• La #démographie, prochain #défi global à haut risque

    Les dernières #projections des Nations unies promettent un #recul de la population mondiale à la fin du siècle, pour la première fois depuis sept cents ans. Un défi pour les sociétés et les économies contemporaines avec des risques politiques majeurs.

    « Le« Le plus grand défi auquel notre monde fait face. » Comme souvent, l’éditorialiste du Financial Times Martin Wolf résume parfaitement, dans un texte du 28 mai dernier, le sentiment qui domine les salles de marché, les bureaux des grandes organisations internationales et les rédactions des journaux économiques. Depuis quelques mois, la crainte d’un « hiver démographique » généralisé, autrement d’un affaiblissement plus rapide que prévu de la population mondiale, agite politiques, économistes et observateurs.

    Ce sont les dernières tendances statistiques publiées qui ont alimenté cette angoisse. Le 10 juillet dernier, les « Perspectives de la population mondiale » pour 2024 des Nations unies ont fait l’effet d’un choc. Alors que le précédent rapport d’il y a deux ans prévoyait un « plateau » de la population mondiale à partir de 2080 aux alentours de 10,4 milliards d’individus, celui-ci prévoit désormais un déclin à partir de cette date.
    Une nouvelle ère démographique ?

    Selon ces dernières perspectives, la population mondiale progresserait de 8,2 milliards d’individus aujourd’hui à 10,3 milliards en 2084 avant de se réduire de 100 millions de personnes en 2100. La nuance peut paraître mince et ne modifie pas le tableau d’une croissance de près de 25 % de la population mondiale d’ici la fin du siècle.

    Mais l’annonce a fait l’effet d’une bombe car, à l’horizon de la fin de ce siècle, la croissance démographique aura entièrement disparu de la surface du globe. Et cela, ce n’est pas un fait mineur. Ce serait la première fois depuis la grande peste du XIVe siècle que la population mondiale se réduit.

    Ce qui participe aussi de cette ambiance, c’est que, comme le décrit au Financial Times, le sous-secrétaire général de l’organisation pour les affaires sociales et économiques, Li Junhua : « Le paysage démographique a beaucoup évolué. » Voici quelques années, nul n’aurait parié sur cette baisse de la population mondiale. La question de la surpopulation était plutôt sur toutes les lèvres. On assiste indubitablement à un vrai changement de régime et nul ne sait si cette tendance baissière peut encore s’accélérer.

    C’est pourquoi tout le monde a l’œil sur les « indices de fécondité », c’est-à-dire le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer. Celui-ci recule partout, y compris dans des régions jusqu’ici caractérisées par une forte fécondité et cela avec une grande rapidité. Or ce chiffre est l’indicateur avancé de l’évolution de la population. Plus il est faible, moins les naissances sont nombreuses et moins le « potentiel » de croissance démographique est important.

    Or une étude publiée dans la revue médicale The Lancet en mai dernier dressait là aussi un tableau préoccupant de la situation. L’article estime, à partir de données multiples, incluant notamment des données médicales liées aux maladies, que « le nombre annuel global de naissance a atteint son pic en 2016 à 142 millions pour tomber en 2021 à 129 millions ». Et le taux de fécondité, lui, va basculer au niveau mondial sous la barre des 2,1 enfants par femme, c’est-à-dire sous le seuil dit de « renouvellement des générations » qui permet, théoriquement, de stabiliser la population.

    Ce chiffre était de 4,84 enfants par femme en 1950, il n’est plus que de 2,3 enfants par femme en 2021. En 2050, il ne serait plus que de 1,81 enfant par femme et en 2100 de 1,59… En conséquence, le nombre de naissances annuelles passera à 112 millions en 2050 et 72,3 millions en 2100. À partir de 2064, il pourrait y avoir plus de décès au niveau mondial que de naissances.

    Évidemment, ces projections de trente à soixante-quinze ans à l’avance sont toujours sujettes à caution, mais elles décrivent une tendance de fond. Une tendance à laquelle les zones de fertilité encore solides que sont l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud n’échapperont pas. Selon les projections publiées dans The Lancet, en 2100, seuls six pays auront encore un indice de fécondité supérieur à 2,1 : la Somalie, les Samoa, le Tchad, le Niger et le Tadjikistan. Et aucun ne dépassera le niveau de 2,5, la Somalie affichant alors un taux record de 2,45.
    Une « bonne nouvelle » ?

    Une telle situation est-elle si dramatique pour que chacun s’en émeuve ainsi ? La fin de la croissance effrénée de la population mondiale qui aura donc été multipliée par 6,4 en deux siècles, entre 1900 et 2100, pourrait finalement ne pas être une si mauvaise nouvelle.

    Chacun le sait, une population en forte croissance exige toujours davantage de la planète. Bien sûr, on peut, comme par le passé, espérer améliorer la productivité agricole. Mais outre que cette dernière a des limites intrinsèques, l’agro-industrie épuise les sols, ravage la biodiversité et accélère la crise écologique.

    Bien sûr, la démographie n’est pas le seul critère de la crise écologique. On y reviendra : tout dépend des modes de vie. Mais il faut bien reconnaître, sans cynisme, qu’une vie humaine a un « coût » écologique qu’il faut aujourd’hui prendre en compte. Une stabilisation de la population de la planète, par ailleurs à un niveau élevé, est donc plutôt bienvenue.

    Elle l’est, ici, d’autant plus que ces projections s’appuient sur des évolutions « naturelles » et non, comme au XIVe siècle, sur les effets d’une pandémie dévastatrice ou, dans certains moments de l’histoire, de guerres ou de massacres de grande ampleur.

    Après ce que certains démographes ont appelé la « transition démographique » – c’est-à-dire un taux de mortalité puis un taux de natalité faibles –, on trouverait un nouvel équilibre « humaniste » sans recourir à l’augmentation de la mortalité. Cette vision peut apparaître comme « néo-malthusienne », mais elle est plus humaniste que celle du vieil économiste anglais. Et surtout, pour être tenable, elle suppose de remettre en cause ce que ce dernier cherchait à sauvegarder, l’organisation sociale existante.

    Une population mondiale plus stable serait en effet une chance pour organiser la répartition des ressources mondiales dans le contexte de crise écologique majeure. L’idée serait alors de tenter de satisfaire les besoins de ces dix milliards d’êtres sans mettre en danger leur capacité à habiter la planète. Et pour cela, il faudrait évidemment changer entièrement de conception desdits besoins, autrement dit changer d’organisation sociale. Finalement, tout cela serait logique : la croissance démographique a été le fruit du capitalisme dominant, la stabilisation démographique appellerait un autre mode de production.

    Mais si l’on cherche à faire entrer cette nouvelle situation démographique dans un système économique fondé sur la croissance de la population, alors on va indéniablement au-devant de fortes turbulences. Et comme la plupart de nos observateurs réfléchissent à système social stable, il est logique qu’ils soient parcourus par un frisson d’angoisse.
    Un poids au pied de la croissance

    Dans les manuels d’économie, la première équation de base de la croissance économique est celle-ci : l’addition de la croissance démographique et des gains de productivité. C’est dire si le capitalisme a été, c’est le cas de le dire, « biberonné » à la hausse de la population. Car si l’expansion économique a permis la « transition démographique », l’inverse est tout aussi vrai.

    Pour créer toujours plus de valeur, il faut inévitablement des bras pour produire et des consommateurs pour acheter. Et si l’on veut toujours plus produire et acheter, il faut bien avoir toujours plus de producteurs et de consommateurs.

    En réalité, même les gains de productivité ne permettent pas de se passer de la croissance de la population, ils réduisent simplement cette dépendance. Car c’est ce que nous apprend l’histoire économique : si l’on peut produire avec moins de bras, il faudra, à terme, plus de bras pour produire toujours davantage.

    Mais il y a davantage. Le système productif est aussi sensible aux classes d’âge. Le choc démographique qui s’est engagé est aussi un choc de vieillissement de la population. Les naissances reculent, les décès sont plus tardifs. La part de la population âgée augmente donc mécaniquement. Cela signifie qu’une part « productive » de plus en plus restreinte de la population doit satisfaire les besoins d’une population « non productive » de plus en plus importante. Selon l’ONU en 2079, il y aura dans le monde plus de personnes âgées de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 18 ans.

    Il faut le reconnaître : le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est pas prêt à faire face à un tel choc. La croissance, déjà en net ralentissement depuis un demi-siècle, ne pourrait encore que ralentir. D’autant que, autres éléments de la croissance économique, les gains de productivité sont de plus en plus réduits. Et que la doxa de la science économique affirme que les travailleurs plus âgés tendent à devenir moins productifs…

    Moins de producteurs, moins de productivité… On comprend donc la panique générale. Les systèmes d’État-providence, et particulièrement d’assurance-vieillesse, conçus autour de l’idée d’une croissance continue du PIB et de la population, vont subir la nouvelle évolution de plein fouet.

    Bien sûr, comme dans le cas de la crise écologique, certains secteurs se réjouissent et annoncent que le vieillissement de la population ouvre de « nouvelles perspectives ». Certains appellent cela la « silver economy » (l’économie « argentée ») : les personnes âgées ont des besoins spécifiques et des entreprises y voient déjà des opportunités de profits.

    Mais c’est là très largement une illusion. Ces « besoins » sont en effet largement des besoins de services à la personne. Or, les services de ce type sont très largement incompatibles avec la production capitaliste et, encore plus, dans un environnement de démographie faible. Ces activités sont en effet intenses en travail, un travail qui sera de plus en plus rare, et peu propices aux gains de productivité qui, souvent sont contraires à la satisfaction du client.

    L’exigence de profit vient alors percuter les besoins réels, laissant peu d’options : soit une dégradation dangereuse du service, comme les récents scandales dans les Ehpad l’ont montré ; soit des subventions publiques massives, alors même que les coûts liés au vieillissement vont exploser et qu’un service public est alors souvent plus efficace. Bref, les coûts de « l’hiver démographique » risquent d’être plus élevés que les bénéfices en termes de PIB et de finances publiques.

    Au niveau global, le ralentissement de la croissance du fait de la démographie sera sans doute plus marqué dans les pays avancés et dans certains pays asiatiques comme la Chine. Mais avec moins de croissance mondiale, les pays les plus pauvres risquent de rester piégés dans une forme de sous-développement, alors que, comme le remarquent les auteurs de l’étude du Lancet, « ces pays porteront une part de plus en plus croissante des naissances à venir » et que les modèles actuels de développement sont déjà en crise. Le monde sera donc plus instable et plus inégalitaire.
    La peur de « l’effacement »

    En avril dernier, le gouvernement sud-coréen a engagé une étude pour tester dans l’opinion la généralisation et l’étatisation d’une mesure déjà pratiquée par certaines entreprises : accorder une prime de 100 millions de wons, soit environ 67 300 euros, par enfant nouveau-né. En Corée du Sud, où un ministère des naissances a été installé en juillet dernier, la question démographique est, désormais, une priorité nationale.

    La fécondité y est la plus basse au monde et elle chute rapidement. Le seuil de renouvellement des générations a été enfoncé dans les années 1980, mais depuis vingt ans, le pays affiche la fécondité la plus basse du monde. En 2023, l’indice de fécondité était de 0,72 et il est attendu à 0,68 en 2024. C’est le seul pays du monde où les femmes en âge de procréer ont moins d’un enfant en moyenne.

    La situation est désormais préoccupante. Dans une tribune parue en décembre 2023 dans le New York Times, un éditorialiste, Ross Douthat, se demandait même si la « Corée du Sud n’était pas en train de disparaître ». En tout cas, les projections prévoient que la population sud-coréenne passerait de 52 millions d’habitants en un an à 38 millions en 2070, soit autant qu’en 1980.

    De ce point de vue, la Corée ne serait, comme le dit Ross Douthat, « qu’un aperçu de ce qui est possible pour nous », entendez en Occident. Aux problèmes économiques vient alors s’ajouter un enjeu « existentiel » qui, inévitablement a des conséquences politiques. La crise démographique ne peut se comprendre au seul niveau mondial, ses rythmes régionaux et nationaux en sont des aspects cruciaux. Pour certains pays, la population progressera plus lentement, pour d’autres, elle reculera franchement.

    La Corée du Sud n’est donc que la pointe avancée d’un iceberg de régions où la population est menacée de déclin : Chine, Japon et Europe. Car sur le Vieux Continent, la vague est déjà arrivée. Selon Eurostat, le pic de population de l’Union européenne devrait être atteint en 2026 à 453 millions d’habitants.

    À partir de ce moment, la population des Vingt-Sept devrait reculer pour atteindre 419 millions de personnes en 2100. Une baisse de 8 % qui prend néanmoins en compte un solde migratoire positif. Le solde naturel, lui, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, est déjà négatif. Entre 2022 et 2099, il y aura dans l’UE 125 millions de décès de plus que de naissances.

    Les pays les plus avancés dans ce déclin sont l’Espagne (avec un indice de fécondité de 1,13), l’Italie (1,24) et plusieurs pays d’Europe centrale. Mais la vague emporte tout le monde. Proche du seuil de renouvellement des générations dans les années 2005-2015, l’indicateur de fécondité français a chuté ces dernières années pour atteindre 1,68 en 2023, selon l’Insee.

    Face à cette situation, deux solutions se présentent. La première est celle de l’immigration en provenance de pays à la démographie encore solide qui permet de réduire l’impact économique en fournissant aux pays des travailleurs et des consommateurs. C’est une réponse qui peut être efficace sur le plan économique. Une étude de la Fed de Dallas a montré en avril 2024 que l’immigration avait joué un rôle central dans la bonne performance de la croissance en 2022 et 2023 aux États-Unis. Une situation que l’on pourrait plaquer sur l’Espagne en Europe.

    Certes, ce n’est pas une solution miracle, comme le montre le cas allemand où le solde migratoire positif n’a pas sauvé la croissance. Cette option pose, par ailleurs, la question de l’égalité économique entre travailleurs arrivants et travailleurs « natifs ». C’est, de toute façon, une solution temporaire compte tenu du déclin global à venir des populations. Mais elle permet de tenir la tête hors de l’eau en cas de faibles naissances.

    Mais le choix de compenser les pertes de population par l’immigration est considéré par beaucoup comme une autre forme de « danger existentiel », culturel cette fois. Le déclin démographique devient un symptôme d’un déclin civilisationnel plus large. Ce réflexe nationaliste enclenche alors une autre solution fondée sur la priorisation des politiques natalistes pour les populations « natives » au détriment d’une politique d’immigration.

    Ce combat est mené par l’extrême droite, bien sûr, à commencer par les gouvernements hongrois ou italiens, mais pas seulement. En Corée et au Japon, les gouvernements « libéraux » se refusent à ouvrir les frontières. Et le président français Emmanuel Macron n’a pas hésité à faire du « réarmement démographique » une de ses priorités alors même qu’il durcissait les lois sur l’immigration. Comme dans d’autres domaines, la pression culturelle de l’extrême droite fait son œuvre.
    La réaction comme réponse

    La référence en termes de politique nataliste, c’est bien évidemment la Hongrie de Viktor Orbán. Ce dernier a mis en place des politiques de soutien à la natalité qui s’élèvent à pas moins de 5 % du PIB. Par comparaison, la France dépense 2,1 % de son PIB en politique familiale. Dans un premier temps, l’indice de fécondité hongrois s’est redressé, passant de 1,23 enfant par femme en âge de procréer en 2011 à 1,59 en 2020. Mais depuis, cet indice a stagné avant de retomber à 1,36 au premier semestre 2024.

    En Italie, où Giorgia Meloni a fait de la natalité une de ses priorités, un milliard d’euros a été mis sur la table pour soutenir les « mères italiennes » en plus des primes mises en place en 2021 par le précédent gouvernement de Mario Draghi. Mais, pour l’instant, cela ne fonctionne pas. En 2023, le pays a connu son plus faible nombre de naissance depuis sa création en 1861, soit 393 000.

    Cela confirme les affirmations des auteurs de l’article du Lancet : « l’indice de fécondité va continuer à décliner au niveau mondial et restera faible même avec la mise en place de politiques natalistes à succès ». Le mouvement est donc plus profond que ce que les politiques croient et ne se réglera pas à coups de subventions massives des naissances.

    Mais cette résistance même vient alimenter le discours de l’extrême droite. Car si la faible fécondité résiste à l’attrait de l’argent, ce serait en raison de la corruption des valeurs traditionnelles qui détournent les femmes de leur « naturelle » fonction génitrice. Tout cela est en conformité avec le discours d’un déclin démographique à enjeu civilisationnel. Le discours nataliste s’accompagne alors d’une rhétorique anti-wokiste qui peut aller très loin.

    Les responsables de la menace d’effacement démographique deviennent donc, pour l’extrême droite, les féministes et les « lobbies LGBT », mais, aussi, plus globalement tous les droits acquis par les femmes, y compris le droit à l’avortement. Les politiques natalistes sont donc aussi des politiques idéologiques. En Hongrie, les femmes se plaignent d’une « objectivation » de leur corps, considéré comme une « machine à bébés ». En d’autres termes : l’urgence démographique mène à une volonté de domination de la « production d’êtres humains » qui est la première pierre à un projet totalitaire et réactionnaire.
    Pourquoi la crise ?

    Et comme on l’a dit, les « libéraux » ne sont pas loin derrière… Et pour cause, l’analyse des causes de la situation démographique provenant de ces milieux est souvent assez bas de plafond, pas très éloignée d’une discussion de café du commerce. En tout cas, faute de pouvoir aller plus loin, on se contente souvent d’une explication « morale ».

    Dans le Financial Times, le responsable d’un centre viennois spécialisé avance ainsi ce type d’analyse : « Il est probable que la situation démographique ait à voir avec un changement de valeur dans la nouvelle génération pour qui avoir des enfants est moins important comme élément clé d’une vie réussie que pour les générations précédentes. »

    Autrement dit : la baisse des naissances serait le produit d’un choix souverain de l’individu fondé sur des critères hédonistes. Tout cela ressemble furieusement à une analyse sectorielle lambda. Mais on ne saura pas ce qui peut expliquer ces comportements. In fine, cette vision rejoint celle de l’extrême droite sur les effets délétères du « libéralisme sociétal » sur les naissances. Il s’ensuit que, là aussi, au nom de la rationalité économique, on s’efforcera de prendre le contrôle de la reproduction humaine.

