ou backlash) qui vise à les remettre à leur place (dominée).

    Deuxièmement, la #ségrégation_raciale que l’on peut aisément constater dans l’espace en prenant les transports en commun entre Paris et ses banlieues n’est pas le résultat d’un #communautarisme minoritaire. Pour le comprendre, il convient au contraire de prendre en compte un double phénomène : d’une part, la logique sociale que décrit l’expression #White_flight (les Blancs qui désertent les quartiers où sont reléguées les minorités raciales, anticipant sur la ségrégation que leurs choix individuels accélèrent…) ; d’autre part, les #politiques_publiques de la ville dont le terme #apartheid résume le résultat. Le #multiculturalisme_d’Etat, en Colombie, dessinerait une tout autre logique : les politiques publiques visent explicitement des identités culturelles au nom de la « #diversité », dont les mouvements sociaux peuvent s’emparer.

    Troisièmement, se battre pour l’#égalité, et donc contre les discriminations, ce n’est pas renoncer à l’universalisme ; bien au contraire, c’est rejeter le #communautarisme_majoritaire. L’intersectionnalité n’est donc pas responsable au premier chef d’une #fragmentation_identitaire – pas davantage qu’une sociologie qui analyse les inégalités socio-économiques n’est la cause première de la lutte des classes. Pour les #sciences_sociales, c’est simplement se donner les outils nécessaires pour comprendre un monde traversé d’#inégalités multiples.

    Quatrièmement, ce sont les #discours_publics qui opposent d’ordinaire la classe à la race (ou les ouvriers, présumés blancs, aux minorités raciales, comme si celles-ci n’appartenaient pas le plus souvent aux classes populaires), ou encore, comme l’avait bien montré #Christine_Delphy, l’#antisexisme à l’antiracisme (comme si les femmes de couleur n’étaient pas concernées par les deux). L’expérience de l’intersectionnalité, c’est au contraire, pour chaque personne, quels que soient son sexe, sa classe et sa couleur de peau, l’imbrication de propriétés qui finissent par définir, en effet, des #identités_complexes (plutôt que fragmentées) ; et c’est cela que les sciences sociales s’emploient aujourd’hui à appréhender.

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    Ce texte écrit avec #Mara_Viveros_Vigoya, et publié en 2019 dans le Manuel indocile de sciences sociales (Fondation Copernic / La Découverte), peut être téléchargé ici : https://static.mediapart.fr/files/2021/03/07/manuel-indocile-intersectionnalite.pdf

    À lire :

    Kimberlé Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » Cahiers du Genre, n° 39, février 2005, p. 51-82

    Défenseur des droits, Enquête sur l’accès aux droits, Relations police – population : le cas des contrôles d’identité, vol. 1, janvier 2017

    Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles Questions Féministes, vol. 25, janvier 2006, p. 59-83

    Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, Paris, 2006

    Elsa Dorlin, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Presses universitaires de France, Paris, 2009

    Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, Paris, 2009 [première édition : 2006]

    Éric Fassin (dir.), « Les langages de l’intersectionnalité », Raisons politiques, n° 58, mai 2015

    Éric Fassin, « Le mot race – 1. Cela existe. 2. Le mot et la chose », AOC, 10 au 11 avril 2019

    Nacira Guénif-Souilamas et Éric Macé, Les féministes et le garçon arabe, L’Aube, Paris, 2004

    Colette Guillaumin, « “Je sais bien mais quand même” ou les avatars de la notion de race », Le Genre humain, 1981, n° 1, p. 55-64

    Danièle Kergoat, « Ouvriers = ouvrières ? », Se battre, disent-elles…, La Dispute, Paris, 2012, p. 9-62

    Abdellali Hajjat et Silyane Larcher (dir.), « Intersectionnalité », Mouvements, 12 février 2019

    Mara Viveros Vigoya, Les Couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques de pouvoir en Amérique latine, La Découverte, Paris, 2018

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/050321/intersectionnalite-une-introduction#at_medium=custom7&at_campaign=10

    #définition #invisibilisation #antiracisme_universaliste #antiracisme_politique #racisme_structurel

    voir aussi ce fil de discussion sur l’intersectionnalité, avec pas mal de #ressources_pédagogiques :
    https://seenthis.net/messages/796554

  • « L’écho retentissant fait à la théorie de Lévi-Strauss tient à ce qu’elle subsume l’ordre social qui admet l’inceste mais interdit qu’on en parle (…) [ elle représente une aubaine pour tout le monde :] ceux qui tirent plus ou moins de bénéfice à reconduire un dispositif de domination, à ceux dont la subjectivité est écrasée depuis le berceau, et qui cèdent aux désirs des autres par intériorisation de leur écrasement » (pp.252 et 255). Et c’est pourquoi elle considère la théorie de Lévi-Strauss comme un « avatar de l’ordre social », une « pure pensée straight ».

    https://scenesdelavisquotidien.com/2021/02/09/reedition-de-le-berceau-des-dominations
    #levi-strauss #anthropologie #inceste #domination #famille

    • [Alors qu’une réédition de l’ouvrage de #Dorothée_Dussy, Le berceau des dominations , est prévue pour avril prochain aux éditions Pocket, j’ajoute ici le compte-rendu publié en 2014 dans la revue Nouvelles questions féministes.]

