• Le Covid-19 frappe plus durement les pauvres
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/07/20/le-covid-19-frappe-plus-durement-les-pauvres_6046774_3244.html

    Une étude française met en évidence un excès de mortalité particulièrement important dans les communes les plus modestes. En cause, le surpeuplement des logements et la nature des emplois occupés.

    Mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade : la phrase de Francis Blanche, même prononcée avec le sourire, a pris des allures de dicton. Le comédien aurait-il pu imaginer que quelques décennies plus tard, un vilain virus donnerait à sa boutade le sérieux d’un résultat scientifique ? Quatre économistes français viennent en effet de montrer que le Covid-19 tue d’abord, et de façon particulièrement importante, les plus modestes. En croisant les données de mortalité, le revenu des communes et les zones de déconfinement, ils mettent en évidence, pour la première fois, par une étude systématique, l’excès de mortalité provoqué par l’épidémie dans les municipalités aux revenus les plus bas. Leur travail vient d’être rendu public, en prépublication, sur le site d’archives ouvertes HAL.

    Pour les quatre économistes, le travail n’était pourtant réalisé qu’à moitié. « Ce qui nous intéressait peut-être le plus, c’était les vecteurs de diffusion », admet Simon Briole. Autrement dit, comprendre les mécanismes qui faisaient des pauvres une cible privilégiée du virus. La littérature leur offrait deux « canaux potentiels » d’exposition : la surpopulation des logements et la nature des emplois occupés. Cette fois, outre les données de recensement, qui permettent de connaître la nature des habitations, ils ont profité de la déclaration annuelle de données sociales réalisée auprès des services fiscaux pour mesurer le poids des différents types d’emploi dans chaque commune.
    Grande promiscuité

    L’indice qu’ils ont ensuite construit laisse apparaître, là encore, des résultats indiscutables. Ces deux canaux expliqueraient jusqu’à 60 % de la surmortalité. L’économiste Eric Maurin, professeur à PSE et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), y voit d’ailleurs un des « points forts » de l’étude :

    « Ce n’est pas simplement que les personnes pauvres sont plus souvent en mauvaise santé qui les a exposées à la surmortalité due au Covid, c’est aussi et surtout leurs conditions de logement et leur métier. »

    Article sur HAL :
    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02895908/document

    #COVID-19 #Inégalités #Conditions_travail

  • Global: Health workers silenced, exposed and attacked | Amnesty International
    https://www.amnesty.org/en/latest/news/2020/07/health-workers-rights-covid-report
    https://www.amnesty.org:443/remote.axd/aineupstrmediaprd.blob.core.windows.net/media/23609/brazil-nurses-covid-19.jpg?center=0.5,0.5&preset=fixed_1200_630

    Governments must be held accountable for the deaths of health and essential workers who they have failed to protect from COVID-19, Amnesty International said today, as it released a new report documenting the experiences of health workers around the world.

    The organization’s analysis of available data has revealed that more than 3000 health workers are known to have died from COVID-19 worldwide - a figure which is likely to be a significant underestimate.

    Alarmingly, Amnesty International documented cases where health workers who raise safety concerns in the context of the COVID-19 response have faced retaliation, ranging from arrest and detention to threats and dismissal.

    With the pandemic still accelerating around the world, we are urging governments to start taking health and essential workers’ lives seriously.
    Sanhita Ambast, Researcher and Advisor on Economic, Social and Cultural Rights.

    “With the COVID-19 pandemic still accelerating around the world, we are urging governments to start taking health and essential workers’ lives seriously. Countries yet to see the worst of the pandemic must not repeat the mistakes of governments whose failure to protect workers’ rights has had devastating consequences,” said Sanhita Ambast, Amnesty International’s Researcher and Advisor on Economic, Social and Cultural Rights.

    “It is especially disturbing to see that some governments are punishing workers who voice their concerns about working conditions that may threaten their lives. Health workers on the frontline are the first to know if government policy is not working, and authorities who silence them cannot seriously claim to be prioritising public health.”

    Thousands have lost their lives

  • Dominique Méda : « Les plus forts taux de surmortalité concernent les “travailleurs essentiels” »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/dominique-meda-les-plus-forts-taux-de-surmortalite-concernent-les-travailleu

    En revanche, l’équivalent britannique de l’Insee, l’Office for National Statistics (ONS), a exploité les données de mortalité par le Covid-19 (« Coronavirus (Covid-19) Roundup ») sous l’angle socioprofessionnel. L’une de ses études analyse les 2 494 décès impliquant le coronavirus intervenus entre le 9 mars et le 20 avril dans la population en âge de travailler (20-64 ans) en Angleterre et au Pays de Galles. La profession étant indiquée sur le certificat de décès, on peut comparer la composition socioprofessionnelle des personnes décédées du Covid-19 à celle de l’ensemble des personnes décédées du même âge et du même sexe.

    Les plus forts taux de surmortalité concernent en premier lieu les travailleurs des métiers du soin à la personne (hors travailleurs de la santé, car les médecins et infirmières n’ont pas enregistré de surmortalité), suivis des chauffeurs de taxi et d’autobus, des chefs cuisiniers et des assistants de vente et de détail ; autrement dit, ceux que l’ONS décrits comme les « key workers », les « travailleurs essentiels ». L’ONS a aussi montré la plus forte probabilité pour les non-Blancs de décéder du coronavirus, en partie explicable par des facteurs socio-économiques.

    L’étude :
    https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/conditionsanddiseases/articles/coronaviruscovid19roundup/2020-03-26

  • Le géant français des centres d’appel met en danger ses travailleurs dans le monde entier
    https://www.bastamag.net/Teleperformance-leader-mondial-call-center-centre-d-appel-droit-de-retrait

    La multiplication des cas de Covid-19 contractés sur les lieux de travail révèle que de nombreuses entreprises ont fait passer leur profit avant la santé et la sécurité de leurs salariés. C’est le cas de Teleperformance, leader mondial des call-centers, qui doit prendre les mesures nécessaires pour protéger ses travailleurs face au Covid-19. Inconnue du grand public, Teleperformance est la face cachée de l’économie numérique. Ses 330 000 salariés, répartis dans 80 pays, sont chargés d’assurer le service (...) #Débattre

    / A la une, #Multinationales, #Conditions_de_travail, Emploi

    #Emploi_

  • Comment la direction de Pôle emploi a minimisé les cas de contamination au sein de ses agences
    https://www.bastamag.net/Pole-emploi-agents-contamines-gants-masques-accueil-du-public-inspection-d

    Un conseiller Pôle emploi de l’agence d’Ivry-sur-Seine est mort du Covid-19 le 5 avril. Les élus du personnel avaient pourtant alerté dès fin février la direction de l’évidence de l’épidémie. Une enquête de l’inspection du travail est en cours. Comment Pôle Emploi a-t-il assuré la sécurité de ses employés – et du public – face au Covid-19 ? Bien avant l’annonce du confinement, des instances avaient vu venir le péril et sonnaient déjà l’alarme. En Île-de-France, le comité social et économique de Pôle Emploi (...) #Décrypter

    / #Services_publics, #Conditions_de_travail, #Ma_vie_au_travail, A la une

  • En Seine-Saint-Denis, le virus de la ségrégation raciale - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2020/05/07/en-seine-saint-denis-le-virus-de-la-segregation-raciale_1787705

    Lorsqu’au début du confinement, des personnalités et des articles annoncent dans les médias qu’en Seine-Saint-Denis, l’incivilité est généralisée, que nul ne respecte le confinement, et que les policiers venus le faire respecter sont attaqués, pourquoi ne pas les croire ? Cela fait tellement longtemps qu’on entend ou qu’on lit que dans ce département, pourtant situé aux portes de Paris, la police n’oserait plus intervenir alors que la drogue et son argent couleraient à flots, et - sans s’inquiéter de la contradiction - que les filles n’auraient plus le droit de sortir dans les rues que tiendraient les salafistes…

    En France, l’ordre racial est une composante de l’ordre social qui se mesure précisément au fait que la majorité des médias et sans doute de l’opinion est d’avance disposée à croire qu’il se passe en Seine-Saint-Denis des choses proprement extraordinaires, totalement différentes de ce qui se passe ailleurs, évidemment dangereuses et inquiétantes ! A tort, pourtant, car dans ce département, des gens vivent et travaillent normalement, à ceci près que le stigmate qui leur est imposé rend tout plus compliqué.

    D’un côté, le silence sur les inégalités raciales vis-à-vis de la contamination, et de l’autre, le vocabulaire de l’indiscipline mobilisé pour décrire le non-respect du confinement des banlieues populaires. Cette représentation tranche avec l’indulgence avec laquelle on décrit de simples « promeneurs » parisiens, que l’on humanise volontiers pour permettre l’identification.

    Celles et ceux qui nous invitent à penser une société meilleure pour demain ne semblent pas avoir mesuré la dette immense que Paris aura vis-à-vis du « 9-3 », et toutes les agglomérations vis-à-vis de leurs « quartiers ». Aucune société plus égalitaire et plus juste ne sera bâtie sur des fondations héritées de la ségrégation raciale. Il faudra enfin s’y attaquer, car s’il y a fort à parier que dans la France de demain, les « statistiques ethniques » resteront l’épouvantail qu’en ont fait des générations de politiques, cela n’empêchera pas les proches des victimes de cette crise de demander des comptes.
    Rokhaya Diallo journaliste et réalisatrice , Jérémy Robine maître de conférences en géopolitique

    #racisme #premiers_de_corvée #93 #9-3

  • Les jobs créés grâce à internet, un secteur en plein boom : interview d’Antonio Casilli - Radio - Play RTS
    https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/les-jobs-crees-grace-a-internet-un-secteur-en-plein-boom-interview-dantonio-casi

    Antonio Casilli, professeur de sociologie du numérique à Télécom Paris, revient sur ces « jobs du dernier kilomètre », chauffeurs-livreurs qu’on ne remarquait pas avant mais qui, avec le confinement, sont non seulement plus visibles mais surtout assurent le boom de livraisons commandées en ligne toujours plus nombreuses.

    #travail #santé #GigEconomy #COVID-19

    ##santé
    https://www.rts.ch/2020/04/20/16/00/6469712.image/16x9/scale/width/640

    • Pour appuyer son propos, celui-ci nous a fait parvenir d’autres clichés montrant des situations similaires, principalement en Seine-Saint-Denis où une partie importante de la population ne peut télétravailler et doit se rendre quotidiennement dans la capitale pour continuer à faire tourner les activités essentielles. Cette situation interpelle les internautes en prévision du déconfinement annoncé le 11 mai prochain, notamment sur la question de la distanciation sociale, visiblement d’ores et déjà impossible à respecter dans certains départements d’Ile-de-France.

    • c’est un bus de nuit non ? Et il n’est pas juste normalement « bondé » ? l’impression que l’emphase va bien servir à justifier les prunes pour non porc de masque... La verbalisation pour te faire fermer ta gueule, invitons des lacaniens dans le débat, vite.

    • @tintin La ligne 13 est archi bondée tous les jours à divers horaires (dont le matin très tôt), et évidement que les voyageurs sont pas verbalisés à cet endroit puisqu’il est manifeste qu’ils respectent el faux confinement qui enchaîne nombre de #premiers_de_corvée à l’emploi quotidien. Je sais pas ce qu’il en est des autres lignes (j’y vais pas) mais je suis certain qu’avec la reprise de l’activité économique en cours, et le faible pourcentage de métro par rapport aux cadences usuelles, ça soit aussi corsé à certains horaires. Regarde l’article cité plus haut sur le casse tête que c’est d’avoir à organiser la reprise des transports en commun au vu de ce qui se passe déjà.

      D’après une étude sur 1000 cas en Chine, un tiers des contagions identifiées se sont faites dans les transports. Le reste s’est déroulée dans des bâtiments. La transmission à l’extérieur n’existerait quasiment pas"
      https://www.nationalreview.com/corner/coronavirus-transmission-chinese-study-shows-covid-more-likely-sprea

      Le confinement se divise en deux (comme disait Mais où sont passées mes tongues), celui qui soutient les gestes barrières, et celui qui met au contact du virus.

      Par ailleurs, nombreuses sont les personnes qui pensent que Paris est l’emblème de la région parisienne, on peut soutenir au contraire que c’est le 93. Il ya même des morceaux de 93, si on veut dire comme ça, dans Paris, et les flics qui sont absents ailleurs, et plus ou moins tolérants, y sont tout aussi présents qu’au Mirail ou à Saint-Denis. Bien que l’on réserve les hélicoptères de nuit aux cités de l’outre périphérique.

    • ce que je voulais dire c’est que cela me semblait jeter le blâme sur ceux et celles qui sont bien obligé de se taper le bus et le métro... Bref, j’aurais plutôt envie d’interactions de vive voix ou de voix vivantes, parce que les outils de communication hein, fais chier quoi. je t’embrasse mec, j’espère que ça va...

    • A new study from four Chinese scientists currently awaiting peer review suggests that the coronavirus could be much more likely to spread indoors than outdoors. The proctors reviewed more than 1,000 COVID-19 cases in China, classified groups of cases into “clusters” and “outbreaks,” and summarized their findings as such:

      Three hundred and eighteen outbreaks with three or more cases were identified, involving 1245 confirmed cases in 120 prefectural cities. We divided the venues in which the outbreaks occurred into six categories: homes, transport, food, entertainment, shopping, and miscellaneous. Among the identified outbreaks, 53.8% involved three cases, 26.4% involved four cases, and only 1.6% involved ten or more cases. Home outbreaks were the dominant category (254 of 318 outbreaks; 79.9%), followed by transport (108; 34.0%; note that many outbreaks involved more than one venue category). Most home outbreaks involved three to five cases. We identified only a single outbreak in an outdoor environment, which involved two cases. The first salient feature of the 318 identified outbreaks that involved three or more cases is that they all occurred in indoor environments

      https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.04.20053058v1.full.pdf+html

      D’où le déconfinement à vélo (gros chantier de pistes cyclables en ce moment) qui permettrait au moins aux personnes qui sont assez proches de leur boulot pour pouvoir y aller autrement qu’en transports en commun. Si ces transports représentent un danger, on risque (et plus nombreux/ses !) de crever sous les fumées des voitures particulières.

    • Cet article est tout à fait bon, je vois bien pourquoi @rezo l’a relayé. J’avais commencé à relire des trucs sur ce noeud de la mise au travail et des transports en idf. Je vois pas, et eux non plus, comment ils vont faire (payer un vélo à tout le monde ? et des Uber ?).

      Une photo postée sur Facebook, sur le groupe « CGT RATP Bus Flandre »​, et partagée près de 1.000 fois a beaucoup fait réagir les utilisateurs. On y voit un bus plein à craquer circulant en Ile-de-France pendant le confinement avec ce commentaire : « Bus 152 Blanc-Mesnil -> La Villette ce matin 5 h 30 : voilà les conditions criminelles dans lesquelles voyagent les travailleurs du 93 ! Imaginez le 11 mai ! Rappel : les masques ne remplacent pas les distances de sécurité ! Que fait la RATP ? ».

      Ça a rien de stigmatisant pour les voyageurs. Et ça permet même de regarder autrement des non respects du confinement qui sont bien moins ou pas du tout aussi dangereux que le (faux) confinement en vigueur pour nombre de salariés. Il y a a pas eu assez d’images de situations horribles, et de grèves pour que la France arrête davantage les activités non indispensables (cf Italie)....

    • Les syndiqués CGT Ratp font preuve d’une autonomie tout à fait remarquable. C’est là -sans que la confédération veuille en savoir quoi que ce soit -c’est eux qui ont préparé dès la rentrée de septembre, ligne de métro par ligne de métro, dépôt de bus par dépôt de bus, une grève contre la réforme des retraites à laquelle la conf a ensuite du appelé à reculons et ils ont ensuite été mobilisés plus que dans aucune autre entreprise en France (SNCF compris) durant 45 jours ! (sauf erreur de ma part).

      Cela fait des semaines qu’ils enquêtent et alertent sur les conditions de travail sous Covid 19, pointent le manque de protection sanitaire pour eux et les passagers (désinfection des bus, distances physiques).

      Il y a peu, ils publiaient un communiqué du genre « Police pas touche aux habitants de nos banlieues... »

      #CGT-Ratp #Autonomie_ouvrière #RATP

  • En ouvrant un vieux placard dans la cave grâce au confinement : La gauche et les syndicats retrouvent les bienfaits de l’Etat-providence , Abel Mestre, Raphaëlle Besse Desmoulières et Sylvia Zappi
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/04/23/la-gauche-retrouve-les-bienfaits-de-l-etat-providence_6037572_823448.html

    Dans un contexte d’épidémie due au coronavirus, qui remet tout en question, de nombreuses voix plaident pour un retour de la puissance publique en France.
    « Il ne faut pas tout attendre de l’Etat. » La phrase prononcée par Lionel Jospin en 1999 serait-elle devenue le symbole de l’ancien monde ? A l’époque, le premier ministre socialiste reconnaissait son impuissance à empêcher les 7 500 licenciements décidés par Michelin. Un aveu douloureux pour ce défenseur d’un Etat stratège.
    Depuis, l’allégement de l’intervention de la puissance publique est devenu la grammaire commune des partis de gouvernement. Même en ayant appartenu à des gouvernements de gauche, certains en ont fait une marque de fabrique. Emmanuel Macron n’a ainsi jamais caché son prisme libéral, par lequel on ne doit « pas tout attendre de l’autre », selon ses propres termes quand il était ministre de l’économie. Aujourd’hui, il évoque régulièrement le rôle salvateur d’un Etat plus interventionniste. Comme si la crise liée au coronavirus avait ébranlé ses convictions passées.

    Mais, depuis quelques semaines, la gauche et les syndicats veulent croire qu’un changement de paradigme est en cours. Avec l’épidémie, tout semble avoir basculé. Aides massives aux entreprises, directives répétées aux banques et assurances, mesures de chômage partiel, prolongation des droits aux allocations de chômage, soutien à l’emploi et aide aux plus démunis… C’est par le gouvernement et les administrations centrales que les décisions vitales pour la survie économique du pays sont prises. Oubliée la règle des 3 % de déficit à ne pas dépasser et la peur des dépenses, les robinets sont ouverts.
    Avec la crise sanitaire, les services publics, notamment les hôpitaux, tiennent la première ligne, même affaiblis. Dans ce contexte, la critique de l’austérité a pris de l’ampleur et est redevenue audible.

    « Ça fait du bien »
    Avec le Covid-19, la « première gauche » – jacobine, centralisatrice, interventionniste – semble enfin tenir sa revanche : ses idées redeviennent à la mode. En premier lieu, celle de l’Etat protecteur. Une notion critiquée encore récemment par une grande partie du spectre politique, y compris l’aile droite du Parti socialiste (PS), qui vantait les bienfaits du social-libéralisme, de la « troisième voie » chère à Tony Blair, l’ancien premier ministre britannique. Il faut dire que les principaux tenants de cette ligne ont quitté les rives de la gauche pour rejoindre La République en marche (LRM) et Emmanuel Macron. Quelques années auparavant, déjà, les plus libéraux – comme Jean-Marie Bockel – avaient choisi Nicolas Sarkozy. Ces défections ont donc laissé la gauche sans contradiction interne.

    « La difficulté est que l’on doit avoir des serviteurs de l’Etat à la hauteur de la tâche, mais ils sont ravagés par l’idéologie néolibérale et managériale, comme Emmanuel Macron » [et nous mêmes,ndc]

    « On vient de subir trente ans d’idéologie de haine de l’Etat [ah ah ah] . Cela a commencé dans les années 1980, et peut-être que ça se termine aujourd’hui. Toutes les sphères sociales ont été contaminées », explique l’eurodéputé Emmanuel Maurel, proche de La France insoumise, (LFI). Il estime que l’heure des néolibéraux triomphants est passée. Un sentiment partagé par Clémentine Autain. La députée (LFI) de Seine-Saint-Denis l’a expliqué dans un texte publié sur son compte Facebook : « Les services publics sont plébiscités. L’obsession de la rentabilité pour notre système de soins, visiblement criminelle, n’est plus à l’ordre du jour. (…) L’idée de nationalisation ou de réquisition s’énonce sans susciter des cris d’orfraie. (…) Oui, ça fait du bien. » Fabien Roussel, le secrétaire national du Parti communiste français, partage cet avis : « L’heure est venue de tourner radicalement la page d’un néolibéralisme (…) et de prendre le pouvoir sur la finance (…), de défendre et d’étendre les services publics, de prendre le contrôle des secteurs-clés de l’économie. »

    Peu de voix dissonantes dans ce concert interventionniste. Même du côté de ceux qu’on appelle les « sociaux-libéraux », qu’ils soient des anciens proches de Manuel Valls ou d’ex-partisans de Dominique Strauss-Kahn, le ton a changé. Il faut dire que l’ancien directeur du Fonds monétaire international a lui-même publié, le 5 avril, dans la revue Politique internationale, un long texte dans lequel il plaide pour l’émission massive de droits de tirage spéciaux – sorte de réserve de monnaie mondiale – pour les pays pauvres et une relocalisation des économies nationales. « Tout responsable politique, une fois l’état de sidération face au virus passé, a une responsabilité d’ouvrir les robinets [de vin rouge ? ndc] pour répondre à l’urgence sanitaire, économique et sociale et accompagner tout le monde », reconnaît Luc Carvounas, député du Val-de-Marne et ancien vallsiste.