    Dans toute cette affaire, on évite soigneusement de réfléchir aux conditions matérielles concrètes de la production d’êtres humains. Comme le rappelle l’essayiste états-unien Jason Smith dans un remarquable texte paru en juillet dans la revue new-yorkaise The Brooklyn Rail, « il n’y a pas d’indice “naturel” de fécondité ». La reproduction humaine est toujours étroitement liée aux conditions de reproduction sociale et aux besoins sociaux.

    Avant le capitalisme, les sociétés rurales « régulaient strictement les naissances » rappelle Jason Smith. Dès lors, les « transitions démographiques » ne sont pas étrangères au besoin massif de main-d’œuvre du capitalisme naissant et à l’apport du travail des enfants à la sauvegarde des ménages. Progressivement, le capitalisme a mué avec l’augmentation rapide de la productivité et a permis progressivement, et non sans mal, une libération du choix des femmes en matière de reproduction.

    Mais cette libération s’est faite au moment où le capitalisme occidental, avec la crise des années 1970, est entré en mutation. L’épuisement des gains de productivité a pesé sur les salaires réels et a conduit au développement du travail féminin, souvent cantonné à des salaires plus faibles. Alors les inégalités se creusaient, la progression sociale devenait de plus en plus difficile. Enfin, en accélérant son développement pour tenter de sauvegarder la croissance, les conditions écologiques n’ont cessé de se dégrader.

    Tous ces éléments peuvent être corrigés, mais pas réparés durablement par les politiques natalistes. On ne fait pas un enfant, même pour 100 millions de wons, lorsque l’on est incertain de son avenir personnel et de notre avenir collectif. Lorsque la pression sur le statut social, la santé ou le logement ne cesse d’augmenter, la difficulté à élever des enfants, mais aussi à projeter pour eux un avenir meilleur se dégrade. Or voici des certitudes que le capitalisme contemporain ne saurait donner.

    Ce qui est ici essentiel, c’est de bien percevoir que les données de la « production d’êtres humains » sont non seulement complexes, mais relatives à la situation dans laquelle on se situe. Les besoins et les exigences ne sont pas les mêmes dans les différentes sociétés. Comme le note Jason Smith, dans certains pays émergents, comme le Nigeria, le travail des enfants reste essentiel à la survie des ménages, mais, progressivement, le succès du développement capitaliste atteint ses propres limites, ce que même les Nations unies doivent reconnaître. Et de ce fait, il devient incapable de satisfaire les besoins qu’il crée pour son propre intérêt.
    L’avenir du capitalisme face à la crise démographique

    À quoi peut ressembler une économie en crise démographique ? On a vu que la pression du vieillissement d’une population en déclin sera sévère et en partie insoluble. Mais il n’y a pas de situation désespérée pour le capitalisme. Comme le rappelle Jason Smith, un des apports de Marx a été de précisément montrer la capacité du capital à produire de la valeur quelle que soit l’évolution de la population.

    Le capitalisme contemporain va donc s’efforcer de contourner l’obstacle pour continuer à produire de la valeur et, au moins, gagner du temps. Les tentatives de reprise en main sociale de la reproduction par une attaque directe sur les droits des femmes représentent la réponse de long terme possible, celle censée permettre de faire repartir la fécondité. C’est aussi pour cette raison qu’extrême droite et néolibéraux se retrouvent sur ce point. Mais il y a aura aussi des réponses plus directes.

    Le problème central de la nouvelle donne démographique pour le capitalisme est double : c’est, d’une part, une pénurie de travail qui le renchérirait et, d’autre part, un coût croissant des dépenses sociales. Pour continuer à produire de la valeur, il existe des réponses à ces deux défis. Le premier est évidemment d’automatiser le plus d’activités possible. L’intelligence artificielle (IA) ouvre là une possibilité permettant de relancer la productivité et maintenir un « surplus de population ». Mais son développement suppose des politiques classiques de soutien à « l’innovation » : financiarisation, baisses d’impôts sur le capital et subventions au secteur privé. Mais nul ne sait si ce développement est possible, que ce soit en termes techniques ou en termes de soutenabilité économique.

    Pour les emplois non automatisables, de nouvelles dérégulations du marché du travail permettant plus de précarité et offrant moins de droits permettront de contenir, malgré la pression, les salaires vers le bas. C’est d’ailleurs ce que l’on constate déjà dans plusieurs pays avancés comme les États-Unis où la croissance des salaires réels reste faible, malgré le plein-emploi.

    Enfin, il faudra achever d’en finir avec l’État social pour éviter que les dépenses publiques n’explosent et ne pèsent sur les profits. The Economist profitait en mai de la publication de l’étude du Lancet pour proposer ses solutions incontournables et notamment le report de l’âge de la retraite de plus de cinq ans « même si l’espérance de vie recule » et, bien évidemment, la privatisation le plus possible des pensions.

    Globalement, le monde que promet la crise démographique est un monde d’intensification des politiques actuelles. Une intensification qui finira immanquablement par aggraver la crise démographique. C’est bien pour cela que cette crise est aussi une opportunité pour construire une autre organisation sociale fondée sur la solidarité internationale, sur le respect des choix individuels et sur une logique de sortie de l’obsession de croissance.

    https://www.mediapart.fr/journal/international/010924/la-demographie-prochain-defi-global-haut-risque
    #diminution #monde #scénario #chiffres #statistiques
    #fécondité #hiver_démographique #population_mondiale #vieillissement #vieillissement_de_la_population #capitalisme #croissance #productivité #croissance_économique #silver_economy #Corée_du_Sud #immigration #natalité #déclin_démographique #extrême_droite #crise_démographique

  • Des fachos pas si fâchés : regarder en face les électeurs RN, La Suite dans les idées
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-suite-dans-les-idees/des-fachos-pas-si-faches-regarder-en-face-les-electeurs-rn-2803588

    On aurait tort de ne pas prendre au sérieux les raisons des électeurs RN. Et pour cela c’est leur imaginaire qu’il convient de mettre à jour, ce à quoi s’emploient le philosophe Michel Feher, comme le graphiste Alexandre Dimos et la photographe Stéphanie Lacombe.

    Avec
    #Michel_Feher Philosophe, co-fondateur de la maison d’édition new-yorkaise "Zone Books".
    Alexandre Dimos Designer graphique et éditeur
    Stéphanie Lacombe Photographe
    Bastien Gallet

    La colère. Voilà la raison souvent, si ce n’est toujours, mise en avant, à droite comme à gauche, pour expliquer, si ce n’est justifier, le vote en faveur du Rassemblement National. Et si c’était un peu court, comme raison, et un peu faux aussi, ainsi que le documentent les quelques enquêtes approfondies de sciences sociales sur le sujet ? Et si, plutôt que d’être des « fâchés pas fachos » pour reprendre l’expression de Jean-Luc Mélenchon, il s’agissait plutôt de « fachos pas si fâchés » ? C’est la thèse du philosophe Michel Feher dans « Producteurs et parasites », un essai important sur « l’imaginaire si désirable des électeurs #RN ». Il est cette semaine l’invité de La Suite dans les Idées

    #livre

    • Producteurs et parasites
      L’imaginaire si désirable du Rassemblement national
      Michel Feher
      https://www.editionsladecouverte.fr/producteurs_et_parasites-9782348084881

      Le RN est rarement crédité d’un vote d’adhésion. Jugeant l’hypothèse trop décourageante, ses détracteurs préfèrent évoquer le désaveu qui frappe ses rivaux, la toxicité de l’espace médiatique ou le délitement des solidarités ouvrières. Producteurs et parasites entreprend au contraire d’examiner la popularité de l’extrême droite à la lumière des satisfactions que sa vision du monde procure à ses électeurs.

      Le parti lepéniste divise la société française en deux classes moralement antinomiques : les producteurs qui n’aspirent qu’à vivre du produit de leurs efforts et les parasites réfractaires à la « valeur travail » mais rompus à l’accaparement des richesses créées par autrui. Les premiers contribuent à la prospérité nationale par leur labeur, leurs investissements et leurs impôts, tandis que les seconds sont tantôt des spéculateurs impliqués dans la circulation transnationale du capital, financier ou culturel, et tantôt des bénéficiaires illégitimes de la redistribution des revenus.

      Ancrée dans la critique des privilèges et des rentes, l’assimilation de la question sociale à un antagonisme entre producteurs et parasites n’a pas toujours été la chasse gardée de l’extrême droite. Sa longue histoire révèle toutefois que le désir d’épuration auquel elle donne naissance passe toujours par une racialisation des catégories réputées parasitaires. Pour résister au RN, il est donc aussi nécessaire de dénoncer son imaginaire que de reconnaître l’attrait qu’il exerce.

      Une vingtaine de pages et la table
      https://www.calameo.com/read/000215022ceb0d2dbdb6a

      l’enquête philosophique de Feher parait compléter utilement les investigations sociologiques de Faury et Coquard

    • Fondée sur la « valeur travail » - lointain rejeton de la théorie classique qui fait du travail le fondement de la valeur - la division de la société en contributeurs méritants et en prédateurs oisifs s’accompagne d’un imaginaire où le progrès social prend la forme de l’épuration.

      [...] la révolution nationale qu’une formation telle que le RN appelle de ses voeux vise (...) à restaurer une communauté saine et productive grâce à l’expulsion des éléments parasitaires infiltrés en son sein.

      [...] Les électeurs lepénistes, relatent les chercheurs qui prennent le temps de les écouter, rapportent volontiers leur choix à la défense d’un droit à disposer des fruits de son travail ; doit auquel les Français seraient majoritairement attachés mais dont les agissements de certaines minorités entraveraient l’exercice. (...)

      Sans doute les personnes interrogés reconnaissent-elles que la superpositions des souches et du mérite n’est pas parfaite - notamment parce que des « Gaulois » se retrouvent aussi bien parmi les assistés qui vivent aux frais de la collectivité que chez les nantis qui « se gavent » aux dépends des autres contribuables. Reste que selon elles, ces exceptions ne sont la que pour confirmer la règle ou, mieux encore, pour attester dune contamination de masse.

      #travail #valeur_travail #parasites #assistés #cassos #division #imaginaire #épuration #producerism #populisme_de_droite

    • Merci pour le lien.
      J’ai écouté il y a quelques jours. Je retrouve bien ce discours chez les « fachos pas si fâchés » de par chez moi. J’habite en centre-ville d’un bled de 2500 habitants à la louche en PACA, et quand tu fais le marché, immanquablement tu tombes sur ce discours, ou plutôt, il y a quelque chose sur lequel je n’arrivais pas à mettre le doigt et qui s’éclaire ici : la f*cking « valeur travail » (travail étant compris dans un sens assez étroit d’ailleurs : le travail intellectuel ah ça non, vade retro !).
      Par ailleurs l’aspect historique développé dans l’émission est aussi édifiant, et là encore met le doigt sur quelques impensés quand à l’utilisation de boucs émissaires dans des champs politiques où on ne les attendait pas mais où on sentait vaguement qu’il y avait quelques trucs qui grattent aux entournures mais sans vraiment creuser (l’exemple de Proudhon se pose là, je ne veux pas dire par là que je suis surpris, juste qu’un cadre sacrément éclairant est posé).
      Bref, depuis vendredi dernier où j’ai écouté l’émission je passe mon temps à envoyer le lien à droite à gauche en mode « mangez-en, c’est bon ! ».

  • Vers l’#écologie_de_guerre. Une #histoire_environnementale de la #paix

    L’étrange hypothèse qui structure ce livre est que la seule chose plus dangereuse que la guerre pour la #nature et le #climat, c’est la paix. Nous sommes en effet les héritiers d’une histoire intellectuelle et politique qui a constamment répété l’axiome selon lequel créer les conditions de la paix entre les hommes nécessitait d’exploiter la nature, d’échanger des ressources et de fournir à tous et toutes la prospérité suffisante. Dans cette logique, pour que jalousie, conflit et désir de guerre s’effacent, il fallait d’abord lutter contre la rareté des #ressources_naturelles. Il fallait aussi un langage universel à l’humanité, qui sera celui des #sciences, des #techniques, du #développement.
    Ces idées, que l’on peut faire remonter au XVIIIe siècle, ont trouvé au milieu du XXe une concrétisation tout à fait frappante. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le développement des infrastructures fossiles a été jumelé à un discours pacifiste et universaliste qui entendait saper les causes de la guerre en libérant la #productivité. Ainsi, la paix, ou l’équilibre des grandes puissances mis en place par les États-Unis, est en large partie un don des #fossiles, notamment du #pétrole.
    Au XXIe siècle, ce paradigme est devenu obsolète puisque nous devons à la fois garantir la paix et la sécurité et intégrer les #limites_planétaires : soit apprendre à faire la paix sans détruire la planète. C’est dans ce contexte qu’émerge la possibilité de l’écologie de guerre, selon laquelle #soutenabilité et #sécurité doivent désormais s’aligner pour aiguiller vers une réduction des émissions de #gaz_à_effet_de_serre. Ce livre est un appel lancé aux écologistes pour qu’ils apprennent à parler le langage de la #géopolitique.

    https://www.editionsladecouverte.fr/vers_l_ecologie_de_guerre-9782348072215
    #guerre #environnement #livre

    • Ainsi, la paix, ou l’équilibre des grandes puissances mis en place par les États-Unis,

      Bon, c’est pas vraiment des synonymes, il me semble qu’on appelait même ça la guerre froide. Bonneuil et Fressoz appellent aussi ça le thanatocène, parce que c’est une période marquée par une destruction fulgurante, produite par les outils servant à faire la guerre (pas la paix).

      Je peux comprendre qu’après l’invasion de l’Ukraine par la Russie on ait pu espérer que la sobriété énergétique serait un truc rassembleur. Ce que les écologistes et les scientifiques n’avaient pas réussi à accomplir, peut-être que le soutien à l’Ukraine et un certain patriotisme allaient réussir à le concrétiser. Sauf qu’il est vite apparu qu’on allait se noyer sous le GNL et ses nouvelles infrastructures, que les échanges de fossiles continuaient bon train, et que, la guerre continuant elle aussi en laissant les négociations s’essouffler toutes seules, la destruction généralisée continuait tranquille.

      Il y a quelques années, le changement climatique était régulièrement retraduit dans les mots de la sécurité : la rareté des matières premières allait amener des guerres, l’abondance des matières premières (en Arctique dégelé) allait amener des guerres, les guerres allaient amener des migrants, la chaleur avait provoqué la guerre en Syrie, etc. Bref, le changement climatique était un "accélérateur de menaces". Maintenant, on a le complément qui t’enferme dans le cercle vicieux de la sécurité : la lutte contre les menaces sont retraduites dans le langage de l’écologie, de la lutte contre le réchauffement. Pour lutter contre la Russie, il te faut une #économie_de_guerre_climatique : des mines de lithium qui produiront des ev et des microprocesseurs pour des armes sophistiquées ; des éoliennes et des réacteurs qui produiront ton chauffage et des rafales.

      (Charbonnier a pu être moqué en « penseur du vivant » inoffensif ; j’ai l’impression qu’une même posture viriliste se manifeste là aussi.)

      L’étrange hypothèse qui structure ce livre a été succinctement discutée par Durand & Keucheyan
      https://shs.cairn.info/revue-green-2022-1-page-55

      l’écologie de guerre peut-elle être efficace du point de vue de l’avènement d’une économie bas carbone ? Et est-elle conforme aux valeurs d’une politique d’émancipation ?

      tldr : Ils répondent poliment non aux deux questions.

      Après, faudrait évidemment lire le livre.

    • Pour le philosophe, qui reprend les critiques du #pacifisme formulées par le juriste allemand (et nazi) Carl Schmitt, l’expression du rapport de force entre nations demeure indépassable. Par conséquent, un déplacement de l’écologie sur le terrain du « #réalisme » politique s’impose (soit une rupture franche avec une tradition libertaire importante au sein des mouvements écologistes contemporains). Ainsi, il aboutit à l’idée, essentielle, que, faute de gouvernance mondiale crédible, seuls les Etats les plus puissants, réunis en une coalition dominante, pourront imposer une transition aux acteurs ayant intérêt à défendre l’infrastructure fossile (qu’il s’agisse d’industriels, d’investisseurs, de travailleurs des secteurs menacés, d’Etats pétro-gaziers ou de nations dépendantes du charbon). A la lecture, on s’interroge néanmoins sur la façon dont cette coalition devrait « imposer » la transition aux acteurs en question. On aurait également apprécié des précisions sur la stratégie que devraient adopter les démocraties dans cette perspective (l’Europe devrait-elle s’associer à la dictature chinoise pour composer une coalition « post-carbone » ? Devrait-elle se rapprocher des Etats-Unis ?)

      Analysant la situation géopolitique depuis 2020, Pierre Charbonnier se réjouit de certains « bougés » de la part des grandes puissances, qui associent désormais écologie et questions stratégiques. L’Europe, réagissant à l’agression russe, promeut les énergies décarbonées dans une logique de sécurité (et pas uniquement protéger l’environnement). Après la Chine, les Etats-Unis de Joe Biden financent massivement leur industrie verte dans le but d’affirmer leur leadership. Ce changement de paradigme, à peine initié et toujours fragile, représente un espoir majeur selon l’auteur : celui de mettre en branle des puissances capables de gagner la guerre du climat, celui d’une écologie réellement (géo)politique.

      https://www.liberation.fr/culture/livres/lecologie-le-vert-de-la-guerre-selon-pierre-charbonnier-20240828_MQBVF5KB

  • « #Care » : comment l’étude du #travail_domestique permet de réécrire l’histoire

    La notion de care s’est imposée dans le langage courant et politique pour qualifier l’ensemble des activités – rémunérées ou non – qui consistent à prendre soin des autres et de leur cadre de vie ; à assurer le « #travail_reproductif » et non seulement « productif ». Cela recouvre notamment les métiers ou pratiques sociales d’#aide_à_la_personne, les secteurs infirmiers ou médicaux, ou encore un grand nombre de tâches dites « domestiques ».

    Les économistes féministes se sont depuis longtemps approprié cette notion pour mettre en valeur des formes de travail exercées par les #femmes et non reconnues socialement et dans les #statistiques économiques, en particulier le #travail_domestique_non_rémunéré. Il ne s’agit pas d’essentialiser des différences entre hommes et femmes mais au contraire de partir du principe que rendre visibles toutes les formes de travail est une étape nécessaire vers l’#égalité, la #reconnaissance_sociale et économique et le partage de ces tâches.

