• #Université, service public ou secteur productif ?

    L’#annonce d’une “vraie #révolution de l’Enseignement Supérieur et la Recherche” traduit le passage, organisé par un bloc hégémonique, d’un service public reposant sur des #carrières, des #programmes et des diplômes à l’imposition autoritaire d’un #modèle_productif, au détriment de la #profession.

    L’annonce d’une « #vraie_révolution » de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par Emmanuel Macron le 7 décembre, a pour objet, annonce-t-il, d’« ouvrir l’acte 2 de l’#autonomie et d’aller vers la #vraie_autonomie avec des vrais contrats pluriannuels où on a une #gouvernance qui est réformée » sans recours à la loi, avec un agenda sur dix-huit mois et sans modifications de la trajectoire budgétaire. Le président sera accompagné par un #Conseil_présidentiel_de_la_science, composé de scientifiques ayant tous les gages de reconnaissance, mais sans avoir de lien aux instances professionnelles élues des personnels concernés. Ce Conseil pilotera la mise en œuvre de cette « révolution », à savoir transformer les universités, en s’appuyant sur celles composant un bloc d’#excellence, et réduire le #CNRS en une #agence_de_moyen. Les composantes de cette grande transformation déjà engagée sont connues. Elle se fera sans, voire contre, la profession qui était auparavant centrale. Notre objet ici n’est ni de la commenter, ni d’en reprendre l’historique (Voir Charle 2021).

    Nous en proposons un éclairage mésoéconomique que ne perçoit ni la perspective macroéconomique qui pense à partir des agrégats, des valeurs d’ensemble ni l’analyse microéconomique qui part de l’agent et de son action individuelle. Penser en termes de mésoéconomie permet de qualifier d’autres logiques, d’autres organisations, et notamment de voir comment les dynamiques d’ensemble affectent sans déterminisme ce qui s’organise à l’échelle méso, et comment les actions d’acteurs structurent, elles aussi, les dynamiques méso.

    La transformation de la régulation administrée du #système_éducatif, dont nombre de règles perdurent, et l’émergence d’une #régulation_néolibérale de l’ESR, qui érode ces règles, procède par trois canaux : transformation du #travail et des modalités de construction des #carrières ; mise en #concurrence des établissements ; projection dans l’avenir du bloc hégémonique (i.e. les nouveaux managers). L’action de ces trois canaux forment une configuration nouvelle pour l’ESR qui devient un secteur de production, remodelant le système éducatif hier porté par l’État social. Il s’agissait de reproduire la population qualifiée sous l’égide de l’État. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase du #capitalisme, et cette reproduction est arrimée à l’accumulation du capital dans la perspective de #rentabilisation des #connaissances et de contrôle des professionnels qui l’assurent.

    Le couplage de l’évolution du système d’ESR avec la dynamique de l’#accumulation, constitue une nouvelle articulation avec le régime macro. Cela engendre toutefois des #contradictions majeures qui forment les conditions d’une #dégradation rapide de l’ESR.

    Co-construction historique du système éducatif français par les enseignants et l’État

    Depuis la Révolution française, le système éducatif français s’est déployé sur la base d’une régulation administrée, endogène, co-construite par le corps enseignant et l’État ; la profession en assumant de fait la charge déléguée par l’État (Musselin, 2022). Historiquement, elle a permis la croissance des niveaux d’éducation successifs par de la dépense publique (Michel, 2002). L’allongement historique de la scolarité (fig.1) a permis de façonner la force de travail, facteur décisif des gains de productivité au cœur de la croissance industrielle passée. L’éducation, et progressivement l’ESR, jouent un rôle structurant dans la reproduction de la force de travail et plus largement de la reproduction de la société - stratifications sociales incluses.

    À la fin des années 1960, l’expansion du secondaire se poursuit dans un contexte où la détention de diplômes devient un avantage pour s’insérer dans l’emploi. D’abord pour la bourgeoisie. La massification du supérieur intervient après les années 1980. C’est un phénomène décisif, visible dès les années 1970. Rapidement cela va télescoper une période d’austérité budgétaire. Au cours des années 2000, le pilotage de l’université, basé jusque-là sur l’ensemble du système éducatif et piloté par la profession (pour une version détaillée), s’est effacé au profit d’un pilotage pour et par la recherche, en lien étroit avec le régime d’accumulation financiarisé dans les pays de l’OCDE. Dans ce cadre, l’activité économique est orientée par l’extraction de la valeur financière, c’est à dire principalement par les marchés de capitaux et non par l’activité productive (Voir notamment Clévenot 2008).
    L’ESR : formation d’un secteur productif orienté par la recherche

    La #massification du supérieur rencontre rapidement plusieurs obstacles. Les effectifs étudiants progressent plus vite que ceux des encadrants (Piketty met à jour un graphique révélateur), ce qui entrave la qualité de la formation. La baisse du #taux_d’encadrement déclenche une phase de diminution de la dépense moyenne, car dans l’ESR le travail est un quasi-coût fixe ; avant que ce ne soit pour cette raison les statuts et donc la rémunération du travail qui soient visés. Ceci alors que pourtant il y a une corrélation étroite entre taux d’encadrement et #qualité_de_l’emploi. L’INSEE montre ainsi que le diplôme est un facteur d’amélioration de la productivité, alors que la productivité plonge en France (voir Aussilloux et al. (2020) et Guadalupe et al. 2022).

    Par ailleurs, la massification entraine une demande de différenciation de la part les classes dominantes qui perçoivent le #diplôme comme un des instruments de la reproduction stratifiée de la population. C’est ainsi qu’elles se détournent largement des filières et des établissements massifiés, qui n’assurent plus la fonction de « distinction » (voir le cas exemplaire des effectifs des #écoles_de_commerce et #grandes_écoles).

    Dans le même temps la dynamique de l’accumulation suppose une population formée par l’ESR (i.e. un niveau de diplomation croissant). Cela se traduit par l’insistance des entreprises à définir elles-mêmes les formations supérieures (i.e. à demander des salariés immédiatement aptes à une activité productive, spécialisés). En effet la connaissance, incorporée par les travailleurs, est devenue un actif stratégique majeur pour les entreprises.

    C’est là qu’apparaît une rupture dans l’ESR. Cette rupture est celle de la remise en cause d’un #service_public dont l’organisation est administrée, et dont le pouvoir sur les carrières des personnels, sur la définition des programmes et des diplômes, sur la direction des établissements etc. s’estompe, au profit d’une organisation qui revêt des formes d’un #secteur_productif.

    Depuis la #LRU (2007) puis la #LPR (2020) et la vague qui s’annonce, on peut identifier plusieurs lignes de #transformation, la #mise_en_concurrence conduisant à une adaptation des personnels et des établissements. Au premier titre se trouvent les instruments de #pilotage par la #performance et l’#évaluation. À cela s’ajoute la concurrence entre établissements pour l’#accès_aux_financements (type #Idex, #PIA etc.), aux meilleures candidatures étudiantes, aux #labels et la concurrence entre les personnels, pour l’accès aux #dotations (cf. agences de programmes, type #ANR, #ERC) et l’accès aux des postes de titulaires. Enfin le pouvoir accru des hiérarchies, s’exerce aux dépens de la #collégialité.

    La généralisation de l’évaluation et de la #sélection permanente s’opère au moyen d’#indicateurs permettant de classer. Gingras évoque une #Fièvre_de_l’évaluation, qui devient une référence définissant des #standards_de_qualité, utilisés pour distribuer des ressources réduites. Il y a là un instrument de #discipline agissant sur les #conduites_individuelles (voir Clémentine Gozlan). L’important mouvement de #fusion des universités est ainsi lié à la recherche d’un registre de performance déconnecté de l’activité courante de formation (être université de rang mondial ou d’université de recherche), cela condensé sous la menace du #classement_de_Shanghai, pourtant créé dans un tout autre but.

    La remise en question du caractère national des diplômes, revenant sur les compromis forgés dans le temps long entre les professions et l’État (Kouamé et al. 2023), quant à elle, assoit la mise en concurrence des établissements qui dépossède en retour la profession au profit des directions d’établissement.

    La dynamique de #mise_en_concurrence par les instruments transforme les carrières et la relation d’#emploi, qui reposaient sur une norme commune, administrée par des instances élues, non sans conflit. Cela fonctionne par des instruments, au sens de Lascoumes et Legalès, mais aussi parce que les acteurs les utilisent. Le discours du 7 décembre est éloquent à propos de la transformation des #statuts pour assurer le #pilotage_stratégique non par la profession mais par des directions d’établissements :

    "Et moi, je souhaite que les universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer la #ressource_humaine (…) la ministre m’a interdit de prononcer le mot statut. (…) Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts (…) moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes."

    La démarche est caractéristique du #new_management_public : une norme centrale formulée sur le registre non discutable d’une prétérition qui renvoie aux personnes concernées, celles-là même qui la refuse, l’injonction de s’amputer (Bechtold-Rognon & Lamarche, 2011).

    Une des clés est le transfert de gestion des personnels aux établissements alors autonomes : les carrières, mais aussi la #gouvernance, échappent progressivement aux instances professionnelles élues. Il y a un processus de mise aux normes du travail de recherche, chercheurs/chercheuses constituant une main d’œuvre qui est atypique en termes de formation, de types de production fortement marqués par l’incertitude, de difficulté à en évaluer la productivité en particulier à court terme. Ce processus est un marqueur de la transformation qui opère, à savoir, un processus de transformation en un secteur. La #pénurie de moyen public est un puissant levier pour que les directions d’établissement acceptent les #règles_dérogatoires (cf. nouveaux contrats de non titulaires ainsi que les rapports qui ont proposé de spécialiser voire de moduler des services).

    On a pu observer depuis la LRU et de façon active depuis la LPR, à la #destruction régulière du #compromis_social noué entre l’État social et le monde enseignant. La perte spectaculaire de #pouvoir_d’achat des universitaires, qui remonte plus loin historiquement, en est l’un des signaux de fond. Il sera progressivement articulé avec l’éclatement de la relation d’emploi (diminution de la part de l’emploi sous statut, #dévalorisation_du_travail etc.).

