• Boris Johnson annonce avoir signé un accord avec Kigali pour envoyer des demandeurs d’asile au #Rwanda

    Ce projet, susceptible de s’appliquer à toutes les personnes entrées illégalement sur le territoire, a suscité des réactions scandalisées des organisations de défense des droits humains.

    Le premier ministre britannique, Boris Johnson, a décidé de durcir la politique migratoire du Royaume-Uni, en prenant une décision pour le moins controversée. Le Royaume-Uni a annoncé, jeudi 14 avril, avoir pour projet d’envoyer au Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement, espérant ainsi dissuader les traversées clandestines de la Manche, qui sont en pleine augmentation.

    Ce projet, susceptible de s’appliquer à toutes les personnes entrées illégalement sur le territoire, d’où qu’elles viennent (Iran, Syrie, Erythrée…), a suscité des réactions scandalisées. Des organisations de défense des droits humains ont dénoncé son « inhumanité ». L’opposition a jugé que le premier ministre tentait de détourner l’attention après l’amende qu’il a reçue pour une fête d’anniversaire en plein confinement. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a, de son côté, fait part de « sa forte opposition » :

    « Les personnes fuyant la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie. Elles ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour être traitées. »
    Un projet chiffré à 144 millions d’euros

    Alors que M. Johnson avait promis de contrôler l’immigration, un des sujets-clés dans la campagne du Brexit, le nombre de traversées illégales de la Manche a triplé en 2021, année marquée notamment par la mort de vingt-sept personnes dans un naufrage à la fin de novembre. Londres reproche régulièrement à Paris de ne pas en faire assez pour empêcher les traversées.

    « A partir d’aujourd’hui (…), toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que celles qui sont arrivées illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être transférées au Rwanda », a annoncé le dirigeant conservateur dans un discours dans le Kent (sud-est de l’Angleterre). Le Rwanda pourra accueillir « des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir », a-t-il ajouté, décrivant ce pays d’Afrique de l’Est comme l’un des « plus sûrs du monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ».

    En vertu de l’accord annoncé jeudi, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 144 millions d’euros. Le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait la possibilité « de s’installer de manière permanente au Rwanda [à ces personnes si elles] le souhaitent ».

    Désireux de regagner en popularité avant des élections locales le mois prochain, M. Johnson et son gouvernement cherchent depuis des mois à conclure des accords avec des pays tiers où envoyer les clandestins en attendant de traiter leur dossier.
    Le contrôle de la Manche confié à la marine

    « Notre compassion est peut-être infinie, mais notre capacité à aider des gens ne l’est pas », a déclaré M. Johnson, qui anticipe des recours en justice contre le dispositif. « Ceux qui essaient de couper la file d’attente ou d’abuser de notre système n’auront pas de voie automatique pour s’installer dans notre pays mais seront renvoyés de manière rapide et humaine dans un pays tiers sûr ou leur pays d’origine », a-t-il ajouté.

    Les migrants arrivant au Royaume-Uni ne seront plus hébergés dans des hôtels, mais dans des centres d’accueil, à l’image de ceux qui existent en Grèce, avec un premier centre « ouvrant bientôt », a annoncé M. Johnson.

    Dans le cadre de ce plan, qui vient compléter une vaste loi sur l’immigration actuellement au Parlement et déjà critiqué par l’Organisation des Nations unies (ONU), le gouvernement confie dès jeudi le contrôle des traversées illégales de la Manche à la marine, équipée de matériel supplémentaire. En revanche, il a renoncé à son projet de repousser les embarcations entrant dans les eaux britanniques, mesure décriée côté français.
    Les ONG scandalisées

    En envoyant des demandeurs d’asile à plus de 6 000 kilomètres du Royaume-Uni, Londres veut décourager les candidats à l’immigration, toujours plus nombreux : 28 500 personnes ont effectué ces périlleuses traversées en 2021, contre 8 466 en 2020, selon des chiffres du ministère de l’intérieur.

    Amnesty International a critiqué « une idée scandaleusement mal conçue » qui « fera souffrir tout en gaspillant d’énormes sommes d’argent public », soulignant aussi le « bilan lamentable en matière de droits humains » du Rwanda.

    Daniel Sohege, directeur de l’organisation de défense des droits humains Stand For All, a déclaré à l’Agence France-Presse que l’initiative du gouvernement était « inhumaine, irréalisable et très coûteuse », recommandant plutôt d’ouvrir des voies d’entrée au Royaume-Uni « plus sûres » car celles qui existent sont « très limitées ».

    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/14/londres-a-signe-un-accord-avec-kigali-pour-envoyer-des-demandeurs-d-asile-au

    #Angleterre #UK #asile #migrations #réfugiés
    #offshore_asylum_processing

    –-

    ajouté à la métaliste sur les différentes tentatives de différentes pays européens d’#externalisation non seulement des contrôles frontaliers, mais aussi de la #procédure_d'asile dans des #pays_tiers
    https://seenthis.net/messages/900122

    et ajouté à la métaliste sur la mise en place de l’#externalisation des #procédures_d'asile au #Rwanda par l’#Angleterre (2022) :
    https://seenthis.net/messages/900122

    • UN Refugee Agency opposes UK plan to export asylum

      Following public announcements made today, UNHCR, the UN Refugee Agency, expressed strong opposition and concerns about the United Kingdom’s plan to export its asylum obligations and urged the UK to refrain from transferring asylum seekers and refugees to Rwanda for asylum processing.

      “UNHCR remains firmly opposed to arrangements that seek to transfer refugees and asylum seekers to third countries in the absence of sufficient safeguards and standards. Such arrangements simply shift asylum responsibilities, evade international obligations, and are contrary to the letter and spirit of the Refugee Convention,” said UNHCR’s Assistant High Commissioner for Protection, Gillian Triggs.

      “People fleeing war, conflict and persecution deserve compassion and empathy. They should not be traded like commodities and transferred abroad for processing.”

      UNHCR urged both countries to re-think the plans. It also warned that instead of deterring refugees from resorting to perilous journeys, these externalization arrangements will only magnify risks, causing refugees to seek alternative routes, and exacerbating pressures on frontline states.

      While Rwanda has generously provided a safe haven to refugees fleeing conflict and persecution for decades, the majority live in camps with limited access to economic opportunities. UNHCR believes that wealthier nations must show solidarity in supporting Rwanda and the refugees it already hosts, and not the other way around.

      The UK has an obligation to ensure access to asylum for those seeking protection. Those who are determined to be refugees can be integrated, while those who are not and have no other legal basis to stay, can be returned in safety and dignity to their country of origin.

      Instead, the UK is adopting arrangements that abdicate responsibility to others and thus threaten the international refugee protection regime, which has stood the test of time, and saved millions of lives over the decades.

      The UK has supported UNHCR’s work many times in the past and is providing important contributions that help protect refugees and support countries in conflicts such as Ukraine. However, financial support abroad for certain refugee crises cannot replace the responsibility of States and the obligation to receive asylum seekers and protect refugees on their own territory – irrespective of race, nationality and mode of arrival.

      While UNHCR recognizes the challenges posed by forced displacement, developed countries are host to only a fraction of the world’s refugees and are well resourced to manage claims for asylum in a humane, fair and efficient manner.

      https://www.unhcr.org/news/press/2022/4/62585e814/un-refugee-agency-opposes-uk-plan-export-asylum.html

    • The Border is a Colonial Wound: The Rwanda Deal and State Trafficking in People

      The border is a “colonial wound” that is designed for #bordering and #ordering#b/ordering – of the racialised and illegalised people by any means. The UK’s Nationality and Borders Bill and its subsequent offshore detention deal to deport people desperately seeking refugee to Rwanda is enactment of this exclusive b/ordering regime. One does not need to read between the lines to understand the objectives of the UK’s so-called “#Arrangement” with Rwanda as set out in article 2.1 and 2.2 of the #Memorandum_of_Understanding:

      2.1 The objective of this Arrangement is to create a mechanism for the relocation of asylum seekers whose claims are not being considered by the United Kingdom, to Rwanda, which will process their claims and settle or remove (as appropriate) individuals after their claim is decided…

      2.2 For the avoidance of doubt, the commitments set out… do not create or confer any right on any individual, nor shall compliance with this Arrangement be justiciable in any court of law by third-parties or individuals.

      These b/ordering arrangements pushes refugees and people seeking asylum into spaces of exception and extra-legality through a discriminatory policing at national (e.g., the Nationality and Borders Bill) and bilateral (e.g., the Memorandum of Understanding between the UK and Rwanda) levels. It does so in newly designated detention spaces like Manston, like the mandatory dispersal to Local Authorities announced at the same time as the Rwanda deal, and expansion of the securitised detention estate. Without doubt, these b/ordering arrangements have already become sources of ambivalence, anxiety and uncertainty. They are a source of terror to those who wish to seek asylum and are already arrayed in a precarious state. And if you had seen our direct messages as the announcement was leaked to the press and the fear expressed you can be in no doubt that the aim of terrorising people already placed in highly vulnerable immigration statuses is having a chilling effect.

      John Vine, the UK’s First Independent Chief Inspector of Borders cand Immigration, speaking on Sky News after the Prime Minister’s announcement of the Migration and Economic Partnership Deal with Rwanda, underscored the costs, not only economically, which have been calculated as far exceeding the cost of placing people in the Ritz, but the costs to the human body and the body politic. Deportation can only be affected by using often violent restraint and against the will of the individual. Jimmy Mbenga is the name every activist in the anti-deportation sector holds close when thinking of the ways restrains are effected on the deportees body, with the danger of asphyxiation. Nicolas Proctor’s as inspector of the Australian detention estate, where such off shoring mechanisms have been long in use, writes of the exponential rise in suicide and self harm under such conditions of deportation and detention. The deal is the official instigation of necropolitics, long written of by Achille Mbembe, but now instituted in ‘deals’ and ‘schemes’ and very likely indeed, unless prevented by the House of Lords, to be enacted into law.

      Indeed, the goal of the new national and bilateral arrangements is to create “discounted bodies” or ‘bodies at the limits of life, trapped in uninhabitable worlds and inhospitable places’. In this case, uninhabitability and inhospitality are designed and deliberate. The intention is simply to hold life in a permanent ‘state of injury’ outside any realms of protection and political intelligibility. Whether it be rendering people inadmissible through the legislation or “processing” them in offshore containment spaces, they all amount to necropolitical experimentation.

      Behrouz Boochani’s multi award winning book No Friend But The Mountains documents the destituting of human beings in such centres as the UK has now chosen to replicate. Even more so, his extraordinary film, Chauka, Please Tell Us The Time,

      ‘After a year or two years I found out that the journalism language is not powerful enough to tell the suffering and to tell the history of this prison, and what Australian government is doing in this island’, said Boochani.

      A chauka is a small bird native to Manus Island and is also the name of the high-security prison within the camp. The chauka is a symbol of the island and allows locals to tell the time from the chauka’s regular singing.In a sinister twist, it is pronounced the same as the English word “choker.”

      On April 15, the U.K. joined Australia in becoming a state that traffics people, destituting the bodies and lives of those who claim their right of asylum, and instituting a reign of necropolitics.

      This decision is against the spirit and letter of the Refugee Convention and the legal opinion of UNHCR UK has already expressed grave concerns about the U.K’s obligations as a state as a signatory of the 1951 Convention. In fact, the UNHCR has condemned the deal; ‘People seeking safety and protection, who have few alternatives, should not be penalized’.

      That this is likely to be contested in law and through the courts and will be the site of a great deal of opposition is not in doubt; or that it will eventually be overturned, as with Israel’s failed Rwanda deal and Australia’s failed Manus and Nauru project. But until then, we all have hard work to do.

      https://www.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2022/04/border-colonial
      #discriminations #extra-légalité #coût #violence #santé_mentale #suicides #nécropolitique #inhospitalité #inhabitabilité

    • Rwanda genocide orphans to be booted out of home to make way for UK asylum seekers

      Orphans of Rwanda’s civil war say they have nowhere to go after being turfed out of a hostel under Priti Patel’s cruel Rwanda refugee scheme

      Orphans of the Rwandan genocide will lose their home to make way for refugees being booted out of Britain by Home Secretary Priti Patel.

      Some 22 residents are being turfed out of Hope House hostel to make room for asylum seekers sent to the African country under the proposed scheme.

      As more migrants landed in Dover yesterday, Lib Dem MP Alistair Carmichael said the evictions were “cruel and heartless”.

      Orphans of Rwanda’s civil war say they have nowhere to go after being turfed out of a hostel under Patel’s cruel Rwanda refugee scheme.

      A shelter for traumatised victims of the 1994 conflict is being emptied to make way for asylum seekers being sent from the UK under the controversial Tory plan.

      Although now in their late 20s, the 22 survivors have no money or family and some face lifelong mental health battles. They were given a fortnight’s notice to ship out of the hostel – ironically named Hope House – in capital city Kigali.

      Tonight one vulnerable woman who has lived at the shelter for eight years said: “I barely know any other home. I was only told about moving out a few days ago. I have not figured out where I will go.”

      https://www.mirror.co.uk/news/world-news/rwanda-genocide-orphans-booted-out-26728311

    • Le Royaume-Uni signe un accord avec Kigali pour envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda

      Le Rwanda a signé un accord controversé avec Londres pour accueillir sur son sol des migrants et demandeurs d’asile de diverses nationalités acheminés du Royaume-Uni, a annoncé jeudi Kigali à l’occasion d’une visite de la ministre anglaise de l’Intérieur, Priti Patel. Le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a fait part de « sa forte opposition » au projet britannique.

      Le Royaume-Uni a annoncé, jeudi 14 avril, un projet controversé d’envoyer au Rwanda les demandeurs d’asiles arrivés illégalement sur son territoire et confié la surveillance de la Manche à la Royal Navy, espérant dissuader les traversées de clandestins qui ne cessent d’augmenter.

      Alors que le Premier ministre Boris Johnson avait promis de contrôler l’immigration, un des sujets clés de la campagne du Brexit, le nombre de traversées illégales, très dangereuses, a triplé en 2021 et continue d’augmenter. Londres reproche régulièrement à Paris de ne pas en faire assez pour les empêcher.

      « À partir d’aujourd’hui (...), toute personne entrant illégalement au Royaume-Uni ainsi que ceux qui sont arrivés illégalement depuis le 1er janvier pourront désormais être relocalisés au Rwanda », a annoncé le dirigeant conservateur lors d’un discours dans un aéroport du Kent (sud-est de l’Angleterre).

      Le Rwanda pourra accueillir « des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir », a-t-il ajouté, affirmant que ce pays d’Afrique de l’Est est « l’un des pays les plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ».

      Ce projet, susceptible donc de s’appliquer à tous les clandestins d’où qu’ils viennent (Iran, Syrie, Érythrée...), a suscité des réactions scandalisées des organisations de défense des droits humains, qui dénoncent son « inhumanité ». L’opposition a jugé que le Premier ministre tentait de détourner l’attention après avoir reçu une amende pour une fête d’anniversaire en plein confinement.
      Un accord à 144 millions d’euros

      Désireux de regagner en popularité avant des élections locales en mai, Boris Johnson et son gouvernement cherchent depuis des mois à conclure des accords avec des pays tiers où envoyer les migrants en attendant de traiter leur dossier.

      Une telle mesure est déjà appliquée par l’Australie avec des îles éloignées du Pacifique, une politique très critiquée. Par ailleurs, le Danemark avait également envisagé d’envoyer ses demandeurs d’asile vers des pays africains.

      En vertu de l’accord annoncé jeudi, Londres financera dans un premier temps le dispositif à hauteur de 120 millions de livres sterling (144 millions d’euros). Le gouvernement rwandais a précisé qu’il proposerait aux personnes accueillies la possibilité « de s’installer de manière permanente au Rwanda » si elles « le souhaitent ».

      « Notre compassion est peut-être infinie mais notre capacité à aider des gens ne l’est pas », a déclaré Boris Johnson. Le chef du gouvernement britannique a ajouté que « ceux qui essayent de couper la file d’attente ou abuser de notre système n’auront pas de voie automatique pour s’installer dans notre pays mais seront renvoyés de manière rapide, humaine, dans un pays tiers sûr ou leur pays d’origine ».

      Les migrants arrivant au Royaume-Uni ne seront plus hébergés dans des hôtels mais dans des centres d’accueil à l’image de ceux existant en Grèce, avec un premier centre « ouvrant bientôt », a annoncé Boris Johnson.
      Migrants échangés « comme des marchandises »

      Dans le cadre de ce plan, qui vient compléter une vaste loi sur l’immigration actuellement au Parlement et déjà critiqué par l’ONU, le gouvernement confie dès jeudi le contrôle des traversées illégales de la Manche à la Marine, équipée de matériel supplémentaire. Il a renoncé en revanche à son projet de repousser les embarcations entrant dans les eaux britanniques, mesure décriée côté français.

      En envoyant des demandeurs d’asile à plus de 6 000 kilomètres du Royaume-Uni, le gouvernement veut décourager les candidats au départ vers le Royaume-Uni, toujours plus nombreux : 28 500 personnes ont effectué ces périlleuses traversées en 2021, contre 8 466 en 2020... et seulement 299 en 2018, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur.

      Amnesty International a critiqué une « idée scandaleusement mal conçue » qui « fera souffrir tout en gaspillant d’énormes sommes d’argent public », soulignant aussi le « bilan lamentable en matière de droits humains » de la nation africaine.

      Pour le directeur général de Refugee Action, Tim Naor Hilton, c’est une « manière lâche, barbare et inhumaine de traiter les personnes fuyant la persécution et la guerre ».

      Le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a fait également part de « sa forte opposition » au projet britannique. « Les personnes fuyant la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie. Elles ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour voir leur dossiers traités », a déclaré le HCR dans un communiqué.

      Même dans les rangs conservateurs, les critiques ont fusé, le député Tobias Ellwood estimant sur la BBC qu’il s’agit d’une « énorme tentative de détourner l’attention » des déboires de Boris Johnson dans le « Partygate », ces fêtes organisées dans les cercles du pouvoir pendant les confinements.

      https://www.france24.com/fr/europe/20220414-le-royaume-uni-signe-un-accord-avec-kigali-pour-envoyer-des-deman

    • Le Rwanda déjà engagé dans des projets d’accueil de migrants avec d’autres pays

      Le Rwanda serait-il en train de devenir un sous-traitant de la prise en charge des demandeurs d’asile pour les pays européens ? Le pays vient de signer jeudi 15 avril un accord très controversé avec le Royaume-Uni, qui souhaite y déporter ses migrants clandestins. Pour Kigali, ce n’est pas exactement une première, puisque le Rwanda est déjà engagé depuis plusieurs années dans divers projets d’accueil et de réinstallation de migrants.

      Dès 2014, un accord très opaque avec #Israël crée la polémique. Il prévoit déjà l’envoi de demandeurs d’asiles vers l’#Ouganda et le Rwanda. Mais une fois arrivés en Afrique centrale, beaucoup de ces migrants sont vite repartis. Kigali parle aujourd’hui d’un projet pilote rapidement abandonné, explique notre correspondante à Kigali, Laure Broulard.

      En 2019, Rwanda accepte d’accueillir des réfugiés évacués de #Libye par le HCR, le temps que leur demande d’asile soit examiné par des pays occidentaux. Quelques centaines d’entre eux sont actuellement logés dans un centre d’accueil dans l’Est du pays.

      Plus récemment, Kigali a également reçu des Afghans fuyant les talibans, notamment les élèves et le personnel d’un internat pour jeunes filles. Enfin, le pays est en discussions avec le #Danemark, qui souhaite y externaliser ses demandes d’asile. « Nous sommes disposés à explorer des décisions difficiles avec des partenaires de bonne foi pour pouvoir trouver une solution durable à ces questions de migration illégale », explique le ministre des Affaires étrangères rwandais, Vincent Biruta.

      Autant d’initiatives qui permettent au Rwanda de Paul Kagame, critiqué pour sa répression de la liberté d’expression et de l’opposition, de se faire connaître comme un pays « sûr », accueillant et comme un partenaire intéressant. Dans le cas de l’accord avec le Royaume-Uni, c’est aussi une #opportunité_économique, puisque Londres a déjà promis un investissement de près de 145 millions d’euros pour soutenir le #développement du pays.

      Londres s’attend à des recours en justice

      Mais les réactions d’indignation se multiplient. L’ONU parle d’un projet « irréaliste, immoral et discriminatoire ». Le gouvernement de Boris Johnson pense que son partenariat avec le Rwanda, pour y envoyer les demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni, pourra débuter dans les prochaines semaines. Londres s’attend à des recours en justice, mais l’opposition pourrait même venir du sein même du ministère de l’Intérieur, explique notre correspondante à Londres, Emeline Vin.

      Pour faire approuver le partenariat migratoire entre le Royaume-Uni et le Rwanda, Priti Patel a utilisé une #directive_ministérielle, un mécanisme qui lui permet de passer outre l’opposition de son directeur de cabinet. C’est seulement le deuxième recours par le ministère de l’Intérieur depuis 30 ans.

      Officiellement, il s’agit de contourner les réserves des fonctionnaires, non affiliés politiquement, sur le financement. Le ministère n’a pas de chiffrage précis et certains officiels pensent que « relocaliser », vers le Rwanda, des migrants arrivés illégalement en Grande-Bretagne pour y demander l’asile, risque de coûter plus cher à long terme.

      Mais pour les syndicats, cela montre surtout le caractère ultra-polémique du projet, un élu le qualifiant de « purement inhumain ». Selon un autre, Priti Patel est passée en force, car elle savait qu’elle n’avait pas le soutien de ses équipes. Or, un #fonctionnaire n’a que le choix d’appliquer les politiques de son ministère ou de quitter son poste. Le gouvernement a présenté le programme à la veille du weekend pascal, qui dure du vendredi au lundi ici, mais s’attend à des recours en justice. 160 ONG l’ont déjà appelé à renoncer.

      https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220416-le-rwanda-d%C3%A9j%C3%A0-engag%C3%A9-dans-des-projets-d-accueil-de-migr
      #sous-traitance #réfugiés_afghans #Afghanistan #passage_en_force

    • Arrangement Royaume-Uni/Rwanda : externaliser l’asile en Afrique, arme de dissuasion massive en Europe

      Par une mesure urgente de suspension du 14 juin 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme vient rappeler au Royaume-Uni qu’il est toujours soumis au respect du droit international de l’asile. Que ce soit au Royaume-Uni ou dans les Etats membres de l’Union européenne, l’heure n’est plus à l’accueil et la course au renvoi des personnes exilées bat son plein.

      L’externalisation de l’asile au Rwanda était l’une des principales mesures du « plan immigration » du Royaume-Uni, présentée le 14 avril 2022, et censée dissuader les traversées « irrégulières » de la Manche. Mais les recours des plaignant.e.s – majoritairement originaires de Syrie, Irak et Iran – et de leurs soutiens, auront finalement payé : le 14 juin, par des mesures provisoires, la Cour européenne des droits de l’Homme a empêché in extremis le départ du premier vol de demandeur.se.s d’asile « transféré.e.s » du Royaume-Uni au Rwanda [1], sauvant ce qu’il reste du principe de non-refoulement. Mais au vu de la détermination britannique, ce n’est sans doute que partie remise…

      Car les velléités « d’accueillir » les exilé.e.s au plus loin du territoire européen sont profondes et anciennes [2]. Dès 1986, le Danemark proposait un système de gestion des demandes d’asile dans des centres de traitement régionaux, administrés par les Nations Unies, dans lesquels auraient été systématiquement placé.e.s les demandeur.se.s d’asile ayant franchi la frontière « irrégulièrement ». En 2003, s’inspirant de la décriée « Solution pacifique » australienne [3], Blair évoquait des « centres de transit » hors Europe pour y envoyer les demandeurs et demandeuses d’asile avant qu’ils et elles n’atteignent le sol européen.
      En 2022, c’est devenu une réalité pour le Royaume-Uni de Johnson : les exilé.e.s pourront voir leur demande de protection jugée irrecevable s’ils ou elles sont arrivé.e.s sur le sol britannique en dehors des postes frontières habilités, après un voyage "dangereux", ou en provenance d’un pays tiers sûr, et pourront être envoyé.e.s au Rwanda, où ils et elles pourront déposer une demande d’asile. Si la décision est positive, le Rwanda deviendrait alors pays d’accueil et de protection pendant cinq ans, dans le cadre du protocole d’accord entre les deux pays, en échange de 120 millions de livres versées par le Royaume-Uni [4]
      Avec cet arrangement, le Royaume-Uni fait un pas de plus dans la violation du principe de non-refoulement, pierre angulaire du droit d’asile.
      Il n’est pas, loin s’en faut, le seul État à avancer dans cette direction. Depuis plusieurs années, les États européens ont choisi leur « accueil », normalisant les refoulements aux frontières de l’Europe et multipliant les accords formels ou non avec les pays du Sud global, sous le regard placide des institutions européennes et/ou avec leur participation.

      Un cap a été franchi en la matière en 2016 avec la Déclaration UE/Turquie, permettant le renvoi vers la Turquie des exilé.e.s arrivé.e.s sur les îles grecques, y compris celles et ceux pour qui la Turquie était considérée comme un pays tiers sûr. En 2018, la Commission européenne propose d’instaurer dans les pays d’Afrique du Nord des « plateformes de débarquement régionales » pour « sauver des vies » et trier les exilé.e.s en amont des eaux et du territoire européens [5], mais doit abandonner le projet face au refus de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie de jouer le jeu.
      Mais en février 2020, dans une décision favorable aux autorités espagnoles – qui avaient procédé en 2017 à des refoulements à la frontière terrestre avec le Maroc –, la Cour européenne des droits de l’Homme entérine – au mépris de la Convention de Genève (art. 31) – l’impossibilité de déposer une demande d’asile en cas de « franchissement illégal d’une frontière » [6] . En octobre 2021, la Pologne légalise à sa frontière les refoulements de celles et ceux qui l’auraient traversée « illégalement », n’hésitant pas à cette occasion à remettre en cause la primauté du droit européen sur le droit national [7].

      Ici, de nouveau sous le prétexte fallacieux de « sauver des vies » en leur évitant les risques d’une traversée périlleuse, le Royaume-Uni valide la « relocalisation » vers le Rwanda d’exilé.e.s déjà présent.e.s sur le sol européen, et dont les demandes de protection ont été jugées irrecevables sans examen au fond. Ce faisant, le Royaume-Uni part du principe que le Rwanda – qui accueille depuis 2019 le programme d’urgence du HCR visant à évacuer les personnes les plus vulnérables des centres de détention libyens pour les placer dans des centres de transit d’urgence (dans le cadre du mécanisme de transit d’urgence - ETM) – est un pays tiers « sûr », tant pour ses ressortissant.e.s que pour les personnes étrangères qui y sont renvoyées. Ce, malgré les vives critiques de l’opposition politique sur les atteintes aux droits in situ, notamment à la liberté d’expression et des personnes LGBTI+ [8].

      Le Brexit aura sans doute permis au Royaume-Uni de s’affranchir en partie du socle européen de la protection internationale et de se défausser de ses responsabilités en matière d’accueil.
      Mais l’asile est attaqué de toutes parts, y compris par les États membres de l’Union. Ainsi, le Danemark a-t-il également conclu en avril 2021 un Protocole d’entente avec le Rwanda, et adopté en juin 2021 une loi lui permettant d’externaliser l’examen de la demande d’asile, en transférant les demandeur⋅euse⋅s qui seraient déjà arrivé⋅e⋅s sur son territoire vers des centres situés hors UE, moyennant finances [9]

      En pratique, l’externalisation de l’asile revient, pour les États, à piétiner leurs obligations en matière d’accueil et de protection internationale, et à vider de son sens les principaux instruments de protection internationaux (Convention de Genève et Convention européenne des droits de l’Homme) – auxquels le Royaume-Uni est toujours soumis, comme vient de lui rappeler la Cour européenne des droits de l’Homme.
      Cette logique de marchandage propre à l’externalisation permet aussi à des régimes autoritaires non-européens de se renflouer économiquement et d’être réhabilités au niveau diplomatique en tant que partenaires légitimes auprès de l’UE, ici le Rwanda vivement critiqué sur la restriction des libertés de ses ressortissant.e.s.

      L’externalisation de l’asile est contraire à la lettre et à l’esprit de la Convention de Genève, et sape le régime mondial d’accueil des réfugié.e.s. Elle est contraire à la liberté de chacun.e de choisir librement le pays d’accueil dans lequel il ou elle souhaite demander une protection et s’établir, et est en outre aux antipodes de la solidarité : le Royaume-Uni et le Danemark comptent parmi les pays les plus riches du monde et accueillent beaucoup moins d’exilé.e.s que de nombreux autres États bien plus pauvres, notamment en Afrique. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, [10].

      La politique cruelle et éhontée consistant à renvoyer depuis le Nord les demandeurs et demandeuses d’asile vers un pays du Sud situé à des milliers de kilomètres doit être condamnée et combattue avec détermination, au nom de l’accueil de tou.te.s, et pour que vive le droit d’asile.

      https://migreurop.org/article3108

    • Le président rwandais instrumentalise les droits des réfugiés

      Le Royaume-Uni devrait annuler l’accord sur les demandeurs d’asile

      Cette semaine, le président rwandais Paul Kagame a lancé un avertissement sans ambages aux réfugiés fuyant la recrudescence de la violence en République démocratique du Congo : « Nous ne pouvons pas continuer à accueillir des réfugiés pour lesquels, plus tard, nous serons tenus responsables d’une manière ou d’une autre, ou attaqués. »

      La déclaration du président illustre crûment la politisation des droits des réfugiés opérée par le gouvernement rwandais. Elle intervient à un moment où le Rwanda vient de conclure un accord peu scrupuleux d’un montant de 120 millions de livres (environ 145 millions de dollars) avec le Royaume-Uni pour accueillir des demandeurs d’asile arrivés au Royaume-Uni par des voies « irrégulières ». Outre avoir tenté d’édulcorer le bilan du Rwanda en matière de droits humains, les autorités britanniques ont cherché à justifier leur politique en affirmant que le Rwanda a une solide expérience en ce qui concerne l’accueil de réfugiés – dont environ 76 000 sont issus de la RD Congo voisine. En réalité, le gouvernement britannique ignore délibérément les faits.

      Comme il le faisait déjà il y a dix ans, le Rwanda soutient la rébellion du M23 dans l’est de la RD Congo. La reprise des hostilités par le M23, l’armée congolaise et divers autres groupes armés a contraint plus de 520 000 personnes à fuir leurs foyers, selon les Nations Unies. De récentes enquêtes menées par le groupe d’experts des Nations Unies sur le Congo, ainsi que des recherches de Human Rights Watch, ont identifié des preuves selon lesquelles le Rwanda ne se contente pas seulement de fournir un soutien logistique au M23, mais intervient également directement sur le sol congolais avec ses propres troupes pour renforcer les rangs du groupe armé ou combattre à ses côtés.

      Les propos de Paul Kagame font peut-être référence aux meurtres d’au moins 12 réfugiés congolais dans le camp de réfugiés de Kiziba, au Rwanda, en février 2018, lorsque la police a tiré à balles réelles sur des réfugiés qui protestaient devant le bureau de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) du district de Karongi, dans la province de l’Ouest.

      Ses dernières déclarations témoignent du refus des autorités de prendre leurs responsabilités et d’assurer que justice soit rendue pour les abus perpétrés par les forces de sécurité rwandaises, y compris à l’encontre de réfugiés. L’enquête de la commission nationale des droits humains sur les meurtres de 2018 a étouffé l’affaire et personne n’a été tenu pour responsable à ce jour. Au lieu de cela, la police rwandaise a arrêté plus de 60 réfugiés et les a accusés de participer à des manifestations illégales, de se livrer à des violences contre les autorités publiques et à des actes de rébellion, puis de désobéir aux forces de l’ordre. Certains ont également été accusés de « propagation d’informations mensongères en vue de provoquer l’hostilité de l’opinion internationale vis-à-vis de l’État rwandais ».

      Les dernières attaques de Paul Kagame contre les droits humains, cette fois contre ceux des réfugiés, ne font que s’ajouter à la liste des preuves attestant que le Rwanda n’est pas un partenaire international fiable et de bonne foi, et que le projet du Royaume-Uni d’envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda est fondé sur des contre-vérités et une politique cynique.

      https://www.hrw.org/fr/news/2023/01/11/le-president-rwandais-instrumentalise-les-droits-des-refugies

      #Paul_Kagame #Kagame #responsabilité

  • Asile, une industrie qui dérape

    Le traitement des demandes d’asile en Suisse est devenu une véritable industrie, avec des #centres_fédéraux gérés principalement par des sociétés privées. Employés mal payés, manque cruel de formation, dérapages violents, dérives bureaucratiques, accès aux soins problématique : des témoignages et des documents d’enquêtes pénales inédits permettent de percer la boîte noire des centres fédéraux d’asile.

    https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/12754866-asile-une-industrie-qui-derape.html

    #Budget de fonctionnement des centres : 215 millions en 2021, dont 57 mio à l’encadrement et 60 millions à la sécurité (min 53’50) :

    Dans le reportage, l’histoire de #Sezgin_Dag est racontée. Sezgin décède dans un taxi qui était en train de l’amener à l’hôpital (à partir de la minute 3’06).

    #asile #migrations #réfugiés #privatisation #business #Suisse #ORS #Protectas
    #violence #accélération_des_procédures #procédures_accélérées #accès_aux_soins #souffrance #témoignage #industrie_de_l'asile #business #SEM #Securitas #coût #dysfonctionnement #Boudry #cellule_de_réflexion #décès #morts #suicides #automutilations #traumatismes #dérapages #Gouglera #injures #violence_systématique #frontaliers #conditions_de_travail #plan_d'exploitation_hébergement (#PLEX) #fouilles #nourriture #alimentation #punitions #privations_de_sortie #mesures_disciplinaires #horaires #pénalité #formation #spray #agents_de_sécurité #salaires #centres_pour_récalcitrants #récalcitrants #Verrières #centres_spécifiques #centre_des_Verrières #disparitions #délinquance #optimisation #sécurité #prestations #société_anonyme

    –-
    Ajouté à la métaliste sur #ORS en Suisse :
    https://seenthis.net/messages/884092

  • South Korea cuts human interaction in push to build ‘untact’ society | South Korea | The Guardian
    https://www.theguardian.com/world/2021/dec/10/south-korea-cuts-human-interaction-in-push-to-build-untact-society

    The government invests heavily to remove human contact from many aspects of life but fears of harmful social consequences persist

    For Seoul-based graduate Lee Su-bin, the transition to a new lifestyle during the pandemic was no big deal.

    “At the university library, I would reserve my books online, which would then be sanitised in a book steriliser before being delivered to a locker for pick up,” the 25-year-old says.

    “Untact has made many aspects of life so convenient.”

    Introduced in 2020, “Untact” is a South Korean government policy that aims to spur economic growth by removing layers of human interaction from society. It gathered pace during the pandemic and is expanding rapidly across sectors from healthcare, to business and entertainment.

    The push to create contactless services is designed increase productivity and cut bureaucracy but has also fuelled concerns over the potential social consequences.

    #productivité #sans_contact, Pôle emploi, nos cartes bleues, la Corée, ...

  • Atteinte au #secret_des_sources : #StreetPress dans le viseur de la #police | StreetPress
    https://www.streetpress.com/sujet/1638442032-atteinte-secret-sources-streetpress-journalistes-viseur-poli

    Depuis plusieurs semaines, le parquet de Paris tente par tous les moyens d’identifier une #source de StreetPress : convocation de la journaliste, réquisition judiciaire… StreetPress s’insurge contre cette atteinte grave à la liberté d’informer.

    Depuis plusieurs semaines, la police et le parquet de Paris tentent d’identifier la source d’un article publié sur StreetPress. Pour arriver à ses fins, elle multiplie les #procédures et fait pression sur nos #journalistes et notre #média.

  • #Nucléaire : un cadre de la centrale du Tricastin dénonce une « politique de dissimulation » d’incidents de sûreté
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/11/12/nucleaire-un-cadre-de-la-centrale-du-tricastin-denonce-une-politique-de-diss
    #criirad

    L’accusation n’émane ni d’une organisation #antinucléaire ni d’une association de défense de l’#environnement. Pour la première fois, c’est un cadre d’EDF, ancien membre de la direction d’une centrale nucléaire française, celle du Tricastin (Drôme), qui a décidé de briser le silence et de saisir la justice pour dénoncer ce qui, selon lui, s’apparente à une « politique de dissimulation » d’incidents et d’écarts en matière de sûreté. Une démarche inédite dans un milieu tenu au secret. Selon les informations du Monde, une plainte a été déposée au début d’octobre devant le #tribunal_judiciaire de Paris. Elle vise #EDF et la direction de la centrale du Tricastin aux chefs de « mise en danger de la vie d’autrui », « #infractions au code pénal, au code de l’environnement, au code du travail et à la #réglementation relative aux installations nucléaires » et « harcèlement ».

    Le plaignant espère que la justice reconnaîtra son statut de #lanceur_d’alerte. En attendant, toujours #salarié d’EDF, il souhaite garder l’anonymat – nous l’appellerons Hugo. Le Monde a pu le rencontrer, à plusieurs reprises. D’emblée, et malgré la gravité des faits qu’il dénonce, Hugo se présente comme « un amoureux du nucléaire ». Mais un amoureux aujourd’hui « tiraillé », « déchiré », qui tente de cacher sa nervosité derrière un large sourire. Cet homme d’une quarantaine d’années apparaît profondément éprouvé par les événements dont il a été témoin, puis #victime : il affirme, en effet, avoir subi un #harcèlement pendant plusieurs années en raison, notamment, de son refus de « couvrir » certaines tentatives de dissimulation.

    Sa plainte fait figure de dernier recours après qu’il a essayé, en vain, de parvenir à une solution en interne, en alertant la direction de la centrale, celle du groupe ainsi que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Contactés par Le Monde, EDF explique ne pas « faire de commentaires s’agissant des propos rapportés par un salarié » et l’ASN conteste toute dissimulation. La direction de la centrale du Tricastin n’a pas souhaité réagir.

    « Cette plainte rappelle que le lanceur d’alerte est une #vigie_démocratique plus que jamais indispensable lorsque l’opacité qui règne dans le nucléaire sert d’alibi pour dissimuler des graves atteintes à l’intérêt général et à l’environnement », expliquent les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth, qui accompagnent Hugo dans sa démarche avec l’association franco-américaine de soutien aux lanceurs d’alerte The Signals Network.

    Le parcours d’Hugo est celui d’un pur produit du nucléaire français. Entré chez EDF au début des années 2000, il gravit très vite les échelons jusqu’à prendre, à moins de 35 ans, la tête du service sûreté de l’une des dix-huit centrales du pays. Preuve de la reconnaissance de ses qualités professionnelles, c’est lui qu’on envoie représenter l’entreprise lors de réunions de l’Agence internationale de l’énergie atomique ou de salons internationaux. Fin 2016, bardé d’états de service élogieux, il est nommé au sein de la direction de la centrale du Tricastin.

    Cette centrale, mise en service en 1980, est l’une des plus vieilles de France. Se profile alors la quatrième visite décennale du réacteur numéro un, programmée en 2019. L’enjeu est de taille pour EDF : ce réacteur est le premier des trente-deux réacteurs de 900 mégawatts (MW) du parc à passer sa « visite des 40 ans », qui doit permettre de prolonger son activité de dix ans – si la réglementation française ne prévoit pas de durée de vie maximale des réacteurs, une partie des équipements a été conçue, à l’origine, selon une hypothèse de quarante ans de fonctionnement.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Nucléaire : l’ASN pose ses conditions pour une prolongation de la durée de vie des réacteurs

    Pour EDF, rappelle Hugo, il est « inenvisageable » de rater ce rendez-vous, qui s’accompagne d’une enquête publique. Or, la centrale du Tricastin est dans le collimateur de l’ASN depuis quelques années en raison de la multiplication d’incidents, au point d’avoir été placée sous « surveillance renforcée » en 2017. Chaque centrale est, en effet, classée en fonction de ses résultats en matière de sûreté, d’environnement, de radioprotection, d’accidentologie et de production : celle du Tricastin est dans les dernières places. Au premier trimestre 2017, un nouveau directeur arrive avec pour mission de redresser la barre. « La pression était maximale, dit Hugo. Il a fallu mettre en œuvre tous les moyens pour améliorer les résultats en vue de la validation de la visite du réacteur numéro un. » Quitte à passer sous silence ou à minimiser certains incidents au mépris des règles fondamentales de sûreté.

    Volonté de la direction

    De nombreux documents, que Le Monde a pu consulter, témoignent de la volonté de la direction de dissimuler à l’ASN des événements, ou en tout cas d’atténuer leur ampleur, ou de les déclarer avec retard – comme l’avait révélé en partie Mediapart en 2019. L’exemple le plus spectaculaire date de l’été 2018. Dans la nuit du 29 au 30 août, le chef d’exploitation fait état, dans un e-mail, d’une « inondation interne dans plusieurs locaux et sur trois niveaux » survenue dans l’un des bâtiments électriques de la centrale, et atteignant 10 centimètres d’eau. Il explique que les prélèvements réalisés ne contiennent pas d’activité radioactive, « sauf dans un local », et que « du matériel sensible au niveau sûreté est présent ». Il s’agit notamment de vannes de l’alimentation de secours des générateurs de vapeur, l’un des systèmes de sauvegarde les plus importants en cas d’accident. Selon son compte rendu, l’incident n’est « toujours pas soldé vingt-quatre heures après sa découverte » et « les moyens humains et surtout matériels ne sont pas à la hauteur de l’enjeu », ce qu’il juge « inacceptable ». C’est avec de simples raclettes et un aspirateur emprunté à un prestataire de nettoyage que les agents d’EDF tentent de résorber l’inondation.

    Hugo découvre cet e-mail, ainsi que des photos et vidéos prises pendant la nuit, le lendemain matin. « Mon supérieur vient me voir et me dit : “Mais c’est quoi ce con de chef d’exploitation qui envoie un e-mail à la Terre entière ?” », rapporte-t-il. Le 31 août a lieu une inspection de l’ASN, prévue de longue date. Alors qu’Hugo s’apprête à expliquer ce qui s’est passé, son chef lui demande de quitter la réunion. Il découvrira seulement plus tard ce qui a été dit aux inspecteurs, en lisant le compte rendu de l’Autorité de sûreté nucléaire daté du 16 octobre : celui-ci fait état non pas d’une inondation mais de « quelques écoulements » qui ont été « immédiatement arrêtés ». Pour Hugo, il est clair, à la lecture de cette version, que la durée de l’événement, sa gravité et le manque de moyens pour y faire face ont été largement minimisés.

    « Le compte rendu du chef d’exploitation a été écrit à chaud dans la nuit, explique aujourd’hui Christophe Quintin, inspecteur en chef à l’ASN. Si j’enlève le facteur [de son] “énervement”, les présentations qui sont faites de l’événement sont cohérentes. » En 2019, l’ASN avait toutefois reconnu que le « manque de moyens de nettoyage n’avait pas été évoqué lors de l’inspection ». Depuis 2017, le « gendarme du nucléaire » avait également demandé à deux reprises à EDF de résoudre le problème de l’étanchéité des joints entre les bâtiments, considérant ces derniers comme « importants pour la protection de l’environnement afin d’éviter toute dispersion d’effluents et de produits dangereux ». En vain.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire s’inquiète d’un « recul de la rigueur dans l’exploitation des centrales »

    Non-respect des #procédures généralisé

    Deux semaines après la fuite, un autre incident intervient, lié à la non-fermeture d’une vanne. Ce jour-là, comme le veut la procédure, le chef d’exploitation de permanence et l’ingénieur de sûreté, une sorte de « gendarme du nucléaire » local, confrontent leurs analyses : tous deux conviennent qu’il s’agit d’un « événement significatif de sûreté », qui doit donc être déclaré automatiquement. Malgré leur accord, la direction demande une deuxième « confrontation », contrevenant ainsi aux règles. Les deux responsables maintiennent leur position, mais les directeurs persistent et ne déclareront pas l’incident. L’ASN affirme ne pas avoir retrouvé de traces d’échanges avec EDF concernant cet événement. « Si on n’a rien trouvé, c’est qu’on ne l’a pas vu en inspection », commente Christophe Quintin.

    Ce non-respect des procédures semble relever de pratiques généralisées, plutôt que de situations isolées. Un responsable des ingénieurs sûreté s’inquiète auprès d’Hugo des pressions de la direction : « Les ingénieurs sûreté en ont marre que les chefs d’exploitation baissent leur pantalon pour éviter [de déclarer] des événements significatifs de sûreté. » Ainsi, en décembre 2017, le repli d’un réacteur – la pression et la température de son circuit primaire sont abaissées en raison de l’indisponibilité d’une pompe – n’est pas déclaré. L’ASN a toutefois la possibilité, a posteriori, de revenir sur la caractérisation des incidents : en mars 2018, elle affirme ainsi que ce repli aurait dû être déclaré « sans ambiguïté » et demande à l’exploitant de le faire « dans les plus brefs délais ». S’il paraît anodin, ce retard de déclaration de quelques mois ne l’est pas : signalé en 2018, il n’apparaît pas dans le bilan annuel 2017 du #Tricastin. Dans la même note, l’ASN s’interroge officiellement sur « l’écoute de la filière indépendante de sûreté par les représentants de la direction lorsque ceux-ci doivent arbitrer le caractère déclaratif ou non de certains événements ».

    Un autre exemple, encore. Le 15 juin 2017, le réacteur numéro un fonctionne au-delà de la puissance maximale autorisée pendant quarante-cinq minutes. Une situation qui aurait dû être signalée dans les quarante-huit heures – c’est le cas dès que la surpuissance excède six minutes. Elle ne sera déclarée que le 2 août. Pourtant, la direction de la centrale du Tricastin connaît bien le problème : alors que les cas de surpuissance sont rares à l’échelle du parc français, la centrale en a déjà connu deux cette année-là, le précédent ayant même duré six heures. En cas de répétition d’un même événement significatif, l’exploitant peut être amené à déclarer ce dernier en niveau 2 sur l’échelle INES, graduée de 0 à 7 en fonction de la #gravité. Les événements de #niveau_2 sont très rares.

    « Quand il y a un nouvel événement de surpuissance le 15 juin, ce n’est même plus qu’on serre les fesses, se remémore Hugo. La direction nous dit clairement qu’il est hors de question qu’on ait un incident de niveau 2. » Le Monde a pu consulter un SMS envoyé par un supérieur d’Hugo, le 3 juillet. La consigne ne laisse pas de place à interprétation : « Il faut démonter ce qui s’est passé ce jour-là en mesurant sans prendre l’EC [soit la valeur du capteur utilisé dans le calcul de puissance thermique] pour démontrer que moins de six minutes. »
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Dans la centrale nucléaire du Tricastin, un problème électrique a accru le risque d’accident grave
    Recours à l’intimidation

    Pour tenter de minimiser les écarts de #sûreté, la direction de la centrale du Tricastin peut également avoir recours à l’intimidation, rapporte Hugo. En juillet 2018 a lieu une visite de l’inspection nucléaire (IN), une unité spécifique chargée d’évaluer le niveau de sûreté des centrales, tous les trois ans environ, par le biais d’un audit d’envergure appelé « évaluation globale d’excellence » et pouvant durer plusieurs semaines. Ordre aurait alors été donné de mettre toute la pression possible sur l’un des inspecteurs pour le « pousser à bout et le dégager », raconte Hugo. Il reconnaît d’ailleurs avoir « participé au jeu » : un soir, le rendez-vous avec l’inspecteur s’éternise au lieu d’être expédié en une demi-heure.

    Un SMS témoigne du fait que la direction a donné rendez-vous à Hugo pour « traiter son cas au gars de l’IN ». « On te donne un ordre, tu le fais. Le fonctionnement d’une centrale, c’est très militaire, le directeur est le seul maître à bord. J’ai dû me montrer dur avec quelqu’un qui faisait juste son boulot », regrette Hugo.

    Au-delà de la gravité potentielle des différents incidents, ces pratiques remettent en cause le principe même de la sûreté. Le « gendarme » du nucléaire n’étant pas présent en permanence dans les centrales, le système est fondé sur le processus de déclaration par EDF et sur la transparence. « La sûreté, ce n’est pas qu’une question d’événements ou de valeurs qu’on dépasse, insiste Hugo, c’est une culture. On a tellement bien dissimulé certains incidents que l’ASN ne les a pas vus, c’est très grave. »

    L’ASN, de son côté, conteste cette analyse. « Il est normal qu’il y ait, à certaines périodes, des écarts d’appréciation entre l’ASN et l’exploitant, assure Christophe Quintin. Au Tricastin, il y a effectivement eu en 2017 et 2018 pas mal de divergences, mais elles ont été portées à la connaissance de l’ASN et n’ont pas été mises sous le tapis. Pour tous les événements qui n’avaient pas été déclarés, l’exploitant avait des explications rationnelles. » Egalement contacté par Le Monde, EDF se contente de rappeler que la sûreté des centrales est « la priorité » du groupe et que « la transparence et le respect de la réglementation sont scrupuleusement appliqués et respectés sur tous les sites ».

    Concernant plus particulièrement le Tricastin, l’entreprise souligne que le nombre d’événements significatifs déclarés par la centrale est « stable depuis plusieurs années » et que les bilans sûreté réalisés par l’ASN « ne font aucun état de non-respect du principe de transparence ».
    Entretien avec le physicien Bernard Laponche : Article réservé à nos abonnés « L’état du parc nucléaire français est préoccupant »
    Accidents de travail avec arrêt non transmis

    Un autre aspect de ce que Hugo qualifie de stratégie de dissimulation repose sur la non-déclaration des accidents de travail avec arrêt. Le mode opératoire est souvent le même : si un salarié se voit remettre une déclaration d’accident avec arrêt, signifiant que son état de santé ne permet pas une reprise du travail, la direction met la pression sur ses chefs pour que l’arrêt ne soit pas transmis. Il est alors demandé au salarié de rester chez lui le nombre de jours prévus par le médecin. En cas de suspicion par l’inspection du travail, la direction a la parade : elle explique que le salarié a accepté un « aménagement de poste ».

    L’aménagement de poste sous-entend que celui-ci soit prévu en amont de la délivrance d’un accident du travail avec arrêt, que les conditions dudit poste soient validées par un médecin et, bien entendu, que le poste en question ne soit pas fictif. Hugo indique avoir été témoin d’événements fréquents pour lesquels ces conditions n’étaient pas respectées.

    Ces derniers s’intensifient avant la visite décennale. Le samedi 9 juin 2018, un technicien est victime d’un malaise alors qu’il intervient en salle des machines. Sa tenue vapeur est insuffisamment ventilée pour faire face aux très fortes températures. Selon le médecin qui l’examine, le diagnostic vital aurait pu être engagé : la température corporelle du salarié a atteint 41 °C. Il lui remet un certificat d’accident du travail avec arrêt. Pourtant, deux jours plus tard, la direction déclare l’accident auprès de la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) sans arrêt de travail et explique que le salarié a été mis au repos le dimanche avant de reprendre son activité le lendemain.

    Le 18 septembre, un autre accident se produit au sein de la même équipe. Un salarié heurte violemment une vis qui dépasse d’une vanne et est amené aux urgences avec une plaie à la jambe. « Peux-tu suivre avec attention le blessé sur cette fin d’après-midi ? Je suis persuadé que dans le pire des cas un maintien dans l’emploi peut répondre à la situation », demande par SMS un membre de la direction, alors que l’agent n’a pas encore été examiné. Nouveau SMS en fin de journée du supérieur hiérarchique d’Hugo : « L’agent est sorti de l’hôpital sans déchirure grave. Huit jours d’arrêt. La balle est dans votre camp pour le poste aménagé, pas de problème pour tout aménagement. » Le lendemain, la direction transmet à la CPAM une déclaration d’accident du travail sans arrêt.

    Parfois, la stratégie échoue. Le 11 janvier 2018, une chute, un séjour à l’hôpital, un arrêt de travail d’une semaine. Mais le salarié a aussitôt transmis l’arrêt au médecin-conseil. La pression est mise sur les équipes pour rattraper le coup. « On a essayé de faire modifier au médecin de l’hôpital la déclaration, mais il refuse pour question de déontologie. J’ai fait tout ce que l’ai pu », commente, contrit, un adjoint du service d’Hugo dans un échange de SMS. « On va se faire allumer ! », répond un autre. « Attention, un jour, cela apparaîtra que la pression pour ne pas déclarer est démesurée. Il faudra assumer », ajoute un chef de service délégué.

    Cette stratégie de non-déclaration répond à un objectif : l’accidentologie, et plus précisément le taux de fréquence des accidents du travail avec au moins un jour d’incapacité de travail, est un paramètre pris en compte, avec une pondération importante, dans le classement des centrales. Un classement à soigner pour réussir la visite décennale. En 2018, le taux de fréquence du Tricastin est particulièrement bas : 2,7. Plus de deux fois moins que celui d’un secteur comme la banque et l’assurance (6,8), pourtant beaucoup moins à risque.
    Mise à l’écart brutale

    Le refus d’Hugo de « collaborer » à l’ensemble de ces dissimulations va entraîner, selon lui, sa mise à l’écart brutale. Le 25 septembre 2018, peu après l’inondation, il est convoqué par son supérieur, qui lui demande de rédiger un e-mail expliquant qu’il quitte ses fonctions pour raisons personnelles. Hugo refuse, mais, le lendemain matin, son départ est annoncé publiquement devant le personnel. Progressivement, Hugo n’est plus invité aux réunions, disparaît de l’organigramme de la direction, est retiré des listes de diffusion des chefs de service… A bout, il est victime d’une crise de spasmophilie dans son bureau, le 4 octobre, et mis en arrêt de travail. Le premier d’une longue série. « Là, j’ai compris qu’ils allaient me faire taire, dit aujourd’hui Hugo, les nerfs toujours à vif. On a voulu me détruire. »

    Le harcèlement que Hugo évoque passe aussi par des « intimidations » (« une connerie et t’es tondu », envoyé par SMS en pleine réunion) et des « insultes » répétées (« petite nature », « triple nul »). Hugo informe sa direction de la situation. « Ne te mets pas une pression démesurée. Tu n’es pas harcelé », tranche celle-ci, dans un SMS. Il informe les syndicats, saisit l’inspection du travail. Dans le nucléaire, les inspecteurs du travail sont les inspecteurs de l’ASN. Une enquête est diligentée. Elle conclura, en mars 2019, à l’issue d’une soixantaine d’entretiens, que « la pratique de harcèlement moral (…) n’a pas été établie », tout en pointant « des dysfonctionnements au niveau collectif ». « Ces situations sont traitées avec attention, car il n’y a jamais de fumée sans feu et les torts sont toujours partagés, assure Christophe Quintin. L’ASN a proposé un certain nombre d’actions de management à la direction de la centrale au terme de son enquête. »

    Trois jours avant sa date de reprise prévue le 10 décembre, Hugo apprend par un SMS que la direction a l’intention de lui proposer une autre « mission » : un poste de « chef de projet senior ». Il conteste, veut retrouver son poste. Las. Les syndicats l’informent que la direction envisage désormais une « mutation d’office ». L’argument ? « Protéger » sa santé. L’état physique et mental d’Hugo se dégrade. Il est de nouveau arrêté, mais toujours déterminé à retrouver son poste. Le 2 avril 2019, le médecin-conseil de l’Assurance-maladie valide sa reprise du travail. Lorsqu’il se présente, le 4 avril, à la centrale, son employeur le redirige vers le médecin du travail. Ce dernier confirme l’aptitude, mais dans un « contexte professionnel » hors de son service. Depuis, Hugo, qui a contesté en vain ledit certificat médical devant les prud’hommes, attend toujours de reprendre le travail.

    Que savait la direction d’EDF de la situation au Tricastin ? En octobre 2018, Hugo obtient un rendez-vous avec la direction du parc nucléaire. Il expose, une nouvelle fois, les « pratiques dangereuses » qu’il avait déjà relatées par e-mail et SMS. « Tout serait tellement plus simple, et probablement moins douloureux, si tu acceptais un autre poste », lui rétorque-t-on par SMS. Le 23 mai 2019, son avocat alerte le président d’EDF, Jean-Bernard Lévy. Le courrier est clair : il mentionne des manquements graves au principe de sûreté nucléaire, de transparence nucléaire ou au regard des normes environnementales, la volonté de la direction de la centrale du Tricastin de cacher certains événements et la situation de harcèlement moral dont est victime son client. La réponse parvient le 8 juillet 2019 : pour la direction du groupe, « aucun début d’éléments » ne permet de « caractériser l’existence » des faits dénoncés.

    En désaccord total, Hugo s’interroge quant à son avenir, qu’il continue malgré tout à imaginer dans le nucléaire. Le futur du #parc français est, lui aussi, en pleine redéfinition. Le président, Emmanuel Macron, a confirmé mardi 9 novembre vouloir lancer la construction de nouveaux réacteurs. En février, l’ASN a également ouvert la voie à la poursuite de l’exploitation des réacteurs les plus anciens au-delà de quarante ans. Cet avis générique doit être complété par des réexamens au cas par cas de chacun des trente-deux réacteurs, qui ont commencé en 2019 et doivent se poursuivre jusqu’en 2031. La quatrième visite décennale du #réacteur numéro un du Tricastin, qui a mobilisé près de 5 000 intervenants pendant six mois, a été jugée « assez satisfaisante » par le « gendarme du nucléaire ». Une nouvelle enquête publique doit avoir lieu au premier trimestre 2022 à propos de sa prolongation, avant que celle-ci ne soit validée officiellement.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Emmanuel Macron acte son choix en faveur du nucléaire à cinq mois de la présidentielle

    Stéphane Mandard et Perrine Mouterde

  • Violences sexuelles et sexistes : les enquêtes se multiplient dans l’#enseignement_supérieur, sommé d’agir

    En publiant un vade-mecum pour les #enquêtes_administratives, l’#inspection_générale_de_l’éducation, du sport et de la recherche veut inciter les établissements à mettre un coup d’arrêt aux violences sexuelles et sexistes, objet de multiples saisines depuis plusieurs mois.

    C’est le tournant #metoo de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (#IGÉSR) : en partageant, comme un modèle, lundi 27 septembre, un #guide très détaillé sur l’art et la manière dont ils conduisent une enquête administrative susceptible de suites disciplinaires, les inspecteurs généraux veulent appeler à leurs responsabilités les chefs d’établissement de l’enseignement supérieur sur des questions longtemps considérées comme mineures ou extérieures à la vie d’un campus.

    En 2020-21, l’enseignement supérieur a représenté 50 % des activités de contrôle de l’IGÉSR, avec vingt et une enquêtes administratives sur quarante-quatre. En septembre 2021, l’inspection a été saisie de trois nouvelles missions qui s’ajoutent aux cinquante encore en cours. Parmi elles, une majorité est liée aux #violences_sexuelles_et_sexistes (#VSS), au #harcèlement_moral ou à des #agressions lors de week-ends d’intégration. Viennent ensuite le « #management_brutal et inapproprié » ou encore la carence de dirigeants qui auraient pu faire cesser un scandale, comme celui du #Centre_du_don_des_corps de l’#université_Paris-Descartes, où l’ancien président #Frédéric_Dardel a finalement été mis en examen en juin.

    A l’échelle des #universités et #grandes_écoles, les #enquêtes_administratives menées en interne par l’administration de l’établissement – sans recourir à l’IGÉSR – sont un phénomène nouveau. « Il y a quelques années, nous n’en faisions quasiment pas et, aujourd’hui, certains établissements en sont à quatre par an », illustre Delphine Gassiot-Casalas, secrétaire générale de l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux et présidente du réseau national des services des affaires juridiques, JuriSup, qui a publié, en juillet, un guide sur les #procédures_disciplinaires.

    Effet cathartique

    L’année 2021 a eu un effet cathartique dans la communauté universitaire et les grandes écoles. Les premiers à en faire les frais sont les #instituts_d’études_politiques (#IEP).

    Accusés d’#immobilisme voire de #complicité avec la « #culture_du_viol », ils ont été submergés en février par une déferlante de #témoignages d’étudiantes, sous le hashtag #sciencesporcs, rapportant avoir été violées ou agressées par des étudiants ou des personnels, sans qu’aucune sanction ait été prononcée. Aussitôt, Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, avait diligenté une mission d’inspection, chargée de faire le tour des dix IEP et des sept campus de l’IEP de Paris.

    Remises fin juillet, les #préconisations de l’inspection invitent à dépasser la simple prise de conscience pour professionnaliser les missions de #veille et de #recueil_de_la_parole.

    Un #plan_national de lutte contre les violences sexuelles et sexistes doit être annoncé fin septembre ou début octobre par Frédérique Vidal ; il sera doté de #formations qui auront « vocation à être renforcées et pérennisées à partir de 2022 », assure le ministère. « Renforcer les cellules de veille et d’écoute est important, prévient Delphine Gassiot-Casalas. Mais il faut aussi recruter au sein des #services_juridiques, car ce sont eux qui gèrent les procédures, et nous croulons sous les affaires. »

    Qu’elle soit commise dans les locaux ou à l’extérieur, toute #agression doit faire l’objet d’un #signalement. « Au domicile d’un étudiant, il s’agit de la même communauté qui se regroupe, et le comportement déviant d’un des membres va nécessairement rejaillir sur le fonctionnement de l’établissement », appuie la présidente de JuriSup. Avec des répercussions immédiates en termes d’#image, de #réputation mais aussi d’#atteinte_à_la_santé et à la scolarité de la victime.

    « Un souci de #transparence »

    Trop longtemps tolérées, « les violences sexuelles et sexistes ne doivent plus du tout avoir cours et donc ne jamais être mises sous le tapis », affirme Caroline Pascal, chef de l’IGÉSR.

    Très régulièrement, lors de leurs missions, les inspecteurs généraux font face à des enseignants ou des responsables hiérarchiques qui ont « des habitudes de tutoiement, de bises, de contacts tactiles appuyés, qu’ils perçoivent comme des attributs de leurs fonctions, relate Patrick Allal, responsable du pôle affaires juridiques et contrôle à l’IGÉSR. Ils n’ont pas compris que le temps est révolu où l’on pouvait arriver le matin et hurler sur quelqu’un ou ne pas réagir au fait qu’un directeur de thèse impose des relations intimes à ses doctorantes ».

    A travers son #vade-mecum des enquêtes administratives, l’IGÉSR situe son action sur le volet de la #procédure. « C’est la première fois qu’une inspection générale rend publique la façon dont elle travaille, souligne Patrick Allal. Nous revendiquons un souci de transparence visant aussi à faire taire les critiques qui régulièrement entourent nos travaux : #opacité, absence de contradiction, enquêtes réalisées à charge, instrumentalisation par les ministres, etc. »

    En 2021, trois rapports ont été contestés par des personnes incriminées lors d’une enquête, soit à l’occasion de la procédure disciplinaire engagée conformément aux préconisations de la mission devant le juge administratif, soit lors des poursuites pénales faisant suite au signalement au parquet par l’inspection générale.

    « Fonctions nouvelles et chronophages »

    Le document de 65 pages détaille le déroulement d’une enquête étape par étape, de la préparation de la mission au recueil des pièces en passant par l’attitude durant l’audition des témoins et la procédure contradictoire préalable à la rédaction du rapport définitif.