    En outre, alors que les mutations sociales et technologiques du XXe siècle ont diminué le temps de travail consacré au care et les tâches domestiques, il est probable que le vieillissement de la population inverse cette tendance. Il implique en particulier une augmentation de la demande de soin et d’aide à la personne, pratiques qui peuvent être rémunérées ou non, reposant dans ce dernier cas sur des liens familiaux ou amicaux.

    La loi de 2019 sur les congés de proche aidant et les discussions récurrentes sur les pénuries de personnel pour l’aide à domicile montrent combien nos sociétés se préparent – encore trop lentement et difficilement – aux mutations économiques et sociales causées par le vieillissement.

    #Valorisation_monétaire du travail domestique

    Il y a évidemment un débat au sein des économistes quant à l’opportunité de compter le travail de care domestique qui n’apparaît pas dans les statistiques officielles et donc de lui donner une #valeur_monétaire. Outre les difficultés méthodologiques de cette quantification, la question est de savoir si valoriser les pratiques non rémunérées comme un travail salarié ne va pas à l’encontre de l’éthique du care en mettant sur le même plan des formes de travail non équivalentes.

    La réponse que les économistes féministes apportent à cette question est que la construction de statistiques et la valorisation monétaire est aujourd’hui le meilleur moyen de montrer l’ampleur du #travail_féminin et la persistance des inégalités entre femmes et hommes au sein du ménage hétérosexuel (voir le récent résumé de Nancy Folbre présentant ces arguments et la recherche dans ce domaine, dont la première contribution remonte à l’ouvrage de Margaret Reid, Economics of household production, publié en… 1934).

    Depuis #Margaret_Reid, et encore plus depuis la réappropriation du concept de care en économie dans les années 1980 et 1990, notamment par Nancy Folbre, les économistes ont donc tenté de quantifier le travail domestique, dans le passé quasi-essentiellement exercé par les femmes. L’objectif est de voir comment cette comptabilisation change notre vision du #développement_économique, habituellement mesuré par des salaires et le temps de travail masculins, puis par le #produit_intérieur_brut, qui exclut les tâches domestiques.

    Il existe des tentatives actuelles pour inclure les estimations du travail domestique dans le #PIB, mais seule l’histoire économique permet de prendre la mesure du #biais que l’absence de prise en compte du travail féminin dans les statistiques cause à nos représentations du développement économique.

    Dans un article récemment paru dans le Journal of Economic History, « Careworn : The Economic History of Caring Labor » (https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-economic-history/article/careworn-the-economic-history-of-caring-labor/68D8EDEB50DCF2AB012433755741108B), la professeure d’histoire économique Jane Humphries cherche à produire une telle estimation pour l’Angleterre sur très longue période, de 1270 à 1860. Ses précédentes recherches ont déjà révolutionné l’#histoire_économique en montrant comment la prise en compte du travail des enfants, puis la construction de séries de salaire des femmes, changeaient le récit traditionnel de la révolution industrielle du XIXe siècle.

    Humphries commence par rappeler le paradoxe des recherches actuelles d’histoire économique quantitative qui ont entrepris de calculer des séries de PIB, de niveau de vie et de prix depuis le Moyen-Âge (voir notamment les travaux de #Robert_Allen et #Stephen_Broadberry). Le calcul d’évolution des prix repose en effet sur la définition d’un panier de biens représentatif de la consommation de base (viande, lait, céréales etc.). Mais l’essentiel du travail des femmes nécessaire pour transformer ces biens de base en consommation domestique, nécessaire pour soutenir le travail rémunéré de l’homme du foyer, n’est pas pris en compte dans les statistiques de production !

    Soutien au travail de l’homme salarié

    Elle rappelle aussi les nombreuses heures nécessaires pour maintenir l’#hygiène dans un foyer, avant la généralisation de l’eau courante et des sanitaires au XXe siècle. Rassemblant de nombreuses sources d’origine et fréquence différentes sur le temps de travail domestique et sur le #salaire horaire de ce travail lorsqu’il était rémunéré, Humphries tente de calculer la valeur totale du travail domestique qui était nécessaire pour qu’un foyer puisse subsister, permettant à l’homme de s’en absenter pour travailler au-dehors.

    Même ses estimations les plus basses montrent qu’au moins 20 % de la production totale de valeur (ce que nous appelons aujourd’hui PIB) était consacrée aux #tâches_domestiques – et sont donc absentes de nos mesures habituelles Et si ce chiffre n’était pas plus important dans le passé qu’aujourd’hui, c’est que l’autrice valorise le travail féminin au prix du salaire des femmes de l’époque, qui était très inférieur à celui des hommes.

    Notons que l’article ne quantifie que les tâches domestiques liées à la consommation et l’entretien du foyer ; l’autrice souligne qu’elle n’a pas quantifié ce qui touche au « travail reproductif », en particulier la mise au monde et l’allaitement des enfants.

    Mais la professeure d’histoire économique s’intéresse ici davantage à l’évolution du coût et temps du travail domestique – relativement au #travail_salarié – au cours des siècles. Elle remarque en particulier une forte augmentation du travail domestique, et de sa valeur relative, lors de la « révolution industrieuse » du XVIIIe siècle, précédant la « révolution industrielle » du XIXe siècle.

    Regard biaisé sur l’économie

    A la suite des travaux de #Jan_de_Vries, on parle de « #révolution_industrieuse » pour caractériser l’augmentation du temps de travail (en termes de nombre d’heures salariées) causée par la nécessité de maintenir ou accroître le niveau de consommation du ménage. De manière cohérente avec le fait que la révolution industrieuse coïncidait avec une diversification et multiplication des biens de consommation, Humphries montre que le travail domestique nécessaire pour soutenir le travail de l’homme salarié augmentait en même temps que ce dernier.

    Plus les ménages avaient accès à de nouveaux produits (tissus, sucre, viande, thé etc.), plus les femmes devaient travailler pour que les hommes puissent les consommer et en profiter. Pour les femmes mariées, conclut-elle, la « révolution industrieuse » n’a pas coïncidé avec une augmentation du travail salarié mais a pris une forme domestique, obscurcissant ainsi encore plus la contribution des femmes à la #croissance_économique et l’amélioration du niveau de vie.

    Rappelons, comme Humphries elle-même, la fragilité de ces premières estimations qui reposent sur des sources incomplètes et des hypothèses statistiques fortes.

    Toutefois, ce travail a le mérite de mettre à nouveau en lumière combien notre regard sur l’histoire économique est biaisé si nous ne réalisons pas que l’activité économique mesurée au cours du temps (par les statistiques de prix, salaires et production) ne pouvait s’accomplir que parce qu’elle était rendue possible par le travail domestique des femmes. Celui-ci était pourtant invisible dans les statistiques de population ou de production qui devinrent au XIXe siècle un nouveau pilier de la gestion des Etats modernes et de la compréhension de l’économie.

    https://www.alternatives-economiques.fr/eric-monnet/care-letude-travail-domestique-permet-de-reecrire-lhi/00112088
    #rémunération #invisibilisation #économie #économie_féministe #quantification #rémunération #salaire

    • Care Provision and the Boundaries of Production

      Whether or not they provide subjective satisfaction to providers, unpaid services and non-market transfers typically contribute positively to total output, living standards, and the social climate. This essay describes some quantitative dimensions of care provision and reviews their implications for the measurement of economic growth and the explanation of relative earnings, including the gender wage differential. It also calls attention to under-explored aspects of collective conflict over legal rules and public policies that shape the distribution of the net costs of care provision.

      https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jep.38.1.201

  • Tourisme et travail, deux faces d’une même médaille - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales
    https://www.cqfd-journal.org/Tourisme-et-travail-deux-faces-d

    Les vacances à l’étranger, synonyme de détente ? Pas forcément, répond l’essayiste et camarade Aude Vidal (autrice d’un livre sur le sujet, Dévorer le monde1, à paraître en septembre). Il s’agit avant tout de « maximiser son investissement ».

    #tourisme #bourgeoisie #productivisme #travail #capitalisme #Aude_Vidal

  • #Pesticides – Un #colonialisme_chimique

    Un essai percutant pour comprendre la gravité du problème des pesticides pour la #santé_humaine et l’#environnement, et remettre en cause le modèle agro-industriel mondial dominant et profondément inégal.

    Les pesticides, présents dans l’eau et l’alimentation de toute la population ou presque, font désormais partie de notre quotidien. Cet usage massif, nocif pour la santé humaine et l’environnement, est une conséquence directe de la mainmise de l’agro-industrie qui domine physiquement et idéologiquement toute la planète.

    Dans ce scénario mondial, le #Brésil occupe une place spéciale : il est le plus grand consommateur mondial de pesticides, lesquels sont produits en majorité par des #multinationales européennes. L’Europe exporte ainsi ces poisons qu’elle ne veut plus chez elle, et intoxique les corps et les terres étrangères. Cynique colonialisme chimique…

    Mais par l’#effet_boomerang de la #mondialisation, ces pesticides reviennent sur notre continent par le biais des #produits_agricoles brésiliens, dans un cercle d’#empoisonnement qu’il convient de briser en interdisant ces produits ici et là-bas.

    https://www.anacaona.fr/boutique/pesticides-un-colonialisme-chimique
    #colonialisme #agro-industrie #industrie_agro-alimentaire

    • « L’agriculture brésilienne intéresse démesurément les industries agrochimiques européennes »

      Dans « Pesticides. Un colonialisme chimique », la géographe Larissa Mies Bombardi pointe la responsabilité de l’agrobusiness européen dans le désastre des écosystèmes brésiliens et l’intoxication des populations autochtones. Entretien.

      C’estC’est un petit livre au titre coup de poing. Pesticides. Un colonialisme chimique, sorti cet hiver aux éditions Anacaona, nous fait prendre conscience, cartes et chiffres à l’appui, de la proximité du désastre causé par l’agriculture brésilienne. Dopée aux pesticides, permise par une déforestation à grande échelle, cette agriculture est très liée à la nôtre : c’est de là que vient le soja qui nourrit, en France, les élevages intensifs de porcs et de volailles… Et c’est là que sont exportés quantité de produits chimiques fabriqués en Europe, depuis longtemps interdits sur nos sols.

      L’autrice, Larissa Mies Bombardi, est géographe. Il y a trois ans, elle a dû quitter son pays, le Brésil, pour se réfugier en Belgique. Son travail dérange. À partir d’une cartographie des quantités épandues de pesticides et du nombre de personnes affectées par ces produits, elle établit des liens directs entre utilisation de produits phytosanitaires et pathologies humaines, et raconte la profonde asymétrie entre les pays producteurs de pesticides et ceux qui les consomment. Mediapart a pu la rencontrer à l’occasion de son passage à Paris. Entretien.

      Mediapart : Vous êtes exilée en Belgique. Pourquoi ?

      Larissa Mies Bombardi : En 2016-2017, alors que j’étais en postdoctorat en Écosse, j’ai travaillé à la réalisation d’un grand atlas, de plus de cent cinquante cartes, sur l’impact des pesticides au Brésil sur les femmes, les enfants et les populations autochtones. J’y ai mis en évidence des « cercles d’empoisonnement », en lien avec les quantités de pesticides autorisées pour chaque culture au Brésil. Et pour chaque agrotoxique fabriqué en Europe mais interdit sur place, j’indiquais les exportations vers le Brésil.

      Cet atlas a d’abord été publié en portugais. En 2019, il a été traduit en anglais par l’université de São Paolo, puis mis en ligne sur leur site. C’est à ce moment-là que tout a basculé. Ma carrière a été attaquée. On m’a accusée de vouloir abîmer l’image de l’agriculture brésilienne durable et de mentir. C’était difficile à supporter émotionnellement.

      Mais c’est allé plus loin. Au lendemain d’une interview dans un journal télévisé, où je dénonçais les pulvérisations aériennes de pesticides, j’ai reçu par e-mail les menaces de quelqu’un se présentant comme « pilote de l’aviation agricole ». Ce genre de message s’est ensuite multiplié. Après avoir pris connaissance de mon atlas, le directeur d’une grande chaîne suédoise de supermarchés bio a par ailleurs décidé de boycotter les produits brésiliens.

      Agrotoxique : le Brésil devrait exporter ce mot.

      Plusieurs personnes m’ont conseillé de quitter le pays, puis il y a eu le covid et la fermeture des frontières. En août 2020, j’ai été séquestrée pendant plusieurs heures avec ma mère dans notre maison. Nous avons été enfermées dans la salle de bain pendant que trois hommes mettaient la maison sens dessus dessous, et mon ordinateur a été emporté. C’est là que j’ai dû me décider à quitter le Brésil. Il a fallu encore attendre la réouverture des frontières, et l’acceptation de ma candidature pour un postdoctorat à l’Université libre de Bruxelles. J’ai réussi à partir avec mes deux enfants en avril 2021.

      Avez-vous l’intention de revenir un jour au Brésil ?

      Y vivre pour l’instant est inenvisageable pour moi, mes recherches continuent de me mettre en danger. Pour des événements cependant, j’y retourne si l’on peut me garantir une sécurité. C’était le cas pour une conférence organisée le 27 juin à Brasília avec l’Alliance internationale sur les standards de pesticides [Ipsa, une organisation soutenue par l’ONU qui milite pour un cadre international de régulation des pesticides et vise, sur le long terme, l’élimination progressive de ces substances – ndlr] à laquelle j’ai pu me rendre, grâce à une protection assurée par le Mouvement des sans-terre.

      Une autre conférence se tiendra à Bruxelles en octobre. Nous cherchons à obtenir l’interdiction, au niveau mondial, des épandages aériens de pesticides, ainsi que des substances les plus toxiques. Il faut que les mêmes règles s’appliquent dans tous les pays.

      « En plus d’être le triste champion du monde de l’utilisation d’agrotoxiques, le Brésil se classe également parmi les pays où le taux de violence dans les campagnes est le plus élevé, et est en tête du classement des assassinats de défenseur·es de l’environnement, avec 342 meurtres entre 2012 et 2021 », écrivez-vous. Le climat d’hostilité à l’égard de la cause écologique et du monde militant n’a-t-il pas changé après la fin de l’ère Bolsonaro et le retour de Lula au pouvoir ?

      Lula a créé ce ministère des droits humains, avec un programme spécial pour les victimes de persécution. Il y a une reconnaissance des conflits et de la vulnérabilité. Mais les violences continuent dans le pays, le danger est toujours là.

      Votre atlas fournit la matière de votre livre publié chez Anacaona. À partir de quelles données avez-vous travaillé ?

      J’ai utilisé les données du ministère de la santé brésilien sur les populations intoxiquées qui se sont rendues à l’hôpital. Ce sont des données accessibles au Brésil, contrairement à la France et à plusieurs pays européens. Une ONG européenne, PAN [Pesticide Action Network – ndlr], se bat d’ailleurs pour obtenir cette transparence.

      Dans la majeure partie des cas, il s’agit d’intoxication aiguë : le produit a été respiré ou s’est retrouvé en contact avec la peau des gens.

      Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le problème est beaucoup plus vaste. Il y a énormément de maladies de Parkinson, de problèmes hormonaux… Mais comme ces pathologies sont multifactorielles, il est difficile de les relier à un seul phénomène. On estime que, pour un cas déclaré, cinquante ne le sont pas. Et seulement 5 % des cas enregistrés concernent des maladies chroniques.

      En outre, dans les questionnaires médicaux, la question de la profession n’apparaît pas. Autrement dit, on ne sait pas s’il s’agit d’agriculteurs ou d’agricultrices.

      Tout cela n’est guère étudié au Brésil. Dans les écoles de médecine, par exemple, la toxicologie au travail n’est pas une discipline obligatoire.

      J’ai croisé ces données avec les chiffres d’utilisation de pesticides par État, région et commune. J’ai superposé tout ça, et cela montre combien les populations des zones agricoles sont touchées par les pesticides. Le Mato Grosso [État du centre-ouest qui partage une frontière avec la Bolivie – ndlr], avec ses gigantesques cultures de soja, est la région où l’on trouve le plus de victimes.

      Dans votre livre, vous parlez d’« agrotoxiques » plutôt que de pesticides ou de produits phytosanitaires. Pourquoi ce choix lexical ?

      Le terme a été créé à la fin des années 1970 par l’agronome brésilien Adilson Paschoal. Depuis, il est dans notre loi et dans notre Constitution. Il est d’une importance politique capitale, car il dit que la substance, en soi, est toxique. Le Brésil devrait exporter ce mot !

      Pesticide – pesticida en portugais –, selon moi, est un mauvais terme. Peste, en portugais, désigne une maladie, un animal nuisible, mais aussi le diable. Comme dans d’autres langues, cela donne à ce mot une connotation erronée.

      Nous avons des technologies modernes, un processus de déforestation […] et un génocide des populations autochtones.

      Le Brésil est le pays au monde qui consomme le plus d’agrotoxiques. C’est peut-être pour cela qu’on a réussi à définir plus justement le problème. Cela dit, il y a eu des tentatives pour changer les termes de la loi. Dans le cadre du « paquet empoisonné » – ensemble de textes négocié sous Bolsonaro, surnommé ainsi par ses détracteurs –, une proposition avait été d’intituler la nouvelle loi « loi des défenseurs agricoles » ou « loi des pesticides ». Le texte, qui accélère les processus d’homologation des produits, a été malheureusement adopté. Mais Lula a mis son veto au changement de terme.

      Pouvez-vous nous donner quelques ordres de grandeur sur la consommation de produits chimiques dans l’agriculture brésilienne ?

      En 2023, le Brésil a consommé 700 000 tonnes d’agrotoxiques, pour environ 92 millions d’hectares de terres agricoles. On est sur une pente ascendante. La quantité a augmenté de 78 % en dix ans. Dans le même temps, elle a diminué de 3 % en Europe [qui compte environ 162 millions d’hectares de terres agricoles – ndlr].

      Y a-t-il une prise de conscience dans le pays de la toxicité de ces produits ?

      Oui, elle se développe depuis une dizaine d’années. Un mouvement important s’est formé autour d’une campagne nationale « contre les agrotoxiques et pour la vie », elle-même liée au mouvement des paysans sans terre. Des liens se sont noués avec d’autres entités de la société civile : associations de consommateurs, WWF, Greenpeace… Toutes ces organisations travaillent ensemble et, désormais, pour beaucoup de candidates et candidats aux élections municipales, ce sujet fait partie de leur programme.

      Votre livre fait explicitement référence à Karl Marx. Qu’apporte-t-il dans l’analyse que vous faites aujourd’hui de la consommation de pesticides du Brésil ?