    « Une fiscalité juste »
    Pour la première gauche, c’est le moment d’avancer ses pions et de porter un coup majeur au néolibéralisme. Plus question de laisser passer des réformes qui vont dans le sens d’un affaiblissement des autorités publiques ou même de réduction des coûts et d’investissements dans les domaines comme la santé, l’éducation ou la sécurité. [on a qu’à mettre la Garde nationale danse sures de Paris, Hidalgo] Boris Vallaud, député socialiste des Landes, confirme : « La première urgence est le retour de l’Etat protecteur face à l’insécurité sanitaire et sociale. Il faut mettre en place une sorte de caisse d’amortissement de la dette sociale. » Arnaud Montebourg ne s’y trompe pas : le moment actuel est propice pour défendre ses positions favorables à des pouvoirs publics interventionnistes. « En organisant l’austérité, on a affaibli l’Etat. Son réarmement sera le moyen par lequel les Français vont retrouver le chemin de la décision collective, avance l’ancien ministre du redressement productif. Et dépasser la remise en question et la contestation de la décision publique. » [good luck...]

    De même, ils sont nombreux à réclamer qu’on rémunère mieux ceux que la CGT appelle les « #premiers_de_corvée », les professions « les plus modestes », souvent en première ligne aujourd’hui. « Il faut revoir la politique salariale de l’Etat dans la fonction publique et revaloriser le smic dans le privé, sur lequel est appuyée l’échelle des salaires », plaide Fabrice Angei, membre de la direction de la confédération de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

    « La première urgence est le retour de l’État protecteur face à l’insécurité sanitaire et sociale »
    Problème : comment financer cette générosité sans trop creuser la dette du pays ? « Si on veut réinvestir, il faudra le faire par l’impôt : ce nouvel Etat social demandera une fiscalité juste et un registre financier tant au plan national qu’international, afin de pouvoir mettre à contribution les plus riches et les grandes entreprises autant que nécessaire », estime Thomas Piketty, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et à l’Ecole d’économie de Paris, auteur d’une chronique dans les colonnes du Monde.

    Un avis partagé par Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, pour qui « il faudra redistribuer les richesses ». Dans une interview à Ouest-France, mardi 21 avril, ce dernier propose de créer « un impôt exceptionnel sur des entreprises liées à des secteurs qui n’ont pas été impactés par la crise, voire qui ont réalisé des bénéfices ».

    Retour du revenu universel dans les débats
    La crise sanitaire et économique actuelle oblige le personnel politique à réfléchir à de nouvelles protections. L’idée d’un revenu universel – très éloignée de la culture de la première gauche et chère à Benoît Hamon – revient dans le débat. L’ancien candidat socialiste à la présidentielle a défendu la mise en place de cet « antidote social » dans une tribune au Monde [c’est vous dire...] . D’autres pistes sont également explorées.
    Le secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, prône « une garantie universelle des loyers, sorte de cinquième pilier de la protection sociale » [pas mal cette reprise du 5eme pilier, qui devait être le chômage..., ndc] . Ce dernier n’a jamais fait des nationalisations l’alpha et l’oméga de sa pensée : « Nationaliser ne rime pas forcément avec intelligence », affirme-t-il. Mais il souhaite, malgré tout, une intervention publique.

    D’autres cherchent à adapter les réponses étatiques à une économie qui a muté. « On a vu avec cette crise que notre système social est inadapté : construit au XXe siècle quand les carrières étaient linéaires et sécurisées par des CDI, il est inapte à aider des salariés précaires, intérimaires ou autoentrepreneurs qui ne peuvent bénéficier du chômage partiel et qui souffrent , assure Julia Cagé, économiste à Sciences Po, par ailleurs présidente de la Société des lecteurs du Monde. On doit mettre en place un mécanisme de revenu minimal automatique, immédiat et sans démarche administrative. » [ça alors]

    Ne pas laisser faire le seul marché
    Au-delà de cette mission de pompier [ces journalistes sont vraiment...] , le débat tourne autour du rôle stratégique de l’Etat. Des mots comme « planification » ou « nationalisation » ont refait surface. La puissance publique doit retrouver sa place centrale, plaident économistes comme politiques. « En matière industrielle, il faut être en capacité de restaurer une approche planifiée et stratégique et ne pas s’en remettre aux marchés. Dans un contexte mondialisé, ça ne peut fonctionner que s’il y a une approche coordonnée au niveau européen », assure ainsi Yves Veyrier, secrétaire général de Force ouvrière.
    « L’État en tant qu’actionnaire doit jouer son rôle dans les entreprises où il est présent », relève l’économiste et porte-parole du PS, Gabrielle Siry
    Les autorités publiques doivent donc orienter les choix majeurs de développement et ne pas laisser faire le seul marché. Au risque, sinon, de voir partir des filières stratégiques et de se rendre trop dépendants des pays fournisseurs, comme on l’a vu avec les médicaments, les masques ou les respirateurs. « On doit aller vers un Etat entrepreneur qui affiche un volontarisme, pour regagner de la souveraineté économique par des sociétés publiques d’investissement dans les secteurs des énergies, du stockage, des transformations écolos », explique ainsi M. Vallaud.

    Les leviers d’intervention sont là, il suffirait de s’en servir. « L’Etat en tant qu’actionnaire doit jouer son rôle dans les entreprises où il est présent. Il peut aussi renforcer la réglementation et agir en soutien financer avec la BPI. Et, enfin, il y a le levier de la commande publique nationale et de celle des collectivités locales pour faire pression sur les grandes entreprises pour qu’elles relocalisent et réduisent leur impact environnemental », relève Gabrielle Siry, chargée d’enseignement en économie à l’université Paris-Dauphine et membre de la direction du PS.

    A la différence des années 1980, l’urgence climatique s’est ajoutée à l’équation. En clair, la puissance publique doit anticiper l’avenir. Un point de vue partagé par Mme Cagé : « Réinjecter de l’argent de manière aveugle serait un contresens, il faut réorienter les investissements vers le moins de carbone », prévient l’économiste. En clair, on ne doit pas relancer l’industrie automobile sans se préoccuper de la conversion des chaînes de production vers la voiture propre ni engager de plan de soutien à l’aérien sans engagement ferme à moins polluer [d’ailleurs Bruno Le Maire, l’a dit : Air France, on paie, ok, mais ça doit être écolo] . M. Bayou reprend la « théorie du donut », développée par l’économiste britannique Kate Raworth, selon laquelle il est impératif de ne laisser personne tomber dans un trou, sans les éléments essentiels à la survie, tout en respectant la nature : « On agit dans un espace avec un plancher social de droits élémentaires [étiques] et un plafond environnemental des ressources à préserver. Entre les deux, c’est la société vivable. » [puisque j’aurais un gros ministère, comme Emmanuelle Cosse, mais en plus réussi car j’ai pas de mari].

    Les conséquences de cette crise peuvent être considérables. Certains espèrent que ce traumatisme provoquera un changement des règles du marché, une volonté d’investir dans les écoles ou d’anticiper les conséquences du réchauffement climatique [des climatiseurs ?]. « L’histoire nous a montré que des crises financières ou sociales peuvent transformer le rôle de l’Etat et sa conception », souligne encore Thomas Piketty.

    Les Français, en tout cas, veulent plus de protection. Selon une étude de Viavoice pour Libération, publiée le 31 mars, la « souveraineté collective », nationale et européenne, le « dépassement de la société de marché » et la défense des biens communs, rencontrent une adhésion inédite (entre 70 % et 85 % d’opinions favorables, selon les items). En affirmant, le 13 avril, qu’il souhaitait « sortir des sentiers battus, des idéologies » et se « réinventer », Emmanuel Macron a, peut-être, ouvert une brèche.

    Bel effet de surprise pour ne pas conclure et inciter à méditer la politique et ses bifurcations intempestives, en pleine conscience, il fallait oser.

    #revenu_universel #étatisme #minables
    Un seen pour mémoire sur cette « #gauche » morte qui court après un électorat qui ne vote pas.

  • Tribune de la faim. « Privés de jobs, cloîtrés, les étudiants les plus démunis sont tenaillés par la faim et l’angoisse »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/15/universite-prives-de-jobs-cloitres-les-etudiants-les-plus-demunis-sont-tenai

    Ils et elles sont des milliers actuellement confinés dans des conditions dramatiques, dénoncent dans une tribune au « Monde » plus d’un millier d’universitaires.

    Tribune. La faim. Vous avez bien lu. C’est elle qui menace les étudiants restés confinés dans les logements de leur centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ou dans leurs studios de location. Depuis un mois déjà, restaurants universitaires, épiceries solidaires et autres relais d’alimentation habituels ont fermé leurs portes. Les campus déserts prennent l’allure de no man’s land.

    Les étudiants qui le pouvaient ont rejoint leur famille. Mais pas les étrangers, pas ceux qui vivent loin de leurs proches ou « en rupture de ban », pas les précaires enfin. Tous ceux-là sont restés isolés, parfois sans connexion Internet, voire sans ordinateur – à plusieurs kilomètres du premier supermarché, s’il peut encore leur être utile. Privés de leurs jobs étudiants, ils n’ont d’autre choix que de rester cloîtrés, tenaillés par la faim. La faim et l’angoisse. Celle qui naît du sentiment d’avoir été oublié de tous.

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Les Crous se félicitent d’avoir adopté des « dispositifs d’urgence » : distributions de bons d’achat dématérialisés, prises de contact par téléphone, mises à disposition de paniers repas… En réalité, tributaires de leurs méthodes de recensement et d’évaluation sociale, de tels dispositifs ont moins apaisé la faim que la mauvaise conscience.

    La mobilisation de la société civile

    Leurs rouages se sont empêtrés dans des monceaux de formulaires et de pièces justificatives, interdisant à nombre d’étudiants d’accéder aux soutiens auxquels ils ont droit. Aux lourdeurs administratives et au manque de moyens, humains et financiers, s’est ajoutée l’absence d’information claire et accessible : serveurs saturés, standards téléphoniques occupés, aucun affichage papier sur les campus, assistantes sociales en sous-effectif…

    Pis, loin de prendre la mesure de l’urgence, le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) aggrave les conditions de vie des plus vulnérables en exonérant de loyer seulement les étudiants qui ont pu regagner leur foyer familial. Tous ceux qui n’ont pu faire autrement que de rester sont mis en demeure de payer. Or, ce sont précisément les plus démunis, ceux que le confinement plonge dans la déréliction.

    Face à cette incurie, la société civile s’est mobilisée. Sur le campus bordelais, par exemple, un collectif composé d’étudiants, de doctorants et de maîtres de conférences s’est constitué pour venir en aide aux étudiants. Grâce aux dons recueillis en ligne, le collectif « Solidarité continuité alimentaire Bordeaux » a livré près de 800 colis alimentaires, sur environ 950 demandes enregistrées. Son action courageuse, menée dans le respect des mesures sanitaires, a été couverte par la presse.

    Besoin d’une aide d’urgence organisée par le gouvernement

    Des actions comparables prennent forme ailleurs. Comble de malchance, la cagnotte en ligne ouverte par le collectif a été bloquée, le gestionnaire du site arguant de mesures de sécurité. Ce blocage a contraint les bénévoles à œuvrer sur leurs deniers personnels, puis à suspendre leurs activités, le 10 avril. Depuis, les demandes continuent d’affluer, sans aucune réponse possible. Certains étudiants ont maintenant passé plusieurs jours sans manger…

    Ce qui est fait pour les sans-domicile-fixe et dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ne l’est toujours pas pour ces invisibles. Question aux universités : pourquoi n’ont-elles pas débloqué d’urgence leurs fonds de solidarité étudiants ? Même si certaines universités ont déjà mis en place des actions d’aide sociale, elles ne sauraient, vu l’ampleur des besoins, se substituer à une aide d’urgence organisée par le gouvernement.

    Quand les pouvoirs publics responsables ne répondent plus et que les bonnes volontés sont dans l’impasse, comment éviter l’escalade ? Isolés, sous-alimentés, incapables de payer leur loyer, a fortiori de continuer d’étudier, certains ont perdu tout espoir. Comment les empêcher de craquer ? Des cas de suicide ou de décès sur les campus ont été déjà été signalés dans la presse. Ces tragédies augurent-elles de la catastrophe à venir ? Que faire pour empêcher le pire d’arriver ?

    Porter assistance aux étudiants

    Les solutions ne peuvent venir que des responsables au plus haut niveau : ceux qui ont entre leurs mains le pouvoir de décider. Autrement dit, le Cnous et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, dont il dépend. C’est à eux qu’il revient d’agir vite, c’est eux que nous interpellons !

    Nous proposons les mesures suivantes : l’annulation immédiate de tous les loyers Crous ; la simplification et l’accélération de toutes les procédures d’aide alimentaire, financière, et informatique, associée à une communication sur le terrain ; la mise en œuvre d’une assistance psychosociale adaptée ; enfin, et il s’agit du simple bon sens, la subordination de la « continuité pédagogique » à la certitude de pouvoir manger à sa faim.

    Car exiger d’étudiants qu’ils continuent d’apprendre et d’être évalués le ventre vide n’est pas seulement absurde, mais cruel et inhumain. C’est ajouter à la peur du lendemain l’angoisse d’échouer. Face à cette pression intolérable, c’est la vie de milliers d’étudiants qui est aujourd’hui menacée. Comme notre président s’y est engagé dans son allocution du 13 avril, il revient au gouvernement de leur porter assistance. Maintenant.

    Premiers signataires : Etienne Balibar, professeur émérite de philosophie politique, université Paris-10-Nanterre ; Ludivine Bantigny, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, université de Rouen ; Marc Crépon, directeur de recherches en philosophie, CNRS/ENS/PSL ; Pierre Antoine Fabre, directeur d’études, EHESS ; Bernard Friot, professeur émérite de sociologie, université Paris-10-Nanterre ; Mathilde Larrère, maîtresse de conférences en histoire politique du XIXe siècle, université Gustave-Eiffel ; Frédéric Le Roux, professeur des universités, mathématiques, Sorbonne université ; Jean-Claude Monod, directeur de recherches au CNRS) ; Willy Pelletier, sociologue, université de Picardie, coordinateur général de la fondation Copernic ; Guislaine Refrégier, maîtresse de conférences en biologie, université Paris-Saclay ; Marina Seretti, maîtresse de conférences en philosophie, université Bordeaux-Montaigne ; Nathalie Sigot, professeure d’économie, université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Barbara Stiegler, professeure de philosophie politique, université Bordeaux-Montaigne ; Constance Valentin, CR CNRS Physique, université de Bordeaux ; Michelle Zancarini-Fournel, professeure émérite d’histoire, université Claude-Bernard-Lyon-1.
    La liste complète des signataires est accessible en cliquant sur ce lien
    https://sites.google.com/view/signataires-tribune-de-la-faim/accueil

    « Les prochaines semaines risquent d’être très compliquées » : confinés et sans job, la vie sur le fil des étudiants précaires, Alice Raybaud, 01 avril 2020
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/04/01/les-prochaines-semaines-risquent-d-etre-tres-compliquees-confines-et-sans-jo

    Alors que près de la moitié des jeunes financent leurs études grâce à des petits boulots, nombreux sont ceux qui se retrouvent en difficultés financières depuis le début du confinement. Des aides se déploient.

    Trois kg de féculents, des conserves et des produits d’hygiène. Tel est le contenu des paniers qui sont distribués, depuis le 18 mars, à des centaines d’étudiants bordelais confinés dans leurs cités universitaires. Gantés, masqués et toujours un par un, ce sont des doctorants, post-doctorants et maîtres de conférences des universités de la métropole qui se chargent bénévolement de la livraison : une urgence face à la situation de « détresse » de certains jeunes, alertent-ils par le biais de leur collectif, Solidarité : continuité alimentaire Bordeaux.

    Suspension des loyers

    « Avec la fermeture des restaurants universitaires, on s’est rendu compte que certains étudiants n’avaient pas mangé depuis quarante-huit heures, raconte un des membres du collectif. Plus que la continuité pédagogique, l’enjeu est surtout, aujourd’hui, celui de la continuité alimentaire. » Le collectif, qui a lancé une cagnotte en ligne, recense à ce jour plus de 650 demandes sur le campus et a effectué 460 livraisons de paniers, principalement dans les logements Crous.
    « Plus que la continuité pédagogique, l’enjeu est surtout, aujourd’hui, celui de la continuité alimentaire », un membre du collectif bordelais
    Au niveau national, 40 % des étudiants qui résident dans des logements du Crous sont restés sur place, indique le Centre national des œuvres universitaires. Ce public déjà fragile ne bénéficiera pas de la suspension des loyers, annoncée pour tous ceux qui ont quitté les lieux pour rejoindre leur famille, et qui ne paieront donc plus leur logement à partir du 1er avril et jusqu’à leur retour.

    « Pour la majorité des étudiants qui nous contactent, la perte d’un job ou d’un stage est venue se rajouter à une vulnérabilité antérieure, ce qui rend leurs dépenses courantes très compliquées », observe-t-on du côté du collectif bordelais, qui demande la suppression des loyers Crous pour tous. Les étudiants aux emplois souvent précaires sont en effet parmi les premiers à pâtir du confinement. Ces pertes de revenus viennent fragiliser des budgets déjà sur le fil, dans un contexte où près d’un étudiant sur deux travaille pour financer ses études, et où un sur cinq vit déjà sous le seuil de pauvreté (IGAS, 2015).

    « Difficile de se concentrer sur les cours »

    Depuis septembre, Marion, 20 ans, étudiante en science du langage à la Sorbonne-Nouvelle, encadrait les enfants de sa ville de Grigny (Essonne) sur les temps périscolaires. « Mais comme je suis en “contrat volant”, c’est-à-dire qu’on m’appelle seulement selon les besoins, je ne toucherai rien jusqu’à la réouverture des écoles », déplore la jeune femme, qui vit dans un appartement avec son père, au chômage, son frère et sa sœur. Ses revenus permettaient de payer les factures et la nourriture de la famille. « Les prochaines semaines risquent d’être très compliquées », s’inquiète Marion, qui cherche sans relâche un autre job dans un magasin alimentaire. Alors qu’elle s’occupe des devoirs de sa fratrie confinée et qu’elle a dû composer quelques jours avec une coupure d’électricité, « se concentrer sur les cours à distance est difficile », confie-t-elle.

    Pour Claire (le prénom a été modifié), 21 ans, en master métiers de l’enseignement à Colmar, c’est « le flou ». « A la bibliothèque où je travaille, on nous a promis de faire le maximum pour que notre rémunération soit maintenue, mais rien n’est encore sûr. L’aide aux devoirs, qui me permettait de payer ma nourriture, c’est devenu impossible, confie-t-elle. Il faudra diminuer les frais de courses. » Juliette (le prénom a été modifié), étudiante en lettres modernes de 20 ans, faisait de la garde d’enfant, sans contrat. Un « bon plan », habituellement. « Mais dans cette situation, cela veut dire : pas de compensation, et je n’ai pas d’économies de côté, souffle-t-elle. Heureusement, je suis confinée chez ma famille en Bretagne, avec moins de dépenses. Je regarde pour bosser dans une agence d’intérim, en usine, mais mes parents ne sont pas rassurés à l’idée de me laisser sortir… »

    Aides sociales d’urgence

    Pour répondre à ces situations de #précarité, les Crous s’organisent pour délivrer davantage d’aides ponctuelles. Dix millions d’euros supplémentaires ont été débloqués, mardi 31 mars, par le ministère de l’enseignement supérieur. « Des directives nationales nous permettent de monter nos dotations jusqu’à 560 euros, à destination des étudiants nationaux comme internationaux, et cumulables avec les bourses », explique Claire Maumont, responsable du service social au Crous de Poitiers, qui observe qu’un tiers des dernières demandes émanent d’#étudiants touchés par une perte d’#emploi et jusque-là inconnus de leurs services. Pour elle, « l’enjeu, dans cette période difficile, est de garder le lien avec nos étudiants : nos services réalisent du porte-à-porte dans les cités universitaires, avec médecin et infirmière, pour nous assurer de la #santé et de l’alimentation de nos résidents. »

    Encouragées par des directives ministérielles, certaines universités mettent également en place des #aides_sociales_d’urgence, à partir des fonds de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). A l’université de Bordeaux, les étudiants en difficulté peuvent par exemple bénéficier d’une aide mensuelle de 200 euros. « On peut décider d’accorder une aide plus importante au cas par cas, et de délivrer des #bons_alimentaires sous forme de carte prépayée en cas d’urgence », précise Anne-Marie Tournepiche, vice-présidente Vie de campus de l’université, qui s’attend à une « augmentation importante des demandes d’aides financières dans les prochains jours ». En outre, les étudiants #autoentrepreneurs pourront bénéficier de l’aide exceptionnelle de 1 500 euros annoncée le mardi 17 mars par le ministère de l’économie.