      Dorothée Dussy est anthropologue. Elle travaille au CNRS et est membre de L’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux). Ses travaux explorent l’articulation entre le #secret, le non-dit et les #pratiques_sociales à partir d’enquêtes sur la ville, le corps et l’inceste. En 2013, elle a coordonné l’ouvrage L’inceste, bilan des savoirs[1]. Le berceau des dominations[2] est le premier livre d’une trilogie consacrée à « l’ordre social incestueux ». L’ouvrage étudie les « #incesteurs » tandis que les deux prochains seront consacrés aux « incesté·e·s » et à la construction de leur #subjectivité d’une part, et, d’autre part, au traitement des rares affaires qui parviennent devant les tribunaux et aux divers « procédés de légitimation du silence à l’échelle des sociétés et des institutions ». L’approche de l’auteure est également alimentée par son implication depuis plusieurs années dans l’association AREVI[3].

  • Peut-on réduire la culture aux pratiques artistiques ? Comment saisir l’action des pratiques et des mouvements culturels dans la résistance et l’émancipation par la culture ? #culture #arts #pratiques_sociales #mouvements_culturels #institutions #sociologie

    https://sms.hypotheses.org/20990

    En France, la sociologie de la culture s’articule autour de deux approches principales : celle des pratiques culturelles d’une part, qui donne lieu depuis les années 1960 à des travaux qui s’intéressent à la distribution inégale des œuvres, des compétences et des pratiques culturelles, mais aussi aux formes multiples d’appropriation des œuvres d’art et des biens culturels ; et celle des politiques culturelles d’autre part, dominée par des approches socio-historiques et/ou territoriales, et qui s’est enrichie ces dernières années de recherches sur la formation et l’action des intermédiaires culturels.

    La limite principale de ces approches est toutefois de reproduire en grande partie les arbitrages institutionnels censés circonscrire les domaines d’action et de financement dévolus, d’un côté, aux activités artistiques et, de l’autre, aux activités sportives et à l’éducation populaire. Le développement de la sociologie de la culture française doit ainsi beaucoup aux commandes publiques engendrées par la création, en 1959, d’un ministère des « Affaires culturelles », où la culture y est principalement envisagée du point de vue des pratiques artistiques, renvoyant du côté de l’infra-culturel tout ce qui n’y correspondrait pas : les folklores, l’éducation populaire, le sport (...)

  • « Ces territoires jouent le rôle de boucs émissaires » (20+) Michel Kokoreff - Libération
    https://www.liberation.fr/france/2020/04/21/ces-territoires-jouent-le-role-de-boucs-emissaires_1785978


    A Villeneuve-la-Garenne, le 20 avril. Photo Geoffroy van der Hasselt. AFP

    Pour le professeur de sociologie Michel Kokoreff, la police cultive une forme d’impunité dans les quartiers populaires, plus visible encore durant l’épidémie.

    Quel regard portez-vous sur la situation dans les banlieues depuis le début du confinement ?

    Il y a de la révolte dans l’air. D’un côté, on sait bien que ces territoires cumulent les difficultés sociales, à commencer par la pauvreté. Le Covid est un puissant révélateur des inégalités dans les quartiers populaires. La désertification médicale est un fait depuis longtemps dénoncé. L’exercice de métiers de première ligne (caissières, livreurs, ambulanciers, infirmiers…) accroît la vulnérabilité des travailleurs. Ce qui explique que la Seine-Saint-Denis serait la plus touchée par la surmortalité. D’un autre côté, la focalisation des contrôles dans les quartiers populaires (y compris à Paris intra-muros ou dans d’autres villes) a conduit à une surreprésentation des contraventions dans ce contexte. Dès le début du confinement, la Seine-Saint-Denis a concentré à elle seule 10 % de l’ensemble des amendes. A cet égard, la question du respect du confinement est une fausse piste. Les chiffres montrent très bien que les mesures ne sont pas moins respectées en Seine-Saint-Denis que dans le département voisin des Hauts-de-Seine. Cet argument vise surtout à légitimer les interventions rugueuses et stigmatiser à nouveau les populations de ces quartiers populaires, qui jouent le rôle de boucs émissaires en temps d’épidémie.

    Plusieurs incidents ont éclaté ces derniers jours. Faut-il craindre une contagion ?

