Un ministre chez le terroriste : l’invraisemblable Brice Hortefeux au procès Sarkozy-Kadhafi | #Mediapart
Un ministre chez le terroriste : l’invraisemblable Brice Hortefeux au procès #Sarkozy-Kadhafi
Brice Hortefeux a souffert à la barre du tribunal de Paris pour tenter d’offrir une explication rationnelle à sa rencontre secrète, en décembre 2005, avec le numéro deux du régime Kadhafi, #Abdallah_Senoussi, un terroriste condamné. Et un #corrupteur présumé, d’après l’accusation.
Fabrice Arfi
23 janvier 2025 à 07h52
BriceBrice Hortefeux a raconté, mercredi 22 janvier, au tribunal de Paris qui le juge dans l’affaire des financements libyens, une sacrée histoire. Ce proche parmi les proches de Nicolas Sarkozy – son « grand ami », comme un « frère », avait dit de lui l’ancien président de la République lors d’une précédente audience – a dû s’expliquer pendant plus de trois heures, droit comme un I, la #mèche_blonde clairsemée et le #teint passant de la #cire à la #tomate, sur un obscur voyage qu’il a effectué en Libye, le 21 décembre 2005, en tant que ministre délégué aux collectivités territoriales françaises.
Les dessous de ce voyage, Brice Hortefeux le sait, sont des plus embarrassants. Il a rencontré secrètement, ce jour-là, dans le dos de l’ambassade de France à Tripoli, mais en compagnie de l’agent de corruption présumé Ziad Takieddine, le numéro deux du régime libyen, Abdallah Senoussi, un homme pourtant condamné à la perpétuité et recherché par la France pour avoir organisé un attentat terroriste contre l’avion de ligne #DC-10 de la compagnie #UTA (170 morts).
S’essayant tant bien que mal aux effets oratoires de Nicolas Sarkozy, qui le regarde quasiment sans discontinuer pendant toute sa déposition avec affection ou commisération – et peut-être un peu des deux –, Brice Hortefeux a fait preuve d’un aplomb déconcertant. L’audience a toutefois paru tourner au calvaire pour lui à mesure que les questions de la présidente, Nathalie Gavarino, des procureurs du PNF puis des avocat·es des parties civiles, se sont infiltrées dans les plis de son histoire ; il faut bien le dire, à dormir debout.
Rien dans son récit n’a paru partir du bon pied. « Je n’étais pas demandeur de ce voyage [en Libye] », a d’abord dit Brice Hortefeux. Premier souci : des télégrammes diplomatiques exhumés durant l’enquête indiquent qu’il s’agissait pourtant d’une volonté française.
Il a ajouté qu’il n’y avait, pour lui, « pas d’urgence » à se rendre là-bas, dans la foulée d’une visite de Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, début octobre 2005. Deuxième souci : d’autres télégrammes diplomatiques suggèrent le contraire.
Le sparadrap Takieddine
Brice Hortefeux est ensuite formel : Ziad Takieddine n’a joué « aucun rôle » dans l’organisation du déplacement. Troisième souci : le #PNF a fait converger plusieurs éléments matériels du dossier (des notes issues des archives numériques de Takieddine, des rendez-vous avec Hortefeux, des lettres échangées officiellement entre le cabinet Sarkozy et le régime libyen, etc.) qui « confirment le rôle de go-between de Takieddine » entre la France de Sarkozy et la Libye de Kadhafi.
Takieddine, dont tous les prévenus veulent aujourd’hui se décoller à tout prix, est même au courant, avant l’ambassade de France, de certains changements d’emploi du temps du ministre délégué. « Ce n’est pas moi qui l’informais », peste Hortefeux, qui, confronté aux éléments, ne peut néanmoins les démentir tout à fait. Alors il les minimise, comme il avait tenté de minimiser précédemment sa grande proximité avec l’#intermédiaire.
« Je n’étais qu’une touche en plus sur la palette d’une Libye souhaitant se rebâtir un mur de respectabilité », assure Hortefeux, qui trouve que l’on donne quand même beaucoup d’importance à son voyage.
Pour certains, ce voyage n’avait surtout « pas grand sens ». Ce sont les mots utilisés par l’ambassadeur de France en Libye à l’époque, Jean-Luc Sibiude, qui a témoigné au procès il y a quelques jours. Un ancien attaché de sécurité intérieure à Tripoli, le commissaire de police Jean-Guy Pérès, a partagé des sentiments analogues devant le tribunal.