    Bons alimentaires, aides ponctuelles des universités… Ces mesures ne seront pas suffisantes sur le long terme pour l’Union nationale des étudiants de France (UNEF). « Ces aides sont aléatoires selon les établissements, et parfois compliquées à obtenir, explique Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant. Quant aux aides du Crous, débloquer dix millions d’euros apportera un nouveau souffle mais ne permettra pas de répondre à toutes les situations si le confinement se poursuit. D’autant qu’il y aura des répercussions sur la longueur, notamment sur les jobs d’été, qui sont essentiels pour de nombreux étudiants. » L’UNEF, qui demande la mobilisation de fonds étatiques plus « massifs » s’inquiète aussi de la situation des #étudiants_étrangers, « pour la plupart non éligibles aux #bourses et ne pouvant accéder à toutes les aides d’urgences, qui comptaient sur un job pour vivre et sont désormais dans une situation catastrophique », rappelle Mélanie Luce.

    « Les plus précaires au front »

    C’est le cas de Noélia, étudiante péruvienne de 20 ans, en licence d’espagnol à la Sorbonne-Nouvelle. Grâce à un #job de baby-sitter, en contrat étudiant sur une #plate-forme en ligne, elle arrivait jusque-là « plus ou moins » à gérer ses mois. Mais depuis que Noélia ne peut plus entrer en contact avec l’enfant qu’elle gardait, la plate-forme ne lui a facturé aucune heure.

    « Je ne sais pas si j’aurai le droit au #chômage_partiel. J’ai demandé mais n’ai toujours pas reçu de réponse. Je n’ai plus d’économies car j’ai tout dépensé avec une maladie pour laquelle je suis allée à l’hôpital le mois dernier. Heureusement, je suis hébergée par des amis, mais comment est-ce que je vais faire pour continuer à les aider à payer le #loyer et la nourriture ? Et comment être sûre que je pourrai avoir mes papiers français, pour lesquels on m’a demandé de justifier d’un revenu de 650 euros mensuels ? »

    Pour certains étudiants, notamment ceux qui travaillent dans des grandes surfaces, l’arrêt de leur job n’était pas une option. Lucas, 22 ans, a accepté d’augmenter ses heures dans le magasin bio où il travaille. « Cela me permettra de me renflouer », concède-t-il. Solène, 21 ans, a, elle, essayé de faire valoir son #droit_de_retrait dans son magasin de Dourdan (Essonne). « On me l’a refusé, prétextant la mise en place de protections sanitaires. Sinon, c’était l’abandon de poste et je ne peux pas me le permettre, avec le prêt étudiant de 20 000 euros que je viens de contracter. » Solène se rend donc chaque jour au magasin, avec la peur de rapporter le virus chez elle et de contaminer ses proches. Désabusée, elle déplore : « Ce sont les plus précaires, les petits employés, qu’on envoie au front. »

    #confinement #Crous #dette #prêt_étudiant #premiers_de_corvée #premières_de_corvée

  • La facture | Emma
    https://emmaclit.com/2020/04/13/la-facture

    Salut à toutes et tous, j’espère que vous vous en sortez !
    J’ai le sentiment que ces dernières semaines ont été un peu hors du temps, rapides et suspendues en même temps. On voit passer des tas d’informations sur les réseaux sociaux, et on a du mal à avoir une idée précise de ce qu’il se passe.
    Du coup j’ai essayé de rassembler des informations en une BD, avec, vous vous en doutez, « un peu » de mon regard dedans.
    Les statistiques changent, malheureusement, très vite, donc elles valent ce qu’elle valent, une image de ce qui se passe aujourd’hui, 13 Avril.



    #masques #incurie #coronavirus #Agnès_Buzyn #pandémie #travailleurs_exposés #premiers_de_corvée #stratégie_du_choc
    Mais garanti sans Didier R. !

  • Confinement en Seine-Saint-Denis : l’augmentation de la fréquence des bus et des trams inquiète - Le Parisien
    http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/confinement-en-seine-saint-denis-l-augmentation-de-la-frequence-des-bus-e

    « J’ai poussé plusieurs petits coups de gueule dans le tram du T1, entre les stations du 8-mai-1945 à La Courneuve et des Cosmonautes, à Saint-Denis. On ne pouvait pas garder le mètre de distance entre les gens. Les rames sont étroites et peu spacieuses. A certains moments, nous nous retrouvions à 30 cm des uns, des autres. » Flora, médecin à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, fait partie des usagers qui ont éprouvé les conséquences de la baisse du nombre de bus et tramways en banlieue, avec la mise en place du confinement le 17 mars.

    De guerre lasse, Flora a fini par renoncer au tram pour aller à l’hôpital à vélo. Car le paradoxe est là : alors que la fréquentation des voyageurs est de 4 % seulement sur le réseau RATP et que certains s’alarment même de risques d’agression en soirée, les bus et trams sont au contraire bien chargés. Une promiscuité incompatible avec les mesures de lutte contre la propagation du coronavirus.

    @gduval_altereco

    Impressionnant : la surmortalité liée au #COVID19 en Seine Saint Denis (93) est 2 X plus forte qu’à Paris et supérieure à ce qu’elle a été aux pires moments dans le Haut Rhin (68), le 1er département massivement touché. Une telle inégalité face à l’épidémie n’est pas tolérable.

    Avec un graphique qui indique un pic de surmortalité journalière de 400 personnes....
    https://twitter.com/gduval_altereco/status/1249063930711990273

    Restera plus qu’à comparer aux Ehpad pour positiver chouïa

    #travail #économie #déconfinement dans le #confinement #premiers_de_corvée #surmortalité #93 #transports_en_commun

  • Aides-soignants, caissiers, camionneurs... Les gilets jaunes sont devenus les « premiers de tranchée », Jérôme Fourquet et Chloé Morin, 9/4/2020
    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/aides-soignants-caissiers-camionneurs-les-gilets-jaunes-sont-devenus-les-pr


    PASCAL GUYOT/AFP

    FIGAROVOX/TRIBUNE - Chloé Morin et Jérôme Fourquet ont recroisé les données des gilets jaunes d’hier et des professions actuellement mobilisées comme « premiers de tranchée ». Ce sont les « Back Row Kids » (« ceux assis au fond de la classe ») qui font vivre aujourd’hui l’ensemble du pays.

    Jérôme Fourquet est directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’institut de sondages Ifop, et auteur de L’Archipel français (Seuil).

    Chloé Morin est l’ancienne conseillère opinion du Premier ministre de 2012 à 2017. Elle travaille actuellement comme experte associée à la Fondation Jean Jaurès.

    Bien qu’il soit trop tôt pour tirer des enseignements de la pandémie du coronavirus, on peut déjà affirmer qu’elle aura permis de mettre en lumière un contraste frappant que nous avions tous intégré, sans forcément le questionner, entre l’utilité sociale de certains métiers et leur degré de reconnaissance salariale et symbolique. Chauffeurs routiers, livreurs, caissières, magasiniers et caristes, aides-soignantes et infirmières, éboueurs… sont brusquement devenus des héros, alors qu’ils étaient hier encore des rouages invisibles et souvent méprisés de notre économie. Portant l’économie de guerre (sanitaire) à bout de bras, ils recueillent désormais sourires et applaudissements dont un grand nombre de nos concitoyens se montraient fort avares hier.

    Ce sont d’ailleurs souvent - notons-le en passant - des métiers majoritairement féminins qui sont aujourd’hui mobilisés : 97 % des aides à domicile sont des femmes, 90 % des aides-soignants, 87,7 % des infirmières et sages-femmes, 73,5% des vendeurs sont des vendeuses…

    Cette France des « premiers de tranchée » évoque, à première vue, celle des gilets jaunes, ne serait-ce qu’à travers ses figures symboliques : Maxime Nicolle, alias Fly Rider, a occupé les fonctions de chauffeur ou de mécanicien ; Ingrid Levavasseur est aide-soignante ; Éric Drouet est chauffeur routier…

    Il existe une correspondance entre la sociologie des gilets jaunes et celle des « premiers de tranchée ».

    La comparaison du profil sociologique des gilets jaunes établi à partir de données Ifop recueillies en plein cœur du mouvement, avec les données identifiant les travailleurs continuant aujourd’hui à se rendre sur leur lieu de travail, permet d’affiner cette intuition. Comme on peut le constater, il existe une correspondance étroite, bien qu’imparfaite dans certaines professions, entre la sociologie des gilets jaunes et celle des « premiers de tranchée ». Ouvriers, travailleurs indépendants, salariés peu ou pas diplômés étaient ainsi sur-représentés tant chez les gilets jaunes d’hier que chez les actifs aujourd’hui « au front ». Certains milieux professionnels, en revanche, étaient peu mobilisés hier et le sont davantage aujourd’hui : par exemple, les salariés du public (on pense évidemment à tout le secteur médical), ou encore - mais l’on ne dispose pas de statistiques précises - les travailleurs étrangers ou issus d’une immigration récente, souvent mobilisés aujourd’hui (notamment ceux qui travaillent dans la livraison, le gardiennage, la propreté, d’où, et c’en est l’une des raisons, une forte prévalence de l’épidémie en Seine Saint-Denis) mais que l’on voyait bien peu sur les ronds-points hier.


    Chloé Morin

    Bien qu’imparfaite, cette correspondance sociologique n’en est pas moins réelle. Par la force des choses, les « premiers de tranchée » dépassent aujourd’hui largement les gilets jaunes par leur nombre (le double). Mais ce qui frappe, à la lecture des propos tenus par les gilets jaunes dans leurs groupes Facebook et autres posts sur les réseaux sociaux, plus encore que l’identité sociale, c’est l’identification symbolique. Même ceux qui ne sont pas « au front » semblent s’identifier à ces catégories qui portent aujourd’hui l’économie à bout de bras, et semblent voir dans le renversement de la hiérarchie de la considération symbolique imposée temporairement par la crise, une forme de revanche sociale. Les héros d’aujourd’hui constituent ainsi, à leurs yeux, la preuve frappante du rôle central que jouent les invisibles et les soutiers du système dans le fonctionnement de la société. En enfilant leur vêtement de haute visibilité (définition administrative du « gilet jaune ») et en investissant les ronds-points, les travailleurs du back office, pour reprendre une expression de Denis Maillard, s’étaient rappelés aux souvenirs des salariés du front office, exerçant les métiers les plus considérés et valorisés financièrement et symboliquement. En tenant aujourd’hui leur poste en pleine épidémie quand beaucoup de cadres et de managers télétravaillent depuis chez eux (ou depuis leur résidence secondaire), ces travailleurs du back office ont de nouveau acquis une haute visibilité sociale.

    L’économie de confinement constitue la revanche des « Back Row Kids », des derniers de classe.

    Emmanuel Todd insiste à juste titre sur le fait que le niveau de diplôme est depuis une trentaine d’années le nouvel élément structurant les sociétés occidentales et déterminant la place qu’y occupent les individus. Dans la nouvelle stratification éducative résultant de la démocratisation de l’accès au niveau Bac, les moins ou les non diplômés occupent non seulement les emplois les moins rémunérés mais souffrent, en plus, d’une forte dévalorisation culturelle et statutaire. Alors que près de 80 % d’une classe d’âge atteint désormais le niveau Bac, un ouvrier ou un livreur titulaire d’un CAP ne dispose pas aujourd’hui de la même estime de soi qu’il y a trente ans, quand seulement un tiers d’une classe d’âge obtenait le Bac. Le revers de la valorisation et de l’incitation à la poursuite d’études a été une dégradation supplémentaire de l’image des métiers manuels et de ceux qui les occupaient. Dans notre société méritocratique basée sur la détention d’un diplôme, la lutte des classes prend de plus en plus souvent la forme d’une opposition entre ce que Christoph Arnade appelle les Front Row Kids (les bons élèves du premier rang) et les Back Row Kids (les cancres assis au fond de la classe). L’économie de confinement, en mettant le projecteur sur le rôle important joué dans notre société par les salariés peu diplômés, constitue quelque part une réhabilitation de ces Back Row Kids, ou de ceux que sur les forums de discussion du type JeuxVideo.com on appelle les « désco » (pour « déscolarisés »)

    À ce titre, la figure de Didier Raoult - très populaire chez les gilets jaunes d’hier, comme en témoigne une étude Ifop récente - est tout à fait intéressante. Look peu conventionnel, provincial, ancien « élève rebelle » (après un bac littéraire, il s’engagea deux ans dans la marine marchande avant d’entamer des études de médecine), il incarne à lui seul la revanche des « parcours atypiques » - « décrocheur » revendiqué, auquel peuvent s’identifier bon nombre de gilets jaunes ou de « premiers de tranchée » peu diplômés, voire « décrocheurs » - sur une technocratie perçue comme déconnectée et méprisante. Son combat est vu par nombre de gilets jaunes s’exprimant sur les réseaux sociaux comme le miroir du leur, une sorte de revanche du bon sens de « ceux d’en bas » sur une élite par ailleurs largement perçue par l’opinion comme inefficace, n’ayant pas su anticiper la crise, et peinant à la gérer - la polémique autour des masques est ici devenue symptomatique.

    Espérons que cette période ne soit pas un simple « quart d’heure de gloire », et que les #entreprises sachent tirer les conséquences de la période actuelle en termes de dialogue social et de rétribution symbolique et financière. Sinon, il y a fort à parier que bien que leur #sociologie ne se recoupe qu’imparfaitement, leurs causes communes amènent bientôt « premiers de tranchées » d’aujourd’hui et #gilets_jaunes d’hier à porter des revendications communes.

    À lire aussi : Emmanuel Todd et Jérôme Fourquet : « La France au XXIe siècle, #lutte_des_classes ou archipel ? »

    https://seenthis.net/messages/842069

    #lejourdaprès #premiers_de_corvée #travail #conseiller_du_prince #police

  • Confrontés à des conditions de travail dégradées, les chauffeurs-routiers menacent d’exercer leur droit de retrait
    https://www.bastamag.net/Contamination-covid-chauffeurs-routiers-logistique-fret-livraison-frontier

    Six camions de fret français sur dix sont à l’arrêt. Les autres assurent la logistique et l’approvisionnement des secteurs encore en activité, notamment ceux considérés comme essentiels. Avec la fermeture des aires et restaurants routiers, ou l’absence de mesures d’hygiène dans certains entrepôts, les conditions de vie de nombreux chauffeurs-routiers sont jugées déplorables. En temps normal, ils assurent 88 % du transport de marchandises en France. Nombre d’activités considérées comme essentielles, de (...) #Décrypter

    / Santé , #Transports, #Ma_vie_au_travail, A la une

    #Santé_

  • « S’ils veulent mourir ça les regarde, mais qu’ils n’embarquent pas tout le monde avec eux »
    https://acta.zone/sils-veulent-mourir-ca-les-regarde-mais-quils-nembarquent-pas-tout-le-monde-a

    En tant qu’infrastructure fondamentale du capitalisme avancé, la logistique occupe un rôle central dans la crise sanitaire en cours. Dans les entrepôts, s’opposent des directions qui veulent produire à tout prix et des ouvriers qui se battent pour préserver leur santé, celle de leurs familles et la nôtre. Dans la plateforme du groupe Geodis à Gennevilliers, cette bataille soulève des enjeux de vie et de mort. Comme le raconte Nouman1, ouvrier et syndicaliste CGT, c’est dans un rapport renouvelé par la gravité du contexte que s’obtient la préservation des corps. Source : Acta

    • Dans les entrepôts, ces contradictions qui ressurgissent actuellement s’expriment de façon très nette : entre des directions qui veulent produire à tout prix et des ouvriers qui se battent pour préserver leur santé, celle de leurs familles et la nôtre. Dans la plateforme du groupe Geodis à Gennevilliers, cette bataille soulève des enjeux de vie et de mort. Comme le raconte Nouman1, ouvrier et syndicaliste CGT, c’est dans un rapport renouvelé par la gravité du contexte que s’obtient la préservation des corps.

      En ce moment l’entrepôt continue de tourner : comment ça se passe le travail en période de crise sanitaire ? Il y a des mesures mises en place pour vous protéger ? Vous avez déjà eu des cas de Covid-19 ?

      Jusqu’au 17 mars à 23H30, la direction n’a rien fait, mais absolument rien. Enfin si, ils ont juste proposé un point de distribution de gel hydroalcoolique. Mais un seul…pour 300 personnes ! Au bout de 3 heures il n’y avait plus de gel et rien n’était prévu pour réapprovisionner. Ce qui montre bien deux choses : d’abord que les gens étaient inquiets, les salariés ont vite pris les choses au sérieux ; et en parallèle ça montre qu’au contraire la direction n’est pas du tout à la hauteur, ils ne calculent rien, ou alors trop tard.

      Le trop tard a donc eu lieu le 17 mars à 23H30. Un cariste a fait plusieurs malaises respiratoires dans l’entrepôt, sur le quai. Il n’arrêtait pas de tousser et avait du mal à respirer. Il a vomi plusieurs fois. C’était super flippant. On a appelé les urgences et le Samu est venu le chercher immédiatement. À l’hôpital il a été testé positif au Covid-19 et il est resté une semaine, en mauvais état. Maintenant ça va mieux, mais franchement on a cru qu’il allait crever. Le gars il a 6 enfants à la maison2.

      Immédiatement après le malaise, avec les élus CGT on a prévenu tout le monde dans l’entrepôt mais aussi au-delà. On a envoyé des courriers à la direction régionale et nationale, au PDG, avec copies à la CARSAT et à l’Inspection du Travail. Pour les forcer à réagir.
      Le lendemain, la direction a enfin renouvelé le stock de gel. Ils n’avaient pas vraiment le choix, vu que tout le monde était super flippé. Mais ce n’est pas suffisant, un point de gel pour tout le monde. Déjà il faudrait des flacons pour chaque personne, pour que chacun puisse se protéger et protéger les autres en mêmes temps. Mais il faudrait aussi des gants pour tout le monde. Et surtout, il faudrait désinfecter toutes les zones de contacts et dans un entrepôt il y en énormément : tous les scanners qu’on utilise, les douchettes, tous les engins de manutention, c’est des outils qui passent sans arrêt d’une main à l’autre.

      Mais c’était sûr que ça allait arriver. On est nombreux dans l’entrepôt et il y a plein de points de contacts avec l’extérieur. Il y a de grandes chances que le gars ait chopé le virus sur le site, avec les camions qui viennent de partout. On a des chauffeurs qui viennent tous les jours de l’Oise où il y avait pas mal de cas, mais aussi du Nord, ou de plein d’autres pays d’Europe. Et même après la fermeture des frontières avec l’Italie, les circuits logistiques ont continué de tourner. Les boites faisaient passer les camions par le Luxembourg ou la Suisse. Alors qu’on sait que le virus peut rester plusieurs jours sur une surface, les colis continuaient de sortir des camions et dans les entrepôts personne n’était protégé.

      Dans de nombreux cas on voit que les syndicalistes de base ont réagi bien avant les directions d’entreprises. C’était le cas chez vous aussi ? À partir de quand vous avez commencé à sentir le risque ?

      Dès le 11 mars on a eu des suspicions de cas dans l’entrepôt, mais c’était mis sous le tapis. Il y a deux ouvriers qui ont été renvoyé chez eux, un salarié et un intérimaire, avec des signaux assez clairs, la toux et des poussées de fièvre. Mais la direction n’a rien communiqué là-dessous. Ils ne voulaient surtout pas risquer des droits de retrait ou la fermeture du site. Nous on a eu l’information directement par les personnes malades.

      #ouvrier #logistique #Géodis #crise_sanitaire #travail #économie #premiers_de_corvée #travailleurs_exposés #droit_de_retrait #syndicalisme

    • Question (de) classe
      https://www.lantivol.com/2023/02/les-breves-du-satirique-fevrier-2023.html

      Sur Cnews, au cours de l’émission «  La Parole aux Français   » du 7 février 2023, un encravaté du plateau s’adresse à un cariste en duplex depuis Saint-Omer : «  Je ne veux pas du tout contester ce que vous nous dites… mais en quoi conduire un chariot élévateur c’est un métier dur ?   ».