    Ce n’est pas sûr. Les conditions d’un débordement général ne me semblent pas réunies, vu le contexte. Au lieu d’agiter le spectre des révoltes de 2005, il faudrait plutôt s’interroger sur l’immobilisme des politiques publiques et la fonction sociale de ces territoires dans le gouvernement de la peur. Aux difficultés structurelles, comme la pauvreté, s’ajoutent les difficultés conjoncturelles liées au Covid-19, la saturation des hôpitaux, la surveillance, les contrôles. Dans certains quartiers, la police continue de se comporter comme une armée de réserve coloniale. Cette culture de l’impunité n’est pas nouvelle, mais elle apparaît plus visible en temps de confinement. En décembre 2015, quand l’état d’urgence a été décrété, certains services de police judiciaire ont profité de l’effet d’aubaine pour perquisitionner et interpeller dans des conditions exceptionnellement garanties par la loi. On a vu toute une série d’interventions qui n’avaient aucun lien avec les attentats terroristes. Aujourd’hui, le risque est exactement le même avec l’état d’urgence sanitaire. Et ce n’est pas propre aux « banlieues ».

    Avez-vous noté des changements dans les quartiers populaires depuis 2005 ?

    La physionomie de certains quartiers a profondément changé. Des dizaines de milliards ont été investis dans les opérations de rénovation urbaine. L’exemple le plus emblématique est celui de Clichy-sous-Bois, d’où est originaire le réalisateur Ladj Ly. Pour son film les Misérables, il n’a pas pu tourner une partie des scènes sur place car le quartier avait été entièrement rénové. Mais en dehors des conditions de vie souvent plus dignes, rien n’a vraiment changé. La situation sociale des familles ne s’est pas arrangée. Le chômage des moins de 25 ans est toujours trois à quatre fois supérieur au niveau national. Et l’expérience des discriminations ethniques et raciales n’a jamais été aussi prégnante. Face à la désaffection des services publics, au retrait de l’Etat, face à ses options répressives, à la stigmatisation, à l’islamophobie, les religions d’un côté, les trafics de l’autre semblent plus structurants de l’organisation sociale.

    Quel est l’impact du confinement sur l’économie parallèle ?

    A part la rupture des stocks, un sursaut d’énergie, un désir de vengeance, difficile de répondre. Le trafic constitue une sorte de filière professionnelle qui redistribue les ressources. Cette économie de survie est doublée d’une économie symbolique. Les avantages ne sont pas seulement financiers. Beaucoup d’enquêtes de terrain montrent que participer aux réseaux de trafic, c’est être quelqu’un. Dans les représentations, ni l’école ni le travail légal ne permettent d’accéder à cette reconnaissance. Le business exerce ainsi son emprise sur les plus jeunes. Je suis frappé par la reproduction des schémas. Chaque génération veut éviter les impasses de la précédente mais reste soumise aux mêmes contraintes et aux mêmes risques. Comme le marché s’agrandit, que l’offre est plus forte, que rien n’est vraiment fait pour ses quartiers au plan social, la spirale est sans fin, la chute programmée.

    Comment sortir de cette situation ?

    Il faut la dénoncer, mais aussi changer de regard. Par exemple, en mettant davantage en avant les initiatives qui voient le jour dans plusieurs cités, de la région parisienne à Marseille. Face aux carences de l’Etat et à l’envoi des policiers, de nombreux collectifs se déploient pour faire des courses, livrer à domicile, venir en aide aux personnes âgées ou isolées, aux familles qui ont faim. A Clichy-sous-Bois, cinquante palettes de nourriture ont été distribuées pendant huit jours à des centaines de personnes. Tous les acteurs de ces quartiers ont financé cette action solidaire - les dealers inclus. Plus largement, de nombreuses prises de position militantes donnent une visibilité aux dérives observées aujourd’hui et exigent des changements en matière de logement, d’emploi, d’école, de vie démocratique. Rapporter la situation actuelle à des causes structurelles sans pour autant ignorer les capacités d’auto-organisation dans ces quartiers et ses appels, la voie est étroite mais vitale politiquement face à ce sujet complexe.

    #quartiers_populaires #police #gouverner_par_la_peur
    #auto-organisation #solidarité #pratiques_sociales

    • Confinement : en Seine-Saint-Denis, un taux de verbalisation trois fois plus important qu’ailleurs
      https://www.liberation.fr/france/2020/04/26/confinement-en-seine-saint-denis-un-taux-de-verbalisation-trois-fois-plus

      Avec plus de 41 000 contraventions ces dernières semaines, le département francilien affiche des statistiques largement supérieures à la moyenne nationale. Des écarts qui soulèvent des questions sur les modalités d’intervention policière.

      Confinement : en Seine-Saint-Denis, un taux de verbalisation trois fois plus important qu’ailleurs
      Depuis le début du confinement, le taux de verbalisation en Seine-Saint-Denis frôle le triple de la moyenne nationale. Selon les derniers chiffres obtenus par Libération, le département totalisait samedi 41 103 contraventions pour 242 259 contrôles, soit un taux de verbalisation de 17%. Au niveau national, ce taux est seulement de 5,9% (915 000 contraventions pour 15,5 millions de contrôles). En clair, la proportion de personnes contrôlées qui sont verbalisées est trois fois plus importante en Seine-Saint-Denis que sur le reste du territoire.