      Dans la section du Capital intitulée « L’accumulation primitive du capital », Marx raconte ce moment où les paysannes et paysans écossais sont expulsés, au cours du processus d’enclosure qui supprime les cultures pour les transformer en pâturages. Cela ressemble beaucoup à ce qui se passe dans les campagnes brésiliennes encore aujourd’hui.

      Je me sers également des idées de Rosa Luxemburg, pour qui les formes de travail qui accompagnent le développement du capitalisme ne sont pas nécessairement des formes de travail capitalistes. C’est ainsi que l’esclavage est contemporain du développement des relations de travail moderne.

      Ces auteurs m’aident à comprendre ce moment complexe que nous vivons au Brésil. Nous avons, dans le même temps, des technologies modernes, un processus de déforestation, des relations de travail analogues à de l’esclavage, et un génocide des populations autochtones. Tout cela pour les intérêts des grandes multinationales productrices de pesticides.

      Des multinationales qui perpétuent un schéma colonialiste… « La pulvérisation de pesticides n’est ainsi que la dernière modalité de la violence historique exercée contre les populations autochtones et paysannes au Brésil », écrivez-vous.

      Oui, et sur cette lecture coloniale, je m’inspire des travaux du géographe Porto-Gonçalves. Il parle notamment de « colonialité » pour décrire la structure sociale de l’Amérique latine, où une portion minime de la population contrôle une part énorme des terres, et où les propriétaires fonciers sont surreprésentés dans les institutions politiques et judiciaires. Ces sociétés se sont structurées sur l’inégalité et l’exclusion : les esclaves étaient exclus de la terre. En bénéficient une petite élite et des intérêts économiques extérieurs.

      Comme les exportations brésiliennes de canne à sucre au XVIIe siècle, le modèle agro-exportateur du pays aujourd’hui intéresse démesurément les industries agrochimiques européennes, et ces entreprises exercent un lobby directement sur le Congrès brésilien. La France et l’Union européenne, en exportant des produits interdits chez elles, sont également responsables de cette situation.

      Quelles sont ces cultures que l’on arrose de pesticides ?

      Plus de 50 % des agrotoxiques utilisés au Brésil le sont pour le soja OGM. Ensuite, on trouve le maïs, la canne à sucre, le coton, puis le pâturage.

      La molécule la plus utilisée est le glyphosate, avec un autre herbicide, le 2.4-D [un composant de l’« agent orange », utilisé à large échelle durant la guerre du Vietnam – ndlr]. On trouve également en grandes quantités l’herbicide atrazine et l’insecticide acéphate, tous deux depuis longtemps interdits en Europe.

      Les aliments produits au Brésil et exportés vers le Vieux Continent contiennent des résidus de ces produits : la contamination ne concerne donc pas seulement la population brésilienne.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/170724/l-agriculture-bresilienne-interesse-demesurement-les-industries-agrochimiq

  • #part_2:_extending_amd_fidelityfx_brixelizer_gi – #foliage in AMD FidelityFX™ Brixelizer GI
    https://gpuopen.com/learn/brix-foliage-gi/brix-foliage-gi-extending_the_gi

    AMD GPUOpen - Graphics and game developer resources To improve the quality of foliage in Brixelizer GI, we must modify the algorithm to support alpha-clipped geometry.

    #Article #Product_blogs #BrixelizerGI #foliage_in_amd_fidelityfx™_brixelizer_gi

  • Qui aurait pu prédire le cauchemar des #appels_à_projet ? #Leó_Szilárd en 1961 dans son recueil de nouvelles de type #science_fiction « La voix des dauphins ». Un extrait mis en avant dans l’exposition « À la limite – Innover à la mesure du monde – 2055 » (https://www.universite-paris-saclay.fr/evenements/la-limite-innover-la-mesure-du-monde-2055) que nous avons visitée et ouverte sur le plateau de Saclay jusqu’à fin août.

    https://themeta.news/cetace-daap
    #think_tank #science #progrès_scientifique #fondation #production_scientifique #recherche #mode #subventions #absurdistan #ESR

  • Africa’s Agricultural Future Lies in Agroecology

    As the world grapples with climate change, Africa has the opportunity to lead by example.

    A premise which has its roots in traditional knowledge and ecological principles, some people may find the term agroecology mysterious or esoteric. However, far from being an abstract concept, agroecology can be a lifeline for long-lasting food systems, providing a route that links the welfare of people with the health of the land. Agroecology is not just about farming and growing food; it means combining social justice, ecological science, and indigenous knowledge. Overall, it is a holistic system in which ecosystems and agriculture work in harmony to produce food that is both environmentally sustainable and safe for consumption. As an approach, agroecology prioritizes not just yields of crops, but the health of ecosystems, the well-being of communities, and people`s sovereignty over their food systems.

    For small-scale food producers, agroecology is a beacon of hope. It promises a way out of the vulnerability imposed by monocultures and the dependency on external inputs such as chemical fertilizers, hybrid seeds and pesticides. Agroecological systems are inherently diverse, which means they are more resilient to the pests and diseases which can decimate food systems at a local level. They are also resilient to the market shocks that can disrupt local economies and cause crises further up in the food system. They encourage farmers to cultivate a variety of crops, an approach which promotes nutritional diversity in diets, and a safety net in the face of adversity.

    Furthermore, these practices strengthen community bonds, as farmers often work together: sharing knowledge, seeds, and labour. Food sovereignty is at the core of agroecology. This is because agroecology promotes the right to healthy and culturally appropriate food, which is produced through ecologically sound and sustainable systems. Food sovereignty means communities having the power to shape the future of their own food systems, rather than being passive observers and recipients of global agricultural trends. As examples of how agroecology can play out in practice, an agroecological farm in Kenya combines crop rotation, agroforestry, and natural pest control, relying on years of local expertise. In Uganda, community seed banks may help to preserve biodiversity by providing access to a variety of traditional crops that are robust to local climate problems. These viable examples can be found all over the African continent.
    Technology and Agroecology

    Technology can play a huge part in transforming Africa’s agricultural systems into agroecological ones. When considering technology, we must interrogate what we mean by technology, as well as who owns the technology, and the power relationships that lie behind said technologies. Technology could revolutionize Africa’s agriculture if it is employed with the participation of farmers, and if it is used in a way that makes sense contextually. It must be designed with small-scale food producers in mind, allowing for scalability and adaptability to local settings. Digital technologies, for example, can play a role in facilitating peer-to-peer exchanges via platforms and mediums like WhatsApp or Facebook. They can also be used in tracking or aggregating goods from multiple producers, or in connecting farmers with cost-effective logistics and transport options. In each of these applications though, it’s vital that the digital technologies operate in a regulatory environment where the data taken from farmers is not used for profit, and which enables farmers to decide with whom it is shared. There is a risk that digitalization paves the way for big food and big tech to use their existing technological advantage to extend their control over African markets. Therefore, the challenge for governments and their public policies is to create the regulatory environment for digital technologies without it becoming a breeding ground for monopolies that crowd out small-scale food producers.
    Labour and Agroecology

    The labour involved in agroecological farming practices often leads to misconceptions of agroecology as a backward step to the labour-intensive practices of the past. This is a myopic view. In reality agroecology involves labour of a different kind — a kind that is intellectually engaging and physically rewarding. By its nature, it is a system of agriculture which involves managing polycultures, enhancing soil health, and maintaining ecological balance; all of which require knowledge and skill. This labour should be valued and supported through educational programs that teach ecological literacy and practical skills in agroecology. In an ideal agroecology system, this education would begin at primary school level by introducing agroecology and agroecological concepts into the curriculum. Furthermore, there should also be agroecology training for government and civil society extension agents as well as the provision of supportive publications.
    Energy Efficiency and Agroecology

    The extent to which agroecology is energy efficient is a testament to the ingenuity of working with nature, not against it. Agroecological practices often use renewable energy and minimise reliance on external inputs, which are energy-intensive to produce. Moreover, they take advantage of biological processes — such as the process by which legumes convert nitrogen into ammonia or natural pest control through predator-prey relationships — which reduces the need for chemical fertilizers and pesticides. This not only cuts energy consumption, but also enhances the resilience of farming systems to shocks such as drought or market volatility. Agroecological farmers can cope with crises and global volatility as they mostly rely on their own inputs, produce their own food, and are relatively immune to the whims of fuel prices.
    Agroecology and Productivity

    Is agroecology productive enough to feed a rapidly growing African population? To answer this question we must first consider what productivity means in conventional agriculture, which is one-dimensional and fixated on yield per hectare. Agroecology challenges this narrative, proposing a multidimensional view of productivity that includes soil health, water quality, biodiversity, and social equity. In agroecology, productivity is determined by the variety of crops that are planted and harvested rather than by counting the output of a single crop. This vision questions the wisdom of pursuing high yields at the cost of long-term ecological health and social well-being. Instead, it promotes a well-rounded strategy that maintains productivity over time, understanding that true abundance comes from ecosystems operating in balance.
    Agroecology and Social Movements

    As the drive for conventional agriculture is accelerating, political movements, like the Alliance for Food Sovereignty in Africa (AFSA), are burgeoning across Africa. This reflects a collective awakening to the importance of healthy, sustainable, and equitable food systems. These movements are not merely about lobbying for policy changes, but also about grassroots empowerment, community engagement, and the democratisation of food systems. They call for a shift from top-down approaches to more participatory, inclusive governance structures that recognize the rights and knowledge of local communities. The path to agroecology is not merely about changing farming techniques; it means overhauling worldviews. It requires a collective shift in how we value food, farmers, and the land itself.

    According to the prevailing narrative, Africa cannot feed itself without the use of agrochemicals, high-breed seeds, and a shift in agriculture to market-led practices. To counter this, we must put forward a more robust vision which centres the realities of climate change, biodiversity loss, and escalating global conflicts. In this metric, it is impossible to focus only on one narrow definition of productivity. Instead, the need to produce more, healthy, culturally appropriate food, with the right to food at its core, becomes primary. The international community has a role to play in all of this. Development assistance and agricultural investments must be aligned with agroecological principles. This means moving away from the promotion of high-input agricultural systems, and instead supporting the scaling-up of agroecological practices. It requires a change in funding priorities, from supporting large agribusiness to investing in small-scale food producers and local food systems.

    In conclusion, agroecology is not a luxury but a necessity for the future of Africa, and indeed the world. It offers a sustainable pathway for the continent’s agriculture, ensuring food security, preserving biodiversity, and empowering communities. As the world grapples with the challenges of climate change and sustainability, Africa has the opportunity to lead by example. Through its implementation, we can demonstrate that agroecology is not just feasible, but can actually be the foundation for a prosperous and sustainable future. We face a choice between perpetuating a system that degrades both the land and its people, or nurturing one that restores ecosystems and revitalizes communities. The time to make the right choice is now.

    https://www.rosalux.de/en/news/id/52216/africas-agricultural-future-lies-in-agroecology
    #Afrique #agroécologie #technologie #travail #énergie #efficacité_énergétique #productivité #mouvements_sociaux #soutenabilité #sécurité_alimentaire #changement_climatique

    • Politique économique : le Nouveau Front populaire dessine un #changement_de_cap

      Le programme du Nouveau Front populaire, présenté le 14 juin, indique une direction de politique économique claire : il s’agit de reprendre le chemin d’une #politique_sociale et d’investissement (public et privé), articulée à une #politique_fiscale qui vise à (re)remplir les caisses et à instaurer davantage de #justice_fiscale. C’est une #réorientation marquée par rapport à la politique actuelle.

      Est-ce que les #mesures sont crédibles ? Oui, les pistes de #financement aussi. Est-ce que tout pourra être mis en œuvre et selon quel calendrier ? On verra bien. Dans tous les cas, la situation économique est incertaine et ce, quel que soit le gouvernement qui sera nommé.

      La bonne question n’est pas celle du « #sérieux » – la politique actuelle à maints égards n’est pas sérieuse, ni socialement, ni économiquement, ni budgétairement – mais de savoir quel cap de politique économique nous choisissons pour faire face aux incertitudes et répondre aux questions écologiques et sociales qui se posent. Car oui, il y a le choix.

      Le débat sur le #réalisme est à côté du sujet

      On pourrait résumer le programme du NFP ainsi : suspendre l’application des réformes antisociales, redonner du pouvoir d’achat aux ménages, renforcer les #services_publics, récupérer de l’argent sur le #patrimoine, et générer en retour des #effets_économiques vertueux.

      Cette politique tourne le dos à celle mise en œuvre depuis 2017 dont l’orientation principale, revendiquée par Bruno Le Maire, est la baisse des prélèvements obligatoires et l’horizon la réduction du rôle de la #protection_sociale et des services publics. Cette politique menée à un rythme rapide, comme une fuite en avant, une recherche vaine d’un retour de la #croissance, ne récolte qu’une baisse de la #productivité.

      Une large partie des critiques sur le sérieux du programme du NFP provient de commentateurs pour qui le seul débat économique valable est de savoir s’il faut d’abord définancer les retraites, l’école, les deux en même temps, ou si on n’ajouterait pas encore un peu de baisse de prélèvements sur les entreprises, pour la route.

      Et lorsque ces réformes sont évaluées scientifiquement, qu’on en démontre le #coût_social ou le peu d’#efficacité_économique, le plus souvent ces personnes haussent les épaules et passent à la suivante. Evidemment, une autre politique économique est possible.

      Des mesures sociales tout à fait à portée de main

      Si on considère les principales mesures proposées par le Nouveau Front populaire, elles apparaissent tout à fait envisageables. Elles sont sans doute d’ailleurs un peu plus modérées que celles du programme de la Nupes en 2022, pour tenir compte de la dégradation depuis des comptes publics.

      Pour ne prendre que quelques mesures sur les sujets que je connais le mieux : suspendre la réforme des #retraites de 2023 pour revenir à 62 ans immédiatement est faisable, d’autant que la réforme a à peine commencé d’être appliquée. Cela représente environ 0,8 point de PIB en 2032 pour le système de retraite et c’est en grande partie financé par la hausse prévue des cotisations de 0,6 point pour les employeurs et 0,6 point pour les salariés, selon un chiffrage réalisé d’après le simulateur du COR.

      Il est prudent de ne pas s’engager trop avant sur le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous, même s’il apparaît évident que pour certaines personnes et certains métiers pénibles qui ne sont aujourd’hui quasiment pas reconnus, la baisse de l’âge de départ devrait être appliquée rapidement.

      Annuler les réformes de l’#assurance_chômage est également très facilement réalisable, la précédente n’étant même pas encore complètement montée en charge et la prochaine n’étant pas encore appliquée.

      Revaloriser le #point_d’indice de la fonction publique de 10 % est un #choix_budgétaire non négligeable dont il s’agit de mesurer l’ampleur, à hauteur de 0,8 point de PIB, selon certaines estimations. Cette priorité constitue bien une partie de la réponse aux graves difficultés de recrutement que connaissent actuellement les services publics.

      C’est particulièrement vrai pour les deux plus importants que sont la santé et l’éducation, dont les concours ne font plus, du tout, le plein. Cela sera sans doute plus utile pour l’avenir que la baisse de la fiscalité pour les ménages les plus aisés.

      L’indexation des salaires, elle, existe sous une certaine forme chez nos voisins Belges, qui ne s’en plaignent pas, et cela mériterait qu’on s’y penche pour en affiner les caractéristiques techniques.

      Aller plus loin sur les recettes

      Côté recettes, là aussi les pistes sont claires : récupérer des moyens sur les patrimoines des millionnaires et milliardaires par le retour à un impôt sur la fortune et l’instauration d’un impôt élevé sur les très hautes #successions. Il est également urgent de revenir sur certaines #niches_fiscales ayant peu d’effet positif et très coûteuses.

      C’est peut-être de ce côté-là d’ailleurs que le programme mériterait d’être approfondi. Un passage en revue systématique de la politique fiscale depuis 2017 pourrait donner des pistes de financement utiles. En effet, depuis cette date, les baisses de prélèvements obligatoires décidées par les différents gouvernements s’élèvent à près de 70 milliards d’euros par an.

      Ces 70 milliards ont eu deux contreparties : une baisse (ou un ralentissement du financement) des protections collectives (retraite, chômage, services publics), mais également un creusement du #déficit_public. Selon l’OFCE, de l’ordre de 40 milliards d’euros de baisse de recettes n’ont jamais été compensés depuis sept ans. Alors que le déficit s’est élevé à 5,5 % du PIB en 2023, ces mesures non compensées représentent environ 1,4 point de PIB, ce qui n’est budgétairement pas très « sérieux ».

      Selon la même logique, revenir sur le #CICE et le #pacte_de_responsabilité, mis en place sous François Hollande, ou sur la baisse de la #cotisation_sur_la_valeur_ajoutée des entreprises (#CVAE) plus récente, pourrait donner davantage de marge de manœuvre. Certes, ce n’est pas parce que ces mesures fiscales étaient contestables, qu’on peut les supprimer toutes, et d’un coup : les entreprises, même si elles n’en avaient pas besoin, s’y sont accoutumées. Mais il y a de la marge pour commencer tout de suite, et récupérer des montants conséquents.

      C’est pour cela qu’une revue paraît opportune afin de savoir jusqu’où et à quel rythme on peut remonter la pente dévalée au cours des dernières années. De manière intéressante, certains amendements aux dernières lois de finances de la majorité présidentielle, le rapport Bozio-Wasmer en cours de rédaction, ou encore la Cour des comptes, esquissent déjà des pistes en ce sens.

      N’esquivons pas le débat démocratique sur la politique à mener

      Ce qui serait « sérieux », et démocratique, c’est que les médias d’information utilisent le temps de cette élection pour mettre en perspective les #visions de politiques économiques alternatives des trois pôles : la baisse des prélèvements et des dépenses sociales de LREM, espérant faire revenir de la croissance, sa version amplifiée par le RN assortie d’une politique économique xénophobe motivée par des orientations racistes, et le changement de cap proposé par le Nouveau Front populaire qui fait le pari d’une réorientation écologique et sociale, appuyée par la fiscalité et dans une perspective keynésienne.