      #travail #retraites

  • « Ils nous remercient d’être en première ligne pour leurs propres intérêts » : entretien avec un caissier
    https://acta.zone/ils-nous-remercient-detre-en-premiere-ligne-pour-leurs-propres-interets-entre

    Alors que les caissiers et les caissières se retrouvent en première ligne face à l’épidémie de coronavirus, cet entretien permet de mieux saisir la manière dont le travail se reconfigure en période d’état d’urgence sanitaire. Il apparaît aussi que cette situation contribue à mettre en lumière de façon accrue les inégalités de classe qui structurent la société : « la conscientisation sur notre rôle productif et déterminant ne fait que grandir ». Source : ACTA

  • Chez Leclerc, la crise sanitaire révélatrice d’un management par la peur
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/03/chez-leclerc-la-crise-sanitaire-revelatrice-d-un-management-par-la-peur_6035

    Lorsqu’il s’est ému auprès de l’Agence France-Presse, vendredi 20 mars, de l’absence de décontamination du rayon boulangerie après le confinement d’une de ses collègues, dont le conjoint était suspecté d’infection par le SARS-CoV-2, Mathieu Lamour, employé depuis douze ans par le magasin Leclerc de Saint-Etienne-du-Rouvray, dans la Seine-Maritime, et délégué CGT, a reçu de son employeur… une lettre. Ce courrier, Le Monde a pu consulter, lui indiquait que, à la suite de son « intention malveillante » de diffuser de « fausses nouvelles » et de « diffamer » l’entreprise, la direction prendra « les mesures qui s’imposent » et engagera des ­« actions en justice ».

    « Ils ont mis des Plexiglas aux caisses, fournis du gel, mais, les employés n’ont pas de gants, explique le salarié. Et la direction nous a dit qu’elle n’en fournirait pas. Ils ont même mis des affichettes disant qu’il était inutile de mettre des gants sous prétexte d’une surcontamination » La prime de 1 000 euros – versée par certains groupes de la grande distrbution à l’appel du gouvernement pour les salariés mobilisés pendant la crise –, il en était encore moins question. Et quand certains employés ont voulu savoir comment exercer leur droit de retrait, « la direction a répondu que ceux qui exerceraient ce droit ne seraient pas payés », raconte M. Lamour.

    Le quotidien de l’extrême-centre en voie de black-blockisation accélérée. « Management par le peur » ? Qu’est-ce qui te prend, le Monde ?

    • « Le magasin applique la réglementation relative au droit de retrait, indique la direction nationale de l’enseigne E. Leclerc. Sa direction a pris des mesures de protection pour ses salariés, conformément à la recommandation du gouvernement. Le droit de retrait ne paraît donc pas, dans ce cas, justifiable, comme l’explicitent d’ailleurs les instructions du ministère du travail sur son site Internet. »

      La direction précise être « d’accord sur le principe d’une prime », dont elle étudiera les modalités « dans les semaines qui viennent ». Elle souligne que pour les masques, « des livraisons sont programmées pour le magasin en fonction des arrivages » ; et que « pour ce qui est des gants, la médecine du travail a recommandé au magasin de privilégier le lavage des mains plutôt que le port des gants ».

      Chaque magasin a son propre patron

      S’ils adhèrent tous au Mouvement E. Leclerc, chaque magasin, franchisé, possède son propre patron. Un entrepreneur local, indépendant, gros pourvoyeur d’emplois peu qualifiés dans sa région, souvent à la tête de plusieurs supermarchés ou hypermarchés Leclerc, complétés parfois de drive, de stations-service, de magasins de bricolage… Fin mars, ils étaient 542 adhérents Leclerc pour 721 magasins en France. « Certains sont de vrais négriers, mais il y a aussi des patrons qui sont très bien », souligne un autre syndicaliste. Sur France Inter le 18 mars, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, avait mentionné que « des entreprises font pression sur les salariés pour être à leur poste, certains magasins Leclerc par exemple qui ne jouent pas le jeu ».

      La crise sanitaire a mis l’accent sur des pratiques observées dans plusieurs magasins du réseau. « A la pointeuse le matin, faut voir les têtes. Certains soupirent, d’autres lancent un “Vivement ce soir !”. On vient bosser parce qu’on est obligé », soupire Gilles, qui officie dans la logistique. Il nous avait raconté son quotidien quelques semaines avant le confinement, tout comme d’autres salariés travaillant sur divers sites en France, en supermarché, au drive, à la logistique ou dans des bureaux.

      Leurs noms ont été changés à leur demande, par crainte de représailles. Ils décrivent tous une même pression. « Toujours surveillés, toujours encadrés, toujours sous contrôle », « méthodes sournoises », « cadences de plus en plus élevées et flicage de personnel », « diviser pour mieux régner »… « Quand j’ai fini de charger mon camion, je suis obligé d’appeler mon chef pour qu’il vérifie que je l’ai bien fait… J’ai l’impression d’être à la maternelle », raconte encore Gilles.

      Une ascension insolente

      Parallèlement, le réseau Leclerc affiche une ascension insolente. Depuis 2013, il a doublé des géants comme Carrefour ou Casino avec ses 21,8 % de part de marché en France. « Tout ce qui est négatif, on n’en parle pas, et tout ce qui est positif, on en parle, photos à l’appui sur les réseaux sociaux », constate M. Lamour.

      Mais le drame survenu dans l’hypermarché Leclerc de Vandœuvre-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle) a fait office de révélateur. Le samedi 11 janvier, peu avant l’ouverture du commerce, Maxime Chery, responsable du rayon bières, dix-sept ans de présence dans le magasin, mettait fin à ses jours sur son lieu de travail. Problèmes personnels, harcèlement, délicate position de ce syndicaliste FGTA-FO au sein de l’enseigne ? Le procureur de la République de Nancy a ouvert une enquête judiciaire.

      Le magasin avait alors adressé « ses sincères condoléances à sa famille » et « témoign[é] son soutien dans cette épreuve dramatique ». Le syndicat FGTA-FO attend les conclusions du procureur pour se porter partie civile ou porter plainte pour « harcèlement moral au travail », « homicide involontaire », et « mise en danger de la vie d’autrui ». Il est conseillé par l’avocat Dominique Riera, qui l’avait représenté dans le procès sur les suicides chez France Télécom. Ce dernier indique « avoir eu des retours spontanés de plusieurs salariés qui vivaient des choses identiques. On recense actuellement les cas individuels pour les instruire ».

      S’ils ne sont pas passés à l’acte, certains y ont songé avant de se raviser. « Cela va me faire beaucoup de bien d’en parler avec vous car, à part mon mari, je ne peux en parler à personne », lâche Carine. Dans son magasin, comme dans d’autres, même les salariés se méfient les uns des autres. « On sait qu’il suffit de se taire, pour monter en grade », lance José.
      Du haut de ses vingt ans de maison, Gilles a vu le système se durcir peu à peu. « Quand j’ai commencé, les dirigeants parlaient cash, on se disait les choses en face, et, après ça, on en restait là. Ils passaient dans les allées, disaient bonjour. Aujourd’hui, le PDG, on ne le voit même plus descendre. » « Il ne regarde que les chiffres », renchérit Paul.

      « Quand je suis arrivé, ils m’ont dit “Nous, c’est notre magasin, c’est une ambiance familiale”, raconte Yann. Effectivement, le PDG a mis toute sa famille, l’un comme directeur du drive, l’autre comme directeur du magasin… Mais ce n’est pas cela qui fait une ambiance familiale. » Paul, dont le magasin était autrefois un Casino voit lui aussi la différence : « L’ambiance a changé, tout comme la façon de travailler. Même les clients voient qu’il y a un malaise dans le magasin. On a enchaîné les démissions, les gens ont craqué. »

      Des dérives managériales

      Les dérives managériales ne sont pas rares, comme avec « cette femme seule avec son enfant, à qui le responsable pourrissait la vie, en modifiant régulièrement ses horaires », raconte un de ses collègues. D’autres encore ont vu leur chef lancer en réunion un : « Moi, je vais vous coller aux couilles. » Dans certains Leclerc, les salariés sont convoqués pour des avertissements, avec procès-verbal. « Vous êtes convoqués au bureau du directeur en présence du DRH, en général au pied levé sans pouvoir vous faire accompagner, raconte Carine. On vous reproche alors votre retard, votre comportement… Et, à la fin, ils dressent un constat. Et vous obligent à le signer. Du coup, cela laisse entendre qu’on reconnaît la faute. »
      « S’ils vous voient sortir votre téléphone, même si c’est pour regarder l’heure, on ne vous le dit jamais en face, mais quelques minutes après, vous êtes convoqué pour ce qu’ils appellent un “suivi d’activité” », relate Gilles. Ils vous demandent de le signer sans nous en donner une copie. Ils finissent où ? ça va sûrement dans les dossiers des gens. »
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre
      Sans oublier ce cas de salarié convoqué « pour avoir oublié de retirer de la vente un produit périmé de son rayon, alors qu’on lui avait demandé d’en gérer un autre », raconte M. Lamour. Ou encore cette procédure pour « une erreur dans la gestion des documents durant une journée où… la salariée était en vacances ». « Une fois qu’on est dans le viseur », soupire-t-il.
      Dans d’autres magasins, les caméras de surveillance ne surveillent pas que les tentatives de vol des clients. Comme ce salarié, rappelé à l’ordre pour avoir renseigné « un peu trop longtemps » un client. La direction, « lui a montré la vidéo », raconte un de ses collègues. « Il y a beaucoup de flicages. Du coup, les salariés sont très tendus. »

      Des horaires à rallonge

      Le commercial d’une marque de biens de consommation qui fréquente plusieurs enseignes pour y placer ses produits décrit « des magasins où le droit du travail est peu souvent respecté », où « mes interlocuteurs, en rayon, ont 35 heures indiquées sur leur fiche de présence et en font 60 ». Et où « les trois quarts du service comptabilité sont réquisitionnés pour faire les plateaux de fruits de mer à Noël ».
      Des horaires à rallonge, et parfois des temps de pause non comptabilisés comme dans cet autre Leclerc, où « souvent on nous fait démarrer à 7 h 15, ce qui fait sauter les 3 minutes de pause par heure », raconte Carine. Ou encore, poursuit-elle : « Des plannings qui commencent à 6 h 30 au lieu de débuter à 8 heures conformément au temps de repos, que les gens n’osent pas contester par peur d’être réprimandés. »

      Dans cet autre magasin encore, lorsqu’il a ouvert le dimanche matin, les employés se sont rendu compte, à la fin du mois, que leur salaire n’avait pas été majoré comme le prévoient les textes de loi. La situation a été par la suite régularisée face aux interrogations du personnel. « Le dimanche, chez nous, c’est un volontariat obligatoire », rapporte Yann, s’appuyant sur les propos lancés par son directeur : « Je vous forcerais à venir quitte à aller aux prud’hommes. »
      Pour Carole Desiano, secrétaire fédérale FGTA-FO, « bien souvent dans les grands groupes, quand on nous fait remonter un problème dans un magasin, on passe quelques coups de fil au DRH, pour que des consignes redescendent. Chez Leclerc, on n’a pas d’interlocuteur ».

      La direction d’E. Leclerc répond que « chacun de ces entrepreneurs (comme tous les commerçants indépendants de la distribution française) est autonome et seul responsable de la gestion de son entreprise et notamment dans le management et les ressources humaines. Le sujet de la représentation syndicale concerne donc légitimement chaque société d’exploitation qui en est responsable ».

      #premiers_de_corvée #travailleurs_exposés

  • « Laissés pour compte » : des éboueurs franciliens surexposés face au Covid-19
    https://blogs.mediapart.fr/jeanne-guien/blog/190320/laisses-pour-compte-des-eboueurs-franciliens-surexposes-face-au-covi

    A l’heure du confinement et du télétravail, les éboueu.r.se.s restent en activité, sans bénéficier des équipements nécessaires. Face au danger, Dominique, éboueur chez Veolia, et Eduardo, balayeur à la ville de Paris, racontent comment les valeurs du service public sont récupérées par le secteur privé, incitant le personnel à faire son « devoir » sans le protéger ni du virus, ni de la précarité.


    On nous a dit de bien nous laver les mains, de rester à un mètre... C’est un protocole de Parlement : concrètement, on n’a pas de gel, ni de masque, ni de gants. Quand on part sur nos lieux de collecte, on est dans un camion, confiné.e.s à trois dans une cabine. On ne sait pas si on a le coronavirus, on est proches, on ne sait pas et on n’a pas de protection, et ça fait peur, dans le contexte actuel...

    E. : Je suis sorti faire des courses au marché à côté de chez moi, les éboueu.r.se.s n’avaient ni masque ni gant.

    On vous dit de vous laver les mains pendant les collectes... Mais où ?

    D. : En temps normal, au café, quand on s’arrête pour prendre notre pause. Mais maintenant que les cafés et les brasseries sont fermés, on n’a aucun endroit pour pouvoir se laver les mains, se désinfecter. Ce matin, notre responsable d’exploitation nous a dit qu’il y avait des gels hydroalcooliques : il n’y avait que 14 petits flacons, et 15 masques, pour 130 salarié.e.s ! Par contre, on nous a bien stipulé qu’il fallait prendre les gels, les utiliser et après les rapporter à l’agence...

    ...Vous devez vous les passer entre vous ?

    D. : Oui, parce qu’il n’y en pas, donc ils les gardent, ils les réquisitionnent pour l’usage de la collecte. Il y a même certains camions qui sont réutilisés l’après-midi, sans être lavés, ils ne sont pas désinfectés. C’est pareil pour les locaux. Il n’y a aucune procédure d’hygiène qui est mise en place pour ça, quoi... C’est : "allez-y avec votre courage, et advienne que pourra".

    Vous avez le sentiment d’être envoyé.e.s au casse-pipe ?

    D. : C’est ça. On est conscient de la gravité de la situation, qu’il y a une pénibilité pour les gens, pour la nation. Mais on voudrait un minimum de protection, on a des familles derrière, on n’est pas tranquille. Tout le monde reste chez soi, nous on part au travail, on ne sait pas ce qu’on peut rapporter à la maison...

  • A l’Ehpad des Quatre-Saisons, la vie et la mort au jour le jour
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/31/coronavirus-a-l-ehpad-des-quatre-saisons-la-vie-et-la-mort-au-jour-le-jour_6

    Les Quatre-Saisons, où vivent 65 résidents, fait partie des quelque 7 000 Ehpad que compte la France. Dans cette maison de retraite de Bagnolet, en banlieue proche de Paris, le quotidien a été totalement bouleversé, à partir de la mi-mars, par les mesures de protection contre le virus. Les visites étant interdites, récit de la vie confinée.

    Florence Aubenas, grande reporter au « Monde », a passé les onze premiers jours de confinement avec des personnes âgées à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Face à la progression du coronavirus, le personnel tente de faire face.

    « Vous seriez en droit de m’engueuler »

    Mardi 17 mars, 1er jour de confinement. Le couple s’est planté sur le trottoir, juste devant la façade. Ils doivent avoir la cinquantaine, et c’est elle qui se met à crier la première, mains en porte-voix : « Maman, montre-toi, on est là ! » Aux fenêtres, rien ne bouge. Alors le mari vient en renfort, mimant une sérénade d’une belle voix fausse de baryton : « Je vous aime, je suis sous votre balcon ! » Un volet bouge. « Maman » apparaît derrière la vitre ; ses lèvres remuent, mais elle parle trop doucement pour qu’ils l’entendent. « Tu as vu ? Elle a mis sa robe de chambre bleue », constate madame. Puis ils ne disent plus rien, se tenant juste par les yeux, eux en bas et elle en haut, qui agite délicatement la main, façon reine d’Angleterre. Quand le couple finit par s’en aller, elle fait pivoter son fauteuil roulant pour les apercevoir le plus longtemps possible.

    Cela fait près d’une semaine que les visites des proches sont interdites aux Quatre-Saisons, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) public situé à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Face à la pandémie, cette maison de retraite – un immeuble de trois étages construit dans les années 2000 – fonctionne désormais à huis clos, comme les 7 000 autres de France. Les animations extérieures – sophrologie, chorale, coiffeur ou pédicure – étaient déjà suspendues, mais le confinement général vient d’être déclaré de l’autre côté des portes aussi : plus de 60 millions de Français sont bouclés chez eux à travers le pays.

    Il est 11 heures aux Quatre-Saisons, la décision vient d’être prise de mettre maintenant les administratifs à distance. Même l’accueil sera fermé. « De toute façon, on n’accueille plus personne. » La gestionnaire remet son manteau, la responsable des ressources humaines aussi. Elles devraient déjà être parties, mais elles grappillent quelques instants encore. Sale impression d’abandonner le navire. Il faut presque les pousser dehors.

    Désert, le hall prend des sonorités de cathédrale. Réunion dans la salle à manger pour ceux qui vont se relayer auprès des 65 résidents : les soignants, la cuisine, l’entretien, la direction, soit une petite quarantaine de personnes par rotation. Au stade 3, le plus haut de la pandémie, un masque de protection est obligatoire en Ehpad. La raison est double : le coronavirus s’attaque aux voies respiratoires, et les personnes âgées sont les premières victimes.

    « Je ne vais pas vous mentir : je n’ai pas de quoi vous distribuer des masques. Il faudra se débrouiller sans », commence Laurent Garcia, cadre de santé et bras droit du directeur, Edouard Prono. Il lui en reste 200 en réserve, de quoi tenir trois jours s’il fallait appliquer les consignes. Lui-même n’en porte pas, le directeur non plus. Qui comprendrait que la hiérarchie soit seule à pouvoir s’équiper ? « Vous seriez en droit de m’engueuler. A votre place, je serais même tenté d’aller mettre le souk dans mon bureau », continue Laurent Garcia. On rit, tout paraît irréel. « Pas grave, M. Garcia », lâche l’une. Lui, désespéré : « Mais si c’est grave. »

    Tous ici se souviennent des gants, des masques ou du gel hydroalcoolique, royalement distribués à l’accueil il y a quinze jours à peine, comme par temps de grippe ou de gastro. C’était le début de la contagion sur le territoire français. Une ou deux soignantes s’étaient aventurées dans le bus avec leur masque. On les avait toisées comme des extraterrestres, elles l’avaient retiré avant la fin du trajet. « On nous expliquait que le risque était faible, on ne se rendait pas compte », explique Laurent Garcia. Lui venait de renouveler sa commande, 500 masques, histoire d’assurer. Début mars , coup de fil du fournisseur : l’Etat a préempté tout le stock , plus rien de disponible, priorité aux hôpitaux et à la région Grand-Est, la plus touchée. Pour les Ehpad, même réponse évasive à tous : « C’est en cours. » Une infirmière des Quatre-Saisons coupe net : « On voit bien ce qu’ils pensent. Là-bas, ce sont des vieux, ils ont déjà vécu. »

    Par la grande baie vitrée, les résidents regardent passer des familles à rollers, un monsieur qui porte un gâteau cérémonieusement. Les petits dealeurs du quartier font des slaloms en quad au bout de la rue. Plus loin, un match de foot commence au stade des Rigondes. Les premiers moments du confinement respirent l’insouciance candide d’un long dimanche ensoleillé.

    Dans les couloirs de l’Ehpad, Rosa, l’animatrice, tend par réflexe la main à tous ceux qu’elle rencontre. Le directeur sursaute : « Ne me touchez pas, Rosa. Pensez aux consignes, pas de contacts. » Elle : « Vous êtes sérieux, M. Prono ? » Rosa a du mal à se dire que c’est pour de vrai. La veille du confinement encore, elle faisait la queue dans un restaurant algérien bondé vers Ménilmontant et se noyait avec délice dans la cohue du marché de Romainville. « Nous sommes en guerre », a répété le président Emmanuel Macron, la veille, à la télévision. Dans la salle de pause, un agent d’entretien approuve : « C’est vrai, au Leclerc de Rosny-sous-Bois, les gens se battent ».

    « Le Désert des Tartares »

    Mercredi 18 mars, 2e jour de confinement. Pas un bruit ne sort du bureau d’Edouard Prono. Depuis le matin, il est en train d’essuyer un bombardement terrible, mais silencieux, venu de sa boîte mail. Un collègue fait savoir que 16 résidents sur 20 sont touchés par le virus dans son établissement. Près de Montpellier, ils sont 47 sur 86, 3 en sont morts. De leur côté, les pompes funèbres viennent d’envoyer une note détaillée sur les types de cercueil autorisés pendant la pandémie. Deux possibilités seulement : « l’hermétique, qui permet un enterrement classique, mais il n’y en aura pas forcément assez vu la demande ». Ou alors, « le modèle simple, destiné à la crémation ». Conseil aux Ehpad : commandez déjà vos housses mortuaires. « Vous en avez pris ? », se risque à demander Edouard Prono à la docteure Claire Bénichou, médecin-coordonnateur de l’établissement.