      Interrogé mercredi à l’Assemblée Nationale lors des questions au gouvernement, Christophe Castaner a lui-même brandi en exemple le département dionysien pour illustrer l’absence supposée de laxisme de la police dans les quartiers populaires. « Il n’y a pas de quartiers dans lesquels nos forces de sécurité intérieure n’interviendraient pas » , a tonné le ministre de l’Intérieur en entretenant la confusion entre contrôles et verbalisations.

      « Densité importante »

      Les derniers chiffres recueillis par Libé témoignent surtout de fortes disparités régionales. Si l’omniprésence policière est plus criante à Paris (1 104 060 contrôles, soit quasiment un contrôle pour deux habitants), le taux de verbalisation apparaît en revanche beaucoup plus faible dans la capitale (6,25%). Un taux bien inférieur à ceux constatés dans les Hauts-de-Seine (8,7%), le Val-de-Marne (13,7%) et surtout en Seine-Saint-Denis (17%).

      Ce nombre élevé de #contraventions n’a pas échappé à la procureure du département. « Au début du confinement, on atteignait plus de 900 verbalisations par jour » , souligne Fabienne Klein-Donati, qui note toutefois une « diminution progressive » des contraventions quotidiennes, dont le nombre est tombé à moins de 400 ces derniers jours. Parmi les explications structurelles susceptibles de justifier un tel écart avec la moyenne nationale, la magistrate évoque « une population très jeune », « une densité très importante » et « un habitat qui rend difficile de rester chez soi à plusieurs ». « Les jeunes ont été beaucoup verbalisés, notamment en bas des immeubles, parfois plusieurs fois , précise Klein-Donati. Mon parquet a dû gérer de nombreux délits de réitération. De surcroît, le trafic de stupéfiants n’a pas cessé. »

      Flou

      Mais ces éléments suffisent-ils à expliquer une telle différence entre Paris et sa petite couronne ? Pour Sébastian Roché, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de police, « les comportements ne peuvent expliquer à eux seuls une amplitude aussi importante dans les taux de verbalisation. C’est nécessairement une approche policière différente qui génère de tels écarts ».

      Le chercheur pointe aussi l’absence de transparence dans les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, données qui ne sont même pas disponibles dans le cadre du contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire. Une opacité constitutive selon lui d’un « grave déficit démocratique » . A ce flou sur les chiffres, il faut ajouter celui qui entoure les contrôles de police et de gendarmerie. « A la différence des verbalisations, qui sont systématiquement enregistrées dans un logiciel, il n’existe aucun outil pour mesurer les contrôles, dont on ignore comment ils sont comptabilisés » , poursuit Sébastian Roché.

      Contacté par Libération, le ministre de l’Intérieur admet des taux de verbalisation différents d’un département à l’autre mais réfute toute stigmatisation territoriale. « Nous ne considérons pas que le confinement ne serait pas respecté en Seine-Saint-Denis, ni dans les quartiers , insiste un conseiller de Christophe Castaner. Au contraire, et le ministre l’a dit à plusieurs reprises publiquement. » Mais affirmer que la population de Seine-Saint-Denis respecte bien les règles alors que le taux de verbalisation y est trois fois supérieur, n’est-ce pas assumer que les contrôles sont discriminatoires dans ce département ?

      #confinement #contrôles_policiers #amendes

  • Le président du conseil scientifique demande « d’impliquer la société »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/220420/le-president-du-conseil-scientifique-demande-d-impliquer-la-societe?onglet

    Dans une note confidentielle révélée par Mediapart, le président du conseil scientifique estime qu’il est urgent d’associer la société à la gestion de la crise sanitaire pour ne pas alimenter « la critique d’une gestion autoritaire et déconnectée de la vie des gens »

    C’est une note confidentielle transmise le 14 avril à l’Élysée, au premier ministre et au ministre de la santé. Rédigée par Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, elle vient bousculer le pouvoir et sa gestion de la crise sanitaire. Au lendemain de l’intervention d’Emmanuel Macron, le 13 avril, ce document en appelle en effet à une mobilisation urgente de la société.

    Jean-François Delfraissy propose une série de mesures nouvelles qu’il dit avoir discutées et élaborées avec les présidents du Conseil économique, social et environnemental (CESE), de la Conférence nationale de santé (CNS) et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Il ne s’agit pas de créer « une usine à gaz » , précise Jean-François Delfraissy, mais de « s’appuyer sur les instances déjà existantes et leur réseau » .

    Créé dans l’urgence le 10 mars, le conseil scientifique est chargé de conseiller et d’ « éclairer » le président de la République. Composé de onze membres, le conseil compte des scientifiques et des médecins. Il s’est aussi élargi à des spécialistes des sciences sociales (sociologue, anthropologue) et accueille depuis peu une responsable de l’organisation ATD-Quart Monde.

