L’association d’aide aux migrants Utopia 56 visée par trois enquêtes pénales
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L’association d’aide aux migrants Utopia 56 visée par trois enquêtes pénales
Par Julia Pascual
Le mois d’octobre a été chargé pour l’association Utopia 56, qui vient en aide aux personnes migrantes. Trois bénévoles et salariés ont reçu concomitamment des convocations pour être auditionnés par la police ou la gendarmerie dans le cadre d’enquêtes préliminaires. D’après les informations du Monde, Utopia 56 est en effet visée par trois enquêtes pénales qui portent sur ses actions à la frontière franco-britannique. Une situation « inédite », fait valoir son cofondateur et délégué général, Yann Manzi. « On ne fait rien de mal, tout ce qu’on fait c’est participer à la sauvegarde des vies humaines. »
Utopia 56 effectue depuis 2021 une maraude littorale dans les Hauts-de-France, lieu de départ de nombreux canots pneumatiques sur lesquels embarquent des personnes migrantes qui souhaitent rejoindre l’Angleterre. « Notre mission principale est de fournir une aide matérielle d’urgence telle que des vêtements, des couvertures de survie, des biscuits et du thé, aux personnes en détresse, qu’il s’agisse de naufragés secourus ou de personnes exilées empêchées de traverser la Manche, explique M. Manzi. La maraude documente aussi ce qu’il se passe la nuit, notamment les violences policières rapportées par les personnes secourues, et informe sur les risques du passage. » L’association dispose en outre d’un téléphone d’urgence et a reçu par ce biais, cette année, près de 400 appels de personnes se trouvant dans des embarcations en détresse dans la Manche.
Utopia 56 s’est aussi illustrée pour avoir formé deux plaintes pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours » à l’encontre du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) de Gris-Nez (Pas-de-Calais), du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord et des gardes-côtes britanniques. Ces plaintes font suite à deux naufrages. Celui du 24 novembre 2021, le plus grave survenu dans la Manche, a fait 31 victimes et fait toujours l’objet d’une instruction judiciaire qui a valu à 18 personnes d’être mises en examen, des passeurs présumés mais aussi sept militaires de la marine nationale pour non-assistance à personne en danger.
En février, Utopia 56 a déposé une autre plainte et mis en cause la façon dont les autorités françaises et britanniques ont traité, le 14 décembre 2022, l’appel à l’aide d’une embarcation pneumatique qui tentait de rejoindre l’Angleterre et qui a fait naufrage, occasionnant la mort de quatre personnes.Cette fois, c’est l’association qui est visée, à la suite de signalements en justice par les autorités. Ainsi, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord a dénoncé en octobre 2023 des appels téléphoniques de l’association faisant état, sur une période de plusieurs mois, de « fausses informations dans le but de faire croire à un sinistre et de nature à provoquer l’intervention inutile des secours », confirme au Monde le procureur de Boulogne-sur-Mer, Guirec Le Bras. Une deuxième enquête a été ouverte cette année par le parquet de Rennes portant sur un bénévole qui aurait, la nuit du 4 août, appelé les secours pour les informer que des personnes migrantes subissaient des violences policières et qu’un enfant était en danger de mort.
En février, lors d’une conférence de presse, le préfet maritime de l’époque, Marc Véran, avait donné connaissance des premiers « signalements » à la justice et dénoncé « des associations » qui font « le jeu des passeurs » en avertissant le Cross de « faux départs » et de « fausses urgences ». « On est obligé d’envoyer des secours là où il n’y a rien du tout, avait-il assuré. Ça leurre les forces de sécurité. »
Selon nos informations, lors d’une réunion début octobre à Cherbourg-en-Cotentin (Manche) de tous les acteurs du secours en mer, un cadre de la préfecture maritime se plaignait encore d’être « harcelé par les associations, qui [les] appellent, [leur] envoient des mails, [leur] demandent des comptes ». « C’est le monde à l’envers, réagit l’avocat de l’association, Emmanuel Daoud. On semble vouloir criminaliser l’aide aux migrants. On tente de l’affaiblir en dévoyant l’action pénale. »
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Une troisième enquête pour diffamation a été ouverte au parquet de Saint-Omer à la suite de la dénonciation par la préfecture du Pas-de-Calais d’un tweet d’Utopia 56. Le 9 avril, sur le réseau social, l’association relayait une vidéo et des témoignages de migrants et dénonçait des tirs de grenades lacrymogènes qui auraient mis le feu à une embarcation sur une plage d’Oye-Plage (Pas-de-Calais). Trois jours plus tard, la préfecture avait écrit à l’association qu’« aucun manquement n’a[vait] été commis » par les policiers ou les gendarmes et que des personnes migrantes avaient « incendié leur propre embarcation » pour éviter qu’elle ne soit prise. Là encore, la justice avait été saisie de la publication de l’association.