    Arrimer l’ESR au #régime_d’accumulation, une visée utilitariste

    L’État est un acteur essentiel dans l’émergence de la production de connaissance, hier comme commun, désormais comme résultat, ou produit, d’un secteur productif. En dérégulant l’ESR, le principal appareil de cette production, l’État délaisse la priorité accordée à la montée de la qualification de la population active, au profit d’un #pilotage_par_la_recherche. Ce faisant, il radicalise des dualités anciennes entre système éducatif pour l’élite et pour la masse, entre recherche utile à l’industrie et recherche vue comme activité intellectuelle (cf. la place des SHS), etc.

    La croissance des effectifs étudiants sur une période assez longue, s’est faite à moyens constants avec des effectifs titulaires qui ne permettent pas de maintenir la qualité du travail de formation (cf. figure 2). L’existence de gisements de productivité supposés, à savoir d’une partie de temps de travail des enseignants-chercheurs inutilisé, a conduit à une pénurie de poste et à une recomposition de l’emploi : alourdissement des tâches des personnels statutaires pour un #temps_de_travail identique et développement de l’#emploi_hors_statut. Carpentier & Picard ont récemment montré, qu’en France comme ailleurs, le recours au #précariat s’est généralisé, participant par ce fait même à l’effritement du #corps_professionnel qui n’a plus été à même d’assurer ni sa reproduction ni ses missions de formation.

    C’est le résultat de l’évolution longue. L’#enseignement est la part délaissée, et les étudiants et étudiantes ne sont plus au cœur des #politiques_universitaires : ni par la #dotation accordée par étudiant, ni pour ce qui structure la carrière des universitaires (rythmée par des enjeux de recherche), et encore moins pour les dotations complémentaires (associées à une excellence en recherche). Ce mouvement se met toutefois en œuvre en dehors de la formation des élites qui passent en France majoritairement par les grandes écoles (Charle et Soulié, 2015). Dès lors que les étudiants cessaient d’être le principe organisateur de l’ESR dans les universités, la #recherche pouvait s’y substituer. Cela intervient avec une nouvelle convention de qualité de la recherche. La mise en œuvre de ce principe concurrentiel, initialement limité au financement sur projets, a été élargie à la régulation des carrières.

    La connaissance, et de façon concrète le niveau de diplôme des salariés, est devenu une clé de la compétitivité, voire, pour les gouvernements, de la perspective de croissance. Alors que le travail de recherche tend à devenir une compétence générale du travail qualifié, son rôle croissant dans le régime d’accumulation pousse à la transformation du rapport social de travail de l’ESR.

    C’est à partir du système d’#innovation, en ce que la recherche permet de produire des actifs de production, que l’appariement entre recherche et profit participe d’une dynamique nouvelle du régime d’accumulation.

    Cette dynamique est pilotée par l’évolution jointe du #capitalisme_financiarisé (primauté du profit actionnarial sur le profit industriel) et du capitalisme intensif en connaissance. Les profits futurs des entreprises, incertains, sont liés d’une part aux investissements présents, dont le coût élevé repose sur la financiarisation tout en l’accélérant, et d’autre part au travail de recherche, dont le contrôle échappe au régime historique de croissance de la productivité. La diffusion des compétences du travail de recherche, avec la montée des qualifications des travailleurs, et l’accumulation de connaissances sur lequel il repose, deviennent primordiaux, faisant surgir la transformation du contenu du travail par l’élévation de sa qualité dans une division du travail qui vise pourtant à l’économiser. Cela engendre une forte tension sur la production des savoirs et les systèmes de transmission du savoir qui les traduisent en connaissances et compétences.

    Le travail de recherche devenant une compétence stratégique du travail dans tous les secteurs d’activité, les questions posées au secteur de recherche en termes de mesure de l’#efficacité deviennent des questions générales. L’enjeu en est l’adoption d’une norme d’évaluation que les marchés soient capables de faire circuler parmi les secteurs et les activités consommatrices de connaissances.

    Un régime face à ses contradictions

    Cette transformation de la recherche en un secteur, arrimé au régime d’accumulation, suppose un nouveau compromis institutionnalisé. Mais, menée par une politique néolibérale, elle se heurte à plusieurs contradictions majeures qui détruisent les conditions de sa stabilisation sans que les principes d’une régulation propre ne parviennent à émerger.

    Quand la normalisation du travail de recherche dévalorise l’activité et les personnels

    Durant la longue période de régulation administrée, le travail de recherche a associé le principe de #liberté_académique à l’emploi à statut. L’accomplissement de ce travail a été considéré comme incompatible avec une prise en charge par le marché, ce dernier n’étant pas estimé en capacité de former un signal prix sur les services attachés à ce type de travail. Ainsi, la production de connaissance est un travail entre pairs, rattachés à des collectifs productifs. Son caractère incertain, la possibilité de l’erreur sont inscrits dans le statut ainsi que la définition de la mission (produire des connaissances pour la société, même si son accaparement privé par la bourgeoisie est structurel). La qualité de l’emploi, notamment via les statuts, a été la clé de la #régulation_professionnelle. Avec la #mise_en_concurrence_généralisée (entre établissements, entre laboratoires, entre Universités et grandes écoles, entre les personnels), le compromis productif entre les individus et les collectifs de travail est rompu, car la concurrence fait émerger la figure du #chercheur_entrepreneur, concerné par la #rentabilisation des résultats de sa recherche, via la #valorisation sous forme de #propriété_intellectuelle, voire la création de #start-up devenu objectifs de nombre d’université et du CNRS.

    La réponse publique à la #dévalorisation_salariale évoquée plus haut, passe par une construction différenciée de la #rémunération, qui rompt le compromis incarné par les emplois à statut. Le gel des rémunérations s’accompagne d’une individualisation croissante des salaires, l’accès aux ressources étant largement subordonné à l’adhésion aux dispositifs de mise en concurrence. La grille des rémunérations statutaires perd ainsi progressivement tout pouvoir organisationnel du travail. Le rétrécissement de la possibilité de travailler hors financements sur projet est indissociable du recours à du #travail_précaire. La profession a été dépossédée de sa capacité à défendre son statut et l’évolution des rémunérations, elle est inopérante à faire face à son dépècement par le bloc minoritaire.

    La contradiction intervient avec les dispositifs de concurrence qui tirent les instruments de la régulation professionnelle vers une mise aux normes marchandes pour une partie de la communauté par une autre. Ce mouvement est rendu possible par le décrochage de la rémunération du travail : le niveau de rémunération d’entrée dans la carrière pour les maîtres de conférences est ainsi passé de 2,4 SMIC dans les années 1980 à 1,24 aujourd’hui.

    Là où le statut exprimait l’impossibilité d’attacher une valeur au travail de recherche hors reconnaissance collective, il tend à devenir un travail individualisable dont le prix sélectionne les usages et les contenus. Cette transformation du travail affecte durablement ce que produit l’université.

    Produire de l’innovation et non de la connaissance comme communs

    Durant la période administrée, c’est sous l’égide de la profession que la recherche était conduite. Définissant la valeur de la connaissance, l’action collective des personnels, ratifiée par l’action publique, pose le caractère non rival de l’activité. La possibilité pour un résultat de recherche d’être utilisé par d’autres sans coût de production supplémentaire était un gage d’efficacité. Les passerelles entre recherche et innovation étaient nombreuses, accordant des droits d’exploitation, notamment à l’industrie. Dans ce cadre, le lien recherche-profit ou recherche-utilité économique, sans être ignoré, ne primait pas. Ainsi, la communauté professionnelle et les conditions de sa mise au travail correspondait à la nature de ce qui était alors produit, à savoir les connaissances comme commun. Le financement public de la recherche concordait alors avec la nature non rivale et l’incertitude radicale de (l’utilité de) ce qui est produit.

    La connaissance étant devenue un actif stratégique, sa valorisation par le marché s’est imposée comme instrument d’orientation de la recherche. Finalement dans un régime d’apparence libérale, la conduite politique est forte, c’est d’ailleurs propre d’un régime néolibéral tel que décrit notamment par Amable & Palombarini (2018). Les #appels_à_projet sélectionnent les recherches susceptibles de #valorisation_économique. Là où la #publication fait circuler les connaissances et valide le caractère non rival du produit, les classements des publications ont pour objet de trier les résultats. La priorité donnée à la protection du résultat par la propriété intellectuelle achève le processus de signalement de la bonne recherche, rompant son caractère non rival. La #rivalité exacerbe l’effectivité de l’exclusion par les prix, dont le niveau est en rapport avec les profits anticipés.

    Dans ce contexte, le positionnement des entreprises au plus près des chercheurs publics conduit à une adaptation de l’appareil de production de l’ESR, en créant des lieux (#incubateurs) qui établissent et affinent l’appariement recherche / entreprise et la #transférabilité à la #valorisation_marchande. La hiérarchisation des domaines de recherche, des communautés entre elles et en leur sein est alors inévitable. Dans ce processus, le #financement_public, qui continue d’endosser les coûts irrécouvrables de l’incertitude, opère comme un instrument de sélection et d’orientation qui autorise la mise sous contrôle de la sphère publique. L’ESR est ainsi mobilisée par l’accumulation, en voyant son autonomie (sa capacité à se réguler, à orienter les recherches) se réduire. L’incitation à la propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche à des fins de mise en marché est un dispositif qui assure cet arrimage à l’accumulation.

    Le caractère appropriable de la recherche, devenant essentiel pour la légitimation de l’activité, internalise une forme de consentement de la communauté à la perte du contrôle des connaissances scientifiques, forme de garantie de sa circulation. Cette rupture de la non-rivalité constitue un coût collectif pour la société que les communautés scientifiques ne parviennent pas à rendre visible. De la même manière, le partage des connaissances comme principe d’efficacité par les externalités positives qu’il génère n’est pas perçu comme un principe alternatif d’efficacité. Chemin faisant, une recherche à caractère universel, régulée par des communautés, disparait au profit d’un appareil sous doté, orienté vers une utilité de court terme, relayé par la puissance publique elle-même.