    « #metoo a fait émerger une charge de travail nouvelle pour nous, sur un sujet qui était d’ordre individuel et qui devient collectif », analyse Caroline Pascal. « On s’interroge désormais sur l’amplitude de systèmes qui ont pu laisser prospérer des situations de harcèlement moral ou des violences sexuelles et sexistes, faute de réaction et de formation, avec à la clé un possible signalement au parquet », en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, qui prévoit que tout fonctionnaire qui acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République.

    En attendant que se professionnalisent réellement les missions exercées par les cellules de veille et d’écoute au sein des universités et des grandes écoles, l’IGÉSR restera le principal recours. « Ce sont des fonctions nouvelles et chronophages pour lesquelles les établissements ne sont pas forcément très armés, même si l’on constate souvent le souci de bien faire », observe Patrick Allal. En témoigne cette mission d’inspection à l’encontre d’un professeur d’université qui vient tout juste de démarrer au sujet d’une suspicion d’agression sexuelle. L’enquête menée en interne est restée vaine : aucun témoin n’a osé s’exprimer, par manque de #confiance dans l’administration de l’établissement.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/27/violences-sexuelles-et-sexistes-les-enquetes-se-multiplient-dans-l-enseignem
    #sexisme #violences_sexuelles #violences_sexistes #ESR #France

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    ajouté à la métaliste sur le harcèlement sexuel dans les universités :
    https://seenthis.net/messages/863594
    Et plus précisément sur la France :
    https://seenthis.net/messages/863594#message863596

  • UK to block #visas for countries refusing to take back asylum seekers

    Bill would give home secretary power to take action against citizens of countries deemed not to be cooperating.

    The UK will block visas for visitors from countries the home secretary believes are refusing to cooperate in taking back rejected asylum seekers or offenders.

    In proposed legislation published on Tuesday, #Priti_Patel and future home secretaries would have the power to suspend or delay the processing of applications from countries that do no “cooperate with the UK government in relation to the removal from the United Kingdom of nationals of that country who require leave to enter or remain in the United Kingdom but do not have it”.

    The clause in the nationality and borders bill also allows for the home secretary to impose additional financial requirements for visa applications – that is, an increase in fees – if countries do not cooperate.

    The proposals mirror US legislation that allows officials to withdraw visa routes from countries that refuse to take back undocumented migrants. It is understood that countries such as Iraq, Iran, Eritrea and Sudan are reluctant to cooperate with the UK on such matters.

    The change is one of many in the bill, described as “the biggest overhaul of the UK’s asylum system in decades” by Patel, which includes measures such as:

    - Asylum seekers deemed to have arrived in the UK illegally will no longer have the same entitlements as those who arrive in the country via legal routes. Even if their claim is successful, they will be granted temporary refugee status and face the prospect of being indefinitely liable for removal.

    - Asylum seekers will be able to be removed from the UK while their asylum claim or appeal is pending, which opens the door to offshore asylum processing.

    - For those deemed to have arrived illegally, access to benefits and family reunion rights could be limited.

    – The appeals and judicial process will be changed to speed up the removal of those whose claims are refused.

    - The home secretary will be able to offer protection to vulnerable people in “immediate danger and at risk in their home country” in exceptional circumstances. It is thought this will be used to help a small number of people.

    – The system will be made “much harder for people to be granted refugee status based on unsubstantiated claims” and will include “rigorous age assessments” to stop adults pretending to be children. The government is considering the use of bone scanners to determine age.

    - Life sentences will be brought in as a maximum penalty for people-smugglers.

    - Foreign criminals who breach deportation orders and return to the UK could be jailed for up to five years instead of the current six months.

    – A new one-stop legal process is proposed so that asylum, human rights claims and any other protection matters are made and considered together before appeal hearings.

    Campaigners have dubbed the proposed legislation the “anti-refugee bill”, claiming it will penalise those who need help the most.

    Analysis of Home Office data by the Refugee Council suggests 9,000 people who would be accepted as refugees under current rules – those confirmed to have fled war or persecution following official checks – may no longer be given safety in the UK due to their means of arrival under the changes.

    The charity’s chief executive, Enver Solomon, said that for decades people had taken “extraordinary measures to flee oppression”, but had gone on to become “law-abiding citizens playing by the rules and paying their taxes as proud Britons”.

    Steve Valdez-Symonds, refugee and migrants rights programme director at Amnesty International UK, branded the bill “legislative vandalism”, claimed it could “fatally undermine the right to asylum” and accused Patel of a “shameful dereliction of duty”, adding: “This reckless and deeply unjust bill is set to bring shame on Britain’s international reputation.”

    Sonya Sceats, chief executive of Freedom from Torture, described the plans as “dripping with cruelty” and an “affront to the caring people in this country who want a kinder, fairer approach to refugees”.

    More than 250 organisations – including the Refugee Council, the British Red Cross, Freedom from Torture, Refugee Action and Asylum Matters – have joined to form the coalition Together with Refugees to call for a more effective, fair and humane approach to asylum in the UK.

    https://www.theguardian.com/politics/2021/jul/06/uk-to-block-visas-from-countries-refusing-to-take-back-undocumented-mig

    #asile #migrations #réfugiés #chantage #visas #UK #Angleterre

    La loi comprend aussi une disposition concernant l’#externalisation des #procédures_d'asile :
    https://seenthis.net/messages/918427

    Une des dispositions rappelle la loi de l’#excision_territoriale (#Australie) :

    Asylum seekers deemed to have arrived in the UK illegally will no longer have the same entitlements as those who arrive in the country via legal routes. Even if their claim is successful, they will be granted temporary refugee status and face the prospect of being indefinitely liable for removal.

    voir :
    https://seenthis.net/messages/901628#message901630
    https://seenthis.net/messages/416996
    #modèle_australien

    #offshore_asylum_processing
    #Irak #Iran #Erythrée #Sudan #réfugiés_irakiens #réfugiés_iraniens #réfugiés_soudanais #réfugiés_érythréens #réfugiés_soudanais #regroupement_familial #aide_sociale #procédure_d'asile #recours #mineurs #âge #tests_osseux #criminels_étrangers #rétention #détention_administrative #anti-refugee_bill

    ping @isskein @karine4

  • #Violences_sexuelles à l’#université : pourquoi les #procédures_disciplinaires sont souvent un chemin de croix pour les victimes

    Pour les victimes de violences sexistes et sexuelles qui osent se lancer dans une procédure disciplinaire contre leurs agresseurs, le parcours est souvent long et traumatisant.

    Le jour où elles ont décidé d’aller voir le doyen de la faculté de droit et de sciences politiques de Montpellier pour faire un #signalement de violences sexuelles concernant un étudiant de leur promotion, Marie* et Elise* sont arrivées avec un avantage non négligeable : elles étaient deux. Convaincues d’avoir été victimes du même agresseur, ces amies âgées de 20 ans ont décidé de faire front en faisant remonter les faits, il y a un an.

    Marie accuse ainsi le jeune homme de « lui avoir tapé la tête contre le sol d’un parking », lui causant un traumatisme crânien, assorti d’un jour d’ITT, d’après sa plainte, déposée le 22 février 2020 et que franceinfo a pu consulter, pour des faits qui se seraient produits la nuit précédente. De son côté, Elise le soupçonne de l’avoir droguée à son insu, en présence de trois autres garçons qu’il avait invités un soir chez elle. Dans sa #plainte, elle raconte avoir fait un malaise après avoir bu « deux ou trois verres » d’alcool en leur présence. Elle ajoute que l’étudiant en question l’a ensuite « saisie par les cheveux » et qu’elle s’est retrouvée sur le canapé « complètement avachie ». Elle rapporte « avoir senti des mains partout » sur elle. Quand elle s’est réveillée, les jeunes hommes étaient partis. Son débardeur était « relevé », son soutien-gorge « défait » et « la braguette de son pantalon descendue ».

    En entendant leurs récits, et conformément à l’article 40 du Code de procédure pénale, le doyen de la faculté, Guylain Clamour, informe par écrit le procureur de la République. En parallèle, il demande au président de l’université de lancer une procédure disciplinaire. Marie et Elise sont confiantes. Elles espèrent que leur agresseur présumé sera éloigné des bancs de la fac. Du lancement de la procédure à son aboutissement, dix mois plus tard, elles répondent à chaque exigence de la commission, qui leur demande de lui transmettre toutes les pièces qui pourraient appuyer leurs témoignages.

    La #formation_de_jugement, c’est-à-dire le jour où la commission auditionne les différentes parties prenantes, a lieu le 15 décembre. Chacune son tour, les deux amies sont convoquées pour une confrontation avec l’étudiant qu’elles incriminent, en présence des membres de la commission. Mais l’#audition prend la tournure d’un « #interrogatoire », assurent-elles. Elles en ressortent abattues, ayant abandonné la possibilité d’une éventuelle exclusion du jeune homme. Elles espèrent toutefois encore qu’il écopera au minimum d’un #blâme. Le jugement tombe le 22 décembre : l’étudiant est relaxé par la #commission_disciplinaire de l’université. Contactée, la présidente de cette commission n’a pas souhaité s’exprimer sur l’affaire.

    « Certaines questions posées sont scandaleuses »

    Le parcours d’Elise et Marie illustre certaines #défaillances des #procédures_disciplinaires dans l’#enseignement_supérieur en matière de violences sexistes et sexuelles. Ces commissions sont composées de deux professeurs, de deux maîtres de conférences, de représentants du personnel (et de six élus étudiants quand ce sont des usagers qui sont jugés). Elles peuvent être amenées à se prononcer sur de la tricherie aux examens, des actes de vandalisme, des propos racistes… et sur des signalements de violences sexistes et sexuelles.

    Ces sujets, particulièrement délicats, « demandent un accompagnement spécifique », explique Myriam Espinasse, de l’#Observatoire_étudiant_des violences_sexuelles_et_sexistes dans l’enseignement supérieur, une association dont le rôle est de recenser et sensibiliser sur ces #violences. Pour elle, le principal problème de ces commissions réside dans le manque de formation de leurs membres, dont peu ont assisté à des modules ou des conférences sur le sujet.

    « Enormément de #maladresses sont commises, avec des propos parfois très violents. »
    Myriam Espinasse, membre de l’Observatoire étudiant des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur, à franceinfo

    « Certaines questions posées par ces commissions d’enquête disciplinaire sont scandaleuses. On a demandé à plusieurs victimes comment elles étaient habillées, si elles avaient consommé de l’alcool… » confirme Camille, membre du #Collectif_de_lutte_antisexiste_contre_le_harcèlement_dans_l'enseignement_supérieur (#Clasches), association créée à l’initiative de doctorantes qui souhaitent garder l’anonymat.

    Souvent, les étudiant(e)s sont contraintes de répéter les faits au cours d’entretiens préalables au jugement. Un traumatisme de plus pour les victimes, qui, à chaque fois, « revivent les violences qu’elles ont subies », analyse Myriam Espinasse. A Montpellier, Elise et Marie ont ainsi été entendues deux fois par la commission avant le jour du jugement, et ce, malgré leurs dépôts de plaintes et un témoignage écrit détaillé versé par Elise, qui auraient pu être considérés comme des pièces suffisantes pour circonstancier leurs récits. Elles disent avoir eu le sentiment de devoir se justifier, à chaque reprise, face aux membres des commissions.

    Le jour du jugement restera dans leur mémoire comme un moment traumatisant. Elise et Marie assurent s’être retrouvées en confrontation directe avec leur agresseur présumé, assis « à une chaise d’écart », se souvient la première. « La séance s’est transformée en une heure de réinterrogatoire à la fin duquel un élu étudiant [membre de la commission] m’a dit : ’Moi, je n’ai toujours pas compris pourquoi il aurait voulu vous faire du mal ? Quelle est la raison à votre avis ?’ » affirme la jeune femme. Elle raconte avoir alors fondu en larmes.

    « Aujourd’hui, je ne conseillerais à aucune victime de se lancer dans cette procédure, qui a été une violence de plus. »
    Elise, étudiante à Montpellier à franceinfo

    Difficile à affronter pour les victimes, la procédure disciplinaire pèche aussi par son #opacité. En pratique, il suffit d’une simple lettre du président de l’université à la commission pour saisir la #section_disciplinaire. Mais, dans les faits, « les sections ne sont pas suffisamment saisies », constate Delphine Gassiot-Casalas, présidente de Jurisup, le réseau des affaires juridiques de l’enseignement supérieur. Et, quand les faits remontent jusqu’au président, « il peut considérer que le dossier n’est pas suffisamment étayé pour poursuivre ».

    Des procédures longues et aléatoires

    Certains rechignent ainsi à lancer des procédures disciplinaires en l’absence de plainte au pénal, selon les associations interrogées. Pourtant, les deux procédures sont décorrélées : l’une peut être lancée sans l’autre, et vice-versa. Lise Lerichomme, déléguée à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations de genre à l’université d’Amiens, insiste sur cette distinction. « La reconstruction des étudiants peut passer par l’accompagnement de notre institution et pas forcément par celui de l’institution judiciaire, qui a son fonctionnement propre », appuie-t-elle. D’autant que le disciplinaire est censé être plus rapide que le pénal. Reste qu’en pratique, le jugement peut mettre des mois à être prononcé. « Facilement un an, tranche Myriam Espinasse. Dans la temporalité d’une victime, c’est terrible : ça veut dire qu’elle croise son agresseur tous les jours. »

    Des mesures conservatoires peuvent être prises par le président de l’université dans l’attente du jugement. A Montpellier, le président a ainsi imposé à l’agresseur présumé d’Elise et Marie de suivre les cours à distance pendant deux mois. Mais les situations peuvent être plus aléatoires. A l’université de Lorraine, où, selon nos informations, une procédure a été lancée par une étudiante en décembre 2019 contre un de ses enseignants pour des propos sexistes et dégradants à son encontre, aucune mesure conservatoire n’a été mise en place pour éloigner le professeur en question.

    Franceinfo a pu consulter plusieurs pièces du dossier dans lesquelles l’étudiante fait état d’une série de commentaires ouvertement sexuels, faisant référence à son corps et à sa tenue vestimentaire. Pendant toute la durée de la procédure, la jeune femme devait continuer à se rendre aux cours de cet enseignant, « alors qu’il était pertinemment au courant qu’elle avait fait un signalement à son encontre », assure une partie prenante du dossier, sous couvert d’anonymat. Et de souligner que l’étudiante aurait fait face à des « allusions répétées, déplacées et humiliantes » et se trouvait dans un « état psychologique grave ». A ce jour, ni la jeune femme, ni les multiples témoins – étudiants et enseignants – ayant été entendus dans cette affaire en octobre n’ont été notifiés du jugement de la commission.
    « Des relances qui restent sans nouvelles »

    Globalement, les victimes sont peu informées des différentes étapes de la procédure et de leurs droits. Dans certaines universités, « c’est un combat régulier, avec des relances qui restent sans nouvelles. On sait qu’il y a une enquête mais on ne sait pas quand elle va aboutir », regrette Camille, du Clasches.

    En outre, certains aspects fondamentaux de la procédure ne sont pas clairement expliqués aux victimes, qui commettent parfois des erreurs pouvant leur coûter cher. Ainsi, Elise et Marie affirment avoir fourni, à la demande de la commission, toutes les pièces qui pourraient appuyer leurs témoignages… sans savoir qu’elles seraient consultables par la partie adverse. Elles regrettent de ne pas avoir été informées dès le départ de ce point pourtant important.

    De même, peu de victimes savent qu’elles ont, depuis peu, le droit de venir accompagnées de la personne de leur choix, y compris un avocat, le jour de la formation de jugement, et ce, depuis la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Quant aux jugements des différentes commissions, ils sont souvent difficiles à consulter. Les établissements ont l’obligation de les afficher pendant deux mois dans leurs bâtiments (de manière anonymisée dans la grande majorité des cas). Ils sont toutefois rarement disponibles sur les sites des universités, ce qui constituerait pourtant un élément d’information essentiel pour les victimes : elles pourraient ainsi comparer les procédures précédentes avant d’en lancer une elles-mêmes. Certaines universités se montrent plus transparentes que d’autres, à l’instar de l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui a publié sur son site internet le détail de sa procédure et l’ensemble des décisions prises entre 2016 et 2019.
    « On est des juges de pacotille »

    Ce cadre est particulièrement attendu. Car, selon nos interlocuteurs, les membres des commissions disciplinaires se montrent souvent frileux dans leurs jugements et peinent à sanctionner fermement. « Les enseignants-chercheurs membres de ces commissions ne se sentent pas armés pour prendre des sanctions qui vont impacter la carrière d’un collègue qu’ils croisent tous les jours dans les couloirs », pointe Delphine Gassiot-Casalas. C’est là l’un des grands reproches formulés à ces commissions : des pairs jugent des pairs, avec toute la partialité que cela peut impliquer.

    En outre, certains professeurs et maîtres de conférences ne se sentent souvent pas assez rodés dans leur connaissance des procédures. « On est légitimes pour les affaires de triche et de plagiat, commente Didier Peltier, président de la commission disciplinaire de l’université d’Angers, mais quand on se retrouve face à des affaires de type sexuel, là, on est très mal à l’aise. Ce n’est pas notre métier : nous, on est des juges de pacotille. » Auteur d’un article sur la répression disciplinaire du harcèlement sexuel à l’université, Alexis Zarca, maître de conférences en droit public à l’université d’Orléans, milite pour que l’on accorde aux membres des commissions un temps dédié à l’instruction disciplinaire. « C’est une charge quasi bénévole pour eux et dieu sait que les universitaires assurent déjà beaucoup de missions en plus des leurs », insiste-t-il.

    Les universités prennent toutefois peu à peu conscience de la nécessité de prononcer des sanctions dissuasives et exemplaires. Certaines décisions récentes sont encourageantes, comme à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, où deux professeurs ont été exclus définitivement de l’enseignement supérieur pour harcèlement sexuel et moral. Il aura tout de même fallu près de douze témoignages contre eux. A l’université de Lorraine, en revanche, l’enseignant visé par le signalement d’une étudiante n’a pas été sanctionné et continue d’exercer, selon nos informations, l’université ayant refusé de nous transmettre une copie de la décision.

    Du côté du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), qui peut être saisi en appel, la tendance n’est pas non plus à la sévérité. Selon une étude de l’agence de presse spécialisée AEF info, qui a consulté les comptes-rendus des décisions du Cneser disciplinaire publiés entre janvier 2008 et juillet 2019, l’instance aurait même tendance à amoindrir la sanction. Au total, 42,3% des décisions de jugement au fond allègent la sanction d’origine.
    Dépayser les affaires les plus graves ?

    Dès lors, comment faire en sorte que la procédure disciplinaire ne soit plus un chemin de croix pour les victimes ? Certaines universités ont décidé de prendre le problème à bras le corps, comme à Amiens, qui fait preuve, depuis quatre ans, d’un volontarisme très fort en matière de violences sexistes et sexuelles. Pour faciliter la parole des victimes, un référent a été mis en place dans chaque UFR de la faculté. Un groupe de travail préalable à la commission disciplinaire complète le dispositif. Cette « cellule restreinte » se réunit dans les 48 heures en cas de signalement pour prendre connaissance de la situation et décider, ou non, de lancer une commission. Une formation sera bientôt dispensée à l’ensemble des membres du disciplinaire, avec l’objectif d’en finir avec l’idée qu’il faut absolument une confrontation de la victime avec son agresseur.

    D’autres pistes d’amélioration avaient été avancées dès 2019, lors d’un colloque de Jurisup (lien abonnés) sur les questions liées au disciplinaire dans l’enseignement supérieur. Face aux risques de partialité des commissions disciplinaires locales, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait proposé en 2019 (lien abonnés), à l’occasion du « Grenelle contre les violences conjugales », de « dépayser les affaires les plus sensibles pour qu’elles ne soient pas jugées au sein de leurs établissements et qu’ainsi tout soupçon de laxisme soit écarté ». Delphine Gassiot-Casalas défend, elle, la création d’une instance nationale dans laquelle des membres du personnel plus professionnalisés jugeraient les contentieux les plus sensibles. Dans le but d’avoir, enfin, des sanctions à la hauteur des faits dénoncés.

    * Les prénoms ont été modifiés

    https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/enquete-violences-sexuelles-a-l-universite-pourquoi-les-procedures-disc

    #facs #ESR #sexisme

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    ajouté à la métaliste sur le #harcèlement_sexuel à l’université :
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  • La crise sanitaire aggrave les troubles psy des jeunes migrants

    Les « migrants » sont une population composite recouvrant des #statuts_administratifs (demandeurs d’asile, réfugiés, primo-arrivants…) et des situations sociales disparates. Certains appartiennent à des milieux sociaux plutôt aisés et éduqués avec des carrières professionnelles déjà bien entamées, d’autres, issus de milieux sociaux défavorisés ou de minorités persécutées, n’ont pas eu accès à l’éducation dans leur pays d’origine.

    Et pourtant, une caractéristique traverse ce groupe : sa #jeunesse.

    Ainsi, selon les chiffres d’Eurostat, au premier janvier 2019, la moitié des personnes migrantes en Europe avait moins de 29 ans ; l’âge médian de cette population se situant à 29,2 ans, contre 43,7 pour l’ensemble de la population européenne. Cette particularité est essentielle pour comprendre l’état de santé de cette population.

    En effet, on constate que, du fait de sa jeunesse, la population migrante en Europe est globalement en #bonne_santé physique et parfois même en meilleure #santé que la population du pays d’accueil. En revanche, sa santé mentale pose souvent problème.

    Des #troubles graves liés aux #parcours_migratoires

    Beaucoup de jeunes migrants – 38 % de la population totale des migrants selon une recherche récente – souffrent de #troubles_psychiques (#psycho-traumatismes, #dépressions, #idées_suicidaires, #perte_de_mémoire, #syndrome_d’Ulysse désignant le #stress de ceux qui vont vivre ailleurs que là où ils sont nés), alors que la #psychiatrie nous apprend que le fait migratoire ne génère pas de #pathologie spécifique.

    Les troubles dont souffrent les jeunes migrants peuvent résulter des #conditions_de_vie dans les pays d’origine (pauvreté, conflits armés, persécution…) ou des #conditions_du_voyage migratoire (durée, insécurité, absence de suivi médical, en particulier pour les migrants illégaux, parfois torture et violences) ; ils peuvent également être liés aux #conditions_d’accueil dans le pays d’arrivée.

    De multiples facteurs peuvent renforcer une situation de santé mentale déjà précaire ou engendrer de nouveaux troubles : les incertitudes liées au #statut_administratif des personnes, les difficultés d’#accès_aux_droits (#logement, #éducation ou #travail), les #violences_institutionnelles (la #répression_policière ou les #discriminations) sont autant d’éléments qui provoquent un important sentiment d’#insécurité et du #stress chez les jeunes migrants.

    Ceci est d’autant plus vrai pour les #jeunes_hommes qui sont jugés comme peu prioritaires, notamment dans leurs démarches d’accès au logement, contrairement aux #familles avec enfants ou aux #jeunes_femmes.

    Il en résulte des périodes d’#errance, de #dénuement, d’#isolement qui détériorent notablement les conditions de santé psychique.

    De nombreuses difficultés de #prise_en_charge

    Or, ainsi que le soulignent Joséphine Vuillard et ses collègues, malgré l’engagement de nombreux professionnels de santé, les difficultés de prise en charge des troubles psychiques des jeunes migrants sont nombreuses et réelles, qu’il s’agisse du secteur hospitalier ou de la médecine ambulatoire.

    Parmi ces dernières on note l’insuffisance des capacités d’accueil dans les #permanences_d’accès_aux_soins_de_santé (#PASS), l’incompréhension des #procédures_administratives, le besoin d’#interprétariat, des syndromes psychotraumatiques auxquels les professionnels de santé n’ont pas toujours été formés.

    Les jeunes migrants sont par ailleurs habituellement très peu informés des possibilités de prise en charge et ne recourent pas aux soins, tandis que les dispositifs alternatifs pour « aller vers eux » (comme les #maraudes) reposent essentiellement sur le #bénévolat.
    https://www.youtube.com/watch?v=Pn29oSxVMxQ&feature=emb_logo

    Dans ce contexte, le secteur associatif (subventionné ou non) tente de répondre spécifiquement aux problèmes de santé mentale des jeunes migrants, souvent dans le cadre d’un accompagnement global : soutien aux démarches administratives, logement solidaire, apprentissage du français, accès à la culture.

    Organisateurs de solidarités, les acteurs associatifs apportent un peu de #stabilité et luttent contre l’isolement des personnes, sans nécessairement avoir pour mission institutionnelle la prise en charge de leur santé mentale.

    Ces #associations s’organisent parfois en collectifs inter-associatifs pour bénéficier des expertises réciproques. Malgré leur implantation inégale dans les territoires, ces initiatives pallient pour partie les insuffisances de la prise en charge institutionnelle.

    Des situations dramatiques dans les #CRA

    Dans un contexte aussi fragile, la #crise_sanitaire liée à la #Covid-19 a révélé au grand jour les carences du système : si, à la suite de la fermeture de nombreux #squats et #foyers, beaucoup de jeunes migrants ont été logés dans des #hôtels ou des #auberges_de_jeunesse à l’occasion des #confinements, nombreux sont ceux qui ont été livrés à eux-mêmes.

    Leur prise en charge sociale et sanitaire n’a pas été pensée dans ces lieux d’accueil précaires et beaucoup ont vu leur situation de santé mentale se détériorer encore depuis mars 2020.

    Les situations les plus critiques en matière de santé mentale sont sans doute dans les #Centres_de_rétention_administrative (CRA). Selon le rapport 2019 de l’ONG Terre d’Asile, sont enfermés dans ces lieux de confinement, en vue d’une #expulsion du sol national, des dizaines de milliers de migrants (54 000 en 2019, dont 29 000 en outremer), y compris de nombreux jeunes non reconnus comme mineurs, parfois en cours de #scolarisation.

    La difficulté d’accès aux soins, notamment psychiatriques, dans les CRA a été dénoncée avec véhémence dans un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en février 2019, suivi, à quelques mois d’écart, d’un rapport tout aussi alarmant du Défenseur des droits.

    La #rupture de la #continuité des #soins au cours de leur rétention administrative est particulièrement délétère pour les jeunes migrants souffrant de pathologies mentales graves. Pour les autres, non seulement la prise en charge médicale est quasi-inexistante mais la pratique de l’isolement à des fins répressives aggrave souvent un état déjà à risque.

    La déclaration d’#état_d’urgence n’a pas amélioré le sort des jeunes migrants en rétention. En effet, les CRA ont été maintenus ouverts pendant les périodes de #confinement et sont devenus de facto le lieu de placement d’un grand nombre d’étrangers en situation irrégulière sortant de prison, alors que la fermeture des frontières rendait improbables la reconduite et les expulsions.

    Un tel choix a eu pour conséquence l’augmentation de la pression démographique (+23 % en un an) sur ces lieux qui ne n’ont pas été conçus pour accueillir des personnes psychologiquement aussi vulnérables et pour des périodes aussi prolongées.

    Des espaces anxiogènes

    De par leur nature de lieu de #privation_de_liberté et leur vocation de transition vers la reconduction aux frontières, les CRA sont de toute évidence des #espaces_anxiogènes où il n’est pas simple de distinguer les logiques de #soins de celles de #contrôle et de #répression, et où la consultation psychiatrique revêt bien d’autres enjeux que des enjeux thérapeutiques. Car le médecin qui apporte un soin et prend en charge psychologiquement peut aussi, en rédigeant un #certificat_médical circonstancié, contribuer à engager une levée de rétention, en cas de #péril_imminent.

    Les placements en CRA de personnes atteintes de pathologies psychologiques et/ou psychiatriques sont en constante hausse, tout comme les actes de #détresse (#automutilations et tentatives de #suicide) qui ont conduit, depuis 2017, cinq personnes à la mort en rétention.

    La prise en charge effective de la santé mentale des jeunes migrants se heurte aujourd’hui en France aux contradictions internes au système. Si les dispositifs sanitaires existent et sont en théorie ouverts à tous, sans condition de nationalité ni de régularité administrative, l’état d’incertitude et de #précarité des jeunes migrants, en situation irrégulière ou non, en fait un population spécialement vulnérable et exposée.

    Sans doute une plus forte articulation entre la stratégie nationale de prévention et lutte contre la pauvreté et des actions ciblées visant à favoriser l’intégration et la stabilité via le logement, l’éducation et l’emploi serait-elle à même de créer les conditions pour une véritable prévention des risques psychologiques et une meilleure santé mentale.

    https://theconversation.com/la-crise-sanitaire-aggrave-les-troubles-psy-des-jeunes-migrants-152

    #crise_sanitaire #asile #migrations #réfugiés #jeunes_migrants #santé_mentale #troubles_psychologiques #genre #vulnérabilité #bénévolat #rétention #détention_administrative #sans-papiers

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  • Le droit d’asile à l’épreuve de l’externalisation des politiques migratoires

    Le traitement des #demandes_d’asile s’opère de plus en plus en #périphérie et même en dehors des territoires européens. #Hotspots, missions de l’#Ofpra en #Afrique, #accord_UE-Turquie : telles sont quelques-unes des formes que prend la volonté de mise à distance des demandeurs d’asile et réfugiés qui caractérise la politique de l’Union européenne depuis deux décennies.

    Pour rendre compte de ce processus d’#externalisation, les auteur·es de ce nouvel opus de la collection « Penser l’immigration autrement » sont partis d’exemples concrets pour proposer une analyse critique de ces nouvelles pratiques ainsi que de leurs conséquences sur les migrants et le droit d’asile. Ce volume prolonge la journée d’étude organisée par le #Gisti et l’Institut de recherche en droit international et européen (Iredies) de la Sorbonne, le 18 janvier 2019, sur ce thème.

    Sommaire :

    Introduction
    I. Les logiques de l’externalisation

    – Externalisation de l’asile : concept, évolution, mécanismes, Claire Rodier

    - La #réinstallation des réfugiés, aspects historiques et contemporains, Marion Tissier-Raffin

    – Accueil des Syriens : une « stratification de procédures résultant de décisions chaotiques », entretien avec Jean-Jacques Brot

    - #Dublin, un mécanisme d’externalisation intra-européenne, Ségolène Barbou des Places

    II. Les lieux de l’externalisation

    - L’accord Union européenne - Turquie, un modèle ? Claudia Charles

    – La #Libye, arrière-cour de l’Europe, entretien avec Jérôme Tubiana

    - L’#Italie aux avant-postes, entretien avec Sara Prestianni

    - Le cas archétypique du #Niger, Pascaline Chappart

    #Etats-Unis- #Mexique : même obsession, mêmes conséquences, María Dolores París Pombo

    III. Les effets induits de l’externalisation

    – Une externalisation invisible : les #camps, Laurence Dubin

    - #Relocalisation depuis la #Grèce : l’illusion de la solidarité, Estelle d’Halluin et Émilie Lenain

    - Table ronde : l’asile hors les murs ? L’Ofpra au service de l’externalisation

    https://www.gisti.org/publication_pres.php?id_article=5383
    #procédures_d'asile #asile #migrations #réfugiés #rapport #USA

    ping @karine4 @isskein @rhoumour @_kg_

  • Une procédure ouverte contre Ikea pour fausse déclaration de bois

    Le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a ouvert une procédure contre Ikea pour #fausse_déclaration de #bois. Le marchand de meubles suédois rejette les accusations.

    L’affaire a été déclenchée par une #plainte déposée le 31 août dernier par le Bruno Manser Fonds (BMF) auprès du DEFR et du Bureau fédéral de la consommation (BFC). La porte-parole du DEFR Evelyn Kobelt a confirmé jeudi à Keystone-ATS une information de la radio SRF.

    Après des contrôles effectués dans les cinq succursales Ikea concernées, le DEFR a ouvert des #procédures_pénales_administratives dans deux cas de suspicion de #fausses_déclarations répétées. Selon Evelyn Kobelt, c’est la première fois que l’entreprise fait l’objet d’une procédure pénale pour fausse déclaration. La présomption d’innocence s’applique jusqu’à la fin de la procédure.

    Le BFC avait indiqué avoir constaté des lacunes de déclaration dans les succursales d’Aubonne (VD), Lyssach (BE), Pratteln (BL) Spreitenbach (AG) et Vernier (GE).

    En Suisse, le bois et les produits à base de bois doivent être déclarés conformément à l’ordonnance fédérale correspondante. Le type de bois et son #origine doivent être signalés. Le BFC contrôle le respect de ces règles dans les entreprises.

    Informations ajoutées manuellement

    Ikea Suisse rejette les accusations. Le membre de la direction Aurel Hosennen a déclaré sur les ondes de la SRF qu’il arrive régulièrement que les #étiquettes manquent dans les magasins de meubles. Celles-ci sont en effet apposées à la main chez Ikea. Dans chaque succursale, 80 à 100 étiquettes sont remplacées chaque jour après avoir été perdues.

    Evelyn Kobelt a confirmé le « cas spécial » qu’est Ikea. Le risque d’une déclaration incorrecte y est plus élevé, car les informations doivent être ajoutées manuellement, ce qui est source d’erreurs. D’autres sociétés étrangères ont automatisé les informations concernant la déclaration dans leur système.

    Aurel Hosennen précise qu’Ikea Suisse dispose de ces informations. « Nous connaissons chaque produit, chaque fournisseur, le bois qu’ils utilisent et sa #provenance ». Les déclarations sont disponibles sur le site internet depuis des années. Ikea n’a aucune raison de cacher quelque chose ou de ne rien montrer, souligne-t-il.

    Bois roumain et ukrainien en cause

    Le groupe a été accusé en mai par une ONG britannique d’intégrer du bois abattu illégalement en #Roumanie et en #Ukraine dans sa chaîne de fournisseurs. Dans un communiqué diffusé début octobre, le géant suédois de l’ameublement assurait que le bois utilisé est issu uniquement d’arbres abattus légalement. L’entreprise se basait pour cela sur deux enquêtes, l’une interne, l’autre externe.

    https://www.rts.ch/info/economie/11680455-une-procedure-ouverte-contre-ikea-pour-fausse-declaration-de-bois.html

    #IKEA #Suisse #justice #multinationales

    • Le Bruno Manser Fonds dénonce IKEA

      Le plus grand groupe d’ameublement Suisse enfreint systématiquement l’obligation légale de déclarer le bois.

      Le Bruno Manser Fonds a dénoncé IKEA AG, Spreitenbach (« IKEA »), auprès du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR). Il se base pour cela sur l’infraction systématique d’IKEA à l’obligation légale de déclarer le bois, en vigueur depuis 2012. IKEA est une filiale suisse de la multinationale IKEA sise à Delft, aux Pays-Bas.

      Dans un courrier adressé mardi au Conseiller fédéral Guy Parmelin, chef du DEFR, le Bruno Manser Fonds demande qu’une amende soit prononcée contre IKEA et ses responsables pour infraction à la loi sur l’information des consommatrices et des consommateurs de même qu’à l’ordonnance sur la déclaration du bois et des produits en bois.

      Le Bruno Manser Fonds s’est intéressé de près à l’assortiment IKEA de tables en bois massif et de chaises dans cinq de ses filiales (Aubonne, Lyssach, Pratteln, Spreitenbach et Vernier). Il en est ressorti que l’entreprise, dans plus de 80 cas, ne déclarait pas l’essence ou l’origine du bois, ou sinon le fait de manière abusive :

      – Dans 40 cas, IKEA ne fait aucune indication du type de bois ou de sa provenance, alors qu’il s’agit de tables et de chaises soumises à l’obligation de déclarer.

      – Dans 22 cas, IKEA déclare l’origine du bois pour des tables et des chaises en pin avec l’indication abusive « Amérique du Nord et du Sud, Europe, Inde, Océanie ».

      – Dans 10 cas, IKEA déclare l’origine du bois pour des tables et des chaises en bouleau avec l’indication abusive collective « Chine, Europe, Turquie ».

      – Dans 11 cas, IKEA déclare l’origine du bois pour des tables et des chaises en hêtre avec l’indication abusive collective « Europe, Turquie ».

      « Par cette manière de faire, IKEA dissimule de manière illicite la provenance de sa matière première principale », explique Lukas Straumann, directeur du Bruno Manser Fonds. « Nous attendons de la part d’un groupe de la taille et de l’importance d’IKEA qu’il déclare systématiquement l’origine du bois de ses produits, en conformité à la loi et de manière conviviale. »

      Aux termes de l’ordonnance sur la déclaration du bois, « toute personne qui remet du bois ou des produits en bois aux consommateurs doit indiquer la provenance du bois » et son essence. Les désignations collectives sont certes exceptionnellement admises, mais elles doivent se limiter à « la zone géographique la plus précise possible (Scandinavie, Europe orientale, Afrique occidentale, Amérique centrale, p. ex.) ». La peine pécuniaire maximale encourue en cas d’infraction est de 10’000 CHF.

      Le groupe IKEA a récemment fait les gros titres en raison de la participation présumée de ses fournisseurs à des coupes de bois illégales et des coupes rases en Roumanie et en Ukraine. Environ 60 % du bois d’IKEA provient d’Europe de l’Est et de Russie.

      https://www.bmf.ch/fr/nouveautes/le-bruno-manser-fonds-denonce-ikea-144

  • #Souffrance_au_travail à #Campus_France : le coût social du « #soft_power »

    Plusieurs salariés de l’agence Campus France dénoncent un management agressif dans un contexte de réduction des effectifs, alors que la structure chargée de la promotion de l’#enseignement_supérieur français à l’étranger fait face à de multiples #procédures_judiciaires. La direction parle de litiges isolés.

    Pour se rencontrer, cela n’a pas été simple. Ces salariés ou ancien salariés de Campus France réunis ce jour de printemps autour d’une table sont tous hospitalisés en psychiatrie après des #dépressions sévères et doivent presque chaque jour se faire soigner pour ne pas vaciller davantage. « J’ai deux enfants, c’est dur pour eux de me voir comme ça », glisse Laura Foka, ancienne cadre du service communication. Ils dénoncent tous un #management_toxique qui les rend malades.

    Campus France est un établissement public industriel ou commercial (#Epic) chargé de la #promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger ainsi que de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers en France, sous la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’enseignement supérieur. Ces Epic, qui ont fleuri ces dernières décennies en marge de l’#administration_française, tirent leur financement de la puissance publique mais appliquent à leurs salariés les règles du #droit_privé.

    En mai 2018, neuf salariés de Campus France, constitués en collectif, alertent leur direction ainsi que toutes leurs tutelles dans un courrier sévère sur ce qu’ils considèrent comme une surexposition délétère aux #risques_psychosociaux : « Aujourd’hui, de nombreux salariés sont touchés par un management qui repose sur une #désorganisation_du_travail, une absence d’objectifs clairs, une extrême #violence des échanges entre la direction et certains collaborateurs. » Quelques mois après, l’un d’entre eux fait une tentative de #suicide.

    « J’étais en #dépression à cause du travail depuis deux ans, explique Ronel Tossa, salarié du service comptabilité, sous le coup d’une procédure de licenciement notamment pour « #abus_de_liberté_d’expression », qu’il conteste aux prud’hommes (ce motif a été utilisé dans d’autres procédures de #licenciement chez Campus France). J’accompagnais beaucoup de gens qui n’allaient pas bien… C’est moi qui ai fini par passer à l’acte. » Après que le Samu l’eut trouvé à son domicile, Ronel Tossa a passé deux jours dans le coma, puis est resté quatre mois hospitalisé en psychiatrie. Il continue aujourd’hui d’aller à l’hôpital trois jours et demi par semaine. Son geste ainsi que sa maladie ont été reconnus en accident et maladie professionnelle.

    La situation, cependant, n’évolue guère. En novembre 2019, Ronel Tossa, Laura Foka et deux autres salariés couchent à nouveau par écrit leurs vives inquiétudes : « Qu’attendez-vous donc pour réagir ? » Là encore, aucune réponse des tutelles ou des membres du conseil d’administration de Campus France, pourtant en copie.

    Abdelhafid Ramdani, l’un des signataires, a lui cessé d’attendre. Il entend porter plainte au pénal, notamment pour #harcèlement_moral_systémique_et_institutionnel, notion entrée dans la jurisprudence à la suite du procès France Télécom. Plusieurs autres salariés devraient, si la plainte est instruite, se constituer parties civiles.

    « J’adorais mon métier, explique Abdelhafid Ramdani, responsable informatique, en poste depuis 1997. Pendant vingt ans, et auprès de quatre chefs différents, pas toujours simples, je n’ai eu que des bons retours. Puis un nouveau manager, proche de la nouvelle direction, est arrivé et à partir de là, la situation s’est dégradée. »

    Il est en arrêt de travail depuis 2017, sa dépression a également été reconnue comme #maladie_professionnelle et sa situation a fait l’objet d’un rappel à l’ordre de l’#inspection_du_travail : « Le #risque_suicidaire qu’il avance et repris par le médecin du travail est avéré […]. Une fois de plus la direction relativise et écarte même d’un revers de main ce risque. » Avant de conclure : « Je n’omets pas que le dossier de M. Ramdani est à replacer dans un contexte plus large et qui concerne l’ensemble de l’organisation du travail de votre entreprise notamment sur les relations tendues et pathogènes existant entre la direction et un certain nombre de salariés. » Abdelhafid Ramdani a depuis porté #plainte devant les prud’hommes pour harcèlement et pour contester une #sanction_disciplinaire à son encontre et déposé une première plainte au pénal, classée sans suite en mai 2020.

    Au total, sur un effectif de 220 salariés, Campus France a dû faire face, ces dernières années, à au moins une douzaine de procédures prud’homales. Pour la direction de Campus France, interrogée par Mediapart sur ces alertes, « ces litiges isolés ne reflètent en rien une détérioration générale du climat social » au sein de l’établissement. Elle vante de son côté le faible nombre de démissions depuis la création de l’établissement en 2012 (8 sur les 190 salariés présents à l’époque), ainsi que son « souci de préserver le bien-être au travail des salariés », y compris dans la période récente liée au Covid-19. Selon nos informations, plusieurs dizaines de salariés en CDD ont néanmoins vu leur contrat s’achever brutalement à l’issue de la crise sanitaire, ce qui a fragilisé les équipes.

    Campus France rappelle également que « seules deux situations conflictuelles ont été tranchées par la juridiction prud’homale. Dans les deux cas, les salariés ont été déboutés de l’intégralité de leurs demandes, y compris celles qui portaient sur l’éventualité d’un harcèlement moral ». Contactés par Mediapart, les deux représentants des salariés au conseil d’administration ainsi que la nouvelle secrétaire du comité économique et social (CSE), qui a pris ses fonctions au printemps, abondent dans une réponse identique par courriel, estimant avoir « fait le vœu d’une construction collective plutôt que d’une opposition portant constamment sur les mêmes cas isolés et non représentatifs de l’ambiance actuelle positive de Campus France et du traitement des salariés, que ce soit pour les conditions de travail ou salariales ».

    Nombre de dossiers sont cependant en procédure. L’agence a été condamnée en mars 2019 pour #discrimination_syndicale, puis en appel, en décembre de la même année, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par ailleurs, elle fait face à plusieurs contentieux devant le tribunal administratif, soit pour contester des reconnaissances de maladie professionnelle ou d’accident du travail, portant tous sur la #santé_mentale, soit pour contester un refus de licenciement de salarié protégé. Enfin, à Montpellier, où Campus France possède une délégation, une main courante a été déposée par un salarié contre un collègue, résultat de tensions laissées en jachère pendant plusieurs années.

    Lors de l’avant-dernier conseil d’administration (CA) de l’agence le 25 novembre 2019, le représentant du ministère des finances a d’ailleurs pointé, à l’occasion d’une « cartographie des risques », le recours à au moins cinq avocats – un nombre significatif pour une structure de cette taille –, le coût financier des procédures juridiques engagées et la multiplication de ces procédures. « Ce qui veut dire que même les tutelles, alors même qu’il n’y a pas plus mauvais employeur que l’État, ont remarqué cette dérive », ironise l’un des participants, qui souhaite rester anonyme.

    « Au cours de ce CA de novembre, on m’a présenté un accord d’entreprise, signé par la direction comme les syndicats, c’est un signe clair d’apaisement, tempère Frédéric Petit, député MoDem des Français de l’étranger et membre depuis 2017 du conseil d’administration de Campus France. Que dans un effort de restructuration administrative il y ait des tensions, c’est plutôt normal. Je sais qu’il y avait des salariés isolément qui n’étaient pas bien, j’en étais conscient et cela a été exprimé au cours des conseils d’administration, surtout entre 2017 et 2018. »

    « C’est comme si le petit avait mangé le gros »

    Le collectif de salariés n’est cependant pas le seul à avoir sonné l’alarme sur le #climat_social. D’après plusieurs documents et témoignages recueillis par Mediapart, de nombreux élus du personnel, membres du comité hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), puis le CSE se sont inquiétés des tensions existantes, presque sans relâche depuis la création de Campus France, tout comme les deux inspecteurs du travail successivement en poste jusqu’en 2018.

    L’un de ces élus, bien au fait des dossiers, résume la situation ainsi : « Campus France, c’est un bateau ivre. Le management y est devenu agressif, sans imagination, et il se contente d’enterrer les dossiers ou de pousser à la faute. »

    L’histoire de Campus France explique en partie ces problèmes. L’établissement a fusionné en 2012 plusieurs organismes en une seule et unique agence : l’association #Egide, opérateur à l’époque pour la gestion des bourses et des séjours des étudiants étrangers ; le groupement d’intérêt public #EduFrance, renommé Campus France, chargé de la promotion de l’enseignement du français à l’étranger, et les activités internationales du #Centre_national_des œuvres_universitaires_et_scolaires (#Cnous). Au sein de la toute nouvelle agence Campus France, les cultures professionnelles s’entrechoquent presque immédiatement.

    Pensée pour gagner en #efficacité, l’agence agglomère différents statuts, salaires, fonctions, et des personnes issues d’organismes ayant déjà subi des réorganisations, parfois douloureuses. Dans un rapport commandé par le CHSCT de Campus France en 2016, les experts tentent de résumer la situation : celle d’une petite structure, Campus France, comparée à une start-up d’intellos faiblement hiérarchisée, d’une quarantaine de salariés, jeunes et presque tous cadres, qui a avalé une grosse association, Egide, et une partie du Cnous, où travaillaient majoritairement des employés, parfois vieillissants.

    « On a de manière intelligente et novatrice réorganisé l’administration d’État sur des objectifs, se félicite Fréderic Petit, membre, en tant que député, du conseil d’administration de plusieurs structures de ce type. On a enfin une gestion des deniers de l’État par projet, et non plus par structure, ce qui était quand même hallucinant. »

    « C’est comme si le petit avait mangé le gros », souligne pourtant, rétrospectivement, Laura Foka, dans une structure où va régner des années durant un « #mépris_réciproque » raconte également un ancien cadre dirigeant, entre « manants » et « jeunes flambeurs ».

    À l’époque, c’est donc en partie à ces #réorganisations successives que la plupart des salariés attribuent, selon ce même rapport, leurs difficultés, qui confinent aux risques psychosociaux. L’arrivée d’une nouvelle directrice à la tête de Campus France, en juillet 2015, semble avoir jeté de l’huile sur le feu.

    #Béatrice_Khaiat a passé une bonne partie de sa carrière dans les cabinets ministériels, notamment celui de l’éducation et de la culture. Proche des milieux socialistes, elle entre en 2012 dans celui du premier ministre Jean-Marc Ayrault, après avoir été directrice déléguée de Campus France, avant la fusion. En 2015, elle devient directrice générale de l’établissement, par décret du président de la République, un mandat renouvelé pour trois ans le 7 mars 2019, malgré les différentes alertes.

    Plusieurs membres de la direction quittent d’ailleurs le navire peu de temps avant sa nomination, à coup de transactions financières. D’après des courriels que nous avons pu consulter, on s’y inquiète déjà de « #harcèlement_caractérisé », d’une volonté de « faire la peau » à d’anciens membres d’Egide, de la persistance de « clans et de factions ». L’un d’entre eux a même, selon nos informations, porté #plainte contre sa directrice auprès de la police, après des propos tenus en réunion. Une plainte classée sans suite.

    Dès le départ, ses manières très directes étonnent : « Lors de la première réunion avec le personnel, Béatrice Khaiat nous a dit qu’à Campus France, on ne vendait pas “des putes ou de la coke”, une manière de souligner que notre matière était noble, se souvient un salarié, qui souhaite rester anonyme. Nous étions dirigés jusque-là par un ambassadeur, tout en retenue… Disons que c’était rafraîchissant. Mais ce mode d’expression a donné le ton sur la suite. J’ai des dizaines de témoignages d’#humiliation de salariés, de feuilles jetées à la figure… »

    Laura Foka en a fait l’expérience. À son retour de congé maternité en 2016, après avoir donné naissance à un deuxième enfant, elle participe à une réunion de service où Béatrice Khaiat plaisante sur son cas. « Au troisième enfant, je licencie », lâche la directrice. Lors d’un point d’actualité, rebelote : « Après deux enfants, il faut se remettre au travail », déclare Béatrice Khaiat devant le personnel réuni. Laura Foka se recroqueville au fond de la salle, et fond en larmes.

    « Mère de famille elle aussi, madame Khaiat a plaisanté avec l’une de ses collègues sur une expérience vécue par toutes les deux, celle d’une jeune mère devant assumer tout à la fois ses obligations professionnelles et familiales, explique aujourd’hui la direction, qui rappelle une #féminisation à 62 % de l’encadrement de Campus France ainsi qu’un score « presque parfait » à l’index de l’égalité homme-femme. Ces propos ont été repris de manière déformée. » Ils ont pourtant été confirmés par plusieurs témoignages et jugés suffisamment sérieux pour avoir fait l’objet d’un courrier de l’inspecteur du travail, qui rappelait à Campus France le risque de « #harcèlement_discriminatoire ».

    Très fragilisée par ces propos, Laura Foka se sent depuis un moment déjà sur la sellette. Dans son service communication, presse et études, c’est l’hécatombe depuis l’arrivée d’un nouveau manager. Les salariés serrent les dents, préviennent en vain les ressources humaines, attendent près d’un an et demi avant d’alerter les syndicats en 2017. Nombre d’entre eux ont des #pensées_suicidaires. Une enquête du CHSCT est déclenchée pour danger grave et imminent.

    Dans l’intervalle, cinq salariés du service, soit presque la totalité du département, quittent Campus France, « à l’américaine, leurs cartons sous le bras », raconte Laura Foka. Cette dernière pour inaptitude, qu’elle finit par accepter, de guerre lasse, face à l’inquiétude de son médecin, et deux pour faute grave ; les derniers dans le cadre de #rupture_conventionnelle, plus ou moins contrainte.

    L’une d’entre eux écrit ainsi ceci, un an plus tard, dans un courrier officiel à la DIRECCTE : « J’en suis arrivée au point de demander une rupture conventionnelle en septembre 2017 pour fuir des conditions de travail intenables et une situation devenue insupportable. » Contredisant les déclarations de la direction qui affirme que « l’intégralité des ruptures conventionnelles depuis la création de l’établissement en 2012 ont été faites à la demande des salariés qui souhaitaient partir et ont été approuvées par les administrateurs salariés ».

    Pour Zoubir Messaoudi, salarié du service informatique, la descente aux enfers professionnelle coïncide également avec l’arrivée de Béatrice Khaiat aux manettes et d’un nouveau manager au service informatique : « Mon ancien chef avait jeté l’éponge, mon N+1 était mis sur la touche. J’arrivais le premier au bureau et repartait le dernier, et pourtant, je recevais des mails où l’on me reprochait tout et n’importe quoi, comme si la direction essayait de constituer un dossier… Je viens du domaine de la prestation de service, où nous sommes clairement de la chair à canon, mais même là-bas, j’étais traité avec plus de respect. »

    Après un premier avertissement pour avoir quitté les locaux à 16 heures un jour de grève des transports (avertissement contesté aux prud’hommes, qui a tranché en sa faveur en 2018), Zoubir Messaoudi est convoqué pour licenciement en juin 2019. Sous le choc, il s’évanouit, ce qui nécessite l’intervention des pompiers et son hospitalisation en psychiatrie. Placé en arrêt de travail, il sera licencié quelques mois après pour faute grave, alors que l’arrêt court toujours, accusé de mauvaise foi vis-à-vis de son supérieur, de dénigrement de sa hiérarchie et de négligence professionnelle.

    « Durant un arrêt de travail et sous certaines conditions, l’employeur peut licencier un salarié, argumente Campus France. En l’occurrence, nous avons estimé, au vu de la gravité des faits commis par le salarié, que ces conditions étaient réunies. » Zoubir Messaoudi se souvient, lui, d’avoir passé « un sale été » l’an passé : « J’avais envie de me jeter par la fenêtre tellement j’avais mal. J’ai négligé ma femme, ma fille. » Il conteste aujourd’hui son licenciement aux prud’hommes.

    Se développer tous azimuts, trouver des recettes propres, répondre à l’ambition politique

    À quand remontent les alertes collectives ? Campus France les a-t-il ignorées ? Le premier rapport sur les risques psychosociaux, rédigé par le cabinet Orseu, agréé par le ministère du travail, est immédiatement contesté par la direction, qui remet en cause le professionnalisme des experts mandatés. Il concluait néanmoins en avril 2016 à un « risque psychosocial majeur ».

    Le deuxième rapport sur la qualité de vie au travail, rédigé par le cabinet (non agréé) Empreinte humaine un an plus tard est bien moins sévère, mais ne dément pas que l’organisation du travail puisse être améliorée. Il s’est ensuivi de séances menées par des psychologues du travail, pour que les salariés aient le moyen de s’exprimer. « Ces séances ont été l’occasion de larmes, de colère, d’insultes, rapporte un élu. Et il a fallu attendre un an et demi pour avoir un retour. Malgré nos demandes, la direction n’en a strictement rien fait. »

    Le 27 mars 2018, le CHSCT se félicite qu’une formation en droit social, de plusieurs dizaines de milliers d’euros, ait finalement été organisée à destination des managers, avant de regretter qu’elle ait été essentiellement « dédiée au processus de licenciement, à l’éventail des sanctions disciplinaires, au recueil des preuves, etc. » avant de s’interroger benoîtement pour savoir si ces formations « ne visent pas à étayer une politique de réduction de l‘effectif ». Une formation, s’insurgeaient les élus, qui abordait aussi la question « du licenciement des salariés protégés ».

    Deux autres enquêtes, à la suite d’alertes pour danger grave et imminent, ont donné lieu à des passes d’armes. La première, lancée par le CHSCT (où sont représentés direction et élus du personnel) au sujet de Ronel Tossa, aboutit à deux rapports divergents, l’un de la direction et l’autre des élus. C’est pourtant le premier que transmettra Campus France au juge en charge de trancher sur la légalité de son licenciement, le présentant comme le rapport du CHSCT, ce que ne manqueront pas de contester les élus de l’époque ainsi que le salarié concerné.

    Le ministère du travail lui-même, sollicité sur le licenciement de Ronel Tossa, mandaté par la CFDT comme délégué du personnel, a débouté l’établissement public en février 2019, reprenant les mots de l’inspecteur pour justifier sa position. Dans un mémoire auquel nous avons eu accès, il parle d’une « organisation pathogène volontaire » où le cas de ce salarié est à « replacer dans le contexte global de cette société, une hiérarchie qui dénie tout droit à ses salariés et qui a organisé un système de #souffrance_au_travail ».

    Campus France a fait appel de cette décision et assure avoir « contesté ces propos dans le cadre d’un recours hiérarchique mettant en cause l’impartialité de l’inspecteur du travail ». L’agence a manifestement eu gain de cause, car cet inspecteur a depuis été remplacé, au grand dam de plusieurs salariés. La direction enfonce d’ailleurs le clou : « Aucune situation correspondant à du harcèlement moral n’a été retenue et aucune mesure en conséquence n’a été prise par l’inspection du travail. »

    Elle se félicite également qu’aucune alerte pour danger grave et imminent n’ait été déclenchée depuis 2018. Même son de cloche auprès des salariés du conseil d’administration et de la secrétaire du CSE : « Le personnel Campus France a tourné la page depuis longtemps – sachant que la grande majorité ignorait ces #conflits_sociaux – afin de poursuivre la construction d’une véritable #culture_d’entreprise qui a pu être en défaut lors de la création de l’EPIC par la fusion en 2012 de deux entités distinctes et avec des fonctionnement différents. »

    Or pour cet ancien élu, très au fait de tous ces dossiers, la direction n’a pas cessé de vouloir au fil des ans « casser le thermomètre ». Lors d’une réunion du CHSCT, où sont évoquées la situation d’Abdelhafid Ramdani et la nécessité de déclencher une nouvelle #alerte pour #danger_grave_et_imminent (la médecin du travail évoquant le risque suicidaire), le directeur des ressources humaines explique ainsi à l’assemblée sidérée que « tout le monde meurt un jour ». « Après plusieurs tergiversations, on a quand même obtenu une enquête, élargie à toute la direction informatique », poursuit l’élu présent ce jour-là, sans trop y croire. « Les gens savaient que ceux qui étaient en conflit avec la direction étaient virés ou au placard, et donc ils se sont tus. » De fait, ce deuxième rapport ne conclut pas à un quelconque harcèlement.

    La médecin du travail elle-même, ont raconté à plusieurs reprises les salariés, se contente souvent de renvoyer la souffrance dos à dos, et évoque le décès, en 2015, d’Elsa Khaiat (parfois orthographié Cayat), la sœur de Béatrice Khaiat, lors de l’attentat de Charlie Hebdo, pour expliquer une forme d’emportement de la directrice générale. Le service de presse de Campus France fera d’ailleurs de même, en préambule de ses réponses à nos questions, pour nous décrire une « femme entière », issue d’une « famille engagée ».

    Plus profondément, ce que redoutent certains élus et salariés, c’est une forme de dégraissage déguisé des #effectifs, alors qu’une première vague de départs a déjà eu lieu lors de la fusion, en 2012. Cinq ans plus tard, en 2017, l’expert du comité d’entreprise s’inquiète d’une hausse des ruptures conventionnelles et d’une enveloppe dédiée à ces départs de 150 000 euros.

    « Un #abus_de_droit », soutien ce même expert, qui rappelle la mise sur pied par le gouvernement d’un « nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective pour éviter des dérives ». Ce même expert, en septembre 2019, revient à la charge : « La première cause des départs sont les ruptures conventionnelles, qui représenteraient 30 % des départs sur les quatre dernières années », soit 31 postes en CDI. Tous ont été « homologués par l’inspection du travail », se défend Campus France, qui parle de « faits erronés », sans plus de précisions et assure que son équipe a maintenu les effectifs à flot, depuis la fusion.

    Mais à plusieurs reprises, le message envoyé aux salariés est clair : « La porte est grande ouverte », dira même un représentant de la direction lors d’une réunion avec les délégués du personnel, en mars 2017. Lors d’un pot de départ d’une salariée à l’occasion d’une rupture conventionnelle, à l’extérieur des locaux de Campus France, Béatrice Khaiat prend la parole, et incite, selon des témoins de la scène, les salariés à faire de même : « Faites comme elle, d’ailleurs, c’est magnifique ! », s’enthousiasme la responsable.

    « La direction, en CHSCT, devant l’inspecteur du travail et au cours de points d’information, a fait savoir, à de multiples reprises, que la porte était “grande ouverte”. Cela n’a jamais été un incident isolé, mais des propos récurrents », témoigne Ambroise Dieterle, secrétaire du CSE jusqu’en mai 2020, aujourd’hui en reconversion professionnelle.

    La question financière n’est pas étrangère à cette tendance. Un an après son arrivée, la directrice générale l’annonce aux élus : la #masse_salariale est trop importante au vu du #budget dont elle dispose, et devra être amputée d’un million d’euros. Les départs auront lieu, au fil de l’eau, alors même que l’agence doit se développer tous azimuts, trouver des recettes propres, et répondre à l’ambition politique. Derniers en date, le « #Make_our_planet_great_again », d’Emmanuel Macron, initiative qui a fortement mobilisé Campus France, ou encore le récent programme #Al-Ula, accord de coopération entre la France et l’Arabie saoudite.

    « C’est une question de dosage dans sa mission d’intérêt public, rappelle un ancien haut dirigeant de Campus France. Un Epic comme Campus France doit faire des recettes mais reste soumis à un agent comptable public. On a toutes les contraintes du droit privé, très contraignant, et celles de la comptabilité publique, extraordinairement lourdes. »

    Pour un ancien salarié œuvrant dans la gestion des bourses étudiantes, qui vient de quitter Campus France avec pas mal d’amertume, le problème réside plutôt dans ce que tout le monde « vienne prendre commande » chez Campus France, ministères, université, grandes écoles. Or l’arbitre à la toute fin, « c’est Bercy [le ministère des finances – ndlr] ». Quitte à une perte de sens dans les missions, poursuit-il : « Nous étions des fluidificateurs pour les étudiants, nous sommes devenus des auxiliaires de police, des collectionneurs de pièces. Notre image auprès d’eux, et des ambassades, se dégrade considérablement. »

    La critique n’est pas neuve. En 2012, un article du Monde racontait les débuts chaotiques de l’agence Campus France, ses tarifs devenus élevés, et ces étudiants étrangers, livrés à eux-mêmes à leur descente de l’avion. Quelques jours plus tard, le président du conseil d’administration Christian Demuynck (membre des Républicains) présentait même sa démission, critiquant une « gestion sans stratégie ni ambition de l’établissement par quelques fonctionnaires des tutelles nuisant gravement tant à son indépendance qu’à la qualité de son travail ».

    Dans la même lettre, que nous avons pu consulter, il rajoutait ceci : « J’espère que ma démission sera l’occasion pour l’État de mener un examen nécessaire des établissements publics qui sont nombreux, comme Campus France, à subir un tel mode de gestion. » Tout comme leurs salariés, sommés de suivre, parfois dans la douleur.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/080720/souffrance-au-travail-campus-france-le-cout-social-du-soft-power?onglet=fu
    #travail #conditions_de_travail

  • Enfants migrants enfermés : la grande #hypocrisie

    La France condamnée six fois depuis 2012

    En dépit de cette Convention, l’UE n’interdit pas la rétention des enfants. La directive « retour » de 2008 l’autorise comme « dernier ressort quand aucune autre #mesure_coercitive n’est possible pour mener à bien la procédure de #retour », nous précise le commissaire européen chargé de la migration. « L’Europe a toujours eu pour priorité la protection des enfants en migrations », explique Dimítris Avramópoulos. Seulement, la Commission européenne semble avoir un objectif plus important : garantir les expulsions. « Une interdiction absolue ne permettrait pas aux États membres d’assurer pleinement les procédures de retour, affirme le commissaire, car cela permettrait la fuite des personnes et donc l’annulation des expulsions. » De là à dire que la Commission propose de retenir les enfants pour mieux expulser les parents, il n’y a qu’un pas.

    Toutefois, rares sont les États de l’UE à assumer publiquement. Des enfants derrière les barreaux, c’est rarement bon pour l’image. L’immense majorité d’entre eux cachent la réalité derrière les noms fleuris qu’ils inventent pour désigner les prisons où sont enfermés des milliers de mineurs en Europe (seuls ou avec leurs parents). En #Norvège, comme l’a déjà raconté Mediapart, le gouvernement les a baptisées « #unité_familiale » ; en #Hongrie, ce sont les « #zones_de_transit » ; en #Italie, les « #hotspots » ; en #Grèce, « les #zones_sécurisées ». Autant d’euphémismes que de pays européens. Ces endroits privatifs de liberté n’ont parfois pas de nom, comme en #Allemagne où on les désigne comme « les #procédures_aéroports ». Une manière pour « les États de déguiser le fait qu’il s’agit de détention », juge Manfred Nowak.