Conscient des doutes émis sur la nature réelle de son voyage, Brice Hortefeux a pris un ton docte à la barre, paraissant réciter une leçon apprise par cœur sur les ersatz de collectivités locales en Libye, donnant des dates, noyant l’assistance d’acronymes, et s’essayant même à un exercice de géographie administrative comparée entre la Libye et le Maroc…
Le #terroriste imprévu
Et puis arrive le moment tant redouté : sa rencontre avec le terroriste Senoussi. « Je me suis retrouvé de manière totalement imprévue chez Senoussi », jure-t-il dans une première phrase, donnant le ton de ce qui va suivre.
Brice Hortefeux va alors livrer un récit qu’il demande au tribunal de prendre pour argent comptant. « Au cours du dîner officiel [auquel il participe avec la délégation ministérielle, des représentants diplomatiques français et des responsables libyens – ndlr], un Libyen vient me voir pour me dire que je vais rencontrer une personnalité, un membre de la famille de Kadhafi. J’ai pensé que cela pouvait être Saïf al-Islam Kadhafi, le fils, qui était un peu la vitrine. »
Et, à l’en-croire, « tout va très vite ». Il ne se renseigne pas plus. N’avertit personne de l’ambassade. Ne passe pas le moindre coup de fil, notamment au conseiller diplomatique du ministère de l’intérieur qui l’accompagne, David Martinon. Il disparaît, comme un magicien dans sa boîte, au nez et à la barbe de toutes les autorités françaises présentes au dîner, qui ne s’en inquiètent pas plus que cela au demeurant.
Il monte alors dans la voiture des Libyens, sans savoir où il se rend, escorté par des policiers locaux. « C’est là que j’ai fait le rapprochement [avec l’attentat] », assure-t-il, sans expliquer précisément comment ni pourquoi il parvient à cette déduction. En attendant, il faut prendre la mesure de la scène décrite : on n’est pas loin du rapt d’un ministre par une puissance étrangère…
Non, je n’en ai pas parlé à Nicolas Sarkozy.
Brice Hortefeux sur sa rencontre secrète avec Senoussi
Brice Hortefeux croit tout de même se souvenir que son officier de sécurité est avec lui. Mais celui-ci a dit le contraire durant l’enquête : « J’accompagnais M. Hortefeux dans tous ses déplacements, jamais je ne l’ai accompagné à une quelconque réunion ou rendez-vous de ce type. Il est bien évident, compte tenu de la nationalité que vous évoquez, que si tel avait été le cas je m’en souviendrais. Compte tenu de la personnalité de M. Hortefeux qui est quelqu’un d’assez craintif, je ne l’imagine absolument pas assister à un rendez-vous de la sorte sans je ne sois présent. »
Confronté à ce démenti, le prévenu choisit la méthode Coué devant le tribunal, au risque de l’absurde : « C’est une confirmation de ce que je dis, Madame la présidente ! », s’exclame-t-il, avant d’ajouter dans une antiphrase : « Je ne vois pas pourquoi j’irais raconter autre chose que la vérité. »
« Vous n’avez pas l’idée de faire marche arrière ? », le relance la présidente Gavarino. La question est suivie d’un long silence, épais. Hortefeux y met un terme : « Je comprends très bien la question. Nous sommes en 2025… L’approche n’est pas la même. À l’époque, j’étais un jeune ministre, un simple ministre délégué, pas un proche du président de la République [Jacques Chirac – ndlr]. Je ne me sentais pas investi d’une autorité suffisante pour créer un affront. Est-ce une erreur politique et morale ? bien sûr que oui… vu d’aujourd’hui. »
Brice Hortefeux décrit ensuite une discussion de quarante minutes, « traduction comprise », au domicile de Senoussi. C’est Takieddine qui joue les interprètes. « M. Senoussi me parle de l’immigration et des frontières. La conversation s’est limitée à cela », déclare Hortefeux, manifestement pressé d’en finir.
Mais ce n’est pas terminé.
« Quand vous rentrez à l’hôtel, dans quel état d’esprit êtes-vous ? », lui demande la présidente, qui essaie de s’inscrire dans la logique des mots du prévenu.
-- J’ai compris que j’ai été piégé, répond Hortefeux.
-- Vous avez été sidéré ?, poursuit la magistrate.
-- Stupéfait, oui, dit le lieutenant de Sarkozy.
-- Vous en avez parlé à Nicolas Sarkozy ?
-- Non, je n’en ai pas parlé à Nicolas Sarkozy. C’est une attitude humaine, faillible. Quand on tombe dans un piège, on ne va pas s’en vanter, on ne va pas le crier sur tous les toits. D’autant qu’il ne s’est rien passé de grave pendant cette rencontre », affirme Hortefeux, qui paraît ne pas réaliser que, même si on doit accepter comme vraisemblable sa version, la rencontre d’un terroriste recherché par la France avec un ministre français est en soi un scandale.