    Un bloc hégémonique réduit, contre la collégialité universitaire

    En tant que mode de gouvernance, la collégialité universitaire a garanti la participation, et de fait la mobilisation des personnels, car ce n’est pas la stimulation des rémunérations qui a produit l’#engagement. Les collectifs de travail s’étaient dotés d’objectifs communs et s’étaient accordés sur la #transmission_des_savoirs et les critères de la #validation_scientifique. La #collégialité_universitaire en lien à la définition des savoirs légitimes a été la clé de la gouvernance publique. Il est indispensable de rappeler la continuité régulatrice entre liberté académique et organisation professionnelle qui rend possible le travail de recherche et en même temps le contrôle des usages de ses produits.

    Alors que l’université doit faire face à une masse d’étudiants, elle est évaluée et ses dotations sont accordées sur la base d’une activité de recherche, ce qui produit une contradiction majeure qui affecte les universités, mais pas toutes. Il s’effectue un processus de #différenciation_territoriale, avec une masse d’établissements en souffrance et un petit nombre qui a été retenu pour former l’élite. Les travaux de géographes sur les #inégalités_territoriales montrent la très forte concentration sur quelques pôles laissant des déserts en matière de recherche. Ainsi se renforce une dualité entre des universités portées vers des stratégies d’#élite et d’autres conduites à accepter une #secondarisation_du_supérieur. Une forme de hiatus entre les besoins technologiques et scientifiques massifs et le #décrochage_éducatif commence à être diagnostiquée.

    La sectorisation de l’ESR, et le pouvoir pris par un bloc hégémonique réduit auquel participent certaines universités dans l’espoir de ne pas être reléguées, ont procédé par l’appropriation de prérogatives de plus en plus larges sur les carrières, sur la valorisation de la recherche et la propriété intellectuelle, de ce qui était un commun de la recherche. En cela, les dispositifs d’excellence ont joué un rôle marquant d’affectation de moyens par une partie étroite de la profession. De cette manière, ce bloc capte des prébendes, assoit son pouvoir par la formation des normes concurrentielles qu’il contrôle et développe un rôle asymétrique sur les carrières par son rôle dominant dans l’affectation de reconnaissance professionnelle individualisée, en contournant les instances professionnelles. Il y a là création de nouveaux périmètres par la norme, et la profession dans son ensemble n’a plus grande prise, elle est mise à distance des critères qui servent à son nouveau fonctionnement et à la mesure de la performance.

    Les dispositifs mis en place au nom de l’#excellence_scientifique sont des instruments pour ceux qui peuvent s’en emparer et définissant les critères de sélection selon leur représentation, exercent une domination concurrentielle en sélectionnant les élites futures. Il est alors essentiel d’intégrer les Clubs qui en seront issus. Il y a là une #sociologie_des_élites à préciser sur la construction d’#UDICE, club des 10 universités dites d’excellence. L’évaluation de la performance détermine gagnants et perdants, via des labels, qui couronnent des processus de sélection, et assoit le pouvoir oligopolistique et les élites qui l’ont porté, souvent contre la masse de la profession (Musselin, 2017).

    Le jeu des acteurs dominants, en lien étroit avec le pouvoir politique qui les reconnait et les renforce dans cette position, au moyen d’instruments de #rationalisation de l’allocation de moyens pénuriques permet de définir un nouvel espace pour ceux-ci, ségrégué du reste de l’ESR, démarche qui est justifié par son arrimage au régime d’accumulation. Ce processus s’achève avec une forme de séparatisme du nouveau bloc hégémonique composé par ces managers de l’ESR, composante minoritaire qui correspond d’une certaine mesure au bloc bourgeois. Celles- et ceux-là même qui applaudissent le discours présidentiel annonçant la révolution dont un petit fragment tirera du feu peu de marrons, mais qui seront sans doute pour eux très lucratifs. Toutefois le scénario ainsi décrit dans sa tendance contradictoire pour ne pas dire délétère ne doit pas faire oublier que les communautés scientifiques perdurent, même si elles souffrent. La trajectoire choisie de sectorisation déstabilise l’ESR sans ouvrir d’espace pour un compromis ni avec les personnels ni pour la formation. En l’état, les conditions d’émergence d’un nouveau régime pour l’ESR, reliant son fonctionnement et sa visée pour la société ne sont pas réunies, en particulier parce que la #rupture se fait contre la profession et que c’est pourtant elle qui reste au cœur de la production.

    https://laviedesidees.fr/Universite-service-public-ou-secteur-productif
    #ESR #facs #souffrance

  • Un logiciel de clôture financière est un outil essentiel utilisé par les #professionnels de la #comptabilité et de la #finance pour faciliter le #processus de clôture de l’état #financier d’une #entreprise. Il offre une #solution automatisée pour rassembler, analyser et consolider les données financières, permettant ainsi de gagner en efficacité et en précision dans le processus de clôture.
    https://michelcampillo.com/blog/9162.html

  • Moi, agricultrice

    Des années d’après-guerre à aujourd’hui, des #pionnières agricultrices vont mener un long combat de l’ombre pour passer de l’#invisibilité_sociale, d’un métier subi, à la reconnaissance pleine et entière de leur statut. Trop longtemps considérées « #sans_profession », sous la #tutelle juridique et économique de leurs époux, ces militantes de la première heure livrent le récit intime d’une conquête restée dans l’oubli de l’histoire de l’#émancipation_des_femmes. La nouvelle génération, héritière de cette lente marche vers l’égalité des droits, témoigne également, bien décidée à garantir les acquis gagnés de haute lutte par leurs mères et leurs grands-mères.

    https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/64524_0

    –—

    Anne-Maire Crolais (à partir de la min 40’09) :

    « Les places, ça se gagne. Est-ce qu’on veut, nous, les femmes, en gagner ou pas ? Il faut le savoir, c’est tout. C’est simple. Un homme ne laissera jamais sa place. (...) Si on veut le pouvoir, on y va. »

    #femmes #vocation #agriculture #reconnaissance #émancipation #injustice_sociale #luttes #cohabitation #travail #agricultrices #Jeunesse_agricole_catholique (#JAC) #profession #identité_professionnelle #existence_sociale #paysannerie #mai_68 #paysannes #paysans-travailleurs #permis_de_conduire #histoire #féminisme #indépendance_financière #statut #droits_sociaux #droits #congé_maternité #clandestinité_sociale #patriarcat #égalité_des_droits #sexisme_ordinaire
    #film #film_documentaire #documentaire

  • #Air_Partner: the Home Office’s little-known deportation fixer

    International travel megacorp #Carlson_Wagonlit_Travel (#CWT) holds a £5.7 million, seven-year contract with the Home Office for the “provision of travel services for immigration purposes”, as it has done for nearly two decades. However, a key part of its work – the chartering of aircraft and crew to carry out the deportations – has been subcontracted to a little-known aviation charter outfit called Air Partner.

    Summary

    Digging deeper into Air Partner, we found a company which has been quietly organising mass deportations for the Home Office for years. We also learnt that:

    It likely arranged for the airline #Privilege_Style to carry out the aborted flight to #Rwanda, and will seek another airline if the Rwanda scheme goes ahead.
    It has organised deportation logistics for the US and several European governments.
    It is currently one of four beneficiaries of a €15 million framework contract to arrange charter deportations for the European Coast Guard and Border Agency, #Frontex.
    The company grew off the back of military contracts, with profits soaring during the ‘War on Terror’, the Arab Spring, and the Covid-19 pandemic.
    Its regular clients include politicians, celebrities and sports teams, and it recently flew teams and fans to the FIFA World Cup in Qatar.
    Air Partner was bought in spring 2022 by American charter airline, Wheels Up, but that company is in troubled financial waters.

    Air Partner: Home Office deportation broker

    In Carlson Wagonlit’s current contract award notice, published on the EU website Tenders Electronic Daily, the “management and provision of aircraft(s) charter services” is subcontracted to Air Partner – a detail which is redacted in documents on the UK government’s procurement site. In other words, when the Home Office wants to carry out a mass deportation flight, the task of finding the airline is delegated to Air Partner.

    The contract stipulates that for each charter flight, Air Partner must solicit bids from at least three potential airlines. Selection is on the basis of value for money. However, the contract also states that “the maximum possible flexibility “ is expected from the carrier in terms of dates and destinations. The winning bidder must also be morally comfortable with the work, although it is not clear at what point in the process a first-time deportation airline is fully informed of the nature of the task.

    The contract suggests that airlines like #Privilege_Style, #Titan_Airways, #Hi_Fly and #TUI, therefore, owe their entry into the UK deportation business to Air Partner, which effectively acts as gatekeeper to the sector. Meanwhile, #Carlson_Wagonlit books the tickets, oversees the overall operation, arranges deportations on scheduled flights, and liaises with the guards who physically enforce the expulsion (currently supplied by the company that runs Manston camp, Mitie, in a Home Office escorting contract that runs until 2028).

    The latest deal between the Home Office and Carlson Wagonlit was awarded in 2017 and runs until 31st October 2024. It is likely that Air Partner makes money through a commission on each deportation flight.

    Flying for Frontex

    Yet Air Partner isn’t just the UK government’s deportation dealer. Its Austrian branch is currently one of four companies which organise mass expulsions for the European Coast Guard and Border Agency, Frontex, in a €15 million framework contract that was renewed in August 2022. A framework contract is essentially a deal in which a few companies are chosen to form a pool of select suppliers of particular goods or services, and are then called upon when needed. The work was awarded without advertising, which Frontex can do when the tender is virtually identical as in the previous contract.

    Frontex organises deportation charter flights – either for multiple EU states at a time (where the plane stops to pick up deportees from several countries) – or for a single state. The Agency also arranges for individuals to be deported on regular commercial flights.

    Air Partner’s work for Frontex is very similar to its work for the Home Office. It sources willing aircraft and crew, obtains flight and landing permits, and organises hotels – presumably for personnel – “in case of delays”. The other beneficiaries of the framework contract are #Air_Charter_Service, #Professional_Aviation_Solutions, and #AS_Aircontact.

    Air Charter Service is a German company, sister of a Surrey-based business of the same name, and is owned by Knightsbridge private equity firm, #Alcuin_Capital_Partners. Professional Aviation Solutions is another German charter company, owned by #Skylink_Holding. Finally, Norwegian broker AS Aircontact is a subsidiary of travel firm #Aircontact_Group, ultimately owned by chairman #Johan_Stenersen. AS Aircontact has benefited from the Frontex deal for many years.

