• Vivons-nous encore dans une société de classes ?
    Trois remarques sur la société française contemporaine, Olivier SCHWARTZ, 2009
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20090922_schwartz.pdf

    Je ferai brièvement référence à une enquête que je mène depuis longtemps, pour m’arrêter sur l’un des constats auxquels elle m’a conduit. Je travaille depuis plusieurs années sur les conducteurs des bus de la RATP en région parisienne, ceux qu’on appelle les machinistes, c’est-à-dire des gens dont on peut dire qu’ils sont à la frontière des catégories populaires et des classes moyennes salariées. Dans la division sociale du travail au sein de leur entreprise, les conducteurs des bus de la RATP occupent une position subordonnée. Ils sont en bas de la hiérarchie : même s’ils disposent d’une large autonomie dans la conduite de leur travail, ce sont des exécutants, qui mettent en œuvre des consignes et des tâches qui leur sont données par leur hiérarchie. Avec comme conséquence que, comme beaucoup d’#ouvriers et d’employés, beaucoup d’entre eux adhèrent spontanément à une représentation binaire de la société, fondée sur une opposition entre le haut d’une part – les dirigeants, les puissants, ceux qui possèdent l’instruction, la puissance, l’argent – et d’autre part ceux qui sont en dessous, les simples exécutants, les ouvriers, les employés, ceux dont ils estiment de manière générale faire partie. De sorte que pendant assez longtemps, j’ai pensé retrouver chez eux tous un type de représentation sociale dont Richard Hoggar avait montré, dans des textes très connus, l’importance dans le monde des ouvriers et des #classes_populaires anglaises des années 1950 : une opposition entre « eux », ceux du haut, et « nous », ceux du bas, les exécutants.

    Mais je me suis finalement rendu compte que pour une partie d’entre eux, les choses étaient plus compliquées, même si c’est pour une partie d’entre eux seulement. Leur représentation, leur conscience du monde social était non pas bipolaire, mais triangulaire : ils avaient le sentiment d’être non pas seulement soumis à une pression venant du haut, mais aussi à une pression venant du bas, venant de plus bas qu’eux. Cette pression venant du bas, (c’est moi qui dis les choses ainsi bien sûr, mais les propos qui m’ont été tenus à plusieurs reprises par des conducteurs vont clairement dans ce sens), c’est par exemple l’idée qu’il y a trop de #chômeurs qui non seulement n’ont pas d’emploi mais qui n’en cherchent pas, qui vivent du RMI ou des aides sociales, qui se dispensent par conséquent de chercher du travail, et qui peuvent s’en dispenser parce que d’autres paient des impôts pour eux : d’autres qui, eux, travaillent, parmi lesquels, bien sûr, les conducteurs de bus. Ou encore, ce peut être l’idée que dans certaines familles immigrées, on vit sans travailler, grâce aux #allocations, c’est-à-dire grâce à des #aides_sociales qui, là encore, sont financées par ceux qui travaillent et grâce à leurs impôts. À plusieurs reprises, j’ai rencontré, chez mes enquêtés, ce sentiment d’être lésés à la fois par des décisions qui viennent du haut mais aussi par des comportements qui viennent de ceux du bas, d’être lésés à la fois par les plus puissants et par les plus pauvres.

    L’un d’entre eux me disait par exemple un jour : « C’est nous qui payons pour tout le monde », et il est clair qu’il avait alors en tête à la fois le haut et le bas.

    #Conscience_sociale_triangulaire

  • Producteurs et parasites
    https://blog.ecologie-politique.eu/post/Producteurs-et-parasites

    Le principal grief fait au Front national/Rassemblement national est son racisme, de l’anti-sémitisme plus du tout assumé à la haine déversée contre les musulman·es ou supposé·es tel·les, de la guerre d’Algérie où le fondateur du parti se distingua par sa capacité à déshumaniser et à torturer jusqu’à un discours d’aujourd’hui qui n’exprime plus sa haine que sous des formes acceptables, drapé dans la « laïcité républicaine » ou la défense des travailleurs et travailleuses. Beaucoup a donc été produit sur la vision nationaliste et ethnique de l’extrême droite française mais trop peu sur des questions qui furent longtemps centrales lors des élections, à savoir la répartition des richesses. C’est à cette ambition que répond le livre de Feher, philosophe et éditeur.

    […]

    Rétif à la démocratie et à l’idée même de demos, partageant les intérêts de classe des plus riches, le néolibéralisme a longtemps été très éloigné du producérisme. S’il peut partager avec lui sa condamnation des « improductifs », il défend en revanche les élites économiques et refuse même de discriminer investissement productif et pure spéculation. James Buchanan, néolibéral de l’École de Virginie, n’imagine pas qu’une telle idéologie puisse triompher sans s’appuyer sur une base populaire. Il met alors en avant une vision du peuple libéral, « amené à communier dans la célébration de son esprit d’entreprise mais aussi dans la réprobation de tous ceux qui réussissent à se dérober au jeu de la concurrence ». Il s’attaque aux rentes de toutes sortes – sans toujours toucher à la finance spéculative – et dénonce « un parasitisme toujours composé de prédateurs d’en bas et de prédateurs d’en haut » en choisissant des ennemis qui l’arrangent : chômeurs et bénéficiaires des aides sociales ; syndicalistes bénéficiant d’avantages indus ; fonction publique échappant aux règles de la concurrence ; élites culturelles portant des valeurs de justice sociale et qui défendent les trois catégories précédemment citées. Le capital peut dormir tranquille pendant qu’on laisse la haine grandir contre ce petit monde.

    #livre #Michel_Feher #recension #Aude_Vidal #extrême_droite #France #producérisme

    • Profitant de ce passage dans l’analyse de Aude Vidal, je vois une opportunité à revenir sur l’évolution du PCF depuis les années 60 jusqu’à nos jours.

      Gardien de la nation des producteurs contre deux menaces de prédation, le RN peut séduire un peuple de gauche qui a perdu sa boussole lutte des classes (2), à condition qu’il se complaise dans un certain racisme, tout en étant capable d’abandonner, sans coût électoral pour elle, ses quelques imprécations anti-capitalistes en faisant allégeance au Medef (ou en abandonnant en pleine campagne sa proposition de dispenser de TVA les produits de première nécessité).

      Et donc ma recherche me conduit à lire ces quelques textes :

      https://journals.openedition.org/lectures/15763

      Le parti communiste français (PCF) a longtemps mis en avant son ancrage – électoral et militant – au sein des classes populaires. Ambitionnant de se constituer en « parti de la classe ouvrière », l’organisation communiste a permis d’affirmer l’existence de groupes sociaux historiquement exclus des sphères de la représentation politique. Toutefois, l’organisation communiste ne peut être perçue dans une approche transhistorique. Ainsi, le PCF « ouvriériste » des années 1930 n’est pas similaire au parti déclinant des années 1990, il s’agit donc de comprendre comment s’est progressivement transformé le rapport de l’organisation à ses électeurs et à ses militant.

      https://fr.internationalism.org/brochures/pcf-lc68
      (Ou le délitement du PCF « pas à pas »).

      https://www.marxists.org/francais/4int/doc_uc/1976/01/proletariat.html
      (Où il est fait comme une sorte d’exégèse de la pensée de Marx à propos de la #dictature_du_prolétariat).