    Sur un forum professionnel, des vieux de la vieille échangent en boucle des messages, dans lesquels chacun assure n’avoir « jamais vu ça ». Edouard Prono traduit immédiatement : « On n’arrivera pas à accompagner tout le monde. » Lui, c’est un garçon timide et bien élevé, 34 ans, jeune comme beaucoup de directeurs d’Ehpad aujourd’hui. « Il y a une question de génération. Comment on fait quand on vient de sortir de l’école et qu’on se prend ça de plein fouet ? »

    La porte de son bureau s’entrouvre : Laurent Garcia, le cadre de santé, annonce que la pharmacie ne livrera pas les 15 litres de gel hydroalcoolique. La commande a été oubliée, et plus rien n’est disponible maintenant. Les gants ? Fini aussi, ou presque. D’heure en heure, les infos changent, ordres et contre-ordres se succèdent. Le ministère de la santé vient d’envoyer la troisième version de son guide méthodologique, très strict au départ, la doctrine officielle s’assouplit à mesure que les stocks fondent au niveau national. En Ehpad, les masques ne sont finalement plus obligatoires au stade 3 de la pandémie, sauf infection déclarée. « Bref, pas de masques, mais des housses mortuaires : vous voyez le message ? », s’étrangle Laurent Garcia.

    Assis à son bureau, très pâle et très droit, les mains sur le clavier de l’ordinateur, Edouard Prono se met à pleurer. « Excusez-moi, ça ne m’arrive jamais. » Les alertes de messages carillonnent l’une derrière l’autre sur son téléphone, mais il ne les entend plus. « On est dans Le Désert des Tartares, à attendre les mains nues que la catastrophe nous tombe dessus. »

    Au troisième étage, Mme X., 90 ans, vient de se mettre à tousser, un des symptômes les plus classiques du virus. L’accès à sa chambre est aussitôt limité. « On ne va pas se mentir : il faut se préparer à avoir des cas. Si ça vous stresse, je m’occuperai moi-même de Mme X. », annonce Laurent Garcia à l’équipe. Dans un coin, la télévision psalmodie le nombre de décès du jour, en France et à travers le monde. Zineb sent ses jambes se dérober. Elle doit s’asseoir : « Il faut déjà que je meure, moi qui n’ai jamais voyagé, jamais profité de la vie, même pas été à l’école. » Elle a 45 ans, elle est agent d’entretien. Mais déjà, elle se relève, son chariot cahote vers les chambres, dans un tintement de vaisselle. Par-dessus son épaule, elle lance à Stéphanie, son binôme : « Tu viens, ma bichette ? » Eternels oubliés d’un secteur médical lui-même en crise, les Ehpad ont toujours manqué de tout – personnel, salaires, budgets. « On est habitués à passer derrière, à prendre sur nous. »

    Dans la salle à manger, les résidents attaquent la paella. « Et mon verre de rouge ? Marre de cette baraque, marre de ce putain de virus », tonne Daniel, bretelles noires tendues sur le ventre. Un serpent tatoué ondoie sur son avant-bras gauche, Brigitte Bardot croise haut les jambes sur le mur de sa chambre, sous un drapeau tricolore souligné d’un « Vive la France ». Ça se met à chahuter. « M. Daniel est volontiers grossier, mais il faut reconnaître qu’il met de l’ambiance », commentent poliment deux dames très sages à la table d’à côté. Charlotte attaque le yaourt : « Un virus ? Ah bon ? Je l’ai pas vu passer. » Ici, elle mange à sa faim, et son mari, « un fêlé, du genre qui cognait », a enfin disparu du paysage. Maintenant, elle se sent tranquille. Un ange passe avant que Charlotte relance, faisant rouler son accent des faubourgs : « Trop tranquille, même. » Sa voisine hausse les épaules. « Moi, j’ai été privée de jeunesse avec la guerre. Alors, je vais pas me laisser piquer ma vieillesse par un virus. » Sous l’auvent de l’entrée, Laurent Garcia allume une cigarette. « Je crois que, ce soir, je vais prendre quelque chose pour dormir. Un whisky, peut être. »

    « Ni complotiste, ni franc-maçon »

    Jeudi 19 mars, 3e jour de confinement. « Bonjour, je ne suis ni complotiste, ni franc-maçon », annonce un petit bonhomme filmé en gros plan dans son salon. Sur une vidéo, il promet de prouver « par A plus B » que le coronavirus a été volontairement créé par des chercheurs français. Ça dure vingt-deux minutes, et l’infirmier de service aux Quatre-Saisons se repasse une nouvelle fois la démonstration sur son portable. Le monde scientifique l’a unanimement dénoncé comme la « fake news » en vogue du confinement. Mais l’infirmier ne croit plus les discours officiels. « On saura la vérité un jour, dans vingt ou trente ans. » Si ça se trouve, un antidote a déjà été mis au point. Il l’envisage. « Mais on ne nous le donne pas. » Pourquoi ? Sourire entendu, hochement de tête. « Faites fonctionner votre cerveau. » Il regarde sa montre. Bientôt la distribution de médicaments.

    Dans les couloirs, des rumeurs et des doutes ont commencé à s’insinuer doucement. Un chauffeur à la retraite feuillette le bulletin des anciens d’Algérie. « De toute façon, on ne nous dit pas la vérité. C’est le problème en France. » Son regard plonge dans la rue. En deux jours, elle s’est vidée. Une voiture passe au ralenti, un homme en costume seul au volant, mais affublé d’un masque et de gants comme pour se protéger de lui-même. Sur les trottoirs, personne, à l’exception des petits dealeurs, plus discrets sous les porches mais en panoplie intégrale de bloc opératoire. L’un s’est rajouté un flacon de gel hydroalcoolique à la ceinture. L’autre manie une béquille, « par solidarité avec les malades du corona », dit-il mystérieusement. Le troisième tient un chiot en laisse, en cas de contrôle de police. Un copain le lui a loué. La bête a été baptisée « #Attestation ».

    « En fait, il n’y a que nous à ne pas avoir de matériel », dit Laurent Garcia, le cadre de santé. Il doit passer chercher trois tubes d’aloe vera chez sa cousine pour fabriquer du gel dans la cave des Quatre-Saisons. Francis, le responsable maintenance, s’en chargera après la panne d’ascenseur et avant le coup de main en cuisine. Le commis aussi a arrêté de venir.

    « Vous avez combien de morts chez vous ? »

    Vendredi 20 mars, 4e jour de confinement. Dans une aile du bâtiment, Zineb et Stéphanie, agents de service, aménagent une zone fermée en cas de propagation, de grandes chambres où la lumière se déverse à flot. En nettoyant les tiroirs, un papier oublié leur tombe sous la main, au nom d’un résident, décédé l’été dernier. Soupir. « C’était avant, du temps où on mourait encore d’autre chose. »

    Plus la pandémie progresse, plus elle paraît mystérieuse. « On avance dans le brouillard », signalent les échanges entre médecins. La liste des premiers symptômes n’en finit pas de s’allonger : diarrhée, confusion, chutes inhabituelles ou rhinites sont désormais répertoriées comme des signes possibles avant que se déclenchent les problèmes respiratoires et la fièvre, caractéristiques d’une infection due au coronavirus. « Mais, dans un Ehpad, presque tous les résidents présentent au moins un de ces symptômes », s’alarme Karim, un infirmier.

    A faire le tour des chambres, le Covid-19 semble maintenant à chaque chevet. Des chiffres ont commencé à circuler en sous-main, d’autant plus alarmants qu’ils sont impossibles à vérifier : 170 Ehpad seraient touchés sur les 700 en région parisienne. « Vous avez combien de morts chez vous ? », demande un journaliste au téléphone.

    « Ça y est, la vague arrive : la semaine prochaine va être terrible », se dit Edouard Prono. Aux Quatre-Saisons, onze personnes sont préventivement placées à l’isolement, après avis de la docteure Bénichou. Une résidente regarde la feuille rose sur sa porte, qui décrète l’accès très restreint à sa chambre. « Le directeur est venu la coller en personne. Je ne me fais pas d’illusions. Je me suis condamnée moi-même. »

    Désormais, un seul soignant dans chaque équipe prendra en charge ces 11 résidents-là, afin de limiter les contacts. Qui s’en chargera parmi les soignants ? Passe un frisson. « Marie-Jeanne, j’ai pensé à vous », ose Laurent Garcia. Marie-Jeanne secoue la tête, lentement, et la mèche blonde de sa perruque balaie son visage en mesure. « Non, je le ferai pas », elle dit. Il y a quelques mois, des punaises de lit avaient envahi 25 chambres de l’Ehpad, notamment à l’étage dont elle s’occupe. Marie-Jeanne se revoit un dimanche à la messe, quand elle avait ouvert sa bible : des insectes s’étaient échappés d’entre les pages. Elle avait affronté la honte, les reproches de la famille – même ceux restés à Kinshasa –, la peur que l’école ou les voisins l’apprennent. « Non », répète Marie-Jeanne.

    La main d’Ephline se lève : « Moi je peux. » Ephline avait la vocation des chiffres, une formation de comptable pour travailler dans un cabinet juridique. Quand elle cherchait du travail dans son secteur, elle précisait toujours au téléphone : « Je suis noire. » Il y a vingt-cinq ans, « les gens refusaient carrément, on avait du mal à trouver des Noirs dans les bureaux. On me conseille souvent de ne pas le dire, mais c’est vrai ». Elle a fini par suivre Mylène, sa sœur, aide-soignante aux Quatre-Saisons.

    Dans l’autre équipe, c’est d’ailleurs Mylène qui s’est portée volontaire pour s’occuper des 11 « isolés ». Les deux sœurs se relaieront donc en tandem, affaire conclue sans une parole, ni entre elles, ni avec les autres. « Normal, ça ne pouvait être que nous », explique Mylène. Dans ce petit Ehpad familial, chacun sait tout des autres, les vies sont aussi transparentes que l’aquarium à l’entrée. Les deux sœurs ont des enfants déjà grands, elles sont les plus âgées du groupe, 47 et 49 ans. Or, une question obsède les salles de pause : les gamins. Les médecins ont beau se montrer rassurants sur la capacité des jeunes à résister au coronavirus, la méfiance domine. « Est-ce qu’on nous dit vraiment tout ? Qui s’occupera des petits au cas où ? »

    A la réunion, Taoufik, un aide-soignant, alpague une des deux sœurs. La gratitude le transporte : « Je te jure, si j’avais un masque, je te le donnerais. » Laurent Garcia s’est assis. Il y a des histoires qui le cassent en deux, celle des masques en est une. Il ne cherche pas à s’en cacher. Gorge étranglée, il lance : « Pardon, pardon. Et merci d’être là, je vous aime. Vous avez des questions ? » Une voix féminine se risque : « Est-ce qu’on va augmenter les salaires, surtout pour celles qui vont faire ça ? On est courageuses, tout de même. » Laurent Garcia ne répond pas. La tête dans la main, il s’est endormi sur sa chaise.

    Il est 15 h 30. Dans la salle à manger, Rosa commence l’animation de l’après-midi pour les résidents. C’est la dernière avant un nouveau confinement dans le confinement. Comme beaucoup d’Ehpad, les Quatre-Saisons ont dû s’y résoudre : les regroupements de résidents aussi vont être suspendus, y compris pour les repas, que chacun prendra désormais dans sa chambre. Pour combien de temps ? On ne sait pas. L’infirmier-stagiaire lance la musique, un vieux succès de La Compagnie créole, tandis que Rosa, en blouse rouge éclatante, un minuscule chignon piqué sur la nuque, se met à danser en saisissant le micro : « On y va, tout le monde chante avec moi. » Alors, d’un parterre de fauteuils roulants et de déambulateurs s’élève un chœur de voix frêles, certaines ne tenant que par un fil, mais toutes reprenant comme un cantique : « C’est bon pour le moral, c’est bon pour le moral… »

    « Au revoir, madame »

    Samedi 21 mars, 5e jour de confinement. Dans le hall de l’Ehpad, deux employés des Pompes funèbres ont étalé leur tenue : combinaison, trois paires de gants, charlotte, protège-pieds, lunettes. « T’es sûr qu’on n’oublie rien ? » Ils commencent à se harnacher, minutieusement, quand l’un s’arrête soudain, doigt pointé vers un personnel de l’Ehpad : « Vous ne portez pas de masque ?

    – On n’en a pas. »

    Sous sa charlotte, l’employé n’en croit pas ses oreilles : « Mais vous êtes un secteur à risque, avec des personnes âgées.

    – On n’en a pas », répète l’autre.

    L’employé insiste : « Moi, si j’ai pas au moins un masque, je le fais pas. Et c’est tout le monde pareil chez nous. »

    Aux Quatre-Saisons, une résidente est morte dans la nuit.

    Son état avait commencé à inquiéter une semaine plus tôt, mais les urgences avaient refusé de l’accueillir : elle n’entrait pas dans les critères instaurés avec la crise. Le médecin avait promis de passer vers minuit. Sur le coup de 4 heures du matin, toujours personne. Panique à l’Ehpad. La résidente est finalement transférée au petit jour. Un test de dépistage du Covid-19 est demandé par l’équipe des Quatre-Saisons. Réponse : « Ici, on ne teste pas, on applique la politique de l’autruche. » Qui leur en voudrait ? L’hôpital craque, qui ne le sait pas, services à bout, des lits rajoutés partout, y compris dans les couloirs, visites interdites, sauf quinze minutes parfois chez les malades en fin de vie. On espère qu’une clinique privée pourra accueillir certains convalescents pour éviter l’explosion. Finalement, le test est accordé : négatif. Selon le vœu de ses enfants, la résidente est rapatriée à l’Ehpad, où une disposition spéciale les autorise à passer du temps avec elle.

    Il est 10 heures quand le cercueil sort des Quatre-Saisons. A la fenêtre du premier étage, deux femmes regardent la scène.

    « Vous avez vu la tenue des employés ? On dirait des cosmonautes.

    – J’ai l’impression de ne rien reconnaître, comme si on était maintenant dans un pays étranger. »

    Le cercueil est chargé sur le corbillard.

    « Moi, j’ai 87 ans. Je m’en fiche de mourir du corona ou d’autre chose. Et vous ?

    – Je voudrais être enterrée dans le Jura, mais est-ce que j’aurais le droit avec cette histoire-là ? Dans le doute, je préfère attendre un peu. »

    Le convoi démarre.

    « Regardez, elle s’en va. Ça me fait quelque chose quand même.

    – Au revoir, madame. »

    « Tu l’as eu où, ton masque ? »

    Dimanche 22 mars, 6e jour de confinement. Ça y est, Myriam aura été la première à l’avoir. Elle vient d’arriver au boulot le visage barré d’un masque, un FFP2, plus protecteur encore que le modèle classique, généralement utilisé dans les Ehpad. Son mari lui a acheté au pied de l’immeuble, dans leur cité à Bagnolet, 50 euros la boîte de 20. L’infirmier de permanence esquisse une moue d’expert : « Pas excessif, le prix. » Il valait 1 euro pièce en pharmacie avant le coronavirus. D’un même mouvement, les collègues se penchent vers Myriam pour scruter la merveille de plus près. Ses yeux roulent comme des billes par-dessus le FFP2. Ici, le masque est devenu le symbole de la crise sanitaire : en avoir ou pas. « Aujourd’hui, si tu poses ton portable et ton masque, on te vole ton masque », lance quelqu’un.

    Myriam l’admet : « Je suis une meuf qui fait beaucoup d’arrêts maladie. » Quatre gamins pas bien grands, la maison à faire tourner, la vie, tout simplement. Mais, en ce moment, elle se découvre une énergie inépuisable pour partir au boulot. Il y a cette envie d’être là, tout le temps, l’adrénaline qui monte en traversant la ville déserte, l’impression que son boulot d’agent d’entretien a pris une autre dimension. Chez elle, les rôles se sont inversés avec le confinement : son mari reste à la maison et elle file travailler. L’autre jour, il s’est retrouvé à baigner les enfants, pour la première fois de sa vie. En douce, il pousse les petits à la supplier : « Maman, reste avec nous ! »

    Son portable sonne. C’est lui, le premier coup de fil de l’interminable série qu’ils échangent pendant la journée. « Tu ne lâches pas l’affaire ? », demande le mari. Elle se marre. « Arrête de psychoter. Comment les autres vont faire si je ne viens pas ? » Lui : « T’as mis ton masque au moins ? »

    Dans les étages, c’est l’heure du café au lait, des tartines beurrées et du jus d’orange. Non, pas de jus d’orange, la livraison n’a pas eu lieu. Manque aussi la charcuterie, dont M. Daniel raffole au petit-déjeuner. Il jaillit de sa chambre, en marcel et bretelles. « Qu’est-ce qui nous reste comme plaisir ? Donnez-moi un flingue directement, j’ai hâte de crever pour ne plus vous voir ! » Une résidente arpente le couloir en chemise de nuit, répétant toujours, sur la même note : « Maman, j’ai peur, il va me battre. » Derrière son FFP2, Myriam l’attrape par le bras, s’époumonant pour se faire entendre. « Qui va vous battre, ma chérie ? Montrez-le-moi et je le défonce. » Elle tombe nez à nez avec une collègue portant un masque, elle aussi. Moment de saisissement. Toutes les deux s’exclament en même temps : « Tu l’as eu où ? » La collègue fait des manières pour donner le prix. « Je ne peux pas le dire, c’est un cadeau de mon fils. Je le mets pour lui. » M. Prono, le directeur, s’en mêle. « Je vois des masques, mesdames ? Si vous avez un filon, n’hésitez pas à me le dire. »

    Rosa, qui n’est pas de service, est venue quand même après le marché de Romainville. Poches pleines de mandarines qu’elle distribue dans les chambres : les prix ont doublé après une semaine de confinement. Seuls trois vendeurs avaient dressé leur étal. « Ça dure toujours, cette histoire de virus ? », demande un homme, allongé sur son lit.

    Depuis le passage des Pompes funèbres, la rumeur s’est répandue d’un décès aux Quatre-Saisons. Les familles appellent, l’une derrière l’autre. « Le corona est là ? » Rosa, à pleine voix dans le combiné : « Non, non, on n’a pas de cas chez nous. »

    Un fils insiste : « Y a un problème ? Ma mère va bien ? Pourquoi vous criez ?

    – C’est l’habitude de parler fort aux résidents, monsieur. Maintenant, je parle comme ça même chez moi. »

    Dans le petit jardin de l’établissement – quelques massifs que surplombent les HLM voisins –, des filles fument, d’autres discutent. Myriam attend le moment pour appeler son mari. Elle lui dira : « Prépare-toi, j’arrive. » Et ce sera la même scène que tous les autres soirs. Elle ouvrira la porte et lancera aux enfants : « Mettez les mains devant vos yeux. » Puis, dès l’entrée, elle enlèvera ses habits, très vite, pour ne contaminer personne et courra toute nue vers la douche. Le portable sonne. C’est lui.

    « T’as entendu ?, demande le mari.

    – Quoi ? »

    Un urgentiste de Compiègne vient de mourir, le premier hospitalier à succomber. Grace écrase sa cigarette. Voix glacée. « Hier, ça touchait la Chine, aujourd’hui, nos collègues. Ça y est, le virus vient sur nous. »

    « Si elle l’a, je l’ai »

    Lundi 23 mars, 7e jour de confinement. Accroupie près de l’ascenseur, Sihem répare le déambulateur de Mme Dupont. Une toux secoue la vieille dame, et Sihem sent quelques postillons lui tomber sur le visage. « Cette fois, c’est fait, elle pense. Si elle l’a, je l’ai. » Sihem se relève. Se ressaisir. Empêcher le film catastrophe de lui envahir la tête. Continuer la tournée du matin en se disant : « On est l’armée, il y a une guerre, il faut être courageuse. »

    A l’étage, elle croise Tiana. L’infirmière regarde son thermomètre. « Attention, Mme Dupont est en train de faire un pic de fièvre à 39, 1 °C. » Sihem se sent vaciller. Même quand elle dort, sa tête reste ici, à l’Ehpad, depuis le confinement. Elle se demande : « Qui est malade ? Qui ne l’est pas ? Comment le savoir quand on entre dans une chambre ? » Les Ehpad n’ont droit qu’à trois dépistages pour les résidents, et aucun n’a été réalisé aux Qautres-Saisons, après avis de la docteure Claire Benichou et d’un infectiologue.