    The award was given to the four companies on the basis of lowest price, with each bidder having to state the price it was able to obtain for a range of specified flights. The companies then bid for specific deportations, with the winner being the one offering best value for money. Air Partner’s cut from the deal in 2021 was €2.7 million.

    The contract stipulates the need for total secrecy:

    [The contractor] Must apply the maximum discretion and confidentiality in relation to the activity… must not document or share information on the activity by any means such as photo, video, commenting or sharing in social media, or equivalent.

    The Frontex award effectively means that Air Partner and the other three firms can carry out work on behalf of all EU states. But the company’s involvement with deportations doesn’t stop there: Air Partner has also profited for years from similar contracts with a number of individual European governments.

    The company has done considerable work in Ireland, having been appointed as one of its official deportation brokers back in 2005. Ten years later, the Irish Department of Justice was recorded as having paid Air Partner to carry out a vaguely-described “air charter” job (on a web page that is no longer available), while in 2016 the same department paid Air Partner €240,000 for “returns air charter” – government-speak for deportation flights.

    Between August 2021 and February 2022, the Austrian government awarded the company six Frontex-funded deportation contracts, worth an estimated average of €33,796.

    The company also enjoys a deportation contract with the German government, in a deal reviewed annually. The current contract runs until February 2023.

    Finally, Air Partner has held deportation contracts with US Immigration and Customs Enforcement (ICE) and has been involved in deporting Mexican migrants to the US as far back as the early 2000s.1
    Relationship with the airlines

    In the first half of 2021, 22 of the EU’s 27 member states participated in Frontex flights, with Germany making far greater use of the ‘service’ than any other country. The geographic scale of Air Partner’s work gives an indication of the privileged access it has as gatekeeper to Europe’s lucrative ‘deportation market’, and ultimately, the golden land of government contracts more generally.

    For example, British carrier Titan Airways – which has long carried out deportations for the Home Office – only appears to have broken into this market in Germany and Austria in 2018 and 2019, respectively. As Corporate Watch has documented, other airlines such as Privilege Style, #AirTanker, #Wamos and #Iberojet (formerly, #Evelop) regularly run deportation flights for a number of governments, including the UK. We can assume that Air Partner’s relationships with the firms are key to these companies’ ability to secure such deals in new markets.

    Some of these relationships are clearly personal: #Alastair_Wilson, managing director of Titan Airways, worked as trading manager for Air Partner for seven years until he left that firm for Titan in 2014. By 2017, Titan was playing a major role in forcible expulsions from the UK.

    The business: from military money to deportation dealer

    Air Partner’s origins are in military work. Founded in 1961, the company started its life as a training centre which helped military pilots switch to the commercial sector. Known for much of its history as Air London, it has enjoyed extensive Ministry of Defence deals for troop rotations and the supply of military equipment. Up until 2010, military contracts represented over 60% of pre-tax profits. However, in recent years it has managed to wean itself off the MOD and develop a more diverse clientele; by 2018, the value of military contracts had dropped to less than 3% of profits.

    The company’s main business is in brokering aircraft for charter flights, and sourcing planes from its pool of partner airlines at the request of customers who want to hire them. It owns no aircraft itself. Besides governments and wealthy individuals, its current client base includes “corporates, sports and entertainment teams, industrial and manufacturing customers, and tour operators.”

    Its other source of cash is in training and consultancy to government, military and commercial customers through three subsidiaries: its risk management service Baines Simmons, the Redline Security project, and its disaster management sideline, Kenyon Emergency Services. Conveniently, while the group’s main business pumps out fossil fuels on needless private flights, Kenyon’s disaster management work involves among other things, preparing customers for climate change-induced natural disasters.

    Despite these other projects, charter work represents the company’s largest income stream by far, at 87% of the group’s profits. Perhaps unsurprisingly, the majority of this is from leasing large jets to customers such as governments, sports teams and tour operators. Its second most lucrative source of cash is leasing private jets to the rich, including celebrities. Finally, its freight shipments tend to be the least profitable division of its charter work.

    The company’s charter division continues to be “predominantly driven by government work”.2 It has been hired by dozens of governments and royal families worldwide, and almost half the profits from its charter work now derive from the US, although France has long been an important market too.

    Ferrying the mega-rich

    Meanwhile, Air Partner’s work shuttling politicians and other VIPs no doubt enables the company to build up its bank of useful contacts which help it secure such lucrative government deals. Truly this is a company of the mega-rich: a “last-minute, half-term holiday” with the family to Madeira costs a mere £36,500 just for the experience of a private jet. It was the first aircraft charter company to have held a Royal Warrant, and boasts of having flown US election candidates and supplying George W Bush’s press plane.3

    The “group charter” business works with bands and sports teams. The latter includes the Wales football team, Manchester City, Manchester United, Chelsea and Real Madrid, while the Grand Prix is “always a firm fixture in the charter calendar”.4 It also flew teams and fans to the controversial 2022 FIFA World Cup in Qatar.5

    Crisis profiteer: the War on Terror, the Arab Spring & Covid-19

    Air Partner has cashed in on one crisis after the next. Not only that, it even contributes to one, and in so doing multiplies its financial opportunities. As military contractor to belligerent Western forces in the Middle East, the company is complicit in the creation of refugees – large numbers of whom Air Partner would later deport back to those war zones. It feeds war with invading armies, then feasts on its casualties.

    The company reportedly carried at least 4,000t of military supplies during the first Gulf War. The chairman at the time, Tony Mack, said:

    The Gulf War was a windfall for us. We’d hate to say ‘yippee, we’re going to war’, but I guess the net effect would be positive.6

    And in its financial records over the past twenty years, three events really stand out: 9/11 and the ‘War on Terror’, the Arab Spring, and the Covid-19 pandemic.

    9/11 and the subsequent War on Terror was a game changer for the company, marking a departure from reliance on corporate customers and a shift to more secure government work. First – as with the pandemic – there was a boom in private jet hire due to “the number of rich clients who are reluctant to travel on scheduled services”.7

    But more significant were the military contracts it was to obtain during the invasions of Afghanistan and Iraq. During the occupation of Afghanistan, it “did a lot of freighting for the military”,8 while later benefiting from emergency evacuation work when coalition foreign policy came to its inevitably grim conclusion in 2021.

    It enjoyed major military assignments with coalition forces in Iraq,9 with the UK’s eventual withdrawal resulting in a 19% drop in freight sales for the company. At one point, Air Partner lamented that its dip in profits was in part due to the temporary “cessation of official hostilities” and the non-renewal of its 2003 “Gulf contracts”.

    9/11 and the aggression that followed was a boon for Air Partner’s finances. From 2001-02, pre-tax profits increased to then record levels, jumping 85% from £2.2 million to £4 million. And it cemented the company’s fortunes longer-term; a 2006 company report gives insight into the scale of the government work that went Air Partner’s way:

    … over the last decade alone, many thousands of contracts worth over $500m have been successfully completed for the governments of a dozen Western Powers including six of the current G8 member states.

    Two years on, Air Partner’s then-CEO, #David_Savile, was more explicit about the impact of the War on Terror:

    Whereas a decade ago the team was largely servicing the Corporate sector, today it majors on global Government sector clients. Given the growing agenda of leading powers to pursue active foreign policies, work levels are high and in today’s climate such consistent business is an important source of income.

    Profits soared again in 2007, coinciding with the bloodiest year of the Iraq war – and one which saw the largest US troop deployment. Its chairman at the time said:

    The events of 9/11 were a watershed for the aviation industry…since then our sales have tripled and our profitability has quadrupled. We now expect a period of consolidation… which we believe will present longer term opportunities to develop new business and new markets.

    It seems likely that those “new markets” may have included deportation work, given that the first UK charter deportations were introduced by the New Labour government in 2001, the same year as the invasion of Afghanistan.

    Another financial highlight for the company was the 2011 Arab Spring, which contributed to a 93% increase in pre-tax profits. Air Partner had earlier won a four-year contract with the Department for International Development (DfID) to become its “sole provider of passenger and freight air charter services”, and had been hired to be a charter broker to the Foreign and Commonwealth Office Crisis Centre.

    As people in Libya, Egypt, Bahrain and Tunisia took to the streets against their dictators, the company carried out emergency evacuations, including for “some of the largest oil companies”. A year later, it described a “new revenue stream from the oil & gas industry”, perhaps a bonus product of the evacuation work.

    Finally, its largest jump in profits was seen in 2021, as it reaped the benefits of converging crises: the pandemic, the evacuation of Afghanistan, and the supply chain crisis caused by Brexit and the severe congestion of global sea-shipping routes. The company was tasked with repatriation flights, PPE shipments, and “flying agricultural workers into the UK from elsewhere in Europe”, as well as responding to increased demand for “corporate shuttles” in the UK and US.10 Pre-tax profits soared 833% to £8.4 million. It made a gross profit of approximately £45 million in both 2021 and 2022. The company fared so well in fact from the pandemic that one paper summed it up with an article entitled “Air Partner takes off after virus grounds big airlines”.

    While there is scant reporting on the company’s involvement in deportations, The Times recently mentioned that Air Partner “helps in the deporting of individuals to Africa and the Caribbean, a business that hasn’t slowed down during the pandemic”. In a rare direct reference to deportation work, CEO Mark Briffa responded that it:

    …gives Wheels Up [Air Partner’s parent company] a great opportunity to expand beyond private jets…It was always going to be a challenge for a company our size to scale up and motor on beyond where we are.

    Yet Briffa’s justification based on the apparent need to diversify beyond VIP flights looks particularly hollow against the evidence of decades of lucrative government work his company has enjoyed.

    When asked for comment, a spokesperson from the company’s PR firm TB Cardew said:

    As a policy, we do not comment on who we fly or where we fly them. Customer privacy, safety and security are paramount for Air Partner in all of our operations. We do not confirm, deny or comment on any potential customer, destination or itinerary.

    The parent company: Wheels Up

    Air Partner was bought in spring 2022 for $108.2 million by Wheels Up Experience Inc, a US charter airline which was recently listed on the New York Stock Exchange. The company calls itself one of the world’s largest private aviation companies, with over 180 owned or long-term leased aircraft, 150 managed fleet (a sort of sharing arrangement with owners), and 1,200 aircraft which it can hire for customers when needed.