    Certains d’entre eux frisent carrément le #déni. L’Allemagne considère par exemple qu’elle ne détient pas d’enfants. Et pourtant, comme Investigate Europe a pu le constater, il existe bien une zone fermée à l’#aéroport de #Berlin dont les murs sont bardés de dessins réalisés par les enfants demandeurs d’asile et/ou en phase d’expulsion. Étant donné que les familles sont libres de grimper dans un avion et de quitter le pays quand elles le souhaitent, il ne s’agit pas de détention, défend Berlin. Même logique pour le gouvernement hongrois qui enferme les mineurs dans les zones de transit à la frontière. Comme ils sont libres de repartir dans l’autre sens, on ne peut parler à proprement parler de #prison, répète l’exécutif dans ses prises de parole publiques.

    L’#invisibilisation ne s’arrête pas là. Le nombre d’enfants enfermés est l’un des rares phénomènes que l’UE ne chiffre pas. Il s’agit pourtant, d’après notre estimation, de plusieurs milliers de mineurs (au moins). Le phénomène serait même en augmentation en Europe « depuis que les États membres ont commencé à rétablir les contrôles aux frontières et à prendre des mesures plus dures, y compris dans des pays où la détention des enfants avait été totalement abandonnée au profit de méthodes alternatives », constate Tsvetomira Bidart, chargée des questions de migrations pour l’Unicef.

    En dépit de son insistance, même l’agence spécialisée des Nations unies n’est pas parvenue à se procurer des statistiques précises sur le nombre d’enfants enfermés dans l’UE. Et pour cause, précise Bidart, « la réglementation européenne n’impose pas de fournir ces statistiques ». Qui plus est, certains États membres procéderaient « à des détentions illégales d’enfants » et donc – logique – ne les comptabiliseraient pas. Quoi qu’il en soit, il existe un véritable chiffre noir et jusqu’à aujourd’hui, aucune volonté politique de sortir ces enfants de l’ombre où on les a placés. « Publier des statistiques de qualité, conclut l’experte, c’est la clef de la visibilité. »

    Le gouvernement français semble, lui, tenir des statistiques, seulement il rechigne à fournir ses chiffres à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), comme nous l’a révélé la juriste responsable du suivi de la France auprès de la juridiction internationale. Chantal Gallant intervient une fois que le pays est condamné en s’assurant que les autorités prennent bien des mesures pour que les violations des droits humains ne se reproduisent pas. La France étant le pays de l’UE le plus condamné concernant les conditions de détention des mineurs migrants, elle a du pain sur la planche. Déjà six fois depuis 2012… Si l’on en croit la juriste, les dernières données fournies par la #France dateraient de 2016. Quatre ans. D’après elle, la Cour les a réclamées à plusieurs reprises, sans que ses interlocuteurs français – le ministère des affaires étrangères et la représentation française au Conseil de l’Europe – ne donnent suite.

    Chantal Gallant confesse toutefois « qu’elle a mis de côté le dossier » depuis août 2018, car ses interlocuteurs lui avaient certifié que la France allait limiter la rétention des mineurs en #CRA (ces centres où sont enfermés les sans-papiers en vue de leur expulsion) à 5 jours, au moment du débat sur la loi « asile et immigration » de Gérard Collomb. Cela n’a pas été fait, bien au contraire : le Parlement a décidé alors de doubler la durée de rétention maximale, y compris des familles avec enfants (il n’y a jamais de mineurs isolés), la faisant passer de 45 à 90 jours, son record historique. Une durée parmi les plus importantes d’Europe (l’Angleterre est à 24 heures, la Hongrie n’en a pas) et une violation probable de la Convention européenne des droits de l’homme. « Ce que je peux dire, c’est que la durée de 90 jours ne me semble pas en conformité avec la jurisprudence de la Cour, précise Chantal Gallant. Nous considérons qu’au-delà de 7 jours de rétention, le traumatisme créé chez l’enfant est difficile à réparer. »

    La situation est-elle en train de changer ? Le 3 juin, le député Florent Boudié (LREM) a été désigné rapporteur d’une proposition de loi sur le sujet, en gestation depuis deux ans, véritable arlésienne de l’Assemblée nationale. En janvier, l’assistante du parlementaire nous faisait encore part d’« un problème d’écriture sur cette question délicate »… Alors que de nombreux élus de la majorité poussaient pour plafonner la rétention des mineurs à 48 heures, la version déposée le 12 mai reste scotchée à cinq jours tout de même. Et son examen, envisagé un temps pour le 10 juin en commission des lois, n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour officiel. « La reprogrammation est prévue pour l’automne dans la “niche” LREM », promet désormais Florent Boudié.

    En l’état, elle ne vaudrait pas pour le département français de #Mayotte, visé par un régime dérogatoire « compte tenu du contexte de fortes tensions sociales, économiques et sanitaires ». Surtout, elle ne concerne que les centres de rétention et non les zones d’attente. Les enfants comme Aïcha, Ahmad et Mehdi pourront toujours être enfermés jusqu’à 20 jours consécutifs en violation des conventions internationales signées par la France.

    À l’heure où nous écrivions ces lignes (avant le confinement lié au Covid-19), les deux orphelins marocains avaient été confiés par le juge des enfants à l’Aide sociale à l’enfance. « Le jour où on nous a libérés, j’étais si content que j’ai failli partir en oubliant mes affaires ! », s’esclaffait Mehdi, assis à la terrasse du café. Comme la plupart des mineurs isolés âgés de plus de 15 ans, ils ont été placés dans un hôtel du centre de Marseille avec un carnet de Ticket-Restaurant en poche. La moitié des six mineurs sauvés du conteneur logés au même endroit, eux, ont disparu dans la nature, selon leurs avocates. Ont-ils fugué pour rejoindre des proches ? Ont-ils fait de mauvaises rencontres dans les rues de la Cité phocéenne ? Personne ne sait ni ne semble s’en préoccuper.

    Mehdi et Ahmad, eux, n’ont aucune intention de mettre les voiles. Les deux orphelins de Melilla n’ont qu’une hâte : reprendre le chemin de l’école, l’un pour devenir plombier, l’autre coiffeur. Ils ne sont qu’au début du chemin mais, pour l’heure, ils veulent croire que « la belle vie » commence enfin.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/180620/enfants-migrants-enfermes-la-grande-hypocrisie?page_article=2
    #migrations #asile #réfugiés #enfants #enfance #détention_administration #rétention #emprisonnement #enfermement #Europe #retours #renvois #expulsions #euphémisme #mots #vocabulaire #terminologie #statistiques #chiffres #transparence

    ping @karine4 @isskein

  • Fact-checking | Les ratés de l’accélération des procédures

    Entre le discours ultra positif (https://www.lacote.ch/articles/suisse/migration-davantage-de-requerants-quittent-la-suisse-volontairement-891190) dans la presse du patron du Secrétariat d’État aux migrations (#SEM) Mario Gattiker sur la nouvelle procédure d’asile accélérée en vigueur depuis le 1er mars 2019 [1] et le tableau que dressent plusieurs arrêts du Tribunal administratif fédéral (TAF) sur cette même procédure, on peut se demander si l’on parle de la même chose. Vivre Ensemble a déjà évoqué dans ses colonnes le manque d’#accès_aux_soins (https://asile.ch/2019/07/29/procedures-accelerees-et-acces-aux-soins-lequation-impossible-soins-dans-la-no) et de prise en compte de l’état de #santé (https://asile.ch/2019/07/29/procedures-accelerees-et-acces-aux-soins-lequation-impossible-prise-en-conside) dans la décision d’asile ayant motivé le TAF à renvoyer sa copie au SEM [2]. À ce jour, quelque 37 jugements ne concernant que la Suisse romande, et dont le plus récent date de janvier 2020, montrent des défaillances systémiques dans le dispositif de santé mis en place. Mais ce n’est pas tout. L’instance de recours a rendu de nombreux autres arrêts édifiants sur la (très piètre) qualité de l’établissement des faits et des mesures d’instruction effectué par le SEM dans les centres fédéraux. Toutes ces décisions négatives cassées par le TAF auraient pu avoir des conséquences graves pour les personnes concernées dont la vie et l’intégrité sont en jeu. Et elles ne sont que la pointe de l’iceberg.

    Pour rappel, la nouvelle procédure d’asile – ou restructuration – entrée en force en mars 2019 a été conçue pour « accélérer » l’examen des demandes d’asile en imposant une cadence très rapide pour les cas considérés comme « simples ». Les délais pour faire recours contre une décision sont raccourcis de 30 à 7 jours ouvrables ; une représentation juridique gratuite est garantie pour contre-balancer ce raccourcissement des délais que justifierait la non-complexité des cas.

    À l’élaboration du projet de loi, le SEM évaluait le taux de ces cas dits « simples » à 20%. Parmi les 80% restants, il estimait à 40% la proportion de procédures Dublin (également traitées de façon accélérée dans les centres fédéraux) et à 40 % le taux de cas dits « complexes » affectés en procédure étendue. Dans ce dernier cas, les demandeurs d’asile sont attribués aux cantons. La procédure accélérée et les procédures Dublin sont entièrement menées dans les centres fédéraux, dont il a fallu augmenter la capacité.

    Liquider plutôt qu’investiguer

    Logiquement – et légalement – la répartition entre procédure accélérée et étendue devrait découler de l’appréciation de la situation individuelle des personnes en quête de protection par le fonctionnaire du SEM en charge de leur requête. La différenciation entre cas « simples » (manifestement fondés ou infondés) et cas « complexes » devrait dépendre de l’évaluation des démarches supplémentaires à mener au terme de la première audition sur les motifs d’asile pour pouvoir prendre une décision motivée : audition complète, vérification des allégations du requérant par l’obtention de documents, la recherche d’informations sur les pays, auprès des ambassades à l’étranger, problématique médicale à éclaircir, etc.

    Des dizaines d’arrêts cassés par le TAF en Suisse romande

    Or ce que montrent plus d’une quinzaine d’arrêts du TAF, c’est que les fonctionnaires ont préféré liquider – par décision négative – des situations qui auraient à l’évidence dû être transférées en procédure étendue pour examen approfondi [3]. Et les juges de rappeler que « les nouveaux délais de procédure ne dispensent pas le SEM d’établir les faits de manière complète et correcte », car, soulignent-ils, « l’examen d’un cas complexe en procédure accélérée induit un risque de violation des garanties procédurales » (E-3447/2019 du 13.11.2019). Les juges ajoutent à l’intention du SEM quelques illustrations de cas justifiant le passage en procédure étendue, notamment la production de nombreux moyens de preuve ou la tenue de plusieurs auditions.

    Cette remise à l’ordre s’ajoute à de nombreux arrêts cassant les décisions du SEM pour établissement des faits incomplet et violation du droit d’être entendu (voir exemples en encadré ci-dessous).

    Le SEM a eu plus de 5 ans pour tester les procédures

    Comme il n’a cessé de le faire dans ses réponses à la presse face aux dysfonctionnements de prise en charge médicale révélés par la jurisprudence du TAF, le SEM se justifiera sans doute par des erreurs de jeunesse. Sachant qu’il a eu plus de 5 ans pour « tester » ces nouvelles procédures avant leur entrée en vigueur dans toute la Suisse [4], on retoquera sèchement cette excuse.

    D’une part en raison des enjeux inhérents à une mauvaise décision d’asile, à savoir le risque d’un renvoi vers un pays où la vie et l’intégrité sont menacés. Ensuite parce que l’on sait que du fait justement de l’accélération des procédures, de nombreuses décisions ne sont pas contestées, la représentation juridique mandatée par le SEM, surchargée, renonçant à recourir dans les cas qu’ils jugent dénués de chance d’aboutir ou à entamer des recherches supplémentaires. À l’aéroport de Genève, on a récemment vu un homme gagner seul devant le TAF : les avocats de Caritas Suisse avaient renoncé à faire recours [5] !

    Accélération ou… allongement des procédures ?

    Une justification retoquée, enfin, parce que parallèlement, Monsieur Gattiker, haut responsable du SEM et de ces dysfonctionnements, fanfaronne dans la presse sur le succès de la procédure accélérée. Selon l’ats, « Mario Gattiker se dit ‹ très satisfait › de la mise en œuvre de la nouvelle loi sur l’asile. Il faut en moyenne 48 jours au SEM pour statuer sur une demande. Et seules 18% des demandes d’asile sont traitées dans le cadre d’une procédure élargie en raison de nécessaires clarifications complexes. Les procédures accélérées doivent prendre moins de 50 jours, celles élargies moins de 100. » [6]

    À coup sûr que dans son calcul, il ne tient pas compte de l’allongement des procédures dues à ces décisions bâclées, qui font l’objet d’un recours, et sont ensuite renvoyées par le TAF au SEM pour nouvelle décision…

    DISPOSITIF SANTé EN CAUSE

    Gros point noir de cette nouvelle procédure, le dispositif santé a fait l’objet d’une quarantaine d’arrêts du TAF rien que pour la Suisse romande depuis le lancement de la phase pilote à Boudry, le dernier datant de janvier 2020*. Il cristallise la problématique de l’établissement des faits et des mesures d’instruction dans le cadre de la procédure accélérée et demeure largement d’actualité.

    En effet, au centre fédéral de Boudry, l’interdiction faite aux défenseurs juridiques des requérants d’asile d’avoir des contacts directs avec les médecins du centre médical privé sous mandat du SEM a pour conséquence des dossiers sur l’asile incomplets. Et des décisions ne tenant pas compte de l’état de santé pouvant attester des allégations à l’appui de la demande d’asile ou de vulnérabilités prépondérantes dans les procédures Dublin. La seule communication admise par le SEM est l’envoi par les médecins via email d’un formulaire médical très succinct au mandataire. Transmission qui a parfois connu des ratés, le mandataire se trouvant sans informations médicales parfois déterminantes pour attester des motifs d’asile. Si le mandataire souhaite des informations médicales supplémentaires, il doit passer par le SEM pour demander un rapport détaillé aux médecins. Rapport que le SEM peut arbitrairement décider de ne pas lui transmettre, les médecins privés n’ayant de leur côté pas le droit de l’adresser aux défenseurs juridiques !

    Par ailleurs, l’accès aux médecins du centre médical est très difficile pour les demandeurs d’asile : l’infirmerie de Boudry joue un rôle de filtre. Et lorsque les personnes sont transférées au centre fédéral de Chevrilles, le suivi médical est rendu encore plus difficile. Un système qui fonctionne donc en huis clos sous contrôle total du SEM.

    *Le concept médical santé à l’œuvre en Suisse romande est détaillé dans les arrêts D-1954/2019 du 13 mai 2019 et E-3262/2019 du 4 juillet 2019.

    Arrêts illustrant l’inadéquation de la procédure accélérée en raison de la complexité du cas

    Couple iranien dont l’épouse s’est convertie au christianisme. Elle a été accusée d’atteinte à l’ordre public et aux mœurs religieuses, emprisonnée et est dans l’attente de son procès. Elle a en outre subi une agression de la part d’un cousin en raison de sa conversion. Le TAF souligne que, contrairement à l’appréciation du SEM, le récit des recourants est crédible, étayé et vraisemblable sur ses aspects fondamentaux. Le TAF relève que l’examen des points fondamentaux est totalement absent des PV d’auditions et que le SEM place des exigences trop élevées en se basant sur le niveau d’éducation des recourants. Il indique par ailleurs que compte tenu des délais légaux pour obtenir des documents depuis l’étranger ou commanditer une enquête en ambassade, il aurait convenu de traiter la demande en procédure étendue.Les nouveaux délais induits par la nouvelle procédure ne dispensent pas le SEM d’établir les faits de manière complète et exacte. Recours admis.
    ATAF D-3503/2019 du 24.07.2019

    Cas d’un ressortissant du Nigéria alléguant des persécutions en lien avec son homosexualité. Le TAF relève que le SEM n’a pas laissé l’opportunité au recourant d’obtenir et de produire des moyens de preuve. Il n’a pas examiné les allégations en tenant compte de la situation au Nigéria. La décision rendue par le SEM découle principalement de pures spéculations. Rappelant que le choix du type de procédure dépend uniquement de l’autorité de première instance, le TAF souligne que la procédure en question était trop complexe pour être menée en procédure accélérée. Or, le traitement de dossiers complexes dans le cadre de la procédure accélérée, qui, par définition, ne permet pas la tenue d’audition longues et l’appréciation de plusieurs éléments de preuve complexes, n’est pas approprié. En effet, une telle approche comporte le risque d’une violation des garanties procédurales des demandeurs d’asile. Recours admis pour établissement incomplet des faits et violation du droit d’être entendu.
    ATAF E-2965/2019 du 28.06.2019

    https://asile.ch/2020/02/06/fact-checking-les-rates-de-lacceleration-des-procedures

    #accélération_des_procédures #asile #migrations #réfugiés #Suisse #TAF #procédures_accélérées #centre_fédéral #centres_fédéraux #procédure_d'asile #procédure_étendue #cas_simple #cas_complexe #SEM #TAF #accès_aux_soins #Boudry

  • Fil de discussion autour de la #Loi_de_programmation_pluriannuelle_de_la_recherche (#LPPR) : informations autour du contenu de la loi...

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    #LPPR : En finir avec « ce stupide calcul des #192_heures du temps de service »

    « Ce stupide calcul des 192 heures du temps de service », c’est ainsi qu’un président d’université présentait la règle principale qui régit le temps de travail des #enseignants-chercheurs (EC). Sa suppression était l’objet de l’ateliers « Référentiel temps des E.C. & Compte Epargne Enseignement et Recherche : quelles évolutions ? » organisé à l’Université de Strasbourg. Ce calcul devrait être entière revu en février prochain. L’occasion de s’interroger sur les enjeux du temps de travail des enseignants-chercheurs.

    Depuis 1984 et la loi Sauvadet, les EC ont un service statutaire d’enseignement de 192 heures. En théorie, cela correspond à un mi-temps, l’autre étant consacré à la recherche. En pratique, c’est un peu plus compliqué. Un historique est disponible ici :

    La règle des 192 heures est difficile à saisir, car elle change de tout au tout selon le point de vue que l’on adopte : Université dans son ensemble, enseignants-chercheurs, dirigeants des universités ou ministère.
    Du point de vue de l’Université…

    Du point de vue de l’Université, la règle des 192 heures a deux fonctions :

    – assurer, qu’à l’Université, l’enseignement soit adossé à la recherche et la recherche à l’enseignement ;
    – assurer une base commune à tous les enseignants-chercheurs, ce qui participe à faire communauté.

    Il est ainsi assez remarquable qu’une ATER (attachée temporaire d’enseignement et de recherche) en chimie dans un IUT de campagne dispose des mêmes obligations de service qu’un professeur de Lettres de classe exceptionnelle à la Sorbonne. C’est un point commun très fort, et une des richesses principales de notre système universitaires.
    Du point de vue des enseignants-chercheurs…

    Du point de vue des enseignants-chercheurs, cette règle est souvent perçue comme une contrainte lourde et inutile. A différents moments de leur carrière, ils peuvent vouloir investir plus de temps dans l’une ou l’autre des activités. Même si cela est reconnu comme globalement bénéfique, il peut être frustrant de devoir faire cours en plein milieu d’une recherche, ou de devoir publier pendant le montage d’un cours passionnant.

    De plus, durant les 15 dernières années, les gouvernement ont démultiplié le nombre des missions des EC, et les taches administratives se sont notoirement alourdies. Ces raisons font que de nombreux dispositifs affaiblissent déjà la règles des 192h : CRCT, décharges, référentiels de tâches, équivalences horaires, heures complémentaires, etc. Au final, peu d’enseignants-chercheurs effectuent exactement 192h.

    Enfin, la contrainte administrative est souvent lourde : pour une heure d’enseignement en trop ou en moins, c’est plusieurs heures qui pourront être nécessaires pour résoudre le problème avec l’administration. Tout ceci conduit à ce que cette règles n’ait globalement pas une très bonne réputation. Ainsi, son assouplissement représente l’espoir pour les EC de :

    faire moins d’heures d’enseignement, notamment pour chercher plus, mais aussi pour enseigner mieux ;
    avoir moins de contraintes administratives ;
    avoir une meilleure reconnaissance des différentes activités, et donc une augmentation des rémunérations.

    Mais ces espoirs sont vains dans le contexte actuel. En effet, les universités ne disposent plus des marges de manœuvre permettant de baisser le nombre d’heures, de diminuer les charges ou d’augmenter les rémunérations. On pourra seulement organiser un transfert d’un EC à l’autre, opération qui intéresse avant tout les directions.
    Du point de vue des directions des universités…

    Du point de vue des directions des universités, les 192h sont une contrainte lourde. Cette règle empêche notamment d’obliger un EC à faire plus d’heures de cours, quelle que soit sa production scientifique. Elle oblige également à payer les heures de cours supplémentaires, même si le tarif est notoirement bas.

    En période d’augmentation du nombre d’étudiants et de gel des effectifs, les 192 heures peuvent apparaître comme une contrainte intenable aux yeux des directeurs de composante. Ils peuvent alors chercher à l’affaiblir afin de pouvoir « tenir les maquettes », notamment par la négociation à la baisse des référentiels et équivalences horaires.

    Pour les présidences, la règle des 192 heures empêche surtout la « bonne gestion » des personnels. Il est impossible de déployer un « management agile » avec des personnels ayant tous les mêmes obligations. Or, la masse salariale représente environ 80% du budget des universités : 160 M€ en moyenne, et jusqu’à plus de 500 M€. La moitié environ est consacrée aux enseignants-chercheurs.

    Malgré les RCE (responsabilités et compétences élargies), 40% du budget d’une université échappe donc au contrôle de sa direction. Cela peut légitimement être perçu comme une atteinte à l’autonomie de présidences s’estimant à même de mieux utiliser ces centaines de millions d’euros si elles en disposaient vraiment.
    Enfin, du point de vue du ministère…

    Du point du vue du ministère, l’enjeu des 192 heures est surtout un enjeu financier. Avec 90 000 enseignants du supérieur dont 55 000 enseignants-chercheurs, au tarif de l’heure complémentaire, chaque heure en plus représente entre 3 et 5 M€. L’enjeu est donc de taille.

    Cependant, augmenter les services uniformément serait inacceptable pour la communauté, qui risquerait de faire front commun. Il est toujours plus facile d’avoir à faire à une communauté aux intérêts divisés. Supprimer la règle des 192 heures commune à tous les EC est donc aussi un enjeu de gestion du rapport de force pesant sur les réformes.

    La fin de cette règle commune pourrait bien faire voler en éclat la communauté universitaire, déjà beaucoup fragilisée. Cette division s’avérerait extrêmement rentable des points de vue financiers et réformateurs, mais non sans de grands risques pour le bon exercice des missions et les conditions de travail.
    Un peu d’anticipation

    La règle des 192 heures est perçue de façon très différente par les différents acteurs de l’enseignement supérieur, ce qui rend les discussions très compliquées. Il y a peu de chance pour qu’elle soit sèchement supprimée, il sera tout aussi efficace de développer les dispositifs dérogatoires qui existent déjà et d’en proposer de nouveaux, en apparence -et en apparence seulement- avantageux pour les enseignants-chercheurs. On peut alors anticiper les réactions des différents acteurs suite à une dérégulation :

    Le ministère pourra justifier une baisse relative des dotations par étudiant face aux présidences, en argumentant qu’elles ont désormais l’agilité qu’elles réclamait dans la gestion des heures d’enseignement.
    Les présidences pourront (enfin) développer des stratégies d’établissement différenciantes, en clair : proposer des conditions de travail différentes d’une université à l’autre, et même d’un EC à l’autre. Caricaturalement, pour augmenter l’attractivité, on pourra officiellement permettre aux stars d’enseigner ce qu’elles souhaitent, ce qui implique que d’autres devront faire plus d’heures.
    Les enseignants-chercheurs resteront pris dans le système de pressions qu’ils entretiennent déjà eux-mêmes, et qui poussent certains à accepter toujours plus de charges sans contrepartie, pendant que d’autres évoluent toujours plus vite dans leur carrière.

    Les premiers sont ceux qui appliquent une stratégie collective, et les seconds ceux qui appliquent une stratégie individualiste. La communauté devrait donc en sortir notoirement affaiblie, ouvrant des perspective de réformes encore plus intéressantes pour les réformateurs.

    http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/20/lppr-en-finir-avec-ce-stupide-calcul-des-192-heures-du-temps-de-servic
    #ESR #université #France #enseignement #recherche

    sur la #LPPR, voir aussi :
    https://seenthis.net/messages/816183#message816189

    • À la découpe : sur le vote de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019 , et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 en atteste. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier, de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019. Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.


      *

      À l’issue de la lecture au pas de charge de la trépidante actualité législative touchant enseignement supérieur et recherche, affirmons simplement :

      L’Université est morte
      Vive l’Université

      https://academia.hypotheses.org/7164

    • La commission permanente du Conseil National des Universités vote à l’unanimité une motion sur la LPPR

      La commission permanente du #CNU, réunie le mardi 7 janvier 2020 à Paris en vue de l’installation de son bureau, rappelle son attachement aux missions nationales du CNU, instance garante d’équité, d’impartialité, d’expertise et de collégialité dans l’appréciation des différents aspects de la carrière des enseignants-chercheurs.

      L’assemblée s’alarme de certains éléments évoqués dans les rapports préalables au futur projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche : la suppression de la procédure de qualification, de la clause d’accord des intéressés pour la modulation des services, de la référence aux 192 heures (équivalent TD) d’enseignement et donc de la rémunération des heures complémentaires, ainsi que la création de nouveaux contrats de travail d’exception aux dispositions statutaires.

      Si elles devaient obtenir force de loi, ces dispositions équivaudraient à une remise en cause du statut d’enseignant-chercheur et des fonctions du CNU.

      L’assemblée demande instamment que la CP-CNU soit désormais associée à la réflexion sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      NPPV : 0
      ABST : 0
      CONTRE : 0
      POUR : unanimité des présents

      https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir

    • “La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante” : sur la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Les groupes de travail en préparation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont le vote est prévue au printemps 2020, ont rendu leurs rapports respectifs en septembre 2019. Ils retrouvent une certaine actualité à l’occasion des la polémique lancée par Antoine Petit, président-directeur général du CNRS et d’Emmanuel Macron, président de la République.

      Le rapport du Groupe de travail n°2, “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“, dirigé par Philippe Berta, Philippe Mauguin, Manuel Tunon de Lara1 , commence par un constat simple :

      le niveau de rémunération des emplois de l’ESR, notamment en début de carrière, est très insuffisant, inférieur de près de 40% à la moyenne de l’OCDE. Il est aussi inférieur de près de 35% aux rémunérations des autres corps de rang A de la fonction publique et de plus de 20% de la fonction privée. Le constat n’est pas différent, sinon pire, pour les personnels administratifs et techniques.

      Le niveau de rémunération faible est à mettre en regard des moyens, là aussi largement insuffisant. “Or, a indiqué un chercheur français désormais parti à l’étranger, « les moyens, c’est une façon de dire aux gens que ce qu’ils font est important ». (p.21).

      le nombre d’emplois pérennes a drastiquement diminé depuis 2012

      C’est vrai pour les EPST (-7,8% en 6 ans), comme pour les Universités où le nombre d’enseignants-chercheurs est resté stable alors que les effectifs croissaient. Désormais un tiers des enseignements à l’Université est assuré par des contractuel.les ou des PRAG.
      L’emploi contractuel est massif, tant dans les EPST (25%) que dans les Universités (35%).

      Baisse importante des recrutements de chercheurs, d’enseignants-chercheurs et d’ingénieurs de recherche, qui est sans doute, à terme, le phénomène le plus dommageable à l’attractivité de l’emploi scientifique. Il envoie un signal négatif à ceux qui veulent s’engager dans les carrières scientifiques. Il conduit parricochet au développement de situations précaires, y compris pour des éléments brillants, sans perspective de débouchés. Il freine les redéploiements nécessaires vers les priorités scientifiques. Il rend plus difficile les promotions et en conséquence l’ouverture des corps de professeur ou de directeur de recherche à des recrutements externes. Cette baisse des recrutements peut être illustrée par quelques exemples qui en montrent l’ampleur :

      Les recrutements de maîtres de conférences ont diminué de 36% entre 2012 et 2018 (1742 à 1108), ceux de professeurs de 40% (1004 à 606).
      Les recrutements de chargés de recherche ont baissé de 27% dans les EPST entre 2008 et 2016, ceux des directeurs de recherche de 11% durant la même période.
      Les recrutements sur concours externes ou réservés des ingénieurs et techniciens des EPST ont baissé de 44% entre 2008 et 2016 (-41% pour lesingénieurs de recherche, -36% pour les ingénieurs d’études, -53% pour les techniciens). Ceux des établissements d’enseignement supérieur, si on excepte les recrutements en catégorie C, sont restés stables entre 2009 et 2016.

      “Attractivité …”, p. 20-1

      À cela s’ajoute l’absence ou la grande faiblesse des moyens de recherche, notamment en début de carrière.

      De ce constat sans appel de la politique scientifique conduite depuis la Ministre Pécresse, on tire deux conclusions simples :

      augmentation importante des emplois pérennes de checheurs, enseignants-chercheurs hommes et femmes, et de personnels administratifs et techniques (j’aime beaucoup “Doter les établissements de budgets sincères” p.7)
      augmentation majeure des niveaux de rémunérations et des moyens

      Pour autant, les auteurs du rapport en tirent des conclusions extrêmement fantaisiste (” La dénomination « maître de conférences » n’est pas valorisante, il faut lui substituer associate professor, p. 27) ou idéologique, comme la multiplication de régimes dérogatoires et de création de nouveaux statuts, tel un inventaire à la Prévert,

      Pour autant, de ces constats, qui appelleraient à une réponse simple – augmentation des moyens et des emplois, comme p. 32, revalorisation de 40% des rémunérations ou p. 34, suivre une régularité dans les flux de recrutement ; ou encore p. 35, compenser le vieillissement et l’accroissement mécanique de la masse salariale à hauteur de 100M€), les auteurs du rapport tirent des conséquence à la Prévert : multiplication des statuts et des inégalités liés à ces statuts.

      Création d’un « contrat à durée indéterminée de mission scientifique » aligné sur la durée des projets de recherche pour contribuer à la dé-précarisation des agents concernés (NDLR : précarisation ?)
      Création d’un contrat à durée déterminée post-doc « jeune chercheur »
      La création de chaires d’excellence junior pour attirer les jeunes talents avec un nouveau dispositif de recrutement de type « tenure-track » organisé par les établissements (à hauteur de 150/an, soit moins de 10% du nombre total de recrutements permanents junior)
      La création d’un programme national de chaires d’excellence sénior pour attirer des chercheurs de grande réputation (…)
      Une extension des dispenses de qualification pour les établissements qui le souhaiteraient et dont les processus de recrutement auront été certifiés.

      Attractivité…, p. 35 et sq.

      Il convient ainsi de renforcer les inégalités par de nouvelles “évaluations de qualité”, qui inclueront l’enseignement, qui reste l’impensé en creux de ce rapport. Par ex. ‘la réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe” (p. 33).

      L’inégalité touche aussi à la dispense de qualification. Le groupe de travail est très favorable à sa suppression, mais juge qu’il n’y a pas consensus. Ainsi il propose d’autoriser les dispenses de qualification à quelques établissements suivants :

      les établissements détenteurs du label européen HRS4R (« Excellence in research » porté dans le cadre de « Human resources strategy for research »),
      les établissements lauréats confirmés des Idex et I- site dont la qualité de la gouvernance a été évaluée positivement par le jury international,
      les candidats issus d’écoles doctorales dont l’accréditation par le HCERES aurait montré une qualité justifiant l’exemption,
      les lauréats de l’European Research Council et des appels d’offre européens,
      les admissibles au concours de chargé de recherche et directeur de recherche d’EPST, dont la qualité scientifique a déjà été vérifiée.

      Attractivité…, p.40

      Outre l’inégalité entre statuts, entre établissement, le raport propose de réfléchir à la gestion des inégalités en matière d’enseignement, en forfaitisant la surcharge (p. 47). `Selon lui, la référence au 192h de service (https://academia.hypotheses.org/5344) est obsolète. Plutôt que de renforcer la formation continue des personnels, il préconise donc une évaluation périodique des enseignants-chercheurs (p. 48), en renforçant encore l’autorité du Haut Comité d’Evaluation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (HCERES). Faute de prévoir la formation continue, c’est une Ecole du Management de la Recherche qui est donc envisagée (p. 49).

      À l’analyse, le rapport semble approfondir le trou noir dans lequel les derniers gouvernements ont précipité l’enseignement et la recherche français. On aurait attendu une réflexion sur la parité en matière de représentation et de rémunération ; sur la qualité de la transmission, que nenni. Multiplication des statuts, précarité renforcée, confirmation de l’absence d’attractivité des métiers. La dénomination de maître de conférences n’est pas valorisable, écrivent les auteurs ? Il sera bon d’arrêter de confondre le nom et la chose. À quand la fin d’une idéologie à propos de la fonction publique, et ses effets délétères sur l’enseignement supérieur et la recherche qui multiplie l’enfumage et la langue de bois plutôt que les financer à hauteur réelle de 3% ?

      Liens :

      Rapport du Groupe de travail 2, Attractivté des emplois et des carrières scientifiques, 2019, septembre 2019
      Notes de lecture de Julien Gossa (https://twitter.com/JulienGossa/status/1176112784934887425)
      Sur la fusion des corps MCF/PR, par Julien Gossa : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

      Note 1. La composition du groupe de travail est la suivante : Rapporteurs du groupe:Philippe Berta, professeur des universités (biologie),député ;Philippe Mauguin, président de l’INRA ;Manuel Tunon de Lara, professeur des universités –praticien hospitalier, président de l’Universitéde Bordeaux. Membres invités à participer aux travaux : Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS (histoire) ; Bénédicte Durand, maître de conférences (géographie), directrice des études et de la scolarité de Sciences-Po ;Frédéric Fiore, docteur, ingénieur de recherche (biologie)à l’Inserm ; Alain Fuchs, professeur des universités (chimie),président de PSL Université ; Véronique Guillotin, médecin, sénatrice ; Serge Haroche, professeur émérite au Collège de France (physique) ; Pierre Henriet, doctorant(philosophie), député ; Eric Labaye, président de l’Ecole polytechnique ; Marie Masclet de Barbarin, maître de conférences (droit), vice-présidente d’Aix Marseille Université ;Armelle Mesnard, directrice des ressourceshumaines et des relations sociales du CEA ;Catherine Rivière, ingénieure, directrice des ressources d’IFPEN ; Hélène Ruiz-Fabri, professeur des universités (droit), directrice du Max Planck Institute Luxembourg. Source : Composition des trois groupes de travail pour mener la réflexion

      https://academia.hypotheses.org/6107
      #maître_de_conférences

    • Temps de travail #ESR (1) : 192h de service ?

      192 h : voilà le service d’enseignement dû par un·e enseignant·e-chercheur·se (EC) au statut MCF/PR. Le sens de ce « service d’enseignement » a des effets structurants sur les autres statuts et sur les contrats de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Un·e attaché·e temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) fait 192 h d’enseignement, à moins qu’il ou elle ne soit à mi-temps, auquel cas 96 h d’enseignement sont attendues. Un.e professeur·e agrégé·e ou certifié·e employé·e à l’Université (PRAG/PRCE) en assure le double, soit 384 h d’enseignement. Comment comprendre ce nombre d’or des universités ? C’est ce à quoi se sont employés plusieurs auteurs et autrices our Academia.

      Archéologie d’un décompte
      L’origine de ces 192 heures annuelles se trouve dans les réformes menées par le gouvernement socialiste au début des années 1980. Auparavant, le service des professeur·e·s des universités, des maîtres·se·s de conférences et des maîtres·se·s-assistant·e·s est défini de manière hebdomadaire.

      Alors que les premiers doivent trois heures de cours magistral par semaine (l’année universitaire compte alors environ trente semaines), les secondes doivent environ six heures[1]. Le décret n° 83-823 du 16 septembre 1983 introduit une nouvelle définition de l’obligation du service d’enseignement à 128 heures de cours magistral ou 192 heures de travaux dirigés. Cette mesure est transitoire, valable uniquement pour l’année 1983-1984, mais elle prépare le décret n° 84-431 du 8 juin 1984 qui en reprend sur ce point les dispositions.
      Pour bien comprendre ce qui se joue sur cette nouvelle définition de l’obligation de service d’enseignement, il faut avoir à l’esprit plusieurs choses. D’abord, la réforme du statut des enseignant·e·s-chercheur·se·s mise en œuvre par le gouvernement socialiste, et plus particulièrement par le Directeur général à l’enseignement supérieur d’alors, Jean-Jacques Payan, résulte d’un compromis difficile qui ne satisfait pas grand monde, selon l’étude de Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968” [2]. Ensuite, l’une des nouveautés essentielles introduites par les décrets de 1983-1984 est l’annualisation de l’obligation de service. Enfin, le caractère favorable ou défavorable de la mesure dépendait de la répartition des services en interne. Le décret de 1984 conduisait à une légère augmentation du service hebdomadaire dans les cas où l’année universitaire était étalée sur une trentaine de semaines et où un nombre significatif de cours magistraux étaient proposés. La nouvelle norme de 192 heures a mis une décennie à être progressivement adoptée, notamment au travers des intégrations entre universités et autres type d’établissements, comme les IUT, qui ont donné lieu à des harmonisations, y compris des statuts[3].

      Temps de travail : moitié enseignement, moitié recherche
      Le décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences dispose que :

      « I.-Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :
      1° Pour moitié, par les services d’enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance. Ces services d’enseignement s’accompagnent de la préparation et du contrôle des connaissances y afférents. Ils sont pris en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret ;
      2° Pour moitié, par une activité de recherche prise en compte pour le suivi de carrière réalisé dans les conditions prévues à l’article 18-1 du présent décret.
      Lorsqu’ils accomplissent des enseignements complémentaires au-delà de leur temps de travail tel qu’il est défini au présent article, les enseignants-chercheurs perçoivent une rémunération complémentaire dans les conditions prévues par décret.

      II.-Dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, dans le respect des dispositions de l’article L. 952-4 du code de l’éducation et compte tenu des priorités scientifiques et pédagogiques, le conseil d’administration en formation restreinte ou l’organe en tenant lieu définit les principes généraux de répartition des services entre les différentes fonctions des enseignants-chercheurs telles que mentionnées aux articles L. 123-3 et L. 952-3 du code de l’éducation et L. 112-1 du code de la recherche. Il fixe également les équivalences horaires applicables à chacune des activités correspondant à ces fonctions, ainsi que leurs modalités pratiques de décompte.
      Ces équivalences horaires font l’objet d’un référentiel national approuvé par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur.

      III.-Dans le respect des principes généraux de répartition des services définis par le conseil d’administration en formation restreinte ou par l’organe en tenant lieu, le président ou le directeur de l’établissement arrête les décisions individuelles d’attribution de services des enseignants-chercheurs dans l’intérêt du service, après avis motivé, du directeur de l’unité de recherche de rattachement et du directeur de la composante formulé après consultation du conseil de la composante, réuni en formation restreinte aux enseignants. Ces décisions prennent en considération l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs ».

      Ce décret ne s’applique pas aux enseignant·e·s-chercheur·se·s de la fonction publique hospitalière, ce qui explique en partie que leur service est encore aux alentours de 20 à 50 heures annuelles. Le temps de travail de référence dans la fonction publique étant fixé à 1607 heures annuelles, la moitié de ce temps est donc réputé consacré aux activités de recherche, et pour moitié, d’enseignement, à l’exclusion des tâches administratives, qui disparaissent dans le trou noir du “service” non ou mal quantifié, et qui, sauf exception, relève bien du service supplémentaire. Pourtant, les missions des enseignant·e·s-chercheur·se·s sont beaucoup plus nombreuses que seulement l’enseignement et la recherche. Pour mieux les prendre en compte dans les obligations des universitaires, il faudrait améliorer les référentiels d’équivalence horaire.

      Moitié enseignement, moitié recherche : quid du reste ?
      Malgré ce statut commun, le service d’enseignement des enseignant·e·s-chercheur·se·s titulaires est très variable.
      D’une part, les différents enseignements ne représentent pas le même temps de travail : un cours nouveau demande plus de préparation qu’un cours déjà bien rodé, un cours en petit groupe demande moins de temps de correction de copie que celui devant un amphithéâtre, un enseignement en première année peut être plus facile à préparer qu’un enseignement de M2, etc. Il en est de même pour les décharges pour responsabilités (« équivalences horaires » dans le titre II ci-dessus), variables dans chaque établissement comme entre établissements.
      D’autre part, différents dispositifs permettent plus ou moins ponctuellement de réduire le service d’enseignement dû : CRCT (congé pour recherche et conversion thématique), délégations dans un organisme de recherche comme le CNRS, chaires de 5 ans à l’IUF (Institut universitaire de France), décharges ANR (Agence nationale de la recherche) quand elles sont prévues, contrats ERC (European Research Council) si ceux-ci prévoient le remplacement de l’enseignant·e-chercheur·se lauréat·e, etc. Ces dispositifs ne sont accessibles qu’après une sélection souvent très sévère, dont on peut déplorer le caractère quelquefois discriminatoire (selon le genre ou d’autres critères).

      Par ailleurs, beaucoup d’enseignant·e·s-chercheur·se·s effectuent des heures complémentaires, évoquées en I.2° ci-dessus. Ces heures ne sont pas des heures supplémentaires, puisque leur montant ne varie pas selon l’échelon ou le traitement et qu’elles peuvent être moins bien payées que les heures statutaires. En effet, À l’heure actuelle, l’heure de TD est rémunérée 40,91 € [on parle là en rémunération brute, ce qui représente 31,44 € net], indépendamment du statut, de l’ancienneté et même du corps (c’est le montant que reçoivent également les personnels vacataires). Pour mémoire, une heure de TD est réputée occuper dans le temps statutaire environ 4 h 10 de temps de travail au total, en incluant toutes les tâches obligatoires au-delà de la présence en cours. Si l’on calcule de cette manière, les heures complémentaires sont rémunérées à hauteur de 9,98 € brut [7,78 net] par heure de travail (le SMIC horaire 2019 est de 10,33 € brut, 8,06€ net).

      Enfin, on peut s’interroger sur la référence au temps de travail légal des fonctionnaires : ce temps ne trouve aucune réalité dans le métier des enseignants-chercheurs, qui n’ont notamment pas d’obligation de présence dans un bureau (voire pas de bureau). On notera d’ailleurs que le volume de 192 h n’a pas été modifié lors du passage aux 35 h (qui a en revanche permis à bien des salarié·es des organismes de recherche, selon le règlement de leur laboratoire, de gagner des semaines de congés payés). On retrouve régulièrement cette source de confusion, par exemple à propos de la modulation de service.

      Ce rapide billet sur l’archéologie du nombre d’or du temps de travail des hommes et des femmes enseignants-chercheurs entend ouvrir un débat sur le temps de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche. En effet, les modalités pratiques de comptabilisation de l’activité des EC ont des implications importantes pour les congés (maternité, maladie, etc. qui mériteraient un billet d’explication de la circulaire de 2012), pour l’emploi et pour la recherche. Il invite également à ouvrir le dossier douloureux du burn out et de la santé au travail. Que faire en effet quand les tâches s’accumulent et que les soirées, week-ends et vacances sont travaillées ?

      Loi et décrets de référence

      Loi 68-978 du 13 juillet 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur
      Décret du 7 mars 1936 relatif aux agrégés, chefs de travaux et assistants des facultés de médecine et de pharmacie modifié par décret n° 56-3 du 3 janvier 1956
      Décret n° 50-1347 du 27 octobre 1950 fixant certaines règles relatives au chefs de travaux des facultés de l’Université de Paris, de l’École normale supérieure et des facultés des universités des départements modifié par le décret n° 61-1007
      Décret n° 60-1027 du 26 septembre 1960 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines scientifiques, littéraires et de sciences humaines modifiés par les décrets n° 61-1006 du 7 septembre 1961, n° 78-226 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 62-114 du 27 janvier 1962 portant statut particulier des maîtres-assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion, modifié par les décrets n°63-212 du 22 février 1963, n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982.
      Décret n° 69-63 du 2 janvier 1969 relatif aux instituts universitaires de technologie, modifié par les décrets n° 77-35 du 13 janvier 1977 et n° 78-327 du 15 mars 1973.
      Décret n° 69-526 du 2 juin 1969 modifié portant statut particulier des maîtres-assistants de pharmacie, modifié par les décrets n° 78-228 du 2 mars 1978, n° 79-686 du 9 août 1979 et n° 82-742 du 24 août 1982
      Décret n° 69-930 du 14 octobre 1969 modifié portant application aux instituts de faculté ou d’université préparant à un diplôme d’ingénieur de la loi n° 69-978 du 12 novembre 1968
      Décret n° 79-683 du 9 août 1979 portant statut particulier du corps des professeurs des universités modifié par le décret n° 82-739 du 24 août 1982
      Décret n° 83-287 du 8 avril 1983 portant statut particulier des assistants des disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion et des disciplines littéraires et de sciences humaines
      Décret n° 83- 823 du 16 septembre 1983
      Décret 84-431 du 8 juin 1984 (modifié)

      Temps de travail dans la Fonction publique

      Décret 81-1105 du 16 décembre 1981
      Décret n° 85-1022 du 24 septembre 1985 : durée hebdomadaire à 39 heures. 40 pour les personnels assimilés
      Décret n°94-725 du 24 août 1994 relatif à la durée hebdomadaire du travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 39 heures
      Décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’État : durée hebdomadaire à 35 heures.

      Lien ; “French PhD students’ pay for teaching falls below minimum wage“, by David Matthew, The Times Higher Education (30 mai 2019

      [1]Georges Amestoy, Les Universités françaises, Paris, Éducation et Gestion, 1968.

      [2]Jean-Yves Mérindol, “Les universitaires et leurs statuts depuis 1968”, Le Mouvement social, 233, 2010, p. 69-91, p. 77. Les débats sur la réforme de 1983-1984 peuvent être documentés par le fonds de la commission Jeantet, déposé aux Archives nationales, versement 19860251.

      [3] Pierre Benoist, Une histoire des Instituts universitaires de technologie (IUT), Paris, Classiques Garnier, 2016.

      https://academia.hypotheses.org/5344

    • LPPR : Evolution du statut, vers la fusion des deux corps ?

      L’Université de Strasbourg organise des ateliers pour se préparer à la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche). Le second, intitulé « Evolution du statut : vers la fusion des deux corps ? », s’intéresse à la question du corps unique d’enseignants-chercheurs (EC), réunissant Maîtres de conférences (MCF) et de Professeurs des universités (PR). De cette question découlent les enjeux d’organisation du pouvoir universitaire et de la compétition entre les universitaires.

      Sur ce constat, on pourra dresser trois perspectives entre lesquelles les établissements devront choisir : la libération, le mandarinat ou l’évaluation continue intégrale. Ce choix représente un véritable enjeu pour la progression de l’autonomie des présidences d’université dans la gestion des masses salariales, et donc la mise en œuvre de stratégies d’établissement différenciées.

      La question de la fusion des corps est difficile à traiter en raison des grandes disparités entre les disciplines : certaines ont une agrégation, d’autres permettent aux MCF de co-encadrer des doctorants, etc.. La disparité des trajectoires personnelles complique encore le débat : les différences de perception sont légitimes, par exemple entre un MCF estimant déjà faire le travail de PR et un autre attendant ce poste pour gagner en liberté.

      Pour traiter cette question comme elle est traitée par le législateur, il convient cependant de faire un grand pas en arrière et de s’affranchir de ces disparités. Ce billet n’a donc pas la prétention de faire écho aux expériences personnelles, mais vise seulement à identifier des grands enjeux qui découlent de la question « vers la fusion des deux corps ? »

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1130848411542933504

      Les enjeux des deux corps

      Dans la construction des deux corps, l’aspect historique est bien sûr central, comme le raconte Jean-Yves Merindol (« Les universitaires et leurs statuts depuis 1968 ». Le Mouvement Social n° 233, nᵒ 4 (1 décembre 2010) : 69‑91). Il est impossible de faire un inventaire exhaustif de toutes les questions qui l’entourent, mais on peut identifier deux enjeux principaux : l’organisation du pouvoir universitaire, et l’organisation de la compétition entre les universitaires.
      Enjeu d’organisation du pouvoir universitaire

      Les PR disposent généralement de plus de liberté académique que les MCF. Cela se retrouve dans leur indépendance pour l’encadrement de thèse, le portage de projet ou encore la demande de financement. La liberté, l’indépendance et le pouvoir sont intimement liés. Ainsi, les PR bénéficient d’une plus forte représentation dans les conseils, d’un meilleur accès aux postes à responsabilité, et donc de plus de possibilités de contrôler les budgets, les recrutements, etc.

      Sous cet angle, la pyramide 1/3 PR, 2/3 MCF représente une structure de management hiérarchique, détaillée en réalité par de nombreux autres facteurs, y compris la renommée scientifique. Cette hiérarchie existe même si elle peut sembler parfois invisible au quotidien. Par exemple, les MCF peuvent être officiellement autorisés à porter tel type de projet, mais les critères d’évaluation peuvent favoriser ceux portés par des PR. Même dans les disciplines où les universitaires aiment afficher la parité au détriment de la hiérarchie, la parole d’un PR a souvent plus de poids dans les discussions -et donc les décisions- que la parole d’un MCF, indépendamment du fond du propos.

      Pour schématiser : MCF < MCF habilité à diriger des recherche < PR < PR avec responsabilité (qui se décline de chef d’équipe à président d’université et même au delà). En modifiant cette hiérarchie, la fusion des corps représente un enjeu dans l’organisation du pouvoir universitaire.

      Enjeu d’organisation de la compétition entre universitaires

      Le deuxième enjeu est celui de l’organisation de la compétition entre les universitaires, considérée comme nécessaire à la production scientifique. Ainsi, le système pyramidal français organise entre les MCF, malgré la permanence de leur poste, une compétition pour « passer prof », qui joue sur leur motivation. Sans cette motivation, certains craignent un « endormissement » des troupes.

      Les critères de promotion permettent également de structurer les investissements individuels. Par exemple, attribuer les postes de PR essentiellement sur des critères de production scientifique va encourager les MCF à publier plutôt qu’à s’investir dans la pédagogie.

      Dans tous les modèles de gestion des carrières, la permanence des postes est cœur de cette compétition. Cette permanence, parfois sous-estimée par ceux qui en ont facilement bénéficié, est vecteur de protection sociale mais aussi de liberté académique, et donc d’attractivité des carrières. L’attractivité du modèle français se base sur un accès à la permanence précoce après la thèse, mais avec des traitements médiocres. D’autres systèmes se basent sur un accès plus tardif et difficile, mais avec un bien meilleur traitement.

      Ainsi, la fusion des corps représente également un enjeu dans l’organisation de la compétition entre les universitaires, à la fois pour la motivation, la structuration des carrières et leur attractivité.

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1199684825197797376?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E11

      Vers la fusion des deux corps ?

      La question que l’on peut se poser maintenant est : comment pourraient être réorganisés le pouvoir universitaire et la compétition entre les universitaires avec un corps unique, donc sans promotion PR pour les MCF ?

      Tout d’abord, il faut rappeler que le principe de cette promotion à l’heure actuelle est une double évaluation par les pairs : nationale par la qualification ou l’aggregation (adéquation avec la fonction), puis locale par le concours (adéquation avec les besoins de l’établissements). Supprimer les deux corps revient à supprimer cette promotion par les pairs.

      Remplacer cette promotion par les pairs va permettre de modifier le système de pouvoir et de compétition. On peut dresser trois perspectives hypothétiques : la libération, le mandarinat, et l’évaluation continue intégrale.
      La libération

      La première perspective consiste à ne remplacer la promotion MCF/PR par rien. Embauchés rapidement après la thèse, les permanents n’auraient plus qu’une évolution à l’ancienneté jusqu’à la retraite, et bénéficieraient tous des mêmes droits, sans distinction, notamment pour l’accès aux responsabilité ou l’encadrement des thèses.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est diluée, et les MCF sont en quelque sorte libérés de la compétition. L’effet principal est une augmentation des libertés académiques et une diminution de la pression à la publication. Par ce biais, on peut améliorer l’attractivité des carrières, malgré des traitements toujours médiocres. La contrepartie peut être une baisse de la motivation et de la structuration par la promotion, et donc probablement une baisse des indicateurs de performance, indépendamment de la qualité des travaux (qui pourrait très bien augmenter).
      Le mandarinat

      La seconde perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par la suppression du corps permanent des MCF. Cela reconstruirait notre modèle sur un mélange des modèles « tenure » et « survivant », avec des voies d’accès aux postes permanents plus ou moins garanties. Seuls les permanents auraient de réelles libertés académiques.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est renforcé autour des postes permanents, et la compétition renforcée autour de leur obtention, mais aussi de l’obtention de financements pour les postes temporaires. C’est un modèle de mandarinat, similaire au modèle français pré-Faure, où les quelques permanents pouvaient faire ou défaire les carrières des nombreux précaires sous leur responsabilité. L’attractivité ne serait plus basée sur la permanence des postes, ce qui rendrait indispensable l’augmentation substantielle des traitements des permanents, pour motiver suffisamment de personne à s’engager dans une longue période de précarité sans garantie de succès.
      L’évaluation continue intégrale

      Enfin, la troisième perspective consiste à remplacer la promotion MCF/PR par une évaluation continue intégrale des enseignants-chercheurs. A tout moment ou à un rythme régulier, cette évaluation permettrait de différencier la carrière des enseignants-chercheurs, soit par une promotion, soit par la modification de leurs droits ou de leurs obligations de service, notamment d’enseignement.

      Dans cette approche, le pouvoir universitaire est assuré non plus par l’appartenance à un corps ou l’autre, mais par le pouvoir de décision de différenciation des carrières des autres universitaires. Ce modèle correspond à la fin de l’avancement à l’ancienneté. La compétition serait continue, pour l’accès aux promotions, aux primes, et aux temps consacré à telle ou telle activité, notamment la recherche. L’attractivité reposerait sur une apparente méritocratie.
      Une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement

      Difficile de savoir à quel point la LPPR sera contraignante pour les établissements, mais rien n’empêche de laisser chacun d’eux expérimenter et développer son propre modèle de carrière : libération pour les petites structures très bien dotées ; mandarinat pour les grandes universités de recherche très attractives ; évaluation continue intégrale pour les collèges universitaires peu attractifs…

      https://twitter.com/GerminetCY/status/902966496418086912?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E902

      On voit là que la fusion des corps représente une formidable opportunité de développement des stratégies d’établissement. En effet, les dirigeants des universités s’estiment actuellement coincés par une masse salariale rigide, dont ils héritent plus qu’ils ne décident. Leurs plaintes sur l’avancement à l’ancienneté (GVT) en témoignent. Le partage des mêmes obligations par tous les enseignants-chercheurs de leur établissement freine la mise en œuvre des adaptations qu’ils souhaitent. De plus, ces obligations sont identiques d’un établissement à l’autre, ce qui freine le développement de stratégies différenciées.

      La fusion des corps, en remettant en cause les structures universitaires actuelles de pouvoir et de compétition, représente une véritable opportunité de progression dans l’autonomie des présidences d’université, grâce à une gestion plus directe des promotions et différenciations des activités et carrières. On mesure l’enjeu en sachant que la masse salariale représentant 70% à 80% du budget d’une université.

      Reste à savoir si cette opportunité sera saisie et comment. Impossible de le dire, mais on peut faire trois constats :

      La perspective de libération est en totale contradiction avec l’idéologie de l’Excellence qui sous-tend aussi bien la LPPR que toutes les politiques et discours universitaires actuels. Il faudrait énormément de courage politique à un établissement pour la mettre en œuvre.
      La perspective de mandarinat correspond à plusieurs mesures envisagées dans la LPPR, notamment : les « chaires juniors » (évaluées à 150 par an au niveau national) et les tenure-tracks CNRS, ainsi que le renforcement de l’attractivité par les primes.
      La perspective d’évaluation continue intégrale correspond aussi à plusieurs mesures, notamment : la relance du suivi de carrière, la fin de la compensation de l’avancement à l’ancienneté (GVT) par le ministère, l’augmentation des rémunérations à la performance, la fin des 192 heures, et le renforcement des conséquences individuelles des évaluations.

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/12/04/lppr-evolution-du-statut-vers-la-fusion-des-deux-corps

    • À quoi sert la #CPU ?

      Alors que la mobilisation a gagné les Universités, au mois de décembre 2019, contre les retraites et contre l’esprit de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) en préparation, plusieurs d’entre nous avons été étonné.es de découvrir un réception organisée par Richard Ferrand et Emmanuel Macron en l’honneur de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU), en présence de Frédérique Vidal, Ministre de la Recherche, de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation.

      Selon une journaliste présente1 , la ministre Vidal y aurait déclaré

      « La loi de programmation pluriannuelle de la recherche investira dans les carrières scientifiques, qui manquent encore d’attractivité. Je veux encourager les étudiants à se lancer dans la recherche »

      en complète contradiction avec les politiques conduites par ce gouvernement et les précédents, largement documentés : Parcoursup, hausse drastique des droits étudiants étrangers, rétraction de l’emploi scientifique, etc. Le président de la CPU, Gilles Roussel2, ne le dit pas autrement dans un entretien du 18 décembre 2019 à AEF.

      Quid de l’emploi statutaire et de droit public ? demande AEF. La CPU y est attachée… mais il faut s’adapter à la place importante prise désormais par les personnels temporaires, doctorants, post doc, ingénieurs de recherche. « C’est un fait, et cela se passe ainsi partout ailleurs dans le monde ». C’est donc pour le bien de tous que l’on doit délier les CDD de leur durée maximal de 6 ans afin de pouvoir conserver les personnels de recherche non statutaire pendant toute la durée d’un projet de recherche. « Je suis donc favorable, de ce point de vue là, à donner plus de visibilité et de lisibilité sur des temps plus longs aux personnes employées sur contrats ».
      La revalorisation des carrières et du niveau indemnitaire s’impose, mais pour Gilles Roussel c’est « dans le cadre de la réforme des retraites » et avec des modalités et une entrée en vigueur encore « loin d’être arrêtées ». Pour Roussel la LPPR doit augmenter très vite les rémunérations des doctorants et des jeunes chercheurs. Le reste peut attendre la loi retraite et sa mise en œuvre à partir de 2025. L’important, est de ne « pas décrocher » et susciter des vocations.

      Inviter à susciter des vocations à un moment de contraction drastique de l’emploi permanent dans l’enseignement supérieur, de faiblesse historique des traitements (40% inférieurs aux fonctions équivalentes dans le reste de l’OCDE et inférieurs aux grades équivalents dans la fonction publique française, selon le rapport préparant la LPPR) et de mépris envers l’enseignement supérieur et la recherche, sensible dans le discours vide de la Ministre Vidal3, voilà qui et bien curieux et à l’encontre des prises de positions toute récentes des Conseils scientifiques du CNRS, qui exigent en termes clairs des moyens et des emplois permanents.

      Si les collègues du CNRS ont pu se demander à quoi leur servait un pdg qui ne représente aucun personnel ni instances, il est ainsi légitime d’examiner, dans le cadre de notre réflexion sur la gouvernance de l’enseignement supérieur et la recherche, les propositions de la CPU pour la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
      La CPU et la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche

      Au cours de l’automne 2019, la CPU publie deux textes, à la suite de la demande du Premier ministre Philippe à la ministre Vidal de préparer une Loi de programmation pluriannuelle de la recherche en janvier 2019, en organisant la réflexion autour de trois thèmes :

      la recherche sur projet et l’articulation entre financement compétitif et financement récurrent des laboratoires ;
      l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ;
      l’innovation et la recherche partenariale.

      Des deux publications automnales de la CPU, la seconde, parue le 8 octobre 2019, est sans doute le plus curieux : intitulé “L’Université, un investissement pour la France”, il n’est ni plus ni moins qu’une plaquette publicitaire pour la CPU et son action au nom des 74 universités et établissements d’enseignement supérieur, regroupant 1,6M d’étudiant-es, 57 000 enseignants-chercheurs et 74 000 doctorant-es. Coup de griffe au gouvernement et à sa politique de discrimination des étudiant-es étrangers, elle déclare ses établissements “1èredestination francophone e t4ème rang mondial pour l’accueil des étudiants internationaux (245 000 /an)”. Sans davantage parler d’investissements, ni d’avenir, l’essentiel du texte est une défense et illustration de l’action de l’organisme.
      L’Université, un investissement d’avenir, CPU, 8 octobre 2019 (p. 4-5)
      La CPU au service de l’Université

      Créée en 1971 et organisée en association depuis 2008, la Conférence des présidents d’université (CPU) rassemble les dirigeants des 74 universités de notre pays, ainsi que ceux de ses 3 universités de technologie, 3 instituts nationaux polytechniques, 4 écoles normales supérieures, plusieurs grands établissements et l’ensemble des communautés d’universités et d’établissements (COMUE).

      La CPU compte ainsi 124 membres, sur l’ensemble du territoire national, et représente, grâce à ses liens avec les organismes et écoles, la plus grande part des forces d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation françaises.Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche.

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle d’accompagnement des présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      La CPU est présidée par un Bureau élu pour deux ans et composé d’un (e) président(e) et de deux vice-président(e) s, tous président(e) s d’université ou responsables d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Le Bureau a un rôle de pilotage, d’animation et d’orientation de la Conférence. Le travail de la CPU est organisé en commissions thématiques et comités : formation et insertion professionnelle, recherche et innovation, moyens et personnels, vie étudiante et vie de campus, relations internationales et européennes, questions de santé, questions juridiques, regroupement politiques de sites, numériques, transition écologique et énergétique… Chacun est dirigé par un(e) président(e) d’université élu(e).

      La CPU a de plus mis en place une instance permanente à Bruxelles, mutualisée avec les organismes de recherche au sein du Clora (Club des Organismes de Recherche Associés), et une fonction de conseiller parlementaire auprès du Sénat et de l’Assemblée nationale.L’équipe permanente de la CPU s’appuie, pour élaborer les prises de position politiques, sur l’expertise de l’ensemble des réseaux universitaires et associations professionnelles des universités.L’activité de la CPU est rythmée par de grands rendez-vous annuels : colloques, séminaires de formation et débats sur les grandes thématiques qui éclairent la société ou propres aux universités, évènements à destination du grand public ou des membres de la communauté universitaire, organisation du concours international « Ma thèse en 180 secondes ».

      Le concours de “Ma thèse en 180 secondes” serait-elle la principale réalisation de la CPU de ces dernières années ? La CPU n’a pourtant de cesse d’affirmer qu’elle est :

      “Force de proposition et de négociation auprès des pouvoirs publics, des différents réseaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, des partenaires économiques et sociaux et des institutions nationales et internationales, la CPU propose des éléments de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche” (p.3).

      Devrait-on en douter ? En période de préparation budgétaire, au lendemain d’une loi sur la transformation de la fonction publique4, et au lendemain de la publication des rapports des groupes de travail en préparation à la LPPR, réaffrimer ce rôle de représentant est pour le moins curieux, à moins qu’il ne soit mis en cause justement.