    Dans le hall, Arnaud Dubédat, le médecin de Mme Dupont, arrête Sihem.

    « Vous savez qui s’est occupé d’elle aujourd’hui ?

    – Moi.

    – Vous avez quel âge ?

    – 37 ans.

    – Des enfants ?

    – Une fille de 12 ans. »

    A la pensée de la petite merveille, quelque chose se gonfle dans la poitrine de Sihem. Elle la revoit la veille, quand elle lui avait proposé de descendre la poubelle. L’enfant avait voulu se coiffer, s’habiller, tout excitée à la simple idée de mettre le nez dehors. C’était sa première sortie en une semaine. Sihem ne veut prendre aucun risque. Sa propre mère est morte quand elle était petite. Sa hantise serait que sa fille vive la même situation.

    Le médecin la regarde. « Je vais vous dire la vérité : Mme Dupont a peut-être des symptômes du Covid-19. »

    Il est 14 heures quand deux soignantes sont envoyées pour se faire dépister. Toux, fièvres, fatigue intense. Le test a lieu dans un labo à côté, un fauteuil planté sur un coin de parking derrière des draps tendus. Un infirmier des Quatre-Saisons vient déjà d’y passer. Pas de réponse avant trois jours, le circuit est engorgé. Sihem demande à passer le test aussi, mais, là encore, le matériel manque. Il faut déjà présenter des symptômes pour avoir droit au dépistage. Pourtant indispensable auprès des résidents, le personnel d’entretien en a d’abord été exclu : il a fallu la protestation de plusieurs médecins, dont la docteure Bénichou, pour qu’il finisse par en bénéficier.

    Au bout de la rue, les petits dealeurs ont disparu. Rupture de stock, la marchandise n’arrive plus.

    « Vous voulez qu’on appelle votre fils ? »

    Mardi 24 mars, 8e jour de confinement. Il faut un certain temps pour comprendre à quoi tient le silence qui règne dans les étages. En fait, les télés sont éteintes, toutes ou presque. Il n’y a plus que M. Daniel encore planté devant Premier Baisers, sa série préférée, les tribulations amoureuses d’une bande de lycéens. « Pourquoi pas ? Voir des petits jeunes, ça fait du bien dans ce mouroir. » Les autres résidents ont coupé l’image et le son, malgré les mesures d’isolement. « Ça ne parle que de morts, j’en peux plus du virus », dit une infirmière à la retraite.

    Dans sa chambre, Mme X. regarde son plateau-repas sans comprendre. C’est la première à avoir été isolée. « Qu’est-ce que je dois faire ? », elle demande. Elle prend la fourchette, la repose, perdue, repères qui semblent s’effacer un à un à force de solitude. Selon Hervé, le cuistot, les résidents mangent moitié moins depuis le confinement. « Si ça continue, il faudra peut-être permettre à certains proches de venir », suggère Lorette, la psychologue.

    Elle passe de chambre en chambre.

    « Vous voulez qu’on appelle votre fils ?

    – Je ne sais pas si je vais trouver quelque chose à lui dire, c’est flou. Dites-lui que je ne suis pas maltraitée. »

    Une soignante commence les toilettes. Quel jour on est ? Elle n’arrive pas à le dire. Même pour l’équipe, le calendrier commence à se mélanger, temps en apesanteur que ne rythment plus l’école ou les activités. Les magasins autorisés ouvrent et ferment à leur guise. « Chaque minute est devenue un combat, dit la soignante. J’ai du mal à voir plus loin. »

    A la réunion du matin, Tiana l’infirmière ouvre le bal : « Je ne vous le cache pas, j’ai pleuré avant de venir. » Sara vient d’arriver, déposée en voiture par son fils. « Il ne veut pas que je me mette à côté de lui. Il me fait monter derrière comme une chienne. J’ai honte. » Elle est agent d’entretien, 56 ans. Pour la première fois depuis son mariage, son mari a appelé sa mère : « Votre fille préfère son travail à moi. » Lui est vigile, il devient fou à force de rester à la maison. Tous les soirs, il répète : « Tu vas me ramener le virus et on est dans le même lit. » Lui, le confiné, se réveille la nuit, secoué de toux. C’est nerveux, assure le médecin. Une autre dort sur le canapé. Chez une vacataire, un traversin sépare en deux le matelas conjugal. « Chez moi, on me traite comme une pestiférée. » Sa mère l’appelle tous les soirs pour la supplier de se mettre en arrêt maladie. Elle n’est pas sûre de pouvoir continuer à venir. « Je vous en demande beaucoup, vous pouvez me détester, explique Laurent Garcia. Personne ne vous en voudra si vous restez chez vous. Mais je vous en supplie, pour les résidents et les collègues, ne me prévenez pas au dernier moment. » Dans le hall, une banderole a été tendue et l’équipe pose derrière : « Merci à nos familles de nous laisser sortir. »

    « Tu crois que c’est vrai ? On m’applaudit aussi ? »

    Mercredi 25 mars, 9e jour de confinement. Pour rien au monde, Martine ne raterait le rendez-vous de 20 heures, quand les Français se mettent aux balcons pour applaudir ensemble le personnel de santé. Elle en a fait une fête avec ses filles, chacune se remaquille pour apparaître au mieux devant les voisins. Cette fois, un type l’a alpaguée à travers la chaussée, celui qui habite le pavillon en face et conduit une Volvo. « Dites-moi, vous ne seriez pas infirmière ou quelque chose comme ça ? » Martine a rougi. « Je suis aide-soignante. » Elle a encore baissé d’un ton pour préciser qu’elle travaille en Ehpad, aux Quatre-saisons, à Bagnolet. Quand le type a applaudi plus fort, en la regardant droit dans les yeux et en criant « Bravo ! », Martine a cru qu’il se moquait d’elle. Pas du tout. « C’est vous aussi qu’on remercie tous les soirs », a précisé le voisin. Elle n’y avait jamais pensé. Elle n’aurait pas osé. En général, ceux des Ehpad se trimballent une image de sous-soignants par rapport aux hôpitaux, où se ferait la « vraie » médecine. « Toi, tu torches le cul des vieux », a rigolé un jour une copine. Martine a l’habitude, à force. Elle dit même qu’elle s’en fout. A 20 h 5, en refermant la fenêtre, elle a demandé à sa grande fille : « Tu crois que c’est vrai ? On m’applaudit aussi ? »

    « Le virus, on l’a tous eu au moins cinq minutes »

    Jeudi 26 mars, 10e jour de confinement. Le gel hydroalcoolique vient d’être livré, les 15 litres à 130 euros au lieu de 75, de quoi tenir une semaine. En revanche, plus un thermomètre sur le marché. Mais la grande nouvelle est venue de M. Prono, le directeur. « A 14 heures, je vais récupérer une dotation de 350 masques. Désormais, on en aura toutes les semaines. » Il a lâché l’info à sa manière, voix contenue, l’air de ne pas y toucher, comme si c’était tout à fait normal. La docteure Bénichou et Laurent Garcia ont attendu de voir la caisse sur la table pour le croire.

    A 16 h 30 commence la première réunion où toute l’équipe porte un masque. Il y en aura deux par jour pour le personnel d’entretien et trois pour les soignants. Dommage que les embrassades soient interdites.

    Et puis, d’un coup, l’ambiance vire au tragique. Les résultats des dépistages viennent d’arriver : deux des collègues sur trois ont été testés positifs, les premiers aux Quatre-Saisons. Les yeux bougent par-dessus les masques, à toute vitesse, chacun se cherche du regard. On discute entre soi, à voix basse.

    « Tu vas le dire à ton mari ?

    – Je suis pas sûre.

    – Tu crois qu’on est obligée ?

    – En tout cas, on a franchi une étape. Qu’est-ce qui va se passer ? »

    Rosa, l’animatrice, se lève : « Je n’avais pas peur, mais oui, je vais le dire : maintenant, j’ai peur. » D’ailleurs, elle ne se sent pas très bien. « Vous me voyez ? Je pèse 90 kilos, mais j’ai une petite santé, en fait. » A bien y réfléchir, elle cumule même tous les signes du virus. La voilà qui se palpe le ventre, la tête, la gorge. « Arrêtez, Rosa : ce n’est pas la première fois que vous nous annoncez votre mort », plaisante Laurent Garcia, alias l’ambianceur – c’est son surnom depuis qu’il a abandonné sa blouse d’infirmier pour devenir cadre de santé, il y a douze ans. Lui aussi, comme tout le monde, a eu son petit coup de fatigue, un peu plus tôt dans la journée. D’une voix mourante, il a demandé à l’infirmière : « Vous pouvez me prendre ma température, s’il vous plaît ? » 36,4 °C. Retour du sourire. « Le virus, on l’a tous eu au moins cinq minutes. » Une aide-soignante le coupe. « Jurez-nous quelque chose, M. Garcia : chaque fois que quelqu’un sera touché, vous nous le direz ? »

    « Dommage, ma famille ne pourra pas venir »

    Vendredi 27 mars, 11e jour de confinement. Dans sa chambre, une résidente a mis ses photos sur ses genoux et, un à un, elle caresse les visages. Les moments lui reviennent, les mariages et les drames, la guerre aussi. Et alors ? Ils vivaient les uns avec les autres, tous ensemble. « Ne quittez pas votre chambre, vous êtes à l’isolement », lui a recommandé la soignante chargée de son étage. La résidente a pris un air penaud : « Dommage, ma famille ne pourra pas venir. » La soignante n’a rien dit. Toutes les deux savent très bien qu’elle n’a jamais aucune visite. La résidente se lève de son fauteuil. Elle monte dans l’ascenseur. Personne dans le hall en bas. Quelques pas seulement la séparent de la porte vitrée qui ouvre sur la rue. Si elle sortait ? Coups d’œil sur le trottoir. Désert aussi. C’est vrai, elle s’en souvient maintenant, la France entière est confinée. Elle l’a vu aux infos. De l’autre coté de la fenêtre, elle aperçoit une femme qui se hâte de rentrer. Une pensée lui traverse l’esprit. Et si tout le pays était devenu un gigantesque Ehpad, chacun chez soi, interdiction de sortir, rien à faire sauf manger ? Et elle se met à rire, comme elle n’avait pas ri depuis une éternité.

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    #vieux #Ehpad #société_d'abandon #le_travail_tue #masque_de_protection #gants #isolement #housses_mortuaires #soignantes #soignants #agents_d'entretien #premiers_de_corvée #Noirs #Arabes #soin #Soins_palliatifs #courage #torcher_le cul_des_vieux #in_retrospect

  • « La voix sans maître », l’émission anarchiste de #Radio Campus Lille.

    2’25 Lecture d’"Après" https://paris-luttes.info/apres-13677?lang=fr
    7’54 Musique : Poison girls - State Control
    10’50 Inteview d’#Isabelle_Attard
    24’55 Altin Gun - Tatlı Dile Güler Yüze
    41’50 René Binamé - Quelques mots sur le cirque éléctoral

    http://www-radio-campus.univ-lille1.fr/ArchivesN/2020-03-27/Voix_sans_maitre_27-03-2020_20h00.mp3

    #état_d'urgence #confinement #stratégie_du_choc #coronacapitalisme #fascistovirus #anarchisme #audio

  • Chez moi hors de moi
    Lor Zevan (statut FB, 28 mars 2020)

    J’attends de la revoir. Je n’applaudis pas les soignants tous les soirs à 20h. Le spectacle de l’hôpital en ce moment me donne envie de hurler, pas d’applaudir. Je suis subjective, là ? Je serai objective quand je serai un objet. Pour le moment je suis sujette à la peur et à la colère. Ma fille est parmi les soignants dans un hôpital public qui naufrage « grâce » à nos bons maîtres. Je n’ai pas envie d’applaudir. Les soignants ne sont pas des héros. Ils travaillent. Dans l’enfer où on les a mis, ils font leur travail. Ils ne veulent ni mourir ni laisser mourir. Depuis deux ans, ils sont dans la rue pour dire la détresse et le danger de l’hôpital « managé », l’hôpital à conférences budgétaires, l’hôpital amputé de lits, de matériel, de personnel pour accueillir et soigner tout le monde, l’hôpital à faire fric mais à salaires minables, l’hôpital amputé de sa vocation à soigner et faire vivre.

    Chez moi hors de moi. Si je branlais des hashtags je dirais ça. Chez moi hors de moi. Deux êtres que je chéris sont parmi les soignants : un médecin et une infirmière. L’ infirmière, c’est ma fille. Je n’applaudis pas les soignants tous les soirs à vingt heures à ma fenêtre. J’ai envie de hurler pas d’applaudir. Je ne dors pas et, dans la nuit, j’ai peur et je veux parler d’elle, un peu. Ma fille, voyez vous, est une jeune-femme remarquable. Elle est née artiste et, dès l’enfance, elle nous a cloué le bec en dessinant le monde d’un trait. Attentive et attentionnée. Rien, du vivant, ne lui échappe. Elle est comme ça. Magique. Attentive et attentionnée. Elle aime la vie, elle aime la protéger, l’embellir, la préserver, la soigner. Elle est diplômée en arts appliqués, bien, mais avec ou sans diplômes, elle est artiste et, en plus, elle est devenue une adulte d’une rare gentillesse. La vraie gentillesse, celle qui est une force. Rare. Un jour, elle a changé de cap. Pas facile. Elle l’a fait. Ma fille, aujourd hui, depuis un an, est infirmière en chirurgie. Ma fille est infirmière et j’ai peur. J’ai peur.
    J’attends de la revoir. Je n’applaudis pas les soignants tous les soirs à 20h. Le spectacle de l’hôpital en ce moment me donne envie de hurler, pas d’applaudir. Je suis subjective, là ? Je serai objective quand je serai un objet. Pour le moment je suis sujette à la peur et à la colère. Ma fille est parmi les soignants dans un hôpital public qui naufrage « grâce » à nos bons maîtres. Je n’ai pas envie d’applaudir. Les soignants ne sont pas des héros. Ils travaillent. Dans l’enfer où on les a mis, ils font leur travail. Ils ne veulent ni mourir ni laisser mourir. Depuis deux ans, ils sont dans la rue pour dire la détresse et le danger de l’hôpital « managé », l’hôpital à conférences budgétaires, l’hôpital amputé de lits, de matériel, de personnel pour accueillir et soigner tout le monde, l’hôpital à faire fric mais à salaires minables, l’hopital amputé de sa vocation à soigner et faire vivre. Les soignants crient depuis des mois : « Nous devons retrouver un hôpital humain. » Personne ne les a écoutés. Dans l’hôpital délabré, ils étaient là. Ils ont dit. Personne n’a applaudi, ni compris, ni agi. Aujourd’hui, en plein fléau, dans l’hôpital carrément naufragé, ils sont toujours là. Comme avant. Quand ça allait très mal mais pas pour tout le monde, on n’écoutait pas. Quand ça va très mal mais pour tout le monde, là on applaudit. Qu ’est-ce qui fait applaudir aujourd’hui ? La prise de conscience d’un danger dont on se croyait préservé mais qui déborde ? La peur d’être touché aussi ? C’est le nombril de quelle angoisse personnelle qui applaudit tous les soirs à 20 heures ? L’hopital débordé, ça fait des mois que les soignants le crient partout où ils peuvent. Les soignants ne sont pas des héros. Le héros étouffe l’ humain. Le héros, on l’applaudit et on l’oublie. Le héros est éjecté de l’humain. Je n’ai pas mis au monde une héroïne. Je n’ai pas mis au monde un sacrifice sur pattes. Ma fille est infirmière. Elle travaille à l’hôpital public. Elle a choisi l’hôpital public. Elle travaille. Elle ne se sacrifie pas. Elle travaille. Elle fait très bien son métier et, comme tous les soignants, et tous les malades, elle est mise en danger par le contexte de ce travail, hôpital délabré par des choix politiques délibérés, dans l’indifférence générale jusqu’à présent.
    Ce métier, elle l’a choisi pour sa dimension humaine. Elle est comme ça. Je n’applaudis pas, je l’aime infiniment. D’être si vraie, si vivante. Ça fait grandir encore. Ma fille me fait grandir encore. Je n’applaudis pas. Seul, le silence peut.
    Quand mes enfants étaient petits, souvent me revenait une phrase entendue dans un film de Théo Angelopoulos, « l’Apiculteur ». Une scène dans laquelle, autour d’un nouveau-né, chacun y va de sa prophétie « Il sera roi, il sera acteur, il sera un génie, un héros ! » et l’apiculteur les arrête d’une voix douce : « S’il vous plait, si vous devez lui apprendre une seule chose, apprenez-lui à être comme tout le monde. » J’ai essayé d’ apprendre, ça, à mes enfants, être comme tout le monde. Ça ne veut pas dire faire ou avoir les mêmes choses. Ça veut dire être. Comme tout le monde. C’est-à-dire essayer de retrouver encore et toujours, n’importe quand, n’ importe où, en n’importe qui, le chemin de l’humain en soi-même et dans les autres. Ne pas perdre le code du vivant. Ce n’ est pas si facile. Surtout dans un monde où certains expliquent à d’autres qu’il y a des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. Et qui reviennent, un jour de grand désastre, dire « Je compte sur vous. » Y compris sur ceux-là qui « ne sont rien » ? Oui. Simplement parce qu’il n y a pas de gens qui ne sont rien. Parce que chacun est tout et rien. Tout le monde est tout et rien. Nous le mesurons en ce moment.
    Le monde n a pas besoin de héros. Le monde a besoin d’humanisme et d’honnêteté. Et ça ira.

    Lor Zevan

    #hôpital #coronavirus #covid19 #santé #infirmières #infirmiers #soignants #néolibéralisme #austérité #HP

  • Nettoyage, entrepôts, livraisons… les travailleurs étrangers en première ligne face au coronavirus
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/27/nettoyage-entrepots-livraisons-les-travailleurs-etrangers-en-premiere-ligne-
    Un livreur à Paris, le 18 mars, jour 2 du confinement. Plusieurs syndicats et collectifs de livreurs ont demandé leur « arrêt immédiat », avant que les livreurs ne tombent comme des mouches », disent-ils dans un communiqué, publié jeudi 26 mars PHILIPPE LOPEZ / AFP

    Les secteurs du nettoyage, de la sécurité ou de la livraison recourent beaucoup aux travailleurs issus de l’immigration, parfois sans papiers. Et souvent sans protections.

    Hamidou Sow prend le bus, le RER et le métro tous les matins. Depuis la Seine-Saint-Denis, où il habite, il rejoint le sud de Paris. Ce Sénégalais de 38 ans travaille dans le nettoyage et son employeur ne lui a pas donné congé. Au contraire. Sur un chantier géré par un grand groupe de BTP, il récure bungalows, toilettes et espaces de restauration au quotidien.

    « Mercredi, on nous a fourni des gants, des masques, du gel hydroalcoolique », énumère-t-il. Alors, il se sent « un peu protégé ». Hamidou Sow est en cours de régularisation. Comme de nombreux travailleurs étrangers, il évolue dans des secteurs aujourd’hui fortement sollicités, malgré les consignes de confinement. « Les travailleurs étrangers, avec ou sans titre de séjour, sont en première ligne dans les activités de nettoyage, de ramassage et de tri de déchets, d’aide à la personne, d’agriculture ou de commerce, indispensables aujourd’hui », considère Marilyne Poulain, chargée des questions liées aux travailleurs sans papiers à la CGT.

    Mahamadou Kebbe, Franco-Malien de 33 ans, est agent de sécurité. Il travaille le week-end à l’accueil des urgences d’un hôpital de Seine-Saint-Denis. « C’est très compliqué, reconnaît-il. Je vois beaucoup de monde avec des symptômes du virus. Je regarde deux ou trois fois par jour ma température et j’ai décidé de ne plus faire de ronde dans les services. » Malgré la situation, l’employeur de Mahamadou Kebbe ne lui a pas fourni d’équipement de protection, faute de disponibilité. « Si l’hôpital ne nous en avait pas donné, on serait en danger », souligne-t-il.

    « Ils sont environ 70 là-dedans »
    Daouda (le prénom a été modifié) fait, lui, sans masque. Ce jeune Malien sans papiers travaille comme éboueur pour une grande intercommunalité d’Ile-de-France. « Pour le moment, personne n’est malade, ça se passe bien, se rassure-t-il. On nous a donné des savons et on se lave les mains avant et après le service. » Chauffeur de poids lourds dans la collecte des ordures ménagères dans le Val-de-Marne, Ousmane Sissoko a quant à lui eu des masques « au début ». « Mais là, on n’en a plus », confie ce travailleur malien, régularisé en 2009. Pour plus de prudence, son équipe s’organise : « On évite d’être trois dans la cabine du camion, il y en a un qui peut rester derrière », explique-t-il.