    In contrast to Air Partner, its new owner is in deep trouble. While Wheels Up’s revenues have increased considerably over the past few years (from $384 million in 2019 to $1.2 billion in 2022), these were far outweighed by its costs. It made a net loss in 2021 of $190 million, more than double that of the previous year. The company attributes this to the ongoing impact of Covid-19, with reduced crew availability and customer cancellations. And the situation shows no sign of abating, with a loss of $276.5 million in the first nine months of this year alone. Wheels Up is responding with “aggressive cost-cutting”, including some redundancies.

    #Wheels_Up is, in turn, 20% owned by #Delta_Airlines, one of the world’s oldest and largest airlines. Mammoth asset manager Fidelity holds an 8% share, while Wheels Up’s CEO #Kenneth_Dichter owns 5%. Meanwhile, the so-called ‘Big Three’ asset managers, BlackRock, Vanguard and State Street each hold smaller shareholdings.

    Among its clients, Wheels Up counts various celebrities – some of whom have entered into arrangements to promote the company as ‘brand ambassadors’. These apparently include Jennifer Lopez, American football players Tom Brady, Russell Wilson, J.J. Watt, Joey Logano, and Serena Williams.

    Given Wheel’s Up’s current financial situation, it can be safely assumed that government contracts will not be easily abandoned, particularly in a time of instability in the industry as a whole. At the same time, given the importance of Wheels Up as a brand and its VIP clientele, anything that poses a risk to its reputation would need to be handled delicately by the company.

    It also remains to be seen whether Wheels Up will use its own fleet to fulfil Air Partner’s contracting work, and potentially become a supplier of deportation planes in its own right.
    Top people

    Air Partner has been managed by CEO #Mark_Briffa since 2010. A former milkman and son of Maltese migrants, Briffa grew up in an East Sussex council house and left school with no O or A levels. He soon became a baggage handler at Gatwick airport, eventually making his way into sales and up the ladder to management roles. Briffa is also president of the parent company, Wheels Up.

    #Ed_Warner OBE is the company’s chair, which means he leads on its strategy and manages the board of directors. An Oxbridge-educated banker and former chair of UK Athletics, Warner no doubt helps Air Partner maintain its connections in the world of sport. He sits on the board of private equity fund manager HarbourVest, and has previously been chairman of BlackRock Energy and Resources Income Trust, which invests in mining and energy.

    #Kenny_Dichter is founder and CEO of Air Partner’s US parent company, Wheels Up. Dichter is an entrepreneur who has founded or provided early investment to a list of somewhat random companies, from a chain of ‘wellness’ stores, to a brand of Tequila.

    #Tony_Mack was chairman of the business founded by his parents for 23 years and a major shareholder, before retiring from Air Partner in 2014. Nowadays he prefers to spend his time on the water, where he indulges in yacht racing.

    Some of Air Partner’s previous directors are particularly well-connected. #Richard_Everitt, CBE held the company chairmanship from 2012 until 2017. A solicitor by training, prior to joining Air Partner Everitt was a director of the British Aviation Authority (BAA) and chief executive of National Air Traffic Services (Nats), and then CEO of the Port of London Authority (PLA). Since leaving the PLA, he has continued his career on the board of major transport authorities, having twice been appointed by the Department of Transport as chair of Dover Harbour Board, a two-day per week job with an annual salary of £79,500. He also served as a commissioner of Belfast Harbour.

    One figure with friends in high places was the Hon. #Rowland_John_Fromanteel_Cobbold, who was an Air Partner director from 1996 to 2004. Cobbold was the son of 1st Baron Cobbold, former Governor of the Bank of England and former Lord Chamberlain, an important officer of the royal household. He was also grandson of Victor Bulwer-Lytton, 2nd Earl of Lytton and governor of Bengal, and younger brother of 2nd Baron Cobbold, who was a crossbench peer.

    #Lib_Dem peer #Lord_Lee of Trafford held significant shares in Air Partner from at least 2007 until the company was bought by Wheels Up in 2022. Lord Lee served as parliamentary undersecretary for MOD Procurement under Margaret Thatcher, as well as Minister for Tourism. In 2015 the value of his 113,500 shares totalled £446,000. His shares in the company were despite having been Lib Dem party spokesman on defence at the time. Seemingly, having large stakes in a business which benefits from major MOD contracts, whilst simultaneously advocating on defence policy was not deemed a serious conflict of interest. The former stockbroker is now a regular columnist for the Financial Times. Calling himself the “first ISA millionaire”, Lee published a book called “How to Make a Million – Slowly: Guiding Principles From a Lifetime Investing”.

    The company’s recent profits have been healthy enough to ensure that those at the top are thoroughly buffered from the current cost of living crisis, as all executive and non-executive directors received a hefty pay rise. Its 2022 Annual Report reveals that CEO Mark Briffa’s pay package totalled £808,000 (£164,000 more than he received in 2021) and outgoing Chief Financial Officer Joanne Estell received £438,000 (compared with £369,000 in 2021), not to mention that Briffa and Estell were awarded a package in spring 2021 of 100% and 75% of their salary in shares. Given the surge in Air Partner’s share price just before the buyout, it’s likely that the net worth of its directors – and investors like Lord Lee – has significantly increased too.

    Conclusion

    What really is the difference between the people smugglers vilified daily by right-wing rags, and deportation merchants like Air Partner? True, Air Partner helps cast humans away in the opposite direction, often to places of danger rather than potential safety. And true, smugglers’ journeys are generally more consensual, with migrants themselves often hiring their fixers. But for a huge fee, people smugglers and deportation profiteers alike ignore the risks and indignities involved, as human cargo is shunted around in the perverse market of immigration controls.

    In October 2022, deportation airline Privilege Style announced it would pull out of the Rwanda deal following strategic campaigning by groups including Freedom from Torture and SOAS Detainee Support. This is an important development and we can learn lessons from the direct action tactics used. Yet campaigns against airlines are continuously being undermined by Air Partner – who, as the Home Office’s deportation fixer, will simply seek others to step in.

    And under the flashing blue lights of a police state, news that an airline will merely be deporting refugees to their countries of origin – however dangerous – rather than to a distant African processing base, might be seen as wonderful news. It isn’t. Instead of becoming accustomed to a dystopian reality, let’s be spurred on by the campaign’s success to put an end to this cruel industry in its entirety.
    Appendix: Air Partner Offices

    Air Partner’s addresses, according to its most recent annual report, are as follows:

    - UK: 2 City Place, Beehive Ring Road, Gatwick, West Sussex RH6 0PA.
    - France: 89/91 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris & 27 Boulevard Saint-Martin, 75003 Paris.
    - Germany: Im Mediapark 5b, 50670 Köln.
    - Italy: Via Valtellina 67, 20159 Milano.
    - Turkey: Halil Rıfatpaşa Mh Yüzer Havuz Sk No.1 Perpa Ticaret Merkezi ABlok Kat.12 No.1773, Istanbul.

    Footnotes

    1 Aldrick, Philip. “Worth teaming up with Air Partner”. The Daily Telegraph, October 07, 2004.

    2 “Air Partner makes progress in the face of some strong headwinds”. Proactive Investors UK, August 27, 2021.

    3 Aldrick, Philip. “Worth teaming up with Air Partner”. The Daily Telegraph, October 07, 2004.

    4 Lea, Robert. “Mark Briffa has a new partner in aircraft chartering and isn’t about to fly away”. The Times, April 29, 2022

    5 Ibid.

    6 “AirPartner predicts rise in demand if Gulf war begins”. Flight International, January 14 2003.

    7 “Celebrity status boosts Air Partner”. Yorkshire Post, October 10, 2002.

    8 Baker, Martin. “The coy royal pilot”. The Sunday Telegraph, April 11, 2004.

    9 Hancock, Ciaran. “Air Partner”. Sunday Times, April 10, 2005.

    10 Saker-Clark, Henry. “Repatriation and PPE flights boost Air Partner”. The Herald, May 6, 2020.

    https://corporatewatch.org/air-partner-the-home-offices-deportation-fixer
    #avions #compagnies_aériennes #Home_Office #UK #Angleterre #renvois #expulsions #business #complexe_militaro-industriel

    via @isskein

  • L’#université qui vient. Un nouveau régime de #sélection scolaire

    La crise sanitaire et sa gestion au sein des universités françaises ont révélé et renforcé un nouveau régime de #sélection_scolaire. Jamais la France et son #système_scolaire n’ont autant diplômé et pourtant jamais les savoirs n’ont été aussi inégalement transmis. D’un côté, les #études_universitaires se sont banalisées parmi les enfants issus des #classes_populaires, en premier lieu les jeunes femmes. De l’autre, les dispositifs adoptés pour lutter contre l’#échec en licence ont échoué, au point de laisser de nombreux étudiants seuls face à leurs #difficultés_scolaires.
    Comment conduire 50 % d’une classe d’âge au niveau de la licence quand le budget par étudiant chute depuis 15 ans à l’université ? Le #néolibéralisme scolaire n’envisage que la sélection, la hausse des #frais_d’inscription, la #concurrence entre établissements et la #professionnalisation des formations. Face à la détérioration des #conditions_d’enseignement, la suppression de #Parcoursup ne suffit pas.
    Cet ouvrage replace la transmission des #savoirs_universitaires au cœur du débat ; il montre l’urgence et la nécessité de lutter contre la différenciation des filières scolaires, à commencer par l’instauration d’un baccalauréat de culture commune, à la fois littéraire, scientifique et technologique.

    https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/luniversite-qui-vient
    #livre #ESR #enseignement_supérieur #France

    ping @_kg_

  • #Emmanuel_Macron, 13.01.2022

    « Au-delà des questions des moyens, nous avons une question structurelle et on ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale. »

    https://twitter.com/caissesdegreve/status/1481963876451340290

    Quand est-ce qu’on l’arrête celui-là ?

    #macronisme #ESR #université #discours #facs #France #destruction #précarité_étudiante #financement #enseignement_supérieur #budget #compétition #compétition_internationale #néo-libéralisme #privatisation #Macron

    La casse de l’université continue...