      Si le Nouveau Front populaire gagne, il aura alors à sa disposition tous les moyens de l’Etat pour calibrer, orchestrer, séquencer les mesures de son programme, et proposer des décisions à arbitrer. La feuille de route est suffisamment explicite pour que cela démarre vite, l’administration sait faire. Un programme est là pour définir un cap, le début du chemin et un horizon. En l’espèce, celui du NFP trace des perspectives sans ambiguïtés et enthousiasmantes.

      https://www.alternatives-economiques.fr/michael-zemmour/politique-economique-nouveau-front-populaire-dessine-un-changement-de-cap/00111532
      #crédibilité

  • Pour une politique écoféministe

    Dans son livre « Pour une politique écoféministe. Comment réussir la #révolution_écologique », qui paraît aujourd’hui aux éditions le passager clandestin et aux Éditions Wildproject, la chercheuse et activiste australienne #Ariel_Salleh déconstruit le système « productif-reproductif » capitaliste et patriarcal à partir d’un #matérialisme_incarné, pour déjouer la #domination croisée de la Nature et des femmes. Extraits choisis.

    https://www.terrestres.org/2024/05/10/pour-une-politique-ecofeministe

    #écoféminisme #féminisme #écologie #patriarcat #production #reproduction #capitalisme #livre

    • Pour une politique écoféministe

      La moitié de la population mondiale pratique au quotidien des valeurs dites féminines – qui s’avèrent être aussi des valeurs écologiques. Loin de tout essentialisme, Ariel Salleh met en évidence le rôle majeur des femmes, mais aussi des paysan·nes et des peuples autochtones, dans le soin et le maintien des milieux de vie, un travail vital mais invisible aux yeux du capital. Là où le prolétariat de Marx a échoué, elles et ils sont en mesure de constituer une nouvelle classe révolutionnaire – le moteur manquant d’une véritable révolution écologique.

      Engagée dans les luttes contre l’exploitation des terres aborigènes dans les années 1970, Ariel Salleh priorise le rôle des femmes des Suds. Selon elle, l’écoféminisme est la synthèse de quatre révolutions – écologique, féministe, socialiste et décoloniale – qui ne pourront pas aboutir les unes sans les autres.

      Un manuel politique pour refonder le mouvement écologiste.

      https://www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/boomerang/pour-politique-ecofeministe

  • « L’Amérique a besoin de plus de migrants »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/10/l-amerique-a-besoin-de-plus-de-migrants_6226983_3232.html

    « L’Amérique a besoin de plus de migrants »cAnne Krueger
    Economiste
    L’immigration figure au sommet des préoccupations des électeurs américains à l’approche de l’élection présidentielle de novembre. Paradoxalement, ce débat monte en intensité au moment même où l’économie américaine se porte beaucoup mieux que les autres économies développées, en partie grâce à une croissance de la population alimentée par l’immigration.
    Le cas du Japon devrait pourtant nous mettre en garde. Après avoir connu une croissance rapide après la seconde guerre mondiale, la population y a atteint un pic de 128,1 millions d’habitants en 2010 avant de retomber à 124 millions début 2024, et elle devrait passer sous la barre des 100 millions d’ici à 2055. La stagnation économique du Japon depuis les années 1990 s’explique en partie par ces difficultés. La population en âge de travailler est passée de 86,8 millions de personnes en 1993 à 81,5 millions en 2010. Initialement opposé à l’immigration, Tokyo a finalement mis en place des mesures destinées à l’encourager, sans grands résultats.
    De nombreux pays développés et en voie de développement, dont la Chine, sont également aux prises avec le déclin démographique. En Corée du Sud, le président de l’Assemblée nationale a récemment qualifié de « crise nationale » le faible taux de natalité du pays. Dans l’Union européenne, la population en âge de travailler devrait diminuer de 20 % d’ici à 2050.
    Le taux de fécondité aux Etats-Unis étant passé de 2,1 naissances par femme en 2007 à 1,64 en 2020, l’Amérique devrait, pour maintenir le niveau actuel de sa main-d’œuvre, accueillir chaque année 1,6 million de migrants. Sans immigration, la population et la main-d’œuvre diminueraient d’environ 0,5 % par an. Selon les projections du Bureau du recensement des Etats-Unis, la population en âge de travailler augmenterait de seulement 2 % en 2035, à flux d’immigration inchangé. Mais dans un scénario « zéro immigration », la main-d’œuvre diminuerait de 5 % et la population totale de 32 % d’ici 2100.
    Une population et une main-d’œuvre en diminution sont susceptibles d’entraver la croissance parce que l’investissement se détourne des nouveaux biens d’équipement, qui stimulent la productivité des travailleurs, vers le remplacement des travailleurs eux-mêmes. Par ailleurs, le niveau d’études moyen des nouveaux arrivants sur le marché du travail étant supérieur à celui des retraités, lorsque les premiers deviennent moins nombreux que les seconds, la productivité diminue. D’autant que la demande de soins de santé et les pensions de retraite augmentent plus vite que la population.
    Malheureusement, l’immigration devient de plus en plus impopulaire alors même que ses effets économiques deviennent de plus en plus nécessaires. Les migrants, qui arrivent souvent à un jeune âge, apportent des compétences intermédiaires essentielles à des secteurs tels que la santé, le bâtiment et l’hôtellerie. Mais ils ne sont pas seulement cruciaux pour remplacer les personnes âgées qui partent à la retraite ; ils améliorent également la productivité des professionnels hautement qualifiés, comme les médecins, les ingénieurs et les enseignants.
    Alors que le chômage est historiquement bas et que persistent les pénuries de main-d’œuvre, il est absurde d’affirmer que les migrants « voleraient » des emplois aux Américains. En dépit de potentielles perturbations à court terme, l’immigration est économiquement bénéfique pour les pays d’accueil à long terme. Plutôt que de s’engager dans des débats contreproductifs sur les effets négatifs de l’immigration, la réflexion politique devrait se concentrer sur la détermination du taux d’immigration optimal, sur l’impératif de légalité de cette immigration, sur la promotion d’une intégration fluide et sur la dynamisation de la productivité.
    Anne Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est professeure d’économie internationale à la Johns-Hopkins University School of Advanced International Studies de Washington et chercheuse au Center for International Development de l’université Stanford.

    #Covid-19#migrant#migration#etatsunis#economie#vieillissement#immigration#productivite#maindoeuvre#sante

  • Les raisons du déclin de la recherche en France

    Dépassée par ses concurrents en termes de #productivité_scientifique, la France voit son modèle miné de l’intérieur, dessinant une trajectoire qui l’éloigne toujours plus de son rang historique.

    Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
    La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
    Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
    Pour toute demande d’autorisation, contactez syndication@lemonde.fr.
    En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/09/28/recherche-les-raisons-du-declin-francais_6096227_1650684.html

    Non seulement l’Australie n’achètera pas de sous-marins à la France, mais en plus, ses chercheurs sont sur le point de passer devant les nôtres en termes de productivité. C’est ce qui ressort des premières données provisoires sur l’année 2020, communiquées par l’Observatoire des sciences et techniques (OST) au Monde, portant sur le volume des publications scientifiques nationales.

    En 2017, l’Italie était passée devant la France, qui se retrouve désormais à la limite d’être exclue du top 10 par le Canada, l’Espagne et l’Australie, alors qu’elle en était sixième en 2009. « Décrochage rapide depuis quinze ans », écrivaient, pour qualifier la situation française, les auteurs d’un des rapports destinés à nourrir la loi de programmation pour la recherche (LPR), votée fin 2020. Celle-ci était censée stopper l’érosion mais elle a surtout réveillé les contestations d’une communauté scientifique doutant de l’intérêt des réformes structurelles, qui depuis 2005 accompagnent ce décrochage. Même si corrélation n’est pas causalité.

    Et derrière le flétrissement du prestige français, en termes de #publications, de #moyens_financiers, de #salaires, des #fractures apparaissent au sein même de la communauté scientifique nationale, entre laboratoires riches et pauvres, vedettes et secondes lignes, titulaires et précaires… signant la fin de l’exception du #modèle_français dans le paysage mondial.

    (#paywall)

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2021/09/28/recherche-les-raisons-du-declin-francais_6096227_1650684.html

    #it_has_begun #it_is_the_end #recherche #université #France #déclin #ESR #précarité #précarisation

  • On va dans le mur, mais en #tesla
    http://carfree.fr/index.php/2024/03/15/on-va-dans-le-mur-mais-en-tesla

    « On continue d’aller dans le mur, même si on y va en Tesla » : jolie phrase prononcée par un militant écologiste lors de l’ouverture du débat public sur le projet, Lire la suite...

    #Destruction_de_la_planète #Fin_de_l'automobile #Réchauffement_climatique #auvergne #lithium #mine #productivisme #voiture_électrique

  • « La vraie #souveraineté_alimentaire, c’est faire évoluer notre #modèle_agricole pour préparer l’avenir »

    Professeur à l’université Paris-Saclay AgroParisTech, l’économiste de l’environnement #Harold_Levrel estime que le concept de « souveraineté alimentaire » a été détourné de sa définition originelle pour justifier un modèle exportateur et productiviste.

    Hormis les denrées exotiques, dans la plupart des secteurs, la #production_agricole nationale pourrait suffire à répondre aux besoins des consommateurs français, sauf dans quelques domaines comme les fruits ou la volaille. Or, les #importations restent importantes, en raison d’un #modèle_intensif tourné vers l’#exportation, au risque d’appauvrir les #sols et de menacer l’avenir même de la production. D’où la nécessité de changer de modèle, plaide l’économiste.

    Comment définir la souveraineté alimentaire ?

    Selon la définition du mouvement altermondialiste Via Campesina lors du sommet mondial sur l’alimentation à Rome en 1996, c’est le droit des Etats et des populations à définir leur #politique_agricole pour garantir leur #sécurité_alimentaire, sans provoquer d’impact négatif sur les autres pays. Mais les concepts échappent souvent à ceux qui les ont construits. Mais aujourd’hui, cette idée de solidarité entre les différents pays est instrumentalisée pour justifier une stratégie exportatrice, supposée profiter aux pays du Sud en leur fournissant des denrées alimentaires. Le meilleur moyen de les aider serait en réalité de laisser prospérer une #agriculture_vivrière et de ne pas les obliger à avoir eux aussi des #cultures_d’exportation. Au lieu de ça, on maintient les rentes de pays exportateurs comme la France. Quand le gouvernement et d’autres parlent d’une perte de souveraineté alimentaire, ça renvoie en réalité à une baisse des exportations dans certains secteurs, avec un état d’esprit qu’on pourrait résumer ainsi : « Make French agriculture great again. » Depuis le Covid et la guerre en Ukraine, la souveraineté alimentaire est devenue l’argument d’autorité pour poursuivre des pratiques qui génèrent des catastrophes écologiques et humaines majeures.

    Nous n’avons donc pas en soi de problème d’#autonomie_alimentaire ?

    Ça dépend dans quel domaine. Les défenseurs d’un modèle d’exploitation intensif aiment à rappeler que notre « #dépendance aux importations » est de 70 % pour le #blé dur, 40 % pour le #sucre, et 29 % pour le #porc. Mais omettent de préciser que nos taux d’auto-approvisionnement, c’est-à-dire le rapport entre la production et la consommation françaises, sont de 123 % pour le blé dur, 165 % pour le sucre, et 99 % pour le porc. Ça signifie que dans ces secteurs, la production nationale suffit en théorie à notre consommation, mais que l’on doit importer pour compenser l’exportation. Il y a en réalité très peu de produits en France sur lesquels notre production n’est pas autosuffisante. Ce sont les fruits exotiques, l’huile de palme, le chocolat, et le café. On a aussi des vrais progrès à faire sur les fruits tempérés et la viande de #volaille, où l’on est respectivement à 82 et 74 % d’auto-approvisionnement. Là, on peut parler de déficit réel. Mais il ne serait pas très difficile d’infléchir la tendance, il suffirait de donner plus d’aides aux maraîchers et aux éleveurs, qu’on délaisse complètement, et dont les productions ne sont pas favorisées par les aides de la #Politique_agricole_commune (#PAC), qui privilégient les grands céréaliers. En plus, l’augmentation de la production de #fruits et #légumes ne nécessite pas d’utiliser plus de #pesticides.

    Que faire pour être davantage autonomes ?

    A court terme, on pourrait juste rebasculer l’argent que l’on donne aux #céréaliers pour soutenir financièrement les #éleveurs et les #maraîchers. A moyen terme, la question de la souveraineté, c’est : que va-t-on être capable de produire dans dix ans ? Le traitement de l’#eau polluée aux pesticides nous coûte déjà entre 500 millions et 1 milliard d’euros chaque année. Les pollinisateurs disparaissent. Le passage en #bio, c’est donc une nécessité. On doit remettre en état la #fertilité_des_sols, ce qui suppose d’arrêter la #monoculture_intensive de #céréales. Mais pour cela, il faut évidemment réduire certaines exportations et investir dans une vraie souveraineté alimentaire, qui nécessite de faire évoluer notre modèle agricole pour préparer l’avenir.

    https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/la-vraie-souverainete-alimentaire-cest-faire-evoluer-notre-modele-agricol
    #agriculture_intensive #industrie_agroalimentaire

  • #Pesticides : pourquoi l’indicateur d’usage choisi par le gouvernement est contesté par les #ONG et les #chercheurs
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/22/pesticides-pourquoi-l-indicateur-d-usage-choisi-par-le-gouvernement-est-cont
    #ecophyto

    Pour comprendre, il faut saisir l’étendue des différences d’approche entre le NODU et le HRI-1. « Le "NODU mesure l’intensité du recours aux pesticides en se fondant, pour chaque substance, sur la #dose maximale homologuée à l’hectare », explique M. Barbu. Dix kilogrammes d’un produit appliqué sur une culture auront ainsi le même poids, dans le NODU, qu’un seul kilogramme d’une autre #molécule qui serait dix fois plus efficace. « On reproche souvent au NODU de ne pas tenir compte du risque inhérent à chaque #substance active, ajoute le chercheur. Techniquement, c’est exact, mais on comprend bien que l’efficacité d’une molécule est aussi une mesure des risques inhérents à son usage, même si cette mesure est imparfaite. »

    Au contraire, le #HRI-1 ne tient pas compte des doses d’application homologuées pour chaque molécule. « L’une des limites majeures de cet indicateur est de cumuler des quantités de substances actives utilisées à quelques grammes à l’hectare, avec d’autres utilisées à plusieurs kilogrammes à l’hectare », explique Jean-Noël Aubertot, agronome à l’Inrae et président du CST du plan Ecophyto. « C’est un peu comme si on additionnait les poids de bombes A et de bâtons de dynamite, illustre M. Barbu. Cela n’a pas grand sens. »

    Le HRI-1 a bien un système de pondération des quantités utilisées, en fonction des substances, mais il ne s’appuie pas sur leur efficacité. Il divise en quatre catégories les pesticides : ceux considérés à faible risque, ceux qui sont approuvés sans être à faible risque, ceux qui sont considérés comme problématiques et devant être remplacés et enfin ceux qui ne sont plus approuvés car trop dangereux. Des facteurs multiplicatifs sont appliqués aux quantités de pesticides selon leur classement dans ces quatre catégories : 1 pour les #produits appartenant à la première, 8 pour la deuxième, 16 pour la troisième et 64 pour la quatrième.

    Comment ces facteurs de pondération ont-ils été établis ? « Apparemment au doigt mouillé, répond M. #Barbu. Il n’y a aucune justification scientifique derrière ces facteurs de pondération, puisqu’ils ne tiennent compte que du statut réglementaire des molécules, et non des risques réels liés à leur usage, qui peuvent en outre être très différents selon qu’on parle de risques sanitaires ou environnementaux. »

    • Corentin Barbu donne un exemple. « Aujourd’hui, le glyphosate représente environ 50 % des usages herbicides en France, et il est homologué pour une application de 1,6 kilogramme à l’hectare, explique le chercheur. Une nouvelle molécule herbicide en cours d’évaluation pourrait arriver prochainement sur le marché et son taux d’application est de l’ordre de 1 gramme par hectare, soit 1 600 fois moins. »

      Le simple remplacement du glyphosate par cette nouvelle substance induirait une réduction considérable de l’indice HRI-1. « Or une telle substitution ne changerait fondamentalement rien à l’usage réel des pesticides, ni aux risques pour la biodiversité, dit M. Barbu. Si ce n’est qu’on remplacerait le glyphosate par une molécule nouvelle, sur laquelle on n’a aucun recul. »

      En dépit des limites du HRI-1, le NODU n’est pas parfait. Le CST suggère ainsi des améliorations de l’indice plutôt que son remplacement. « Nous allons continuer à travailler dans les prochains mois sur la question, dit M. Aubertot. L’indice idéal serait calculable au niveau européen, tiendrait compte des risques pour la santé et la biodiversité, mais aussi des doses d’application des substances actives, c’est-à-dire de leur efficacité. » La question est surtout de savoir si cet indice « idéal » serait politiquement désirable.

  • À propos du projet « Écologies incarnées »
    https://visionscarto.net/projet-ecologies-incarnees

    Le projet « Écologies incarnées » est une grande enquête collaborative qui explore la manière dont le corps humain interagit dans la vie quotidienne avec une multiplicité de produits toxiques, et comment les gens perçoivent, comprennent cette exposition, et enfin, agissent pour tenter de la réduire, compte tenu du fait que nous vivons dans un monde inégalement pollué. par Tait Mandler Anthropologue, enseignant chercheur à l’Université de Wageningen (Pays-Bas) Traduction de l’anglais et (...) #Embodied_ecologies

  • Cadences, sous-traitance, pression… quand le travail tue

    « Morts au travail : l’hécatombe. » Deux personnes meurent chaque jour, en moyenne, dans un accident dans le cadre de leur emploi. Ce chiffre, sous estimé, qui n’intègre pas les suicides ou les maladies, illustre un problème systémique

    « J’ai appris la mort de mon frère sur Facebook : la radio locale avait publié un article disant qu’un homme d’une trentaine d’années était décédé près de la carrière, raconte Candice Carton. J’ai eu un mauvais pressentiment, j’ai appelé la gendarmerie, c’était bien lui… L’entreprise a attendu le lendemain pour joindre notre mère. » Son frère Cédric aurait été frappé par une pierre à la suite d’un tir de mine le 28 juillet 2021, dans une carrière à Wallers-en-Fagne (Nord). Il travaillait depuis dix-sept ans pour le Comptoir des calcaires et matériaux, filiale du groupe Colas.