    « Les salariés les plus précaires sont exposés et ce ne sont pas des professionnels de la santé. Il faut que l’employeur prenne des dispositions », rappelle Rémi Picaud, représentant de la CGT-Commerce, soucieux notamment des conditions de travail dans les entrepôts logistiques des plates-formes de commerce en ligne. Farid (le prénom a été modifié), franco-algérien, travaille dans l’un d’eux, dans les Hauts-de-Seine, comme agent de sécurité. Il a été arrêté il y a quelques jours par son médecin. « Le collègue qui me remplace la nuit m’avait appelé depuis l’hôpital. Sa femme est malade et lui a un arrêt de quinze jours », justifie-t-il.

    Farid ne veut pas prendre de risque : « Je suis diabétique et j’ai des enfants en bas âge. » Il s’inquiète de l’absence de précautions prises pour les travailleurs de l’entrepôt. « C’est catastrophique, dit-il. Ils sont environ 70 là-dedans. Et j’en ai vu un seul avec un masque. Ils prennent tous les transports en commun. Les produits arrivent en vrac et ils les emballent avant de les réexpédier. C’est tous des étrangers. La plupart sont autoentrepreneurs ou intérimaires. »

    Quelques jours avant d’être arrêté, Farid avait déclenché une procédure de droit d’alerte auprès de son employeur en raison des risques de propagation du Covid-19. « Il a envoyé quatre flacons de gel, des gants et un masque pour toute l’équipe », détaille l’agent de sécurité.

    « Virés »
    Jean-Albert Guidou, de la CGT de Seine-Saint-Denis, rapporte le cas de deux salariés d’un commerce alimentaire, sans papiers et atteints du Covid-19. « Ils ont travaillé alors qu’ils avaient des symptômes et qu’on était dans une situation qui pouvait faire craindre une contamination plus large, estime-t-il. L’employeur, qui ne les avait pas déclarés, les a finalement virés. »
    « Un grand nombre de travailleurs sans papiers sont indispensables à l’économie du pays et sont plus vulnérables, souligne Mme Poulain. Nous revendiquons plus que jamais leur régularisation. Il faut aussi garantir leur accès aux soins. Ils n’ont pas la sécurité sociale alors qu’ils cotisent, et beaucoup n’ont pas droit à l’aide médicale d’Etat car ils dépassent le seuil de ressources. »

    La responsable syndicale s’étonne par ailleurs du maintien de certaines activités comme la livraison de repas via les plates-formes comme Uber Eats ou Deliveroo. Plusieurs syndicats et collectifs ont demandé leur « arrêt immédiat », « avant que les livreurs ne tombent comme des mouches », disent-ils dans un communiqué, publié jeudi 26 mars. « On voudrait que les livreurs puissent se protéger mais les plates-formes ne les indemnisent que si un médecin justifie de leur mise en quarantaine ou de leur contamination, relate Jean-Daniel Zamor, président du Collectif des livreurs autonomes parisiens. Quant aux autres, soit ils ne gagnent plus d’argent, soit ils continuent de travailler. »

    Le gouvernement prône la livraison « sans contact » (avec le client, le repas…) mais la règle est impossible à respecter. Digicodes, portes d’immeuble, boutons d’ascenseur, rampes d’escalier… le risque est omniprésent.

    #travail #travailleurs_étrangers #premiers_de_corvée

    • Les salariés de la propreté aux avant-postes face au coronavirus
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/30/les-salaries-de-la-proprete-aux-avant-postes-face-au-coronavirus_6034904_323

      Dans ce secteur comme ailleurs, le manque de masques ou d’équipements de sécurité se fait cruellement sentir. Pourtant, très peu de salariés font valoir leur #droit_de_retrait.

      Anne-Marie n’est ni infirmière ni caissière, et personne ne l’applaudit le soir à 20 heures. Pourtant, elle aussi dit aller au travail le matin « la peur au ventre ». Comme son mari, elle est employée dans des entreprises de #nettoyage. « Chaque matin, on se demande si on va aller travailler. Nos deux enfants voudraient que nous restions à la maison. Mais on a les charges à payer, le réfrigérateur à remplir, alors, on y retourne. »

      Environ 550 000 personnes sont salariées dans le domaine de la propreté et du nettoyage en France, un secteur aujourd’hui soumis à deux mouvements antagonistes : d’une part, la fermeture des bureaux, commerces non alimentaires, écoles, crèches (ce qui entraîne une réduction d’environ 60 % de l’activité) ; d’autre part, la nécessité, pour les entreprises, de continuer à intervenir afin d’assurer le nettoyage des établissements de soins (hôpitaux, cliniques, Ehpad...), des transports en commun, des supermarchés et des commerces alimentaires ou encore des entrepôts logistiques. Sans oublier les copropriétés, où les prestataires viennent toujours évacuer les ordures ménagères, nettoyer halls d’entrée, ascenseurs et escaliers avec une attention toute particulière aux « points de contacts » : digicodes, poignées de porte, boutons d’ascenseur...

      « Nous avons aussi été appelés pour assurer la continuité sanitaire dans les copropriétés dont les gardiens ont été mis en congés par les syndics », témoigne Aurélie Boileau, présidente de l’entreprise Utile et Agréable, qui emploie 1 000 salariés pour entretenir 5 000 immeubles en Ile-de-France.

      Dans ce secteur comme ailleurs, le manque de masques ou d’équipements de sécurité se fait cruellement sentir. Selon Jean-Pierre Duquesne, président de la FEP (Fédération des entreprises de propreté et services associés) Ile-de-France et dirigeant de Netindus, « quelques entreprises on pu mettre des équipements de protection individuelle à disposition de leurs salariés ». Mais la grande majorité se « débrouille » avec les moyens du bord : des gants de ménage, « mais ni masques ni combinaisons jetables ».

      « Ils sont très courageux et savent se mobiliser »

      « Nos salariés ont tous du gel hydroalcoolique et des gants à usage unique, mais pas de #masques », confirme Aurélie Boileau. Pour de nombreux chefs d’entreprise, la situation est intenable. « Les employés sont pleins de bonne volonté, mais si on les envoie sur le terrain, il faut qu’ils soient en sécurité », insiste Laurent Ruh, directeur général de RH Propreté, une entreprise installée dans l’Est.

      Ainsi, Philippe Jouanny, le président de la FEP, a écrit une lettre ouverte au gouvernement pour « demander que les entreprises de propreté puissent être incluses dans les métiers dits essentiels au maintien de la salubrité civique et pouvoir ainsi bénéficier des équipements et des moyens de transport en priorité (...) Il est impératif que ces professionnels de l’hygiène et de la désinfection puissent poursuivre leurs activités indispensables à court et moyen termes dans les conditions optimales de protection des agents de service de propreté ».

      Malgré ces conditions difficiles sur le terrain, le secteur ne reçoit que très peu de demandes de droit de retrait de la part des salariés, qui continuent à aller travailler vaille que vaille. « Nos salariés ont des vies difficiles. Ils sont très courageux et savent se mobiliser », reconnaît Aurélie Boileau, qui a mis en place des échanges avec les partenaires sociaux au sein de son entreprise pour informer les équipes.

      Anne-Marie, déléguée syndicale CGT, avance une autre explication : « Le secteur compte beaucoup de #travailleurs_précaires, qui parlent mal le français et ne savent pas se défendre. » De fait, selon les statistiques diffusées par la profession, un salarié sur deux n’a aucun diplôme de formation initiale, un sur trois est de nationalité étrangère, et six sur dix sont à temps partiel. En outre, le quart des fonds de professionnalisation de la branche est consacré à la lutte contre l’illettrisme.

      #premiers_de_corvée

    • Coronavirus : avec la crise sanitaire, les travailleurs invisibles sortent de l’ombre, Par Laurence Girard , Alexandre Piquard , Camille Bordenet , Francine Aizicovici , Juliette Garnier , Cécile Prudhomme , Eric Béziat , Béatrice Madeline et Louisa Benchabane
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/01/avec-la-crise-les-travailleurs-invisibles-sortent-de-l-ombre_6035123_3234.ht

      TÉMOIGNAGES Alors que l’économie française connaît un arrêt brutal en raison de l’épidémie de Covid-19, caissières, livreurs, agents de nettoyage, ouvriers de chantier, conducteurs de métro, auxiliaires de vie, apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : des rouages essentiels de la vie du pays.

      Le Covid-19 les a fait surgir au grand jour. Alors que l’économie du pays est clouée au sol, caissières, livreurs, agents de nettoyage, ouvriers de chantier, conducteurs de métro, auxiliaires de vie, ces #travailleurs_invisibles apparaissent enfin pour ce qu’ils sont : des rouages essentiels de la vie du pays, sans lesquels point de commerces, de transports ou de services aux personnes.

      Alors qu’une partie des salariés s’installent dans le télétravail, ils et elles n’ont pas d’autre choix que de continuer à aller travailler, parfois de nuit, souvent en horaires décalés, toujours au risque d’attraper la maladie. Quatre d’entre eux ont déjà perdu la vie, comme le rappelle la fédération CGT des commerces et services dans une lettre ouverte adressée à la ministre du travail Muriel Pénicaud, le 31 mars. Et des centaines d’autres sont contaminés. Une situation qui a incité la CGT Commerce a déposé plainte contre la ministre du travail devant la Cour de justice de la République, estimant que les salariés de la distribution manquaient de protection face au coronavirus. « Cette crise fait apparaître une forme de pénibilité que l’on n’imaginait plus : celle d’être exposé à un risque sanitaire létal dans le cadre de son activité professionnelle », souligne le sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po. « Cette exposition à des risques majeurs n’était plus tellement prise en compte dans l’évolution de notre droit du travail, on l’avait un peu oubliée. »

      Selon une note de l’OFCE publiée lundi 30 mars, 8,4 millions de personnes en France peuvent travailler à distance, de leur domicile : la moitié sont des cadres, les autres sont employés qualifiés ou appartiennent aux professions intermédiaires, comme les enseignants. Et, à l’inverse, 18,8 millions de salariés, ouvriers ou employés pour l’essentiel, ne peuvent effectuer leur travail à distance. Pour certaines personnes interrogées, il existe une certaine fierté à continuer à aller au travail, que ce soit pour ne pas laisser tomber les « copains » ou les personnes dont elles s’occupent, pour contribuer à assurer le service public. Mais c’est aussi un non-choix. Droit de retrait difficile à faire appliquer, nécessité de faire rentrer un salaire coûte que coûte. Beaucoup y vont la boule au ventre, avec la peur de tomber malade, de contaminer leur famille.

      « On est là pour la survie de l’entreprise »
      Samuel Dubelloy, 48 ans, ouvrier chez Arc à Arques (Pas-de-Calais)

      « Je travaille chez Arc depuis plus de quinze ans, pour un salaire de 1 944 euros, à raison de trente-deux à trente-trois heures par semaine. Le mois prochain, j’aurai 49 ans. Je n’ai jamais vu autant de gars ayant peur d’aller travailler, c’est énorme. Depuis lundi 23 mars, toute l’organisation du personnel a été revue [seuls 700 des 2 500 ouvriers y ont conservé leur poste sur les chaînes de production, à la suite de l’adoption d’un plan de crise réduisant de 70 % le tonnage pour se conformer aux mesures de distanciation sociale]. Certains sont en chômage partiel. D’autres sont en congés maladie pour garde d’enfants de moins de 16 ans.

      Je suis assistant à la fusion de l’un des cinq fours qui produit encore au sein du site. On y fabrique du verre pour des hublots de machines à laver et des assiettes de couleur noire, à raison de 440 tonnes par jour. Bien que l’Audomarois soit épargné et qu’il n’y ait pas eu de malades du coronavirus dans le coin, ni à l’usine, pour le moment, j’ai peur. Quand j’arrive, j’ai mal au ventre. Et puis ça passe. Au fond, le boulot, il n’a pas changé. Tout le monde est bien protégé. On est habitués à porter des masques, puisque la fusion du verre fait appel à des produits nocifs, du nickel, de la silice, du chrome ou de la chaux vive. Et puis je me dois d’être là au côté de mon fils, qui est conducteur de machines, et pour la survie de l’entreprise. Arc a traversé des situations très difficiles [en 2013, elle a frôlé le dépôt de bilan]. Cette crise ne va pas améliorer la situation, ça c’est sûr. Mais on ne peut pas arrêter des fours verriers. On ne peut pas tout mettre par terre. Il y a 680 personnes qui d’habitude travaillent sur ce four. Beaucoup ont plus de 50 ans. Ils retrouveraient difficilement un emploi si Arc s’arrêtait. »

      « La prime de 1 000 euros, je m’en fous »
      Olivier*, 49 ans, agent de nettoyage en gare TER (Bouches-du-Rhône) pour le compte de Sud Service, filiale du groupe Nicollin

      « La prime de 1 000 euros ? Je m’en fous pas mal. Ce n’est pas ça qui va me rassurer sur mes conditions de travail. J’ai peur, oui, je ne peux plus faire semblant. Nous sommes deux agents de nettoyage dans une camionnette. Mon collègue a des allergies. Il éternue, renifle, toute la journée. Et ni lui ni moi n’avons de masque. Pourquoi on ne me donne pas un autre véhicule ? L’entreprise en a plein d’autres. Au moins le temps que le pic d’épidémie passe. Je ferais ma tournée seul. Au volant, je ne peux pas être à moins de 1,50 m de mon collègue. De 8 heures à 16 heures, toute la journée, je ramasse des mouchoirs usagés, nettoie les trains, les toilettes. Et nous n’avons pas de gel hydroalcoolique.

      Partout, sur les réseaux sociaux, le Groupe Nicollin dit « prendre des mesures pour votre sécurité et celle de ses agents ! » Mais nos chefs ne savent rien de ce qui se passe sur le terrain. Dans les gares, comme les toilettes sont fermées, je ne peux plus me laver les mains. Et comme il n’y a plus d’agents de la SNCF, les voyageurs s’adressent à nous pour trouver leur train. Ils sont pressés. Ils parlent fort, postillonnent. Ils se tiennent trop près de nous. On ne peut pas continuer comme ça. »

      « Je contribue à la continuité du transport public »
      Cédric Gentil, 41 ans, conducteur RATP sur la ligne A du RER (Ile-de-France)

      « Pour aller travailler, je dispose d’un équipement de protection assez sommaire. Depuis la mi-mars, nous avons un kit personnel que nous emportons en permanence avec nous. Il contient des lingettes désinfectantes, des gants et deux masques chirurgicaux à utiliser uniquement si je dois porter assistance à un voyageur malade. L’un des masques est pour moi et l’autre est destiné à l’usager.

      A chaque prise de poste, l’entreprise me fournit six petites lingettes désinfectantes pour nettoyer mon poste de conduite. Mais cela ne suffit pas. Alors, comme mes collègues, j’arrive avec mes propres lingettes. Cette question du nettoyage, c’est le sujet qui suscite le plus de crainte, de colère même, chez les conducteurs. Avec parfois l’envie d’arrêter. Sachant que, dans mon centre d’attachement de Torcy (est de la ligne A du RER), on compte une dizaine de personnes positives au Covid-19. Les mesures d’assainissement prises avec retard ne sont toujours pas effectives. Par exemple, l’équipe de nettoyage en bout de ligne, à Saint-Germain-en-Laye, est présente une fois sur deux.

      A Boissy-Saint-Léger, un collègue a un jour signalé qu’une voiture avait été souillée par les vomissures d’une personne malade. La consigne a été d’en interdire l’accès parce qu’on n’avait pas les moyens de la nettoyer. Ce n’est déjà pas acceptable en temps normal mais alors, durant cette période… Cela me met d’autant plus en colère qu’au même moment Ile-de-France Mobilités [l’autorité organisatrice des transports dans la région parisienne] communique en disant que les trains sont désinfectés plusieurs fois par jour.

      Il y a quand même des mesures qui fonctionnent, comme la nouvelle organisation mise en place pour réduire le nombre de personnes présentes en même temps dans les centres d’attachement. Contrairement à certains de mes collègues, je n’ai pas d’appréhension majeure dans le fait d’aller travailler, je suis même plutôt satisfait de contribuer à la continuité du transport public. »

      « Nous avons besoin de considération »
      Cécilia*, 29 ans, auxiliaire de vie (Allier)

      « Je suis auxiliaire de vie, nous sommes auxiliaires de vie, celles qui permettent à des personnes âgées de maintenir leur vie à leur domicile, que ce soit par souhait, par manque de moyens, de places en structure… Je vais être encore plus directe, nous sommes celles qui empêchent certaines personnes de crever la bouche ouverte en silence, seules, parce qu’elles n’ont personne. C’est ce qui arriverait si toutes les aides à domicile se mettaient à faire la grève en même temps, et encore plus en ces temps de crise sanitaire. Si nous n’étions pas là, qui ferait les courses pour ces personnes fragiles, qui leur préparerait leurs repas, les laverait, les écouterait, et j’en passe ?

      On nous laisse sur le terrain avec pas ou peu de moyens de protection, notre profession n’étant pas considérée comme prioritaire. Certaines ont aussi de grandes difficultés à exercer leur droit de retrait. Et tout cela pour ne pas avoir la moindre reconnaissance de notre gouvernement : pas un mot gentil à notre égard ou une mesure. Je suis une maman de deux enfants en bas âge qui, en plein confinement à cause d’une épidémie, se lève et va travailler. J’aime mon métier et j’ai de l’affection pour ces personnes en situation de faiblesse, mais nous avons besoin qu’on nous donne les moyens d’exercer sans risque notre métier. Nous avons aussi besoin de considération. »

      « C’est le pot de terre contre le pot de fer »
      Tatiana Campagne, 30 ans, élue SUD-Solidaires et employée logistique chez Amazon à Lauwin-Planque (Nord)

      « Au début du coronavirus, parmi les employés d’Amazon de mon site, on a fait comme tout le monde, on a attendu de voir. Mais comme nous recevons beaucoup de marchandise de Chine, nous avons commencé à nous inquiéter. Nous avons évoqué l’idée d’utiliser des gants ou du gel hydroalcoolique mais ça faisait plutôt sourire. Pourtant, si on nous avait écoutés plus tôt…

      La peur s’est vraiment installée le jeudi 12 mars, quand Emmanuel Macron a annoncé la fermeture des écoles. Ça confirmait que le virus était bien dangereux. Avec les autres syndicats de notre entrepôt, nous avons cherché à répondre aux inquiétudes des salariés. Et avons commencé à dénoncer le manque de mesures de protection sur le site. Nous avons conseillé aux salariés d’arrêter le travail en exerçant leur droit de retrait. Mais Amazon estime la sécurité satisfaisante et refuse de payer les employés qui font jouer ce droit. En réponse à notre mobilisation, la direction a renforcé les mesures pour faire respecter la distanciation sociale, en poussant les meubles des salles de repos, en décalant les horaires de travail…

      Mais, avec 2 500 salariés sur le site, c’est très difficile d’éviter le risque de contagion. Il n’y a toujours pas de gel pour tout le monde, de masques, de gants… Pour nous, Amazon outrepasse ses droits. C’est le pot de terre contre le pot de fer. Donc, avec l’intersyndicale, nous allons porter les cas de droit de retrait devant les prud’hommes. Moi, j’aurais voulu faire jouer mon droit de retrait mais je ne me voyais pas rester à la maison, en sécurité, et laisser tomber les employés. »

      « Les collègues sont à fleur de peau à cause de la promiscuité »
      Laurence Gillet, 56 ans, responsable du rayon des produits frais, libre-service et découpe, au Super U d’Egletons (Corrèze), et élue du syndicat Force ouvrière

      « Ce métier, je l’ai choisi. J’aime ce que je fais. Ici, on est dans une petite ville, dans un magasin où l’on se sert les coudes. Les collègues me disent : “Je viens car je ne suis pas un tire-au-flanc, mais j’ai peur.” Et puis, on s’entend bien. Mais la fatigue commence à s’installer, physique, et surtout psychologique. Les premiers jours ont été très difficiles, avec beaucoup d’incivilités. C’était la razzia dans les rayons. Les protections pour les hôtesses de caisse, les gants, le gel, ont été mis en place un peu tard, et parfois dans la débrouille : une collègue a par exemple utilisé une toile cirée mise comme un rideau de douche.

      Avec la loi d’urgence sanitaire, on peut faire le remplissage du magasin la nuit et éviter de croiser du public. Le magasin a demandé qui était volontaire pour faire l’équipe de nuit. Depuis mardi 24 mars, au lieu de travailler de 6 heures à midi, je commence à 18 heures jusqu’à minuit, voire 1 heure du matin.