    Voici ce que j’écrivais en 2020, lors des luttes contre la fameuse LPR :

    Si je lutte ici et maintenant c’est parce que je suis fermement convaincue que si on gagne en France la victoire contre une université néolibérale, on peut faire tache d’huile bien au-delà des frontières nationales. Et si, en France, on ne cède pas au chant des sirènes du néolibéralisme universitaire, je suis aussi fermement convaincue que le supposé « retard » décrié par certain·es aujourd’hui se transformera en avance. Car la grogne grandit aussi dans les autres pays européens, qui se battent pour ce qu’en France, nous sommes en train de perdre, mais nous n’avons heureusement pas encore complètement perdu

    http://www.riurba.review/2020/03/comprendre-le-neoliberalisme-universitaire-francais-a-partir-de-la-suisse

    • La privatisation de l’écoles et de l’université représente une montagne de fric, à côté de laquelle la privation de la Française Des Jeux et des autoroutes sont des cacahuètes apéritives.

      Restera la montagne d’or amassée par les caisses de retraite complémentaires, ce sera pour la quinquennat suivant.

    • Emmanuel Macron expose une #réforme « systémique » de l’université

      Le chef de l’État a estimé que le système actuel d’#études_supérieures était « révolu » et que les universités devaient s’ancrer dans une dimension plus « professionnalisante ».

      À trois mois de la présidentielle, Emmanuel Macron a souhaité jeudi 13 janvier une réforme « systémique » des universités, qu’il veut plus « professionnalisantes », tout en jugeant intenable un système d’études supérieures « sans aucun #prix » pour les étudiants mais avec un #taux_d'échec massif. « Je le reconnais sans ambages, nous avons commencé à colmater les brèches, mais nous devons redoubler d’effort pour que, à l’horizon de dix ans, notre université soit plus forte », a-t-il déclaré, en clôturant en visioconférence le Congrès de la Conférence des présidents d’universités.

      Le chef de l’État a d’abord remis en cause le double système #grandes_écoles - universités. « Nous avons trop longtemps accepté un modèle à plusieurs vitesses, où les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de la formation des #élites et l’université de la #démocratisation de l’enseignement supérieur et la gestion des #masses. Ce système est révolu », a-t-il lancé. « Demain ce seront nos universités qui doivent être les piliers de l’#excellence ».

      « Garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi »

      Emmanuel Macron a aussi dénoncé l’« intolérable #gâchis » de l’#échec en première année, où « seuls 50% des étudiants se présentent aux examens », malgré l’injection de nouveaux moyens et la création de 84.000 places. Selon lui, il ne s’agit donc pas d’une question de #moyens. « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où pourtant nous avons tant de précarité étudiante, et une difficulté à financer un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde », a-t-il argué.

      « Je dis les choses avec la clarté et la franchise que vous me connaissez » car « si nous ne réglons pas ces problèmes structurels, nous nous mentirions à nous-mêmes », a-t-il poursuivi. Et d’enchaîner : « Nous avons besoin d’une #transformation_systémique de nos universités ». Celles-ci doivent, selon lui, avoir d’avantage d’#autonomie mais l’État devra passer avec elles « de véritables #contrats_d'objectifs_et_de_moyens ». Notamment « les universités ne doivent plus seulement garantir l’accueil des étudiants dans une formation mais garantir l’orientation des jeunes vers l’#emploi ».

      « L’université doit devenir plus efficacement professionnalisante », a encore souhaité le chef de l’État : « la logique de l’#offre doit prendre le pas sur la logique de la #demande », ou encore, « l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la #nation ». « Quand on ouvre des filières sans #perspective derrière, nous conduisons un #investissement_à_perte », a-t-il dit, après avoir rappelé les nouveaux moyens - 25 milliards d’euros sur 5 ans - de la loi de programmation de la recherche, « un rattrapage » à ses yeux. Manuel Tunon de Lara, président de la Conférence des présidents d’universités, rebaptisée France Universités, a lui réclamé une plus grande autonomie des établissements mais aussi un financement de l’enseignement supérieur « à la hauteur de nos ambitions ».

      https://www.lefigaro.fr/demain/education/emmanuel-macron-expose-une-reforme-systemique-de-l-universite-20220113

      #professionnalisation

    • Le discours a été tenu devant le congrès de la CPU désormais appelée @FranceUniv

      qui représente « un nouvel élan, qui rappelle le rôle de partenaire essentiel des pouvoir publics / force de proposition et de transformation pour l’ESR » d’après M. Macron.

      https://www.youtube.com/watch?v=SwsAPNPyFU4&t=32750s

      –-

      Analyse de Julien Gossa sur twitter :

      Le discours commence par des banalités : « concurrence pour les talents », « décloisonner pour favoriser les synergies », « Shanghai / Saclay »...

      Mais surtout « conjurer notre histoire » avec « le vent de face en raison de la démographie ».
      C’est important pour la suite.

      Le discours se centre sur « repenser totalement le lien entre Lycée et Université » et « la séparation entre les études supérieures et le monde du travail ».
      Il fustige une « aristocratie égalitariste » avec la dichotomie Grandes Ecoles (« exellence ») et Université (« masse »).

      #debunk Il s’agit d’un classique diviser pour regner/l’herbe est plus verte ailleurs.
      Cette opposition (stérile ?) GE/Univ est systématiquement instrumentalisée pour réformer, mais seulement les universités.

      « ce n’est pas qu’une question de moyens » (?)

      D’après M. Macron « ce système est révolu » car « il ne correspond pas à la compétition internationale et crée des segmentations inefficaces ». C’est « le sens de l’Histoire ».

      Il faut donc « une nouvelle politique d’investissement ».

      #Point 1 : l’« intolérable gâchis » en Licence

      « Nous avons injecté 1 Md€ en plus dans le premier cycle / créé 84000 places / et 28000 oui-si... formidable ! et pourtant seulement 50% des étudiants se présentent aux examens de premières année »

      #debunk "Des efforts n’ont pas conduit à des résultats, donc il faut réformer plus en profondeur" est discutable.

      Par exemple, il y a en réalité une hausse des taux de réussite, que le discours doit ignorer volontairement pour atteindre son objectif.

      https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-l-universite-un-taux-de-reussite-des-licences-en-pleine-croissan

      De plus, ces résultats ne sont pas évaluables en période de pandémie, parce que tout le système est perturbé, et que tirer des conclusions de mesures qui ont trois ans n’est pas intègre.
      https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-la-detresse-croissante-des-etudiants

      Enfin, l’effort est en réalité factice, puisque la dépense par étudiant baisse, essentiellement à l’Université.

      Tout au contraire, si on en croit les indicateurs, l’Université a donc plutôt obtenu des résultats, sans moyen, et dans un contexte difficile.

      https://www.alternatives-economiques.fr/rentree-coutera-t-plus-cher-cette-annee/00100263

      #Discussion L’échec en Licence lui-même est peut-être un problème factice, instrumentalisé pour atteindre des objectifs pratiquement sans rapport, mais qui a le mérite de faire écho à un soucis très concret qu’on rencontre sur le terrain.

      #Point 2 : le financement public et la gratuité des études universitaires.

      Cela conduirait a un enseignement qui n’a « aucun prix » à cause d’« un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde »

      #Debunk Au delà du marqueur idéologique « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur », l’affirmation sur le financement public de l’ESR en France est tout simplement fausse : nous sommes dans la moyenne, et en dessous des pays que nous admirons.

      https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T165/la_depense_pour_l_enseignement_superieur_dans_les_pays_de_l_ocde

      Plus intéressant encore, si on prend le cas extrême de la Grande Bretagne (GB).

      D’abord l’évidence : moins de financement public, c’est plus de financement privé, donc plus d’endettement des familles.

      E. Macron propose donc de vous endetter plus.

      https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/sn01079

      Ensuite, le financement "privé" est en réalité sur des prêts garantis par l’État, et qui sont en grande partie (52%) non remboursé, donc payés par le public.

      Ça a couté 12Md€ d’argent public l’an dernier (~50% du budget du MESRI).

      https://www.dailymail.co.uk/news/article-9753557/Almost-10-billion-paid-student-loans-2020-written-off.html

      Et enfin, ça n’a apporté aucun financement supplémentaire aux universités.

      La proposition est donc d’endetter les ménages, même si ça coute encore plus au contribuable, sans rien rapporter aux universités.

      Seuls gagnants : les usuriers.

      #Point 3 : la formation réduite à une forme d’insertion professionnelle

      « les universités [doivent] garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi » avec « de véritables contrats d’objectifs et de moyens ».

      En clair : l’emploi conditionne le financement des formations.

      « la logique de l’offre doit prendre le pas sur la logique de la demande » « l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la nation »

      En clair : ce n’est plus ni aux familles ni aux universitaires de décider de l’orientation et des formations, mais à l’Etat.

      D’après E. Macron,ces « besoins de la nation » sont seulement économiques, et tout le reste est un « investissement à perte ».

      C’est du bon sens, mais seulement avec une conception de la formation limitée à l’insertion professionnelle.

      #debunk Si on colle les trois points, on a une forme de logique :
      1. Les jeunes échouent en Licence
      2. Car ils se moquent d’études qui ne coutent rien
      3. Et qui de toutes façons ne mènent à aucun emploi.

      Faire payer les familles apparait alors comme une solution, non pas pour augmenter les financements (ils n’augmenteront pas, au contraire), mais seulement pour augmenter l’implication des familles, et restructurer « l’offre et la demande » de la formation.

      La réussite par l’augmentation de l’implication des familles repose sur la croyance « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur ».

      Quand on regarde les indicateurs, c’est plutôt une question de moyens.


      https://twitter.com/anouchka/status/1481928533308022785

      La restructuration de « l’offre et la demande » imagine une vertu : si les études impliquent un endettement personnel, alors le choix d’orientation sera vers les formations qui permettent de rembourser, donc là où il y a des emplois.
      Et sinon c’est à la charge des familles.

      Julien Gossa
      @JulienGossa
      ·
      17h
      Les formations qui conduisent aux emplois bien payés peuvent augmenter leurs frais d’inscription, donc leur qualité. Les autres ferment ou de toutes façons ne coutent plus rien.

      Le marché comme solution à l’orientation et la formation, donc à la stratification sociale.