    Son président, Jean-François Delfraissy, insiste depuis ses premières interventions sur la nécessité d’une « démocratie sanitaire ». C’est-à-dire sur l’exigence de ne pas laisser les politiques, l’administration, les médecins gérer seuls une crise sanitaire exceptionnelle qui met à l’arrêt et en confinement le pays et sa population. Il l’a redit lors de son audition au Sénat, le 15 avril.

    Depuis le début de l’épidémie, ce n’est pas le chemin choisi par l’exécutif. Les interventions solitaires du chef de l’État transformé en chef de guerre, les conférences de presse ministérielles n’ont cessé de mettre en scène quotidiennement cette verticale du pouvoir face à une population infantilisée et considérée comme passive.

    La préparation du déconfinement fera-t-elle changer les choses ? Le pouvoir semble sur le point de réaliser qu’il ne pourra plus faire seul, sans les élus locaux, les maires surtout. Mais les grandes ONG, les associations, la société civile, la multitude d’initiatives et de solidarités concrètes qui se construisent sur le terrain demeurent ignorées.

    D’où la mise en garde et la critique implicite que l’on découvre dans cette note titrée « L’urgence sociétale, l’inclusion et la participation de la société à la réponse du Covid-19. »
    Libertés publiques, inégalités sociales, « démocratie sanitaire » : « Les questions éthiques et sociales sont désormais nombreuses […] elles méritent d’être discutées dans des lieux où les acteurs de la démocratie sanitaire peuvent retrouver un rôle actif » , précise cette note.

    Pourquoi est-il urgent d’impliquer la société ? Pour mieux construire l’adhésion de la population aux mesures prises, pour profiter des savoirs de la société civile, pour mieux organiser les réponses locales. Mais pas seulement. Cette note met en garde le pouvoir sur « la méfiance à l’endroit des élites » et la formation d’une « contre-société » sur Internet.

    Surtout le conseil scientifique prévient le pouvoir politique : un « vaste débat s’ouvrira sur la gestion de la crise » . « L’exclusion des organisations de la société civile peut facilement ouvrir la voie à la critique d’une gestion autoritaire et déconnectée de la vie des gens. À l’inverse, leur participation leur donnera une forte légitimité pour prendre la parole au nom de la société et formuler des propositions. »

    Dans cette note, il est donc demandé d’organiser une véritable « participation citoyenne » . Créer un comité de liaison avec la société, créer une plateforme participative, interface de dialogue avec les citoyens sont deux des propositions faites dans cette note. À ce jour, le gouvernement n’a apporté aucune réponse aux demandes ainsi énoncées.

    L’intégralité de la note
    https://static.mediapart.fr/files/2020/04/22/une-urgence-socie-tale-linclusion-et-la-participation-de-la-societe

    Bref, le gouvernement est pris à revers ah ah ah. Malgré le bla bla participatif, il s’agit bien de construire collectivement une "immunité de masse" qui n’a rien à voir avec cette immunité de troupeau découlant de néfastes et illusoires "lois de la nature".

    #crise_sanitaire #intelligence_collective #savoir #prévention

    et pas #hospitalo-centrisme (ping @sinehebdo) #bureaucratie

    • Bon... je me suis planté (quelqu’un aurait pu le dire !), les # ci-dessus, bien loin du texte, ne sont qu’un résumé lapidaire de ce qui parait indispensable si on ne se confie pas seulement à la médecine et à l’État.
      Tout compte fait c’est le bla-bla participatif destiné à combler la béance entre la gestion d’État et la vie sociale qui domine (tout au plus un micro "Jupiter descend de ton piédestal"), ne serait-ce que pour prévenir le contrecoup que tout desserement des mesures actuelles (liberté de circulation et de contact accrus et suppression du chômage partiel, c’est mécaniquement explosif).

      Le « impliquer la société » du conseil scientifique peut bien évoquer la diversité des formes d’expertise, il ne fait aucune référence explicite aux #pratiques_sociales et à leur richesse, à leurs potentialités, privilégiant une énième instance au sommet " sous l’autorité du premier ministre"... La richesse se mesure en fric, la valeur en diplômes. On reste dans la négation de la collectif, instrumentalisé ou géré comme population.
      Deux personnes estampillées sciences humaines, et une ATD quart monde qui rappellent qu’il ya des ONG, pfff.

      Il suffit pourtant de voir les pratiques de solidarité (alimentation, entraide) et de prévention, dont la confection de masques en cours depuis déjà trois semaines, y compris hors entreprise, et hors cadre associatif préexistant, avec laquelle tout un apprentissage collectif de la vie avec et contre le virus se fait, pour constater l’avance prise par ces pratiques sur celles d’un moloch étatico-hospitalier qui n’a même presque rien fait de la médecine de ville, la mettant au chômage technique, au lieu de l’impliquer dans un tout autre maillage du territoire que celui du 15 et de la police, maillage composite, nécessairement, qui permettrait une prise en charge sociale de ces dimensions du care au lieu de faire harceler et casser la gueule par les flics de bon nombre d’acteurs du soin, de la prévention, de la solidarité.