    Deux ans et demi plus tard, rien ne permet de certifier les causes de la mort du mécanicien-soudeur de 41 ans. D’abord close, l’enquête de gendarmerie a été rouverte en septembre 2023 à la suite des conclusions de l’inspection du travail, qui a pointé la dizaine d’infractions dont est responsable l’entreprise. Cédric Carton n’avait pas le boîtier pour les travailleurs isolés, qui déclenche une alarme en cas de chute. « Ils l’ont retrouvé deux heures après, se souvient sa sœur. Le directeur de la carrière m’a dit que mon frère était en sécurité, et qu’il avait fait un malaise… alors qu’il avait un trou béant de 20 centimètres de profondeur de la gorge au thorax. » En quête de réponses, elle a voulu déposer plainte deux fois, chacune des deux refusée, multiplié les courriers au procureur, pris deux avocats… Sans avoir le fin mot de cette triste histoire.

    Que s’est-il passé ? Est-ce la « faute à pas de chance », les « risques du métier » ? Qui est responsable ? Chaque année, des centaines de familles sont confrontées à ces questions après la mort d’un proche dans un accident du travail (AT), c’est-à-dire survenu « par le fait ou à l’occasion du travail, quelle qu’en soit la cause ».

    « Un chauffeur routier a été retrouvé mort dans son camion », « Un ouvrier de 44 ans a été électrocuté », « Un homme meurt écrasé par une branche d’arbre », « Deux ouvriers roumains, un père et son fils, trouvent la mort sur un chantier à Istres [Bouches-du-Rhône] »… Le compte X de Matthieu Lépine, un professeur d’histoire-géographie, qui recense depuis 2019 les accidents dramatiques à partir des coupures de presse locale, illustre l’ampleur du phénomène. Vingt-huit ont été comptabilisés depuis janvier.

    En 2022, selon les derniers chiffres connus, 738 décès ont été recensés parmi les AT reconnus. Soit deux morts par jour. Un chiffre en hausse de 14 % sur un an, mais stable par rapport à 2019. Et, depuis une quinzaine d’années, il ne baisse plus. A cela s’ajoutent 286 accidents de trajet mortels (survenus entre le domicile et le lieu de travail) et 203 décès consécutifs à une maladie professionnelle.

    Et encore, ces statistiques sont loin de cerner l’ampleur du problème. La Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) ne couvre que les salariés du régime général et n’intègre donc ni la fonction publique, ni les agriculteurs, ni les marins-pêcheurs, la majorité des chefs d’entreprise ou les autoentrepreneurs. C’est ainsi qu’en 2022 la Mutualité sociale agricole (MSA) a dénombré 151 accidents mortels dans le secteur des travaux agricoles, 20 % de plus qu’en 2019.

    Pour disposer de chiffres plus complets, il faut se tourner vers la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares). Problème : sa dernière étude porte sur 2019… A cette époque, elle dénombrait 790 AT mortels chez les salariés affiliés au régime général ou à la MSA et les agents des fonctions publiques territoriale et hospitalière.

    Le secteur de la construction est celui où la fréquence des accidents mortels est la plus importante (le triple de la moyenne). Arrivent ensuite l’agriculture, la sylviculture et la pêche, le travail du bois et les transports-entreposage. Quatre-vingt-dix pour cent des victimes sont des hommes, et les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres.

    Les accidents mortels sont deux fois plus fréquents chez les intérimaires. (...)
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/06/cadences-sous-traitance-pression-quand-le-travail-tue_6214988_3234.html

    https://justpaste.it/2ozrb

    #travail #accidents_du_travail #le_travail_tue

    • Accidents du travail : la lenteur de la justice pour faire reconnaître la responsabilité de l’employeur
      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/morts-au-travail-la-douloureuse-lenteur-de-la-justice_6215011_1698637.html

      Les familles de victimes d’accidents mortels doivent parfois attendre des années avant de voir le bout de procédures judiciaires complexes.

      Pour ceux qui ont perdu un proche à la suite d’un accident du travail, la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur est essentielle. Mais les procédures, d’ordre pénal ou civil, tournent parfois au parcours du combattant, voire s’étirent sur des années, ajoutant à la douleur des familles. Fabienne Bérard, du collectif Familles : stop à la mort au travail, cite l’exemple de Fanny Maquin, qui a perdu son mari cordiste, Vincent, il y a douze ans. Et qui n’est toujours pas passée en justice pour être indemnisée. « Comme souvent, il y a eu un grand nombre de renvois d’audience, explique-t-elle. L’avocat adverse met en avant que, depuis ce temps, elle a reconstruit une cellule familiale et que le préjudice ne peut pas être établi de la même manière… »

      Tout accident du travail mortel est suivi d’une enquête de l’inspection du travail (qui doit intervenir dans les douze heures), et de la gendarmerie ou de la police. Depuis 2019, les deux institutions peuvent mener une enquête en commun, mais c’est encore rare. Et souvent, l’enquête de l’inspection dure plusieurs mois, parce que les effectifs manquent pour mener à bien les constats immédiats, les auditions des témoins ou encore solliciter des documents auprès de l’entreprise.

      Ces investigations permettent de déterminer si la responsabilité pénale de l’employeur est engagée. Si les règles de santé et sécurité n’ont pas été respectées, l’inspection du travail en avise le procureur, qui est le seul à pouvoir ouvrir une procédure. « Dès lors, le parquet a trois possibilités, explique l’avocat Ralph Blindauer, qui accompagne souvent des familles. Soit l’affaire est classée sans suite, soit une information judiciaire avec juge d’instruction est ouverte, car le cas est jugé complexe, soit, le plus couramment, une ou plusieurs personnes sont citées à comparaître devant le tribunal correctionnel. »

      Un montant négligeable

      En cas de poursuite au pénal, l’employeur est fréquemment condamné pour homicide involontaire en tant que personne morale – ce qui est peu satisfaisant pour les victimes, et peu dissuasif. L’amende est en effet de 375 000 euros maximum, un montant négligeable pour un grand groupe. L’employeur est plus rarement condamné en tant que personne physique, car il est difficile d’identifier le responsable de la sécurité – la peine encourue est alors l’emprisonnement.

      Dans le cas d’une procédure au civil, la reconnaissance d’une « faute inexcusable » de l’employeur permet aux ayants droit (conjoints, enfants ou ascendants) d’obtenir la majoration de leur rente, ainsi que l’indemnisation de leur préjudice moral. La faute est caractérisée lorsque l’entreprise a exposé son salarié à un danger dont il avait, ou aurait dû, avoir conscience et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

      « Le nœud du sujet, c’est la conscience du danger, en particulier lors d’un malaise mortel, explique Morane Keim-Bagot, professeure de droit à l’université de Strasbourg. Les employeurs remettent en question le caractère professionnel de l’accident, en démontrant qu’il y a une cause étrangère exclusive. » Certains prétendent ainsi que la victime souffrait d’un problème cardiaque décelé au moment de l’autopsie, de surpoids, de stress ou de tabagisme.

      « Si vous tombez sur un inspecteur surchargé, un parquet qui s’y attelle moyennement, des gendarmes non spécialisés et débordés, les procédures durent facilement des années, sans compter les renvois d’audience fréquents, conclut Me Blindauer. La longueur très variable de ces affaires illustre aussi le manque de moyens de la #justice. »

      #responsabilité_de_l’employeur #inspection_du_travail #responsabilité_pénale

    • Entre déni des entreprises et manque de données, l’invisibilisation des suicides liés au travail

      https://www.lemonde.fr/emploi/article/2024/02/06/entre-deni-des-entreprises-et-manque-de-donnees-l-invisibilisation-des-suici

      Le manque de prise en compte du mal-être au travail renforce les risques d’accidents dramatiques.
      Par Anne Rodier

      « La dernière conversation que j’ai eue avec mon mari [Jean-Lou Cordelle] samedi 4 juin [2022] vers 22 heures concernait les dossiers en cours à son travail. Le lendemain matin, mon fils découvrait son père au bout d’une corde pendu dans le jardin », témoigne Christelle Cordelle dans la lettre adressée aux représentants du personnel d’Orange pour leur donner des précisions sur l’état psychologique de son mari avant son suicide, à l’âge de 51 ans, après des mois de surcharge de travail, d’alertes vaines à la hiérarchie et à la médecine du travail.

      Son acte, finalement reconnu comme « accident de service » – c’est ainsi que sont nommés les accidents du travail (#AT) des fonctionnaires –, n’est pas recensé dans le bilan annuel de la Sécurité sociale. Celui-ci ne tient pas, en effet, compte de la fonction publique, invisibilisant les actes désespérés des infirmières, des professeurs ou encore des policiers.

      L’Assurance-maladie parle d’une quarantaine de suicides-accidents du travail par an. Un chiffre stable, représentant 5 % du total des accidents du travail mortels, mais qui serait nettement sous-évalué. C’est entre vingt et trente fois plus, affirme l’Association d’aide aux victimes et aux organismes confrontés aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-pro), qui l’évalue plutôt entre 800 et 1 300 chaque année, sur la base d’une étude épidémiologique sur les causes du suicide au travail réalisée fin 2021 par Santé publique France. https://www.santepubliquefrance.fr/recherche/#search=Suicide%20et%20activité%20professionnelle%20en%20France

      L’explosion des risques psychosociaux (RPS) en entreprise constatée étude après étude et par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM : https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2018-sante-travail-affections-psychiques) apporte de l’eau au moulin de l’ASD-pro : 1 814 maladies professionnelles relèvent de maladies psychiques, en augmentation régulière, note le rapport 2022. Quant au dernier baromètre du cabinet Empreinte humaine, publié en novembre 2023, il est sans équivoque : près d’un salarié sur deux (48 %) était en détresse psychologique en 2023.

      « Passage à l’acte brutal »

      La mécanique mortifère de la souffrance au travail est connue. « Les mécanismes à l’œuvre semblent être toujours liés : atteintes à la professionnalité et à l’identité professionnelle, perte de l’estime de soi, apparition d’un sentiment d’impuissance », explique Philippe Zawieja, psychosociologue au cabinet Almagora.
      Newsletter

      Tous les RPS ne conduisent pas au geste fatal. « Il y a moins de suicidés chez les #salariés que parmi les #chômeurs, et 90 % des suicides interviennent sur fond de problème psychiatrique antérieur », souligne M. Zawieja. Mais « il existe des actes suicidaires qui ne sont pas la conséquence d’un état dépressif antérieur, qui marquent un passage à l’acte brutal [raptus], lié à un élément déclencheur conjoncturel », indique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) https://www.inrs.fr/risques/suicide-travail/ce-qu-il-faut-retenir.html. Comme ce fut le cas du management toxique institutionnel à France Télécom. C’est alors que survient l’accident.

      « Pour Jean-Lou, tout s’est passé insidieusement, témoigne sa veuve. Il était en surcharge de travail depuis octobre-novembre 2021, avec des salariés non remplacés, des départs en retraite. Un jour de janvier, je l’ai vu buguer devant son ordinateur. A partir de là, j’ai été plus attentive. En mars [2022], ils ont allégé sa charge de travail mais insuffisamment. En avril, il a craqué. La médecine du travail a été prévenue. Il a finalement été mis en arrêt, sauf qu’il continuait à recevoir des mails. Ils lui avaient laissé son portable professionnel et il n’y avait pas de message de gestion d’absence renvoyant vers un autre contact. Jusqu’au bout, Orange n’a pas pris la mesure ».

      Le plus souvent, les suicides au travail sont invisibilisés, au niveau de l’entreprise d’abord, puis des statistiques. « Classiquement, l’entreprise, quand elle n’est pas tout simplement dans le déni, considère que c’est une affaire privée et que le travail n’en est pas la cause », explique le juriste Loïc Lerouge, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste du sujet.

      Un déni qui a valu à Renault la première condamnation pour « faute inexcusable de l’employeur pour n’avoir pas pris les mesures nécessaires alors qu’il avait conscience du danger » concernant les salariés du Technocentre de Guyancourt (Yvelines) qui ont mis fin à leurs jours dans les années 2000. [en 2012 https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/05/12/suicide-au-technocentre-renault-condamne-pour-faute-inexcusable_1700400_3224 « On reconnaît pleinement la responsabilité de la personne morale de l’entreprise depuis l’affaire #France_Télécom », précise M. Lerouge.

      Caractérisation délicate

      L’#invisibilisation des suicides commence par le non-dit. En réaction aux deux suicides de juin 2023 à la Banque de France, où l’une des victimes avait laissé une lettre incriminant clairement ses conditions de travail, la direction a déclaré avoir « fait ce qui s’impose » après un tel drame https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/10/a-la-banque-de-france-le-suicide-de-deux-salaries-empoisonne-le-dialogue-soc . Puis, lors des vœux 2024 adressés au personnel le 2 janvier, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, n’a pas prononcé le mot « suicide », évoquant les « décès dramatiques de certains collègues ». Et s’il a déclaré « prendre au sérieux les résultats et les suggestions » de l’enquête qui acte le problème de #surcharge_de_travail, présentée au comité social et économique extraordinaire du 18 janvier, il n’a pas mis sur pause le plan de réduction des effectifs dans la filière fiduciaire. Celle-là même où travaillaient les deux salariés qui ont mis fin à leurs jours. « Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de faire correctement leur travail et sont en souffrance. Il existe à la Banque de France une forme de maltraitance généralisée », affirme Emmanuel Kern, un élu CGT de l’institution.

      La caractérisation des suicides en accidents du travail est un exercice délicat, au cœur de la reconnaissance de la responsabilité de l’employeur. Pour Santé publique France, la définition est assez simple (« Surveillance des suicides en lien potentiel avec le travail », 2021). Il s’agit de tout suicide pour lequel au moins une des situations suivantes était présente : la survenue du décès sur le lieu du travail ; une lettre laissée par la victime mettant en cause ses conditions de travail ; le décès en tenue de travail alors que la victime ne travaillait pas ; le témoignage de proches mettant en cause les conditions de travail de la victime ; des difficultés connues liées au travail recueillies auprès des proches ou auprès des enquêteurs.

      Mais pour l’administration, le champ est beaucoup plus restreint : l’Assurance-maladie prend en compte « l’acte intervenu au temps et au lieu de travail ». Et la reconnaissance n’aura pas lieu si des éléments au cours de l’enquête permettent d’établir que « le travail n’est en rien à l’origine du décès », précise la charte sur les accidents du travail rédigée à destination des enquêteurs de la Sécurité sociale https://www.atousante.com/wp-content/uploads/2011/05/Charte-des-AT-MP-acte-suicidaire-et-accident-du-travail.pdf. « En dehors du lieu de travail, c’est à la famille de faire la preuve du lien avec l’activité professionnelle », explique Michel Lallier, président de l’ASD-pro. Une vision nettement plus restrictive, qui explique cet écart entre les bilans des suicides au travail.

      #suicide_au_travail #risques_psychosociaux #médecine_du_travail #conditions_de_travail #management #cadences #pression #surcharge_de_travail

    • Manque de sécurité sur les chantiers : « Notre fils est mort pour 6 000 euros », Aline Leclerc
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/07/manque-de-securite-sur-les-chantiers-notre-fils-est-mort-pour-6-000-euros_62

      Pour réduire les coûts et tenir les délais, certaines entreprises du bâtiment accumulent les négligences et infractions au code du travail, susceptibles d’engendrer de graves accidents du travail

      Alban Millot avait trouvé l’offre d’emploi sur Leboncoin. Touche-à-tout débrouillard enchaînant les petits boulots, il n’avait aucune expérience dans la pose de panneaux photovoltaïques ni dans le travail en hauteur. Trois semaines après son embauche, il est passé à travers la toiture d’un hangar, le 10 mars 2021. Une chute mortelle de plus de 5 mètres. Le jour de ses 25 ans.

      « Quand le gendarme vous l’annonce, il parle d’un “accident”, comme on dit quand quelqu’un meurt sur la route », se rappelle douloureusement Laurent Millot, son père. La chute renvoie toujours d’abord l’idée d’une erreur d’attention, d’un déséquilibre. La faute à pas de chance. Et à la victime surtout – Alban n’a-t-il pas marché sur une plaque translucide qu’il savait fragile ?

      Ce n’est que quelque temps après que reviennent en mémoire ces petites phrases qui donnent à l’« accident » un autre sens. « J’avais eu Alban au téléphone une semaine avant. Il m’a dit que son travail était hyperdangereux, et qu’il allait s’acheter son propre harnais parce que celui fourni par la boîte était bas de gamme », raconte Véronique Millot, sa mère. Quand pour la rassurer il lui a dit : « Je fais ça seulement jusqu’à l’été », elle a répondu : « Te tue pas pour un boulot… »

      Inexpérimentés

      L’enquête, étoffée dans ce dossier, a mis en évidence une effarante liste de dysfonctionnements et d’infractions au code du travail de la PME qui l’employait, dont l’activité officiellement enregistrée (son code NAF ou APE) était « commerce de détail en quincaillerie, peintures ». Le seul technicien dûment diplômé avait quitté la société deux mois avant l’embauche d’Alban. Sur les vingt-cinq salariés, une dizaine de commerciaux et seulement trois équipes de deux poseurs, lesquels étaient en conséquence soumis à un rythme intense pour honorer les commandes.

      Avant sa mort, Alban et son collègue de 20 ans, et trois mois d’ancienneté seulement, étaient partis le lundi de Narbonne (Aude) pour un premier chantier en Charente, puis un autre en Ille-et-Vilaine, avant un troisième, le lendemain, dans les Côtes-d’Armor, et un ultime, le mercredi, en Ille-et-Villaine, où a eu lieu l’accident. Alban, seul à avoir le permis, avait conduit toute la route.

      Inexpérimentés, les deux hommes n’avaient reçu qu’une formation sommaire à la sécurité. Et, surtout, ne disposaient pas de harnais complets pour s’attacher, comme l’a constaté l’inspectrice du travail le jour du drame.

      « Méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant

      Sans matériel, ils ont loué sur place une échelle chez Kiloutou. « Combien pèse une plaque photovoltaïque ? », a demandé le président du tribunal correctionnel de Rennes, lors du procès en première instance. « Dix-huit kilos », a répondu le chef d’entreprise. « Il faut monter l’échelle avec le panneau sous le bras ? », s’est étonné le président. « Cela dépend du chantier. »

      Il sera démontré pendant l’enquête, puis à l’audience, la « méconnaissance totale » et « déconcertante » du dirigeant, commercial de formation, de la réglementation en vigueur sur le travail en hauteur comme sur les habilitations électriques. Il n’avait entrepris aucune démarche d’évaluation des risques. Et ce, alors que deux autres accidents non mortels avaient eu lieu peu de temps avant sur ses chantiers.

      Dans son jugement du 6 juin 2023, le tribunal a reconnu l’employeur – et non l’entreprise, déjà liquidée – coupable d’homicide involontaire, retenant la circonstance aggravante de « violation manifestement délibérée » d’une obligation de sécurité ou de prudence, « tant l’inobservation était inscrite dans ses habitudes ».