      Quelles sont les propositions de la CPU pour la LPPR ? Présentées dans une plaquette richement illustrée le 5 septembre 2019, elles se veulent, sous la plume du président de la CPU un manifeste”visant à convaincre l’opinion publique, les élus, le monde socio-économique que miser sur l’université c’est miser sur la réussite du pays”. Gilles Roussel, dans son introduction, adopte pourtant une posture défensive :

      “Les propositions que nous présentons dans ce document cherchent-elles à défendre une chapelle, ou encore la recherche contre un autre secteur de la société ?
      Non, clairement non ! (…)
      La société française toute entière doit prendre conscience qu’il faut pour cela investir dans la jeunesse qu’incarnent nos étudiants, nos futurs docteurs, nos chercheurs.”

      depuis des années, malgré les progrès de la loi de 2007, l’autonomie, et donc la capacité de prendre des initiatives, a été freinée par une complexification parfois ubuesque.
      C’est pourquoi la Conférence des présidents d’université ne se contente pas de demander des financements à la hauteur des défis, mais souhaite une remise à plat d’une organisation parfois obsolète et souvent complexe.

      Compte tenu de la population étudiante, il ne fait aucun doute que la société française fait confiance aux Universités française. Ce n’est donc pas la société qu’il faut convaincre, mais le gouvernement et le “monde socio-économique” qui continue d’émarger au budget du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI), à hauteur d’un quart envrion (Crédit impôt recherche).

      La suite du document souligne le rôle cardinal de l’Université dans la formation à la recherche. “La question à laquelle la loi de programmation
      de la recherche devra répondre : Peut-on continuer avec la différence de financement entre les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur post-bac sans mettre en péril la recherche ?” (p. 4). Considérant l’Université comme premier opérateur de la recherche, la CPU ajoute “4 questions auxquelles la loi de programmation
      de la recherche devra répondre :

      Comment repenser les interactions des universités avec les organismes (EPST et EPIC) ?
      Comment faire converger audacieusement nos politiques de ressources humaines et de mobilité ?
      Comment faire de la gestion de proximité en l’affranchissant de ses pesanteurs ?
      Comment simplifier la gestion des laboratoires en harmonisant les règles trop complexes ?”

      avant de faire des propositions :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 5) Ce que nous proposons :

      Avec nos partenaires des organismes de recherche, il s’agit de franchir un nouveau cap dans la cohérence du système autour d’une réelle gestion de proximité :
      En coordonnant au niveau de chaque site les recrutements des personnels entre EPST et universités, pour attirer et fidéliser les meilleurs scientifiques dans les universités.
      En optimisant la gestion des personnels de soutien à la recherche et des fonctions support trop souvent redondantes, en les mutualisant.

      Ces propositions touchant à l’emploi et aux ressources humaines n’ont fait l’objet d’aucune discussion dans les établissements, à peine dans les COMUE, non sans conflit5.

      Au chapitre investissement, la CPU propose d’investir 1 Mds€ dans la recherche publique6. La CPU souligne, à juste titre, la misère administrative (“ratio personnel de soutien”) des Universités, et insiste sur le caractère contre-productif du financement par projet, relativement au reste de l’OCDE.

      Les taux de sélection aux appels à projets ANR sont de 15 % pour un budget de 673,5 M€ (contre 30 % et 2 milliards d’€ pour la DFG en Allemagne). Ceci a pour les chercheurs des effets délétères (découragement, rejets des projets les plus novateurs, considérés comme trop risqués). De plus, les coûts supplémentaires, liés à ces projets et supportés par les universités, ne sont pas pris en compte à leur juste niveau.

      En conséquence, la CPU émet deux préconisations :
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 6)

      Augmenter le budget de plus d’1 milliard d’€ par an afin de passer de 0,79% à 1 % du PIB pour la recherche publique.
      Créer à partir de l’ANR une seule grande agence de financement de la recherche, en portant ses moyens à au moins 1 Md€ et en diminuant la complexité bureaucratique.

      Pour ce qui est de la relation contractuelle avec l’État, force est de constater que la loi sur l’autonomie des Universités (dite relative aux Libertés et Responsabilités des Universités), celles-ci n’ont gagné que des responsabilités (personnel, patrimoine, etc.) sans la libertés et les financements qui les rendent possibles. Pour la CPU, “il est temps aujourd’hui de franchir une nouvelle étape en faisant confiance aux universités”.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 7)

      Refonder la contractualisation avec l’État, avec la participation des organismes de recherche, à partir d’une évaluation rénovée.
      Confier aux universités la coordination de la recherche en région.
      Reconnaître à toutes les universités le droit à l’expérimentation.

      Ces propositions qui semblent répartir l’organisation scientifique territoriale entre régions et Île-de-France se fait dans le droit fil des regroupements COMUE — du moins là où elles n’ont pas été abandonnées — et de la politique du CNRS en régions. Il reste à savoir si le modèle peut être étendu, s’il est souhaitable et ce que veut dire “évaluation rénovée” et “droit à l’expérimentation La dernière page du document précise pourtant un moyen “en élargissant le périmètre d’application de l’ordonnance du 12 décembre 2018 actuellement circonscrit aux établissements nouveaux issus de fusions ou de regroupements”, soit les établissements publics expérimentaux – au 1e janvier 2020 feu Université de Nice, désormais Université Côte d’Azur, anciennement présidée par la Ministre Vidal et feue l’UPEC, désormais Université Gustave Eiffel, actuellement dirigée par Gilles Roussel.

      Côté Recherche&Développement, la CPU dénonce sans ambage la dépense fiscale du Crédit Impot-Recherche (6,3Mds€) qu’il faut “mieux orienter” selon elle.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 9)

      Simplifier la contractualisation en imposant la notion de mandataire unique avec une politique claire entre toutes les tutelles.
      Augmenter le nombre de thèses CIFRE pour les PME et les collectivités territoriales, avec une hausse du financement du MESRI.
      Simplifier les prises de participation de nos établissements dans les entreprises, notamment dans des start-up à fort potentiel.

      Au chapitre “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques”, la CPU anticipe les conclusions du groupe de travail péparatoire à la LPPR7 et pose deux questions auxquelles la LPPR doit répondre :

      Peut-on laisser l’écart des rémunérations se creuser entre nos chercheurs et les autres catégories équivalentes de la fonction publique ou avec les autres pays européens diminuant l’attractivité des métiers de la recherche ?
      Peut-on continuer à faire payer par les établissements des décisions prises par l’État sans compensations suffisantes ?

      Le problème du vieillissement des personnels et de l’accroissement mécanique non compensée de la masse salariale asphyxie désormais les Universités à un point dangereux, alors qu’un tiers des enseignements et 40% de l’emploi est devenu contractuel.
      Propositions pour la LPPR, CPU, 5 septembre 2019 (p. 10)

      Revaloriser toutes les rémunérations, en particulier celles de début de carrière pour les titulaires et celles des contrats doctoraux et ATER.
      Repenser les processus de recrutement des enseignants-chercheurs pour converger vers les standards internationaux.

      La CPU propose, à la fin de ses Propositions pour la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, une “synthèse” de ses propositions. La plupart sont reprises des proprositions intermédiaires, ou précisent celles-ci. Une proposition est à la fois neuve et savoureuse, quand on sait comment les présidents d’Universités se sont précités dans les regroupements COMUE avant de faire des pas de côté, ou même marche arrière toute devant ces mastodontes coûteux et sans bénéfices apparents :

      Justifier, à la création de tout nouveau dispositif, sa plus-value par rapport aux programmes déjà existants notamment au niveau européen.

      Toutefois un chapitre entier n’a fait l’objet d’aucune présentation auparavant, et intéresse tout particulièrement Academia, consacré à l’emploi dans l’enseignement supérieur.
      “Repenser le recrutement“, Propositions pour la LPPR, CPU, 5 sept. 2019 (p. 11)

      Repenser l’ensemble du processus de recrutement des enseignants-chercheurs de façon à converger avec les standards internationaux et notamment européens.
      Donner aux universités la maîtrise de leurs recrutements, en modernisant les procédures et en supprimant le préalable de la qualification.
      Assouplir le cadre des missions des enseignants-chercheurs et revoir la comptabilisation de leurs activités.
      Réfléchir à un seul statut allant de l’enseignant au chercheur.
      Permettre aux expérimentations de la tenure track, d’aller jusqu’à un processus spécifique de titularisation.
      Donner la possibilité aux universités d’expérimenter le contrat de chantier.
      , (nos italiques)

      Supprimer la qualification — supprimer par la même occasion le Conseil national des Universités ? —, supprimer les corps distincts des EPST et des Universités, développer le contrat de chantier aux enseignants-chercheurs8, voilà qui est aller un peu vite en besogne. Ces propositions représentent, à nos yeux, une rupture profonde avec les personnels des Universités, qui ont particulièrement souffert des regroupements absudes, de la sous-dotation chronique, et du mépris dans lequel les tiennent ses dirigeants.


      Alors que l’essentiel de ces propositions pourrait susciter une adhésion profonde de la communauté de recherche et d’enseignement que la Conférence des présidents d’Universités, on lit dans ces dernières lignes une démarche isolée, voire hors sol, très différente donc du rôle dont elle se prévaut le mois suivant. On peut faire l’hypothèse d’une certaine déconnexion entre présidents et communautés universitaires9.

      Pour mieux comprendre l’évolution récente de la CPU, il n’est pas inutile de revenir sur son histoire et son fonctionnement aujourd’hui.

      Création en 1971

      La Conférence des présidents d’universités est crée le 24 février 1971 par décret.

      La CPU réunit les présidents d’universités et des établissements à caractère culturel et scientifque hors Universités. Le décret précise que le Ministère met à disposition des locaux ainsi que ses services pour son fonctionnement et que ses réunions ne sont pas publiques.

      Son statut change plusieurs fois avant de devenir, en 2007, une association loi 1901 à l’occasion de la Loi sur les Libertés et les Responsabilités des Universités (dite LRU), reconnue d’utilité publique par le Ministère l’année suivante10. Son siège social est maintenu à la Maison des Universités, au 103 boulevard Saint-Michel Paris 5e.

      Ses missions, précisées à l’article 2, sont diverses :

      Article 2
      En accord avec l’article L233-2 du Code de l’ducation, cette association a vocation à représenter auprès de l’Etat, de l’Union Européenne et des autres instances internationales compétentes en matière d’enseignement supérieur et de recherche les intérêts communs des établissements qu’elle regroupe. L’association donne son avis au ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche sur les questions concernant ces domaines. Elle peut lui proposer des vœux et des projets. Elle peut représenter tout ou partie de ses membres dans des projets nationaux ou internationaux, qu’elle peut gérer.

      Les moyens d’action de l’association sont notamment : la mise en place de manifestations, la publication et diffusion de rapports, analyses et prises de position, la concertation avec les tutelles et partenaires, la signature de conventions et accords.

      L’association s’octroie des tâches d’influence (lobbying) auprès du Ministère et de communication. Academia avait déjà repéré la novlangue utilisée dans un questionnaire à destination des partis politiques (élections européennes 2019), dont elle n’a pas publié les réponses obtenues des partis politiques, contrairement à son homologue allemande. Toutefois, au vu de la misère croissante dans laquelle est tenue l’Université française, on peut se demander l’efficacité de ce lobbying, comparé par exemple à celui de la GuildHE au Royaume-Uni.

      Plus vraisemblablement, la CPU participe à la “professionnalisation” des présidents et (rares) présidentes d’Universités, soit selon ses propres termes11 :

      Dans un contexte de profondes mutations du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche, la CPU a également un rôle de soutien aux présidents dans leurs nouvelles missions et de promotion de l’Université française et de ses valeurs en France et à l’étranger.

      Partager idées, savoir-faire, et éléments de langage, dans l’adversité, à défaut de représenter la communauté universitaire et d’en défendre valeurs et personnels : tel est sans doute le rôle que s’est dévolue la CPU.
      Fonctionnement et financement

      Pour ce qui est des moyens en termes de personnels, l’article 2 précise que des agents publics titulaires ou contractuels du Ministère ou des Universités, et qu’elle peut en recruter sur ses fonds propres((“Afin de mettre en œuvre ces actions, l’association peut bénéficier du concours d’agents publics titulaires ou contractuels mis à sa disposition par l’administration ou l’établissement public dont ils dépendent, de fonctionnaires placés en position de détachement, et de personnels recrutés sur ses fonds propres.”)).

      Enfin, pour ce qui est de la dotation, celle-ci cesse de peser sur le Ministère pour revenir à ses membres – enfin plus précisément, aux Universités qu’ils président. Les montants des cotisations est fixé en Assemblée plénière de la CPU. En cas de non-paiement, la sanction quasi immédiate est la radiation ((“Article 5 .La cotisation annuelle des membres est fixée annuellement par la CPU plénière, selon des modalités inscrites dans le règlement intérieur.
      Article 6 La qualité de membre de l’association se perd :

      par la démission ;
      par la radiation prononcée par la CPU plénière pour non-paiement de la cotisation (après mise en demeure non suivie d’effet dans un délai d’un mois) [nos italiques] ;
      par la radiation prononcée pour motifs graves par la CPU plénière sur proposition du bureau après que le membre intéressé a fait valoir ses observations auprès de la CP2U. Le membre intéressé est préalablement appelé à fournir ses explications.)).

      Les montants demandés sont élevés, même si les Universités les tiennent souvent secrètes : 15 000€ à l’ENS de Lyon, 8 300€ à l’EHESS12. À l’Université de Strasbourg, c’est 30 000€ que le Conseil d’administration a dû allouer pour 2019, sans y trouver à redire et sans que le bénéfice attendu soit bien clair pour les administrateurs et administratrices13. La cotisation, à l’Université de Strasbourg, figure au titre — technique — de “Cabinet de la Présidence : cotisations (de l’année)” ; ceux-ci sont pourtant bien plus difficiles à connaître ailleurs. Les débats conduits au sein de ce Conseil d’administration sont éclairants, si tant est qu’on peut parler de débats :

      On peut se demander ainsi dans quelle mesure la CPU représente les membres des Universités. Faute de comptes à rendre à quiconque, n’est-ce à pas plutôt les seules personnes des présidents — très majoritairement des hommes — que l’association sert ?
      Déclin de la CPU ?

      Parmi les cotisations de l’Université de Strasbourg, on trouve d’autres associations moins connues du grand public universitaire : la LERU (League of European Research Universities) et la CURIF (Coordination des universités de recherche intensive françaises)14. Les Universités moyennes de villes moyennes se regroupent, quant à elles, dans l’Association des Universités de Recherche et de Formation ou AUREF15.

      L’histoire de la CURIF, que relate le site de l’association, laisse penser que, depuis la LRU, l’avenir est darwinien.
      L’histoire de la CURIF, selon son site institution (consulté le 22/12/2019) La CURIF a été créée en 2008 sous forme d’une coordination informelle. Il s’agissait de défendre les spécificités des universités les plus actives dans le domaine de la recherche, alors que se discutait le remplacement du système d’affectation des ressources SAN REMO. En effet, les systèmes d’affectation proposés avec une belle constance par le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur, ne prennent pas en compte les besoins des activités de recherche à un niveau réaliste, ce qui obère le maintien d’une recherche de haut niveau dans nos établissements.

      Il est alors apparu que la position des grandes universités ne pouvait pas être développée dans son intégralité par la CPU qui doit tenir compte du point de vue de toutes les universités dont certaines ont parfois des besoins urgents en enseignement et relativement moins criant en recherche. Il est aussi apparu que la plupart des pays européens, suivant en cela l’exemple de la LERU [NDLR : League of European Research Universities], se sont dotés eux aussi d’un groupe de liaison des universités de recherche intensive afin de défendre la recherche universitaire et faire comprendre aux pouvoirs publics que, sans une réflexion et des moyens adaptés à l’exercice de la recherche intensive, leurs universités seront exclues de la compétition internationale avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraîne en termes d’innovation et d’attractivité du territoire.

      (…)

      La CURIF fut lancée donné fin 2008 par les universités françaises membres de la LERU : Strasbourg (Louis Pasteur), Paris-Sud et UPMC. Les principes de cooptation qui furent adoptés étaient :

      de se restreindre à de réelles universités (hors grandes écoles),
      de ne prendre qu’une université par ville, sauf à Paris
      de tenir compte du nombre de laboratoires mixtes de recherche (pour l’essentiel, avec le CNRS et l’INSERM).

      Alors que les deux premiers principes sont faciles à appliquer, le troisième doit tenir compte des disciplines puisque le CNRS est inégalement représenté selon les disciplines (très peu représenté en droit et gestion, par exemple). Le principe d’une université par ville posait surtout des problèmes à Aix-Marseille et Bordeaux puisque dans ces villes deux grandes universités coexistaient. Cette difficulté est maintenant fort heureusement résolue.

      En application de ces principes les universités suivantes, qui à elles seules couvraient plus de 85 % de la recherche dans le domaine de la santé et 70 % dans le domaine d’action du CNRS ont été sollicitées.

      Peu après, Paris 2 Panthéon-Assas, Nancy 1 Henri Poincaré et Nice furent invités à rejoindre la coordination. Les universités contactées participèrent depuis lors à la coordination, à l’exception de Panthéon-Sorbonne, Panthéon-Assas, Paris-Descartes, Paris-Diderot et Toulouse Paul Sabatier qui cessèrent leur participation en 2012 suite aux élections, provisoirement en ce qui concerne Paris- Diderot.

      En 2013, la CURIF dont l’intendance et le secrétariat étaient assurés depuis l’origine par l’UPMC, décida de se doter d’une personnalité morale sous forme d’association loi 1901 et d’appeler une cotisation.

      On se trouve ainsi, pour résumer, avec une Conférence des Présidentés d’Université, et une Conférence des Universités Excellentes, dont la trésorière était Frédérique Vidal, jusqu’à sa nomination au Ministère16. Ni l’une, ni l’autre n’ont de compte à rendre à la communauté universitaire, qu’elles ne représentent pas. En revanche, les liens avec le Ministère semble plus avéré, comme le montre le récent cocktail — au cours duquel Frédérique Vidal énonce une nouvelle fois des contre-vérités sur la politique mené par son Ministère, sans opposition manifeste des Présidents d’Universités présents.


      L’AEF questionne Gilles Roussel enfin sur le silence embarrassant dans lequel il a été relégué, en tant que président de la CPU, aux côtés du présidents de la République, lors des 80 ans du CNRS. Roussel répond que l’épisode, « si désagréable qu’il ait été », est anecdotique. Sa seule présence d’ailleurs « montre que la dimension universitaire de la recherche a voulu être marquée symboliquement ».

      Le rôle de la CPU serait-il devenu “symbolique” ? Ou plus précisément, “anecdotique“, à l’image du strapontin laissé à son président Gilles Roussel par le gouvernement actuel ? Si ni la CPU, ni la CURIF, ni l’AUREF — pourtant grassement financées par les Universités — ne représentent les communautés universitaires qui leur délèguent pourtant leurs présidents élus, si ces associations rendent difficile, voire impossible l’accès à leur documentation de travail, et que, dans le même temps, les communautés universitaires souffrent de sous-financement et de précarité de l’emploi, nous sommes à bon droit de demander — dans la mesure où elles ne servent pas aux communautés qui les financent — qui ces Conférences servent.


      https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/cpu_lppr_propositions.pdf

      Et ainsi, se demander s’il ne serait pas heureux, pour suivre le relevé des décisions de l’Assemblée générale des Universités qui s’est tenue le 14 décembre 2019, s’il ne faut pas les supprimer, si du moins elles n’ont pas déjà de facto disparu.

      https://academia.hypotheses.org/6624

    • Biatss, ITA et CDI de chantier dans l’ESR

      À l’occasion de la réflexion collective en préparation du projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l’équipe des Rédacteurs d’Academia est heureuse d’accueillir des femmes et des hommes #ITA (personnels ingénieurs, administratifs, techniques) et #BIATSS (personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques) mobilisés pour leurs métiers. Dans ce blog consacré à l’emploi en sciences humaines et sociales, ces femmes et ces hommes représentent plus de la moitié des effectifs ; pour autant, ces personnels, injustement subalternes, sont peu audibles. Ces corps de l’enseignement supérieur et de la recherche ont pourtant connu d’inquiétantes mutations de leurs niveau et conditions d’emploi, qui pourraient préfigurer l’avenir de l’emploi de recherche et d’enseignement. ITA et BIATSS mobilisés pour leurs métiers inaugurent, avec ce billet, une réflexion pour que vraiment toutes et tous, ensemble, imaginions l’avenir de la recherche et le contenu de la LPPR.

      Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017 le CDI de chantier ou contrat de chantier est une possibilité ouverte à tous les corps de métier sous réserve d’accords de branche ou de convention collective (articles 30 et 31) ; il est donc possible de recruter des agentes et agents pour une durée indéterminée, pour une mission spécifique liée à une opération ou un projet à l’échéance non prévisible. Les agent·e·s seront ensuite licencié·e·s lorsque l’opération ou le projet seront considérés comme achevés, l’achèvement étant considéré alors comme une cause réelle et sérieuse de licenciement (article 31).

      Le CDI de chantier ou d’opération est l’aboutissement logique du pilotage par projet, devenu massif et sans doute structurel dans l’ESR depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU, 2007), dont la logique est de pulvériser la notion d’emploi ou de métier ou lui substituant l’opération (forcément limitée dans le temps et sanctionnée par un livrable) et la compétence (mouvante, associée à des projets et que les agentes et agents sont supposés accumuler et activer par la formation continue ou l’expérience de terrain). Cet aboutissement s’inscrit bien sûr dans la logique de défonctionnarisation des services publics, c’est-à-dire par la nécessité du recours à une main-d’oeuvre managérialisée, ne possédant plus sa qualification au sens du statut d’agent de l’État titulaire, libérée de la culture du service public et bien entendu beaucoup plus soumise aux injonctions dites modernisatrices des établissements s’inscrivant désormais dans un marché de l’éducation et de la recherche notoirement concurrentiel au niveau mondial.

      Il n’est donc pas étonnant que l’apparition de ces CDI de chantier dans le dernier rapport des groupes de travail préparant la loi de programmation pluriannuelle de la recherche émeuve, à juste titre, le monde de l’ESR.

      Mais nous regrettons que cette émotion vienne bien tard, et qu’elle soit principalement motivée par la crainte que certains corps de métier (les CR et MCF) soient touchés par ces CDI de chantier. Car l’expérimentation en la matière est déjà ancienne, la destruction de l’ESR français continue depuis plus de dix ans, et les ITA et Biatss subissent depuis des années les conséquences de l’idéologie de la flexibilité et du précariat qui menace aujourd’hui les enseignants-chercheurs. Ces conséquences n’en sont pas moins des atteintes aux missions de recherche et d’enseignement supérieur de nos établissements que lorsqu’elles touchent les CR et MCF.
      La précarité des agents techniques et administratifs de l’ESR : les chiffres

      Pour le CNRS

      Le dernier bilan social du CNRS pour l’année 2018 comptabilise :

      24548 permanent·e·s dont 13322 ITA
      7022 contractuel·le·s dont 2945 ITA et 1834 doctorantes et doctorants.

      Si on laisse de côté le problème spécifique des doctorant·e·s dont la précarité est connue et relayée depuis des années, on constate que les ITA contractuel·le·s sont plus nombreux que les chercheuses et chercheurs (2243). Ces chiffres sont stables avec une tendance à la hausse de la proportion de contractuel·le·s pour les ITA.

      Pour les Universités

      À titre d’exemple dans quelques universités :

      À l’Université Paris-Sud, la part des contractuel·le·s parmi les personnels BIATSS est passée de 15,3% en 2014 à 17.75% en 2017 [Source : https://www.u-psud.fr/_attachments/paris-sud-en-chiffres-article/Bilan%2520Social%25202014-2017%2520UParisSud%2520EXE.pdf?download=true]
      À Aix-Marseille Université, les contractuel·le·s représentent plus de 30% des personnels BIATSS depuis plusieurs années [voir par exemple https://www.univ-amu.fr/system/files/2019-07/DIRCOM-bilan_social_2018.pdf]. Si le taux de contractuel·le·s a baissé en 2018 (il est de 32%) , il reste particulièrement élevé alors que 30% de ces emplois contractuels sont financés sur contrat de recherche (mission spécifique à durée déterminée et rémunérée grâce aux crédits générés par le contrat de recherche).
      À l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, ce sont entre 200 et 300 emplois qui ont été supprimés depuis 2013, ce qui, combiné avec la loi Sauvadet, a permis de réduire de 50 à 40% la part des contractuel·le·s BIATSS par rapport aux titulaires.

      La “déprécarisation” ou quand l’enfer se pave de bonnes intentions

      Dans le cadre du dispositif d’autonomie des établissements, la “déprécarisation” implique nécessairement des effets contradictoires qui permettent de mieux comprendre ces “contrats de chantier” qui vont désormais s’abattre sur les EC (même s’ils sont en vérité déjà expérimentés depuis 2007 par ce qu’on appelle les “enseignants LRU” – souvent des maîtres de langues payés 1300€ nets pour les 192 heures réglementaires, sans aucune perspective de carrière ou de titularisation, car ne rentrant pas dans le cadre du décret de 1982 régissant les agents titulaires et contractuel·le·s de l’ESR).

      Depuis 2007, la logique est donc la même : la “déprécarisation” (dont personne – à part Laurence Parisot, alors Présidente du MEDEF, qui déclarait « La vie est précaire, l’amour est précaire. Pourquoi n’en serait-il pas de même du travail ? » – ne conteste ouvertement la nécessité) se paye, à budget constant, d’une chute des postes ouverts (les fameux “gels de postes”) et, partant, du burn-out de celles et ceux qui restent… La précarité, dans son versant culturel, a en effet deux faces : elle est, vue du haut, une chance, une capacité de “disruption” qu’il va s’agir d’utiliser pour un temps (et l’on se souvient des BIATSS de “chantier” néo-managers de 2007-2009, aux salaires sans commune mesure avec les cadres des tableaux de la fonction publique chargés par les présidences des universités de “moderniser” leurs services – pilotage, gestion, externalisation…) mais aussi, vue du bas (l’armée de précaires sous-payé·e·s et sur-diplomé·e·s qui composent désormais une bonne moitié des fonctions dites “support” de l’ESR – contrats, ANR, ressources propres…) l’impossibilité d’inscrire les fonctions dans le temps long d’un poste, au double détriment de l’institution et des personnes concernées.
      La meilleure manière de détruire le service public d’enseignement et de recherche, c’est évidemment de l’empêcher de fonctionner, puis de lui imposer sa libéralisation sur le constat de son dysfonctionnement préalablement organisé !
      Précarité et souffrance au travail

      Les services centraux des universités, mais aussi les structures chargées de gérer les EX (IDEX, Labex, Equipex) et de manière plus générale la recherche sur projet (ANR, ERC, etc.) sont les plus massivement touchés par cette précarisation des ITA et BIATSS. Elle se traduit par un grand nombre de personnes en CDD, parfois la majorité voire la totalité d’un service1 mais aussi, et c’est le corollaire, par un turn over important qui déstabilise les équipes comme les services. Mais les ressorts de la précarisation vont au-delà : l’appel à des sous-traitants, auto-entrepreneurs souvent, pour assurer des missions parfois récurrentes, par exemple ; et le recours à des CDI ou CDI de chantier, souvent sans évolution de carrière possible, et parfois affectés à des structures de droit privé de type filiale d’université. Les mêmes fonctions peuvent ainsi être remplies au sein d’un même service par des personnes avec des statuts très différents. Ce recours large à des supports d’emploi précaire non seulement n’est plus questionné, mais il participe à la logique de détricotage de l’emploi comme des métiers ITA et BIATSS. De l’emploi parce qu’il permet de s’accommoder du faible recrutement de titulaires sur ces fonctions, des métiers parce qu’il soumet les compétences et les missions à une logique de gestion et d’accompagnement de projet, à court terme, et non à la construction de profils autonomes et de haute technicité nécessaires à l’ESR sur le long terme. Enfin, nous voyons déjà arriver ce que l’appellation CDI de chantier a de trompeur : les premiers CDI sur EX arrivent à échéance et les personnels commencent à être informé·es qu’ils et elles vont perdre leur emploi.

      La solution proposée par les délégués régionaux, directeurs d’instituts et gouvernances des universités aux situations de souffrance induites par ce management très particulier n’est pas le recrutement ou la consolidation des postes, mais de très jolies plaquettes consacrées à la gestion des risques psycho-sociaux… Vive la “qualité de vie au travail” – alors même que les représentants des personnels vont bientôt perdre les deux instances dans lesquelles ils avaient encore une voix : les CHSCT et les CAP qui perdent l’essentiel de leurs attributions avec la nouvelle loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019…2
      Quelques exemples récents de restructurations ou comment les ITA et BIATSS servent de variable d’ajustement

      Le PDG du CNRS Antoine Petit vient de l’Inria, qui s’est signalé par une démarche de restructuration (OptIn) particulièrement douloureuse. Tout figure explicitement dans le Rapport de Mission de 2018 sur cette restructuration :

      “maintenir la qualité du service apporté en diminuant les effectifs des fonctions support par l’optimisation des processus et des outils qui les supportent. Pour les RH, la mutualisation touchera dans un premier temps le processus de recrutement des personnels non permanents” (p. 3).

      C’est le programme qui a été suivi et qui, à l’horizon 2020, aura terminé de démanteler les RH de l’Inria – et aboutira à une compression de personnel sans précédent, avec près de 80 postes supprimés. Mais c’est le prix à payer selon A. Petit pour ne pas diminuer le recrutement des chercheurs – c’est l’argument qui a été explicitement présenté aux agents de l’Inria le 29 février 2016 lors du lancement officiel d’OptIn… Les ITA sont donc des variables d’ajustement officielles pour préserver l’emploi scientifique.
      Le Grand équipement documentaire(GED) du Campus Condorcet est un cas typique des expérimentations subies ces derniers temps par les ITA. Le GED lui-même est un Établissement Public administratif (EPA). Un établissement public à caractère administratif (EPA) est en France une personne morale de droit public disposant d’une certaine autonomie administrative et financière afin de remplir une mission d’intérêt général autre qu’industrielle et commerciale, précisément définie, sous le contrôle de l’État ou d’une collectivité territoriale.

      Concrètement cela veut dire que les agent·e·s rattaché·e·s au GED, qui viennent des différentes structures qui rejoignent depuis septembre le campus Condorcet, vont avoir un statut encore très incertain (le GED n’est pas encore ouvert du fait d’un retard de livraison du chantier)3. Ils et elles ne seront plus rattaché·e·s à leur unité d’origine mais mutualisé·e·s au sein du GED. Depuis plus d’un an les différents CHSCT concernés font remonter les inquiétudes des agent·e·s destiné·e·s à travailler au sein du GED, qui à l’heure actuelle ont très peu de visibilité sur leur futur statut. Mais ce qui est déjà acté c’est l’explosion de leur fiche de poste : les agent·e·s transféré·e·s à Condorcet doivent candidater sur les fiches de poste émises par l’établissement avec une majeure, une mineure et 10% de “service au public” (= qui correspond par exemple à des astreintes de permanences, ce qui n’est pas négligeable dans un équipement documentaire qui va proposer de très larges amplitudes horaires y compris le week end et la nuit). Pour les agent·e·s refusant le transfert, ce sera un recours aux Noemi c’est à dire une mobilité interne au CNRS sur les postes ouverts à la mutation – sans fléchage particulier pour les agent·e·s concerné·e·s. Flexibilisez-vous… ou partez.
      Le bilan social des ANR

      Un autre grand terrain d’expérimentation a été ouvert par les financements type ANR ou ERC. On voit régulièrement apparaître au fil de l’eau des profils aberrants destinés à recruter des ITA en CDD financés par et pour des ANR. Ces profils proposent très souvent des recrutements au plus bas niveau possible (IE voire AI plutôt qu’IR), avec une feuille de route impossible à tenir dans le temps imparti, et des exigences délirantes en terme de compétences. Ainsi il n’est pas du tout inhabituel de solliciter chez le candidat aussi bien des compétences en pilotage (gestion de projet, gestion d’équipe) qu’en informatique, avec si possible un niveau au moins équivalent au Master dans différents domaines disciplinaires allant de la linguistique à la sociologie. C’est un sujet particulièrement sensible en LSHS, où de plus en plus de projets de recherche souhaitent (pour des raisons pas toujours scientifiques mais parfois très opportunistes) se doter d’un volet numérique. Il est alors tentant de faire d’une pierre deux coups, et de chercher à caser sur un seul CDD ce qui occuperait déjà largement deux équivalents temps plein4…

      Pourquoi de telles contorsions ? Parce que l’emploi IT est sinistré, et que les ressources nécessaires pour faire tourner les projets et les services n’existent plus. On se retrouve même parfois à devoir financer par projet non seulement les fonctions techniques mais aussi les fonctions support administratives et financières ; il arrive de plus en plus régulièrement que les unités et les équipes n’aient plus de gestionnaire titulaire, et que cette fonction pourtant hautement stratégique et de plus en plus complexe à l’heure des audits et des multitutelles soit mutualisée entre différentes unités, différents sites, différents établissements, et confiée à des contractuel·le·s payé·e·s sur des reliquats d’IDEX ou des chutes d’ERC.
      Nous ne voulons plus servir la science à nos dépens !

      Dans un tel contexte, le CDI de chantier a pu apparaître à certains comme une solution pas si absurde, permettant de pérenniser un petit peu les contractuel·le·s dont la recherche a besoin. Le double gros problème du CDD pour l’employeur, c’est qu’il coûte cher (du fait de la bonification de précarité, le coût consolidé du poste est donc important) et que son échéance n’est pas adaptable : si le projet n’est pas terminé, il faut renouveler le CDD – et si le CDD est trop souvent renouvelé, on se retrouve avec un agent, horreur, titularisable.
      Le CDI de chantier coûtera moins cher (pas de prime de précarité puisque c’est un CDI !) et permettra de s’ajuster exactement aux besoins du projet et de l’employeur. Il est donc une parfaite aubaine et est promis pour cela à un très bel avenir. Et si effectivement l’arbitrage doit se faire entre pérenniser des ITA et recruter des chercheurs, nous savons très bien où penchera la balance – car nous savons très bien qui prend les décisions.

      Dans ce contexte, la politique en faveur du handicap tant vantée par le CNRS peut-elle perdurer ? En 2018, 14,5 % des salarié·e·s handicapé·e·s de l’ESR étaient des agent·e·s de catégorie B, et 43,3 % de catégorie C. Les agent·e·s de l’ESR handicapé·e·s occupent donc déjà majoritairement des postes d’ITA et de BIATSS, certes moins qu’en 2012 (où ils et elles appartenaient à 53,3% à la catégorie C, ces postes d’oubliés de l’ESR). 18,9 % d’entre eux étaient contractuel·le·s en 2018, ce qui est tout sauf un statut rassurant pour qui vit au quotidien avec un handicap. Les orientations que souhaitent prendre l’ESR, basées sur l’obsession de la compétitivité et le CDI de projet, sont-elles réellement compatibles avec une insertion réelle et durable des personnels handicapés dans le monde de la recherche, que le CNRS est si fier de mettre en avant ?

      Il est donc temps pour les ITA et BIATSS de faire entendre leur voix au sein de l’ESR. C’est ce qui a été fait, et brillamment mardi 17 décembre par les équipes des plates-formes d’OpenEdition qui ont proposé une action de grève originale (le blocage de l’ensemble des services numériques pendant 24 h, les sites affichant un message de mobilisation en différentes langues), permettant à la fois de souligner l’importance du travail des “soutiers du numériques” et de visibiliser des revendications trop souvent invisibles. Cette action a fait du bruit (en témoigne le débat très vif sur la liste de diffusion des usagers d’hypotheses.org [carnetiers] ; nous espérons qu’elle marque le début d’un véritable mouvement de protestation de tous les personnels techniques et administratifs, les oublié·e·s de l’ESR.

      https://academia.hypotheses.org/6294

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) Ce à quoi il faut s’attendre - Newsletter n° 44, 10 janvier 2020

      Toujours plus d’évaluation, toujours plus de financement sur projets, toujours plus de hiérarchisation et de différenciation, et pour cela la possibilité d’imposer plus de 192h annuelles aux enseignants-chercheurs et la fin du paiement des heures supplémentaires, telles sont les propositions centrales formulées dans les 3 rapports officiellement commandés par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation pour préparer la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (la LPPR). Voici une présentation par SLU de ces 3 rapports qui font froid dans le dos quand on sait ce qu’est déjà devenu notre métier.

      Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire - oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale.
      Antoine Petit, PDG du CNRS, Les Échos, 26 novembre 2019.

      Les déclarations réitérées du PDG du CNRS ont fait largement réagir la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Elles ne sauraient passer pour de simples provocations. Le darwinisme social et l’inégalité qui y sont revendiqués sans fard sont au cœur des trois rapports remis le 23 septembre 2019 à la Ministre de l’ESR en vue de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      On ne s’étonnera donc pas de retrouver Antoine Petit aux côtés de Sylvie Retailleau (présidente de Paris-Saclay) et de Cédric Villani (député La République en Marche chargé des questions de l’ESR, vice-président de l’OPECST [1]) comme rédacteur du premier rapport consacré au financement de la recherche. Un second groupe de travail, composé de Philippe Berta (généticien, député LREM), Philippe Mauguin (PDG de l’INRA dont la nomination en 2016 par François Hollande a été contestée car il avait été directeur de cabinet de Stéphane Le Foll) et Manuel Tunon de Lara (pneumologue, président de l’université de Bordeaux, dont le principal fait de gloire est d’avoir fait matraquer les étudiants de son université le 7 mars 2018), était chargé du rapport « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques ». Quant au rapport « Recherche partenariale et innovation », il a été placé sous la responsabilité de Francis Chouat (député LREM d’Evry), Isabel Marey-Semper (directrice des moyens communs au sein du département Recherche et Innovation de L’Oréal entre 2010 et 2018 après être passée par PSA Peugeot, Nokia…) et Dominique Vernay (ancien directeur technique de Thales, président du campus Paris-Saclay en 2011, vice-président de l’Académie des technologies depuis janvier 2019).

      Cet aréopage d’anciens scientifiques passés du côté administratif et politique est représentatif du tout petit milieu qui gouverne la science depuis 15 ans en France et se recrute notamment parmi les anciens présidents d’université, lesquels ne retournent pratiquement plus à l’enseignement et à la recherche après leur mandat. Les mêmes noms sont souvent revenus depuis les années 2000 parmi les conseillers des politiques, rédacteurs de rapport, présidents de diverses instances mises en place par les réformes. On retrouve bien entendu ces administrateurs et managers de l’ESR au premier rang des personnes consultées pour l’élaboration des rapports. Les syndicats, les sociétés savantes et les académies ont certes été auditionnés : mais certains ont protesté contre le décalage existant entre le contenu de leurs auditions et les préconisations finales. Les rédacteurs des rapports doivent quant à eux leur rôle à leur allégeance au pouvoir en place. Malgré des divergences sur certains points, ils partagent les mêmes grandes options idéologiques et politiques que ceux qui ont conseillé ministres et présidents dans l’élaboration des précédentes lois, depuis la loi LRU en 2007.

      La lecture des trois rapports frappe ainsi d’abord par la grande continuité avec les politiques menées par les gouvernements successifs durant la dernière décennie, malgré les constats alarmants qui y sont faits, comme si ces constats ne pouvaient avoir valeur de bilans de ces politiques.
      Des constats sans bilan des réformes antérieures

      Nombre d’éléments de l’état des lieux dressé par les rapports seront familiers aux chercheurs et enseignants-chercheurs qui en font l’expérience quotidienne. Ils partagent le constat d’une perte de terrain de la recherche française et de la nécessité d’investir prioritairement dans ce domaine. Ils insistent sur le sous-financement de la recherche publique, sur l’insuffisance des crédits de fonctionnement dont disposent les chercheurs, sur la faible rémunération dans l’ESR, notamment pour les entrants : le salaire moyen de ces derniers se situe à 63% de la moyenne des pays européen et de l’OCDE pour une entrée en carrière à l’âge de 34 ans, un âge où 1800 euros nets constituent bel et bien, suivant les termes mêmes du rapport, un salaire « indécent » voire « indigne ». La baisse du nombre des doctorants ainsi que les conditions déplorables de préparation de la thèse sont mises en évidence : durée inadaptée, nombre de financement insuffisant (39% en SHS pour 70% en moyenne), contrats doctoraux indignes (à peine plus de 1300 euros nets), manque de reconnaissance du diplôme.

      Le rapport 2 pointe la dégradation de l’emploi scientifique en raison de cette rémunération peu attractive, avec un décrochage marqué depuis 2013, des conditions de travail de plus en plus contraignantes, l’érosion des emplois permanents. Entre 2012 et 2016, celle-ci se chiffre à 3 650 ETPT (équivalent temps plein annuel travaillé), soit une baisse de 7,8% des personnels de support et de soutien, mais aussi des chercheurs dans les EPST (Établissements publics à caractère scientifique et technologique). Le rapport 2 chiffre très précisément la baisse importante des recrutements de chercheurs (-27% pour les chargés de recherche entre 2008 et 2016), d’enseignants-chercheurs (-36% pour les maîtres de conférences entre 2012 et 2018, -40% pour les professeurs d’université) et d’ingénieurs de recherche (-44% dans les EPST entre 2008 et 2016).

      La diminution des fonctions support a en outre occasionné un transfert important des charges administratives et techniques vers les chercheurs et les enseignants-chercheurs. Le faible niveau de rémunération des personnels d’appui à la recherche ainsi que leur contractualisation rendent très difficile leur recrutement et leur « fidélisation » surtout dans les métiers nouveaux du numérique ou de la valorisation, mais également dans les fonctions classiques et indispensables de gestion et d’administration (R2, p. 23).

      Si la dégradation des conditions de travail et les difficultés des personnels de l’ESR sont en partie mises en évidence de ce rapport, rien n’est dit des politiques qui ont conduit à cette situation. La cause est principalement imputée à une mesure technique interne à la mise en place de l’autonomisation budgétaire des universités ; et la solution proposée laisse pantois.

      Pour les rapporteurs, la raison principale tient à l’auto-financement par les établissements et organismes du glissement vieillesse technicité (GVT), cette immense entourloupe budgétaire reconduite depuis la mise en place de l’« autonomie » des universités. En clair, depuis la loi LRU, l’État abonde la masse salariale des universités sans tenir compte de l’augmentation mécanique du coût des agents du fait de leur vieillissement. La nécessité de faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants a alors conduit les universités à « geler » les postes mis au concours et à préférer recruter des enseignants disposant de peu de temps pour la recherche (effectuant 384h TD au lieu de 192h), alors même, peut-on ajouter, qu’au niveau national, on affiche ces postes gelés (ainsi, les fameux 1000 postes annuels promis en 2012 par Geneviève Fioraso jamais pourvus intégralement).

      Autre raison mentionnée, le développement des financements sur projet a eu pour corollaire l’« augmentation du nombre de contractuels financés sur projet, en situation souvent précaire et généralement mal rémunérés. Les universités et les EPST sont ainsi parmi les organismes du secteur public qui comptent la plus forte proportion de contractuels (près de 35% pour les universités et 25% pour les EPST) » (R2, p. 20). Mais aucun rapport n’en conclut à une remise en cause du management de la recherche par projets, bien au contraire : les rédacteurs louent le programme d’Investissements d’Avenir et ses Labex, Idex et Equipex, supposés avoir donné les moyens de conduire une véritable politique scientifique à leurs bénéficiaires, sans que jamais ne soient évaluées les réalisations de ces monstres technocratiques que les enseignants chercheurs et les chercheurs ne connaissent eux-mêmes que très imparfaitement.

      Plus encore, les rapports s’accordent sur le constat d’un décrochage rapide de la France en tant que puissance industrielle et économique depuis 15 ans, ainsi que sur son affaiblissement dans le domaine de la recherche depuis 10 ans. Pourtant, jamais ce décrochage n’est mis en relation avec les politiques menées durant ces périodes, avec le tournant néo-libéral des politiques publiques, avec les désorganisations structurelles et la dégradation des conditions de travail engendrées par les réformes successives dans l’ESR depuis 2007, avec le choix politique de la précarité, avec les logiques managériales et économiques qui ont présidé à ces réformes que les rapports souhaitent encore intensifier.

      Seul point mis en avant, seul véritable mal expliquant les constats qui sont faits pour l’ESR : le manque de financement dans un contexte de compétition internationale accrue. D’emblée, le ton est donné : le rapport 1 reprend le discours de Jean-Pierre Bourguignon, président de l’European Research Council (ERC), prononcé le 23 mai 2019 à Stockholm qui expliquait le retard européen en matière de recherche par la faiblesse de son financement et à la dispersion des moyens. Une seule solution pour y remédier : concentrer les moyens sur les établissements en haut de la hiérarchie. Le groupe de travail fait siennes ces explications. Autant dire que la vision inégalitaire d’Antoine Petit est partagée par ses comparses et correspond clairement à celle développée depuis quinze ans par les décideurs en matière de politique de l’ESR.
      Continuités sémantiques et principe de hiérarchie : le management de la recherche

      Dans la forme, la continuité se marque dans le langage managérial constamment employé dans ces rapports dont le but reste de « conquérir de nouveaux leaderships » : « système vertueux », « performance et évaluation », « compétitif », « émergent », « innovation », « financement compétitif » (pour désigner le financement à la performance et le financement par appel à projets, mis sous une même étiquette ce qui n’est pas neutre)… Et surtout « ressources humaines » employé une trentaine de fois. Le mot « excellence » est en recul, sans doute parce qu’il a été trop contesté entre 2009 et 2012, peut-être parce qu’il suppose encore une évaluation par les pairs que la logique managériale entend remplacer.

      Sur le fond, l’objectif constamment réaffirmé depuis le processus de Bologne en 1998 et jamais atteint de porter l’investissement dans la recherche à 3% du PIB est rappelé. Ce chiffre serait réparti en 1% pour l’État et 2% pour le privé, contre respectivement 0,78% et 1,44% actuellement, ce qui supposerait de faciliter la recherche et développement dans le privé par des incitations. Il n’est donc jamais question de remettre en cause le crédit impôt recherche (CIR), présenté de façon tout à fait évasive dans le rapport sur le financement (une mention p. 30-31), dont il a pourtant été largement démontré qu’il n’a que très peu d’impact sur le développement de la recherche privée au regard de l’énormité de la dépense [2].

      Continuité encore dans l’inégalité fondamentale qui préside à la politique préconisée. Hiérarchiser est le maître mot de ces rapports. En langage technocratico-managérial, cela se dit, lorsqu’il s’agit de l’organisation de l’ESR, « Développer la capacité de la France à opérer des choix stratégiques et à agir en cohérence » (R1, p. 11). D’où la recommandation d’un conseil stratégique de la recherche et de l’innovation rattaché au Premier Ministre, qui viendrait remplacer l’inutile Conseil Supérieur de la Recherche mis en place en 2013, et peut-être se substituer aux institutions ayant pour mission d’informer le pouvoir comme l’Académie des sciences, l’Académie de médecine, l’OPECST [3], etc., dont l’action serait jugée inefficace. Le Premier Ministre assisterait personnellement aux réunions de ce conseil dont la composition ne devrait pas excéder 12 membres. Moins on est nombreux, plus on est à même de décider, sans tenir compte des compétences, de l’expérience et des avis des personnels, des chercheurs voire des services de l’État au contact du terrain.

      De même, une cellule stratégique placée auprès du Premier Ministre serait chargée d’élaborer la stratégie d’innovation de la France (déterminer les domaines dans lesquels la France jouit d’avantages comparatifs pour relever les grands défis sociétaux auxquels sont confrontés tous les pays). Cette équipe, devrait bien entendu être « de taille très restreinte » (R3, p. 19) pour « définir les 5-7 transformations sociétales pour lesquelles la France dispose d’avantages comparatifs pour développer des leaderships de portée mondiale » (R3, p. 14). Pourquoi 5-7 ? Mystère. Ce qui est certain, c’est qu’une « transformation sociétale » se résout avant tout par la technologie et l’industrie assaisonnées d’un peu de SHS. Telle est la logique économique qui entend présider aux grandes orientations de recherche du pays. Ces grands défis « sociétaux » seraient déclinés en programmes opérationnels grâce à un financement dédié sur le long terme – « long terme » signifiant 10 ans pour ces scientifiques en herbe et ces technocrates en chef. À la tête de chaque défi sociétal, il y aurait un secrétaire d’État placé auprès du Premier Ministre, à moins qu’une Agence des Grands Défis Sociétaux placée sous l’autorité du Premier Ministre ne soit créée [4]. Puisqu’on vous dit qu’il faut simplifier…

      D’où aussi la volonté de rendre effective la coordination par le MESRI des politiques de recherche menées par les autres ministères, de désigner un seul organisme de recherche comme chef de file ayant la responsabilité de coordonner chaque grande priorité nationale déterminée par le Conseil stratégique, de reconnaître les universités comme des opérateurs de recherche à part entière et d’en « tirer les conséquences stratégiques et budgétaires » : autrement dit, financer celles qui seront jugées les meilleures et qui répondront aux priorités décidées en haut lieu par le Conseil stratégique, et les laisser réorganiser leur recherche en interne à cet effet.

      Les collectivités territoriales et l’ANR sont ainsi appelées à mettre en cohérence leurs appels à projets et leurs financements avec les grandes priorités nationales de l’État. En échange et conformément à une demande de l’association Régions de France, le soutien à la recherche des régions ne serait plus comptabilisé dans l’enveloppe budgétaire de fonctionnement contraint par la contractualisation avec l’État. Les régions devront également articuler leur stratégie de recherche partenariale et d’innovation avec celle de l’État et celles de leurs universités, le président de la région ou le vice-président étant chargé de coordonner l’ensemble des dispositifs – autant dire que ni les universités, ni bien sûr les universitaires et les chercheurs, n’auront la main sur ceux-ci. La politique à l’échelle régionale doit être définie par le président de région, le préfet de région, le recteur de région académique, les présidents d’université en lien avec les organismes de recherche, les présidents des pôles de compétitivité de la région et le président de Bpifrance.

      Tout est donc mis en place pour les grandes orientations de la recherche française soient décidées en toujours « plus haut lieu ». Et pour que ces décisions trouvent leur application sur le terrain, le financement doit être attribué en fonction de la conformité des recherches effectuées dans les universités et les laboratoires. Car si les dotations, notamment les crédits de base des laboratoires, doivent être augmentés selon le rapport 1 (qui semble ainsi répondre à une forte demande de la communauté des chercheurs), la contrepartie est qu’ils le seraient de manière inégalitaire, sous forme de « crédits compétitifs », c’est-à-dire qu’ils devraient aller aux universités sur la base de critères de recherche et que celles-ci distribueraient les fonds de manière différenciée en fonction de la « performance » (on ne dit plus « excellence ») de leurs unités. Comme, par ailleurs, ces universités devraient développer une politique scientifique répondant aux grands domaines définis en « haut lieu », on peut penser que les unités inscrites dans ces domaines seraient favorisées pour l’obtention de ces « crédits compétitifs ». La hiérarchisation est bien aussi une orientation politique de la recherche.

      L’ANR voit d’ailleurs ses pouvoirs renforcés puisque la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux devrait lui être confiée. L’augmentation préconisée de son financement pour que 25 à 40% des projets – c’est le taux aux États-Unis – soient retenus (contre 16% actuellement) répond à une demande émanant notamment des sciences dures. Là encore il y aurait une contrepartie : la modulation de l’aide financière en fonction de la durée et des thématiques des projets, et notamment des transferts ou applications technologiques possibles (Technology Readiness Level, soit le degré de maturité d’une technologie). Comme le financement de la généralisation des allocations doctorales à tous les doctorants n’est pas mentionné, il est probable que les rapporteurs songent à les faire abonder par les ANR, avec tous les effets mandarinaux que cela implique.

      Seule « l’innovation » comptant, il faudrait d’ailleurs renforcer les liens entre recherche publique et industrie par des dispositifs de recherche partenariale, l’association des citoyens et des territoires (traduction : des lobbies comme Alyss et des collectivités territoriales) dans le développement des innovations, des synergies au niveau régional favorisant les interactions avec les PME. La plupart des mesures préconisées en ce sens ne font qu’étendre des dispositifs déjà mis en place ces dernières années : doublement du nombre de thèses régies par une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE), du nombre de chaires industrielles de l’ANR, augmentation des crédits des projets collaboratifs entre grandes entreprises, PME et laboratoires pour les porter à 200M€ minimum, etc. La « recherche partenariale » serait elle aussi renforcée en étendant le principe de l’abondement des laboratoires Carnot à tous les laboratoires : autrement dit, le lien des laboratoires avec les entreprises sous forme de partenariats public-privé devrait être généralisé [5] et l’ANR aurait à en tenir compte dans le choix des projets qu’elle finance.

      Projets encore et toujours : les rapports souhaitent améliorer la participation de la France aux appels à projet européens (tout particulièrement en SHS), notamment en donnant des primes aux chercheurs et enseignants-chercheurs porteurs de tels projets. Là aussi, il faut hiérarchiser.

      On le voit, contrairement aux déclarations louant la recherche fondamentale, c’est bien la recherche financée sur projets, principalement porteurs de potentielles applications, qui est prioritaire pour les « managers » de l’ESR comme pour le gouvernement.
      Un régime autoritaire pour la science

      Qui établira cette hiérarchie et comment, voilà toute la question. Évaluation, contrôle et verticalité sont les corollaires techniques de la fabrique de l’inégalité. On l’a vu, la « gouvernance » doit être concentrée entre les mains de quelques personnes, et ce à tous les niveaux. Celle des infrastructures de recherche doit en outre être resserrée autour des principaux partenaires financeurs. L’organisation de la recherche ne se conçoit, dans ces rapports, que par l’autoritarisme.

      Le financement « à la performance » suppose quant à lui des évaluations. Le HCERES devrait être reconduit et réaménagé : il se voit notamment confiée l’évaluation régulière des infrastructures de recherche, dont dépendra désormais le niveau de leurs crédits (R1, p. 27). Mais ce sont les tutelles des unités qui auront elles-mêmes à élaborer des critères d’évaluation en fonction de leurs visées stratégiques, en déterminant une cotation pour chaque critère. Ah, noter, chiffrer… de vrais garants de la science, comme chacun sait ! La place du HCERES dans l’évaluation de la vie interne des unités deviendrait donc secondaire. En revanche, son rôle dans l’accréditation des processus d’évaluation, des organismes, des laboratoires ou des individus, chercheurs et enseignants-chercheurs, serait renforcé. La candidature de Thierry Coulhon à sa tête en est le signe le plus évident : conseiller spécial de Valérie Pécresse en 2008, « père » de la loi LRU, il est actuellement conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche et innovation auprès d’Emmanuel Macron. Aucune évaluation sérieuse n’a pourtant été faite de cette institution, ni de son coût en expertise, ni du temps qu’il fait perdre à chacun. Du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) et du Comité national des universités (CNU), dernières instances collégiales réelles dans l’ESR, il n’est pas question sinon sous une forme menaçante : il faut « moderniser ces instances en les recentrant sur leur rôle de représentation des grands équilibres disciplinaires » (R2, p. 41). Comprendre : les vider de leur substance.

      Contre tout ce qui a pu être démontré, notamment par les sociologues de l’évaluation, les enseignants chercheurs sont dits « insuffisamment évalués » (R2, p. 28) : les rapporteurs préconisent donc un retour à leur évaluation tous les quatre ans. L’objectif est clairement affiché : les universités elles-mêmes seraient en charge de cette évaluation de leurs personnels qui serait couplée aux politiques indemnitaires et de promotion, à « une gestion managériale des emplois et des compétences, et à une répartition plus objectivée des financements » (R2, p. 28). Hiérarchiser pour contrôler, contrôler pour hiérarchiser. La liberté académique sera désormais laissée à la discrétion des présidents d’université et des évaluateurs : « La réussite aux appels à projet, les appréciations positives voire très positives d’un laboratoire de recherche au terme d’une évaluation réalisée par un comité indépendant pourraient, à titre d’exemple, justifier le versement d’un intéressement collectif à chaque membre d’une équipe » (R2, p. 33).

      En liant explicitement l’évaluation à la « gestion des ressources humaines », les rapports préconisent d’accomplir ce que la loi LRU et les « Responsabilités et compétences élargies » (RCE) déployées entre 2009 et 2011 n’avaient pu mettre complètement en place en raison de la mobilisation universitaire. Les enseignants-chercheurs et les chercheurs perdraient entièrement la maîtrise de l’évaluation de leur travail qui serait confiée à des supérieurs hiérarchiques ou à des organismes non-collégiaux, suivant des objectifs managériaux de contrôle et de différenciation des carrières. La mutation insidieuse qui s’est développée depuis 10 ans est ici entérinée, et serait renforcée, avec cette fois des effets très concrets et directs sur les carrières et les salaires.

      L’orientation de la recherche passe par les recrutements. En ce domaine aussi, il faut donc centraliser, ce qui passe par une gestion prévisionnelle de l’emploi scientifique sur 5 ans élaborée par le MESRI et par les universités et organismes de recherche. La politique de recrutement serait donc décidée en (plus) haut lieu, avec sans doute à la clé une généralisation des fléchages, qui se sont déjà développés et retirent le pouvoir d’évaluation des besoins et de décision aux enseignants-chercheurs et aux chercheurs. Comme toujours, les « meilleures pratiques internationales » (qui en décide, cela n’est dit nulle part) sont convoquées pour justifier ces changements, notamment la mise en place d’un tenure-track et l’autonomie de recrutement des établissements grâce à l’augmentation des dispenses de qualification par le CNU pour les établissements accrédités par des labels, appartenant à des Idex, les lauréats de l’ERC, etc.

      Toutes ces préconisations, si elles sont mises en place, ne peuvent qu’aboutir à un renforcement considérable du contrôle direct des présidents d’université sur leur personnel. Elles achèvent de faire tomber aux oubliettes ce qui fut, avant la loi LRU, le statut des universitaires, fonctionnaires d’État jouissant de droits et d’obligations particulières qui devaient leur garantir les libertés nécessaires pour mener leurs recherches à l’abri des pressions des pouvoirs, quels qu’ils fussent.
      Détruire les statuts d’enseignant-chercheur et de chercheur : la carotte est le bâton

      Comme souvent, les rapports agitent des carottes pour mieux faire avaler le bâton (si l’on peut dire). Les carottes, ce sont par exemple ici la demande de stabilisation de l’emploi scientifique permanent (les budgets alloués par l’État doivent tenir compte du GVT), la préconisation d’un allègement de service à l’entrée de carrière et d’une augmentation du volume des congés sabbatiques, ainsi que la recommandation de primes Le rapport sur l’attractivité préconise une augmentation générale des rémunérations des personnels de l’ESR. Est-ce là une bonne nouvelle ? Anticipant explicitement sur la réforme des retraites qui doit inclure les primes dans le calcul des pensions, les rapporteurs préconisent une augmentation générale des primes, sans toucher aux rémunérations indiciaires. S’il est question de privilégier la revalorisation pour tous, une « revalorisation ciblée » permettrait de renforcer encore la différenciation déjà amorcée des carrières. Hiérarchiser, cela veut bien dire ainsi, en matière de ressources humaines, tenir compte de la « performance » des enseignants-chercheurs et des chercheurs dans la revalorisation de leurs salaires : par des primes et non par la rémunération indiciaire, bien sûr. La logique de l’excellence revient donc, ce que montre clairement l’objectif d’attirer les « stars » de la recherche par un programme de « chaires d’excellence senior » qui donneraient à leurs titulaires, pour une période limitée, des financements récurrents. Stars internationales bien sûr, alors même que les droits d’inscription des étudiants étrangers ont été augmentés récemment : vous avez dit « attractivité » ?

      Les carottes auront pourtant du mal à rendre les bâtons plus digestes. L’allègement des obligations de service en début de carrière pour les enseignants-chercheurs pourrait ainsi être mise en place, au choix et sans exclusive, grâce à quatre procédés : un recours plus important aux PRAG et enseignants contractuels, une participation plus importante des chercheurs à l’enseignement, la suppression de la clause d’accord des intéressés pour la modulation de service, une « régulation collective » assurée par l’UFR ou le département concerné dans la répartition des services entre ses membres, chercheurs compris. De même l’augmentation du volume de congés sabbatiques (R2, p. 45) est articulée à l’accroissement des possibilités de modulation de services, que les rapporteurs ne présentent plus comme une piste possible mais comme une évolution par rapport au dispositif existant. Ainsi la modulation de service sans consentement des intéressés est explicitement prônée par le deuxième rapport. Elle s’accompagne de la fin de la référence aux 192h TD, posée comme un objectif, avec pour corollaire la disparition des heures complémentaires et la mise en place d’expérimentations pour que le service soit désormais calculé en ECTS et non en heures équivalent TD. Une indemnité forfaitaire pour lourde charge d’enseignement pourrait venir compenser dans certains cas cette mesure… De même, pour contrer la baisse des recrutements (il n’est évidemment jamais question d’augmenter ces derniers), les chercheurs devraient être amenés à enseigner davantage. Chercheurs et enseignants chercheurs verraient désormais leur charge d’enseignement régie non par un statut national, mais au cas par cas, sous la houlette du président d’université et des responsables d’UFR et de départements, en fonction des nécessités de service.

      Le deuxième rapport préconise en outre la mise en place d’un tenure-track en France, procédure dite de « recrutement conditionnel ou titularisation conditionnelle » qui pourrait prendre la forme de « chaires d’excellence junior » (le recrutement s’accompagnerait alors d’un financement adéquat de l’environnement du recruté). D’une durée de 5 à 7 ans, ces contrats se termineraient non par un concours, mais par une procédure dite de « go-no go », à savoir une évaluation suivant des « critères d’excellence internationaux » (bien sûr), tenant compte des résultats publiés mais aussi « de la capacité démontrée à obtenir des financements sur contrat »… Ou comment contraindre ceux qui poursuivent leurs recherches depuis des années sans entrer dans la course aux projets à s’y mettre… Bref, les heureux élus seront dans la main de leur employeur qui sera en outre chargé d’évaluations intermédiaires tout au long de la durée du contrat. Vous avez dit libertés académiques ?

      Si, selon les rapporteurs, cette mesure de tenure-track n’a pas vocation à être généralisée en raison de son coût, il est pourtant aisé de comprendre ce qui est visé par ces réformes, toujours présentées comme des « expérimentations », notamment parce que le rapport préconise d’analyser l’opportunité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs. Une telle mesure ne pourrait être mise en place que par une généralisation progressive des tenure-tracks qui ne seraient plus conditionnées à une enveloppe associée (la carotte). L’extinction du corps des maîtres de conférences est une visée constante depuis de longues années. La loi promet d’avancer en ce sens, en maniant carotte et bâton et en masquant à peine ses intentions. Une telle disparition permettrait de réduire le nombre des titulaires, désormais en charge d’assurer le pilotage d’équipes composées de contractuels recrutés tant pour les activités de recherche que d’enseignement.

      Autre « innovation » de haut vol, les « CDI de mission scientifique », adaptation des CDI de projet dont les BIATSS font déjà l’amère expérience, seraient censés « dé-précariser » les agents concernés. Cette déclinaison dans la recherche des « CDI de chantier » qui existent ailleurs permettrait en fait de contourner la loi Sauvadet qui oblige un employeur à recruter en CDI un agent employé en CDD au bout de 6 années de contrats. La guerre, c’est la paix. Qu’on en juge plutôt :

      Le terme du projet pourrait être lié à sa réussite mais également à la fin du financement du projet ou à son abandon. Il constituerait un motif de licenciement pour cause réelle et sérieuse, sans qu’il soit possible de remettre en cause la réalité de ce motif. [6] Il donnerait donc lieu au versement d’une indemnité de licenciement, mais ne conduirait pas à l’application d’une obligation de reclassement. (R2, p. 36).