      La nuit, la fatigue est physique, mais, dans l’équipe de jour, les collègues sont à fleur de peau à cause de la promiscuité avec les clients… Jusque-là, personne n’a été touché, mais le jour où on aura un cas, j’ai peur que ça dérape. D’autant qu’il y a encore des clients qui n’ont rien compris, qui font leur sortie journalière pour acheter une bouteille de Coca ou un paquet de sucre. D’autres qui viennent en famille avec leurs enfants qui courent partout. Et au drive, c’est encore pire, car les gens ne supportent pas d’attendre. »

      « J’ai pensé arrêter de travailler. Mais je n’ai pas le choix »
      Thomas De Carvalho, 30 ans, artisan taxi pour sa société, Thomas TRC (Ile-de-France)

      « J’ai perdu 90 % de mon chiffre d’affaires en mars. Il n’y a presque pas de clients. J’ai ma clientèle privée, ça marche encore un peu, avec deux ou trois courses par jour. Pour rassurer les clients, j’ai mis un film alimentaire entre les sièges avant et arrière, des gants et du gel hydroalcoolique à disposition à l’arrière, c’est gratuit. J’ai commandé du Plexiglas pour remplacer ce rafistolage. Je nettoie ma voiture après chaque client. Si l’un d’eux ne met pas les gants, je le refuse. Je suis là pour servir, pas pour subir, ni mourir.

      Je n’ai pas peur du coronavirus pour moi-même. Mais j’ai peur pour ma famille, mes clients. J’ai pensé arrêter de travailler. Mais je n’ai pas le choix. J’ai 5 000 euros de charges par mois, dont 1 500 euros pour la licence et 565 euros pour la voiture. Vendredi 20 mars, j’ai appelé des grandes surfaces pour leur proposer mes services pour livrer. J’attends. »

      « Mon employeur a refusé mon droit de retrait »
      Antoine*, 34 ans, chef d’équipe logistique d’un sous-traitant d’EDF, dans la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly (Loiret)

      « Dans la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly, il aura fallu que les salariés de sous-traitants menacent d’arrêter de travailler pour qu’EDF prenne des précautions. Dans la zone contrôlée, on est tenu de mesurer sa radioactivité fréquemment, notamment en glissant ses mains pendant dix secondes dans un appareil. Mais celui-ci n’était pas désinfecté, malgré le passage de centaines de personnes par jour. De plus, dans le bâtiment du réacteur en cours de rechargement, les distances de sécurité n’étaient pas respectées et les poignées de porte n’étaient désinfectées que deux fois par jour. Mon employeur a refusé que je fasse usage de mon droit de retrait. Il l’a considéré abusif. De mon côté, je n’avais qu’une peur : contaminer ma famille en rentrant chez moi le soir.

      Mais à partir du mardi 17 mars, nous avons commencé à nous mobiliser en refusant d’entrer dans la zone contrôlée tant que des précautions n’étaient pas mises en place par EDF. Autour du 23 mars, EDF a adapté le dispositif : une distance d’un mètre est respectée dans la zone contrôlée, et on est autorisés à porter des gants pour mesurer notre radioactivité. Les chantiers sur les arrêts de tranche (période pendant laquelle un réacteur est arrêté) sont aussi suspendus le week-end. Mais ces mesures arrivent trop tard. Quelques collègues présentent des symptômes de la maladie. »

      « On vit au jour le jour »
      Amélie Huyn, 26 ans, assistante marketing de la société Alpina Savoie à Chambéry (Savoie)

      « Avec la fermeture des restaurants et des cantines, mon entreprise, connue pour ses marques de pâtes, de semoule et de crozets, a vu une partie de ses débouchés se fermer. La direction m’a proposé d’opter pour un chômage partiel ou de prêter main-forte à la production. Je n’ai pas hésité un instant.

      Depuis lundi 23 mars, après une courte période de formation, je travaille de 8 heures à 16 heures sur les lignes de conditionnement des crozets. C’est tout nouveau pour moi, cela me rapproche des coulisses, cela se passe bien, on se serre les coudes. Je ne suis pas du tout inquiète. Toutes les mesures sanitaires sont prises. Je porte masque, charlotte, blouse et chaussures de sécurité. A la pause du midi, chacun a une place numérotée, sans vis-à-vis et espacée. Je ne sais pas encore combien de temps durera l’expérience. On vit au jour le jour. »

      « Il faut assurer la propreté ! »
      Célestin, 64 ans, agent de service (Seine-Saint-Denis)

      « Je suis agent de service, je fais le nettoyage dans des immeubles et des locaux professionnels. Je fais ce travail depuis trente-six ans. On a des gants jetables et du gel hydroalcoolique, mais pas de masque, et cela ne m’empêche pas d’aller travailler. Il faut quand même assurer la propreté des lieux ! On nettoie les portes, les boîtes à lettres, les rampes d’escalier… On est tous inquiets. On évite les contacts directs avec les occupants, quand on croise quelqu’un, on garde nos distances. On ne se laisse pas postillonner dessus ! Mais les gens m’encouragent, ils sont contents de ce que je fais pour eux. Je me sens utile. »

      Coronavirus : dans toute la France, les caissières en première ligne, Par Raphaëlle Rérolle , Marie-Béatrice Baudet , Béatrice Gurrey et Annick Cojean
      Publié le 22 mars 2020
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/22/coronavirus-a-paris-comme-en-province-les-caissieres-de-france-en-premiere-l

      ENQUÊTE La plupart des « hôtesses de caisse » n’ont pas cessé le travail depuis le début de l’épidémie, obligées de rester fidèles au poste, malgré la peur d’être exposées au virus.
      Ces gants-là, ça ne vaut rien. Assise derrière la caisse, elle regarde sa main comme un objet étrange, dans un bref moment d’accalmie. Ces doigts en plastique transparent, beaucoup trop larges, la légère transpiration à l’intérieur… Elle l’agite comme une marionnette et on entend le froissement du plastique. Un peu plus tard, elle accepte de donner son numéro de téléphone pour raconter, à l’abri des oreilles indiscrètes, sa vie de caissière pendant l’épidémie.

      Maintenant on dit « hôtesse de caisse », mais il faudrait, en temps de guerre contre le coronavirus, parler de bons petits soldats, voire de chair à canon, tant elles ont subi – ce sont des femmes à 90 % – l’assaut d’une clientèle devenue folle, juste avant le confinement, décrété mardi 17 mars à midi.

      Elles sont de moins en moins nombreuses depuis dix ans dans les super et les hypermarchés, avec l’apparition des caisses automatiques. Une baisse d’environ 10 %, soit un bataillon de 150 000 équivalents temps plein, selon la Fédération du commerce et de la distribution. Mais il est chaque jour au front depuis que tous les commerces « non indispensables » ont fermé. On ne peut plus dire « l’intendance suivra ». Elle précède tout.

      Bénédicte, le prénom qu’elle a choisi pour ne pas être reconnue, a 30 ans et travaille en Normandie pour une chaîne de supermarchés de hard discount. « Ce sont des gants de boulangerie, on s’en sert pour mettre les viennoiseries en rayon, question d’hygiène. On se protège comme on peut mais ce n’est pas pratique pour rendre la monnaie. » La jeune femme travaille là depuis plusieurs années, payée au smic avec un contrat de 30 heures : « C’était ça ou rien. Quand il y a un rush on fait un avenant au contrat. »

      Du jamais vu

      Pour un rush, c’en était un, du jamais vu. Une heure et demie de queue devant le magasin, dès que les rumeurs de confinement ont commencé à courir, vendredi. Lundi, ce fut bien pire. « J’avais l’impression qu’on n’allait pas s’en sortir. Forcément, la contamination on y pense. On est en communication avec les microbes », dit cette mère de deux jeunes enfants.

      Ses journées durent dix heures. Après le paiement, les clients sont à touche-touche avec elle car les caisses n’ont pas de rebord, à dessein : « Faut que ça soit du tac au tac, que ça dégage vite. On doit passer 3 000 articles à l’heure, c’est l’objectif fixé. » Quand il y a moins de monde, Bénédicte fait le ménage ou de la mise en rayon. Pour la semaine du 23 mars, on leur a promis un bouclier de Plexiglas. Mais toujours pas de masques.

      Des masques, il n’en manque pas dans cet hypermarché d’Ille-et-Vilaine. Au rayon frais, charcuterie et fromage, les deux vendeuses articulent haut et fort pour être comprises des clients. Jeudi, la circulation des chariots est plutôt fluide dans les allées, où des hommes, masqués eux aussi, réapprovisionnent les rayons.

      Aux caisses, en revanche, le visage de Manon se montre à découvert. « J’ai essayé le masque mais ça me gêne, ça m’oppresse. Je n’en ai jamais porté, je n’ai pas l’habitude, c’est pas comme les soignants », explique la jeune femme, en apparence guère affolée.

      Au sol, des lignes bleues marquent l’espacement obligatoire entre chaque chariot, « 1 mètre », répète une voix au micro. Nathalie, qui officie à la caisse prioritaire pour femmes enceintes et handicapées, apprécie cette précaution mais a renoncé au masque : « J’ai essayé, mais très vite je ne vois plus rien, tellement j’ai de buée sur mes lunettes. »

      Petit salaire et horaires de fou

      Ce sont les invisibles, les discrètes, les modestes. Les fragiles, souvent. Celles qui se perdent dans le décor, confondues avec la caisse qui semble faire le seul travail incontestable : compter. Celles à qui l’on ne reconnaît aucune expertise – et pourtant. « Les hôtesses de caisse, on passe pour des nulles, tranche Déborath, 38 ans. Mais s’il fallait que les clients prennent notre place, ils ne tiendraient pas cinq minutes. »

      Elle travaille dans un hypermarché du Var, très saisonnier, la première ville est à 5 km. Elle aime bien rire, Déborath, mais il était temps qu’un peu de reconnaissance arrive, enfin, avec le virus : « Pour une fois, la roue tourne. Ils ont besoin de nous pour manger. C’est con hein, mais un merci et un bravo, c’est la première fois et ça fait du bien. » Elle raconte le petit salaire, les horaires de fou, les gens qui les prennent pour des idiotes « alors qu’il faut gérer les clients, les problèmes de prix, les conflits entre personnes ».

      Déborath, caissière : « On aurait dit qu’on allait tous mourir. Les gens se battaient pour des produits d’entretien et du papier toilette »
      Le jour de la grande ruée l’a mise en colère : « C’était genre fin du monde. On aurait dit qu’on allait tous mourir. Les gens se battaient pour des produits d’entretien et du papier toilette. S’il y en avait un de contaminé, on le sera tous. » Les trois agents de sécurité étaient débordés, les clients se servaient sur les palettes : « J’étais du soir, on est partis à 21 heures au lieu de 20 h 30. Il a fallu ramasser la cinquantaine de chariots abandonnés dans le magasin. » Puis tout remettre en rayon, sauf le frais et le surgelé, partis à la poubelle. Combien de manipulations ? Cela fait quelques jours maintenant, et cela semble une éternité : « On était très en colère contre l’humain ce jour-là. » Déborath se demande encore comment des clients ont pu faire, qui 650 euros de courses, qui 900 euros : « D’où ils les sortent ? »

      « Ce que j’ai ressenti, c’est de la peur, de l’angoisse, du stress, malgré toutes les précautions prises ici », dit-elle. Peur de contaminer sa mère de 70 ans, avec laquelle elle vit. Angoisse de voir resurgir une crise de polyarthrite, dont elle-même est atteinte. Stress de journées qui ne ressembleront plus à celles d’avant. Que faire aujourd’hui de ces deux heures de pause qui lui permettaient d’aller à la plage ou d’aller se balader dans le centre commercial ?

      C’est un sujet de discussion avec le directeur du magasin, qui s’est montré exemplaire, assure la trentenaire : « Ça va être un moment compliqué à vivre ensemble et il n’a pas envie qu’on tombe malade. Sa femme travaille dans la santé. » Une entrée au lieu de trois habituellement, un système de barrières, des intérimaires embauchés, travail nocturne pour les manutentionnaires, « qui ont énormément apprécié, parce qu’ils ne sont plus en présence des gens », gants obligatoires, gel hydroalcoolique à disposition et conseils d’hygiène. Aux caisses, elles ne sont plus qu’une sur deux et les clients ne passent plus devant elles. Ils récupèrent leur marchandise au bout du comptoir, en passant par-derrière.

      « Malade ou pas ? On se croirait dans un film mais ce n’est pas un film »
      « L’ambiance est bizarre. Un client qui porte un masque, on se pose la question à chaque fois. Malade ou pas ? On se croirait dans un film mais ce n’est pas un film. » Cette atmosphère irréelle, presque de science-fiction, tient aussi aux confinements individuels improvisés dans les magasins, telles ces caissières de Chamalières (Puy-de-Dôme) entourées d’un habillage en cellophane, comme une sorte de cloche, ou les vitres de protection en Plexiglas, apparues ici ou là.

      Ce n’est pas le cas partout. Aucun masque, aucune explication, aucune réunion, par exemple, dans ce grand magasin de proximité parisien. Une chaîne pourtant « branchée » qui s’est adaptée à son public de bobos. Une de ces femmes-troncs remarque, sans perdre son sourire, qu’on ne les a pas averties non plus du changement d’horaire, survenu du jour au lendemain pour avancer la fermeture du magasin, habituellement nocturne. Aucune instruction sur l’hygiène et les comportements à observer avec la clientèle. Les gants jetables que l’on a mis à leur disposition se trouent à la première occasion.

      « La trouille au ventre »

      Le directeur, lui, est parti en vacances et la chef du secteur caisses aussi. « Nous sommes livrées à nous-mêmes. Et j’ai la trouille au ventre, conclut une brune dynamique. On sait que la maladie circule parmi nos clients et qu’on finira par l’avoir. Comment faire autrement ? Ils sont proches de nous, on sent souvent leur souffle… »

      Un client de ce quartier cossu lui a confié l’autre jour que sa fille, restée à la maison, avait le Covid-19. Il attendait peut-être du réconfort, mais il lui parlait à moins de 1 mètre, sans penser un instant qu’il la mettait en danger. Elle, elle l’avait bien en tête. « J’étais glacée d’angoisse mais je n’ai rien montré. C’est la règle. Et quand ils sont agressifs on serre les dents. Sinon, nous serions dans notre tort. »

      Un droit de retrait ? Bien sûr que non ! Elles ont trop peur de perdre leur job, ces femmes, ces mères de famille, parfois célibataires ou divorcées. « Avec un loyer qui prend plus de la moitié de mon salaire net, 1 200 euros, je n’ai aucune marge de manœuvre », explique l’une d’elles.

      Seules quelques mamans de très jeunes enfants ont demandé à ne pas venir pendant quelques jours. Une autre hôtesse nuance : « Ce n’est pas qu’une histoire d’argent. Les caissières ont aussi une conscience professionnelle ! On est là en temps de crise. On assure un service public. On ne flanche pas. »

      « Si seulement Macron avait mentionné les caissières ! Vous n’imaginez pas comme on aurait été fières ! »
      Elles ont noté – et approuvé – l’hommage appuyé du président de la République, Emmanuel Macron, aux personnels soignants, l’autre soir, à la télévision. Mais elles auraient aimé un mot, rien qu’un mot, pour les « obscurs », les « petites mains », les « chevilles ouvrières », qui contribuent à l’effort pour que le pays continue à manger, à boire, à vivre. « Si seulement il avait mentionné les caissières ! Vous n’imaginez pas comme on aurait été fières ! »

      Dans ce magasin bio de Haute-Loire, situé dans une ville de 6 800 habitants, Maxime, le gérant, a reçu, lui, une avalanche d’instructions de sa chaîne, réactualisées plusieurs fois par jour, comme le lavage des mains tous les quarts d’heure. « Nous ne portons pas de gants, c’est un faux ami qui donne une impression de sécurité alors qu’on peut avoir les mains sales », détaille-t-il. Deux gros bidons de gel hydroalcoolique, fabriqué par une entreprise locale, attendent les clients à l’entrée. « Je ne suis pas angoissé du tout, assure Thomas, un caissier de 32 ans. Ce n’est pas dans ma nature et nos clients sont respectueux. »

      Mercredi 18 mars, Maxime, dépité de s’être vu refuser des masques à la pharmacie, s’est approvisionné en visières transparentes, celles dont on se sert pour éviter les projections dans les opérations de tronçonnage. Au petit supermarché voisin, les caissières portent toutes ces masques tant convoités et réservés aux soignants. « Ce sont des réserves de la dernière épidémie de grippe. Mais on en a peu, alors on les garde toute la journée », précise l’une d’elles. Il ne faut pourtant pas les conserver plus de quatre heures pour s’assurer de leur efficacité…

      « Quand on voit des gens venir acheter une bouteille de bière toutes les deux heures, une par une, on se dit qu’ils n’ont rien compris »
      Dans une moyenne surface du même département, les caissières s’ennuient un peu derrière leur vitre de Plexiglas, maintenant que l’heure du reflux a sonné. Se sentent-elles rassurées dans ce magasin dépeuplé ? « Bah, quand on voit des gens venir acheter une bouteille de bière toutes les deux heures, une par une, on se dit qu’ils n’ont rien compris », se désole Sylvie.

      Au moins, se sentent-elles un peu mieux protégées que leurs collègues, à 15 km de là. De vagues morceaux de carton, de moins d’un mètre de côté, taillés dans de vieux emballages, ont été placés devant les caisses. « C’est tout ce que le gérant a trouvé pour nous protéger », déplore Monique.

      La foule s’est évanouie et un aspirateur vrombit. Les caissières montent la garde derrière leur illusoire bouclier de carton. Angoissées mais étonnamment stoïques, quand des clients, âgés pour la plupart, passent leur tête sur les côtés pour mieux les entendre. Comme si le carton n’existait pas. Comme si l’épidémie n’existait pas. Comme si de rien n’était.

  • Framaconfinement Jour 02 – Prendre la mesure – Framablog
    https://framablog.org/2020/03/18/framaconfinement-jour-02-prendre-la-mesure

    Je me mets à la place de gamins qui ont entendu « Nous sommes en guerre » 4 ou 5 fois d’affilée par la plus haute autorité du pays [NDLR : 6 fois, en fait, il l’a dit 6 fois]. Qui sont enfermés chez eux. Qui ont interdiction de jouer avec ou de toucher leurs copains et copines… Et le problème, ça serait que de savoir comment des profs peuvent faire cours à 30 gamins en visioconférence, comme s’ils étaient encore en classe ? Comme si on « continuait » ?

    Ça me paraît dingue. Le Ministère (avec qui nous ne sommes effectivement plus en très bons termes) s’acharne à tenter d’imposer des solutions techniques pour faire respecter la sacro-sainte « continuité pédagogique ». Je ne dis pas qu’à aucun moment ils ne pensent aux impacts psychologiques du confinement chez les enfants, mais de ce que j’en vois, vu d’ici, ça semble passer bien après le fait de leur fournir « la solution technique qui marche ». Je leur conseillerai bien de s’arrêter, de respirer un coup, et de changer d’attitude en passant de « donneur d’ordres » à « fournisseurs de ressources » en faisant confiance à chaque enseignant⋅e, individuellement, pour s’organiser collectivement avec ses collègues (et/ou avec les parents) afin d’apporter la meilleure solution selon les cas spécifiques, en lâchant prise sur le fait que pour le moment, personne ne maîtrise plus rien. Si on est prêt à confier nos enfants 7h par jour à des presque inconnu⋅es, je ne vois pas pourquoi on refuserait de leur faire confiance pour s’organiser dans le chaos ambiant. Mais je ne bosse pas au Ministère, et je suis fatigué de cette attitude du « Un qui sait, tous qui appliquent ».

    Concernant Framasoft, cela signifie qu’on ne sait plus rien. Inutile de venir me demander « Quand PeerTube supportera-t-il le live streaming ? », « Est-ce que Mobilizon sortira en juin comme prévu ? », « On aurait besoin d’un cloud en urgence pour qu’un médecin puisse être en liaison avec le SAMU, vous pouvez fournir ? ». Avant, je savais. On me payait pour savoir. Aujourd’hui, je ne sais plus.

    Et ce n’est pas si grave, peut être.

    Voyons cela comme un reboot. Un reset. L’occasion de repenser les choses sous d’autres angles.

    Mes collègues et moi, mais aussi les 25 membres bénévoles de l’association (que des pétales de roses fleurissent sous leurs pieds pour les 18 prochaines générations) ferons de notre mieux, mais pas plus. Parce qu’il va falloir apprendre et découvrir, avec vous, ce que ça fait de louer des serveurs quand il faut imprimer une attestation puis faire 2h de queue pour aller acheter un paquet de pâtes.

    Notre priorité sera d’abord de prendre soin de nous et de nos proches, et sans doute alors trouverons-nous comment être de nouveau vraiment utiles dans ce nouveau monde.

    #Coronavirus #Reset #Framasoft