      De toute dynamique sociale, il ne savent qu’avoir peur. Ils ne vont pas au-delà, ne se ménagent aucune marge. Leur gestion biopolitique ne peut qu’être violente.

    • Ça me fait penser au conseil de l’éthique d’IdF (je ne sais plus l’intitulé mais Irène Pereira en parle ici, interview à 7’ et quelques http://www-radio-campus.univ-lille1.fr/ArchivesN/2020-04-17/Voix_sans_maitre_17-04-2020_20h00.mp3) qui ne dit pas qu’il faut trier les malades sur des critères éthiques mais qu’il ne faut pas que les gens aient l’impression que les malades sont triés sur des critères inéquitables ou arbitraires !

  • Teens Are Addicted to Socializing, Not Screens - OneZero
    https://onezero.medium.com/teens-are-addicted-to-socializing-not-screens-a26da5d92983

    par danah boyd

    Until the world started sheltering in place, most teens spent the majority of their days in school, playing sports, and participating in other activities, almost always in physical spaces with lots of humans co-present. True physical privacy is a luxury for most young people whose location in space is heavily monitored and controlled. Screens represented a break from the mass social. They also represented privacy from parents, an opportunity to socialize without parents lurking even when their physical bodies were forced to be at home. Parents hated the portals that kids held in their hands because their children seemed to disappear from the living room into some unknown void. That unknown void was those children’s happy place — the place where they could hang out with their friends, play games, and negotiate a life of their own.

    Now, with Covid-19, schools are being taught through video. Friends are through video. Activities are through video. There are even videos for gym and physical sport. Religious gatherings are through video. Well-intended adults are volunteering to step in and provide more video-based opportunities for young people. TV may have killed the radio star, but Zoom and Google Hangouts are going to kill the delight and joy in spending all day in front of screens.

    But when physical distancing is no longer required, we’ll get to see that social closeness often involves meaningful co-presence with other humans. Adults took this for granted, but teens had few other options outside of spaces heavily controlled by adults. They went online not because the technology is especially alluring, but because it has long been the most viable option for having meaningful connections with friends given the way that their lives have been structured. Maybe now adults will start recognizing what my research showed: youth are “addicted” to sociality, not technology for technology’s sake.

    #Social_network #Pratiques_sociales #Coronavirus

  • Le notariat a connu de profondes transformations qui ont des effets sur le métier et ses représentations
    #droit #société #pratiques_sociales #immobilier

    https://sms.hypotheses.org/24563

    Les notaires sont nimbés de mystère. Les représentations artistiques et médiatiques confortent le caractère fantasmatique de ces officiers ministériels qui, délégataires d’une parcelle de puissance publique et placés au cœur des « secrets » de famille, constituent pourtant une profession peu connue, voire perçue comme surannée. Ces professionnels libéraux, entre privé et public, peuvent aussi être appréhendés comme un cas exemplaire de profession réglementée sur un marché du travail fermé et où domine une conception patrimoniale du métier. Les notaires ont pourtant connu de nombreuses et profondes transformations en quelques décennies.

    Le notariat a procédé, dès les années 1960, à son examen de conscience. Il a par ailleurs fait face à la restructuration des professions juridiques déclenchée par la relance du processus d’intégration européenne. Ces évènements, dans un contexte florissant d’activité, contribuent à une augmentation du nombre de professionnels et à une transformation des modèles de référence identitaire, une partie des notaires affirmant clairement leur adhésion aux valeurs entrepreneuriales dès les années 1970 et 1980 (...)

  • Faut-il tuer #Freud ? (4/4) : Machines partout, Œdipe nulle part
    https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/faut-il-tuer-freud-44-machines-partout-oedipe-nulle-part



    #Félix_Guattari chez lui le 15 juin 1987 à Paris• Crédits : François LOCHON/Gamma-Rapho - Getty

    Qui est Félix Guattari, celui qui, avec le philosophe Gilles Deleuze, remet en cause l’enseignement freudien dans le livre « L’Anti-Œdipe », publié en 1972 ? Croyaient-ils au bien-fondé de la psychanalyse ? Comment ont-ils pensé ensemble l’élaboration d’un « inconscient machinique » ?

    L’invité du jour : Valentin Schaepelynck, maître de conférences au département de sciences de l’éducation de Paris 8, membre du collectif de la revue deleuzo-guattarienne Chimères

    #psychanalyse (critique interne de la) #institution #psychothérapie_institutionnelle #philosophie #clinique #psychiatrie #pratiques_sociales

  • Designing tech for the most vulnerable users
    https://www.marketplace.org/2018/07/24/tech/designing-tech-most-vulnerable-users
    https://cms.marketplace.org/sites/default/files/styles/primary-image-900x500/public/GettyImages-135280995.jpg?itok=Z9qJAkqI

    Danah Boyd is a principal researcher at Microsoft and the founder of the research organization Data & Society, and much of her research looks at how kids are affected by the digital societies they live in. She talked with Marketplace Tech host Molly Wood about whether blocking kids from technology is really a good solution.