      Autrement dit, ces faux CDI s’affranchiraient des obligations de la loi Sauvadet. Si l’on ajoute à cela la mise en place des tenure-tracks et l’application depuis le 1er janvier 2020 de la rupture conventionnelle dans la fonction publique, c’est bien le statut même de fonctionnaire des enseignants-chercheurs tel qu’il était conçu jusque-là, adossé à la garantie de l’emploi, qui est foncièrement remis en cause. Ces faux-CDI sont les faux-bijoux posés sur les habits neufs de l’ESR, puisqu’ils seraient la récompense d’autres contrats courts, en particulier des post-doctorats de trois ans que les rapporteurs proposent de développer au nom de la lutte légitime contre la précarité des ATER, post-doc nécessairement moins nombreux qui auraient sans doute mécaniquement pour effet darwininien de précariser le plus grand nombre et d’augmenter les besoins en vacataires des universités.

      Et pour bien faire comprendre que l’avenir n’est plus dans la fonction publique, les rapports entendent favoriser encore les liens entre les chercheurs et le privé. Plusieurs mesures sont préconisées en ce sens, depuis le fait de rendre obligatoire une « exposition de l’ensemble des doctorants à la recherche privée ou partenariale » (R3, p. 33) à la volonté de créer davantage de start-ups deep tech et de faciliter leur croissance vers des entreprises de taille intermédiaire, ou encore de favoriser l’activité entrepreneuriale et la création d’entreprises par les chercheurs en les autorisant à y consacrer la moitié de leur temps de travail, à conserver 49% des parts dans le capital et à percevoir un complément de rémunération jusqu’à 76 000 euros à date. Les problèmes que posent ces intrications entre service public et intérêts privés ne sont évidemment pas envisagés.
      Un mot sur les sciences humaines et sociales, transformées en « sciences sociétales »

      Les SHS font l’objet de considérations spécifiques dans les trois rapports. La baisse de 12% des inscriptions d’étudiants français en 1re année de thèse entre 2010 et 2017 y est explicitement liée à la limitation du financement à 3 ans, limitation qui n’est pas adaptée à toutes les disciplines, et particulièrement pas aux SHS. La possibilité d’un allongement de ce financement est cependant conditionnée à un stage en immersion de 3 à 6 mois dans une entreprise ou une administration (où on fait beaucoup de recherche, comme chacun le sait).

      Plus généralement, les spécificités et l’importance reconnues aux SHS sont conditionnées à leur enrôlement au service des « défis sociétaux » (intelligence artificielle, développement durable, relations homme/machine, radicalisation, éducation… édu-quoi ?). Le rapport 1 se fend d’une citation tronquée et détournée de Barack Obama datant de janvier 2009 : « Il faut faire en sorte que les faits et les preuves ne soient pas déformés ou occultés par la politique ou l’idéologie. Il faut écouter ce que les scientifiques ont à nous dire, même si cela dérange, surtout si cela dérange ». Mais c’est une pensée scientiste que de croire que la science serait dépourvue de politique ou d’idéologie, que le domaine politique serait hors de la science et que celle-ci viendrait nécessairement déranger les politiques. Les rapports proposés à la ministre de l’ESR en sont un merveilleux exemple : les actuels managers de la science, souvent eux-mêmes d’anciens scientifiques, sont des idéologues qui s’échinent à défaire toute possibilité de compréhension critique du monde, attaquant les fondements mêmes des SHS.
      *

      La réalisation des préconisations de ces trois rapports supposerait un effort financier considérable de la part de l’État. Le rapport 1 chiffre celui-ci à 2 à 3,6 milliards d’euros par an. Mais cette estimation, dont on appréciera la précision, ne comprend pas le financement de tout un ensemble de préconisations qui ne sont pas chiffrées par les rapporteurs (combien seront payés les membres du nouveau Conseil stratégique par exemple ?), ni le coût annuel pour l’État de la revalorisation salariale préconisée par le deuxième rapport et estimée à 2,41 milliards d’euros par an ! Et cela sans toucher au CIR ? Après « Un nouvel espoir » cet automne, vous adorerez l’épisode « Bercy contre-attaque » cet hiver !

      Tout cela n’est pas sérieux. Ce qui l’est en revanche, c’est l’idéologie qui sous-tend la réforme qui vient, et dont les rapports sont l’expression manifeste.

      Elle conduit à poursuivre méthodiquement la mise en place de la compétition de tous contre tous, du management comme mode d’organisation de l’ESR afin d’instaurer un ordre autoritaire sur des chercheurs et des enseignants-chercheurs aux statuts de moins en moins stables ainsi qu’un contrôle renforcé sur la recherche. Les analyses faites depuis 2007 ont dégagé les logiques profondes des réformes engagées depuis trois décennies. C’est à leur aune qu’il faut lire les rapports préparatoires à la LPPR. Celle-ci entend bien achever ce qui a été commencé et que le mouvement de 2009 avait contrarié sur quelques points non négligeables. Seule une réaction de grande ampleur pourra faire échec à cette nouvelle tentative.

      Sauvons l’Université !
      Documents joints

      Newsletter n°44 (PDF - 209.4 ko)

      [1] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983

      [2] Le CIR coûte plus de 6 milliards d’euros par an à l’État. Il représente 6% de la totalité des dépenses fiscales, second poste après le CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi). Pour mémoire, le budget du CNRS est d’environ 2,6 milliards d’euros.

      [3] Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983.

      [4] Il est intéressant de constater comment la soi-disant modernisation de l’université passe par un transfert de compétences du ministère de tutelle au premier ministre, ce qui était déjà advenu avec la gestion du CIR et des produits du Grand emprunt.

      [5] Partenariats dont le coût pour le public est tel, les effets si négatifs que la ministre Fioraso elle-même avait préconisé « zéro PPP à Paris » en 2013

      [6] SLU souligne

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8594

    • Lien établi par anticipation entre réforme des retraites et « mécanismes de revalorisation des rémunérations » prévus par la LPPR

      –-> ci-dessous les deux extraits où il en est question, reçus d’un collègue via email, le 10.01.2020

      - art. 1er de l’exposé des motifs (p. 5) : « le Gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants et chercheurs que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique. Cette revalorisation sera également applicable, conformément à l’article L. 914-1 du code de l’éducation, aux maîtres contractuels de l’enseignement privé sous contrat. Cet engagement sera rempli dans le cadre d’une loi de programmation dans le domaine de l’éducation nationale et d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. »

      – art. 1er du projet de loi (p. 46) : « Les personnels enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire et relevant du titre V du livre IX du code de l’éducation ou du titre II du livre IV du code de la recherche bénéficient, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes de revalorisation […] de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’État. »

    • Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Après la casse de l’assurance-chômage et l’attaque contre les retraites…
      Ce qui nous attend dans le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      D’ici février 2020, un nouveau projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) sera présenté par le gouvernement. Il a été préparé par trois groupes de travail, dont les rapporteurs et rapporteuses sont des député-e-s LREM, des président-e-s ou vice-président-e-s d’université et d’organismes de recherche ou encore une ancienne cadre dirigeante de multinationales.
      C’est donc sans surprise que les trois rapports vont dans le sens de la politique gouvernementale en préconisant un accroissement des logiques de mise en concurrence, de précarisation et d’intensification du travail.
      Leur diagnostic : une recherche insuffisamment compétitive

      Au lieu d’aborder la recherche comme un bien commun et de prendre en compte l’importance de son enseignement, les trois rapports – « Financement de la recherche », « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques » et « Recherche partenariale et innovation » parus [1] en septembre 2019 – l’appréhendent comme une marchandise au service des entreprises privées. Ces rapports font certes le constat partagé par la communauté scientifique de :

      l’insuffisance du financement public de la recherche et la concentration croissante des moyens par le biais des appels à projets,
      la baisse du nombre d’emplois stables,
      l’insuffisance des rémunérations des personnels de la recherche.

      Pour autant, c’est le « décrochage » de la France au niveau international qui est leur préoccupation majeure. Ils insistent sur l’insuffisante compétitivité de la recherche française, entendue au sens de la capacité de la recherche à profiter aux entreprises privées. Le troisième rapport se focalise d’ailleurs sur la création d’entreprises, sur les start-up qui valent un milliard (les « licornes ») et les grandes entreprises fondées sur des découvertes scientifiques ou technologiques comme Airbnb, Amazon, Uber, etc. dont aucune n’est française.
      Leur solution : une promesse d’augmentation du budget de la recherche au prix de la concurrence généralisée

      Ces rapports préconisent une augmentation du budget de la recherche au prix d’une réforme structurelle qui s’inscrit dans la continuité de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2007. Il s’agit d’accentuer considérablement les logiques de concurrence généralisée qui minent déjà l’enseignement supérieur et la recherche.
      L’accroissement des financements serait concentré sur les établissements, laboratoires et chercheurs et chercheuses considéré-e-s comme « excellent-e-s ». Il passerait par un renforcement des appels à projets et de l’Agence nationale de la recherche (ANR), donc d’un pilotage externe de la recherche, très orienté vers la compétitivité économique. Les rapports préconisent le rétablissement de la notation dans les évaluations du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), afin de moduler des crédits alloués aux laboratoires.
      Dans la logique des ordonnances de décembre 2018 sur la politique de site, ces établissements « excellents » pourraient déroger aux règles communes, par exemple en recrutant des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses sans qualification du Conseil national des universités (CNU), ou encore en recrutant des collègues sur de nouveaux types de contrat limités à quelques années, les contrats de projet.
      L’augmentation du budget de la recherche serait prévue sur dix ans, mais pourrait être remise en cause chaque année lors du vote de la loi de finances, dont on sait à quel point elle est marquée par une politique d’austérité aujourd’hui.
      Conséquence : une précarisation accrue des travailleurs et travailleuses de la recherche

      Cette logique de concurrence s’appliquerait non seulement aux structures, mais aussi aux personnes puisqu’il s’agirait d’accroître le poids de l’évaluation individuelle. La hausse de la rémunération passerait par des primes (de performance et d’engagement) et non par le salaire fixe ou le point d’indice, gelé depuis 2010 : elle serait donc étroitement conditionnée à l’évaluation, à l’instar du RIFSEEP [2] déjà mis en place pour les personnels BIATSS.
      Cette concurrence entre collègues se jouera sur les rémunérations, les moyens de recherche, mais aussi sur le service d’enseignement pour les enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. Le deuxième rapport préconise en effet la suppression de la référence aux 192 h équivalent TD annuelles des enseignant-e-s titulaires et son remplacement par le poids de chaque cours en crédits d’ECTS, en permettant également la modulation des services en fonction de l’évaluation individuelle. C’est précisément ce contre quoi se sont battu-e-s les travailleurs et travailleuses des universités en 2009. Cela signifie une augmentation de la charge de travail des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs sans contrepartie salariale, un recul accru des recrutements de titulaires et une individualisation des services destructrice des solidarités collectives.
      Rien n’est dit concernant la précarité qui ne cesse de s’étendre via le système des vacations. A la suite de la loi de transformation de la fonction publique d’août 2019, l’augmentation du nombre de postes de chercheurs et chercheuses ou d’enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs passerait par de nouveaux types de contrats comme les « contrats de mission scientifique », contrats de projet ou d’autres contrats précaires prétendument revalorisés. Derrière ces contrats présentés comme intermédiaires entre un CDD et un poste de titulaire, ce qui se profile à terme, c’est la suppression du corps des maîtres-ses de conférences et des chargé-e-s de recherche. Les rapports proposent de renommer les MCF en « Professeurs assistants », comme aux États-Unis ou avant Mai 68, ou de fusionner ce corps avec celui des professeur-e-s (ce dont on pourrait se réjouir s’il ne s’agissait d’accroître la précarité pour les jeunes collègues).
      Pour tou-te-s, un seul horizon : le burn-out

      Finalement, que nous promettent toutes ces préconisations ? Précarité, concurrence et pression accrues y compris pour les titulaires. Une concurrence généralisée entre collègues qui minera le fonctionnement collectif des équipes, déjà mis à mal. Encore plus de temps passé à répondre à des appels à projets, à des procédures d’évaluation à tous les niveaux, une pression à la performance sans lien avec nos propres objectifs et questionnements scientifiques, plus d’heures de cours pour la majeure partie des enseignant-e-s chercheurs et chercheuses qui n’auront pas la chance d’être « excellent-e-s » ou de se consacrer au management de leurs collègues. Bref, le renoncement à la qualité et à la sérénité de l’enseignement et de la recherche, surtout si cette dernière n’entre pas dans les objectifs nationaux de compétitivité économique… et le burn-out assuré pour tou-te-s !
      Un déni démocratique qui remet en cause l’indépendance de la recherche vis-à-vis des intérêts privés

      Outre cette nouvelle dégradation de nos conditions de travail, ce que la LPPR promet, c’est un service public d’enseignement supérieur et de la recherche mis sous pression par des agences de pilotage managérial et placé sous la tutelle des intérêts privés.
      La préparation de la loi de programmation a constitué un déni démocratique, puisque la consultation des personnels de la recherche notamment par le biais des sociétés savantes ou au sein du CNRS a fait ressortir des constats et des attentes largement partagées, comme la réduction du poids des appels à projets et des évaluations, la réduction du service d’enseignement, l’augmentation des financements pérennes et l’augmentation du nombre de postes de fonctionnaires, seuls à même de garantir l’indépendance de la recherche et du temps pour en faire.

      https://www.sudeducation.org/Ce-qui-nous-attend-dans-le-projet-de-Loi-de-programmation-pluriannuell

    • Vous n’aurez peut-être pas la loi annoncée (la LPPR), mais vous aurez la réforme !

      Les trois rapports remis à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation en septembre 2019, dont SLU vous a proposé l’analyse, étaient destinés à donner les grandes orientations d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche présentée par le gouvernement comme un moment important de la politique d’Emmanuel Macron, signalant un nouvel engagement fort de la France en ces domaines.

      Le calendrier parlementaire ne permettra pas la présentation de cette loi en 2020. On aurait tort de s’en réjouir : l’abandon d’une ambition législatrice forte ne signifie en rien l’abandon de la réforme. La loi PACTE, les décrets de Réforme de la fonction publique ainsi que quelques dispositions introduites comme « cavaliers législatifs » dans la loi sur les retraites (qui implique pour les enseignants-chercheurs et chercheurs des mesures compensatoires), voire quelques ordonnances ici ou là peuvent suffire à mettre en place les éléments clés de la réforme annoncée, tout en affranchissant le gouvernement de tout engagement financier pluri-annuel.

      Les trois rapports partagent pourtant le constat alarmant de la situation critique de l’enseignement supérieur et la recherche français, de son décrochage dans les dix dernières années, du manque de moyens et de personnel criants dans l’ESR, de la dégradation des conditions de travail de tous les personnels. Ils posent la nécessité d’une intervention forte pour y remédier. SLU aurait pu en signer sans ciller certains passages…

      Reste que non seulement, jamais ces constats ne sont mis en relation avec les politiques menées par tous les gouvernements depuis plus de 15 ans, mais les solutions prônées s’inscrivent dans leur continuité exacte : renforcement du pouvoir sans partage des présidents d’université, détricotage du statut des enseignants-chercheurs, développement de la contractualisation (et donc de la précarité) au détriment des postes de fonctionnaires, augmentation du temps de travail, renforcement de la différenciation salariale entre personnes de mêmes catégories, instauration des méthodes managériales dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche mis au service des intérêts privés.

      Qu’on en juge par les principales mesures préconisées par ces rapports :

      Affaiblissement du statut des enseignants-chercheurs
      – fin du consentement des intéressés pour la modulation de service afin de pallier le manque d’effectifs ;
      – possibilité d’imposer aux chercheurs des charges d’enseignement désormais fixées au cas par cas, dans les universités, sous la houlette des présidents d’université, voire des responsables d’UFR ou de département, en fonction des nécessités de service ; fin du référentiel des 192h TD, donc du paiement des heures complémentaires, expérimentation d’un calcul du temps d’enseignement en ECTS, et non en heures ; mise en place de « tenure-tracks » à la française, sous forme de contrats de 5 à 7 ans dont les heureux détenteurs seraient soumis à évaluation régulière des résultats publiés et de la capacité à obtenir des financements sur contrat pour être finalement recrutés ou remerciés ;
      – possibilité de fusionner les corps de maîtres de conférences et de professeurs, de manière à réduire le nombre de titulaires et à remplacer peu à peu les maîtres de conférences par des contractuels ; mise en place de CDI de mission scientifique, adaptation des « CDI de projet » déjà en place pour les BIATS, dont le financement serait lié à la durée d’un projet sans nécessité de reclassement à la fin de ce dernier ;
      – différenciation des salaires des enseignants-chercheurs et des chercheurs par des primes accordées selon leurs « performances », l’évaluation étant directement couplée aux politiques indemnitaires et de promotion.

      Renforcement de la #gestion_managériale et de la recherche sur projets
      – capacité conférée aux établissements et aux universités de décider de leurs propres critères d’évaluation de leurs personnels, avec accréditation de l’HCERES ; concentration du pouvoir décisionnaire en matière de grandes orientations de la recherche au plus haut sommet de l’État (premier ministre) ; hiérarchisation des dotations aux établissements et aux universités en fonction de leur participation aux grandes orientations décidées en haut lieu et de leurs « performances » ; suppression ou refonte du rôle du CNU et de celui du Comité national du CNRS ;
      – augmentation des moyens accordés à l’ANR qui se verrait confier la gestion de tous les appels à projets de recherche nationaux ; aide financière de celle-ci modulée suivant la durée des projets, leur thématique et leur possibilité de transfert rapide vers des applications technologiques ; priorité accordée à la recherche sur projets dans les financements accordés ; renforcement des liens entre recherche publique et industrie par tout un ensemble de dispositifs favorisant la recherche partenariale, les synergies avec les PME, la recherche tournée vers les innovations technologiques et industrielles.

      Après la destruction des services publics de l’hôpital, des transports, de la poste, de l’éducation nationale, vient donc celle du service public d’enseignement supérieur et de recherche : un changement de paradigme dans la conception des missions de l’ESR, désormais strictement indexées à l’industrie, qui passe donc par une transformation radicale de ses structures et de ses métiers. L’autonomie de la recherche, les engagements à l’élévation d’une société par l’enseignement supérieur, la notion même de formation sur la longue durée sont jetés aux ordures. Les préconisations des administrateurs qui ont rédigé ces rapports visent la mise aux ordres des personnels de l’ESR, leur hiérarchisation et leur mise en concurrence, l’instrumentalisation des financements en vue d’une gestion managériale des « ressources humaines ».

      Nous devons aux étudiants, aux doctorants, aux jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs qui entrent dans la carrière, nous devons à nos engagements propres dans nos métiers d’enrayer la mise en place de ces mesures. Voilà des années que chercheurs et enseignants-chercheurs sont les analystes les plus aigus des conséquences économiques et sociales des politiques en cours, des années que d’autres propositions sont faites, des années que l’on sait où est l’argent (au CIR par exemple).

      Exigeons un cadre législatif digne des enjeux pour l’enseignement supérieur et la recherche, exigeons un calendrier clair de Mme Vidal. Entrons dans la discussion sur l’avenir de l’ESR. Ne laissons pas aux technocrates de Bercy la gestion de l’enseignement supérieur et la recherche parce que, en effet, il s’agit d’une priorité nationale.

      Seule une mobilisation massive des universitaires et des chercheurs peut faire reculer le gouvernement. Cette mobilisation passe tout de suite par des réunions d’information auprès des collègues, des étudiants, des doctorants, par des AG, par la participation à la préparation et à l’organisation de prochains Etats généraux de l’ESR. La question de l’arrêt des cours, de la suspension des examens et des évaluations, de l’acceptation de siéger dans les commissions se pose dès aujourd’hui. À vous d’agir et d’inventer vos formes de combat.

      http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article8595

    • À la découpe : sur l’adoption de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      La Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche, annoncée en grande pompe par le Premier Ministre Philippe en janvier 2019, et qui a occasionnée une quantité assez considérable de travail (https://academia.hypotheses.org/category/politique-de-la-recherche/lppr-notre-avenir) et de textes de préparation, n’aura pas lieu.

      Pourquoi ? Parce que le Sénat n’aura pas un moment à lui consacrer en 2021. Son calendrier prévisionnel 2020 (https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/01/Calendrier-Se%CC%81nat-2020.pdf) et les échanges avec les sénateurs le confirme : plusieurs lois importantes doivent être examinées avant et après la suspension prévue pour les élections municipales jusqu’à l’été, après lequel le Sénat sera renouvelé par tiers, avant d’examiner le projet de loi de finance2. De là à dire que les multiples dispostions bénéfiques et maléfiques qui en étaient attendues n’auront pas d’existence, il y a un pas à ne pas franchir.

      La première raison, c’est que la plupart des dispositions délétères qui apparaissaient dans quelques textes, notamment le groupe de travail n°2 “Attractivité des emplois et des carrières scientifiques“ (https://academia.hypotheses.org/6107), ont pour l’essentiel été votées dans la Loi sur la transformation de la fonction publique le 6 août 2019 ; les décrets d’application de dispositifs concernant la supression des commissions paritaires, des CDI de chantier (https://academia.hypotheses.org/6294), de la rupture conventionnelle, etc. sont parus au 1e janvier 20193. Ce processus déjà largement entamé dans notre secteur par le recours abusifs aux contrats, aux vacations, a en priorité concernés les fonctions BIATSS, qui recourent à la contractualisation à hauteur de 40% des emplois. Ce sont elleux qui ont également expérimenté les CDI de chantier. En substance, dans la loi et ses décrets d’application, et en pratique, dans les politiques RH effectives, il s’agit de détruire le statut de fonctionnaire d’État.

      La seconde raison vient d’une autre loi, passée encore plus inaperçue que la première : la loi PACT. Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises a en effet, a priori, peu de choses à voir avec la recherche fondamentale, tout particulièrement en sciences humaines et sociales. Comme on peut le lire en ligne (https://academia.hypotheses.org/6294) :

      Par ce projet de loi, le Gouvernement ambitionne de “relever un défi majeur, celui de la croissance des entreprises, à toute phase de leur développement, pour renouer avec l’esprit de conquête économique” et pour cela, de transformer le modèle d’entreprise français pour “l’adapter aux réalités du XXIe siècle“.

      Cela est d’autant plus curieux que les débats parlementaires se tiennent au lendemain de la cérémonie de clôture des 80 ans du CNRS, où le Président Macron annonce la future LPPR : plusieurs interventions s’interrogent d’ailleurs sur la nécessité de prendre certaines dispositions alors que la LPPR est en cours d’élaboration. Pourtant la lecture des débats parlementaires au Sénat laisse comprendre tout autre chose4. Plusieurs articles concernent directement les chercheurs et chercheuses, leur statut, le CDI de chantier. Qui plus est, les barrières entre fonction publique et entreprises sont levées : désormais les chercheurs peuvent prendre 20% de participation au capital des entreprises, sans que la commission de déontologie est besoin d’être saisie — ce qu supprime de facto cette instance5. Comme le résume assez bien Bruno Lemaire :

      Chercheur moi-même à mes débuts, attaché à la durée puisque je travaillais sur Marcel Proust, je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long, mais comme ministre de l’Économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. Nous concilions les deux : d’un côté, le débat ouvert par le Premier ministre, notamment sur le CNRS, de l’autre, des mesures pour faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise.

      On comprend mieux pourquoi, alors qu’une négociation est censée avoir cours entre la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (https://academia.hypotheses.org/6783) à la demande du Premier Ministre à propos de la LPPR, celle-ci n’aura pas lieu. Il suffit de caser quatre-cinq articles improbables dans la loi sur les retraites.

      Précisons deux points supplémentaires :

      une Loi de programmation pluriannuelle n’est pas vraiment contraignante, ainsi que le prouvent les précédentes lois de programmation sur la défense, qui n’ont jamais été respectées. C’est la loi budgétaire qui compte.
      La loi budgétaire 2019 vient d’être votée. Elle confirme une diminution supplémentaire du budget de l’ESR, comme le précise à la tribune du Sénat, Pierre Ozoulias6.
      Intervention générale de PIerre Ozoulias, sénateur,
      lors de l’examen de la loi de finance, le 29 novembre 2019.

      "Monsieur le Président,
      Madame la Ministre,
      Mes chers collègues,

      À cette tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science française. Les groupes de travail, chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue, Cédric Villani, député et président de l’OPECST, résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » et elle a « perdu du terrain » dans ce domaine.

      Depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014, contre 2,19 % aujourd’hui. L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Les sommes investies par les entreprises pour la recherche représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne et ce différentiel ne cesse de croître, car, en 2017, elles n’ont augmenté que de 1,7 % en France, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.

      La faiblesse chronique de ces investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et pour l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est un des rares pays de l’Europe pour lequel le nombre de doctorants est en baisse constante. Cette régression doit être rapprochée de la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics. Ainsi, pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs étaient de 412 en 2010, contre 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans. Dans ces conditions, c’est la validité scientifique des concours qui est fragilisée. Par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays et cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française. Je pourrais malheureusement poursuivre durant toute la durée de mon intervention l’énoncé de ces affaiblissements.

      Votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à celle de l’État. Par-delà les effets d’annonce et la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer d’affaiblir, en 2020, la situation économique des opérateurs de la mission.

      Ainsi, l’absence de compensation du « glissement vieillesse technicité », oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale pour le financer. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles. De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près d’un point tous les ans, depuis 2010. En 2018, il est estimé à 11 470 euros per capita, soit son plus bas niveau depuis 2008.

      Cette décimation de l’emploi scientifique a touché encore plus durement les opérateurs de la recherche. Ainsi, le CNRS  a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs. Mais, la non-compensation du GVT a sans doute été considérée comme une saignée trop peu indolore. Votre Gouvernement, pour aller plus vite, a donc décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finance rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour la mission de l’enseignement supérieur et de la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Cher collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par les annulations.

      À  tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait. Le Conseil admet toutefois qu’il est loisible pour les établissements de percevoir des droits d’inscription à la condition qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer qu’elle ouvre des voies de recours pour tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.

      En théorie votre projet de budget apparaît en quasi stabilité, en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique pour l’enseignement supérieur et la recherche et vous en avez parfaitement conscience puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.

      Nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes et les annonces décisives sont réservées à un autre auditoire. Il en est ainsi du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale, l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle !"

      Ce budget est parfaitement clair et contredit exactement tous les avis émis par les différentes instances — Académie des sciences, CoCNRS, CNRS, Conférence des présidents d’université, groupes de travail préparatoires — pour appauvrir encore le budget de l’ESR. Et ce, en accroissant le Crédit impôt recherche, dispositif bien connu d’optimisation fiscale7.

      Pour ce qui est de l’application de la loi “darwinienne et inégalitaire” attendu par le président Macron et son bras droit Antoine Petit, nous n’avons pas davantage d’inquiétude. Thierry Coulhon, encore il y a peu Conseiller éducation, enseignement supérieur, recherche du Président Macron sur les questions et auteur des différentes dispositions ESR dans les projets de loi susdits, est seul candidat au Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (https://www.letudiant.fr/educpros/actualite/thierry-coulhon-conseiller-enseignement-superieur-et-recherche-a-l-elysee.), à même donc de distribuer les résidus de budget en fonction du “mérite” et de la “performance”.

      https://academia.hypotheses.org/7164?mc_cid=123b8a4fc8&mc_eid=eec2f49428

    • Grave : un aspect du projet de réforme des #procédures_disciplinaires concernant les étudiantEs.

      –-> L’atteinte à la réputation de l’université pourrait être sanctionnée...

      L’article R 811-11 du code de l’éducation deviendrait rédigé ainsi (p. 27 de la 1ère PJ et p. 10 de la 2ème PJ) :

      « Relève du #régime_disciplinaire prévu aux articles R. 811‐10 à R. 811‐443 tout usager de l’université lorsqu’il est auteur ou complice : [...] De tout fait de nature à porter #atteinte_à_l'ordre, ou au bon fonctionnement ou à la #réputation de l’université »

      La modification du texte actuellement en vigueur est en gras surligné. SI ce rajout passe c’est la fin de la #liberté_d'expression des étudiants (ou alors il faudra attaquer la légalité du décret lui-même au regard de disposition constitutionnelle en vigueur ce qui est long et aléatoire).

      Avant de devenir définitif, le texte est soumis pour avis au CNESER du 16/12. Les organisations syndicales professionnelles boycottent cette séance dans le cadre du mouvement social. Le texte passera par contre le 23/12 avec ou sans les organisations syndicales (plus besoin de quorum pour faire siéger le CNESER, si les syndicats de professionnels sont absents, les orga patronales et les représentants nommés par le ministère auront la majorité pour emettre un avis favorable à la modification).

      Défavorable ou pas l’avis du CNESER n’est de toute façon que consultatif. Seule une mobilisation étudiante sur cette question est susceptible d’empêcher cette modification qui au final crée un #délit_d'opinion spécifique aux étudiants.

      #procédure_disciplinaire #discipline

      Reçu via une mailing-liste militante, 15.01.2020

    • Pas directement en lien avec la LPPR, mais un effet d’annonce par Madame la ministre... qui est à la fois mensonger et qui ne répond pas aux besoins des facultés...

      Annonce :

      Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an.

      Pourquoi cette annonce est mensongère et pas attractive du tout pour la profession ?
      La réponse ici :
      https://seenthis.net/messages/821974

    • Désenfumage

      Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’annonce ministérielle d’une revalorisation des salaires des jeunes chercheurs est directement liée à la réforme des retraites. Elle est destinée à faire écran aux réformes structurelles de la loi sur la recherche et sur l’Université annoncée pour la mi-février, pour adoption au printemps, du moins si le calendrier parlementaire saturé le permet. Pour le comprendre, il convient d’en passer par l’arithmétique.

      Déroulons d’abord la mécanique de la réforme des retraites jusqu’à son cœur : l’article 18. Il prévoit que l’Etat aligne progressivement, sur 15 ans, son taux de cotisation patronale de 74,3% aujourd’hui sur celui du privé dans le nouveau système : 16,9%. Cette mesure contribuera évidemment à créer une crise de financement des retraites, pourtant aujourd’hui à l’équilibre. Si globalement, les recettes vont décroître de 68 milliards € sur un total de 330 milliards € par an, la chute sera de 36 milliards € sur un total de 55 milliards € pour la fonction publique d’Etat [1]. En 2037, l’Etat sera le principal contributeur à la baisse générale des recettes de cotisation pour un montant de 42 Milliards € hors inflation. L’objectif est évidemment de reprendre ce #déficit_créé_de_toute_pièce sur le montant des pensions [2] [3].

      Que fera l’Etat de ce prélèvement sur le salaire socialisé, qui va croître pendant 15 ans ? En 2021, il en reversera une partie aux budgets des universités et des grands organismes de recherche. Le montant annoncé par Mme Vidal lors de ses vœux, 120 millions €, est comparable aux annonces faites chaque année, qui couvrent généralement l’inflation (143 millions € pour 2019) mais pas le glissement vieillesse technicité. Pour partie, ce montant sera cependant consacré à des primes indemnitaires, permettant d’accroître l’adhésion de la technostructure managériale. 92 millions € seront utilisés pour aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. Par ailleurs, le recrutement pour des postes statutaires (CR et MCF, de plus en plus clairement mis en extinction) se fera à un salaire de 2 SMIC [4].

      En présentant de manière favorable ce système de #vases_communicants entre budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et creusement annuel d’un trou de 230 millions € dans le financement des retraites, il s’agit de #fabriquer_le_consentement à la réforme réelle. Ainsi, le journal les Echos titrait le mercredi 22 janvier : « Frédérique Vidal annonce le doublement du salaire des jeunes chercheurs ». Les #éléments_de_langage du ministère ont en effet sous-estimé le salaire d’entrée actuel des chargés de recherche et des maîtres de conférences, qui se situe entre le 2ème (1,6 SMIC) et le 3ème échelon (1,8 SMIC), en omettant délibérément la #reconstitution_de_carrière. Passer le salaire d’entrée de 1,7 SMIC à 2 SMIC, beau “doublement” en vérité. Cela constituera « un gain de 2600 à 2800€ sur un an » répète du reste Mme Vidal, soit +0,2 SMIC. Ce qu’il fallait démontrer [5].

      On se souvient que la « loi de programmation pour la recherche » était la revendication centrale portée il y a des années lors de grandes réunions des directeurs d’unité annonçant leur démission. En en reprenant le nom, la loi à venir se dotait d’une façade consensuelle : l’inscription dans la loi de l’objectif de 3% du PIB consacré à la #recherche. L’objectif, non contraignant, est ramené aujourd’hui à une montée à compter de la fin du quinquennat vers 2,6% du PIB dans 10 ans.

      Que s’agit-il de faire accepter par ces jeux de bonneteau budgétaires ? Le cœur de la réforme est l’introduction du système de #tenure_track par des chaires de professeur junior : ces contrats de 3 à 6 ans accompagnés d’un financement de recherche seront intercalés entre les post-docs et le recrutement statutaire, accroissant de la même durée la période de #précarité. Au passage, les modalités de #recrutement et de #titularisation seront dérégulées et les conditions statutaires dégradées. Il s’agit bel et bien d’initier la mise en extinction des #postes_statutaires, déjà raréfiés, pour les #jeunes_chercheurs. Pour des raisons politiques évidentes, la demande portée par les syndicats de fusion des corps des maîtres de conférence et des professeurs n’a pas été actée.

      Hormis les vases communicants liés à l’article 18 du projet de retraites, il importe de comprendre l’absence totale de surprise dans ces annonces, théorisées depuis quinze ans par Aghion et Cohen [6]. Leur rapport de 2004, suivi à la lettre, prévoyait quatre volets de dérégulation et de mise en concurrence :

      - l’#autonomieadministrative des universités (dérégulation des statuts, direction par un #board_of_trustees, etc) : actée ;

      - l’#autonomie_pédagogique (mise en concurrence croisée des étudiants et des formations, dérégulation des diplômes) : amorcée avec #Parcoursup ;

      - l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels (dérégulation des statuts, contractualisation, liquidation des libertés académiques et du principe de collégialité entre pairs) : nous y sommes ;

      - l’#autonomie_financière (dérégulation des frais d’inscription) : travaillé dans le débat public, par l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers et par la multiplication des DU.

      Que les réformes structurelles menées depuis quinze ans conduisent à l’effet inverse de celui qu’elle prétendait obtenir ne les arrêtera pas. L’#obsession_néolibérale consistant à utiliser les moyens de l’Etat pour construire un #marché_international_des_universitaires, des chercheurs, des établissements et des formations est telle, dans la sphère managériale, qu’elle ne perçoit plus le moins du monde la réalité des dégradations qu’elle engendre. Elle persiste, dans une période où le nombre de candidats de qualité par poste ouvert explose, à répéter la fiction d’un « défaut d’attractivité » supposément constitué par la fraction limitée de candidats étrangers [7]. Cette séparation de la sphère décisionnaire avec l’expérience concrète des conditions d’exercice de la recherche et de l’enseignement est dramatique : la reprise en main bureaucratique est en train de sacrifier une génération de jeunes chercheurs ainsi que le niveau d’exigence dans la création et la transmission des savoirs.

      –---
      Notes :

      [1] Cette chute se fera au rythme de 2 milliards € par an d’économie jusqu’en 2036, engendrant un défaut de recette cumulé de 240 Milliards € sur 15 ans pour la fonction publique d’Etat.

      [2] L’élévation de l’âge de départ à la retraite à taux complet est une manière d’obtenir cette baisse des pensions. Le décrochage de la valeur du point par rapport à l’inflation en est une autre ( 15% de baisse depuis 10 ans).

      [3] Le taux de cotisation patronal était un frein aux passages entre fonction publique d’Etat et contrats de droit privé, l’employeur devant par le passé compenser le différentiel pour le passage FPE vers la FPT ou la FPH. L’objectif est donc également de généraliser l’indifférenciation entre les sphères publique et privée et le recours à la contractualisation en lieu et place du statut de fonctionnaire.

      [4] Selon l’arbitrage, le recrutement se fera à l’échelon 3 par une addition de 73 points d’indice ou à l’échelon 4.

      [5] Les vœux de Mme Vidal comportaient cette incohérence arithmétique flagrante : “Dès 2021, tout chargé de recherche et tout maître de conférence sera recruté à au moins 2 SMIC, contre 1,3 à 1,4 SMIC aujourd’hui. Cela représente, en moyenne, pour les nouveaux maîtres de conférences qui seront recrutés l’année prochaine, un gain de 2 600 à 2 800€ sur un an. Tweet du 21 janvier”

      [6] Rapport Aghion-Cohen

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportCohenAghion.pdf

      voir aussi

      www.groupejeanpierrevernant.info/SlidesAghion.pdf

      Rapport Attali-Macron

      www.groupejeanpierrevernant.info/RapportAttali.pdf

      voir aussi notre billet

      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#ChatTour

      [7] Les trois rapports centraux sur lesquels est construite la loi à venir :

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteIdex.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteTerraNova.pdf

      www.groupejeanpierrevernant.info/NoteSiris.pdf

      Reçu par email, le 23.01.2020

      #calculs

    • Point info sur la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR)

      Point d’information (donc relativement bref et non exhaustif) sur le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), lors de l’Assemblée générale de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence le 15 janvier 2020 par Isabelle Luciani.

      https://www.youtube.com/watch?v=LbdJbnXvdd0

    • Des luttes contre le projet de reforme des retraites dans l’enseignement supérieur et la recherche

      Cette semaine, on vous a parlé des luttes contre le projet de reforme des retraites du coté de l’enseignement supérieur et la recherche avec des membres du collectif Université Ouverte. La réforme des retraites n’est qu’un aspect des politiques néolibérales mises en place par les gouvernements successifs depuis une trentaine d’années. Il est urgent de prendre conscience de la situation actuelle. La réforme des retraites ne peut être isolée des autres réformes passées ou en cours, celle de l’assurance chômage, celles qui touchent l’éducation nationale et l’enseignement supérieur (loi ORE et Parcoursup, Réforme Blanquer, augmentation des frais d’inscription à l’université, notamment pour les étudiant·es étranger·es extra-européen·nes, réforme du recrutement et de la formation des enseignants du second degré, LPPR…).

      http://www.loldf.org/spip.php?article753

    • Universitaires, la fin de l’indépendance ?

      La future « Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche » suscite une très vive opposition au sein de l’enseignement supérieur. Elle semble en effet vouloir poursuivre les attaques menées depuis plusieurs années contre le statut particulier des universitaires. Un #statut qui garantit leur #indépendance, à la différence des autres fonctionnaires, et constitue l’une des meilleures défenses face aux appétits des prédateurs économiques, et aux pressions politiques.

      Le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche (LPPR), annoncée pour le printemps 2020, suscite de très vives contestations dans le monde universitaire. Son inspiration clairement « néolibérale » est critiquée. Elle est perçue comme visant un renforcement du mode concurrentiel d’exercice de la recherche « sur projets », que ne supportent plus les chercheur·e·s à l’Université et dans les grands organismes de recherche (type CNRS), au bout d’environ vingt ans de mise en place croissante.

      Elle appliquerait même cette mise en compétition aux universitaires dont les missions et rémunérations dépendraient de leurs « #performances » à court terme. Elle prévoit également des embauches sous #contrats_privés en contournant le système de validation paritaire des universitaires par les universitaires. Elle renforce ainsi un « #management » de la recherche et des chercheur·e·s, façon entreprise privée à but lucratif, appelé « #pilotage_stratégique », qui est en opposition avec le statut protégé d’indépendance académique et de service public des universitaires.

      Les universitaires[1] sont en effet des fonctionnaires d’État à statut particulier. Cette #indépendance est fondée sur la nécessité impérative d’indépendance et de liberté de production des connaissances scientifiques (par la recherche), de la diffusion de ces connaissances (par l’enseignement et les publications), des modalités de ces missions (auto-organisation), qui doivent être protégées des censures ou instrumentalisations politiques, économiques, religieuses, etc. Cette indépendance s’inscrit dans une longue tradition de « #franchises_universitaires » et de « #libertés_académiques », mises en place dès le Moyen-Âge (protection par le Pape de La Sorbonne contre le pouvoir temporel en 1229). Émile Durkheim le rappelait en 1918 [2]. Ce statut particulier était déjà inscrit dans la #loi_Faure de novembre 1968 et il a été confirmé par le Conseil d’État dans une décision de 1975.

      Ce statut est défini, aujourd’hui, par un décret de 1984 « portant statut particulier », dont la valeur constitutionnelle a été affirmée par le Conseil Constitutionnel[3]. Il a été régulièrement confirmé par différents décrets, par différents jugements (par exemple du Conseil d’État en 1992[4]), et intégré dans le #Code_de_l’Éducation [5]. Ce statut déroge au droit commun de la fonction publique. Il s’agit donc d’un statut supra-législatif, auquel même une loi ne peut porter atteinte.

      Les franchises universitaires incluent jusqu’à l’interdiction aux forces de polices ou militaires (dirigées par le pouvoir exécutif) de pénétrer dans une université, sauf sur demande ou autorisation de la communauté universitaire représentée par le/la président·e élu.e de l’université.

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités », les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités.

      Grâce à ce statut fortement protecteur, les universitaires « jouissent d’une pleine indépendance ». Ils ou elles n’ont pas de #supérieur_hiérarchique et sont pour cela nommé·e·s par le ou la Président·e de la République pour les Professeur·e·s, et par le ou la Ministre de l’enseignement supérieur et la recherche pour les Maitres de Conférences – et non pas par les Recteurs ou Rectrices d’académie, ni par les Président·e·s d’universités qui ne sont ni leurs patrons, ni leurs employeurs. L’ensemble des procédures et décisions de #recrutement, de #suivi_de_carrière, d’#évaluation, de #mesures_disciplinaires éventuelles, ne peut être effectué que par des pairs et en toute indépendance. Les universitaires sont « inamovibles », ce qui signifie qu’ils ou elles ne peuvent pas être déplacé·e·s, rétrogradé·e·s, révoqué·e·s ou suspendu·e·s de leurs fonctions, sans la mise en œuvre de procédures lourdes et complexes, différentes du droit commun disciplinaire [6].

      Les universitaires jouissent aussi « d’une entière #liberté_d’expression, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du code de l’éducation, les principes de tolérance et d’objectivité ». Les enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures ne sont donc pas soumis à l’obligation de #neutralité [7] dans l’exercice de leur fonction, contrairement aux autres fonctionnaires, sachant que cette fonction inclut des prises de paroles publiques et des écrits au delà des cercles scientifiques (mission de diffusion publique des connaissances).

      Depuis 2007, avec la loi dite « de Responsabilisation des Universités » (#LRU), les gouvernements ont cherché à imposer frontalement le projet politique dit « néolibéral » aux universités. D’autres tentatives avaient eu lieu précédemment mais n’avaient pas réussi (projet de loi Devaquet en 1986, projet Raffarin en 2003, retirés face aux vives contestations) ou n’avaient réussi à infiltrer l’Université que de façon indirecte (processus de Bologne 1999, loi Villepin 2006).

      En 2018 et 2019, le gouvernement Philippe et la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal ont accentué cette offensive. D’abord avec la loi dite « Orientation et Réussite des Étudiants » (#ORE), qui met en place une #sélection à l’entrée en première année d’université. Ensuite avec l’ordonnance de décembre 2018 sur les « expérimentations » afin de créer des universités dérogatoires au Code de l’Éducation. Avec l’annonce enfin, en 2019, du projet de LPPR… Il est utile de noter que toutes ces mesures ont été contestées par l’ensemble des syndicats de l’ESR (Enseignement Supérieur et Recherche), y compris les syndicats réputés enclins à négocier ces réformes pour les accepter.

      Parmi les arguments développés par les opposants à ces mesures, il y a toujours celui des attaques menées contre le statut des universitaires. L’indépendance des universitaires et leur liberté d’expression pose un problème majeur à l’autoritarisme « néolibéral ». D’une part, les gouvernements craignent la force des mouvements étudiants et universitaires au moins depuis Mai 68 : ces mouvements obtiennent régulièrement gain de cause (cf. projets Devaquet et Raffarin ci-dessus) et pas seulement sur des questions universitaires (comme en Mai 68 ou contre le Contrat Première Embauche en 2006). Quand certains des principaux acteurs potentiels de ces « réformes » prennent publiquement la parole pour les critiquer avec des méthodes efficaces d’analyse et d’exposé, l’effet de contestation est puissant.

      D’autre part, les universitaires, s’appuyant sur leur indépendance, peuvent refuser de réaliser des tâches qui ne figurent pas explicitement et précisément dans leurs obligations statutaires protégées par le décret de 1984. C’est ce qui s’est passé avec le refus collectif de centaines de départements, d’UFR (de facultés) et parfois d’universités entières de participer au dispositif Parcoursup instauré par la #loi_ORE en 2018. Il en a été de même pour l’augmentation des #frais_d’inscription des étrangers et étrangères hors Union Européenne décidée en 2018 par le Premier Ministre : la quasi totalité des universités a refusé de l’appliquer[8].

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007

      Parmi les attaques menées directement ou indirectement, administrativement ou symboliquement, contre le statut des universitaires ces deux dernières décennies, on trouve les « #dérogations_expérimentales » prévues par l’ordonnance de décembre 2018, qui permettent de réduire à une minorité, sans pouvoir de décision, les représentations des personnels et des étudiant·e·s dans les instances de direction de ces regroupements d’universités. D’autres que des universitaires pourraient désormais gouverner une université et imposer, de l’intérieur des instances, des modalités d’exercice de leur mission à des universitaires.

      Un article de la « #Loi_de_transformation_de_la_fonction_publique » (2019) dispose que, quand il siège en formation disciplinaire liées à des accusations de faute professionnelle, le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (composés d’universitaires élu·e·s) n’est plus présidé par un professeur des universités élu mais « par un Conseiller d’État désigné par le Vice-président du Conseil d’État », qui ne sont pas indépendants du pouvoir exécutif.

      L’incitation à recourir massivement à des #emplois_contractuels pour effectuer les missions d’enseignement et de recherche des universitaires (LRU, projet de LPPR), permet de contourner les emplois statutaires et même de contourner les instances de recrutement et de suivi de carrière, exclusivement composées d’universitaires pour les postes de statut universitaire. Cela va jusqu’au projet de suppression, dans la LPPR, du #Conseil_National_des_Universités, instance nationale de validation des candidatures sur les postes d’universitaires et de suivi de carrière, exclusivement composée d’universitaires élu·e·s et nommé·e·s.

      Beaucoup de président·e·s d’universités se sont engouffré·e·s dans le nouveau rôle de Grand Patron que leur a donné la loi de 2007. Ils et elles ne se pensent parfois plus comme des élu·e·s chargé·e·s d’administration par leurs pairs mais comme des « supérieurs hiérarchiques » (qu’ils et elles ne sont pas). Certain·e·s président·e·s ou responsables de composantes, comme des directeurs·trices d’UFR aussi appelés parfois « doyen de faculté », ont prétendu imposer aux universitaires des contraintes contradictoires avec le statut de 1984. De nombreuses saisines des tribunaux administratifs et du conseil d’État par des universitaires ont assez rapidement établi une jurisprudence limitant ces pouvoirs.

      Les universitaires font, depuis quelques années, l’objet de menaces ou de poursuites pour « #diffamation » par des organismes privés mis en question à l’issu de recherches ou des groupes de pression politiques. Cela arrive même de la part d’un président d’université, comme en 2015 contre un universitaire qui avait ironisé sur une liste de diffusion interne en commentant l’accueil du Premier ministre M. Valls à l’université. Il s’agit de « #procédures_bâillons » destinées à limiter la liberté d’expression des universitaires.

      On assiste même à une remise en question au plus haut niveau de l’indépendance des universitaires. C’est la ministre Frédérique Vidal qui déclare le 16 janvier 2019 au Sénat : « Les présidents d’universités sont fonctionnaires de l’État et à ce titre, tenu à un devoir d’#obéissance et de #loyauté ».

      L’asphyxie de l’université facilite le chantage aux moyens et provoque le dilemme moral des personnels

      Il y a, enfin, un moyen indirect efficace pour réduire l’indépendance des universitaires, pour réduire les franchises universitaires en général et avancer dans l’asservissement de l’Université au pouvoir autoritaire « néolibéral » : la mise en difficulté quotidienne voire la mise en #faillite_financière. La LRU a permis aux gouvernements de lâcher financièrement les universités. Nombre d’entre elles se sont retrouvées en grande difficulté (environ 25 dès 2015) voire carrément en déficit, ce qui a conduit des recteurs et rectrices, représentant les ministres de l’enseignement supérieur et la recherche, à prendre la main sur ces universités. Presque toutes, en tout cas, se sont retrouvées en situations difficiles en termes de moyens, qu’il s’agisse de personnels administratifs et techniques, enseignants et enseignants-chercheurs, ou de moyens financiers, pour assurer leurs missions. Et ceci dans une période d’accroissement démographique des effectifs étudiants (en augmentation de 25% en moyenne).

      Cette #asphyxie provoque deux choses. D’une part, la facilité pour le pouvoir de faire du chantage aux moyens : « appliquez notre politique et nous vous donnerons davantage de moyens » (par exemple les postes liés à l’application de la loi ORE). D’autre part, la mise en dilemme moral des personnels : soit ils se laissent happer par la #surcharge_de_travail qui permet de répondre tant bien que mal aux besoins des étudiant·e·s et de faire fonctionner à peu près l’université, soit ils et elles vont au blocage en laissant les étudiant·e·s subir les conséquences de l’abandon de l’université par un État lointain qui sera plus rarement estimé fautif que les personnels.

      Cela conduit les universitaires à accepter de « jouer le jeu » de l’université néolibérale en acceptant de multiplier les heures d’enseignement sous-payées voire pas payées du tout, en acceptant de multiples tâches administratives non statutaires. Et ces tâches sont multipliées par une politique « de projets », de candidatures à des labels et à des financements précaires, d’évaluation incessante qui conduit à remplir toutes sortes de tableaux et dossiers pour obtenir les moyens de travailler. L’exercice de l’indépendance académique et de la liberté d’expression devient de plus en plus contraint, difficile, secondaire, dans un tel contexte.

      Le statut particulier des universitaires est méconnu du grand public. Pourtant, cette indépendance statutaire, historique et liée à leurs missions, constitue l’une des meilleures défenses de l’Université comme lieu d’élaboration, de renouvèlement et d’enseignement des connaissances scientifiques, face aux appétits des prédateurs économiques et aux pressions politiques. Ce statut très protecteur des universitaires constitue un obstacle majeur pour la mise en place d’une politique « néolibérale » autoritaire en matière d’universités. Faute de pouvoir s’attaquer frontalement aux universitaires, les gouvernements « néolibéraux » cherchent à les contourner, à rogner leur indépendance, à remettre en question leur liberté d’expression et d’exercice de leurs missions de service public.

      NDLR : Philippe Blanchet publie Main basse sur l’Université chez Textuel

      [1] Le terme officiel les désignant est « enseignants-­chercheurs et enseignantes-­chercheures ».

      [2] dans La vie universitaire à Paris, publié en 1918 par le Conseil de l’université de Paris.

      [3] Décret du 6 juin 1984, d’abord réservé aux professeurs des universités, puis élargi en 1987 à l’ensemble des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheures incluant donc les maitres et maitresses de conférences.

      [4] Les décision du CE utilisent toujours l’une de ces deux mentions : « le principe constitutionnel d’indépendance des professeurs des universités » ou « le principe fondamental reconnu par les lois de la République d’indépendance des professeurs des universités ».

      [5] Article L-952.

      [6] D’autres corps de fonctionnaires bénéficient de cette protection.

      [7] Qu’on appelle souvent, à tort, « devoir… » ou « obligation de réserve », notion qui n’existe pas en tant que telle en droit français.

      [8] Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fini par leur donner raison.

      https://aoc.media/opinion/2020/01/27/universitaires-la-fin-de-lindependance
      #liberté_académique #France

    • L’enseignement supérieur et la recherche face à l’évaluation et à la performance

      L’évaluation fait partie des traditions, voire des routines universitaires, qu’il s’agisse de porter une appréciation sur la copie d’un étudiant, sur les travaux de chercheurs en vue de leur éventuelle publication, sur le recrutement d’un futur collègue, ou encore sur l’organisation et le fonctionnement de telle ou telle institution universitaire (institut, laboratoire, etc.). Mais alors pourquoi inquiète-t-elle tant les chercheurs et les enseignants-chercheurs ? Tout simplement parce que celle qui s’installe depuis les années 1980 ne ressemble guère à celle qui faisait auparavant partie du paysage académique.

      Pour dire les choses autrement, dans le cadre d’un nouveau contexte national et international, on serait en présence d’un « nouvel esprit de l’évaluation (…) incarné et agissant dans et par des discours, des pratiques, des instruments, des acteurs, des institutions, des processus et des relations, qui suscite des critiques et qui a des conséquences ». Telle est du moins la position défendue par un ouvrage coordonné par Christine Barats, Julie Bouchard et Arielle Haakenstad. Les auteurs entendent rendre de compte de la façon dont ce qu’il est convenu d’appeler la « nouvelle gestion publique » (« new public management »), s’est progressivement insinuée dans les relations entre les institutions académiques et d’autres institutions. Mais aussi comment les établissements d’enseignement supérieur et de recherche se sont peu à peu reconfigurés, du moins en partie, sur le modèle de l’entreprise.

      Ces transformations, portées et défendues par certains acteurs individuels et collectifs dans et hors l’Université et les organismes de recherche CNRS, INSERM, etc., ont cependant fait l’objet de critiques internes et externes plus ou moins importantes. Une des originalités du livre est de considérer que ces tensions sur la nature et les conséquences de l’évaluation qui s’expriment à travers des discours et des récits ne sont pas extérieurs à elle. Ils contribuent à « fabriquer » l’évaluation et ne sont donc pas sans conséquences sur la manière dont elle fonctionne.

      https://sms.hypotheses.org/11253

      –—

      Le #livre...
      Faire et dire l’évaluation. L’enseignement supérieur et la recherche conquis par la #performance


      https://www.pressesdesmines.com/produit/faire-et-dire-levaluation
      via @mondes

    • Mondes Sociaux et le débat sur la recherche

      Comme les lois qui l’ont précédée depuis une douzaine d’années, la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche suscite de nombreuses controverses. Mondes Sociaux a publié plusieurs articles qui analysent la situation et le fonctionnement actuel de la recherche en France. Souvent ces articles questionnent les allant de soi et les croyances plus ou moins partagées qui fondent les politiques de recherche, et les débats qu’elles suscitent.

      Dans le contexte actuel, nous avons pensé utile de sélectionner des articles récents ou plus anciens qui peuvent contribuer au débat.


      https://sms.hypotheses.org/22765

    • Qu’est-ce-qu’une #recherche_autonome ?

      Depuis maintenant deux mois, et un discours prononcé par Emmanuel Macron au 80 ans du CNRS sur les bons et les mauvais chercheurs, le milieu de la recherche interpelle les autorités par tribunes interposées.

      Il faut dire que le gouvernement prépare une loi de programmation de la recherche fondée sur un ensemble de trois rapports qui lui ont été remis à l’automne. De nombreuses manifestations ont eu lieu depuis lors, accusant ce projet de loi d’accentuer encore la concurrence entre chercheurs sans augmenter suffisamment les financements nécessaires à une recherche de qualité dans laquelle la liberté académique serait préservée.

      Chercheurs en grève : éléments d’explication et moyens d’action

      Mobilisation dans les labos : les raisons de la colère, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/mobilisation-dans-les-labos-les-raisons-de-la-colere?onglet=full
      Loi recherche : le gouvernement écarte les sujets les plus sensibles, Les Echos, le 22/01/2020 : https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/loi-recherche-le-gouvernement-ecarte-les-sujets-les-plus-sensibles-1165322
      « Projet de réforme : la recherche sans développement », analyse de Simon Blin et Olivier Monod, pour Libération, le 19/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/19/la-recherche-sans-developpement_1773955
      Réforme de la recherche : des revues ‘en lutte’ », Libération, le 23/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/23/reforme-de-la-recherche-des-revues-en-lutte_1774843
      La recherche trouve de nouveaux modes d’action, Médiapart, le 23/01/2020 : https://www.mediapart.fr/journal/france/230120/petits-coeurs-flash-mob-candidatures-multiples-greve-des-revues-la-recherc

      Tribunes

      « La recherche ne peut s’inscrire dans une logique de compétition individuelle », Libération, le 20/01/2020 : https://www.liberation.fr/debats/2020/01/20/la-recherche-ne-peut-s-inscrire-dans-une-logique-de-competition-individue
      « Le darwinisme social appliqué à la recherche est une absurdité », Le Monde, le 06/12/2019 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/06/le-darwinisme-social-applique-a-la-recherche-est-une-absurdite_6021868_3232.
      « La recherche, une arme pour les combats du futur », Les Echos le 26/11/2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/la-recherche-une-arme-pour-les-combats-du-futur-1150759
      « Nous, chercheurs, voulons défendre l’autonomie de la recherche et des formations », Le Monde, le 20/01/2020 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/20/nous-chercheurs-voulons-defendre-l-autonomie-de-la-recherche-et-des-formatio

      https://www.franceculture.fr/emissions/le-temps-du-debat/quest-ce-quune-recherche-autonome

    • La LPPR facile ou Pourquoi les enseignant(e)s s’opposent au nouveau projet de loi sur la recherche (LPPR)

      La loi que le gouvernement prépare est à l’opposé de ce que souhaitent les enseignant(e)s- chercheur(e)s à l’université et les chercheur(e)s au CNRS. Elle vise à les hiérarchiser, suivant une conception fausse des mécanismes par lesquels la connaissance nouvelle est produite.
      C’est que l’objectif est d’abord financier : prétendre que l’important est d’identifier et favoriser les meilleurs laboratoires justifie la poursuite du sous- financement global de la recherche. Non sans conséquences sur l’enseignement délivré aux étudiant(e)s.
      La LPPR : c’est quoi ?

      Une loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR) est en principe une bonne chose : un engagement financier de l’État sur plusieurs années. La France en a besoin : depuis quinze ans, les postes à l’université ont énormément diminué, alors que les étudiants sont de plus en plus nombreux et que la recherche est une activité vitale pour l’avenir du pays.
      Or les rapports commandés pour préparer cette loi (rédigés par des administrateurs proches des vues de la ministre), s’ils reconnaissent que la recherche manque d’argent, ne prévoient que des décisions qui vont permettre de continuer la politique de diminution des crédits publics. Une des mesures cruciales préconisées consiste à pouvoir imposer aux enseignants à l’université plus de 192h de cours par an (le plafond actuel) au motif qu’ainsi les « meilleurs » parmi eux pourront se consacrer à leurs recherches, tandis que leurs collègues assureront les cours. Cette disposition présente un immense avantage pour le pouvoir : elle permettra de continuer à ne pas recruter les enseignants nécessaires (et fera de la grande majorité d’entre eux des professeurs de seconde catégorie).

      Pas plus d’enseignants-chercheurs titulaires, mais des enseignants plus hiérarchisés : un plus pour la formation à l’université ?
      La recherche pilotée d’en haut

      Depuis plusieurs années, les crédits de fonctionnement alloués tous les ans aux laboratoires se réduisent, et les chercheurs sont fortement incités à présenter des projets à des organismes nationaux qui en sélectionnent un tout petit nombre pour les financer. Les rapports préparatoires à la loi préconisent d’approfondir cette tendance, en faisant de la capacité à obtenir de l’argent par ce moyen un critère essentiel de l’évaluation des universitaires. Sur la base d’une telle évaluation, le président de l’université pourrait, ce qui est impensable aujourd’hui, décider de diminuer ou d’augmenter les heures de cours d’un enseignant. En outre, il est prévu de créer des contrats courts de chercheurs en diminuant la place des fonctionnaires. Toutes ces mesures vont dans le sens d’un pilotage de la recherche depuis le sommet de l’État dont les présidents d’université seront un relais essentiel.

      Les changements de statuts prévus produiront des chercheurs plus soumis. Mais un chercheur soumis peut-il être un bon chercheur ?
      Une recherche sans autonomie

      La production de connaissance est menacée par ce système où des chercheurs peu nombreux consacrent beaucoup de temps à la quête de financements, tandis que leurs travaux sont formatés par les conceptions nécessairement limitées de ceux qui attribuent les crédits.
      La recherche – la bonne – nécessite des chercheurs indépendants et qui ont du temps devant eux – c’est pourquoi le statut de fonctionnaire est bien adapté à cette profession.
      Mais cela ne signifie pas que l’activité des chercheurs soit hors de tout contrôle. Faire avancer la connaissance exige un effort permanent pour dépasser le savoir existant, faire surgir de nouvelles questions et de nouvelles méthodes. Les chercheurs ne cessent donc de juger les travaux les uns des autres, pour les utiliser, ou pour les surpasser, et chaque chercheur éprouve la pression que fait peser sur lui la communauté de ses collègues.
      La recherche française peut très bien retrouver la qualité qui en faisait l’une des meilleures du monde. Il faut pour cela augmenter le nombre de chercheurs, et garantir leur indépendance.
      Un système universitaire à deux vitesses

      Le même principe hiérarchisant les chercheurs s’appliquera au niveau des équipes de recherche : on ne gardera que les meilleures d’entre elles. Ce principe s’appliquera encore au niveau des établissements : quelques grandes universités concentreront les activités de recherche, les autres seront cantonnées à l’enseignement. Ainsi beaucoup d’étudiants n’auront plus devant eux des professeurs qui dispensent un savoir appuyé sur leur recherche, alors que c’est là l’originalité – et la force – de l’enseignement à l’université. Et leurs diplômes seront dévalués.

      L’articulation de la recherche et de l’enseignement à l’université est au cœur du principe de démocratisation de l’enseignement. On y renonce ?
      La baisse continue des crédits pour la recherche

      Le ministère répète année après année que le budget de la recherche ne baisse pas, mais il y inclut le Crédit d’Impôts Recherches (CIR), dont le montant ne cesse d’augmenter. Le CIR est un dispositif censé encourager les entreprises à mener des activités de recherche : en réalité un simple moyen pour elles de réduire leur impôt. Il coûte 6 milliards d’euros par an au budget de la recherche, quand on estime que pour retrouver un niveau suffisant d’investissement, ce budget devrait augmenter d’un milliard d’euros. Pour notamment recruter des enseignants-chercheurs, du personnel administratif qu’il faudrait rémunérer correctement, et pour augmenter les bourses de doctorat, en nombre très insuffisant.
      Le sous-investissement de l’État dans la recherche relève d’un choix politique de très court terme. Un bon budget n’est pas du tout hors des possibilités du pays.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8613

      A télécharger en pdf :

      http://www.sauvonsluniversite.fr/IMG/pdf/lppr_facile.pdf

    • Réforme de la recherche : vers des jeunes chercheurs toujours plus précaires

      En s’attaquant aux spécificités du modèle de la recherche publique française, la future loi de programmation pluriannuelle risque de renforcer les difficultés de début de carrière des jeunes chercheurs, alerte un collectif.