      C’est la vision qui a bien fonctionné au XXe siècle. Malheureusement, elle ne fonctionne plus. Tout simplement parce que « démographie » et « besoins [économiques] de la nation » sont désynchronisés.

      Il n’y a pas d’emplois non pourvus en France, il y a du chômage.

      Les emplois qui recrutent ne concernent pas les filières universitaires.

      Les formations universitaires montrent un léger chômage, qui indiquent qu’elles remplissent parfaitement leur rôle de fournisseur de main d’œuvre qualifiée.

      https://statistiques.pole-emploi.org/bmo/bmo?graph=1&in=1&le=0&tu=10&pp=2021&ss=1

      On revient à cette évidence, que le discours de M. Macron semble ignorer : diplômer quelqu’un ne crée pas un emploi.

      En terme d’emplois, la politique proposée est donc vouée à l’échec. Pire, elle enferme dans une sorte d’immobilisme économique.


      https://twitter.com/Taigasangare/status/1481897423437979649

      En toute logique, la politique proposée consiste donc non pas à augmenter le nombre de diplômés, puisque ça ne ferait que baisser le taux d’insertion professionnelle.

      Elle consiste forcément à baisser le nombre d’étudiants, seul moyen d’éviter un « investissement à perte ».

      Et ça nous mène à la question principale qui se pose pour l’avenir, même si on n’ose jamais l’affronter :

      Quel est le rôle des études supérieures ?

      Si c’est seulement économique, sans progrès futurs, alors Macron a raison : il faut endetter et réduire le nombre d’étudiants.

      Mais si c’est plus large que ça, que les études supérieures permettent de former des citoyens qui vont devoir gérer des crises graves... Alors il vaut mieux des chômeurs bien formés que des chômeurs mal formés.

      Et le projet proposé est très dangereux.

      Il est d’autant plus dangereux que la loi ORE a déjà posé des bases très solides pour sa réalisation :

      l’Etat contrôle désormais les places dans toutes les formations publiques. La réduction du nombre d’étudiants est donc techniquement possible.

      #Parcoursup est à la fois une sorte de concours national pour accéder aux places, et en plus une market-place pour les formations, incluant déjà des informations sur les "débouchés" et un module de paiement des frais.

      Toute la technique a été préparée pour ce projet politique.

      Reste que le projet politique de M. Macron, tout idéalisé et idéologisé qu’il soit, se confronte à une question toute simple : Que fait-on des jeunes surnuméraires par rapport aux besoin de l’emploi, si on ne les forme plus ?

      Ce fameux « vent de face de la démographie ».

      Julien Gossa
      @JulienGossa
      ·
      16h
      Pour conclure, le discours de M. Macron est bien rodé, puisqu’il a plus de 50 ans... Mais il est objectivement anachronique.

      Il faudrait un peu de courage, et attaquer vraiment la seule vraie question : Quel est le rôle des études supérieures au XXIe siècle ?

      Rappel qu’il y a une cohérence entre baisser le nombre d’étudiants et réduire le nombre de lycéens qui font des mathématiques.

      Si on n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout, on aura donc autant d’étudiants, juste moins bien préparés à nos études.


      https://twitter.com/OlivierMusy/status/1481960693784092673

      NB : Si M. Macron souhaitait vraiment mettre en œuvre ce programme, il lui suffirait de donner une autonomie réelle aux universités, dont l’intérêt est effectivement de réduire le nombre d’étudiants et de les faire payer.

      Sauf que c’est impossible :
      https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2021/10/17/selection-impossible-autonomie-fantome

      Ici le verbatim, qui termine sur cette blague « Et que fait-on ce soir, Cortex ? »
      https://t.co/9HYisOq789

      Et bien sûr la plus pathétiques des hypothèses : tout ce projet n’a en réalité aucun sens, complètement dépourvu de vision et d’ambition autre que séduire les présidents d’université dans une perspective tristement électoraliste.

      https://twitter.com/JulienGossa/status/1481996134042193925

    • Présidentielle 2022 : le programme d’Emmanuel Macron devant la CPU “#France_Universités

      Emmanuel Macron a prononcé un discours pour la clôture du 50e anniversaire de la Conférence des présidents d’université1. La vidéo et le verbatim sont disponibles ici2. Ce discours dresse le bilan de la politique du quinquennat en matière d’enseignement supérieur et de recherche, mais trace aussi un cap pour une nouvelle réforme — peut-être pour un nouveau mandat ?

      Le candidat-président Macron fixe dans tous les cas un certain nombre d’objectifs et de lignes directrices qu’il n’est pas inintéressant d’analyser.

      Cet article est tiré d’un fil Twitter (https://twitter.com/CathKikuchi/status/1481942125147312138) écrit à chaud et doit être complété avec d’autres analyses qui ont émergé à la suite de ce discours3. On citera en particulier :
      - Ce fil extrêmement complet de Julien Gossa : https://twitter.com/UnivOuverte/status/1481759141618139138
      - Cette réflexion de Marianne Blanchard sur la volonté de plus « professionnaliser l’université » : https://twitter.com/UnivOuverte/status/1481759141618139138
      - En complément, la reprise d’une intervention de l’économiste Elise Huillery au colloque de la Conférence des présidents d’université sur les ressources allouées à l’université française, un fil d’Ana Lutzky : https://twitter.com/anouchka/status/1481924369597308930

      Il est globalement beaucoup question de la politique universitaire, mais un article entier pourrait également être consacré à ce qu’Emmanuel Macron dit de la vie étudiante. Nous laissons ce point à analyser à d’autres.
      « Éclairer le monde tel qu’il va » ou l’abrutir

      « Faire pleinement de la France une avant-garde de la recherche de l’excellence du savoir » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Le discours commence bien sûr par brosser les présidents d’université dans le sens du poil. Beaucoup ont commenté la petite phrase des universités qui doivent « éclairer le monde ». Ce passage s’inscrit dans tout un segment sur l’importance de l’autorité académique, de la reconnaissance des pairs et du cadre scientifique : « Ne laissons personne le remettre en question ». Evidemment, ce n’est pas nous que le contredirons. Mais cette déclaration prend une saveur particulière, alors que Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation, cherche au contraire à dire aux universitaires ce qu’ils doivent chercher et comment en faisant l’ouverture d’un pseudo-colloque ((NDLR : Le président-candidat Macron évoque également la commission Bronner qui vient de rendre son “rapport” Des Lumières à l’ère du numérique.Il en retient la “nécessité d’empêcher la mise en avant ou le financement d’acteurs qui nuisent à l’information, à la cohésion sociale et in fine à la démocratie” — qui résone avec sa menace envers les “universitaires qui cassent la République en deux“.)). ou encore lorsqu’il prétend pouvoir dire quels universitaires constituent un « virus » de la pensée et donc, en creux, ceux qui pourraient en être le « vaccin ».

      « Tous ensemble, nous avons réussi à faire de notre jeunesse une priorité claire avec ces premiers résultats et également à faire de notre jeunesse et de nos étudiants une priorité. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Mais bien sûr, il s’agit d’abord de défendre un bilan. Emmanuel Macron se gargarise de milliers de places nouvelles ouvertes dans diverses filières pour accommoder la vague démographique. C’est bien rapide : ouvrir des places sans construction de bâtiment, sans recrutement de personnel, ne revient-il pas à faire du surbooking ? Changer un chiffre sur un tableur Excel, ne permet pas dans les faits d’accueillir correctement des milliers d’étudiants et d’étudiantes supplémentaires.

      Mais rassurons-nous : la loi de programmation a représenté un engagement financier sans précédent. Sauf que non : l’augmentation du budget de l’ESR stagne et sa légère augmentation, plus faible que par le passé, correspond à l’inflation. Un tour de passe-passe dénoncé par les politiques notamment au Sénat. L’effort budgétaire est principalement reporté sur la prochaine mandature :bel effort personnel pour le président Macron.

      « Justes hiérarchies » ? Parcoursup, reproduction sociale et démocratie

      Parmi les bons points qu’Emmanuel Macron se donne, le satisfecit sur Parcoursup est aussi d’un ridicule achevé. « Un système d’orientation avec des taux de satisfaction et de réponse incomparables, plus lisibles », alors que tous les acteurs du système, des élèves aux enseignants du secondaire, en passant bien sûr par les enseignants du supérieur disent le contraire. Mais peu importe : il s’agit de l’un des grands chantiers du quinquennat, il doit être un succès.

      « Des sociétés démocratiques comme la nôtre qui ont la passion de l’égalité que nous partageons toutes et tous doivent néanmoins défendre à nouveau les justes hiérarchies qu’il doit y avoir dans nos sociétés sans lesquelles tout se dissout » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Macron se lance ensuite dans un grand discours visant à intégrer les universités à la formation de l’élite, dans une optique implicite de démocratisation. Il cite les Idex en exemple. Sauf qu’en termes de démocratisation, les Idex contribuent plutôt à une reproduction de l’élite plutôt qu’à son renouvellement, comme l’on montré les travaux d’Audrey Harroche et ceux de Hugo Harari-Kermadec.

      Cette volonté de s’inscrire dans le cadre de grands établissements va de pair avec une volonté de professionnalisation accrue.colloque

      L.’université « doit devenir plus efficacement professionnalisante car on ne peut pas se satisfaire de l’échec de nos étudiants dans les premiers cycles ni du taux de chômage trop élevé des jeunes qui sortent de certaines filières universitaires. Pour vous y aider, nous devons poursuivre le travail d’amélioration de l’orientation qu’a initié Parcoursup ». (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Cet affichage ne peut être balayé d’un revers de main. Evidemment, aucun enseignant digne de ce nom ne peut vouloir que les universités forment des chômeurs. Mais cela passe sous silence que les universités sont déjà professionnalisantes : elles forment des professionnel·les de la recherche et de l’enseignement supérieur et des enseignant·es. Hors Master, , elles forment en licence en lien avec le monde du travail, y compris bien sûr celui hors de l’université et de l’enseignement : c’est vraiment n’avoir jamais regardé l’offre de formation universitaire ni les maquettes de premier cycle que de penser le contraire. S’il y a sûrement des améliorations à effectuer, il serait tout à fait faux de prétendre que les universitaires ne se préoccupent pas du devenir professionnel de leurs étudiant·es.