      Enjeux financiers

      Car ces négligences tragiques cachent aussi des enjeux financiers. Monter un échafaudage, c’est plusieurs heures perdues dans un planning serré, et un surcoût de 6 000 euros, qui aurait doublé le devis, a chiffré un ouvrier à l’audience. « En somme, notre fils est mort pour 6 000 euros », souligne Mme Millot.

      L’affaire résonne avec une autre, dans laquelle Eiffage Construction Gard et un sous-traitant ont été condamnés en première instance comme en appel lors des procès qui se sont tenus en mai 2021 et avril 2022, à Nîmes. Mickaël Beccavin, cordiste de 39 ans, a fait une chute mortelle le 6 mars 2018, alors qu’il assemblait des balcons sur les logements d’un chantier d’envergure. Pour une raison restée inexpliquée, une corde sur laquelle il était suspendu a été retrouvée sectionnée, trop courte de plusieurs mètres. Quand la défense de l’entreprise a plaidé la seule responsabilité de la victime, qui aurait mal vérifié son matériel, l’inspecteur du travail a proposé une autre analyse.

      « On peut vous expliquer que le cordiste doit faire attention, mais la question n’est pas que là. La question est : est-ce qu’on devait faire appel à des cordistes pour ce chantier ? », a expliqué Roland Migliore à la barre, en mai 2021. Car la législation n’autorise les travaux sur cordes, particulièrement accidentogènes, qu’en dernier recours : cette pratique n’est possible que si aucun autre dispositif de protection dite « collective » (échafaudage, nacelle…) n’est envisageable. « La protection collective protège le salarié indépendamment de ce qu’il peut faire lui. S’il s’attache mal, il est protégé, rappelle l’inspecteur du travail. Au contraire, si l’on choisit la protection individuelle, on fait tout reposer sur le salarié. »

      « Précipitation »

      Le recours à la corde était apparu à l’audience comme un choix de dernière minute, sur un chantier où « tout le monde était pressé ». L’inspecteur du travail avait alors souligné cet aspect : « Malheureusement, dans le BTP, les contraintes sur les délais de livraison poussent à la précipitation : on improvise, quitte à ne pas respecter le plan général de coordination. »

      Secrétaire CGT-Construction, bois et ameublement de Nouvelle-Aquitaine, Denis Boutineau n’en peut plus de compter les morts. « Très souvent, c’est lié à un manque de sécurité. Quand vous êtes en ville, regardez les gens qui travaillent sur les toits, il n’y a aucune protection ! Pourquoi ? Pour des raisons économiques ! » Il cite ainsi le cas d’un jeune couvreur passé à travers un toit Everite. « L’employeur avait fait deux devis ! Un avec la mise en sécurité, un sans ! Bien sûr, le second était moins cher. Lequel croyez-vous qu’a accepté le client ? »

      Caroline Dilly reste, elle aussi, hantée par un échange avec son fils Benjamin, 23 ans, quelque temps avant sa mort, le 28 février 2022. Couvreur lui aussi, il aurait chuté en revenant dans la nacelle après avoir remis une ardoise en place sur un toit. Il n’était pas titulaire du certificat d’aptitude à la conduite d’engins en sécurité (Caces), nécessaire à l’utilisation de cet engin. Et la nacelle était-elle adaptée pour réaliser ce chantier ? C’est ce que devra établir la procédure judiciaire, encore en cours.

      Mais avant de rejoindre cette entreprise, Benjamin avait été renvoyé par une autre, au bout de quinze jours. « Il avait refusé de monter sur un échafaudage qui n’était pas aux normes », raconte sa mère, qui s’entend encore lui faire la leçon : « Y a ce que t’apprends à l’école et y a la réalité du monde du travail ! » « Je m’en veux tellement d’avoir dit ça… J’ai pris conscience alors à quel point prendre des risques au travail était entré dans nos mœurs. Tout ça pour aller plus vite. Comment en est-on arrivés à ce que la rentabilité prime sur le travail bien fait, en sécurité ? », se désole-t-elle.

      « Quand on commence, on est prêt à tout accepter »

      Depuis qu’elle a rejoint le Collectif familles : stop à la mort au travail, elle est frappée par la jeunesse des victimes : « Quand on commence dans le métier, on n’ose pas toujours dire qu’on a peur. Au contraire, pour s’intégrer, on est prêt à tout accepter. »

      Alexis Prélat avait 22 ans quand il est mort électrocuté sur un chantier, le 5 juin 2020. Son père, Fabien, bout aujourd’hui d’une colère qui lui fait soulever des montagnes. Sans avocat, il a réussi à faire reconnaître par le pôle social du tribunal judiciaire de Périgueux la « faute inexcusable » de l’employeur.

      C’est-à-dire à démontrer que ce dernier avait connaissance du danger auquel Alexis a été exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Le jeune homme est descendu dans une tranchée où était clairement identifiée, par un filet rouge, la présence d’un câble électrique. « Le préposé de l’employeur sous les ordres duquel travaillait la victime ce jour-là aurait dû avoir connaissance du danger », dit le jugement rendu le 11 mai 2023, qui liste des infractions relevées par l’inspecteur du travail, notamment l’« absence d’habilitation électrique » et l’« absence de transcription de l’ensemble des risques dans le document unique d’évaluation des risques ».

      Fabien Prélat relève également que, comme pour Alban Millot, le code APE de l’entreprise ne correspond pas à son activité réelle. Elle est identifiée comme « distribution de produits informatiques, bureautique et papeterie ». Il estime par ailleurs que le gérant, « de fait », n’est pas celui qui apparaît sur les documents officiels. « Bien sûr, ce n’est pas ça qui a directement causé la mort de mon fils. Mais si l’Etat contrôlait mieux les choses, ces gens-là n’auraient jamais pu s’installer », s’emporte-t-il.

      « Pas assez de contrôles de l’inspection du travail »

      Cheffe du pôle santé et sécurité à la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), syndicat patronal, et elle-même gestionnaire d’une PME de charpente et couverture dans le Puy-de-Dôme, Cécile Beaudonnat s’indigne de ces pratiques. « Ce sont des gens contre qui on lutte, explique-t-elle. On les repère quand leurs clients nous contactent, dépités, quand ils comprennent que l’entreprise qui leur a mal installé des panneaux solaires n’avait ni les techniciens qualifiés, ni l’assurance professionnelle décennale », explique-t-elle.

      Normalement, pour s’installer, il y a l’obligation d’avoir une formation professionnelle qualifiante homologuée (au moins un CAP ou un BEP) ou de faire valider une expérience de trois ans sous la supervision d’un professionnel. « Malheureusement, il n’y a pas assez de contrôles de l’inspection du travail », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Pour nous, c’est avant tout au chef d’entreprise d’être exemplaire, sur le port des équipements de protection, en faisant ce qu’il faut pour former ses salariés et en attaquant chaque chantier par une démarche de prévention des risques. Nous sommes une entreprise familiale, on n’a aucune envie d’avoir un jour un décès à annoncer à une famille. »

      « Il y a une bataille à mener pour faire changer les mentalités. Y compris chez les ouvriers, pour qu’ils ne se mettent pas en danger pour faire gagner plus d’argent à l’entreprise ! Quand on voit les dégâts que ça fait sur les familles… », s’attriste Denis Boutineau.

      Les deux parents d’Alexis Prélat ont obtenu, chacun, 32 000 euros en réparation de leur préjudice moral, sa sœur 18 000 euros. Ils espèrent maintenant un procès en correctionnelle. « La meilleure façon de changer les choses, c’est d’obtenir des condamnations exemplaires », estime Fabien Prélat.

      Fait rare, l’employeur d’Alban Millot a, lui, été condamné en correctionnelle à trente-six mois de prison dont dix-huit ferme. Il a fait appel du jugement. « Avant le procès, j’avais la haine contre ce type, confie Laurent Millot. L’audience et, surtout, une sanction telle que celle-là m’ont fait redescendre. »

    • Accidents du travail : quand les machines mettent en péril la vie des salariés
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/08/accidents-du-travail-quand-les-machines-tuent_6215360_3234.html

      Dans l’industrie, le BTP ou l’agriculture, les accidents liés à l’utilisation de machines comptent parmi les plus graves et les plus mortels. Employeurs, fabricants et responsables de la maintenance se renvoient la faute.

      Lorsqu’il prend son poste, ce lundi 27 décembre 2021, cela fait déjà plusieurs mois que Pierrick Duchêne, 51 ans, peste contre la machine qu’il utilise. Après deux décennies dans l’agroalimentaire, il est, depuis cinq ans, conducteur de presse automatisée dans une agence Point P. de fabrication de parpaings, à Geneston (Loire-Atlantique). Depuis un an et demi, la bonne ambiance au boulot, cette fraternité du travail en équipe qu’il chérit tant, s’est peu à peu délitée. L’atmosphère est devenue plus pesante. La cadence, toujours plus infernale. Les objectifs de #productivité sont en hausse. Et ces #machines, donc, « toujours en panne », fulmine-t-il souvent auprès de sa femme, Claudine.

      Ce jour-là, il ne devait même pas travailler. Mais parce qu’il était du genre à « toujours aider et dépanner », dit Claudine, il a accepté de rogner un peu sur ses vacances pour participer à la journée de maintenance et de nettoyage des machines. Pierrick Duchêne a demandé à son fils qu’il se tienne prêt. Dès la fin de sa journée, à 15 heures, ils devaient aller à la déchetterie. Mais, vers 11 h 30, il est retrouvé inconscient, en arrêt cardiorespiratoire, écrasé sous une rectifieuse à parpaing. Dépêché sur place, le service mobile d’urgence et de réanimation fait repartir son cœur, qui s’arrête à nouveau dans l’ambulance. Pierrick Duchêne meurt à l’hôpital, le 2 janvier 2022.

      Son histoire fait tragiquement écho à des centaines d’autres, se produisant chaque année en France. En 2022, la Caisse nationale d’assurance-maladie a recensé 738 accidents du travail mortels dans le secteur privé, selon son rapport annuel publié en décembre 2023. 1 % d’entre eux sont liés au « risque machine » – auquel on peut ajouter les accidents liés à la « manutention mécanique », de l’ordre de 1 % également. Selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qui répertorie plus précisément les incidents de ce type, les machines sont mises en cause dans 10 % à 15 % des accidents du travail ayant entraîné un arrêt supérieur ou égal à quatre jours, ce qui représente environ 55 000 accidents. Dont une vingtaine sont mortels chaque année.

      « La peur suppure de l’usine parce que l’usine au niveau le plus élémentaire, le plus perceptible, menace en permanence les hommes qu’elle utilise (…), ce sont nos propres outils qui nous menacent à la moindre inattention, ce sont les engrenages de la chaîne qui nous rappellent brutalement à l’ordre », écrivait Robert Linhart, dans L’Etabli (Editions de Minuit), en 1978. L’industrie, et notamment la métallurgie, est un secteur d’activité dans lequel les risques pour la santé des ouvriers sont amplifiés par l’utilisation d’outils et de machines. Les employés agricoles, les salariés de la chimie ou les travailleurs du BTP sont aussi très exposés. Sur le terrain, les services de l’inspection du travail font régulièrement état de la présence de machines dangereuses.

      « Aveuglement dysfonctionnel »

      Si leur fréquence baisse depuis les années 1990, ces accidents sont souvent les plus graves, avec des blessures importantes, et les procédures qui s’ensuivent sont extrêmement longues. La responsabilité peut être difficile à établir, car plusieurs acteurs sont en jeu : l’employeur, le fabricant de la machine, l’installateur, la maintenance. La plupart du temps, chacun se renvoie la faute. Comme si la machine permettait à tous de se dédouaner.

      « Le risque zéro n’existe pas », entend-on régulièrement au sujet des accidents du travail, qui plus est quand une machine est en cause. Pourtant, le dysfonctionnement brutal que personne ne pouvait anticiper, qui accréditerait la thèse d’une infortune létale, n’est quasiment jamais à l’œuvre. Au contraire, les défaillances des machines sont souvent connues de tous. « Il peut s’installer une sorte d’aveuglement dysfonctionnel, analyse Jorge Munoz, maître de conférences en sociologie à l’université de Bretagne occidentale. Le problème est tellement récurrent qu’il en devient normal. »

      Une situation qui hante encore les jours et les nuits de Delphine et de Franck Marais, les parents de Ludovic. Personne ne pouvait soupçonner que ce jeune apprenti barman de 19 ans mettait sa vie en péril en servant pintes et cafés derrière le comptoir d’une brasserie réputée de Tours. Mais, le 16 décembre 2019, quelques minutes avant de rentrer chez lui, à 23 h 45, sa tête est percutée par le monte-charge des poubelles.

      La machine fonctionnait depuis des mois, voire plusieurs années, avec les grilles de protection ouvertes. « Quelqu’un a désactivé la sécurité qui empêchait le monte-charge de démarrer ainsi, grilles ouvertes », raconte Franck, le père. Qui ? Un salarié, pour gagner du temps ? L’employeur, pour que ses salariés aillent plus vite ? Le responsable de la maintenance, à la demande de l’employeur ? Un oubli du technicien ? « On ne saura probablement jamais, mais, finalement, là n’est pas la question, estime l’avocate des parents, Marion Ménage. Ce qui compte, c’est que l’entreprise savait qu’il fonctionnait grilles ouvertes et qu’elle n’a rien fait. »

      « Il se sentait en danger »

      Sécurité désactivée, maintenance non assurée, prévention déconsidérée… Les mêmes logiques, les mêmes légèretés face à des machines dangereuses reviennent méthodiquement dans les récits, soulignant le caractère systémique de ces événements dramatiques. « Les dispositifs de sécurité ralentissent parfois le processus de travail et empêchent de tenir la cadence, analyse Jorge Munoz. On peut être tenté de défaire le mécanisme et, donc, de mettre en péril l’utilisateur. » C’est cette logique mortifère qui a été fatale à Flavien Bérard. Le jeune homme de 27 ans était sondeur pour la Société de maintenance pétrolière (SMP), une entreprise de forage et d’entretien de puits pétroliers, gaziers et de géothermie.

      D’abord employé sur un site dans le Gard, où il s’épanouit malgré les conditions de travail difficiles, Flavien Bérard est transféré après une semaine à Villemareuil, en Seine-et-Marne. Il se retrouve sur un chantier de forage pétrolier dont est propriétaire SMP, « les puits du patron », comme on surnomme le lieu. Industrie lourde, à l’ancienne, rythme en trois-huit, rendements à tout prix… Flavien est confronté à un milieu dur et peu accueillant. « Il nous a vite dit que c’était difficile, se souvient sa mère, Fabienne. Le gaillard de 1,84 mètre, plus de 80 kilos, corps de rugbyman, est pourtant du genre à tenir physiquement.

      « Il nous a surtout dit qu’il se sentait en danger, que les machines étaient dangereuses et qu’il avait des doutes sur la sécurité », déplore aujourd’hui Fabienne Bérard. Ses inquiétudes s’avèrent prémonitoires. Alors qu’il avait décidé de ne pas poursuivre sur le site une fois sa mission arrivée à son terme, le 5 mars 2022, vers 4 heures, une pièce métallique d’une trentaine de kilos se détache d’une machine de forage et percute Flavien à la tête, une quinzaine de mètres plus bas. Il meurt le lendemain, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

      « On nous a tout de suite parlé d’une erreur humaine, avec une sécurité désactivée », explique le père de la victime, Laurent Bérard. Selon l’avocat des parents, Lionel Béthune de Moro, le rapport machine de l’expert judiciaire ferait état de « 373 non-conformités », dont 3 concerneraient le système responsable de l’accident. « Une sécurité essentielle a été désactivée, pour le rendement », ajoute-t-il. « On nous a même dit que ce n’était pas la première fois qu’il y avait un problème avec cette machine », renchérit Fabienne Bérard.

      Complexité des procédures

      Ces exemples posent la question de la #prévention et de la maintenance. « L’objectif, c’est que les entreprises voient celles-ci comme un profit et non comme un coût », affirme Jean-Christophe Blaise, expert de l’INRS. L’institut a justement pour mission de développer et de promouvoir une culture de prévention des accidents du travail au sein des entreprises. « Dans certains cas, elle peut être perçue comme quelque chose qui alourdit les processus, qui coûte plus cher, complète Jorge Munoz. Mais l’utilisation d’une machine nécessite une organisation spécifique. »

      D’autant qu’une politique de prévention se déploie sur le long terme et nécessite des actions régulières dans le temps. Les agents de l’INRS travaillent sur trois aspects pour éviter les drames autour des machines : les solutions techniques, l’organisation du travail et le levier humain (formation, compétences, etc.). « Un accident du travail est toujours multifactoriel et il faut agir sur tout à la fois, souligne M. Blaise. La clé, c’est la maintenance préventive : anticiper, prévoir plutôt que subir. »

      Les accidents du travail liés aux machines ont un autre point commun : la complexité des procédures qui s’ensuivent. Plus de deux ans après les faits, Claudine Duchêne ne connaît toujours pas les circonstances exactes de la mort de son mari. « Je sais juste que la machine n’aurait pas dû fonctionner en ce jour de maintenance, qu’il n’aurait pas dû y avoir d’électricité », assure-t-elle. L’enquête de la gendarmerie a été close en juillet 2022, celle de l’inspection du travail a été remise à la justice en juin 2023. Celle-ci révélerait « une faute accablante sur l’organisation de la journée de maintenance », précise Claudine Duchêne. Depuis, elle attend la décision du parquet de Nantes.

      Aux enquêtes de police et de l’inspection du travail peut s’ajouter une expertise judiciaire, ralentissant encore un peu plus la procédure, comme dans le cas de Flavien Bérard. « L’attente est longue et douloureuse pour les familles, souligne Me Béthune de Moro. Plus il y a d’intervenants, plus cela alourdit les choses, mais c’est toujours pour éclairer la situation, dans un souci de manifestation de la vérité. » La famille attend désormais d’éventuelles mises en examen et une ordonnance de renvoi dans l’année pour un procès en 2025.