      En cette période de préparation de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), nous, jeunes chercheurs et chercheuses, sommes inquiets pour notre avenir dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). En effet, lors de ses vœux à l’ESR le 21 janvier dernier, Mme Frédérique Vidal a déclaré que « tout chargé de recherche (CR) et tout maître de conférences (MCF) sera recruté à au moins 2 smic ». Cette mesure est censée redonner, selon elle, une « attractivité » aux carrières de chercheuses et chercheurs qui ainsi « n’hésiteraient plus à embrasser » la voie de la recherche. Cependant, les jeunes chercheurs et chercheuses motivées sont bien là et n’hésitent déjà pas à s’engager pleinement dans une carrière dans l’ESR ! Malgré la chute vertigineuse du nombre de postes ouverts au cours des deux dernières décennies, tous les ans plusieurs centaines de candidats et candidates se battent pour une demi-dizaine de postes dans chaque discipline. En 2020, le nombre de postes de CR au CNRS a atteint le niveau historiquement bas de 239 postes, alors qu’il était de 359 en 2011, augmentant d’autant la pression de recrutement sur chaque poste. Une chute similaire a eu lieu du côté des universités : c’étaient près de 3 500 postes de MCF qui étaient publiés chaque année jusqu’à la fin des années 1990, pour uniquement 1 600 en 2019, alors même que la démographie étudiante ne cesse d’augmenter.

      À lire aussi« On ne peut pas réformer la recherche sans les chercheurs »

      Face à cette situation d’effondrement de nos chances de poursuivre notre carrière, le PDG du CNRS se félicite de la sélection « darwinienne » qui pèse sur nos épaules. Pourtant, avec une telle pression sur chaque poste ouvert, le processus de sélection perd son sens tant le hasard et la chance deviennent des paramètres de sélection prédominants. Face à l’injustice et l’inefficacité d’un tel système, les nombreux sacrifices auxquels nous avons consenti depuis le début de notre carrière semblent vains alors même que ce système nous maintient dans une situation de précarité toujours plus grande. Ainsi, certains doctorants et doctorantes se retrouvent à financer leur fin de thèse avec leur allocation-chômage. Dans quel autre secteur accepterait-on de travailler gratuitement ?
      Stress, dépression, burn-out

      Egalement, nombre d’entre nous financent leurs travaux de recherche en accumulant de courts contrats d’enseignement à l’université. En effet, 30% des enseignants-chercheurs de l’université sont des contractuels, vacataires, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, et ce, sans soutien matériel et financier de leur activité de recherche. Ces contrats d’enseignement sont, pour la plupart, payés au semestre, en dessous du smic horaire, le plus souvent avec plusieurs mois de retard et n’offrant aucune cotisation chômage ou retraite. Ces conditions de travail ont un impact catastrophique sur nos vies personnelles : stress, dépression, burn-out pour cause de course effrénée à la performance, manque de visibilité à moyen et long terme de nos situations professionnelles, difficulté à obtenir un prêt, mobilité géographique quasi obligatoire sans prise en compte des situations personnelles et familiales (grossesse, maladie, handicap, enfant(s), conjoint et conjointe, double résidence, …). Enfin, l’allongement de ces périodes de recherche postdoctorale aboutit à des situations dramatiques, lorsqu’il nous faut tirer un trait sur nos espoirs d’obtenir un poste alors même que l’employabilité de chercheurs et chercheuses en fin de trentaine hors du milieu académique est très faible en France.

      Malgré ces difficultés, nous sommes un grand nombre à vouloir consacrer le reste de notre carrière à la recherche, avec ou sans recrutement à 2 smic. Premièrement, étant recrutés de plus en plus tard, les chercheurs et chercheuses bénéficient déjà d’un salaire équivalent à 1,7 ou 1,8 smic en début de carrière. L’augmentation promise par la ministre est ainsi bien modeste. Deuxièmement, en trente ans, le pouvoir d’achat des chercheurs et chercheuses a baissé de 30% (sans compter que l’actuelle réforme des retraites aggravera cette situation). Les 2 600 à 2 800 € d’augmentation annuelle annoncée ne compensent donc pas cette dégradation. Enfin, quand bien même l’objectif du gouvernement serait de replacer la France dans la compétition internationale, le recrutement à 2 smic ne sera pas suffisant. En effet, le salaire d’entrée d’un MCF ou d’un CR en France est aujourd’hui équivalent à 63% du salaire des chercheurs des pays de l’OCDE. Le rattrapage proposé n’est donc pas à la hauteur de la situation sociale des jeunes chercheurs en France, pas plus qu’il n’est adapté à la réalité internationale.
      « CDI de projet »

      Non, « l’attractivité » de la recherche française ne repose pas sur sa politique salariale mais sur son modèle unique : le statut des chercheuses et chercheurs leur offrant le moyen de travailler sur le long terme et une recherche fortement collaborative et soutenue techniquement par du personnel de haute qualité. Il est d’autant plus dommageable que ces atouts qui ont fait la force de la recherche française soient les principales cibles des réformes récentes et en cours. Ainsi, la situation des personnels bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé s’est dramatiquement détériorée. En ce sens, les premières annonces concernant la LPPR à venir sont inquiétantes. La transformation des CDD « post-doc » en CDI de projet ne changera rien à la problématique actuelle : que faire à leur échéance ? Même si nous publions correctement, même si nous trouvons des fonds pour poursuivre notre travail, même si nous nous soumettons aux exigences d’excellence toujours plus fortes et même si nous souhaitons finalement juste exercer notre métier, les lois actuelles nous obligent à changer d’employeur tous les six ans. Comment concilier vie personnelle et vie professionnelle quand on nous demande de tout quitter et de repartir à zéro régulièrement dans un nouvel environnement et un nouveau laboratoire ? Pourtant en diminuant drastiquement les postes aux concours, voir en les supprimant, c’est la seule voie que ce gouvernement nous propose, ainsi qu’aux prochaines générations.

      Avec la préparation de la LPPR, le gouvernement avait annoncé avoir pris conscience de l’urgence de la situation et qu’une loi ambitieuse était nécessaire pour sauver la recherche. Après les annonces faites ces dernières semaines, nous ne sommes pas déçus : nous sommes désabusés et en colère. La maigre augmentation salariale proposée au faible nombre de jeunes titulaires ne rattrapera pas le retard pris depuis plusieurs années, et ne sera qu’une goutte d’eau face à l’écart par rapport à nos voisins. Pire, sans augmentation du nombre de postes ouverts aux différents concours, il est demandé à certains et certaines d’accepter cette aumône en échange d’une aggravation de la précarité de leurs collègues non titulaires. De plus, nous sommes extrêmement inquiets quant à la mise en place de « CDI de projet » et de « tenure track » à la française. Dans le contexte budgétaire actuel, il nous semble que ces nouveaux contrats seront juste un moyen de repousser la sélection de quelques années. Ceci aboutira à des situations de reconversions forcées vers la quarantaine encore plus difficiles.

      Alors que la France s’était engagée, il y a vingt ans, à porter l’investissement dans la recherche publique à 1% du PIB, elle continue à ne pas remplir ses engagements en stagnant à 0,8% depuis quinze ans. Il a maintes fois été répété que sans un effort conséquent d’environ 6 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre les fameux 1% d’investissement public du PIB, la recherche française était condamnée à décliner. Avec la mesure phare demandant un investissement de l’ordre de 120 millions d’euros, il est flagrant que ce gouvernement a décidé d’entériner ce déclin. La responsabilité historique qui est celle de Mme Vidal ne sera pas oubliée.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/02/05/reforme-de-la-recherche-vers-des-jeunes-chercheurs-toujours-plus-precaire

    • La recherche est un #bien_commun

      La Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche qui s’annonce rencontre une opposition de plus en plus grande, tant elle paraît vouloir consacrer une politique, menée ces dernières années, qui fragilise les laboratoires et ceux qui y travaillent. La Vie des Idées revient dans ce dossier sur cette évolution.

      Le monde de la recherche s’interroge aujourd’hui, à juste titre, sur son avenir. Le mécontentement gagne les laboratoires, les revues et les personnels qui s’inquiètent des mesures annoncées : les évaluations seraient plus nombreuses, les financements de moins en moins pérennes, le statut des enseignants chercheurs pourrait être réévalué. Ces annonces confirment le désintérêt grandissant des pouvoirs publics pour une recherche en règle générale sous-financée, au sein de laquelle les emplois deviennent de plus en plus précaires, et qui, en dépit de ces obstacles, continue en France à être de qualité – et reconnue comme telle à l’étranger.

      La Vie des Idées s’associe à ces inquiétudes et à la réflexion que ces projets doivent engager : sur les moyens donnés à l’accroissement des connaissances, sur les statuts de ceux qui s’y consacrent, sur l’évolution d’un métier qui voit les tâches administratives prendre le pas sur la recherche, sur le gel chronique des postes qui affaiblissent les structures d’enseignement et les laboratoires. Cette dégradation a une histoire : les articles que nous avons publiés ces dernières années, et que nous rappelons ici, montrent que le débat sur la recherche est souvent mal posé, et que bien souvent les pouvoirs publics croient s’inspirer de modèle de financement (le plus souvent d’outre-Atlantique) qui en réalité n’existent pas. Ils montrent aussi que l’accroissement de l’évaluation procède souvent d’une méconnaissance profonde de la manière dont la recherche se développe et obéit davantage à la pression des classements internationaux.

      https://laviedesidees.fr/La-recherche-est-un-bien-commun-4642.html

    • Frédérique Vidal au séminaire des nouveaux directeurs et directrices d’unité

      Le séminaire d’accompagnement des nouveaux directeurs et directrices d’unité, organisé conjointement par le CNRS et la Conférence des Présidents d’Université le mardi 4 février 2020, a réuni plus d’une centaine de participants. Il a donné l’occasion à Frédérique Vidal, Ministre de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation, de répondre à de nombreuses questions soulevées par la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche. La première partie de cet échange a été menée par une animatrice. Le texte ci-dessous en est la transcription.

      Madame la Ministre, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) est en préparation depuis de nombreux mois. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui des grandes lignes de ce projet de loi ?

      Frédérique Vidal : La recherche a besoin de temps, de moyens et de #visibilité : c’est tout l’objet de cette loi. Elle est en cours de construction sur la base d’énormément de contributions, notamment les rapports des trois groupes de travail, mais aussi une consultation sur Internet, des discussions avec des parlementaires, des directeurs de laboratoires, des enseignants-chercheurs et des chercheurs avec lesquels j’ai échangé à chacun de mes déplacements, etc.

      La recherche en France souffre d’un #sous-investissement massif depuis des années, mais aussi d’un manque de décisions concrètes de la part de beaucoup de gouvernements précédents, même quand ils affirmaient que la recherche était une priorité.

      Depuis 30 mois, mon action vise à remettre la science et la connaissance au cœur de la société et des politiques publiques. Mon premier combat a été de faire reconnaître qu’investir dans la recherche est la seule façon de permettre à notre pays de conserver sa souveraineté, son rayonnement, sa place parmi les pays qui comptent en termes de recherche.

      Le deuxième front a été celui des #rémunérations. Je sais que l’on ne choisit pas ce métier pour l’argent, que les scientifiques, en France, ont la chance de pouvoir mener une recherche libre. Pour autant, on ne peut plus recruter à 1,4 smic des personnes qui ont fait 8 à 10 ans d’études et qui ont plusieurs expériences postdoctorales.

      Je souhaite que cette loi de programmation de la recherche soit faite pour les scientifiques, avec un réinvestissement massif et une #trajectoire_budgétaire, mais aussi pour la société. Car il faut réapprendre à nos concitoyens que la parole scientifique a plus de valeur qu’une opinion, leur redonner de la connaissance et du sens critique.

      Il était question d’une présentation du projet de loi avant fin février en conseil des ministres, puis au printemps. Quel est le calendrier de la LPPR aujourd’hui ?

      Frédérique Vidal : Le projet de loi sera rendu public au printemps, sans doute fin mars-début avril. L’objectif est que le Parlement puisse commencer à l’examiner avant l’été et qu’elle soit prise en compte dans le cadre de la préparation de la prochaine loi de finances.

      Certains scientifiques estiment que la loi a été préparée par une minorité et que les propositions formulées par les directeurs et directrices d’unité ne se retrouvent pas dans les rapports des groupes de travail. Que leurs répondez-vous ?

      Frédérique Vidal : J’entends et je vois circuler beaucoup d’affirmations, souvent erronées. Non, il n’est pas question de supprimer les maîtres de conférences ni de mettre ce corps en extinction. Non, il n’est pas question de supprimer le CNU ou de toucher aux obligations de service, aux 192 équivalents TD ou de relancer l’épouvantail de la modulation de service. Ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis ici pour que cessent de circuler ces inquiétudes totalement infondées.

      Certains tirent aujourd’hui parti des rapports des groupes de travail. Mais précisément, ce ne sont que des rapports et je l’ai toujours dit, à la fin, c’est le Gouvernement qui choisira de retenir ou non telle ou telle proposition.

      Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de #programmation_budgétaire, avec une trajectoire financière spécifiquement dédiée à l’investissement dans la recherche. C’est une chance exceptionnelle. C’est cette ambition que je porte au sein du Gouvernement, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre. Il faut que nous nous emparions tous.

      Puisque vous l’évoquez, pouvez-vous nous en dire plus sur l’évaluation qui suscite des inquiétudes dans la communauté scientifique ?

      Frédérique Vidal : On entend parfois dire qu’il n’y a pas d’évaluation. Rien n’est plus faux, vous le savez, je le sais. Être dans la recherche, c’est être évalué tous les ans, soit individuellement, soit collectivement. C’est être évalué dans le cadre de ses projets, de son laboratoire, de ses multiples établissements de tutelle, dans le cadre de procédures qui évaluent toutes à peu près la même chose, mais un peu différemment et qui, à la fin, n’ont pas vraiment de conséquences. C’est trop et on doit pouvoir alléger tout cela. L’évaluation doit avoir un objectif : permettre de savoir où on en est et donner les moyens de s’améliorer. Être évalué en permanence sans que cela ait la moindre conséquence me semble totalement contre-productif. C’est cela qu’il faut changer.

      Il est question de revaloriser les salaires des entrants. Cette mesure préfigure-t-elle une revalorisation de l’ensemble des carrières des chercheurs et enseignants-chercheurs ?

      Frédérique Vidal : Oui, bien-sûr, c’est l’objectif et il y aura bien une revalorisation d’ensemble. Et nous avons choisi de donner, pour commencer, la priorité aux jeunes chercheurs : à partir de 2021, tous les maîtres de conférences et de chargés de recherches nouvellement recrutés seront rémunérés à 2 SMIC au moins. Cela représente 26 millions d’euros et un gain de 2 600 à 2 800 euros en moyenne pour nos futurs collègues.

      J’entends ici et là dire : « la revalorisation des jeunes chercheurs, c’est bien, mais il n’y aura rien d’autres et surtout rien pour ceux qui sont déjà là. » C’est absolument faux et je l’ai dit à de multiples reprises : au cœur de la loi de programmation, il y a la question de l’#attractivité des métiers et des carrières, de toutes les carrières, chercheurs, enseignants-chercheurs, ITA ou BIATSS.

      Dès l’an prochain, nous avons prévu une première enveloppe de 92 millions d’euros pour garantir que les jeunes chercheurs recrutés avant 2021 ne perdront pas au change et d’engager la revalorisation indemnitaire des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Ce ne seront pas les seules mesures et toutes vont monter en puissance.

      Nous allons également prendre en compte l’ensemble des missions des personnes qui s’engagent pour le collectif, en matière d’enseignement comme de recherche ou de valorisation. Je pense par exemple aux directeurs ou directrices d’unité, qui doivent souvent mettre leur production scientifique entre parenthèses pendant leur mandat. Certains d’entre vous touchent une prime comme directeur d’unité, d’autres pas et les mandats varient fortement d’une situation à l’autre.

      La recherche française souffre d’une baisse de l’#attractivité de ses carrières, comment comptez-vous créer ou recréer les conditions de l’attractivité ?

      Frédérique Vidal : L’attractivité de la recherche dépend de plusieurs facteurs : évidemment les #salaires - et je viens d’en parler - mais aussi la dynamique et l’environnement. La loi de programmation que nous préparons doit nous permettre de jouer sur tous les plans : en rénovant profondément les modalités d’entrée dans la carrière, avec plus de contrats doctoraux, un vrai contrat post-doctoral et des recrutements qui devront intervenir plus tôt. Je veux également que nous puissions recruter plus d’ingénieurs et de techniciens : ils ne sont pas assez nombreux dans les laboratoires et c’est une vraie fragilité pour nous tous. Enfin et surtout, la loi de programmation, c’est plus, beaucoup de moyens pour la recherche : ce qui fragilise le système français, c’est que nos collègues étrangers savent que les équipes ont de plus en plus de mal à se financer. Et ça, bien évidemment, c’est rédhibitoire. Il faut remettre à niveau les moyens dont disposent les scientifiques.

      Les directeurs d’unité ici présents, les scientifiques en général, espèrent et demandent une augmentation de leur budget. Une des questions que chacun se pose est de savoir si l’augmentation des ressources financières mises à disposition dans le cadre de la LPPR aura une conséquence sur la progression des budgets des organismes et des établissements.

      Frédérique Vidal : On a longtemps parlé d’atteindre le chiffre de 3 % du PIB pour la recherche : le Président de la République l’a confirmé, ce n’est plus aujourd’hui un simple objectif, mais bien un engagement et la loi de programmation va tracer le chemin pour le mettre en œuvre. Comme je viens de le dire, une part de ces financements sera affectée à la nécessaire revalorisation salariale. Une autre part doit permettre à l’ANR d’afficher des taux de succès décents, au niveau des autres agences dans le monde. Enfin, je viens de signer une nouvelle vague de contrats avec des universités et des organismes, dont le CNRS. Je souhaite que cette loi permette de prévoir un volet financier à ces contrats.

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a également répondu à plusieurs questions de directeurs et directrices d’unité.

      Une recherche qui privilégie la #performance, les #stars et la #compétition ne détruit-elle pas sa crédibilité auprès du public ?

      Frédérique Vidal : Les premières annonces que je viens de rappeler montrent qu’il ne s’agit en aucun cas de prendre des mesures réservées à telle ou telle catégorie de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs. Bien au contraire ! Et quiconque est passé par un laboratoire sait bien qu’il n’y a pas deux catégories de chercheurs. Au fil d’une carrière, tout le monde passe par des hauts et des bas, certains projets prennent plus de temps, certains n’arrivent pas à leur terme, rien ne se fait jamais en un claquement de doigt.

      Ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une #compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “#coopétition” – ce mot-valise qui mêle compétition et coopération - traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche.

      Par ailleurs, je pense que notre pays a besoin d’être fier de ses scientifiques, de ses prix Nobel et de ses médailles Fields, fier qu’une découverte majeure, reconnue par la communauté internationale, ait été produite dans un laboratoire français. Il n’y a pas de contradiction entre rendre hommage à certains de nos collègues, dont les travaux ont abouti à des résultats remarquables, et faire en sorte que nos concitoyens soient fiers de leur recherche. Reconnaître la qualité d’un chercheur ou d’une chercheuse, c’est aussi reconnaître tous ceux qui constituent son équipe. C’est une évidence, même.

      Sur la future loi, les communautés scientifiques ne disposent pour l’instant que des rapports des groupes de travail. Quel est l’esprit de la loi ? Comment éviter de favoriser des systèmes de financement inégalitaires à double ou triple vitesse comme aux États-Unis ?

      Frédérique Vidal : L’époque est anxiogène. Les multiples rapports remis depuis 10 ans sur l’état de la recherche et autres grands exercices, du type états généraux ou assises, qui ont beaucoup mobilisé, mais qui n’ont pas été suivis de grand effet, ont usé les communautés scientifiques. Mais ils ont eu un avantage : le diagnostic est connu et partagé.

      On me parle souvent des rapports des groupes de travail. Mais ces rapports ne sont en aucun cas la préfiguration de la loi ! Ils sont l’expression de propositions faites par leurs auteurs, comme il en a été de même pour les propositions faites sur le site internet dédié que nous avons mis en place. Je regrette que ces propositions nourrissent, de manière volontaire ou involontaire, un climat d’#anxiété. C’est pourquoi je tenais à échanger directement avec vous et c’est pourquoi je continuerai à échanger directement avec nos collègues pour dire précisément ce que nous allons faire et ce que nous n’allons pas faire. Ce que je fais avec vous aujourd’hui, je vais le renouveler dans les jours et les semaines à venir.

      Pour en revenir à votre question, le système à l’anglo-saxonne à double ou triple vitesse, ce n’est pas et ça ne sera jamais le système français ! Si nous devions passer à ce système, nous perdrions ce qui fait que la France ne décroche pas complètement en termes de production scientifique : la #liberté_scientifique, qui nous donne une vraie profondeur de réflexion et qui nous permet de rester à l’avant-garde sur de nouveaux concepts. Ce qui ne veut pas dire que nous ne pouvons pas améliorer les choses. L’#ANR par exemple. La première évidence, c’est le manque de financement : la faiblesse des moyens est telle que le système ne peut que dysfonctionner. Par ailleurs, c’est sans doute aujourd’hui un outil qui est trop « monobloc ». À force de faire la même chose pour tout le monde, nous créons des outils qui fonctionnent mal pour tout le monde. Un chercheur en physique appliquée n’a pas les mêmes besoins qu’un chercheur en anthropologie. Il faut donner les bons outils pour que chacun puisse faire sa recherche : c’est cela qui fait la philosophie de la loi et je tiens à ce que nous soyons attentifs à la diversité des besoins des disciplines.

      Il est question de créer un système de « #tenure_track » à la française…

      C’est précisément un bon exemple de la diversité des besoins selon les disciplines. L’idée sur laquelle nous travaillons est celle de « chaires de #professeurs_juniors ». Il faut permettre, au sein de certaines disciplines, le recrutement de scientifiques sur une première période de 5 à 6 ans, en prévoyant des moyens d’environnement spécifiques et qui existent ou de remplacer les concours, mais d’offrir des possibilités de recrutement en plus et de le faire dans des disciplines où ce besoin est exprimé. Il faut bien voir notre situation dans certains champs du savoir : la #concurrence_internationale est rude, certains jeunes chercheurs se voient offrir des contrats de ce type par d’autres institutions de recherche dans le monde ou sont tout simplement recrutés, durant leur thèse ou leur post-doc, dans le secteur privé. C’est le cas, par exemple, dans une partie des sciences de l’information.

      Comment rendre compatible la demande unanime d’un renforcement du soutien de base avec le développement de financements individualisés ?

      Frédérique Vidal : Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet. Ce qu’il nous faut, c’est trouver un bon équilibre et sortir du débat opposant l’un à l’autre : il nous faut les deux. Pourquoi ? Le financement sur projet, c’est aussi ce qui permet à une équipe de prendre son autonomie, de ne dépendre de personne et de développer sa thématique de recherche propre. Mais en même temps, nos laboratoires ont besoin de pouvoir conduire une politique scientifique, tout comme les organismes. Et oui, c’est devenu difficile, faute de moyens.

      Je crois enfin qu’il faut arrêter de durcir les oppositions. Qui dit financement sur projet ne dit pas nécessairement absence de collectif, loin s’en faut. Comme vous, j’ai vu des chercheurs qui avaient décroché une ERC et qui mobilisaient une partie de leurs financements pour appuyer le développement de tout le laboratoire. L’individu et le collectif peuvent aussi marcher ensemble.

      Le CIR permet aux entreprises d’obtenir des financements sans beaucoup de contrôle alors que les laboratoires sont soumis à des exigences très fortes. Comment corriger ce déséquilibre ?

      Frédérique Vidal : Pour atteindre les 3 % du PIB pour la recherche française que nous visons, il nous faudra augmenter l’investissement public à 1 %, mais également faire en sorte que les entreprises passent de 1,4 % à 2 % leurs investissements en #R&D. Il faut donc trouver des moyens pour que la R&D des entreprises s’installe, reste et grandisse en France. Le #crédit_impôt_recherche est l’un de ces moyens - même s’il est certainement perfectible.

      Quelles perspectives peut-on leur offrir aux jeunes doctorants nombreux dans les laboratoires ? Quelles perspectives également pour le personnel d’appui à la recherche ?

      Frédérique Vidal : Il faut donner des perspectives aux jeunes dès le doctorat qui ne doit pas se faire sans contrat doctoral. C’est un vrai sujet, tout comme l’encadrement des doctorants. Je suis prêt à travailler sur une augmentation du nombre de contrats doctoraux, si nous sommes capables, en parallèle, de garantir que chacun de ces doctorats sera effectivement encadré. Et nous constatons tous aujourd’hui que ce n’est pas le cas partout.

      Néanmoins, tout ne passe pas par l’emploi. Nous devons également simplifier. Alors que les mêmes règles s’appliquent à tous, les laboratoires fonctionnent avec des logiciels de gestion et de pratiques différents ! Nous perdrions beaucoup moins de temps et nous libérerions du temps de réflexion si nous avions des systèmes optimisés et communs. Cela fait partie de ces fameuses mesures de simplification que j’évoquais à l’instant et sur lesquelles nous avons engagé le travail. C’est l’évidence, ces chantiers vont trop lentement nous devons trouver le moyen d’accélérer le pas.

      Un mot enfin de nos personnels d’appui et de soutien, qui se sentent parfois oubliés : ils seront au cœur de la loi de programmation de la recherche, non seulement parce que l’attractivité de leurs carrières doit être renforcée, mais parce que les conditions d’exercice de leur métier doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Nous pouvons faire mieux, pour eux aussi.

      La loi sera une loi de programmation, donc portant une vision à long terme. Comment cela s’articulera-t-il avec les outils (Equipex, labex, IRT, SATT, etc.) créés par le programme d’investissement d’avenir et qui arrivent à échéance ?

      Frédérique Vidal : La question des équipements est centrale – et pas seulement des TGIR ou des équipements financés dans le cadre du PIA. J’y travaille et des propositions seront faites en ce sens. Je pense par ailleurs que la loi de programmation doit nous permettre de donner de la visibilité aux projets qui ont d’ores et déjà été engagés dans le cadre des PIA successifs et dont les financements viennent à terme.

      Va-t-on faire pencher la balance plutôt du côté de la collaboration ou de la compétition ? Quelles réponses donner à l’inquiétude raisonnée de nombreux collègues ?

      Frédérique Vidal : Je crois que personne n’ignore la place centrale que tient le collectif de recherche. L’équipe, c’est la réalité de la recherche. Après, les personnalités jouent leur rôle et chacun sait aussi qu’elles existent, que les individus ne se ressemblent pas. Je trouve curieux cette manière de nous demander en permanence de choisir. Nous devons permettre aux environnements qui ont été capables de produire des succès exceptionnels, de continuer à le faire et donner les moyens de le faire à ceux qui n’en ont pas encore eu l’occasion. Et je crois que toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes : elles nourrissent les solidarités et les dynamiques collectives. On peut tout à fait imaginer que l’obtention d’un financement ANR par une équipe conduise le laboratoire à recevoir une enveloppe supplémentaire, non fléchée, pour lui permettre de conduire une politique scientifique.

      Comment simplifier les outils de gestion dans des unités qui comptent trois ou quatre tutelles ?

      Frédérique Vidal : Dans un laboratoire, on n’arrive pas le matin en demandant à l’autre qui est son employeur… Je vais mettre suffisamment d’énergie pour faire en sorte que ce chantier de l’harmonisation démarre, mais j’ai aussi besoin de vous tous !

      Comment faire partager la recherche française au plus grand nombre, notamment à travers la formation et l’éducation ?

      Frédérique Vidal : La recherche doit rejaillir sur l’ensemble de la société. Il faut valoriser la diffusion de la culture scientifique, technologique et industrielle. Tous les professeurs des écoles doivent être capables de parler un petit peu de science, de méthodologie scientifique aux enfants dès leur plus jeune âge. Dans le cadre de la LPPR, un volet important sera consacré à la promotion de la science dans la société.

      Nous avons entendu parler de CDI de chantier, nous aimerions vous entendre à ce sujet.

      Frédérique Vidal : Je ne me retrouve pas dans cette formulation. Une fois encore, il faut repartir du problème que nous rencontrons tous dans les laboratoires : nous passons du temps à former des personnes que nous devons laisser partir ensuite faute de financement ou parce que la barre des six ans risque d’être atteinte ! L’enjeu, c’est de savoir si nous sommes capables de sortir de cette logique et de proposer un vrai contrat de projet scientifique, qui tienne compte à la fois de l’incertitude du financement et du fait que les agents ont besoin de pouvoir se projeter dans la durée. Pour moi, ce doit pouvoir être une forme de CDI.

      http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/frederique-vidal-au-seminaire-des-nouveaux-directeurs-et-directrices-dunite

      –------

      Analyse pas Julien Gossa sur twitter :

      #LPPR : Imiter le système anglo-saxon nous ferait perdre notre plus grande force : la liberté scientifique.
      Et c’est pourquoi nous allons faire des tenure-tracks.

      (Et là, vous vous dites que je déconne, que c’est fake... Mais non. Désolé.)

      "Il faut arrêter d’opposer l’eau et le feu, nous avons besoin des deux. Le feu ça mouille et l’eau ça brûle".

      Le financement sur projet, moyen d’émancipation, de partage et de construction du collectif.
      Il fallait oser.

      #LPPR Haaa ! Enfin une annonce claire !
      Les 3% de PIB seront atteint par l’augmentation du CIR (ou un dispositif équivalent).

      Là, c’est crédible ! Là, on y croit !

      « - Et pour l’emploi des jeunes docteurs ?
      – Il n’y aura pas plus d’emploi. »

      C’est quand même un peu con, c’est LE SEUL TRUC QU’ON DEMANDE !!!

      "Je trouve curieux cette manière de demander aux dirigeants d’expliciter leur direction"

      (Vous vous dites que je déconne encore... Mais non)

      « toutes les idées qui permettent d’abonder des financements collectifs assis sur des financements individuels sont bonnes »

      Qué sappelerio « #Mandarinat ».

      « - Comment simplifier le merdier administratif que vous avez mis ?
      – Démerdez-vous »

      L’adossement de l’enseignement à la recherche ?
      Oui... Pour les professeurs des écoles.

      (Sisi vraiment, je sais, ça parait délirant à une époque où on sépare enseignement et recherche en premier cycle)

      Et on termine avec « l’incertitude c’est la certitude ».

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1225709135385300992

    • Version 09.01 de la LPPR...

      1/ Le projet de #LPPR dans sa version du 9 janvier contient, contrairement aux affirmations de @VidalFrederique des jours derniers, bien plus que des questions budgétaires. Elle se compose de cinq parties.
      2/ Titre I. Article 2. Programmation budgétaire 2021 - 2027 prévoyant de redistribuer une fraction de l’argent que l’Etat ne mettra plus en cotisation patronale pour les retraites et d’augmenter le budget de l’ANR.
      3/ Titre I. Article 3. Les EPCST ne paieront pas la taxe sur les salaires qui touche ceux qui sont exemptés de TVA. Une autre petite partie de ce que l’Etat ne mettra plus dans nos pensions de retraites passe donc par ce curieux dispositif.
      4/ Titre II. Précarisation de l’emploi scientifique.
      L’article 4 prévoit l’instauration de chaires de professeur junior (tenure track) allongeant la durée de précarité de 5 ans, et mettant de facto en extinction les postes de jeunes chercheurs pérennes.
      5/ L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral pour accroitre la dépossession inhérente au rapport salarial, et creusant la dégradation par rapport à l’ancienne allocation doctorale, attribuée pour 3 ans, avec une part socialisée (cotisations) et plus de protections
      6/ L’article 6 organise un autre mode de recrutement qui échappe lui-aussi au contrôle du CNU et se fait en dehors de toute collégialité et de tout statut : le CDI de mission scientifique.
      7/ L’article 7 dérégule le cumul d’activités, permettant à des salaires payés pour l’enseignement et la recherche publiques d’être détournés au profit du privé, sans contrôle.
      8/ Titre III. Renforcer le pilotage bureaucratique et l’évaluation punitive. Articles 8 à 10. La contractualisation des laboratoires, des établissements et des chercheurs (ANR) se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, instaurant une obligation de résultats.
      9/ Titre IV. L’Etat au service et sous le contrôle du marché.
      Article 11. Facilitation de l’indifférenciation des sphères publique et privée, par facilitation du cumul d’activités à temps partiel.
      10/ Article 12. Protection des secrets industriels. (?)
      Article 13. Droit de courte citation des images. Tiens ? Un point positif.
      11/ Titre V. Liste des ordonnances.
      Dérégulation des statuts des établissements.
      Transfert de droit de l’Université publique à l’enseignement privé.
      Dérégulation des fondations de coopération scientifique
      Dérégulation du recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs

      12/ Notre commentaire : c’est du lourd.

      Note : le calendrier parlementaire ne permet pas de passer cette loi, hors 49-3, avant l’automne prochain.
      Note 2 : Vidal ne portera pas cette loi et sera limogée en mars.

      https://twitter.com/Gjpvernant/status/1225867039010586625

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Premières analyses du texte

      La loi de programmation pluriannuelle de la recherche, essentielle pour notre avenir, a été rédigée dans l’opacité la plus grande, après une phase de consultation étriquée. Le ministère n’a, à ce jour, pas souhaité dévoiler ce projet de loi à la communauté académique. Il s’est contenté d’une communication maladroite destinée à désamorcer le mouvement de réaffirmation de l’autonomie et de la responsabilité du monde savant qui se développe partout, des syndicats aux sociétés savantes, des laboratoires de biologie aux Facultés de droit et de science politique, en passant par toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. De toutes parts monte un même appel à la création de postes pérennes, à des crédits récurrents, à une suppression de la bureaucratie et à une réinstitution des libertés académiques.

      Nous en appelons au Président de la République pour que cessent cette conduite blessante de la réforme et cette gestion confuse et désordonnée de la rédaction de la loi. L’Université et la recherche méritent respect, éthique intellectuelle, transparence et intégrité, toutes valeurs qui fondent nos traditions académiques et que nous entendons défendre et incarner.

      Nous produisons ici une première analyse de cette loi en traitant successivement de sa portée d’ensemble, du financement de la recherche, du statut des universitaires et des chercheurs et enfin de la question de l’évaluation, inséparable de celle des libertés académiques. Notre analyse repose principalement sur deux sources que nous confrontons : la version courte du projet de la loi, datée du 9 janvier 2020, et la communication de la ministre devant les nouveaux directeurs et directrices d’unités, le 4 février dernier. Les propos de Mme Vidal sont en contradiction manifeste avec le texte du projet de loi.

      La ministre, pour lever les inquiétudes et apaiser les colères, défend une représentation irénique de la loi, visant à en réduire la portée : « Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire. » Dans sa version du 9 janvier, le projet de loi se compose de cinq parties dont seule la première est budgétaire, alors que les quatre suivantes organisent des bouleversements structurels. Alors que la deuxième partie de la loi instaure la dérégulation des statuts des jeunes chercheurs et met à mal l’indépendance de la recherche en permettant de contourner le recrutement par les pairs, la troisième partie conforte l’évaluation punitive et l’injonction aux résultats pour toutes les formes de contractualisation. La quatrième partie comporte des dispositions sur le cumul d’activités visant, comme la loi sur les retraites, à accroître la porosité entre le secteur public et le secteur privé. La cinquième partie contient les autorisations à légiférer par ordonnance sur un ensemble de dérégulations qui vont du transfert au privé de prérogatives de l’enseignement public aux règles de fonctionnement des fondations de coopération scientifique, en passant par les modalités de recrutement des chercheurs et des universitaires. Il est à souligner qu’une version plus longue de la loi, postérieure à la version du 9 janvier, réintègre une partie des ordonnances du Titre V dans le texte de loi lui-même. Quels sont les arbitrages qui ont conduit la ministre à affirmer que la LPPR serait réduite à la seule question budgétaire (Titre I), en l’amputant de ses quatre autres parties, sans en informer ni la communauté universitaire ni les parlementaires ? Est-ce à dire que le reste de la loi fera l’objet de décrets, d’ordonnances, voire de simples dispositions réglementaires ? Le hiatus irresponsable entre la communication ministérielle et le texte du projet de loi peut-il être expliqué par le départ de Mme Vidal du ministère dans les mois qui viennent ?

      En l’état, l’article 2 du projet de loi prévoit la programmation budgétaire pour 2021-2027, mais n’engage aucunement l’État au-delà de l’année budgétaire — dans le cas contraire, le Conseil d’État a rappelé que le projet serait inconstitutionnel. Cet article 2 propose de réaffecter une partie des sommes que l’État ne dépensera plus en cotisations pour les retraites en revalorisations indemnitaires — c’est-à-dire en primes plutôt qu’en revalorisation du point d’indice. Le salaire d’entrée d’un universitaire ou d’un chercheur est aujourd’hui, après reconstitution de carrière, de 1,8 SMIC en moyenne. Son salaire socialisé, qui comprend la cotisation de l’Etat pour sa retraite, baissera de 1,2 SMIC en 15 ans, comme prévu par l’article 18 de la loi sur les retraites. La revalorisation du salaire net à 2 SMIC ne restitue qu’une petite partie de cette somme (0,2 SMIC). La raréfaction des postes pérennes et la titularisation décalée de cinq à six ans, induite par les dispositifs de type tenure track, introduisent trouble et confusion dans l’annonce de revalorisation pour les futurs recrutés. Quant au soutien de base des laboratoires qui aurait désormais les faveurs de la ministre (« Nous avons besoin de soutien de base mais aussi de financement sur projet »), il est contredit par la loi : l’article 2 du projet de loi prévoit bien un accroissement des appels à projet, le budget de l’ANR étant augmenté par ponction dans les cotisations de retraites des universitaires et des chercheurs. Or la consultation en amont de la préparation de la loi a fait apparaître que neuf chercheurs et universitaires sur dix sont en faveur d’une augmentation des crédits récurrents et d’une limitation des appels à projet. Dans sa version du 9 janvier, la loi n’en tient nullement compte.

      Le statut des personnels des universités et de la recherche est au cœur de la loi. Nous devons accorder la plus grande attention au fait que les Titres II à V traitent tous de cette question. La LPPR vise en priorité une modification profonde des métiers, des missions, des catégories et des statuts des personnels. Le point le plus sensible est dans le Titre V : les modalités de recrutement des enseignants-chercheurs seraient modifiées par ordonnance. Sont en jeu le caractère national des concours, le contournement du CNU et la part des recrutements locaux. Une telle disposition, qui revient à statuer sans aucun débat parlementaire – et plus encore sans aucune consultation des chercheurs et des universitaires eux-mêmes – s’apparenterait à un coup de force revenant sur une tradition de collégialité longue de huit siècles selon laquelle les universitaires sont recrutés par leurs pairs. L’AUREF elle-même (Alliance des universités de recherche et de formation) a cru utile de redire dans son communiqué du 31 janvier dernier « son attachement au statut national de l’enseignant-chercheur et à l’évaluation par les pairs ». Au lieu de garantir et de consolider les statuts et le cadre national des concours de recrutement, qui sont les garants fondamentaux de l’équité, de l’exigence et de la qualité de l’Université et de la recherche, le projet de loi multiplie les nouveaux statuts dérogatoires, au risque d’aggraver la précarité qui mine notre système. Ainsi l’article 4 du projet de loi instaure les chaires de professeur junior (tenure track) d’une durée de cinq ou six ans et introduit par là-même un contournement des recrutements sur des postes statutaires pérennes. L’article 5 révise le cadre juridique du contrat doctoral et l’article 6 prévoit un nouveau mode de recrutement échappant à la collégialité, aux statuts et aux droits associés : le « CDI de mission scientifique ». Par ailleurs, les articles 7 et 11 du projet de loi prévoient la dérégulation du cumul d’activités, permettant l’emploi par le secteur privé de salariés du public, hors de tout contrôle. Dérégulations et contractualisation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une précarisation et une dépossession accrues des métiers de l’enseignement et de la recherche. Si l’on en croit la ministre, « la recherche française souffre d’une baisse de l’attractivité de ses carrières », mais la loi qu’elle conçoit ne fera qu’aggraver la situation, en sacrifiant une génération de jeunes chercheurs.

      En initiant une candidature collective à la présidence du HCÉRES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), nous avons ciblé avec justesse l’instance qui jouera un rôle cardinal dans la nouvelle architecture de l’ESR. Plus encore que la seule carrière des universitaires et les modifications statutaires, l’évaluation définira et structurera tout l’enseignement supérieur et la recherche. Toute contractualisation se fera avec une rétroaction de l’évaluation sur les moyens, amplifiant ainsi l’obligation de résultats quantitatifs. Les articles 8 à 10 instaurent un conditionnement fort des moyens alloués aux résultats obtenus : l’évaluation-sanction des laboratoires, des établissements et des formations (HCÉRES), comme celle des chercheurs (ANR), deviendra la norme. Selon la ministre, « ce qui fait la spécificité de notre communauté, c’est d’être dans une compétition qui implique un travail d’équipe. C’est ce qu’on appelle “coopétition” — ce mot-valise qui mêle compétition et coopération — traduit bien l’émulation collective qui définit la recherche ». Non. Ce sont la collaboration fertile et la disputatio qui fondent la recherche. La compétition, quel que soit le nom par lequel on la désigne, dénature le travail des universitaires, accroît les inconduites scientifiques et met en difficulté les laboratoires, les composantes et les services. En outre, fondée presque exclusivement sur une pratique exacerbée de l’évaluation quantitative, elle favorise la reproduction, le conformisme, les situations de rente et les pouvoirs installés. La science a pour seule vocation la société qui la sollicite et pour seul objet l’inconnu qui est devant elle. Elle a besoin du temps long. Une loi de programmation qui la soumet à la seule concurrence, aux évaluations-sanctions permanentes et aux impératifs de rentabilité à court terme, la conduit à sa perte.

      Dès lors, quel peut être l’avenir d’une telle loi ? A-t-elle même encore un avenir ? La défiance de la haute fonction publique et de la technostructure politique vis-à-vis des universitaires et des chercheurs a gâché l’occasion historique d’écrire enfin une loi de refondation d’une Université et d’une recherche à la hauteur des enjeux démocratique, climatique et égalitaire de notre temps.

      Une telle loi impliquerait des mesures énergiques de refinancement, un grand nettoyage de la technostructure administrative accumulée depuis quinze ans et un retour aux sources de l’autonomie du monde savant et des libertés académiques. Ainsi que l’a fort bien dit le président du Sénat, M. Larcher, au sujet de la LPPR : « Il faut d’abord trouver un agenda, un contenu et des moyens, mais peut-être aussi une méthode d’approche. » De tout ceci le ministère s’est bien peu soucié, et c’est la communauté académique qui en paiera le prix fort. Nous devons tout recommencer.

      Car, parmi les trois scénarios désormais envisageables, aucun n’est satisfaisant. Soit la loi ne comprendra in fine que la partie budgétaire et se concentrera sur la réaffectation d’une partie des cotisations de retraites que l’État ne versera plus. Soit elle sera retirée afin de soustraire un gouvernement très affaibli à une fronde des universitaires et des chercheurs qui, laissant leurs différences partisanes de côté, se montrent aujourd’hui prêts à réaffirmer les fondements de leurs métiers. Soit les réformes structurelles et statutaires passeront par des décrets, par des cavaliers législatifs et par des ordonnances, ou par une combinaison de ces trois voies. Ce serait le pire scénario, car il supprimerait toute occasion d’un débat public et contradictoire sur la politique de la recherche en France.

      Analyse de RogueESR, reçue par email via la mailing-list de mobilisation, le 10.02.2020

      Disponible aussi ici :
      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/100220/devoilement-et-analyse-de-la-loi-de-programmation-de-la-recherche

    • Loi de programmation pluriannuelle de la recherche : « Une réforme néolibérale contre la science et les femmes »

      Depuis quelques semaines, les protestations grondent dans le monde universitaire contre le projet gouvernemental annoncé d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Cette réforme, inscrite dans le sillage de politiques néolibérales engagées au milieu des années 2000, prévoit de diminuer encore davantage le nombre d’emplois publics stables au profit d’emplois précaires, de concentrer les moyens sur une minorité d’établissements, de subordonner la production scientifique à des priorités politiques de courte vue, d’accroître les inégalités de rémunération et de soumettre les universitaires et chercheurs à une évaluation gestionnaire plutôt qu’à celle de leurs pairs.

      On connaît les effets délétères que ces politiques vont continuer d’engendrer sur la diversité, l’originalité et l’excellence des savoirs produits, sur la qualité de la formation dispensée aux jeunes générations et, in fine, sur la capacité de la France à répondre à de grands défis de société, comme l’urgence environnementale, les problèmes de santé publique, ou encore la montée des régimes autoritaires.

      « #Gestionnarisation » à outrance de l’université

      Les technocrates qui font ces réformes, coupés de nos métiers, ne voient pas que la « gestionnarisation » à outrance de l’université, comme celle de l’hôpital, est « contre-performante », pour reprendre leurs termes. Mais ces projets contiennent une autre menace, plus rarement dénoncée : ils vont accroître les inégalités liées à la classe, à l’assignation ethnoraciale, à la nationalité, au handicap, à l’âge, ainsi que les inégalités entre les femmes et les hommes.

      Le monde académique, qui fut jusqu’aux années 1970 un bastion masculin, ne diffère pas d’autres univers de travail : les hommes y occupent la plupart des positions dominantes. Alors que les femmes représentent 44 % des docteurs, elles sont 45 % des maîtres de conférences mais 25 % des professeurs des universités.

      En fait, 83 % des universités et 95 % des regroupements d’établissements (ComUE) sont dirigés par des hommes. Les femmes sont concentrées dans les fonctions les moins valorisées et rémunératrices, et les plus exposées à la détérioration continue des conditions de travail : au CNRS, elles représentent 65 % des personnels administratifs et techniques de catégories B ou C, mais 34 % seulement des chercheurs (catégorie A +), ce qui place d’ailleurs la France au bas des classements européens en la matière.

      « Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur »

      Les inégalités sont donc déjà là, mais les réformes à venir, en concentrant les ressources sur un petit nombre d’établissements et d’individus « performants », vont les aggraver. Le modèle promu est celui d’un chercheur au parcours précoce et linéaire, parfaitement mobile, mué en manageur et fundraiser [celui qui collecte les fonds], à la tête d’une équipe composée majoritairement de petites mains au statut précaire, lui permettant de publier en quantité.
      Précarisation accrue

      Parce que les hommes bénéficient plus souvent de certaines ressources (certitude de soi forgée dans la socialisation masculine, soutien de leur conjointe, accès à des réseaux de pouvoir, présomption de compétence, etc.), ils sont les gagnants de ce système fondé sur la compétition individuelle et le principe du winner takes it all [« le gagnant rafle tout »].

      Le bataillon des travailleuses et travailleurs invisibles de l’excellence scientifique, exclu des privilèges symboliques et matériels accaparés par une minorité d’individus, continuera, quant à lui, à se féminiser. Un bilan des réformes déjà menées atteste ce renforcement des inégalités. En France, par exemple, l’introduction de « primes au mérite », aux critères opaques, n’a fait qu’accroître les écarts de rémunération : les femmes représentaient 29 % des récipiendaires de la « prime d’encadrement doctoral et de recherche » en 2017, alors qu’elles étaient 38 % du vivier.

      Dans des pays généralement présentés comme des modèles à suivre, la précarisation des emplois s’est considérablement accrue, frappant plus durement les femmes. Aux Etats-Unis, en 2013, les femmes n’occupaient que 38 % des emplois permanents (tenured jobs), un statut de plus en plus rare (moins de 30 % de l’ensemble des postes), mais leur part était estimée à 62 % des emplois précaires à temps partiel (adjuncts).

      En Allemagne, les contrats courts représentent aujourd’hui 80 % des emplois scientifiques. Au sein de cette armée du Mittelbau au service de mandarins, les femmes sont surreprésentées : en 2014, 77 % des enseignantes-chercheuses avaient un contrat à durée limitée (contre 64 % des enseignants-chercheurs) et, parmi elles, 51 % travaillaient à temps partiel (contre 30 % parmi les hommes). En haut de la pyramide, les hommes composent plus des trois quarts du corps professoral titularisé.
      Développer une approche structurelle

      Le monde académique affiche pourtant une forte préoccupation en matière d’égalité femmes-hommes. L’obligation de représentation équilibrée dans différentes instances, et les politiques menées dans certains établissements (campagnes contre les violences sexistes et le harcèlement, notamment) ont amélioré la position de certaines femmes. Mais ces initiatives se condamnent à être un simple affichage pour les classements internationaux si elles s’appuient sur une approche individuelle, plutôt que structurelle, des inégalités.

      Si le gouvernement souhaite réellement que la France demeure un pays d’excellence scientifique et dispense une formation de qualité aux générations futures, tout en soutenant avec force les valeurs d’égalité, il est urgent de construire un autre projet pour l’université et la recherche publiques : un projet ambitieux, fondé sur la création massive d’emplois stables, sur un financement public pérenne, sur la collaboration scientifique, sur des garanties d’indépendance à l’égard des pressions politiques et gestionnaires, mais aussi sur des mesures transformatrices contre les inégalités, les discriminations et les violences au travail.

      Sans ces impératifs, c’est non seulement la science, mais aussi les femmes scientifiques, qui seront sacrifiées sur l’autel de la concurrence effrénée et de la « #managérialisation » de l’enseignement et de la recherche.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche-une-reforme-neoliberale-c

    • Tuer l’enseignement en massacrant la recherche ?

      Lors de mon premier cours de L2 du semestre, j’ai expliqué aux étudiants les enjeux de la LPPR et les raisons de la colère que ce projet de loi provoque dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. « Loi de programmation pluriannuelle de la recherche », force est de constater que son nom même n’invite pas à se positionner sur ses enjeux en termes d’enseignement, et il me semble que cette question, sans être absente, reste seconde dans la plupart des prises de position qui courent depuis plusieurs semaines.

      Les attaques sur la recherche, sur les carrières des jeunes chercheur∙se∙s, l’accroissement de la tension autour des appels à projets chronophages et déprimants, le mépris affiché, via la promotion de « l’excellence » et des « talents » qui nécessairement viendraient d’ailleurs, pour la recherche pratiquée actuellement dans les universités, sont autant de points d’ancrage d’une opposition multiforme (et je ne reviens pas ici sur la question de la grève « générale », « un peu faite », « pas faite », dont j’ai parlé ailleurs). Dans ce que j’ai dit aux étudiant∙e∙s, j’ai abordé tout ceci. J’ai cependant insisté également sur les conséquences lourdes de cette évolution que l’on tente de nous imposer – que l’on nous impose de fait depuis une bonne décennie – en termes d’enseignement, et notamment d’enseignement de premier cycle, ou de continuité de la formation, ou de maintien de chances sinon égales (il y a longtemps qu’elles ne le sont plus), du moins accessibles au plus grand nombre.

      Plusieurs éléments me semblent devoir être pris en compte :

      Le risque clair d’une distinction croissante (là encore, arrêtons de faire comme si elle n’existait pas : bien des dispositifs existent aujourd’hui pour que quelques-uns mettent en œuvre l’excellence de leur recherche en enseignant le moins possible) entre enseignant∙e∙s et chercheur∙se.
      Que ce soit par ces fameux tenure tracks « à la française », par le renforcement du principe de l’appel à projets en matière de recherche, qui permet aux lauréats d’éventuellement négocier leur charge d’enseignement, par le recours à des contractuels d’enseignement aux dépens des postes d’ATER ou de maître∙sse∙s de conférences, tout concourt à distinguer une majorité dévolue aux basses tâches d’enseignement, notamment de premier cycle, et une minorité qui a besoin de tellement plus de temps pour faire une recherche tellement plus intéressante. C’est totalement délétère, et pas seulement parce que la majorité aimerait disposer de plus de temps pour sa recherche : c’est ruiner la spécificité de l’université dans l’enseignement supérieur français, à savoir cette association des deux fonctions dans une seule et même personne, l’enseignant∙e-chercheur∙se. L’université est un lieu de formation à et par la recherche.
      On me rétorque volontiers que ce n’est pas (plus) vrai en premier cycle : je pense pour ma part que ce l’est toujours, et que c’est ce qui fait la qualité de cet enseignement, qui n’est pas là pour donner une masse de connaissances, mais bel et bien des compétences (qui ne sont pas nécessairement une grossièreté, si on arrête d’en faire l’alpha et l’oméga des formations, de la communication et de l’employabilité immédiate), intimement liées à cette pratique de la recherche par les enseignant∙e∙s.
      Cette distinction se fera non seulement entre enseignant∙e∙s, mais entre établissements, entre universités « de recherche » et universités « tout court » (auquelles on donnera toujours le nom d’universités pour maintenir l’illusion…). Là encore, rien de nouveau sous le soleil, mais c’est l’accentuation d’une tendance qui, en dehors de donner des aigreurs à certains enseignants-chercheurs considérant qu’ils sont sous-employés, et/ou sous-estimés, en enseignant dans une « PMU » (petite et moyenne université), fragilise surtout les étudiants les moins armés pour intégrer grandes classes préparatoires, grandes écoles, grandes universités. Or, maintenir un premier cycle de grande qualité partout est un devoir de l’État, une responsabilité collective, afin que les perspectives d’avenir ne soient pas réservées à quelques cercles étroits. Croire qu’un étudiant « qui veut, peut », à 18 ans, en sortant du lycée, c’est au mieux de la naïveté.
      La précarisation touche principalement, on le sait, l’enseignement de premier cycle, et plus précisément de L1 et L2. Dans un contexte de sous-encadrement, les titulaires ont tendance à délaisser les premières années, pour des raisons qui vont de leur intérêt propre (beaucoup trouvent ça plus intéressant, plus gratifiant, et voient dans les L3 les viviers où trouver de futurs masterant∙e∙s, puis doctorant∙e∙s) à la logique considérant que l’expérience accumulée permet de préparer plus aisément un cours plus avancé du cursus. Soit dit en passant, étant donné le nombre de précaires qui ont toutes les qualifications d’un titulaire et une expérience longue comme le bras, ce dernier point peut évidemment se discuter. Quoiqu’il en soit, de fait, et quelle que soit la qualité et le dévouement des « chargé∙e∙s de cours », cette précarisation a des effets négatifs sur l’enseignement : d’une part, nos collègues cumulent ces enseignements avec un ou plusieurs autres postes, et une activité de recherche qu’ils maintiennent dans l’espoir d’accéder à un poste de MCF un jour ; ce n’est pas leur faire offense, je pense, que de croire que cela ne leur permet pas de préparer ces enseignements dans les meilleures conditions. D’autre part, les équipes pédagogiques sont rarement stables, évoluant au gré des mutations de nos collègues du secondaire, des dysfonctionnements chroniques quant à leur (médiocre) rémunération, des aléas des services des titulaires. La notion même d’ « équipe pédagogique » semble souvent bien difficile à défendre, notamment en L1, quand le nombre de groupes de TD et les conditions de travail des uns et des autres rendent toute rencontre quasi impossible. La communication par courriel a des limites que nous connaissons tous… Oui, je pense que l’enseignement mérite d’être assuré par des titulaires sereins sur leur avenir.

      Un vice-président d’université m’a dit un jour qu’il était normal de ne pas mettre de moyens sur la première année, puisque de toute façon cela ne sert à rien (comprendre : la L1 sert à trier ceux qui suivront et les autres qui n’ont rien à faire là, et faire des TD à 70 ou 25 n’y change rien), et qu’il fallait se concentrer sur les années supérieures, et notamment le second cycle (le master) afin de développer la recherche. Avec des principes comme celui-ci, évidemment, la précarisation ou l’exploitation des enseignant∙e∙s en charge des premières années est somme toute logique : après tout, leur fonction n’est finalement pas tellement de former au mieux ces jeunes femmes et ces jeunes hommes, mais de s’assurer qu’un nombre raisonnable, mais pas trop élevé sous peine de déséquilibrer le budget de leur établissement, accèdera à l’année supérieure. Il me semble que toute la LPPR repose sur cette logique-ci, en fait, et je trouve cela proprement dramatique – et pas seulement parce qu’avec les perpectives actuelles, on se demande bien pourquoi vouloir à tout crin former des chercheur∙se∙ L’université est un lieu de construction et de diffusion du savoir, et des méthodes de construction du savoir (cette phrase est fort alambiquée, je le reconnais), accessible en principe à toutes et tous. Le mépris du corps enseignant et de la fonction même d’enseignant∙e-chercheur∙se telle qu’elle existe aujourd’hui est aussi un profond mépris de nos étudiant∙e∙s.

      https://academia.hypotheses.org/11700

    • Le sommaire du projet de loi dans une version de travail du 09/01

      Extraits d’une dépêche du 7 février 2020

      Intitulé « Dispositions relatives aux orientations stratégiques de la recherche et à la programmation financière », le titre I de cette version se décompose en trois articles, dont un article 2 sur la programmation budgétaire 2021-2027, les financements de l’ANR et la trajectoire de l’emploi scientifique.

      L’article 3 vise lui à « exonérer les EPST de la taxe sur les salaires ».

      Le titre II du projet de loi vise à « Attirer et retenir les meilleurs scientifiques » via

      des chaires de professeur junior (art.4),
      la fixation d’un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral (art.5),
      des « CDI de mission scientifique » (art.6) et

      des mesures de simplification en matière de cumul d’activités (art.7).
      Le titre III s’attache lui à « Mieux piloter la recherche et encourager la performance » via une « rénovation de la contractualisation et évaluation », et des mesures concernant les unités de recherche et l’ANR (articles 8 à 10).

      L’objectif du titre IV est de « Diffuser la recherche dans l’économie et la société » par :

      l’élargissement des mobilités par les dispositifs de cumul d’activités à temps partiel (art. 11) ;
      la protection du secret des sources (art. 12) ; et un « droit de courte citation des images » (art.13).

      Enfin, baptisé « Mesures de simplifications et autres mesures », un titre V propose :

      la « prolongation de l’expérimentation bac pro BTS »,
      une « ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentateurs »

      et des habilitations à légiférer par ORDONNANCES sur les points suivants :

      enseignement privé ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement interne des EPSCP ;
      simplification de l’organisation et du fonctionnement des fondations de coopération scientifique, de l’Institut de France et des académies qu’il regroupe ;
      simplification du contentieux relatif au recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs.

      Selon les informations de News Tank, les évolutions apportées depuis le 09/01 à cette version concernent, entre autres, une réduction de la liste des points concernés par les ordonnances, avec réintégration de certains dans le corps du projet de loi.


      *

      Selon une autre source, ce projet de loi est complètement abandonné. Il n’en reste pas moins que ce texte ponctue, plutôt qu’il n’initie, des pratiques qui ont déjà cours dans l’esneignement supérieur et dans la recherche, ou peuvent être mises en œuvre par voie réglementaire.

      https://academia.hypotheses.org/11740

    • Quelques réflexions sur les politiques scientifiques françaises

      La section 6 du Comité national de la recherche scientifique a invité les chercheurs et chercheuses qui devaient lui envoyer leurs rapports et des projets de recherche à leur joindre, si tel était leur souhait, leurs doléances concernant les politiques actuelles en matière de recherche en France et les projets d’évolution de ces politiques. Je n’avais pas un temps énorme à consacrer à cela, d’où un caractère assez décousu de mes réflexions, mais j’ai rédige le texte suivant :

      On annonce une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Il ne faudrait pas que celle-ci, censée apporter du dynamisme dans la science française, alourdisse au contraire la bureaucratie au détriment des intérêts de recherche et d’enseignement. Je vais ici passer en revue quelques dysfonctionnements du système actuel et fausses bonnes idées de réformes, et parfois formuler des suggestions.
      Des financements sur projet inefficaces

      Bien loin d’être le système « darwinien » bénéficiant aux recherches les plus prometteuses, le maquis d’appels à projets à tous niveaux (établissement, région, agences d’état, Europe…) est au contraire inefficace et n’alloue pas les ressources où il le faudrait. Les raisons en sont multiples.

      Le financement des doctorants et post-doctorants sur projets aboutit à ne pas pouvoir recruter, faute d’argent, les personnes intéressantes quand elles sont disponibles, et parfois à recruter des personnes qui n’auraient pas dû l’être, de peur de perdre un budget. Paradoxal, alors qu’on prétend que ce système est censé financer les meilleurs.

      Certains appels à projet (RIA…) imposent un lourd formatage, avec usage d’une langue de bois et de figures imposées (impact sociétal, impact sur la compétitivité…), tellement éloignées de la science que des prestataires privés se proposent pour aider les chercheurs à monter des dossiers. Beaucoup d’énergie, de temps de travail, et d’argent se perdent dans une bureaucratie tant publique que privée.

      Les taux d’acceptation trop bas de certains appels à projets, notamment de l’ANR, conduisent les chercheurs à déposer trop fréquemment des dossiers, au prix d’un travail de montage important et d’un grand stress — dossiers qu’il faut ensuite évaluer, là encore temps de travail.

      Quant aux projets ERC, si leur évaluation est plus scientifique et moins bureaucratique, ils ne sont pas forcément adaptés : ils concentrent des moyens considérables sur un petit nombre de lauréats, qui ensuite peinent à recruter les personnels contractuels ainsi financés (j’en ai fait l’expérience).

      On nous parle sans cesse d’une science qui devrait être agile, mal servie par des structures vétustes. Or le système des appels à projets est le contraire de l’agilité. Le délai entre la demande de financement et la conclusion du contrat est élevé et souvent incertain (ce qui empêche de prospecter efficacement en amont pour des embauches de contractuels, les candidats exigeant en général une date ferme). On attend parfois des chercheurs qu’ils présentent un planning précis, découpé en tâches et sous-tâches, avec un diagramme de GANTT, présentant d’avance à quelle date telle ou telle découverte aura été faite, et ce sur 4 ou 5 ans !

      Les règles de fonctionnement des appels à projets changent régulièrement, parfois en cours de route. Ceci crée du stress auprès des services administratifs et financiers, dont la hantise est que telle ou telle dépense ne soit pas considérée comme « justifiable » ; ces services ont donc tendance à imposer des restrictions supplémentaires, au cas où. Certains appels ont des règles de fonctionnement biscornues, permettant par exemple de rémunérer des contractuels mais pas des stagiaires de master. Là encore, les chercheurs dépensent une énergie considérable à contourner des problèmes administratifs, même s’ils ont obtenu un financement.

      Notons un paradoxe. On nous dit qu’il faudrait que les universités et organismes recherchent plus de financements industriels, mais en fait le système fonctionne à l’envers : les industriels et notamment leur R&D recherchent constamment des subventions publiques !
      Un manque de financements doctoraux

      Dans notre école doctorale, seuls 15% des doctorants (environ) bénéficient d’un contrat doctoral sur budget de l’école doctorale (« bourses du Ministère »), les autres étant financés par d’autres biais (une minorité de CIFRE, mais principalement des contrats de recherche). C’est insuffisant : de bons étudiants se voient refuser de tels contrats. L’intérêt scientifique serait probablement mieux servi s’il y avait un budget suffisant pour plus de contrats doctoraux, quitte à prendre le budget sur d’autres modes de financement.

      Un intérêt des financements sur contrat, dans certains contextes, a été de permettre à de jeunes chercheurs d’avoir un budget et des doctorants alors que des « mandarins » locaux le leur auraient refusé. Il faudrait donc prendre garde à ce que les procédures d’attribution de ce nombre accru de financements doctoraux non liés à des projets ne souffrent pas du mandarinat.
      Une multiplication de structures à la gestion hasardeuse

      On a multiplié les structures de recherche hors du cadre du fonctionnement normal des organismes : IDEX (initiative d’excellence), LABEX (laboratoire d’excellence), IRT (institut de recherche technologique)… Chacune de ces structures dispose de budgets et de règles de fonctionnement spécifiques (il semble ainsi que le statut juridique et le mode de fonctionnement change d’un IRT à l’autre). Ceci multiplie les catégories administratives et complexifie la gestion.