La #glissade
Comment Brice Hortefeux réagit-il auprès de Takieddine pour lui signifier son mécontentement après le « piège », le « guet-apens » qui lui aurait été tendu par l’intermédiaire ? Il ne réagit pas, explique-t-il à la barre. Il n’appelle pas l’intermédiaire. Il ne lui dit juste… rien. Pas plus qu’il n’alerte l’ambassade après-coup.
Un premier procureur du PNF s’accroche avec Hortefeux : « Je me demande si vous croyez vous-même à ce que vous dites. » Puis un second, patiemment, essaie de comprendre la logique du raisonnement du prévenu. Sans succès. À chaque invraisemblance ou contradiction relevée, Brice Hortefeux se mue en robot qui répète les mêmes éléments de langage à l’envi : « Je suis ici pour un supposé financement libyen et il n’y a pas eu de financement ! »
« Est-ce que ce n’était pas un rendez-vous prévu, tout simplement ? », lâche finalement le procureur. Brice Hortefeux, de marbre : « Non, parce que si c’était prévu, je n’y serais pas allé. »
La question était depuis belle lurette sur toutes les lèvres. Et pour cause : la « mésaventure » de Brice Hortefeux en Libye est tout sauf une nouveauté. Trois mois plus tôt, le directeur de cabinet de Sarkozy, #Claude_Guéant, avait lui aussi rencontré secrètement à Tripoli Senoussi, en la seule présence de Takieddine. Et lui aussi plaide aujourd’hui le « piège ». Et lui non plus n’en a pas parlé à Sarkozy après-coup. Comme il n’a pas définitivement coupé les ponts avec le machiavélique Takieddine.
Voilà donc deux sommités françaises qui se retrouvent, à trois mois d’intervalle, au contact d’un terroriste condamné et recherché, et qui n’y trouvent strictement rien à redire. Il ne fait décidément pas bon être #sarkozyste en Libye.
« Est-ce que vous n’essayez pas de vous faire passer pour plus… naïf que vous ne l’êtes ? », demande à Hortefeux l’avocate de l’association #Anticor, Claire Josserand-Schmidt. « Candide, oui, pas #naïf », corrige le prévenu.
« Ce moment, votre rencontre avec Senoussi, est une bascule », tente de solenniser l’avocate. Après Guéant la semaine dernière, c’est en effet un deuxième domino du jeu sarkozyste qui est sérieusement ébranlé au procès des financements libyens.
Car si les deux rencontres avec l’infréquentable Senoussi n’étaient pas des pièges mais bien un rendez-vous secret, organisé, comme semble le penser l’accusation, que couvre le mensonge commun des deux plus proches collaborateurs de Sarkozy ?
La réponse est peut-être à trouver dans les éléments du dossier d’instruction, sur lesquels le tribunal reviendra lors d’audiences ultérieures.
La spontanéité, cinq ans après, en réponse à une question d’un journaliste, c’est long…
Claire Josserand-Schmidt, avocate d’Anticor
D’une part, Senoussi et Takieddine ont affirmé durant l’enquête que ces réunions étaient liées à des discussions sur le débouclage d’un financement occulte dans la perspective de la campagne présidentielle de Nicolas #Sarkozy. D’autre part, le voyage de Hortefeux en #Libye a, de fait, précédé de quelques jours le versement par le régime #Kadhafi de fonds, dont une partie s’est retrouvée sur un compte secret aux #Bahamas d’un proche de l’ancien président, #Thierry_Gaubert. Qui est aussi un intime de Brice Hortefeux. Et de #Takieddine.
Dans les derniers instants de son audition, Brice Hortefeux essaye d’abattre sa dernière carte : « Je n’ai rien à cacher puisque c’est moi qui ai révélé spontanément ce rendez-vous avec Senoussi ! »
C’est inexact, lui a rappelé #Claire_Josserand-Schmidt. Brice Hortefeux a parlé pour la première fois publiquement de ce rendez-vous à la suite d’un appel de Mediapart, le 27 avril 2012, à la veille de la révélation d’une note libyenne faisant état d’une réunion entre lui et… Abdallah Senoussi (à une autre date que le 21 décembre 2005). « J’ai répondu spontanément à la question d’un journaliste », se reprend Hortefeux, qui ne craint pas les acrobaties langagières. « La spontanéité, cinq ans après, en réponse à une question d’un journaliste, c’est long… », commente l’avocate.
« De toute façon, cette réunion [avec #Senoussi] n’a eu aucune conséquence. Il ne s’est rien passé », a martelé #Hortefeux. Il termine sa journée comme un athlète fatigué qui a tenté l’escalade d’un mur de verre, mais sans prise. Inéluctablement, il glisse.
Le procès se poursuit jeudi 23 janvier.
#Fabric_Arfi