      Après l’accident de Ludovic Marais, le monte-charge a été mis sous scellé jusqu’en mars 2023, une procédure indispensable mais qui allonge encore les délais. Cela a empêché l’intervention d’un expert judiciaire pendant plus de trois ans. « Le nouveau juge d’instruction a décidé de lever les scellés et une nouvelle expertise est en cours », confie Me Ménage. Le rapport pourrait arriver d’ici à l’été. Sachant que les avocats de la défense pourront éventuellement demander une contre-expertise. La brasserie, le patron, la tutrice du jeune apprenti, Otis (la société ayant installé le monte-charge) et un de ses techniciens chargé de la maintenance sont mis en examen pour « homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence dans le cadre du travail ». Un procès pourrait avoir lieu fin 2024 ou en 2025. La fin d’un chemin de croix judiciaire pour qu’enfin le deuil soit possible.

    • Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/09/accidents-du-travail-les-jeunes-paient-un-lourd-tribut_6215566_3234.html

      Entre les entreprises peu scrupuleuses et la nécessité pour les jeunes de faire leurs preuves dans un monde du travail concurrentiel, les stagiaires, élèves de lycées professionnels ou apprentis sont les plus exposés aux risques professionnels.

      Quatre jours. L’unique expérience professionnelle de Jérémy Wasson n’aura pas duré plus longtemps. Le #stage d’observation de cet étudiant en première année à l’Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie (ESTP) devait durer deux mois, dans l’entreprise Urbaine de travaux (filiale du géant du BTP Fayat). Le 28 mai 2020, il est envoyé seul sur le toit du chantier du centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, à Pantin (Seine-Saint-Denis). A 13 h 30, il fait une chute en passant à travers une trémie de désenfumage – un trou laissé dans le sol en attente d’aménagement – mal protégée. Il meurt deux jours plus tard, à 21 ans.

      L’accident de Jérémy a laissé la grande école du bâtiment en état de choc. « C’est ce qui m’est arrivé de pire en trente ans d’enseignement supérieur », exprime Joël Cuny, directeur général de l’ESTP, directeur des formations à l’époque. La stupeur a laissé la place à de vibrants hommages. Un peu courts, toutefois… L’ESTP ne s’est pas portée partie civile au procès, regrette Frédéric Wasson, le père de Jérémy, qui souligne que « Fayat est l’entreprise marraine de la promo de [s]on fils… », ou que, dès 2021, Urbaine de travaux reprenait des dizaines de stagiaires issus de l’école.

      #Stagiaires, élèves de lycées professionnels en période de formation en milieu professionnel, #apprentis… Les jeunes paient un lourd tribut parmi les morts au travail : trente-six travailleurs de moins de 25 ans n’ont pas survécu à un accident du travail en 2022, selon le dernier bilan de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). C’est 29 % de plus qu’en 2019. Et encore cela ne porte que sur les salariés du régime général. La CNAM souligne aussi que, par rapport aux autres accidents du travail, il s’agit davantage d’accidents « classiques, c’est-à-dire hors malaises et suicides », et d’accidents routiers.

      « Irresponsabilité totale »

      L’inexpérience de ces jeunes, quand elle n’est pas compensée par un accompagnement renforcé, explique en partie cette surmortalité. Quelque 15 % des accidents graves et mortels surviennent au cours des trois premiers mois suivant l’embauche, et plus de la moitié des salariés de moins de 25 ans morts au travail avaient moins d’un an d’ancienneté dans le poste.

      Tom Le Duault a, lui, perdu la vie le lundi 25 octobre 2021. Cet étudiant en BTS technico-commercial entame alors son quatrième contrat court dans l’abattoir de LDC Bretagne, à Lanfains (Côtes-d’Armor). Sa mère y travaille depuis vingt-neuf ans, et il espère ainsi mettre un peu d’argent de côté. Comme lors de ses premières expériences, il est « à la découpe », où il s’occupe de mettre en boîte les volailles. Ce matin-là, un salarié est absent. Tom doit le remplacer dans le réfrigérateur où sont stockées les caisses de viande. Il est censé y empiler les boîtes avec un gerbeur, un appareil de levage.

      « Sur les dernières images de vidéosurveillance, on le voit entrer à 9 h 53. Il n’est jamais ressorti, et personne ne s’est inquiété de son absence », regrette Isabelle Le Duault, sa mère. Il est découvert à 10 h 45, asphyxié sous deux caisses de cuisses de volaille. Elle apprend la mort de son fils par hasard. « J’ai vu qu’il y avait plein de monde dehors. Une fille m’a dit qu’il y avait un accident grave, elle m’a dit de demander si ce n’était pas mon fils au responsable. Il m’a demandé : “C’est Tom comment ?” C’était bien lui… »

      Les conclusions des enquêtes de gendarmerie et de l’inspection du travail ont vite écarté une éventuelle responsabilité du jeune homme. Jean-Claude Le Duault, son père, en veut à l’entreprise. « Tom n’a pas voulu les décevoir, vu que sa mère travaillait là. Mais on ne met pas un gamin de 18 ans seul dans un atelier, une heure, sans vérifier, sur un gerbeur. Il ne connaît pas les dangers, les règles de sécurité. C’est une irresponsabilité totale, à tous les étages. »

      Manquements

      Dans un monde du travail concurrentiel, les jeunes se doivent de faire leurs preuves. A quel prix ? Selon une enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications publiée en 2020, 59 % des jeunes sortant de la voie professionnelle sont exposés à des risques de blessures ou d’accidents. Or, dans le même temps, ils n’ont pas la même connaissance de leurs droits. Toujours dans cette étude, 42 % déclaraient ne pas avoir reçu de formation ou d’informationsur la santé et la sécurité à l’arrivée sur leur poste. C’est le cas de Tom Le Duault, qui n’avait même pas de fiche de poste. Comme son utilisation du gerbeur n’était pas prévue, il avait été formé sur le tas.

      « Il avait déjà travaillé avec un appareil de levage lors de son précédent contrat, et il s’était déjà blessé à la cheville, ce qui avait causé trois semaines d’arrêt, fulmine Ralph Blindauer, avocat de la famille. Il a été formé par un autre intérimaire. C’était une formation à l’utilisation, pas à la sécurité ! »

      A l’absence d’encadrement et de formation s’ajoutent d’autres manquements, détaillés lors du procès de l’entreprise au pénal : l’appareil était défaillant, ce qui a vraisemblablement causé l’accident, et les salariés de LDC avaient l’habitude d’empiler les caisses sur trois niveaux au lieu de deux, faute de place dans la chambre froide, ce qui est contraire aux règles de sécurité.

      Le rôle du tuteur est crucial

      LDC Bretagne a été condamné, en mai 2023, à une amende de 300 000 euros, tandis que l’ancien directeur de l’#usine – devenu, entre-temps, « chargé de mission » au sein de l’entreprise – a été condamné à deux ans de prison avec sursis. Reconnaissant ses manquements, l’entreprise n’a pas fait appel, chose rare. La direction de cette grosse PME déclare que des mesures complémentaires ont été prises à la suite du décès de Tom, notamment un « plan de formation renforcé à la sécurité, des habilitations, une évaluation complète et approfondie des risques sur les différents postes, des audits par des cabinets indépendants ou le suivi d’indicateurs ».

      Un badge est désormais nécessaire pour se servir d’un gerbeur, ajoute Isabelle Le Duault. Elle a choisi de rester dans l’entreprise, mais à mi-temps. « Moi, je ne peux plus passer devant cette usine, ou même dans cette ville », renchérit son mari.

      En stage ou en apprentissage, le rôle du tuteur est crucial. Sur le chantier d’Urbaine de travaux, à Pantin, l’arrivée de Jérémy Wasson n’avait pas été anticipée. Le lundi matin, personne ne s’occupe de lui, car le chantier est en retard. Il ne reçoit rien d’autre qu’un livret d’accueil et un rendez-vous de quinze minutes pendant lequel on lui parle surtout des gestes barrières. « Jérémy s’est très vite interrogé sur la nature de son stage. Dès le premier jour, on lui a fait faire du marteau-piqueur, le mercredi soir, il trouvait ça fatigant et inintéressant. Ce soir-là, on a hésité à prévenir l’école… », raconte son père.

      Renforcer la formation à la sécurité

      La société Urbaine de travaux a été condamnée, en 2022, à 240 000 euros d’amende pour « homicide involontaire », et l’ingénieure en chef du chantier à 10 000 euros et deux ans de prison avec sursis. Cette décision du tribunal de Bobigny a confirmé les lourdes conclusions de l’inspection du travail, notamment la violation délibérée d’une obligation de #sécurité, l’absence d’encadrement et de formation de Jérémy et l’absence de #sécurisation de la trémie. L’entreprise a fait appel.

      Face à la violence de ces récits, qui concernent parfois des mineurs, le sujet a été érigé en axe prioritaire dans le plan santé au travail du gouvernement. Mais le choix du ministère du travail de publier deux mémentos qui mettent jeunes et entreprises sur le même plan, les invitant à « respecter toutes les consignes », peut étonner.

      Les écoles et centres de formation ont aussi un rôle à jouer pour renforcer la formation à la sécurité. En 2022, la CNAM a recensé plus de 1 million d’élèves et apprentis (CAP et bac professionnel) ayant reçu un enseignement spécifique en santé et sécurité au travail.

      Faciliter la mise en situation des adolescents

      A la suite du décès de Jérémy, l’ESTP a renforcé les enseignements – déjà obligatoires – sur la sécurité. Un élève ne peut se rendre en stage sans avoir obtenu une certification. « En cas de signalement, on fait un point avec les RH de l’entreprise, et si ça ne se résout pas, nous n’avons pas de scrupules à arrêter le stage. Mais je ne remets pas en cause la volonté des entreprises de créer un environnement de sécurité pour accueillir nos élèves », déclare Joël Cuny.

      Un argument difficile à entendre pour la famille de Jérémy Wasson… Car les #entreprises restent les premières responsables de la santé des jeunes sous leur responsabilité, comme du reste de leurs salariés. Le nombre d’apprentis a explosé ces dernières années, la réforme du lycée professionnel souhaite faciliter la mise en situation des adolescents.

      Par ailleurs, le gouvernement a annoncé l’obligation pour les élèves de 2de générale et technologique, dès 2024, d’effectuer un stage en entreprise ou en association de deux semaines, semblable au stage de 3e. La question ne s’est jamais autant posée : les employeurs mettront-ils les moyens pour protéger tous ces jeunes ?

      #apprentissage

    • Avec la sous-traitance, des accidents du travail en cascade, Anne Rodier
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/10/avec-la-sous-traitance-des-accidents-du-travail-en-cascade_6215798_3234.html

      Pression économique des donneurs d’ordre, délais resserrés, manque de prévention… Les salariés des entreprises en sous-traitance, en particulier sur les chantiers et dans le nettoyage, sont plus exposés aux accidents du travail. Surtout lorsqu’ils sont #sans-papiers.

      https://justpaste.it/axscq

      #sous-traitance

  • « La ruée minière au XXIe siècle » : le #mensonge de la #transition_énergétique

    La transition énergétique telle qu’elle est promue par les entreprises, les institutions et les gouvernements partout dans le monde repose sur l’extraction d’une quantité abyssale de #métaux. C’est ce paradoxe que décortique la journaliste et philosophe #Celia_Izoard dans son essai intitulé La ruée minière au XXIe siècle, qui paraît cette semaine au Québec aux Éditions de la rue Dorion.

    « Pour régler le plus important problème écologique de tous les temps, on a recours à l’industrie la plus polluante que l’on connaisse », résume l’autrice en visioconférence avec Le Devoir depuis son domicile, situé en pleine campagne dans le sud-ouest de la France.

    Cette dernière examine depuis plusieurs années les impacts sociaux et écologiques des nouvelles technologies. Elle a notamment publié un livre sur la vie des ouvriers de l’entreprise chinoise Foxconn, le plus grand fabricant de produits électroniques au monde. Ironiquement, nos outils numériques font défaut au cours de l’entrevue, si bien que nous devons poursuivre la discussion par le biais d’une bonne vieille ligne téléphonique résidentielle.

    Les métaux ont beau être de plus en plus présents dans les objets qui nous entourent, dont les multiples écrans, l’industrie minière fait très peu partie de l’imaginaire collectif actuel, explique Mme Izoard d’un ton posé et réfléchi. « Je croise tous les jours des gens qui me disent : “Ah bon, je ne savais pas que notre système reposait encore sur la #mine.” Ça me conforte dans l’idée que c’était utile de faire cette enquête. Notre système n’a jamais autant reposé sur l’#extraction_minière qu’aujourd’hui. »

    L’extraction de métaux a déjà doublé en vingt ans et elle n’est pas en voie de s’amenuiser, puisque les #énergies dites renouvelables, des #batteries pour #voitures_électriques aux panneaux solaires en passant par les éoliennes, en dépendent. Elle est susceptible d’augmenter de cinq à dix fois d’ici à 2050, selon une évaluation de l’Agence internationale de l’énergie.

    « Électrifier le parc automobile français nécessiterait toute la production annuelle de #cobalt dans le monde et deux fois plus que la production annuelle de #lithium dans le monde. Donc soit cette transition prendra beaucoup trop longtemps et ne freinera pas le réchauffement climatique, soit elle se fera dans la plus grande violence et une destruction incroyable », rapporte l’autrice.

    On bascule d’une forme d’extraction, du pétrole, à une autre, des métaux. « Cela n’a pas plus de sens que d’essayer de venir à bout de la toxicomanie remplaçant une addiction par une autre », juge-t-elle.

    Une justification officielle

    Les pouvoirs publics ne semblent pas y voir de problème. Ils font largement la promotion de cette #ruée_minière, promettant le développement de « #mines_responsables ». La #transition est la nouvelle excuse pour justifier pratiquement tous les #projets_miniers. « Une mine de cuivre est devenue miraculeusement une mine pour la transition », souligne Mme Izoard. Pourtant, le #cuivre sert à de multiples usages au-delà de l’#électrification, comme l’électronique, l’aérospatiale et l’armement.

    C’est dans ce contexte que la journaliste est partie à la recherche de mines responsables. Elle s’est documentée, elle a visité des sites d’exploitation, elle a consulté des experts de ce secteur d’activité et elle a rencontré des travailleurs, tout cela en #France, au #Maroc, au #Suriname et en #Espagne.

    Malgré les engagements publics et les certifications de plusieurs #entreprises_minières envers des pratiques durables et les droits de la personne, Celia Izoard n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait. Au cours de cette quête, elle a publié une enquête pour le média Reporterre au sujet d’une mine marocaine mise en avant par les constructeurs automobiles #BMW et #Renault comme étant du « #cobalt_responsable ». Or, il s’est avéré que cette mine empoisonne les sols à l’#arsenic, dessèche la #nappe_phréatique et cause des maladies aux travailleurs.

    « La #mine_industrielle est un modèle qui est voué à avoir des impacts catastrophiques à moyen et long terme. Ce n’est pas parce que ces entreprises sont méchantes et malhonnêtes, mais parce qu’il y a des contraintes physiques dans cette activité. Elle nécessite énormément d’#eau et d’énergie, elle occupe beaucoup d’espace et elle déforeste. »

    #Boues_toxiques et pluies d’oies sauvages

    Dans son livre, Mme Izoard décrit de nombreux ravages et risques environnementaux qui sont matière à donner froid dans le dos. Les premières pages sont notamment consacrées au phénomène du #Berkeley_Pit, une ancienne mine de cuivre devenue un lac acide causant la mort de milliers d’oies sauvages.

    « Rappelons-nous la rupture de digue de résidus de la mine de cuivre et d’or de #Mount_Polley en 2014, lors de laquelle 17 millions de mètres cubes d’eau chargée en #métaux_toxiques ont irréversiblement contaminé de très grandes superficies et des ressources en eau d’une valeur inestimable, a-t-elle souligné au sujet de cette catastrophe canadienne. Or, des bassins de résidus de même type, il y en a 172 rien qu’en #Colombie-Britannique, et les boues toxiques qui y sont stockées représentent l’équivalent d’un million de piscines olympiques. Malheureusement, avec le chaos climatique, les risques de rupture accidentelle de ces barrages sont décuplés. » Elle considère d’ailleurs que le Canada est « au coeur de la tourmente extractiviste ».

    Les gouvernements du #Québec et du #Canada soutiennent généralement que le développement minier sur leur territoire respectera des #normes_environnementales plus strictes, en plus d’utiliser de l’énergie plus propre. Cet argument justifierait-il l’implantation de nouvelles mines ? Non, estime Mme Izoard.

    « Aucun État puissant industriellement ne relocalise sa #production_minière ni ne s’engage à cesser d’importer des métaux. Ce qui est en train de se passer, c’est que les besoins en métaux explosent dans tous les domaines et que les entreprises minières et les États se sont mis d’accord pour créer des mines partout où il est possible d’en créer. Ce n’est pas parce qu’on accepte une mine dans sa région qu’il n’y aura pas de mine pour la même substance à l’autre bout du monde. » Il est peu probable, par exemple, que des batteries produites au Québec s’affranchissent totalement des métaux importés.

    Pour une #décroissance_minérale

    Celia Izoard estime plutôt qu’une grande partie des mines du monde devraient fermer, puisqu’elles sont situées dans des zones menacées par la sécheresse. Nous n’aurions alors pas d’autre choix que de nous engager dans une désescalade de la consommation de métaux, « une remise en cause radicale de la manière dont on vit ». Selon cette vision, il faudrait contraindre l’ensemble du secteur industriel à se limiter, tout comme on lui demande de réduire ses émissions de GES. Les métaux devraient être réservés aux usages alors déterminés comme étant essentiels. Les immenses centres de données, les avions, les VUS électriques et les canettes d’aluminium sont-ils nécessaires à la vie humaine ?

    « Il faut arrêter de se laisser intimider par le #déterminisme_technologique, soit l’idée que le #progrès suit cette direction et qu’on ne peut rien changer. Ce sont des choix idéologiques et politiques très précis avec du financement public très important. Il faut cesser de penser que les technologies sont inéluctablement déployées et qu’on ne peut pas revenir en arrière. »

    https://www.ledevoir.com/lire/806617/coup-essai-mensonge-transition-energetique
    #mines #extractivisme #terres_rares #pollution

  • 🌿 🌳 🌼 Agriculture : décryptage des annonces de Gabriel Attal sur l’environnement | France Nature Environnement

    « L’analyse du discours du Premier ministre sur l’environnement démontre que sa vision de l’agriculture se résume à la seule agriculture industrielle... »

    #productivisme #capitalisme #pesticides #NonAuxPesticides #écologie #environnement

    https://fne.asso.fr/actualites/agriculture-decryptage-des-annonces-de-gabriel-attal-sur-l-environnement