      Parfois, ces structures (LABEX, IRT) ne sont pas pérennes, mais renouvelés par périodes, ce qui interdit notamment de pouvoir enclencher un projet qui recouvre deux périodes (puisque rien ne garantit que le budget pour la période suivante). Il y a parfois une période de césure entre la fin d’une structure et son renouvellement, qui imposerait de renvoyer les personnels pour les réembaucher quelques mois plus tard. Ceci n’est guère respectueux des personnels ainsi précarisés.

      À plus grande échelle, les restructurations incessantes enclenchées depuis dix ans (constitution de communautés d’universités aux contours changeants, fusions d’universités, établissements expérimentaux…) ont créé de l’incertitude et du stress, et nécessité un important travail. Sans prétendre qu’il faille sacraliser des structures, des découpages, qui peuvent dans certains cas être dépassés, on doit cependant rappeler que les restructurations ne devraient avoir pour objectif que l’amélioration de la recherche et de l’enseignement et non un affichage politique.
      Une évaluation lourde et bureaucratique

      On raconte parfois que les chercheurs ne sont pas évalués et refusent de l’être. Ces remarques, parfois colportées dans les médias, ne collent pas à ma réalité. En 2019, j’ai rempli un compte-rendu d’activité (CRAC) et un dossier de demande de promotion, et rédigé une part importante d’un rapport de laboratoire pour l’HCERES. En janvier 2020, j’ai rédigé un compte-rendu d’activité et un projet quinquennaux personnels. Encore ai-je la chance (du moins pour l’aspect évaluation) de ne pas être dans une équipe projet INRIA, sinon j’aurais à remplir un « Raweb ».

      L’évaluation par le HCERES mérite qu’on s’y attarde. Cet organisme, s’il fait expertiser les laboratoires par des comités d’experts du domaine, leur impose une grille rigide de rubriques de rédaction ; il impose aux laboratoires le remplissage de tableaux d’indicateurs souvent mal définis et d’intérêt douteux. La bureaucratie a pris le pas sur l’évaluation scientifique.

      L’usage d’indicateurs a ceci de pervers que les personnels évalués finissent par vouloir optimiser l’indicateur au détriment de ce que celui-ci était censé mesurer. Ainsi, on a prétendu mesurer la performance de chercheurs au nombre de leurs publications. La conséquence bien connue est que certains se sont mis à augmenter artificiellement le nombre de leurs publications, par exemple en découpant inutilement des travaux en plusieurs articles et en publiant des articles médiocres dans des revues peu sélectives (des revues se sont d’ailleurs créées pour cela). Même les bons chercheurs se sentent obligés de suivre. Ce phénomène est d’ailleurs accentué si l’on attribue des primes basées sur cet indicateur, comme cela se fait dans certains pays, ou si l’on attribue des budgets au prorata des publications, comme cela se fait hélas dans certains laboratoires français. Le CNRS a signé la déclaration de San Francisco (DORA), mais les premières questions des dossiers de promotion portent le nombre de publications au cours des n dernières années.

      La préparation de l’évaluation HCERES (simultanément des laboratoires, des formations, des écoles doctorales, de l’établissement entier) est une tâche lourde — et on dit que l’on voit une baisse des indicateurs de publication l’année de cette préparation. Une telle lourdeur est-elle vraiment nécessaire ?
      Des effets de mode et des coups de bélier

      Dans l’intérêt de la science et de la société, il est nécessaire de formuler et suivre une politique scientifique qui ne se limite pas à la reconduction des thématiques existantes. Il faut toutefois se défier d’un pilotage de la recherche à la traîne des thématiques à la mode, et dans certains cas vite démodées.

      Parfois, le pilotage se fait brutal. On a ainsi annoncé que l’intelligence artificielle était une priorité nationale. Soit. Puis, après des tergiversations, on a annoncé des instituts d’intelligence artificielle (3IA). Celui de Grenoble dispose d’un financement pour 40 nouveaux doctorants par an — à comparer avec les 15 financements distribués par le procédé normal. Où les trouver ? Les étudiants français visent souvent une carrière industrielle directement en sortie d’école d’ingénieur ; attirer des bons étudiants étrangers est difficile, et nécessite la construction de réseaux, de filières, qui ne monteront pas en charge du jour au lendemain.

      Ce pilotage binaire, avec ouverture et fermeture brutales de la vanne des crédits sur tel ou tel sujet, ne conduit là encore probablement pas à un bon usage des deniers publics. De même que l’on recommande de ne pas manier brutalement les vannes hydrauliques afin d’éviter des « coups de bélier », il conviendrait de ne pas agir ainsi avec la recherche.
      Des prescriptions bureaucratiques : l’exemple des Zones à Régime Restrictif

      La méthode bureaucratique souvent employée pour gérer la recherche publique peut être illustrée par la mise en place des « zones à régime restrictif » (ZRR). Rappelons ce dont il s’agit.

      On veut protéger les intérêts français tant industriels que stratégiques du pillage et de l’espionnage : vrai problème, objectif louable. Malheureusement, l’approche employée (le passage de certains laboratoires en ZRR), de l’avis de nombreux chercheurs et notamment de directeurs de laboratoires, est inadaptée. Je ne reviendrai pas sur les arguments (ils ont notamment été exposés par J.-M. Jézéquel, de l’IRISA), mais plutôt sur la méthode.

      On désigne apparemment comme « sensibles » des laboratoires ou des équipes sur la base de mots-clefs sans s’interroger sur ce que ceux-ci recouvrent et sur la réalité des dangers dans ces laboratoires ou ces équipes.

      On veut appliquer des procédures (e.g. restrictions d’accès de visiteurs) adaptées à des laboratoires où on laisse des échantillons de produits ou de matériels sensibles dans des salles d’expérimentation à des laboratoires où l’on n’a rien de cela.

      On ne tient compte ni des remarques des laboratoires concernant le caractère inadapté de certaines mesures de sécurité proposées, ni de leurs demandes d’améliorations de la sécurité plus adaptées à leur contexte (moyens de sécurité informatique, notamment).

      On est donc dans un système parfaitement bureaucratique : pilotage d’en haut sans prise en compte des réalités du terrain, négation de la compétence des acteurs de terrain à analyser leur situation.
      Les standards internationaux

      On justifie souvent les réformes dans la recherche française par l’idée qu’il faudrait mettre celle-ci au niveau des « standards internationaux ». On pourrait s’interroger sur cette notion, qui recouvre des réalités aussi différentes que celle des universités allemandes, étatsuniennes et chinoises, mais ce serait un trop long exercice pour ce texte. Je me bornerai donc à quelques constats.

      Lorsque l’on compare les universités françaises aux universités américaines, on pense à Stanford, Harvard, au MIT, où circulent massivement l’argent des agences fédérales (NSF, DARPA, ONR, DOE…) ; on ne pense pas aux community colleges. Or les universités françaises (même celles qui se présentent comme des « universités de recherche ») doivent à la fois remplir le rôle d’un community college et en même temps se mesurer aux universités internationalement les plus réputées. Leurs enseignants-chercheurs sont sommés de prendre en charge des effectifs importants, d’où des heures complémentaires d’enseignement au détriment de la recherche ; mais on va ensuite leur reprocher de ne pas assez publier dans des revues ou des conférences au plus haut niveau !

      L’université française, et ses personnels, est soumise à des injonctions contradictoires : il faut atteindre la visibilité et le dynamisme de recherche des plus célèbres universités internationales tout en n’en ayant pas les moyens budgétaires. Cela n’est pas tenable.
      Le statut des personnels

      Les chercheurs français sont comparativement moins bien payés que ceux d’autres pays. La France a en revanche divers atouts compétitifs, dont le statut de chercheur sans enseignement imposé dans les EPST dont le CNRS, et le statut de fonctionnaire accordé relativement tôt dans la carrière. On ne comprend donc pas très bien comment la qualité de la recherche française serait servie par la multiplication de statuts plus ou moins instables, sauf peut être en cas de salaires considérablement plus élevés que les actuels, ce qui ne semble guère compatible avec les contraintes budgétaires.

      Perspectives

      L’accumulation de réformes et de réorganisations (j’aurais pu aussi évoquer celles du baccalauréat, du DUT, des licences…) épuise les personnels, toujours sommés de s’adapter à une nouveauté incertaine, les réformes devant parfois être mises en place avant d’avoir été votées par le Parlement. Et on nous annonce encore d’autres réformes d’ampleur ! Peut-être serait-il pertinent de déjà faire fonctionner l’existant, en tentant de simplifier les structures, débureaucratiser les procédures, et mettre des moyens suffisants pour assurer les besoins d’enseignement.

      https://academia.hypotheses.org/12080

    • Ton université va craquer

      Si le mouvement de grève généralisé entamé en décembre 2019 semble peu à peu s’essouffler, certain·e·s, moins visibles ou moins médiatisé·e·s, continuent leur mobilisation. Les enseignant·e·s-chercheur·e·s, notamment, qui constatent une précarisation de leur situation et une crise de l’université généralisée. Parmi leurs moyens d’action : le fait de cesser de faire vivre, médiatiquement, le produit de leurs recherches.

      Dans quel état est l’université française aujourd’hui ? Que donnerait un espace public dont aurait disparu la parole des chercheur·e·s ?

      https://www.binge.audio/ton-universite-va-craquer

    • La recherche française en quête de modèle ?

      Alors que le gouvernement doit présenter une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, de nombreuses voix s’inquiètent de la remise en cause du modèle de la recherche française.

      À mes collègues scientifiques, je veux dire que le gouvernement a entendu leur appel à réinvestir massivement dans la recherche » : c’est dans une tribune publiée dans Le Monde que la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal a tenté de rassurer les acteurs du monde de la recherche scientifique ce lundi (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/10/frederique-vidal-a-mes-collegues-scientifiques-je-veux-dire-que-le-gouvernem).

      Le gouvernement finalise actuellement sa loi de programmation pluriannuelle de la recherche et a déjà annoncé une augmentation du budget pour la recherche à 3% du PIB. Mais de nombreux enseignants-chercheurs demeurent inquiets : aux conditions de travail, jugées de plus en plus difficiles, s’ajoutent les craintes de l’accroissement de la compétition au détriment de la coopération, de la précarisation des personnels ou encore d’une atteinte à l’indépendance de la recherche.

      Pour en parler, nous recevons Olivier Coutard, président de la conférence des présidents de sections du comité national de la recherche scientifique et socio-économiste, chercheur au CNRS et Sylvestre Huet, journaliste spécialisé en sciences depuis 30 ans, actuellement journaliste indépendant, auteur du blog sur le site du Monde “Sciences ²”.

      Ils seront rejoints en seconde partie d’émission par Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université d’Angers et membre du comité de mobilisation des facs et des labos en lutte, et Jean Chambaz, président de Sorbonne Université et de la Ligue européenne des universités de recherche, professeur de biologie cellulaire.

      "La société peut-elle résoudre ses problèmes avec une recherche publique stagnante ? Non. Depuis 20 ans, tous les gouvernements de l’Union Européenne ont constaté qu’il fallait augmenter l’effort de recherche public." Sylvestre Huet

      Aujourd’hui, la France décroche, en termes de performances, de capacités, de parts de production scientifique, à cause du budget. Jean Chambaz

      https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/la-recherche-francaise-en-quete-de-modele

    • LPPR : 2 SMIC pour les titulaires, des cacahuètes pour les précaires ?

      Après trois semaines de mobilisation contre le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR), la ministre F. Vidal a annoncé avec fracas dans ses voeux de début d’année une mesure censée mettre tout le monde d’accord : la revalorisation des salaires des “jeunes chercheurs” - c’est-à-dire, selon la ministre, les maître·sse·s de conférences (MCF) et chargé·e·s de recherche CNRS (CR) nouvellement recruté·e·s (1).Les médias ont largement relayé cet accès de générosité (2) : avec la LPPR, “la priorité ira aux jeunes chercheurs”. Vraiment ?

      L’ANCMSP ne considère pas que la revalorisation des salaires des primo-MCF et primo-CR, recruté·e·s en moyenne à 34 ans, soit une mesure qui donne la priorité aux “jeunes” chercheur·ses, ni la première des priorités en l’état actuel de la recherche et du service public universitaire. En prétendant répondre à la contestation par des étrennes dérisoires aux enseignant·e·s titulaires mobilisé·e·s, la ministre renouvelle son mépris pour la situation des véritables “jeunes chercheur·se·s”, à savoir les précaires de l’enseignement supérieur et de la recherche : doctorant·e·s, financé·e·s ou non, enseignant·e·s vacataires, docteur·e·s sans poste ou en contrats précaires, post-docs.

      Cette annonce est l’occasion pour l’ANCMSP de préciser ses positions concernant les rapports préparant la LPPR et la mobilisation en cours. Puisque la ministre nous promet une « revalorisation d’ensemble », cette mobilisation est l’occasion de protester à nouveau contre la précarisation généralisée dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), dont les personnels BIATSS et les chercheur·se·s non-titulaires sont les premier·e·s à faire les frais.

      Les rapports de la LPPR eux-mêmes en font le constat : l’ESR est sous-financé, les carrières doivent être “revalorisées” pour être “attractives”. Les solutions proposées sont pourtant étrangement baroques : “CDI de chantiers”, “CDD jeunes chercheurs” et “tenure tracks” complèteraient la jungle des statuts non-permanents. Pour l’ANCMSP, la création de nouveaux types de contrats, si elle répond à un besoin urgent de statuts plus stables pour les docteur·e·s, ne suffira pas pour freiner la précarité des candidat·e·s aux métiers de la science politique et LSHS.

      A côté de ces nouveaux statuts, la question du budget consacré aux doctorant·e·s et aux docteur·es n’est jamais abordée. Combien d’argent injecté dans l’ESR ? Pour qui ? Si la promesse faite par la Stratégie Lisbonne il y a vingt ans devait être concrétisée par la LPPR (3 % de PIB consacrés à l’ESR au lieu des 2,2% actuels), il y aurait de quoi en finir avec la précarité dans l’ESR. Rien de tel ne semble cependant prévu dans le projet actuel.
      Sur les “CDI de Chantier” et les “CDD Jeune Chercheur”

      “CDI de Chantier” :

      Contrats à durée indéterminée bien que limitée (3 à 6 ans préconisés) à la durée d’un projet, ces CDI temporaires ne sont pas une nouveauté et sont déjà rendus possibles par l’article 17 de la Loi n°2019-828 du 9 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui crée des “Contrats de projet” dans toutes les administrations de l’Etat pour une durée allant de 1 à 6 ans.

      Ces contrats sont des pis-aller faute de postes permanents ouverts au concours : ils contribuent à normaliser la précarité et s’avèrent cohérents avec la logique générale du financement par projet qui irrigue les rapports de la LPPR. Néanmoins, ces CDI de Chantier sont susceptibles de représenter une amélioration par rapport aux contrats de post-doc actuels. S’ils portent effectivement sur des projets de long terme avec une durée minimale de trois ans, ils représenteront une nette avancée par rapport aux contrats de post-doctorat indignes, de 3 mois à 1 an, qui sont monnaie courante.

      Malgré tout, ces contrats connaissent - comme un grand nombre des autres propositions faites par les rapports - des dispositions particulièrement floues. A la lecture des rapports, il est impossible de savoir s’ils sont destinés à remplacer les contrats de post-doctorat, s’ils sont susceptibles d’être interrompus avant la fin du “projet” pour lequel a été fait le recrutement (amenant donc à un remplacement qui serait de courte durée), quelle sera la rémunération de ces CDI de chantier, etc. La durée minimale (3 ans) et maximale (6 ans) de ces contrats n’est que “préconisée” et, par ailleurs, l’idée d’une durée minimale est en soi contradictoire avec l’objectif de faire correspondre la durée de ces contrats à la durée des projets. Enfin, la multiplication des évaluations des projets de recherche recommandée par les rapports augmente d’autant les risques de voir ces derniers stoppés en cours de route en cas d’évaluation négative - et les rémunérations des chercheur·se·s qui y sont engagés avec (3).

      “CDD Jeune Chercheur” :

      Ces contrats, qui “contribuerai[en]t à renforcer la lisibilité des situations d’emploi des jeunes docteurs en France”, sont supposés remplacer les post-doctorats et les ATER (mais n’est-ce pas là une mise en concurrence avec le merveilleux CDI de chantier ?). Une nouvelle fois, faute de postes permanents, ces contrats pourraient représenter une amélioration par rapport à la situation actuelle, puisque le rapport du groupe de travail n°2 (GT2) indique que “la durée totale des contrats “jeunes chercheurs” pourrait être limitée à six ans (soit deux fois trois ans)”. Toujours aussi imprécis dans la formulation et le chiffrage, le rapport ne permet pas néanmoins de savoir si ce nouveau statut est destiné à remplacer complètement le post-doctorat par des contrats correctement rémunérés de trois ans minimum qui pourraient bénéficier à chaque docteur·e·s qui le souhaite, ou à institutionnaliser la précarité en permettant à des “jeunes” chercheur·se·s déjà très âgé·e·s de poursuivre leur travail dans un ESR précarisé à l’extrême.
      Sur les tenure tracks : les excellent·e·s et les médiocres

      Enfin l’excellence ! Afin d’empêcher les “cerveaux de fuir” et “attirer les jeunes talents”, le rapport du GT2 sur la LPPR propose de créer un nouveau statut d’enseignant·e-chercheur·se : les “chaires d’excellence junior” ou “tenure-tracks”. Dans les trois ou quatre années qui suivraient la thèse, les bénéficiaires de ce nouveau statut seraient embauchés pour une durée allant de 5 à 7 ans. De manière dérogatoire aux concours de MCF et de CR, les bénéficiaires seraient recruté·e·s de manière définitive dans le cas où leurs évaluations intermédiaires et finales s’avèreraient positives (selon, bien sûr, “des critères d’excellence internationaux”).

      Le rapport du GT2 préconise de réserver ces “chaires d’excellence juniors” à seulement 150 docteur·e·s par an. Ceux-ci bénéficieraient d’un “volume raisonnable d’enseignement” (c’est-à-dire de décharges) ainsi que de la possibilité d’encadrer des doctorant·e·s sans HDR (Habilitation à Diriger des Recherches). Le rapport recommande que leur rémunération soit “compétitive au plan international”.

      Pour l’ANCMSP, ces “chaires d’excellence juniors” constituent des postes sur-dotés attribués à une petite élite de docteur·e·s jugé·e·s excellent·e·s tandis que la vaste majorité des autres n’obtiendront que des contrats médiocres (vacations, ATER, post-docs) pour assurer les enseignements dont les premier·e·s auront été déchargé·e·s. Ce dispositif ne permettrait donc en aucun cas de favoriser l’attractivité de la recherche publique et renforcerait les inégalités entre les docteur·e·s.
      Sur l’augmentation des contrats doctoraux : des mots, des mots, puis rien

      Le rapport du GT2 sur la LPPR établit les constats suivants, que l’ANCMSP partage amplement :

      Le nombre de docteur·e·s diplômé·e·s chaque année augmente (11 000 en 2000, 13 500 en 2009, 15 000 en 2017) alors que le nombre de postes d’EC diminue (2600 MCF et CR recrutés en 2009, 1700 en 2016) ;

      L’âge moyen de recrutement comme EC est tardif (34 ans pour les MCF, 33 ans pour les CR en 2016 ) ;

      Le nombre de primo-inscrit·e·s en doctorat chaque année est en baisse (-12% de doctorant·e·s primo-inscrit·e·s entre 2010 et 2017) et ceci particulièrement en SHS (8709 doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en 2010 contre 6844 en 2017) ;

      La durée du contrat doctoral (3 ans) est insuffisante ;

      Les doctorant·e·s en SHS restent largement sous-financé·e·s, puisque seulement 39% des doctorant·e·s primo-inscrit·e·s en SHS avaient un financement dédié pour la réalisation de leur thèse en 2017 (contre 70% toutes disciplines confondues) ;

      La rémunération prévue par le contrat doctoral est insuffisante : 1758 euros brut / mois sans mission d’enseignement (le SMIC étant fixé en 2018 à 1521 euros brut / mois).

      Très logiquement, le rapport du GT2 recommande de “généraliser [...] le fait que les doctorants en formation initiale aient un financement dédié pour réaliser leur thèse”, allonger la durée du contrat doctoral et revaloriser les rémunérations (1,5 fois le SMIC, soit 2281 euros brut / mensuel). Le rapport du GT2 propose également d’augmenter les thèses réalisées en CIFRE en portant leur nombre à 2000 toutes disciplines confondues (contre 1500 CIFRE en 2018).

      Bien moins logiquement, aucune proposition budgétaire n’est formulée pour satisfaire ces objectifs. L’absence de mesures chiffrées implique que la revalorisation et la généralisation promises des contrats doctoraux ne sont rien d’autre que des voeux pieux qui n’engagent personne, ce qui est pour le moins fâcheux dans une Loi dite de “Programmation Pluriannuelle” de la Recherche.

      Dans sa contribution aux groupes de travail sur la LPPR, la Confédération des Jeunes Chercheurs (CJC) a calculé que la généralisation des financements dédiés pour les seul·e·s doctorant·e·s en Lettres et SHS représente un effort financier de 726,2 millions d’euros sur les six prochaines années (4). Cet effort permettrait de financer les 3 875 contrats manquants pour les doctorant·e·s qui débutent chaque année une thèse en Lettres et SHS.

      Par conséquent, au vu des besoins, l’absence d’engagement chiffré dans les rapports amène l’ANCMSP à conclure que la LPPR ne prévoit en aucun cas de résorber la précarité des doctorant·es dans l’ESR. Les sommes annoncées par F. Vidal lors de ses voeux (26 millions d’euros) afin de réduire la précarité des “jeunes chercheurs” (qui sont en fait les MCF et CR nouvellement recruté·e·s, et non les doctorant·es ou docteur·es) apparaissent dérisoires, sinon insultantes.

      L’ANCSMP appelle à un véritable plan de financement pluriannuel afin que chaque doctorant·e en science politique, en Lettres et SHS et dans toutes les autres disciplines bénéficie d’un financement dédié pour réaliser sa thèse.
      Sur ce que ne disent pas les rapports : les vacations et la question de l’enseignement

      Nous partageons donc les constats énoncés par les rapports sur la situation de trop grande précarité des chercheur·se·s non-titulaires. Mais quand les rapports se posent les bonnes questions, leurs réponses sont en revanche peu intelligibles. L’ANCMSP s’inquiète de l’absence au sein des trois rapports de la question de l’enseignement, qui se trouve pourtant au coeur des dysfonctionnements de l’ESR.

      En effet le gouvernement prétend faire une loi sur la recherche universitaire sans jamais parler d’enseignement (à l’exception de la proposition tant critiquée de faciliter la modulation de services des EC titulaires). L’expansion désastreuse du recours aux Attachés Temporaires Vacataires (ATV) et aux Chargés d’Enseignement Vacataires (CEV) pour pallier les manques d’effectifs enseignants ne fait ainsi l’objet d’aucune ligne. Pourtant, les universités françaises ne fonctionneraient simplement pas sans les quelques 130 000 vacataires qui y enseignent dans des conditions inadmissibles (5).

      Puisque les rapports ne fournissent aucun chiffre sur les enseignant·e·s précaires, en grande majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s payé·e·s en-dessous du SMIC pour effectuer un travail équivalent à celui de chercheur·se·s sous contrat, l’ANCMSP rappelle les points suivants :

      En France, les enseignant·e·s vacataires représentent plus de 130 000 personnes, sur lesquel·le·s repose une immense part des enseignements de premier cycle. Parmi ces enseignant·e·s, 17 000 effectuent au moins 96 heures équivalent TD, soit la moitié d’un service de MCF (6).

      Ces enseignant·e·s vacataires sont rémunérés à la tâche, non mensuellement mais une à deux fois par an en fin de semestre, à hauteur de 9,89 euros brut l’heure de travail effectif - soit 26 centimes en dessous du SMIC horaire depuis le 1er janvier 2020 (7). Ils ne bénéficient d’aucune protection sociale (chômage, maladie, congé parental), ni ne peuvent justifier de feuilles de paie régulières ou d’un statut de personnel de l’université.

      Ces “postes” invraisemblables sont en très large majorité occupés, rappelons-le, par des doctorant·e·s et des docteur·e·s non-financé·e·s pour leurs recherches, dont la part est bien supérieure en SHS qu’ailleurs (60% des doctorant·e·s).

      Dans ces conditions, alors que les effectifs d’étudiant·e·s augmentent chaque année, tandis que le nombre de postes titulaires mis au concours diminue, et que le recours aux travailleur.se.s précaires ne fait que s’accroître, l’ANCSMP s’interroge sur ce que signifie “l’attractivité de l’emploi scientifique” pour le gouvernement. Tolérer un recours aussi abusif à la vacation, c’est en effet faire peu de cas de l’attractivité des métiers de la recherche et de l’enseignement. C’est également mépriser ce que devrait signifier l’apprentissage universitaire, quand celui-ci repose en grande partie sur des enseignant·e·s employé·e·s dans des conditions indignes.

      Nous attendons d’une réforme budgétaire de l’ESR qu’elle redonne son sens initial au mot vacations : des contrats pour des interventions extérieures exceptionnelles ; et que celles-ci soient remplacées par des recrutements, a minima en CDD d’enseignement pour tou.te.s les vacataires ATV. Nous nous étonnons que, malgré l’expertise produite par l’ANCMSP et la Confédération des Jeunes Chercheurs depuis plusieurs années, et la connaissance détaillée de cette situation catastrophique des chercheur·se·s non-titulaires, ces dernier·e·s se trouvent systématiquement absent·e·s des allocations budgétaires et des revendications corporatistes de titulaires.
      Conclusion : Que vaut l’ESR ? 2 SMIC et des cacahuètes

      Les réformes proposées par la LPPR partent du constat - partagé par l’ANCMSP - du sous-financement de l’ESR. Mais les solutions évoquées dans les rapports sont grotesques et les rares propositions budgétaires plus qu’en-deçà de la situation. Il serait temps de réfléchir à l’endroit où doit aller l’argent.

      Si le statut des MCF et CR en début de carrière peut être considéré problématique, celui des enseignant·e·s vacataires n’est simplement plus tolérable. Comment Mme Vidal peut-elle se réjouir de faire (faussement) passer le salaire des MCF et CR en début de carrière au double du SMIC, alors que des milliers d’enseignant.es chercheur·se·s sont des précaires payé·e·s en dessous du SMIC ?

      Même cette revalorisation du salaire des MCF et CR nouvellement recruté·e·s à deux SMIC promise par F. Vidal lors de ses voeux est un leurre grossier (8). Personne ne peut se réjouir de ces annonces mensongères : divisée par le nombre total d’agent·e·s employé·e·s dans l’ESR, l’enveloppe promise de 92 millions d’euros distribués en primes ne représente en moyenne que 38€ brut / mois par personne (9)... Cerise sur le gâteau, les propres chiffres du gouvernement montrent que les enseignant·e·s-chercheur·e·s verront leurs retraites diminuer si le projet de réforme actuel est adopté (10).

      Au vu du montant ridicule des sommes annoncées par F. Vidal pour les "jeunes chercheurs", l’ANCSMP doute fortement que l’objectif promis par la Stratégie de Lisbonne de consacrer 3% du PIB à la recherche soit tenue par la LPPR. Seule une augmentation réelle du budget public consacré à l’ESR (3% du PIB, au rythme de 3 milliards d’euros supplémentaires par an sur les dix prochaines années, ainsi que le revendique l’intersyndicale de l’ESR) permettrait d’en finir avec la précarité des “jeunes” chercheur·se·s, redonner son “attractivité” à la recherche publique et recruter de manière pérenne les personnel·le·s enseignant·e·s chercheur·e·s et BIATSS qui manquent actuellement.

      L’enveloppe de 118 millions annoncée par le Ministère pour les “jeunes” chercheur·se·s et la “revalorisation” indemnitaire des carrières représente donc une goutte d’eau dans l’océan des besoins actuels. Par ailleurs, même à considérer le flou entretenu autour du chiffrage des différentes mesures, l’extrême modestie de cette somme doit être appréciée au regard des besoins financiers induits par les autres propositions des rapports, à savoir :

      passer de 680 millions à 1,2 milliards (fourchette basse), voire 2,7 milliards d’euros (fourchette haute) pour financer l’ANR

      créer 150 “tenure-tracks” annuelles pour les chercheur·se·s “excellent·e·s” (non chiffré)

      contractualiser l’ensemble des doctorant·e·s (726,2 millions d’euros sur les six prochaines années) et docteur·e·s (via le CDD jeune chercheur - non chiffré).

      Ces dernières mesures (contractualisation des doctorant·e·s et docteur·e·s), si elles sont appliquées, sont les mesures les plus urgentes pour en finir avec les conditions de travail inacceptables que vit la majorité des doctorant·e·s et docteur·e·s en LSHS (recherche non-financée, contrats précaires, vacations). Sans cet effort financier significatif, les doctorant.es et les docteur.es resteront les laissés pour compte de l’Université française.

      L’ANCMSP invite donc l’ensemble des titulaires et non-titulaires à se demander : que vaut l’ESR et dans quelles conditions acceptons-nous de travailler ? Faut-il, sous prétexte d’obtenir une revalorisation de quelques salaires des MCF et CR, accepter de faire l’impasse sur la situation des précaires de l’ESR, sur lesquel·le·s repose une part croissante de l’enseignement et de la recherche ? Pour l’ANCMSP, les calculs sont faits. Les questions de fusion des corps, de modulation de service ou de suppression du CNU, si elles doivent être posées, ne nous semblent pas constituer les premières des urgences. Sans, à court terme, l’abrogation du “statut” de vacataire (ATV), la contractualisation de tou·te·s les doctorant·e·s, et la création d’un statut de post-doc véritablement protecteur pour les docteur·e·s ; sans, à moyen terme, une création massive de postes titulaires, pour combler les 8 700 à 12 250 postes d’EC manquants pour l’ESR, les métiers et le service public de l’enseignement supérieur et la recherche continueront de se précariser (11).

      –-

      (1) Frédérique Vidal, Discours prononcé lors de la Cérémonie des vœux à la communauté de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, 21/01/20

      (2) Le Monde, “Le gouvernement annonce une revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Les Echos, “Le gouvernement annonce une forte revalorisation du salaire des jeunes chercheurs”, 22/01/20 ; Liberation, “Deux smic à l’embauche pour les jeunes chercheurs dès 2021”, 22/01/20

      (3) Voir sur ce dernier point : Julien Gossa, “LPPR : une loi de programmation de l’inconduite scientifique ?”, Blog EducPros, 18/01/20.

      (4) Contribution de la Confédération des Jeunes Chercheurs au GT2 LPPR, 31/05/19.

      (5) https://cjc.jeunes-chercheurs.org/positions/communique-2019-05-23.pdf

      (6) https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires

      (7) https://ancmsp.com/les-vacataires-sous-le-smic-mobilisons-nous

      (8) Compte-tenu de leur ancienneté dans l’emploi public (contrat doctoral, contrats de post-doctorat etc.), le salaire d’entrée actuel des CR et des MCF se situe entre le 2e (1,6 SMIC) et le 3e échelon (1,8 SMIC) et non au 1er (1,4 SMIC). L’embauche directe au 4e échelon (2 SMIC) ne représente donc nullement un doublement du salaire des nouveaux CR et MCF. Une véritable revalorisation aurait consisté à revoir à la hausse les grilles salariales et à dégeler le point d’indice pour l’ensemble des postes. Sur ce point, voir également : Groupe Jean-Pierre Vernant, “Désenfumage”, 05/01/20.

      (9) Selon le Bilan Social du Ministère, l’ESR comptait en 2017-2018 un total de 199 686 agents toutes catégories confondues (vacataires non-inclus)

      (10) https://www.aefinfo.fr/depeche/620618

      (11) Voir nos estimations sur le nombre de postes manquants auxquels pallient les embauches d’enseignant·e·s vacataires ou en contrat LRU : https://ancmsp.com/vacations-contrats-lru-et-postes-de-titulaires. Ce sont environ 84 postes en science politique et 150 postes en sociologie que les vacataires et enseignant·e·s LRU remplacent dans des conditions de travail déplorables.

      https://ancmsp.com/lppr-2-smic-pour-les-titulaires-des-cacahuetes-pour

    • Liste des #dispositions_législatives relatives à l’ESR votées depuis mai 2017

      Loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) n° 2018-166 du 8 mars 2018
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-193.html
      Article 1
      Les universités peuvent sélectionner leurs étudiants. Par dérogation au principe général de libre accès aux documents administratifs, les critères de sélection des dossiers de candidature, y compris lorsque le traitement est automatique, ne sont pas communicables aux tiers.
      Article 9
      « Les établissements d’enseignement supérieur mettent en œuvre un enseignement modulaire capitalisable ».
      Article 12
      Création de la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Le montant perçu par les universités est soumis à un plafond défini chaque année par la loi de finance.

      Loi relative à la protection du secret des affaires n° 2018-670 du 30 juillet 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-388.html
      L’article premier de cette loi donne une acception très large à la notion d’affaires et donc à la protection des produits et des informations des entreprises. Cet élargissement risque de leur donner de nouveaux moyens judiciaires pour mettre en œuvre des procédures dissuasives contre les lanceurs d’alertes et les chercheurs.

      Loi pour un État au service d’une société de confiance n° 2018-727 du 7 août 2018
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl17-259.html
      Article 28 (n° 52 de la loi promulguée)
      Cet article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures expérimentales sur :
      -- de nouveaux modes d’organisation et de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche et de leur regroupement ;
      -- de nouveaux modes d’intégration, sous la forme d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel regroupant plusieurs établissements d’enseignement supérieur et de recherche qui peuvent conserver ou non leur personnalité morale pendant tout ou partie de l’expérimentation.
      L’expérimentation est menée pour une période maximale de dix ans. Elle fait l’objet d’une évaluation par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Dans un délai de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant un premier bilan des expérimentations engagées dans ce cadre, recensant les différentes formes juridiques adoptées par les établissements et identifiant les voies adaptées afin de les pérenniser, le cas échéant.
      Ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037800979&categorieLien=id
      Elle comprend 22 articles.
      Article 6
      Cet article permet à l’établissement public expérimental de déroger à la règle de la majorité du conseil d’administration et l’autorise, de façon dérogatoire, à exercer des prestations de service, à prendre des participations, à créer des services d’activités industrielles et commerciales, à participer à des groupements et à créer des filiales.
      Article 7
      Cet article règle les relations entre l’établissement public expérimental et ses établissements-composantes. Il organise les transferts de compétences et la représentation de l’établissement public expérimental dans les conseils d’administration des établissements-composantes pour :
      -- « vérifier qu’ils respectent sa stratégie » ;
      -- « émettre un avis sur les candidatures recevables aux fonctions de dirigeant » ;
      -- « soumettre à l’avis ou à l’approbation d’une de ses instances collégiales tout ou partie des recrutements ».
      Article 9
      « Les statuts de l’établissement public expérimental définissent le titre, les modalités de désignation et les compétences de la personne qui exerce la fonction de chef d’établissement ».
      Les autres articles portent sur des procédures dérogatoires pour la composition du conseil d’administration, le comité technique ou les relations avec l’autorité de tutelle.
      Un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été enregistré par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2019, mais n’a pas encore été voté :
      http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl1627.asp

      Selon le Gouvernement, douze sites universitaires ont exprimé leur intérêt pour cette démarche expérimentale. Dix décrets ont déjà été pris pour permettre à des établissements de mettre en œuvre les dispositions de l’ordonnance :
      -- Université de Paris, décret n° 2019-209 du 20 mars 2019 :
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038252458&categorieLien=id
      -- Institut polytechnique de Paris, décret n° 2019-549 du 31 mai 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038535183/2020-02-11
      -- Université Côte d’Azur, décret n° 2019-785 du 25 juillet 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000038821787/2020-02-11
      -- Université Polytechnique Hauts-de-France, décret n° 2019-942 du 9 septembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039070284/2020-02-11
      -- CY Cergy Paris Université, décret n° 2019-1095 du 28 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039287925/2020-02-11
      -- Université Grenoble Alpes, décret n° 2019-1123 du 31 octobre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039306168/2020-02-11
      -- Université Paris-Saclay, décret n° 2019-1131 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323233/2020-02-11
      -- Université Paris sciences et lettres, décret n° 2019-1130 du 5 novembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039323049/2020-02-11
      -- École nationale supérieure des mines de Paris (Mines ParisTech), décret n° 2019-1371 du 16 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039630764/2020-02-11
      -- Université Gustave Eiffel, décret n° 2019-1567 du 30 décembre 2019 :
      https://beta.legifrance.gouv.fr/loda/texte_lc/JORFTEXT000039701273/2020-02-11

      Loi relative au Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), n° 2019-486 du 22 mai 2019
      Dossier législatif : http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-028.html
      Article 41 (n° 119 de la loi promulguée)
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205001.html#R41
      Article 41 bis
      http://www.senat.fr/seances/s201902/s20190205/s20190205003.html#R41bis
      Les dispositions de ces deux articles sont destinées à renforcer celles de la loi dite « Allègre II ». Elles facilitent la création d’entreprises pour « valoriser des travaux de recherche ». Les chercheurs peuvent consacrer la moitié de leur temps de travail à leur entreprise.
      Ils peuvent aussi participer aux organes de direction des entreprises et en tirer rémunération. L’avis de la commission de déontologie sur ces participations devient facultatif. Ces articles fixent de nouvelles règles sur la copropriété des découvertes ou des brevets. Les chercheurs peuvent conserver une part dans leur capital de leur entreprise, après leur réintégration dans leur corps d’origine.
      Loi dite « Pour une école de la confiance » n° 2019-791 du 26 juillet 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-323.html
      Article 10 (nos 43 à 46 de la loi promulguée)
      Création des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ) en remplacement des ÉSPÉ. Ces instituts sont dirigés par des directeurs nommés par les deux ministères de tutelle et le programme pédagogique de la formation obéit à un cadrage national définit par l’Éducation nationale. Est ainsi créée, au sein de l’université, une entité qui échappe à son autonomie.
      Article 16 (n° 52 de la loi promulguée)
      https://www.senat.fr/seances/s201905/s20190517/s20190517018.html#Niv3_art_Article_16
      Bel exemple de « cavalier législatif » : « les statuts d’un établissement public d’enseignement supérieur peuvent prévoir que le président ou le directeur de l’établissement peut présider la formation restreinte aux enseignants-chercheurs du conseil d’administration ou du conseil académique ou des organes en tenant lieu ».

      Loi de transformation de la fonction publique n° 2019-828 du 6 août 2019
      Dossier législatif : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-532.html
      Article 3 (n° 4 de la loi promulguée)
      Création d’un comité social d’administration du ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche et d’une formation spécialisée pour les enseignants-chercheurs et les assistants de l’enseignement supérieur.
      Article 8 (n° 17 de la loi promulguée) : le contrat de projet
      « Les administrations de l’État et les établissements publics de l’État autres que ceux à caractère industriel et commercial peuvent, pour mener à bien un projet ou une opération identifié, recruter un agent par un contrat à durée déterminée dont l’échéance est la réalisation du projet ou de l’opération. Le contrat est conclu pour une durée minimale d’un an et une durée maximale fixée par les parties dans la limite de six ans. Il peut être renouvelé pour mener à bien le projet ou l’opération, dans la limite d’une durée totale de six ans. Le contrat prend fin avec la réalisation de l’objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance fixé par décret en Conseil d’État ».
      Ce nouveau contrat est l’équivalent du CDI de chantier, pratiqué dans le privé. Il constitue une alternative au CDD de droit public. Il n’ouvrira pas le droit à bénéficier d’un CDI au terme d’une durée de six ans, conformément à la loi dite Sauvadet. Un bilan des possibilités de recrutement de contractuels dans la fonction publique est disponible dans le rapport du Sénat : https://www.senat.fr/rap/l18-570-1/l18-570-111.html
      Le décret qui fixe les conditions d’application de ces dispositions n’a pas encore été pris.
      Articles 9, 9 bis, 10 (nos 18, 19, 21 de la loi promulguée)
      L’article 18 de la loi élargit la possibilité de recruter des agents contractuels dans la fonction publique de l’État sur la majorité des emplois permanents.
      Le décret d’application de ces articles a été publié et ces dispositions sont applicables depuis le 1er janvier 2020.
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000039654288&categorieLien=id
      Article 15 ter (n° 33 de la loi promulguée)
      « Le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire est présidé par un conseiller d’État désigné par le vice-président du Conseil d’État ».
      Le Conseil constitutionnel n’a pas censuré cette disposition ce qui démontre la fragilité du principe de liberté académique.
      https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/communique/decision-n-2019-790-dc-du-1er-aout-2019-communique-de-presse
      Article 16 (n° 34 de la loi promulguée)
      L’avis donné pour la participation des personnels de la recherche à la création d’entreprises et aux activités des entreprises existantes n’est plus donné par la Commission de déontologie de la fonction publique, mais par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

      #liste #lois #loi

      Reçu par email, le 11.02.2020

    • À la conquête du « meilleur des mondes » – à propos de la Loi de programmation pluriannuelle sur la recherche (LPPR)

      Entre le « meilleur des mondes » parfaitement programmé d’Aldous Huxley, et un monde fait uniquement pour les « meilleurs », la frontière est ténue. Ainsi le monde de la recherche, acculé depuis les années 2000 par toutes sortes de réformes « darwiniennes », dont la très néolibérale LPPR constitue en quelque sorte la suite logique. Face la dystopie de la normalisation rampante jusque dans les laboratoires, il faut résister.

      Depuis quelques semaines, on peut lire dans les journaux et sur Internet, ou entendre à la radio, de multiples interventions et protestations contre la loi de programmation pluriannuelle sur la recherche. La ministre s’est même crue obligée déjà de lancer des contre-feux et d’apaiser les craintes à son avis excessives de la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs.

      On tentera ici de sortir des arguments déjà échangés, maintes fois utilisés aussi à propos d’autres moments critiques dans les relations houleuses entre le monde universitaire et de la recherche et les gouvernements successifs. Les hasards du calendrier font parfois bien (ou mal, selon le point de vue) les choses. Au cours du mois de mars, va s’ouvrir le procès Fillon, dont il n’est pas besoin de rappeler l’origine.

      Ce qu’on a peut-être oublié, c’est que cet homme politique, maintenant retiré des affaires publiques pour les affaires privées, fut, en son temps, ministre de la recherche, confronté au mouvement « Sauvons la recherche » qui déjà protestait contre une autre loi de programmation en 2003-2004. Il lança un certain nombre des réformes dont la LPPR est en quelque sorte le point d’aboutissement. C’est à lui notamment qu’on doit tous ces acronymes (à déclinaison variable) qui rendent le discours sur la recherche et l’enseignement supérieur totalement opaque aux profanes : ANR, AERES (aujourd’hui HCERES), etc.

      Il s’agissait alors de tuer à petit feu ce qui était insupportable à la droite depuis sa tentative ratée de suppression du CNRS en 1986 : les grands organismes de recherche nés dans l’entre-deux-guerres ou à la Libération pour sortir (déjà) l’université de son marasme et de son incapacité à s’ouvrir aux nouvelles disciplines et aux nouveaux champs de recherche. Pour les libéraux, cette recherche d’État, destinée à refaire de la France après 1945 un pays d’invention et d’innovation puisque les entreprises en avaient été incapables, était un casus belli puisqu’elle démontrait l’échec du laissez-faire antérieur.

      Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang.

      En outre, ce milieu de la recherche était alors clairement orienté à gauche (voire communiste si l’on pense au premier directeur d’après guerre du CEA, Frédéric Joliot-Curie). La gauche socialiste avec Jean-Pierre Chevènement au début des années 1980 avait aggravé l’image de cet espace original en fonctionnarisant les chercheurs qui jusque-là, pour la plupart, n’avaient qu’un statut précaire et contractuel mais qui s’en sortaient néanmoins grâce aux recrutements, alors massifs, dans les universités en croissance ou dans une industrie française encore en forme.

      Au même moment, la loi Savary de 1984 réorganisait les corps universitaires et confortait les enseignants-chercheurs de rang B dans un statut, sinon enviable, du moins bien supérieur à celui de leurs homologues des pays étrangers, au point que la France a attiré depuis cette époque nombre de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs de valeur que la précarité et les crises dans leur propre pays (ainsi l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne) avaient empêché d’avoir des carrières normales.

      Il fallait rappeler tous ces épisodes pour éclairer la crise actuelle et les réactions massives provoquées par les nouveaux projets. Depuis les années 2000, les courants libéraux sont obsédés par l’idée que la France, avec son système universitaire et de recherche à part, est une anomalie et qu’il faut la remettre dans le rang en détricotant cinquante années d’une politique où l’État a joué un rôle central pour compenser le manque d’allant de l’industrie et des fondations privées à jouer leur rôle, comme c’est le cas aux États-Unis, en Allemagne ou au Royaume Uni.

      Nos milliardaires se portent bien, nous sommes même conviés à nous en réjouir puisque les journaux nous en parlent presque tous les jours, mais ils préfèrent investir leurs profits florissants dans des collections d’art – contemporain ou non, fonder des musées, donner à quelques bonnes œuvres (Notre-Dame leur dit merci !). Mais la recherche et l’université sont pour eux des terres inconnues, sauf s’il y a retour immédiat sur investissement grâce au crédit impôt recherche, cette niche fiscale intouchable dont l’efficacité n’a toujours pas fait ses preuves comme l’indique le pourcentage insuffisant de dépenses de recherche rapporté au PIB dont la part publique n’est pas l’unique responsable.

      Il est loin le temps ou marquises, banquiers et industriels léguaient des millions de francs-or aux universités qui les honoraient en écrivant leurs noms en lettres d’or dans les halls de marbre de leurs palais récemment inaugurés par la Troisième République.

      Il serait pourtant fallacieux, comme on le fait en ce moment, de se limiter à dénoncer une certaine philosophie politique néolibérale répandue à droite et au centre de l’éventail politique et dont on a trouvé même des adeptes à gauche comme l’indique l’incapacité du quinquennat Hollande à rompre avec les « réformes » de l’ère Chirac-Sarkozy. C’est qu’il faut aussi pointer certains groupes académiques qui adhèrent à cette philosophie et l’actuel président du CNRS, Antoine Petit, a dit tout haut ce que se disent entre eux les néo-mandarins adeptes du discours social-darwinien sur l’excellence et l’éjection des « médiocres » du monde compétitif de la recherche internationale.

      Leur point de référence est clair : dans les sciences de la nature aux lourds investissements, il faut de plus en plus d’argent, les budgets publics ne suffisent pas, il faut multiplier les ressources et les partenariats, avec des parrains multiples ou des accords internationaux. C’est Claude Allègre qui avait lancé le mouvement, incarnation par sa politique et son parcours de cette vision néo-mandarinale.

      Les scientifiques les plus puissants ont besoin de collaborateurs dévoués, tenus en main par la précarité, interchangeables et si possibles toujours jeunes, donc précaires, parce que disponibles pour la compétition. Le chercheur ou l’enseignant chercheur fonctionnaire ou titulaire d’un contrat long n’est pas assez souple et dépendant, il peut refuser un projet, il peut avoir ses propres idées ou ne pas accepter qu’on signe à sa place l’article ou le brevet qui apportera la gloire à celui qui signe en premier parce qu’il est le financeur ou le patron du laboratoire et de l’institut.

      Il est frappant de voir combien les protestations actuelles émanent surtout du secteur des sciences humaines et sociales, pourtant très loin de ces enjeux massifs et où les financements n’ont rien à voir en termes d’échelle. Il faut l’avouer, des organismes comme l’ANR ou les programmes européens ont permis à ces disciplines d’accéder à des ressources très supérieures à celles que pouvaient donner les fonds de recherche des universités ou des laboratoires type CNRS.

      Mais la contrepartie a été l’introduction d’une extrême inégalité entre les équipes, les grandes écoles et les universités plus ou moins dotées et surtout entre les thématiques pratiquées. Même s’il existe des « programmes blancs » (non thématiques), le but de l’ANR ou des autres grands financeurs externes est d’avantager des sujets qui peuvent avoir une résonance « sociétale », comme on dit, en matière d’environnement (un peu d’écologie fait toujours bien) ou de santé publique, et d’éventuelles retombées économiques.

      On voit même des chercheurs ou des universitaires qui bricolent leurs sujets pour essayer de rentrer dans ces « axes » porteurs avec quelques artifices rhétoriques ou l’usage de mots-clés qui doivent attirer les suffrages des experts. Tout cela est un peu dérisoire, traduit des jeux de pouvoir entre centres et périphéries, entre les décideurs et la foule des universitaires et chercheurs ou chercheuses ordinaires qui tentent de jouer ce jeu dont ils et elles savent qu’il est en partie pipé.

      C’est toute cette désillusion qui s’exprime en ce moment face à une aggravation supplémentaire de ces nouveaux usages annoncés de l’argent public pour les financements des laboratoires et des équipes ou les contrats d’embauche précaires. Et qui vont donc encore augmenter la population des précaires, retarder les carrières, pousser au départ vers d’autres pays moins frileux.

      Mais il y a plus grave que ces antagonismes entre générations, entre catégories hiérarchiques, entre les laboratoires et universités de premier rang et les autres, parce que les gouvernements successifs ont été incapables de corriger toutes les dérives nées des empilements de réformes aux effets contradictoires. Après la multiplication des universités et des centres de recherche à partir de la fin des années 1980, pour faire face à la deuxième massification, a été développée une politique inverse de recentralisation autour des PRES (pôles de recherche et d’enseignement supérieur), puis des ComUE (communauté d’universités et d’établissements) et de la floraison des « ex » (Idex, Labex, équipex) pour, affirmait-on, recadrer ce monde protéiforme et lui redonner sa compétitivité internationale, mesurée à l’aune des récompenses qui font référence (Nobel, médailles Fields, prix académiques, classements universitaires, projets internationaux pilotés).

      La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes

      Les fusions d’universités lancées en relation avec la loi Pécresse de 2007 ont commencé à se mettre en place avec les conséquences connues : faire renaître des établissements ingérables où la lutte des disciplines dominantes et dominées occupe l’ordinaire des conseils et des arbitrages et mettre en difficulté financière nombre d’établissement contraints de geler les postes et de recourir aux précaires puisque les budgets ne suivent pas l’augmentation des effectifs.

      Là encore les disciplines littéraires et de sciences humaines se sont retrouvées à la peine face aux dominants (médecins, juristes, scientifiques durs dans tous les sens du terme), à la fois parce que l’autonomie financière a joué au profit de ces derniers pour des raisons prévisibles (leurs besoins sont plus grands, seuls ils peuvent attirer des contrats et en retirer les plus gros bénéfices). Or les taux d’encadrement sont sans rapport aussi bien dans les établissements universitaires que dans les équipes de recherche.

      À partir du moment où la compétition pour les ressources et les fléchages de poste se déroule non entre secteurs homogènes mais entres groupes de disciplines inégalement dotées dès le départ, on sait d’avance que les arbitrages et les rapports de force vont toujours jouer au détriment des mêmes et accroître les inégalités et les tensions entre « pairs » théoriques – qu’il s’agisse d’allocations de thèse, de fléchage des postes, de l’accueil des chercheurs invités, des semestres sabbatiques, des budgets des composantes, etc.

      C’est pourquoi le combat en cours ne se réduit pas à une défense d’un statut et de l’autonomie intellectuelle et sociale qu’il permet. Il vise aussi à défendre la qualité de l’enseignement et de la recherche et à rompre avec la rhétorique fallacieuse de l’excellence auto-proclamée par les puissants du monde académique. La recherche et l’enseignement sous contrainte de temps et de financements orientés par les urgences du moment produisent de la recherche hâtive, de l’enseignement au rabais et des comportements opportunistes (budgets gonflés, course aux contrats, science normalisée, délits d’initiés ou plagiats, exploitation des « petites mains »).

      Maints scandales récents le montrent. Ce qui est peut-être bon pour faire de fausses promesses et se faire élire sur des malentendus n’est pas la bonne méthode pour trouver les bonnes questions et les bonnes réponses aux problèmes à long terme de nos sociétés que seuls la recherche et l’enseignement supérieur pourront résoudre parce qu’ils construisent du nouveau et travaillent pour et sur l’avenir. Apparemment, une telle liberté est insupportable aux soi-disant libéraux.

      Ce déclin annoncé au détriment de toujours les mêmes secteurs n’émeut guère, on s’en doute, les dominants des nouvelles règles et les politiques qui les appuient. Il y a bien longtemps que les sciences humaines et sociales n’intéressent plus ces groupes d’autant qu’elles n’annoncent que les catastrophes et les problèmes non résolus que ces politiques et ces règles portent en elles.

      Même les économistes ont perdu un peu de leur aura d’autrefois à mesure que leurs nouvelles figures les plus médiatiques ont adopté un discours très critique face aux politiques officielles théoriquement fondées sur la « science » économique orthodoxe. L’imprévisibilité d’un monde multipolaire et interconnecté rend les modèles standards d’autrefois bien fragiles quand le moindre virus mal détecté en Asie peut mettre à mal les prévisions de croissance des grands organismes internationaux théoriquement les mieux « informés ».

      Dans Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley annonçait une société parfaitement programmée grâce à la biologie et au clonage. Ce cauchemar de normalisation dès la naissance ne s’est pas encore réalisé même si la biologie s’est beaucoup rapprochée de la programmation du vivant. En revanche, la dystopie de la normalisation des comportements grâce aux réseaux sociaux et à « l’intelligence artificielle » ou aux big data est allée beaucoup plus loin que ce que prévoyait le romancier britannique, comme nous l’indiquent tous les jours le règne des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et la mise au service du pouvoir chinois de la reconnaissance faciale pour classer les citoyens méritants ou déviants.

      Il est un point plus fort encore de convergence entre ce « meilleur des mondes » et notre monde fait uniquement pour les « meilleurs », en recherche comme ailleurs, c’est la peur panique de l’esprit critique et donc d’une recherche qui ne soit pas sous contrôle comme elle tend à l’être un peu partout, sauf dans quelques niches comme la France, et en son sein dans les sciences encore humaines et toujours plus sociales.

      https://aoc.media/opinion/2020/02/16/a-la-conquete-du-meilleur-des-mondes-a-propos-de-la-loi-de-programmation-plur

    • LPPR – Derrière les injonctions à publier, une mise en danger de l’#édition_scientifique

      Les rapports préparatoires à la LPPR annoncent d’importantes menaces sur les #publications_scientifiques et la #diffusion_de_la_recherche.

      L’édition scientifique est la grande absente des rapports préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR). Cette absence peut étonner alors même que les trois rapports s’appuient sur une vision de la recherche accordant une place centrale aux logiques d’#évaluation faisant la part belle à la #bibliométrie. L’impensé dissimule une contradiction de taille : l’#injonction_à_publier plus s’accompagne d’une #mise_en_danger de l’édition scientifique.

      L’hégémonie du #financement_par_projet et ses conséquences

      Ce sont en premier lieu les logiques de #financement défendues par la LPPR qui mettent en danger l’édition scientifique. L’hégémonie du financement par projet entre en contradiction avec les exigences de l’édition scientifique tant pour l’expertise et l’accompagnement scientifique que pour la fabrication des ouvrages et revues. La généralisation des #contrats_de_chantier, déjà dénoncée dans la tribune des revues en grève (Le Monde, 29/01/2020), fragiliserait les emplois dédiés à l’édition dans un domaine où le travail s’inscrit dans la durée.

      La LPPR parait ignorer qu’il faut plusieurs années de publications effectives pour qu’une revue ou une nouvelle collection soit reconnue, identifiée par les pairs, mais également pour que les équipes de chercheurs (comités scientifiques, éditoriaux, auteurs) et celles dédiées à la fabrication (secrétaires d’édition, maquettistes…) parviennent à optimiser leurs relations de travail dans un environnement en tension permanente.

      La #temporalité de l’appel à projets n’est pas celle de la #publication. L’intégration de budgets de médiation dans les projets ANR ne semble pas conçue pour financer la publication scientifique : la durée de ces projets ne permet pas, dans un même temps, de mener les recherches et d’en finaliser les publications. De même, les soutiens temporaires annoncés par le plan #science_ouverte ne sont pas en mesure de garantir la pérennité des projets éditoriaux qui choisiraient le modèle de la publication en ligne en #accès_libre.

      La réduction des #financements_pérennes fragilisera un peu plus l’#économie_de_l’édition_scientifique qui n’est pas viable sans soutien public. Alors que l’effort des établissements pour soutenir l’édition scientifique n’est jamais reconnu ou valorisé dans les rapports préalables à la LPPR, que deviendra ce secteur quand l’assèchement des crédits récurrents des laboratoires ne leur permettra plus d’accorder des subventions à la publication ?

      Quant à la concentration prévisible des crédits sur les quelques universités qui bénéficieront du label « unités intensives de recherche », elle ne peut que susciter l’appauvrissement parallèle de l’ensemble des autres établissements. Risque alors de disparaître du paysage de la science tout un écosystème de presses universitaires et de #revues, affaiblissant du même coup le #pluralisme de la recherche comme sa visibilité. Il est douteux d’imaginer que le crowdfunding, comme l’envisage sans rire la nationale science ouverte ((NDLR. Les auteurs désignent ici Open edition centre, USR 2004, qui détient désormais le quasi monopole de la publication électronique en sciences humaines et sociales, alors qu’en France, l’édition numérique a commencé dans un paysage ouvert. Sur ce point cf. Marie-Luce Rauzy, « Un parcours éditorial au service des sciences humaines », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], #18 | 2018, mis en ligne le 20 mai 2019, consulté le 14 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/traces/8947 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.8947. Le modèle contributif auquel font allusion l’auteur et l’autrice du texte est le Freemium.)) puisse sérieusement constituer une alternative viable aux #financements_publics.

      Les #SHS particulièrement menacées

      Le rétrécissement des crédits menace tout particulièrement les SHS et plus généralement la #recherche_fondamentale. Le modèle de l’essai y est encore déterminant, le critère de publications d’ouvrages personnels restant souvent décisif dans l’appréciation et l’évaluation des carrières scientifiques. Assigner les SHS à des programmes prioritaires autour de « #grands_défis_sociétaux » fait craindre que le modèle de la #thèse_en_180_secondes l’emporte sur celui de l’ouvrage prenant le temps de dérouler son argumentaire et que le secteur de l’édition universitaire ne puisse y trouver son compte et son équilibre.

      Quelle #science_ouverte ?

      La promotion de la science ouverte et de l’édition scientifique #open_source constitue un enjeu fondamental dans lequel se sont engagées les #presses_universitaires qui proposent déjà des modes de publication diversifiés. Encore faut-il ne pas s’imaginer que la science ouverte puisse exister, elle aussi, sans financements pérennes et sans personnel qualifié qui puisse s’engager au-delà d’un contrat de chantier. Il importe tout autant que la #valorisation de la science ouverte ne se fasse pas au détriment des stratégies d’acquisition des bibliothèques universitaires, ni dans le déni des logiques de publications scientifiquement et collégialement validées.

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      La logique d’évaluation de la #performance_scientifique qui fonde la LPPR repose sur une absence complète de réflexion sur le #financement des publications supposées appuyer la mesure de cette performance et sur une méconnaissance évidente des conditions effectives de ce travail, supposé immédiat et bénévole. Les 3 rapports de la LPPR projettent en creux l’image d’une publication scientifique fragilisée, précarisée. En ignorant un des acteurs majeurs de la diffusion des savoirs et de la valorisation de la recherche dans la communauté scientifique comme auprès de la société civile, et contrairement aux objectifs affichés, la LPPR offre à la recherche française l’assurance de décrocher du classement international en matière de publications.

      À Saint-Denis,
      le 5 février 2020

      Damien de Blic,
      co-directeur de la collection Libre cours des Presses Universitaires de Vincennes

      Cécile Sorin,
      administratrice provisoire des Presses Universitaires de Vincennes

      https://academia.hypotheses.org/14565
      Publication originale : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/793/files/2020/02/LPPR-et-e%CC%81dition.pdf

    • CNESER 19 et 20/11/2019 - Motion BUDGET présentée par le SNESUP-FSU, le SNCS-FSU et le SNASUB-FSU

      Chaque année, la situation des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se dégrade de part d’une #austérité budgétaire prolongée et d’une hausse continue de la démographique étudiante. Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2020 en est une nouvelle illustration. Le sous-financement structurel de l’ESR public est une réalité que le CNESER reconnait et qui est ressenti tous les jours par les collègues dans les établissements.

      Au point où en sont les débats parlementaires, le CNESER considère que le budget de l’ESR pour 2020 est loin de répondre aux besoins réels des établissements et des personnels.

      · La note d’information de la DEPP sur la dépense intérieure d’éducation publiée le 25 octobre 2019 confirme aussi ce constat :

      le coût par étudiant suit une tendance à la baisse depuis 2010 (- 0,8 % en moyenne annuelle). Il est estimé à 11 470€ en 2018, son plus bas niveau depuis 2008. Plus particulièrement, à l’université, le coût moyen annuel par étudiant est de 10 120€ contre 14 180€ pour un étudiant de STS et 15 890€ pour un élève de CPGE ! Un.e étudiant.e sur deux est obligé.e de travailler pour payer ses études. Ce n’est pas acceptable, les universités sont des lieux où l’on doit tout faire pour faciliter la vie des étudiants, et plus particulièrement ceux en situation de précarité, de plus en plus nombreux et souvent invisibles.

      · La réforme des études de santé n’est pas encore totalement financée : La Ministre a précisé lors son audition devant le Sénat que 10 M€ supplémentaires seront peut-être nécessaires « en fonction des besoins ».

      · les mesures indemnitaires PPCR ne sont pas budgétées à la hauteur des annonces initiales (+38M€ pour 200000 agents alors que les EPST à eux seuls requerraient +28M€ …) et les congés et primes sur la reconnaissance de l’investissement pédagogique.

      · le GVT est estimé à 75 M€ environ. S’il n’est pas financé, comme l’a indiqué la Ministre dans sa lettre-circulaire du 8 octobre 2019 aux présidents d’universités, cela représenterait potentiellement un gigantesque gel d’emplois de 1251 postes pour les universités.

      · Toutes les enquêtes montrent que les personnels sont au bord de l’épuisement face à la surcharge de travail notamment due au manque de moyens ; ils et elles portent les universités à bout de bras et l’effondrement est proche.

      Le compte n’y est clairement pas ! Le CNESER exige des moyens à la hauteur des objectifs fixés. Pour la recherche, avec 2,21% du PIB en 2017, la France est en deçà de l’objectif de 3% fixé par l’UE dans le cadre de la stratégie Europe 2020 et aussi de son propre objectif dans le cadre de la stratégie nationale de la recherche (SNR).

      Quant à la répartition de ce manque de moyens, le CNESER exige un modèle d’attribution des dotations d’établissement permettant de réduire les inégalités, basé sur des critères nationaux clairs et publiquement débattus. La répartition doit permettre une convergence des moyens afin que les taux d’encadrements et l’investissement par étudiant soit comparable d’un établissement à l’autre en fonction des spécificités disciplinaires et non pas en fonction de l’historique de dotation. Le CNESER est légitime pour participer à la construction d’un modèle de répartition et demande la création d’une commission spécialisée à cet effet.