    Danah Boyd: I see young people who are crying out for help every day online. And it’s not because they’re online that they’re crying out for help. The idea of blocking young people from technology — what that ends up just doing is making it harder for them to be a part of a broader social world. I want to help them help their peers. And I want adults to come in and think that the solution is more about how to really engage not just their own children, but the network of children that they touch because of their kids, because of their schools, because of their communities and help young people at scale, rather than say if we just block the technology and stop being able to see it, all the problems will go away. We can kick them off of Twitter. It’s not that hard, but that won’t make the problem go away. And I want to get to the root of the problem, and I worry that we just keep thinking that the solution is at the technical layer. And I don’t think it’s at the technical layer.

    #danah_boyd #Enfants #Pratiques_sociales

  • Dominique Boullier : « Que visons-nous si ce n’est à capter de l’attention ? » - Le Courrier Picard
    http://www.courrier-picard.fr/82004/article/2018-01-07/dominique-boullier-que-visons-nous-si-ce-nest-capter-de-lattention
    http://cpena.rosselcdn.net/sites/default/files/dpistyles_v2/FirstImageUrl/2018/01/07/82004/3900783/public/2018/01/07/B9714307859Z.1_20180107153733_000%2BGH6AEDM46.1-0.jpg?itok=KI0h4R2x

    Chamath Palihapitiya, un ancien vice-président de Facebook en charge de la croissance de l’audience, n’est pas le premier à tirer la sonnette d’alarme. Pour lui, « les réseaux sociaux sapent les fondamentaux du comportement des gens. » Dominique Boullier, aujourd’hui chercheur à l’École polytechnique de Lausanne et spécialiste des technologies cognitive, a dirigé de 1998 à 2005 les travaux de recherches de l’équipe Costech de l’UTC de Compiègne, en lien avec les interfaces homme-machine. Il explique les changements qu’introduisent ces plateformes qui nous poussent à être sans cesse connectées.

    En quoi les réseaux sociaux transforment le tissu social en « jeu de miroir », pour reprendre votre expression ?

    Ils nous poussent à devenir les agences de pub de nous-mêmes, à toujours chercher à capter l’attention d’un public. La dimension de relation entre pairs, de transposition du réseau de copains, comme c’était le cas avec Myspace au début ou avec Cyworld en Corée (où toute la population était connectée) s’est effacée au profit de dispositifs d’édition de versions de soi. Que visons-nous dans cette publication si ce n’est à capter de l’attention (voire pour certains à générer du buzz) ? Dès lors, nous produisons l’image que nous supposons intéresser les autres pour être mieux évalués et attractifs : et les autres nous renvoient précisément leur évaluation de cette image à laquelle nous allons tendre à nous conformer. Eux-aussi agissent de la même façon et il tend à se créer des formats, des savoir-faire, des trucs pour assurer sa visibilité. Ces jeux de miroir ne font plus référence à qui que ce soit mais à un écho standard.

    Les réseaux sociaux seraient-ils un moyen pour les gestionnaires de compte de s’inventer une vie ?

    Oui un compte (qui n’est pas une personne) vit de sa propre vie et il faut lui l’inventer sans cesse. On peut donc avoir plusieurs comptes sur le même réseau social et sur plusieurs réseaux sociaux pour faire apparaître différentes facettes de soi. On apprend à gérer son image, et cela, c’est une contagion massive, qui n’est pas anodine car c’est ce qu’on demande en entreprise aussi où les marques, et l’image de marque sont devenues souvent plus importantes (au moins pour les investisseurs) que la performance technique ou commerciale traditionnelle.

    Sommes-nous en train de devenir des acteurs de notre propre vie ?

    Oui, acteurs au sens de la scène. Ce qui veut dire souvent de moins en moins acteurs au sens agissant ou ayant prise sur. Car plus nous apprenons qu’il faut plus faire savoir que savoir faire, plus nous devenons captifs de cette mise en scène. Sans oublier que cela demande beaucoup de travail, de constance, de mobilisation, pour seulement maintenir une image, une réputation. On apprend cela aussi quand dans les écoles on apprend à se vendre, à se construire un CV, à construire son réseau sur Linkedin. Car toute une génération sait désormais que ce ne sont pas ses compétences intrinsèques qui la feront reconnaître mais leur mise en scène et en réseau dans les bons formats et au bon moment (d’où le coaching, le savoir pitcher, etc. qui devient plus important que les compétences intrinsèques).

    Quels en sont les impacts au niveau sanitaire et neurologique ?