      Abonder les postes, compenser totalement le GVT, prendre en compte l’augmentation de la population étudiante, améliorer les conditions de travail doit être la priorité du gouvernement pour un accueil digne des étudiant.e.s et pour leur réussite. Pour le programme 172 qui finance la recherche et plus particulièrement les organismes de recherche, le PLF 2020 prévoit unbudget de 6,94 milliards d’euros (G€), exactement comme la loi de finance initiale 2019, pas un euro d’augmentation ! Cette stagnation du budget de la recherche représente en fait une baisse de plus de 1 % en tenant compte de l’inflation, et de plus de 2 % par rapport au PIB en euros courants. Les financements affichés supplémentaires de 79,4 M€ sont les suivants :

      · 21 M€ pour le plan Intelligence artificielle

      · 1,4 M€ pour le dispositif Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre)

      · 28 M€ pour les rémunérations des personnels des organismes au titre de PPCR

      · 2,5 M€ pour accompagner la fusion INRA-IRSTEA

      · 4,5 M€ pour les très grandes infrastructures de recherche

      · 12 M€ pour permettre au CNRS de recruter 250 chercheurs, 310 ingénieurs et techniciens ainsi que des doctorants.

      Pour permettre ces financements supplémentaires à budget constant, les crédits de paiement de l’Agence nationale de larecherche (ANR) seront amputés de plus de 120 M€, annihilant une bonne part de l’augmentation de ces dernières années. Le taux de succès de l’ANR va donc toujours rester critique. Ce budget en stagnation jette une lumière crue sur les intentions du gouvernement, qui a par ailleurs déployé de grands efforts de communication sur la préparation d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Il est unanimement reconnu, y compris par les trois groupes de travail qui ont élaboré les rapports de préparation de la LPPR, que les besoins de financement de la recherche publique sont considérables et urgents.

      Le CNESER dénoncent l’hypocrisie du gouvernement et demandent, dès 2020, une augmentation d’un milliard d’euros, effort qui devra être fortement amplifié dans les premières années de la LPPR pour atteindre rapidement les 1 % du PIB pour la recherche publique pour palier au décrochement constaté dans le secteur de la recherche et permettre à la France de raccrocher le groupe des pays européens qui font la course en tête.

      https://www.snesup.fr/article/cneser-19-et-20112019-motion-budget-presentee-par-le-snesup-fsu-le-sncs-fsu-e

      #budget

    • La recherche publique en France en 2019 : Diagnostic et propositions du Comité national

      Extrait des propositions du Comité National (p. 20) :
      Pour le seul CNRS, et s’il l’on veut seulement revenir aux effectifs de personnels scientifiques permanents de 2005, campagnes de recrutement de 400 chercheur·se·s et 700 ingénieur·e·s et technicien·ne·s par an pendant au moins trois ans.

      Pour les universités publiques, si l’on veut augmenter les effectifs d’enseignants-chercheurs dans la même proportion que les effectifs étudiants sur la même période (+ 16%), il faudra environ 3000 recrutements supplémentaires par an pendant (au moins) trois ans, auxquels il convient d’ajouter, en proportion, le recrutement de 2000 personnels BIATSS supplémentaires par an.

      https://www.c3n-cn.fr/sites/www.c3n-cn.fr/files/u88/Propositions_Comite-national_Juillet-2019.pdf

    • Macron perd ses facultés

      Les corps étudiant et enseignant ainsi que tous les autres personnels de l’enseignement supérieur font front commun contre la casse de la recherche publique par le gouvernement.

      L’université a ses précaires que Macron ignore. Mardi 11 février, des collectifs de précaires de l’enseignement supérieur ont fait couler du faux sang sur les pavés parisiens, place de l’Hôtel de Ville. Au sol, une affiche : « La précarité tue. » De Rouen à Montpellier en passant par Nanterre, de nombreuses facs ont multiplié les actions symboliques toute la journée pour faire entendre leur colère face au mépris du gouvernement. « Nous refusons d’être invisibles et de disparaître en silence », clame Mathilde*, doctorante sans poste présente au rassemblement parisien. Depuis des années, les personnels des universités et de la recherche alertent sur leurs conditions de travail. La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), dont le contenu doit être dévoilé au printemps, est la réforme de trop.

      Pénalisé·es par le nouveau système des retraites, qui ne calcule plus leur pension sur les six derniers mois de leur carrière mais sur son ensemble, les universitaires se mobilisent depuis décembre. Dans leurs rangs, on dénonce aussi la réforme de l’assurance—chômage, Parcoursup, l’augmentation des frais d’inscription et la LPPR. « Malgré les déclarations d’intention, cet ensemble de réformes n’offre aucune solution à la précarité généralisée mais, bien au contraire, l’aggrave », peut-on lire dans la motion adoptée par la première coordination nationale des « Facs et labos en lutte », qui avait lieu à Saint-Denis, les 1er et 2 février. Le mouvement se consolide à coups de centaines de motions signées par des universités, des laboratoires et des revues scientifiques. « La mobilisation actuelle est à la hauteur de celle de 2009. La vague ne cesse de grossir et les prochains mois seront explosifs », affirme Pascale Dubus, maîtresse de conférences à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

      Les universités souffrent des réformes néolibérales depuis plus de dix ans. En 2007, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, a octroyé aux facs une autonomie budgétaire aux effets pervers. « Le budget des facs, c’est 85 % de masse salariale. L’enveloppe prévue par le dispositif n’a pas pris en compte l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires selon leur ancienneté ou leur grade. Par conséquent, le nombre de postes à pourvoir diminue et on emploie des vacataires », détaille Christophe Voilliot, cosecrétaire général du Snesup-FSU, syndicat national de l’enseignement supérieur. Avec un nombre d’élèves en constante augmentation, l’effet de ciseau se fait ressentir dans les amphis. « On est obligé de mutualiser et on se retrouve à donner un cours magistral au lieu de deux. Les salles sont surchargées et les précaires dispensent la majorité des cours », déplore Pascale Dubus. En licence, 70 % des cours sont délivrés par des précaires de l’enseignement supérieur.

      Ces précaires sont des vacataires, jeunes doctorant·es ou docteur·es sans poste qui cumulent recherche et enseignement pour un maigre salaire. « On est payé à l’heure de cours donnée, environ 9 euros. Mais, en réalité, une heure de cours demande trois heures de préparation, en plus de l’administratif », explique Clément, doctorant en histoire à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Surveillance de partiels, secrétariat, rendez-vous pédagogiques, autant de tâches non comprises dans leur rémunération, qui arrive souvent tardivement. « J’ai été payée six mois après mon contrat d’Ater [attachée temporaire d’enseignement et de recherche] », confie Solène, doctorante en histoire. Véronique, comme d’autres, a abandonné sa thèse après avoir enchaîné les jobs pour la financer : « J’ai tout fait : ménage, caissière, accueil dans un musée… Mais j’ai surtout été dégoûtée du milieu universitaire, où règnent la compétition et la cooptation », lâche cette professeure en collège.

      Doctorat en poche, les jeunes chercheurs et chercheuses se heurtent au gel des postes permanents et doivent enchaîner les contrats courts. Les plus chanceux et chanceuses peuvent espérer obtenir leur titularisation vers l’âge de 34 ans, en moyenne. Alors qu’aucun texte officiel n’a encore été publié, des mesures de la future LPPR circulent et font déjà craindre un allongement de cette période de précarité. Parmi les nouveautés, des « CDI de mission » alignés sur la durée d’un projet de recherche. Une autre mesure prévoirait la création de « chaires juniors » en tenure track, c’est-à-dire des contrats à durée déterminée avec possibilité de titularisation si le chercheur ou la chercheuse a fait ses preuves. « Tout cela va accroître la logique de compétition entre nous, au lieu de favoriser une émulation scientifique. On va devoir produire plus, publier plus et plus vite », déplore Gilles Martinet, docteur en géographie.

      Encore faut-il pouvoir le faire. Plus d’une centaine de revues scientifiques sont en grève depuis décembre pour dénoncer la grande fragilité de leur économie. Un rapport du ministère de la Culture, paru le 24 janvier, affirme que la plupart des fonctions essentielles à la rédaction de ces revues, rédaction comprise, ne sont pas rémunérées. Le passage au numérique a augmenté les dépenses de ces publications, déjà victimes de la baisse des abonnements papier et du caractère variable de leurs subventions. « Les revues sont un service public peu connu pour lequel il faut se battre. Il garantit la diffusion d’une grande variété de travaux », clame Claire Sécail, bénévole de la revue d’histoire Le Temps des médias. Aux côtés des « Facs et labos en lutte », les « Revues en lutte » défilent à chaque manifestation contre la future LPPR et ses injonctions néolibérales.

      « En creux de cette future loi se dessine une clientélisation accrue de la recherche », dénonce Gilles Martinet. Trois rapports préparatoires à la LPPR ont été rendus publics et préconisent, entre autres, de renforcer le rôle et les moyens de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Cet organisme fait le tri entre les projets de recherche et décide de l’attribution des financements. « Depuis trop longtemps, la recherche fondamentale est négligée au profit d’une logique de la performance », déplore Jamil Jean-Marc Dakhlia, président de l’université Paris-III Sorbonne-Nouvelle, dans une lettre adressée aux personnels et aux étudiant·es. En plus de cela, les rapporteurs et rapporteuses préconisent d’adosser les dotations des laboratoires à l’évaluation de leurs résultats. En clair, la LPPR entérine une logique « darwinienne » de la recherche, d’après le terme employé par Antoine Petit, président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

      L’évaluation à outrance de la recherche pose une autre question, celle de son indépendance. « Dans le système actuel, Emmanuel Macron et la ministre Frédérique Vidal comptent sur le Haut Conseil de -l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur [HCERES] pour décider de qui est bon et qui est mauvais », rappelait le journaliste Sylvestre Huet au micro de France Culture. Seulement voilà, le président de cette instance a démissionné et laissé son poste vacant. Plus de 5 000 chercheurs et chercheuses du collectif RogueESR en ont profité pour envoyer une candidature collective, afin de « se réapproprier le contrôle sur les valeurs et le sens de leurs métiers », explique une tribune publiée dans Le Monde du 21 janvier. Alors que la recherche valorise l’évaluation des pairs par les pairs, le candidat pressenti pour décrocher la présidence du HCERES n’est autre que Thierry Coulhon, actuel conseiller scientifique à l’Élysée.

      « On n’a aucune confiance en ce gouvernement et en ce qu’il prévoit pour la recherche », assène Pascale Dubus. Le projet affiché par la future LPPR est pourtant vendeur. Il s’agirait d’un réinvestissement « à la hauteur » pour l’enseignement supérieur et la recherche, en y consacrant 3 % du PIB. « Si c’est vraiment une loi budgétaire, elle doit s’inscrire dans le processus budgétaire annuel qui commence actuellement. Le manque de clarté sur le calendrier est irritant », commente Christophe Voilliot. Le Snesup-FSU a réclamé, le 7 février, la publication par le gouvernement d’un avant-projet de loi pour y voir plus clair.

      Dans une tribune publiée dans Le Monde, le 10 février, la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, affirmait à ses « collègues scientifiques » (elle est biochimiste de métier) que leur message avait été « entendu » sur la nécessité d’un investissement massif, sans en détailler les conditions. « La situation nécessite un choix politique fort et non des mesurettes destinées à constituer des rustines qui accroîtront la précarité », argue Anne Roger, cosecrétaire générale du Snesup-FSU. Le syndicat réclame notamment un plan d’emploi scientifique d’envergure de 6 000 personnes par an, sur dix ans, aussi bien pour des postes de chercheurs et de chercheuses que des personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques, dits Biatss.

      En attendant, la perspective est celle d’une grève illimitée. Les « Facs et labos en lutte » appellent à « arrêter la recherche » le 5 mars. « En 2009, on a vu les conséquences que pouvait avoir la grève sur les étudiant·es. On ne veut pas les pénaliser, alors il faut s’organiser et les appeler à nous rejoindre », commente Pascale Dubus. Jeudi 13 février, une « déambulation festive » des élèves et des universitaires devait se rendre au Crous de Paris. Pendant deux heures, une nasse policière au Centre Pierre-Mendès-France de Paris-I a empêché les étudiant·es de manifester. Ils et elles ont déjà prévu de gonfler les cortèges des prochaines manifestations intersyndicales.

      Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes.

      https://www.politis.fr/articles/2020/02/macron-perd-ses-facultes-41374

      –----

      Et cette magnifique phrase introductive:

      L’université a ses précaires que Macron ignore.

    • Crise dans la recherche : « Je passe 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail »

      Isabelle This Saint-Jean, professeur à l’université Sorbonne Paris Nord et secrétaire national du PS en charge des études, et Raphaël Rodriguez, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe à l’Institut Curie, sont les invités du grand entretien de Nicolas Demorand et Alexandra Bensaid à 8h20.

      La recherche française est en crise profonde, assure Isabelle This Saint-Jean, notamment sur la question de ses moyens : « Il y a un problème majeur de #sous-financement de la recherche française. Tous les chiffres en attestent, dès lors qu’on fait les comparatifs internationaux, dès lors qu’on regarde au moyen terme. Un problème lié aussi à ce qui se passe dans l‘enseignement supérieur, puisque l’immense majorité des chercheurs sont des enseignants chercheurs. »
      Une crise que ressent aussi sur le terrain Raphaël Rodriguez : « La difficulté majeure que nous avons aujourd’hui, c’est de financer les salaires des gens, les machines qui nous permettent de fonctionner, de payer les consommables : c’est beaucoup de contraintes. Le travail de chercheur devrait être focalisé sur la réflexion intellectuelle, sur des projets ambitieux. Je dois bien passer 80% de mon temps à m’occuper de la partie administrative de mon travail. Du temps pour mes chercheurs, j’en ai de moins en moins. »

      Pour Isabelle This Saint-Jean, le problème vient du fonctionnement du financement de la recherche, par appel à projets : « On ne peut pas tout ramener à l’idée que le principe de #concurrence est le principe ultime d’#efficacité. Il y a un aveuglement, avec l’idée qu’il faudrait hyper concentrer la recherche. Ça ne fonctionne pas, et les comparatifs internationaux montrent que ce n’est pas comme ça dans des pays cités comme exemples. »

      « L’#échec est absolument indispensable en recherche », souligne Raphaël Rodriguez. « Je pense qu’il faut être capable de prendre des risques et d’échouer. Les gens qui financent doivent accepter le fait qu’on va financer des gens qui peuvent ne rien trouver. Ça rend inutile certaines évaluations : le fait que certaines personnes ont échoué font que d’autres vont réussir ».

      https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-20-fevrier-2020

    • Inquiétudes sur l’avenir de la recherche

      Incertitude sur les financements, précarité accrue : malgré le flou qui l’entoure, la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche suscite de vives craintes parmi les enseignants-chercheurs.

      Le monde de la recherche est en ébullition. Depuis décembre, des enseignants-chercheurs participent aux manifestations presque toutes les semaines, d’autres ont choisi la grève illimitée, des dizaines de revues scientifiques ont cessé leurs publications… En plus de protester contre la réforme des retraites, particulièrement pénalisante financièrement pour eux et leurs collègues du primaire et du secondaire, ces professeurs et chercheurs se mobilisent contre la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) qui, selon eux, annonce, une précarisation accrue des personnels de l’université.

      Signe que leur mobilisation a porté, la présentation du projet de loi, prévue initialement pour la mi-février, a été repoussée à avril. Mais c’est en partie une victoire à la Pyrrhus, car depuis le gouvernement a verrouillé la communication. « On connaît peu de choses, nous n’avons pas eu beaucoup d’informations du ministère. Et surtout, nous n’avons aucune confirmation écrite », regrette Philippe Aubry, secrétaire général adjoint du SNESUP. « On négocie dans un véritable flou artistique », renchérit Xavier Duchemin chargé du CNRS et des personnels en CDD et CDI au SNPTES. De quoi alimenter encore davantage les rumeurs et peurs que suscite d’ores et déjà la loi dans la communauté des enseignants-chercheurs.
      Darwinisme managérial

      Au moment de son lancement, l’intention paraissait louable, pourtant : avec la LPPR, lancée en février 2019, le gouvernement entend relancer la recherche française en lui octroyant de nouveaux moyens et en la rendant attractive, tant pour les chercheurs internationaux que pour les docteurs français, de plus en plus souvent tentés de partir à l’étranger pour mener leurs travaux. Dans l’Hexagone, les dépenses en recherche et développement plafonnent depuis plus d’une dizaine d’années et ne représentent que 2,3% de son PIB selon l’Unesco. Loin de l’objectif de 3% défini en 2000 lors du Conseil européen de Lisbonne, qui devait être atteint… en 2010. Et, surtout, loin de pays comme la Suisse (3,2%), la Finlande (3,2%), la Suède (3,1%) ou encore l’Allemagne (2,9%). Mais les premiers rapports rendus et bruits de couloir laissent craindre des contreparties à ces nouvelles mesures qui ne sont pas au goût des chercheurs.

      Dès la fin novembre, le PDG du CNRS Antoine Petit a, il est vrai, jeté un froid en appelant de ses voeux « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. » De quoi braquer d’entrée de jeu des chercheurs qui se sont toujours mobilisés contre les réformes visant à instaurer une recherche à deux vitesses. Car cette logique est déjà en partie à l’oeuvre : selon le rapport sur le financement de la recherche, co-rédigé par Sylvie Retailleau, Cédric Villani et – déjà - Antoine Petit à la demande du gouvernement et remis en septembre 2019, une vingtaine d’universités reçoivent 80% des subsides attribués par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) qui, depuis 2005 finance une partie de la recherche française sur la base d’appels à projets. Une logique que ce groupe de travail invite à approfondir, jugeant « indispensable d’affirmer que les universités sont des opérateurs de recherche à part entière et que la différenciation entre elles est une réalité. Dans ce cadre, il est légitime de donner la possibilité à celles dont la recherche est intensive et la plus compétitive au niveau mondial de disposer de moyens supplémentaires pour mener une politique scientifique à la hauteur des ambitions de la France ».

      En recherche… de financements

      Lors des 80 ans du CNRS, à la fin de l’année dernière, le président de la République lui-même avait insisté sur la nécessité de mettre en place une politique d’évaluation pour récompenser les recherches les plus performantes. Pour les chercheurs, ce sont justement les critères de cette évaluation qui ne vont pas de soi. Ils craignent en particulier que la recherche dite appliquée, visant un objectif pratique et donc plus facilement valorisable, soit avantagée par rapport à la recherche « fondamentale », n’obéissant qu’à sa propre nécessité (un bon nombre de scientifiques jugeant par ailleurs qu’une telle dichotomie est parfaitement oiseuse).

      Quoi qu’il en soit, pour le ministère, cette revalorisation économique de la recherche passera en grande partie par une augmentation des moyens accordés à l’ANR. Une politique là encore peu appréciée par les chercheurs, qui estiment que la préparation des dossiers de candidatures est très chronophage, pour des résultats hélas bien maigres. « Nous ne sommes pas forcément opposés à une augmentation du budget de l’ANR mais il est essentiel que le taux de réussite des appels à projets passe au moins à 30%. Aujourd’hui, il se situe plutôt entre 10 et 13% en fonction des années », explique Xavier Duchemin.

      Mais concrètement, de quel budget parle-t-on ? Si Emmanuel Macron assurait fin novembre que « les chiffres seraient au rendez-vous », là encore, aucun montant n’a été avancé ou confirmé par le ministère. « On ne nous donne aucun chiffrage. Tant que cela n’a pas été arbitré par Bercy, on ne sait pas du tout où l’on va, explique Xavier Duchemin. Pour atteindre les 3% de Lisbonne, ça coince au niveau du budget de l’Etat. Plus on attend, plus on a tendance à penser que le budget sera réduit à peau de chagrin. Et si cet argent n’est pas mis sur la table, on va avoir du mal à rendre la recherche française attractive ».
      Précarité généralisée ?

      Si aucun montant global n’a été divulgué, Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a déjà annoncé une enveloppe budgétaire de 118 millions d’euros dès 2021 destinée à la revalorisation des rémunérations des enseignants-chercheurs, notamment des plus jeunes, sous forme d’augmentation de salaire ou de primes. Une annonce plutôt bien accueillie par les syndicats. Mais, malgré le flou persistant, d’autres mesures annoncées dans la loi de programmation pourraient, elles, faire fuir d’éventuels candidats.

      Le ministère a notamment confirmé la mise en place d’une nouvelle voie de pré-recrutement, les « chaires d’excellence junior », basée sur le modèle de ce que le monde anglo-saxon appelle des « tenure tracks ». « Il s’agirait de déroger au statut de la fonction public et d’engager quelqu’un sous la forme contractuelle pour une durée de 3 à 6 ans en lui fixant un certain nombre d’objectifs. A la fin, un comité évaluerait si les objectifs ont été atteints, et cela détermine la titularisation ou non de l’enseignant-chercheur », explique Philippe Aubry.

      « Si ces contrats sont amenés à se développer, cela peut poser un vrai problème. Ne serait-ce que parce que les universités font évoluer leur politique scientifique : si elles estiment que finalement, elles ont besoin d’un chercheur dans un autre domaine, elles ne vont pas titulariser cette personne alors qu’elle a atteint ses objectifs », poursuit-il. La mise en place de « CDI de projet », autrement dit des contrats de mission scientifique qui s’interrompent à la fin d’un projet de recherche, constitue un autre point de crispation alors qu’une bonne partie du personnel faisant tourner les universités et les laboratoires est déjà sous statut précaire.

      Car derrière toutes ces annonces, la communauté de la recherche craint la suppression progressive des statuts de maître de conférences ou de professeurs des universités, même si le gouvernement assure que cela ne sera pas le cas. « Nous avons dit et répété à la ministre que nous avions déjà tout ce qu’il fallait pour des besoins ponctuels en personnel. Il n’y a pas la nécessité de créer de nouveaux contrats. Reste à savoir avec ce CDI de mission scientifique comment il sera utilisé et s’il sera pénalisant ensuite dans l’accès à la titularisation », précise Xavier Duchemin.

      Malheureusement, chercheurs et enseignants-chercheurs vont devoir prendre leur mal en patience, le syndicaliste jugeant même « fort possible que cela se décide après les élections municipales » – signe que les nouvelles seront probablement mauvaises… Pour conjurer le sort, plusieurs syndicats ont d’ores et déjà appelé à une journée « université morte » le 5 mars prochain.

      https://www.alternatives-economiques.fr//inquietudes-lavenir-de-recherche/00091940

    • Enseigner et chercher au pays des « #Shadoks »…

      Sur la première chaîne de l’ORTF à la fin des années 60, de petites bestioles stupides dotées de longues pattes et d’ailes rabougries passaient leur vie à pomper sur des machines inventées par le professeur Shadoko, devin plombier, dont l’ambition était notamment de créer le mouvement perpétuel. La série résolument avant-gardiste et insolente avait déclenché l’agacement de nombre de téléspectateurs pour devenir culte quelques années plus tard. Incarnant l’absurdité des tâches laborieuses dépourvues d’objectifs clairs, les pauvres Shadoks s’abîmaient sous la férule de chefs ignorants dont la devise « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ou les conseils « En chassant les frottements, la mécanique devient parfaite », semblent tristement caractériser la situation critique dans laquelle le monde de l’enseignement et de la recherche s’asphyxie depuis plus d’une décennie.

      Tandis que nos ministres de tutelle font mine d’ignorer la #colère de tout un secteur professionnel à bout de souffle, dont les tâches ancillaires ne cessent de se multiplier au détriment du temps accordé à la transmission des savoirs et à l’émergence de la connaissance, les motions, tribunes, manifestations, pétitions, happenings, grèves bourgeonnent dans tout l’Hexagone sans qu’une réaction digne de ce nom ne vienne combler les attentes urgentes d’un personnel dont la colère n’a d’égal que le #mépris par lequel il est traité.

      Il faut dire que si le projet de réforme du #Capes, la #réforme_du_baccalauréat, et les pré-rapports de la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche ont allumé la mèche, la fusée incendiaire était déjà bien armée depuis la #LRU (Loi relative aux libertés et responsabilités des universités) de 2007. Dans la logique visant à réduire les #dépenses_d’État, la LRU, qui a donné l’#autonomie aux universités sans les moyens, n’a cessé d’accentuer les tensions internes entre administrateurs et gouvernés. En particulier, le transfert de la #masse_salariale aux universités s’est traduit par des #gels_de_postes de titulaire, des #non-renouvellements à la suite des départs en retraite, et des recours massifs aux #vacataires et #précaires, sous-payés, quand ils le sont. Dans le même mouvement, les rivalités externes entre sites, préfigurant la volonté affichée du PDG du CNRS d’appliquer au monde de la recherche « une loi inégalitaire, concurrentielle et darwinienne », se sont exacerbées. Avec une masse salariale réduite, il faudrait par ailleurs, pour rayonner, trouver les moyens de recruter des #stars_internationales, sur des #chaires aux salaires attractifs. C’est évidemment faire insulte aux collègues en poste, qui ne seraient pas assez bons, et aux docteurs et candidats dont on estimerait qu’ils ne feraient pas l’affaire face à quelques gloires débauchées dans des universités anglo-américaines. De ce point de vue, les #PIA (#Programmes_d’investissement_d’avenir, depuis 2010), et plus récemment la #loi_Fioraso ont pavé la route des universités de « #recherche_intensive », dotées de #Graduate_Schools qui permettront à certaines universités de caracoler au top des établissements dotés d’#Idex, d’#I-Site, de #Labex, etc., tandis que les autres se contenteront d’#enseignements_au_rabais, déconnectés des sites de recherche, dans une structure dualisée de collèges d’enseignements de premier cycle à cheval sur le lycée et le bac réformé, autrement dit les fameux parcours -3/+3. Le modèle est d’ailleurs bien enclenché, avec un CNRS qui depuis longtemps concentre l’essentiel de ses moyens sur une dizaine de gros sites universitaires, qui sont aussi ceux ayant obtenu les IDEX (#Initiatives_d’excellence du PIA)… #The_winner_takes_it_all. Comme l’avait souligné #Danielle_Tartakowsky dans son ouvrage Construire l’université au XXIe siècle, il faudra donc craindre pour les universités les mêmes stratégies de contournement d’établissements dont est victime aujourd’hui le secondaire. La fin de l’#égalité_de_traitement entre sites, et donc entre élèves, avec cette réforme du bac, au sein de laquelle chaque établissement a finalement composé un jeu d’épreuves à la carte, achève cette casse systématique de la #méritocratie_républicaine. Très concrètement, alors que certaines formations master-recherche seront arrosées de moyens pour emmener les étudiants vers des #doctorats adossés eux-mêmes à des « #missions_scientifiques » post-doctorales gagées sous le sceau de l’éphémère (statuts précaires, vacations d’enseignements, et maintenant #tenure_track, c’est-à-dire contrats à durée déterminée sur objectifs de levée de fonds et de publications), les filières plus ordinaires et humbles vivoteront pour, par exemple, former à des concours d’enseignement pour lesquels les candidats se font de plus en plus rares. Et ça tombe bien, puisque le Capes pourrait subir lui-aussi une réforme le vidant de son contenu disciplinaire, pour transformer les futurs professeurs en animateurs scolaires.

      Il ne faudrait donc surtout pas croire que les projets actuels sont uniquement le fruit d’un amateurisme qui toucherait de façon erratique différentes catégories professionnelles dont les métiers ne sont pas tout à fait les mêmes. Ces réformes sont systémiques, organisées depuis plus de dix ans, parfaitement cohérentes, et touchent l’ensemble de nos formations, de l’école élémentaire à l’université. Il faut les rapprocher et les décoder pour en comprendre la logique délétère et c’est précisément le but de cette tribune. Ces décisions appliquent le #new_public_management, un ensemble de #réformes imposant aux #services_publics les modalités de #contrôle et de #gouvernance du #secteur_productif_privé, sur le modèle qu’a subi l’hôpital public, définissant des objectifs de #retours_sur_investissement, alors même que la #recherche et l’#éducation sont, dans une société, des #investissements sur l’avenir, par nature incommensurables. À l’aune du #classement_de_Shanghai ou des critères d’#internationalisation du #Times_Higher_Education, ces réformes consistent à faire de la #mesure un objectif à atteindre et à gouverner en fonction des #indicateurs (nombre de publications, nombre de recrutements internationaux, nombre de prix Nobel, d’ERC, et d’IUF, taux d’encadrement, taux de réussite, taux d’achèvement des thèses). Il s’agit non plus d’accompagner vers les #projets, mais de #pénaliser les départements et disciplines qui n’atteignent pas les objectifs, en imposant à la fois des logiques d’#excellence, de mise en #concurrence des sites et des établissements, en reportant les logiques d’arbitrage de #budgets d’#austérité sur les collègues et les directions, en assurant l’écrasement des collègues sous la multiplication des tâches de « #remontée_d’indicateurs », au détriment évidemment des fondamentaux du service public d’enseignement et de la recherche. Une #perte_de_sens aux conséquences dramatiques est au cœur de ce système. La candidature collective de plus de 5 000 collègues à la présidence du HCERES (Haut Conseil de l’Évaluation et de la Recherche de l’Enseignement Supérieur) à l’initiative du collectif RogueESR, s’est organisée dans cet esprit : il s’agit de reprendre le #contrôle_collectif des modalités d’appréciation et de gestion des métiers de l’éducation, systématiquement orientés vers une logique du secteur marchand (l’#économie_du_savoir). Car nous ne sommes pas dupes : il y aurait pour certains acteurs de l’argent à se faire si les universités rejoignaient le #modèle_concurrentiel et payant des écoles de commerce et des MBA, au détriment bien évidemment des étudiants et des élèves, futurs étudiants de l’université. Il faut donc être lucide et rassembler les pièces de ce puzzle complexe pour comprendre et dénoncer une #destruction du navire éducatif, de la cale au nid-de-pie, de la maternelle au doctorat !

      Lorsque les enseignants-chercheurs expliquent qu’ils n’en peuvent plus de répondre à des #appels_à_projets, de remplir des dossier d’évaluations, de construire des maquettes de licence détricotées systématiquement tous les 4 ou 5 ans, de multiplier les lettres de soutien pour des post-docs condamnés à une longue, voire définitive précarité [3], courant d’un CDD à l’autre à travers le monde, leurs collègues du secondaire font face à des réformes dont les conséquences sont funestes sur la qualité des enseignements donnés. Tandis que les #E3C (#Épreuves_communes_de_contrôle_continu) qui visaient à alléger l’organisation du #bac ont été imposées à marche forcée et de manière brutale dans certaines académies, sans anticipation, sans préparation, sans concertation, forçant les enseignants à sacrifier le temps des apprentissages sur l’autel de l’#évaluation_permanente, les élèves angoissés par les sélections de #ParcourSup doivent se positionner et sélectionner des formations, dans un brouillard total, sans construire leur savoir avec le temps et l’attention qu’ils méritent. Lorsque les jeunes chargés de TD de l’université crient leur détresse face à des salaires de misère et payés au lance-pierre, plusieurs mois après les missions dans de nombreux cas, que les enseignants-chercheurs confirmés explosent les 50 heures par semaine pour des rémunérations qui les placent à 63% du salaire correspondant des pays de l’OCDE, les jeunes professeurs des écoles en France tout comme les professeurs du secondaire se placent au 20e rang des pays de l’OCDE, avec des rémunérations 50% moins élevées qu’en Allemagne pour ne donner qu’un exemple. Mais c’est bien connu : l’enseignant est un fainéant, une brave bête qui a trouvé sa vocation et ne se plaint pas (#PasDeVagues), qui a la passion de son métier et qui, dans des conditions matérielles et humaines sans cesse dégradées, se nourrit d’un sourire, d’un remerciement appuyé lorsqu’un de ses jeunes élèves ou étudiants vient lui dire à la fin d’un cours combien il s’en trouve grandi, ou quelques années plus tard qu’il a signé un contrat d’embauche. Après tout, comme le disait le devin #Shadoko « Pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles, il faut toujours taper sur les mêmes ». Alors chargeons la mule, continuons à geler le point d’indice, qui n’a pas bougé d’un iota depuis plus de 10 ans, cessons les #recrutements à l’université, tandis que le nombre d’étudiants est en constante hausse, reculons l’âge de la retraite et bien sûr entamons ladite retraite, surtout pour les femmes.

      Contrôler, punir, développer les #inégalités, et diviser pour imposer : voilà les maîtres mots d’une #politique_néolibérale qui ne se cache plus et qui applique de simplistes #lois_de_gestion à un monde de l’éducation et de la recherche dont la richesse réside dans la liberté d’apprendre et la diversité des savoirs. Dans des collèges et lycées où l’enseignement disciplinaire se réduira à une peau de chagrin et dans des universités où les appels à projet de recherche excluent déjà tout ce qui ne relève pas des « #défis_sociétaux » homologués par la « #cellule_stratégique_ministérielle », la #créativité et la #flexibilité qui permettent à l’humanité de faire face, d’innover et de s’adapter à la variabilité du monde, s’étioleront pour laisser place à une société violente, brutale, égoïste et incapable d’assumer l’imprévisible et de s’y adapter [4]. Récemment, Nucio Ordine, professeur de littérature à l’université de Calabre, s’inquiétait de la perte de sens et du #tournant_utilitariste que l’on fait prendre à l’université, et pas seulement en France. [5] L’université n’est pas une école pratique et ne forme pas à un métier, mais le métier est une conséquence des études qu’elle dispense. L’école doit laisser du temps à l’esprit pour penser, réfléchir imaginer. Or, les réformes actuelles s’inscrivent dans une logique du #rendement à court terme qui force les enseignants comme les chercheurs à se couler dans une #culture_du_résultat_immédiat, poussant les élèves et les étudiants à s’auto-exploiter, soumis à la #peur de l’#échec et de la voie sans issue. Des exigences immédiates de résultats trimestriels dans les E3C, au programme de l’#European_Research_Council de l’Union Européenne, tout est orchestré pour brider la pensée. Alors non Mme Vidal, non M. Blanquer, les prix Nobel ne s’obtiennent pas en 5 ans, les docteurs en sciences humaines n’accouchent pas d’une thèse en 3 ans et un adolescent ne maîtrise pas les ressorts de la construction de la souveraineté nationale en 3 semaines !

      Saluons la manière dont les pré-rapports de la LPPR ont ciblé correctement les problèmes de notre environnement professionnel, mais disons clairement que les solutions préconisées ne peuvent qu’envenimer la situation.

      L’historien sait combien l’homme ne peut se construire sans la connaissance du passé. Le géographe sait combien l’appréhension de l’espace par les sociétés et la construction des territoires, de leurs hiérarchies et des inégalités qui les traversent, le positionne dans le monde. Nos disciplines sont les vigies de ce bateau ivre ; elles ne cessent d’alerter les capitaines que le naufrage est imminent. Contrairement à ce que l’on veut faire croire, nous ne sommes pas figés dans des certitudes passéistes. Mais le changement ne doit pas se faire au prix d’une #dégradation de nos conditions d’exercice et du #sacrifice de ce qui constitue l’ADN de nos professions : la liberté de choisir nos sujets de recherche, le #temps pour en assurer la #transmission_des_résultats. Seul un cadre stable et pérenne permet au chercheur de prendre des risques, de sortir des sentiers battus et … de trouver. Seul un cadre stable et pérenne permet à l’enseignant de développer ses #compétences et de révéler les potentiels et les talents. Pour cela nous appelons, comme nombre de nos collègues, à des #Etats_généraux_de_l’enseignement_et_de_la_recherche, animés, non par des #technocrates hantés par la #culture_d’entreprise, du #management et du #résultat_immédiatement_utile, mais par des femmes et des hommes rompus à l’exercice de métiers qui seuls leur donnent le droit de s’exprimer et de proposer. Le Conseil National des Universités, les sociétés savantes et les associations d’enseignants constituent autant de viviers pour alimenter sereinement et positivement le processus de réforme.

      De la perte de sens à l’expression du bon sens, il n’y a qu’un pas salvateur qu’il faut nous donner les moyens d’accompagner.

      Continuer à nier la #détresse et le #désarroi des enseignants et des enseignants-chercheurs serait sacrifier les forces vives de notre système académique, longtemps envié par les étrangers pour son égalité des chances et l’excellence de ses résultats.
      À moins que nous ne vivions au pays des Shadoks et dans ce cas : « S’il n’y pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème ! ».

      https://www.aphg.fr/Enseigner-et-chercher-au-pays-des-Shadoks

      #utilitarisme

    • Les vacataires de l’université sont-ils vraiment payés en dessous du #smic_horaire ?

      Selon des collectifs contre la précarité des enseignants chercheurs, les vacataires de l’enseignement supérieur sont payés en dessous du smic, si l’on se réfère au taux horaire effectif.

      Bonjour,

      Depuis plusieurs semaines, les enseignants vacataires des universités se mobilisent pour dénoncer la précarité de leur métier. Libé a consacré un article à ce sujet, le 12 février, recensant plusieurs témoignages de précaires. La question de leur rémunération y est abordée :

      « Les vacataires, "ceux pour qui c’est le pire", comme le souligne Juliette, touchent 41,41 euros brut de l’heure. "Sauf qu’on est payés uniquement à l’heure de cours donnée !", rappelle Paula, exaspérée. »

      Ces rémunérations sont dénoncées par plusieurs collectifs de l’enseignement supérieur depuis des mois : en temps de travail effectif, les vacataires seraient payés moins que le smic horaire. Ainsi, la Confédération des jeunes chercheurs s’insurgeait, en mai de l’année dernière : « Depuis le 1er janvier 2019, les vacations d’enseignement du supérieur sont payées 17 centimes sous le smic. »

      Les vacataires sont des enseignants auxquels fait appel l’enseignement supérieur, mais qui ne sont pas titulaires de la fonction publique. Il peut s’agir de professionnels qui exercent une activité à côté, et sont invités à intervenir ponctuellement en raison de leur expérience : des chargés d’enseignement vacataires, ou bien des doctorants qui ont encore le statut d’étudiants ou des retraités de moins de 67 ans : il s’agit alors d’agents d’enseignement vacataires. Ceux qui ne sont pas doctorants doivent pouvoir justifier d’au moins 900 heures d’activité rémunérée à côté ou être chefs d’entreprise. « Ça varie selon les universités, mais certaines demandent même à des docteurs qui n’ont pas de postes de se déclarer autoentrepreneurs pour pouvoir les embaucher comme vacataires », dénonce auprès de CheckNews Frédéric Erard, de la CGT Ferc Sup.

      Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le nombre de vacataires s’élève à près de 128 000 en 2018-2019. Les agents d’enseignement vacataires ne peuvent enseigner sur l’année plus de 96 heures de travaux dirigés ou 144 heures de travaux pratiques. Les chargés d’enseignement vacataires peuvent aussi effectuer 64 heures de cours. Leur statut est défini dans ce décret du 29 octobre 1987. « Un vacataire n’effectue le plus souvent que quelques heures d’enseignement par an, seulement 18% des chargés d’enseignement vacataires ont exercé plus de 96 heures dans l’année », précise le ministère.
      Une heure de TD équivaut à plus de 4 heures de cours effectif

      En plus de la conférence des jeunes chercheurs, l’université ouverte, le collectif des travailleurs précaires de l’enseignement supérieur, et plusieurs collectifs d’universités ont fait le calcul pour dénoncer un salaire inférieur au smic. Leur logique est simple : selon le bulletin officiel de l’enseignement supérieur, les vacataires sont rémunérés 41,41 euros brut par heure de travaux dirigés (TD). Or, selon un arrêté sur les équivalences horaires pour les enseignants-chercheurs, une heure de TD correspond à 4,2 heures de travail effectif. Cela signifie que, pour les TD, les vacataires sont payés (41,41/4,2), 9,85 euros brut de l’heure. Or, le smic brut horaire s’élève aujourd’hui à 10,15 euros.

      Pourquoi cette comparaison avec les heures de TD ? Car les vacataires sont rémunérés en équivalent d’heures de TD. Un cours magistral équivaut à 1,5 heure de TD (soit 62,09 euros brut) et une heure de travaux pratiques à deux tiers seulement d’un TD (27,58 euros).

      Ce calcul s’appuie donc sur les textes publiés par le gouvernement, concernant la rémunération des vacataires et le calcul des heures effectives des enseignants-chercheurs. Certains vacataires, tout comme leurs collègues enseignants-chercheurs, assurent passer beaucoup plus que quatre heures à préparer un cours, voire un examen, donner le cours et corriger des copies.

      C’est d’ailleurs ce qu’expliquaient plusieurs vacataires interrogés par Libé le 12 février. A propos de Paula, le journal écrivait : « Elle a été vacataire pendant sa thèse à Montpellier [agrégée mais refusant son poste le temps de finir sa thèse], et se souvient des heures de travail à rallonge, non rémunérées : "J’avais dû préparer un concours blanc d’agrégation. L’écriture m’a pris une semaine, la surveillance sept heures, la correction huit heures. Et j’ai été payée uniquement pour une heure de cours". »

      Le ministère de l’Enseignement supérieur, de son côté, relativise. « Cette équivalence [entre les heures effectives et les heures de cours, ndlr] est applicable à la gestion des obligations de service des enseignants-chercheurs et non de celle des chargés d’enseignement vacataires qui ne sont pas soumis à de telles obligations. Elle ne signifie pas que toute heure de TD se traduirait obligatoirement par 4,1849 heures de travail effectif. Dans certains cas, la préparation d’un cours peut être longue, dans d’autre cas, la reprise d’un cours déjà dispensé peut-être plus brève. » D’ailleurs, à propos de l’arrêté selon lequel une heure de TD serait équivalente à 4,2 heures de travail effectif, il précise : « C’est plus une construction statutaire qu’une réalité pédagogique. »

      Interrogé sur une éventuelle revalorisation des salaires des vacataires, le ministère répond : « Nous réfléchissons à cette question au milieu de nombreuses autres dans le cadre des transformations à venir du monde de la recherche. »

      Cordialement

      https://www.liberation.fr/checknews/2020/02/23/les-vacataires-de-l-universite-sont-ils-vraiment-payes-en-dessous-du-smic

      #fact-checking #smic #salaire

  • Quand les #procédures prennent le dessus de la #raison... ça doit faire cela comme effet...

    "Je prends note de vos remarques. Néanmoins, je tiens à rappeler la procédure à suivre en cas de contestation.
    Conformément à la charte des examens et au règlement des études, toute constestation doit être formulée par écrit et au président du jury dans un délai de deux mois.
    Ce qui entraine « en principe » une nouvelle délibération sur cette étudiante.
    En revanche, cette nouvelle délibération n’est possible que dans un délai de 4 mois à compter de la proclamation des résultats.
    Nous sommes donc hors délai puisqu’il s’agit du semestre 9.

    Par conséquent, je demande au président du jury semestre 9 et au président du jury diplôme, d’emettre un avis par mail, afin que ledit mail soit joint au PV définitif.
    Pour information, la modification sera apportée uniquement après les inscriptions adminitratives."

    C’est un mail que j’ai reçu de l’administration de l’université où je travaille... Quelle #fatigue...

    #Absurdistan #procédurisme #université #fac #administration #France #absurdité #néolibéralisme (je mets le mot néolibéralisme, je ne sais pas si ce genre de choses est la conséquence de la gestion néolibérale des universités en France, mais je pense qu’il doit y avoir un lien...)

  • Procédures accélérées et accès aux soins. L’équation impossible ? | Prise en considération de l’état de santé : des procédures bâclées
    https://asile.ch/2019/07/29/procedures-accelerees-et-acces-aux-soins-lequation-impossible-prise-en-conside

    Depuis le mois d’août 2018, dans le cadre de la nouvelle procédure d’asile, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a renvoyé une dizaine d’affaires au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) pour compléments d’instruction[1]. En cause : une prise en compte insuffisante de l’état de santé des requérant.e.s et des manquements dans l’encadrement médical des centres fédéraux […]

  • EASO | La situation de l’asile dans l’UE en 2018
    https://asile.ch/2019/06/25/easo-la-situation-de-lasile-dans-lue-en-2018

    Le rapport annuel de l’EASO sur la situation en matière d’asile dans l’Union européenne en 2018 offre une vue d’ensemble complète des évolutions dans le domaine de la protection internationale à l’échelle européenne et au niveau des régimes d’asile nationaux. À partir d’un large éventail de sources, le rapport examine les principales tendances statistiques et […]

  • It’s time to recognize how men’s careers benefit from sexually harassing women in academia

    The wave of accusations about sexual harassment and predation in media and art has shown that it is impossible to separate the art from the artist, sparking much needed discussion about “how the myth of artistic genius excuses the abuse of women” (Hess 2017). We have a similar myth in academia: that the contributions of a harassing scholar can be separated from his bad behavior. It is time to debunk that myth once and for all.

    https://hugeog.com/wp-content/uploads/2019/06/HG_Vol-12_No1_2019_ch11.pdf
    #université #harcèlement #sexisme #harcèlement_sexuel #Me_too #MeToo

    Tribune écrite par des géographes aux Etats-Unis dans la revue Human Geography...

    Et je me rends compte qu’il faudrait qu’un jour je commence une métaliste sur cette question, car on commence à avoir une belle collection de documents sur seenthis...

    • Après #metoo, le besoin urgent d’une déontologie universitaire

      La #loi_du_silence se lève progressivement sur le problème du harcèlement sexuel à l’université. « De tels comportements ne doivent plus être acceptés, tolérés, voire encouragés. C’est pourquoi il est urgent qu’ils soient reconnus pour ce qu’ils sont : des #fautes_déontologiques et professionnelles, appelant des #sanctions_disciplinaires », insistent de nombreuses associations et universitaires de différentes universités françaises.

      La prise de conscience est lente, mais grâce au travail du #CLASCHES (https://clasches.fr), au mouvement #MeToo qui a soutenu la prise de parole des victimes et à la mobilisation d’universitaires (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/061218/violences-sexuelles-dans-l-enseignement-superieur-et-la-recherche-au), la loi du silence se lève progressivement sur le problème du harcèlement sexuel à l’université.

      Ce problème n’est pourtant pas encore traité avec le sérieux et la volonté politique qu’il requiert : qu’il s’agisse des procédures locales mises en place par les universités, de la communication à destination de la communauté universitaire sur le rôle des référent·e·s, des formations, des enquêtes et de l’application réelle de sanctions, les éléments essentiels pour la lutte contre le harcèlement sexuel n’en sont qu’à leurs balbutiements. Le fonctionnement rétrograde des #procédures_disciplinaires, qui ne peuvent être ouvertes que par les président·e·s d’université, ne reconnaissent pas de statut aux #victimes, et impliquent généralement de faire juger les personnes mises en cause par leurs ami·e·s et collègues, est particulièrement problématique (1). Les universités, de surcroît, ont trop souvent tendance à se défausser sur la #justice_pénale lorsque des #agressions_sexuelles ou des faits de harcèlement leur sont rapportés alors qu’elles ont la #responsabilité de les traiter non pas en tant que #délits mais en tant que manquements à des obligations professionnelles.

      Or, cette tendance des établissements de l’#Enseignement_Supérieur à prendre pour référence unique le #droit_pénal et y renvoyer les comportements pénalement répréhensibles qui sont dénoncés a une autre conséquence : non seulement les procédures disciplinaires ne sont pas systématiques en cas de délit d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel, mais elles laissent de côté par la même occasion l’ensemble des comportements de nature sexiste ou sexuelle qui forment la racine de ce problème.

      Lorsque des étudiant·e·s dénoncent des comportements soit sexistes, soit à connotation sexuelle ou amoureuse de la part de leurs enseignant·e·s, ceux-ci ne sont pas toujours susceptibles d’être sanctionnés pénalement. Pourtant ces comportements, outre leur gravité intrinsèque et leurs lourdes conséquences sur les étudiant·e·s et leurs trajectoires, constituent des manquements aux obligations professionnelles de l’enseignant·e, dans la mesure où ils entravent le fonctionnement du #service_public.

      Et en tant que service public, l’Enseignement Supérieur et la Recherche doit notamment assurer un environnement de respect et de sécurité et une relation pédagogique favorable à l’apprentissage de tou·te·s les étudiant·e·s : la "drague" n’a pas sa place dans cette relation et enfreint à ce titre les obligations professionnelles des enseignant·e·s.

      Ainsi, ce ne sont pas seulement les comportements répréhensibles devant les tribunaux (2) qui posent problème : toutes les sollicitations sexuelles et/ou amoureuses de la part d’enseignant·e·s compromettent cette #relation_pédagogique. Tout comportement à connotation sexuelle ou amoureuse de la part de l’enseignant·e est fondamentalement incompatible avec la #confiance, le #respect et l’#égalité_de_traitement nécessaires pour qu’un·e étudiant·e puisse étudier, apprendre, faire un stage ou réaliser un travail de recherche dans de bonnes conditions. Ces fautes professionnelles devraient systématiquement faire l’objet d’une #procédure_disciplinaire accompagnée d’une enquête précise, et non d’un simple #rappel_à_l’ordre informel (3), quand elles ne sont pas simplement passées sous silence.

      Dans le contexte institutionnel actuel de l’enseignement supérieur, la relation pédagogique est fortement asymétrique : l’enseignant·e est non seulement investi·e d’une position d’#autorité où il / elle est celui ou celle qui sait et transmet un savoir, mais cette relation pédagogique a aussi des implications très concrètes sur les notes, les évaluations, voire le jugement par l’ensemble d’une équipe pédagogique à l’égard d’un·e étudiant·e. Les enseignant·e·s ont ainsi un réel pouvoir de décision sur l’avenir universitaire et professionnel de leurs étudiant·e·s. Ce type d’#asymétrie suscite souvent à la fois crainte et admiration de la part des étudiant·e·s. Il est indispensable que les enseignant·e·s n’abusent pas de cette position et ne se sentent ni en droit et ni en mesure de le faire. Dans une telle situation d’asymétrie, tout comportement à connotation sexuelle ou amoureuse de la part de l’enseignant·e, qu’il soit répété ou non, que l’étudiant·e y réponde favorablement ou non, est assimilable à un #abus_de_pouvoir.

      Des situations qui entravent la déontologie la plus élémentaire sont trop souvent écartées d’un revers de main au prétexte que les personnes impliquées sont « des adultes consentants » (4). Comment construire une relation de confiance et de respect mutuel avec un directeur ou une directrice de thèse qui vous fait des avances, quand bien même votre refus serait respecté ? Comment se sentir à l’aise en cours avec un·e enseignant·e qui vous complimente sur votre apparence ? Il n’est plus acceptable d’entendre – comme c’est aujourd’hui trop souvent le cas – des enseignant·e·s parler de leurs classes comme d’un terrain de chasse réservé, avec ce qu’il faut de parfum de transgression, du moment que leur environnement professionnel regarde discrètement ailleurs. Il n’est plus acceptable d’apprendre qu’un·e enseignant·e sort régulièrement avec des étudiant·e·s sans que cela n’entraîne de réaction ferme au sein des établissements. Le caractère choquant de ces comportements est pourtant admis de tou·te·s, qui ont la décence de n’en parler que dans des espaces confidentiels, entre collègues et à voix basse, mais pas le courage d’y mettre un terme.

      Le corps médical, confronté aux mêmes problèmes, a récemment introduit une précision dans le code de déontologie médicale, afin de faciliter la prise de sanctions adéquates en cas de plainte (5). Il est nécessaire et urgent qu’une clarification analogue soit adoptée et communiquée dans le cadre des établissements d’Enseignement Supérieur, au niveau national dans les décrets statutaires des enseignant·e·s et des différents corps d’enseignant·e·s et par conséquent dans le règlement intérieur de chaque établissement, et qu’il devienne ainsi clair, pour les enseignant·e·s comme pour les étudiant·e·s, que « l’enseignant·e ne doit pas abuser de sa position, notamment du fait du caractère asymétrique de la relation d’enseignement, et doit s’abstenir de tout comportement à connotation sexuelle ou amoureuse (relation intime, parole, geste, attitude…) envers l’étudiant·e » (6).

      De tels comportements ne doivent plus être acceptés, tolérés, voire encouragés. C’est pourquoi il est urgent qu’ils soient reconnus pour ce qu’ils sont : des fautes déontologiques et professionnelles, appelant des sanctions disciplinaires.

      (1) Voir à ce propos CLASCHES, « L’action du CLASCHES », Les cahiers du CEDREF, 19 | 2014, mis en ligne le 17 avril 2015 ; Alexis Zarca, « La répression disciplinaire du harcèlement sexuel à l’université », La Revue des droits de l’homme, 12 | 2017, mis en ligne le 29 juin 2017 ; DOI : 10.4000/revdh.3109. Voir également le colloque « Violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche : de la prise de conscience à la prise en charge » à l’Université de Paris Diderot (décembre 2017).

      (2) Pour rappel, ces comportements sont principalement les agressions sexuelles, dont le viol, ainsi que le harcèlement sexuel constitué soit par « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », soit par « toute forme de pression grave (même non répétée) dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte sexuel ».

      (3) Rappelons que l’avertissement et le blâme figurent parmi les sanctions qui peuvent être déterminées à l’issue d’une procédure disciplinaire.

      (4) Dans l’enseignement secondaire, les élèves mineur·e·s de plus de quinze ans sont légalement protégé·e·s de leur côté par l’existence du délit d’atteinte sexuelle qui court jusqu’à dix-huit ans si la personne majeure a une autorité de fait sur la victime. Il faut cependant noter qu’une partie importante des lycéen·ne·s atteignent leur majorité durant leur scolarité.

      (5) Un commentaire précise désormais ainsi l’article 2 du code de déontologie : « le médecin ne doit pas abuser de sa position notamment du fait du caractère asymétrique de la relation médicale, de la vulnérabilité potentielle du patient, et doit s’abstenir de tout comportement ambigu en particulier à connotation sexuelle (relation intime, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée …) ».

      (6) Les établissements pourront ensuite déterminer plus précisément l’extension de cette exigence, en tenant compte de leur organisation et de la structure de leurs formations.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/280619/apres-metoo-le-besoin-urgent-d-une-deontologie-universitaire

  • A l’université, la parole se libère enfin
    https://www.mediapart.fr/journal/france/200519/l-universite-la-parole-se-libere-enfin

    Ces derniers mois, de nombreuses universités ont lancé, avec une ampleur inédite, des procédures disciplinaires visant certains de leurs enseignants, après des dénonciations de #Violences_sexistes et sexuelles. Mais faute de formation ou de volonté politique, les démarches restent encore extrêmement longues et incertaines.

    #procédures_disciplinaires,_Université,_Recherche,_sexisme,_violences_sexuelles,_enseignement_supérieur,_A_la_Une

  • #Viol : pas la pulsion, la #prédation – Révolution Féministe
    https://revolutionfeministe.wordpress.com/2018/06/10/viol-pas-la-pulsion-la-predation

    Les #procédures judiciaires sont maltraitantes envers les #victimes de violence sexuelles. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un pour qui ça se soit bien passé. En France, quelqu’un qui a été violé n’obtient pas justice. Ou alors il faut que le violeur soit, comme dans mon cas, quelqu’un sur qui on puisse jeter l’opprobre ; si c’est un père de famille ou un notaire, c’est mort, on ne leur fera jamais rien.

    Quand vous parlez de confrontations, vous parlez de ces confrontations où on se retrouve face à face avec l’agresseur dans le bureau d’un juge avec les avocats ?

    F.S. : Oui, les confrontations qui font partie de la procédure avant le procès.

    A.B. : Heureusement, j’étais bien accompagnée, on m’avait prévenue : « si on te propose une #confrontation, tu dis non ». Quand j’ai été me faire expertiser, l’experte a essayé de m’extorquer une réponse positive. L’expertise psychologique, d’ailleurs, c’est souvent une nouvelle violence, j’avais beau être préparée, ça m’a complétement laminée. Ce passage figure in extenso dans mon #livre, pour prévenir les victimes des pièges qui nous sont tendus. A la fin de l’expertise, j’enfilais mon manteau, l’experte m’a posé la question de la confrontation comme s’il s’agissait d’une formalité. Soit elle est ignorante de ce qu’est la dissociation, et donc incompétente à expertiser des victimes de violence sexuelles, soit elle se fout royalement de la souffrance des victimes. Moi, face à Giovanni Costa (NDLR son agresseur), dans un bureau, je me serais dissociée immédiatement, rien qu’à croiser son regard – quelle marge de manœuvre aurai-je eu pour me faire entendre et obtenir justice ? Elle aurait été absolument nulle, je n’aurais rien pu dire, je n’aurais rien ressenti – j’aurais été dissociée. Le juge aurait pensé : « ah et bien, elle n’est pas si traumatisée finalement », et basta ! C’est ce qui se passe dans une confrontation. L’arsenal législatif existant indigent et si peu appliqué, la correctionnalisation massive des viols en agressions sexuelles, …, il y a mille raisons d’être en colère aujourd’hui – mais alors demander aux victimes d’être confrontées à leur agresseur, pour empêcher un peu plus leur parole et les exposer à une nouvelle violence, je trouve que c’est carrément criminel.

    #dissociation

  • Les #machines, les #procédures, et la #fuite_de_la_responsabilité | Freakonometrics

    Merci Arthur.

    https://freakonometrics.hypotheses.org/52534

    On essaye de nous faire croire que l’intelligence artificielle est une « révolution ». Et s’il n’en était rien ? Ne peut-on pas voir tout simplement la logique d’un processus qui remonte au moins aux cinquante dernières années ? La bureaucratie nous a poussés à mettre en place dans tous les domaines de la vie de tous les jours des procédures simples, permettant à tout-à-chacun de se dégager de toute responsabilité, de ne plus avoir à faire preuve d’intelligence. Les algorithmes font peur, on se demande où se trouve l’ « humain » dans ces procédures décisionnelles… Et s’il avait déjà disparu depuis bien longtemps ?

  • AIDA 2016 Update : Greece

    The updated country report on Greece provides a thorough analysis of the transformation of the Greek asylum system in the light of the closure of the Western Balkan route and the EU-Turkey statement. The report offers detailed statistics and practical insights into the workings of the asylum procedure, reception and detention of asylum seekers, as well as content of international protection.

    Substantial asylum reforms, many of which driven by the implementation of the EU-Turkey statement, took place in 2016. Law (L) 4375/2016, adopted in April 2016 and transposing the recast Asylum Procedures Directive into Greek law, was subsequently amended in June 2016 and March 2017, while a draft law transposing the recast Reception Conditions Directive has not been adopted yet.

    The impact of the EU-Turkey statement has been a de facto divide in the asylum procedures applied in Greece. Asylum seekers arriving after 20 March 2016 are subject to a fast-track border procedure and excluded from relocation in practice.

    Fast-track border procedure: One of the main modifications brought about by L 4375/2016 has been the establishment of an extremely truncated fast-track border procedure, applicable in exceptional cases. As underlined the fast-track procedure under derogation provisions in Law 4375/2016 does not provide adequate safeguards. In practice, fast-track border procedure applies to arrivals after 20 March 2016 and takes place in the Reception and Identification Centres (RIC) of Lesvos, Chios, Samos, Leros and Kos. Under the fast-track border procedure, which does not apply to Dublin family cases and vulnerable cases, interviews are also conducted by EASO staff, while the entire procedure at first and second instance has to be completed within 14 days. The procedure has predominantly taken the form of an admissibility procedure to examine whether applications may be dismissed on the ground that Turkey is a “safe third country” or a “first country of asylum”; although these concepts already existed in Greek law, they have only been applied following the EU-Turkey statement. The admissibility procedure started being applied to Syrian nationals in April 2016 and was only applied to other nationalities with a rate over 25% (e.g. Afghans, Iraqis) since the beginning of 2017. In the meantime, for nationalities with a rate below 25%, the procedure entails an examination of the application on the merits without prior admissibility assessment as of July 2016. A Joint Action Plan of the EU Coordinator on the implementation of certain provisions of the EU-Turkey statement recommends that Dublin family reunification cases be included in the fast-track border procedure and vulnerable cases be examined under an admissibility procedure.

    Appeals Committees reform: The composition of the Appeals Committees competent for examining appeals was modified by a June 2016 amendment to the April 2016 law, following reported EU pressure on Greece to respond to an overwhelming majority of decisions rebutting the presumption that Turkey is a “safe third country” or “first country of asylum” for asylum seekers. The June 2016 reform also deleted a previous possibility for the appellant to obtain an oral hearing before the Appeals Committees upon request. Applications for annulment have been submitted before the Council of State, invoking inter alia issues with regard to the constitutionality of the amendment. A recent reform in March 2017 enabled EASO staff to assist the Appeals Committees in the examination of appeals, despite criticism from civil society organisations. Since the operation of the (new) Appeals Committees on 21 July and until 31 December 2016, the recognition rate of international protection is no more than 0.4%. This may be an alarming finding as to the operation of an efficient and fair asylum procedure in Greece. Respectively, by 19 February 2017, 21 decisions on admissibility had been issued by the new Appeals Committees. As far as GCR is aware, all 21 decisions of the new Appeals Committees have confirmed the first-instance inadmissibility decision.

    Reception capacity: Despite the commitment of the Greek authorities to meet a target of 2,500 reception places dedicated to asylum seekers under the coordination of the National Centre for Social Solidarity (EKKA) by the end of 2014, this number has not been reached to date. As of January 2017, a total 1,896 places were available in 64 reception facilities mainly run by NGOs, out of which 1,312 are dedicated to unaccompanied children. As of 13 January 2017, 1,312 unaccompanied children were accommodated in long-term and transit shelters, while 1,301 unaccompanied children were waiting for a place. Out of the unaccompanied children on the waitlist, 277 were in closed reception facilities (RIC) and 18 detained in police stations under “protective custody”. A number of 20,000 accommodation places were gradually made available under a UNHCR accommodation scheme dedicated initially to relocation candidates and since July 2016 extended also to Dublin family reunification candidates and applicants belonging to vulnerable groups.

    Temporary accommodation sites: A number of temporary accommodation places were created on the mainland in order to address the pressing needs created after the imposition of border restrictions. However, the majority of these places consists of encampments and the conditions in temporary facilities on the mainland have been sharply criticised, as of the widely varying and often inadequate standards prevailing, both in terms of material conditions and security.

    Automatic detention policy: Following a change of policy announced at the beginning of 2015, the numbers of detained people have been reduced significantly during 2015. The launch of the implementation of the EU-Turkey Statement has had an important impact on detention, resulting in a significant toughening of detention policy and the establishment of blanket detention of all newly arrived third-country nationals after 20 March 2016, followed by the imposition of an obligation to remain on the island, known as “geographical restriction”.

    Detention on “law-breaking conduct” grounds: A Police Circular issued on 18 June 2016 provided that third-country nationals residing on the islands with “law-breaking conduct” (παραβατική συμπεριφορά), will be transferred, on the basis of a decision of the local Director of the Police, approved by the Directorate of the Police, to pre-removal detention centers in the mainland where they will remain detained. Serious objections as raised as to whether in this case the administrative measure of immigration detention is used with a view to circumventing procedural safeguards established by criminal law. Moreover, GCR findings on-site do not confirm allegations of “law-breaking conduct” in the vast majority of the cases. A total 1,626 people had been transferred to mainland detention centres by the end of 2016.

    Humanitarian status for old procedure backlog: Article 22 L 4375/2016 provides that appellants who have lodged their asylum applications up to five years before the entry into force of L 4375/2016 (3 April 2016), and their examination is pending before the Backlog Committees, shall be granted a two-years residence status on humanitarian grounds, which can be renewed. Appellants granted with residence status on humanitarian grounds have the right to ask within two months from the notification of the decision for their asylum application to be examined in view of fulfilling the requirements international protection. Under Article 22 L 4375/2016, a total 4,935 decisions granting humanitarian residence permits have been issued by the end of 2016.


    http://www.asylumineurope.org/news/28-03-2017/aida-2016-update-greece
    #asile #migrations #réfugiés #Grèce #fast-track #procédures_accélérées #logement #hébergement #procédure_d'asile #détention_administrative #rétention #accord_UE-Turquie #statistiques #chiffres