    L’impact essentiel tient à la mobilisation constante que cela suppose. J’appelle cela un régime d’alerte permanente, à travers les notifications, les réactions à nos posts, les notations, et la réactivité qui nous est demandée. Cette attention valorise l’intensité au détriment de la durée : il faut être capable de passer d’un sujet à l’autre, d’un réseau à l’autre. L’équipe Costech de l’Université de Technologie de Compiègne avait appelé cela aussi le syndrome de saturation cognitive, qui veut dire non pas un grand volume d’information mais un hachage de l’attention. De fait certains arrivent à gérer plusieurs tâches à la fois (la multiactivité) mais à un certain moment cela ne peut que détériorer certaines capacités cognitives qui sont moins entraînées, notamment celles qui mobilisent le cerveau 2 comme le dit Kahneman, celui qui réfléchit et non celui qui réagit (cerveau 1). De plus, ce stress, peut passer d’un effet d’excitation (sensation d’être partout à la fois, d’être au cœur de la vibration du monde) à un effet dépressif d’incapacité à suivre le rythme, voire de sentiment de perte de sens, ce qui se traduit par des abandons des réseaux sociaux, de plus en plus fréquents.

    Vous dites que de plus en plus de gens quittent les réseaux sociaux… existe-t-il un burnout des réseaux sociaux ?

    Il faut bien comprendre que la spirale de l’alerte, de la promotion de soi est épuisante car il n’existe pas d’indicateur fiable pour se réguler. Les plates-formes vous encouragent toujours plus à être réactifs, à commenter, à retwitter (avec un bouton qui a été inventé en 2011 et qui a accéléré le phénomène de façon immédiate), à faire des amis, à réagir, etc. Quand on n’apprend pas à se réguler et qu’on n’y est pas incité, on tend à fonctionner en tout ou rien comme les grands addicts (pas une goutte d’alcool, pas un joint, etc.). Il est donc nécessaire de proposer des architectures de choix, qui permettent de réguler nos propres tendances ou celles qu’on nous suscite, avec des rythmes ou des méthodes pour faire baisser le stress, et retrouver goût aux autres dimensions de la vie. Sans pour autant tout couper.

    Propos recueillis par Anne Kanaan

    #Médias_sociaux #Dominique_Boullier #Economie_attention #Pratiques_sociales #Epuisement

  • The Fidget Spinner Is the Perfect Toy for the Trump Presidency - The New Yorker
    http://www.newyorker.com/culture/cultural-comment/the-fidget-spinner-is-the-perfect-toy-for-the-trump-presidency

    But the current explosion of popularity in fidget toys extends well beyond children with a diagnosis, as those teachers nationwide—nay, internationally—who have been banning them from their classrooms could surely attest; they have become a universally desirable accessory for tween-aged students. They function, in their seductive tactility, like cigarettes for kids who are still young enough to find smoking completely disgusting. The measure of the craze can be taken with a quick scan of Amazon rankings: a recent search revealed that forty-nine of the fifty best-selling toys were either fidget spinners or fidget cubes. (The only non-fidget-based toy in Amazon’s top fifty sellers was an obscene party card game for adults, with the uplifting name Cards Against Humanity.) No longer a fringe occupation, fidgeting is for all, not just for the few.

    This marks a significant evolution—or devolution, if you prefer—in the cultural status of fidgeting. Until very recently, fidgeting was invariably an activity with a pejorative connotation. It was something kids were supposed to stop doing.

    This reëvaluation of fidgeting certainly legitimizes the surge in popularity of the fidget spinner, but it does not entirely explain it. Why spinning? And why now? The invention of the spinner has been credited to Catherine Hettinger, described by the Guardian as “a Florida-based creator,” who registered a patent for a finger-spinning toy back in 1997 but was unable at the time to interest toy companies in its marketability. Unfortunately for Hettinger, she allowed the patent to lapse and, therefore, is not profiting from the current craze. (In truth, the spinners currently dominating the market—which are shaped like ergonomic ninja stars—bear only a conceptual resemblance to Hettinger’s prototype, which looks as if it might be a contraceptive diaphragm designed for a whale.)

    At the time that Hettinger was floating her invention, a very different craze was making its first inroads into the handheld-toy marketplace. The Tamagotchi, which was launched first in Japan and then globally, was a so-called digital pet, which required certain attentions from its owner to thrive.

    Compared with the fidget spinner, the Tamagotchi is a marvel of complexity, stimulating imagination and engendering empathy. Go back even further, to the nineteen-eighties, and you find the Rubik’s Cube, a toy that offers all the haptic satisfaction offered by a fidget spinner, and also combines it with a brainteaser of such sophistication that many of us are little closer to solving it than we were thirty-five years ago.

    More recent fads compare favorably, in the cognitive-demand department, to the fidget spinner, too. The Rainbow Loom required considerable dexterity to produce those little bracelets worn by everyone who was between the ages of six and eleven in 2013.

    The fidget spinner, it could be argued, is the perfect toy for the age of Trump. Unlike the Tamagotchi, it does not encourage its owner to take anyone else’s feelings or needs into account. Rather, it enables and even encourages the setting of one’s own interests above everyone else’s. It induces solipsism, selfishness, and outright rudeness. It does not, as the Rubik’s Cube does, reward higher-level intellection. Rather, it encourages the abdication of thought, and promotes a proliferation of mindlessness, and it does so at a historical moment when the President has proved himself to be pathologically prone to distraction and incapable of formulating a coherent idea.

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