      « Les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de l’excellence et de la formation des élites, et les universités de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la gestion des masses. Ce système est révolu. Il est révolu d’abord parce qu’il ne correspond pas à la compétition internationale, parce que sa forme-même crée des barrières, des segmentations qui sont inefficaces. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Cependant, on peut être conscient des nécessités de professionnalisation à l’université tout en considérant que celle-ci a aussi un rôle intellectuel et émancipateur de transmission de savoir et de méthode scientifique. Mais cela, Macron n’en parle jamais pour l’enseignement. Enseigner à l’université est réduit à la formation en lien à des besoins identifiés de la nation. Et si les besoins de la nation, c’était aussi d’avoir des diplômés insérés dans le marché du travail ET capables de réfléchir par eux-mêmes ? Ce serait fou…

      De même la question de l’échec en première année de licence et de l’orientation est un vrai sujet. Mais ne serait-ce pas aussi parce que Parcoursup a accentué ce phénomène ? De nombreuses étudiantes et étudiants, à vue de nez encore plus nombreux qu’auparavant, s’inscrivent dans des formations sans réelle volonté de s’y investir. Alors quelle solution ? Emmanuel Macron évoque le développement de filières courtes et professionnalisantes, ce qui peut être une partie de la réponse. Mais est-ce que l’augmentation de leur capacité d’accueil va à nouveau se faire sans moyen supplémentaire ? Permettons-nous au moins de nous poser la question…

      « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      Malgré tous ces points ambigus, voire volontairement mensongers, le plus inquiétant de ce discours réside dans l’une de ses dernières parties. Cela a été déjà relevé : Emmanuel Macron dénonce un système où l’université n’a « aucun prix pour la grande majorité des étudiants », où on a un tiers de boursiers et où on a « un modèle beaucoup plus financé par l’argent public qu’ailleurs dans le monde ». D’abord, ce dernier point est tout bonnement faux : la France n’investit proportionnellement pas plus d’argent public dans l’université que, par exemple, l’Allemagne, la Norvège, le Danemark ou la Belgique, même si elle en investit d’avantage que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni. Elle se situe dans une moyenne légèrement supérieure à celle de l’OCDE.

      Ensuite, le changement systémique auquel il appelle revient bien à faire payer les étudiant·espour leur faire financer leurs propres études. Y compris via un endettement étudiant peut-être ? C’est en tout cas ce que de proches conseillers d’Emmanuel Macron suggéraient. Alors c’est une option bien sûr. Mais ça revient à poser franchement sur la table la nature du modèle universitaire que nous souhaitons et la manière dont l’université est encore un levier d’ascension sociale, ou a minima de formation de toutes les catégories économiques et sociales. Et ce débat-là, évidemment, Macron ne le pose pas clairement.

      Les systèmes de gouvernance [des universités], « il faut bien le dire par tradition, ont eu dans beaucoup de situations pour conséquence d’impuissanter trop souvent les équipes face aux défis qui leur étaient posés. Mais cette autonomie, soyons clairs et sincères entre nous doit aussi être synonyme d’une gouvernance renforcée de nos universités dans laquelle les équipes présidentielles pourront définir et incarner pleinement leur projet. (…) Notre système est très hypocrite – autonomie à moitié, on continue de contrôler ; ceux qui réussissent, on les aide un peu plus, ceux qui ne réussissent pas, on les compense. Et puis autonomie, mais au fond, même localement, on donne des responsabilités, mais on bloque ceux qui sont élus par nous-mêmes » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      De la même manière, on a un passage éminemment confus sur un contrat que les universités devront passer avec l’État, où il est question d’augmenter l’autonomie mais aussi la responsabilité. Selon quelles modalités ? Ce point n’est pas clair, mais il est un passage qui personnellement me fait froid dans le dos. Macron dénonce un système déresponsabilisant : « Notre système est très hypocrite — autonomie à moitié, on continue de contrôler ; ceux qui réussissent, on les aide un peu plus, ceux qui ne réussissent pas, on les compense ».

      Est-ce que cela signifie que l’État se désengagera des universités qui ne répondent pas aux critères d’excellence fixés par le gouvernement ? Que celles-ci ne feront plus partie du système de service public de l’enseignement supérieur ?

      On voit bien où cela peut mener : les grandes universités comme Saclay auront toujours plus, les petites universités au bassin de recrutement local toujours moins. Et si un tel système aide à la promotion de l’enseignement supérieur, à la formation des étudiant·es partout en France, je veux bien manger mon chapeau.

      « La France continuera de jouer son rôle de résistance en défense de l’esprit de connaissance, de recherche, d’un enseignement libre et d’une recherche libre. Parce que je crois que c’est la seule manière de continuer à véritablement conquérir le monde, c’est-à-dire à inventer des possibles nouveaux dans une humanité en paix. Les autres voies, nous les connaissons. Ce sont les obscurantismes, les totalitarismes, les nationalismes appuyés sur la discorde. » (Emmanuel Macron, 13 janvier 2022)

      https://academia.hypotheses.org/33766

    • Thread de Marianne Blanchard, 14.01.2022
      Pourquoi ça n’a pas de sens de vouloir plus « professionnaliser l’université » => un thread

      1/ pour Macron, "l’université doit devenir plus efficacement professionnalisante ". Derrière, deux présupposés : a) c’est nécessaire de professionnaliser b) l’université ne le fait pas

      2/voyons déjà le premier. Pour ça je m’appuie (notamment) sur ça : https://sms.hypotheses.org/24385
      On a interrogés des jeunes diplômés d’écoles (commerce/ingé) et d’université, en sciences et en gestion sur les "compétences" dont ils avaient besoin dans leur emploi actuel

      3/ on a distingué les "compétences spécifiques" (en gros tout ce qui est spécialisé, propre à un secteur d’emploi) et "transversales" (en gros, ce qui est général, et mobilisable dans plein de métiers).

      4/ résultat pour les 971 enquêtes : "Le niveau de compétences spécifiques considéré comme acquis est en moyenne supérieur ou égal à celui estimé requis dans leur emploi" => qu’ils viennent de l’université ou d’école, personne ne se trouve pas assez "professionnalisé"

      5/ les individus déclarent peu de lacunes en compétences spécifiques, car ils les mobilisent qd elles sont trop spécialisées. Qd des déficits sont mentionnés, ils concernent des compétences trop « pointues » ou dépendantes du contexte d’emploi pour être enseignées

      6/ Les jeunes interrogés insistent aussi sur le fait qu’il est possible de se former et se spécialiser en cours d’emploi. + les entretiens révèlent que les compétences spécifiques acquises en formation semblent surtout valorisées dans leur dimension transversale

      7/ ce ne serait pas tant leur caractère technique qui importerait, que les capacités à acquérir d’autres compétences qu’elles suscitent.
      En gros, en apprenant (des choses, plus ou moins "spécifiques"/professionnelles), on apprend aussi à apprendre, à se former.

      8/ il faut donc sortir de la vision « adéquationniste » à la française prônant une professionnalisation et une spécialisation sans cesse accrue des formations initiales. Bcp de diplômé·es n’exercent pas le métier correspondant à leur spécialité de formation,

      9/ C’est le sens de l’ "introuvable" relation formation-emploi dont parlait déjà L. Tanguy.
      Se former, c’est aussi acquérir une culture générale, apprendre à porter un regard critique sur les choses, comprendre le monde pour pouvoir y prendre part en tant que citoyen·ne

      https://twitter.com/MJ_Blanchard/status/1481971200100376577

    • Universités : le renforcement « systémique » promis par Macron cache mal un projet de privatisation

      Le quasi-candidat Macron a souhaité jeudi une réforme « systémique » des universités. Derrière la promesse de les rendre « plus fortes » et de casser la concurrence avec les « grandes écoles », il a posé, en creux, les jalons d’un projet de privatisation.

      Dans un discours de clôture du congrès de la Conférence des présidents d’université (rebaptisée à cette occasion « France Universités »), Emmanuel Macron a fait le bilan de son quinquennat pour l’université et dessiné l’avenir qu’il imagine pour l’enseignement supérieur : une orientation universitaire dont la seule boussole serait le marché du travail, et une formation qu’il veut encore « plus efficacement professionnalisante ». Surtout, il a évoqué, sans prononcer les mots, une augmentation substantielle des frais de scolarité étudiante.

      Fier de son quinquennat, dont il a vanté la loi d’orientation et de réussite des étudiant·es, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), l’ouverture de places supplémentaires à l’université (sans plan d’ouvertures massives de postes d’enseignant·es-chercheurs et chercheuses ni réels moyens supplémentaires), les entrées et « bonds de géant » des universités françaises dans le classement de Shanghai (pourtant décrié), le président de la République a oublié de citer, par exemple, les déboires de Parcoursup depuis 2018, l’immolation d’un étudiant par le feu devant le Crous de La Madeleine à Lyon en 2019, l’apparition des étudiant·es en masse dans les files d’attente des distributions associatives d’aides alimentaires pendant la crise du Covid-19, et la baisse de la dépense publique par étudiant·e. Tout de même, Emmanuel Macron a reconnu qu’il faudrait « redoubler d’effort pour que, à l’horizon de dix ans, notre université soit plus forte ».

      Ainsi, ce discours face aux présidents d’université était plus celui d’un candidat que celui d’un président en exercice. Le projet dessiné ? Une augmentation des frais de scolarité, et un pas de plus vers la privatisation de l’université.
      Un raisonnement fondé sur des chiffres erronés

      Sans se prononcer explicitement pour une hausse des frais de scolarité, Emmanuel Macron l’a remise sur la table en prenant prétexte de la précarité étudiante et du pourcentage important d’étudiant·es qui abandonnent avant même les examens en première année de licence (50 % selon lui). « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale », a déclaré le chef de l’État.

      Si cette déclaration d’Emmanuel Macron n’est pas claire sur le prix que devront payer les étudiant·es pour accéder à l’université dans le système qu’il semble prôner, elle fait planer la possibilité de la création d’un accès réservé à celles et ceux qui en auront les moyens, ou qui auront accès à un prêt bancaire pour se le payer.

      Le quasi-candidat à la présidentielle semble vouloir calquer sa réforme « systémique » sur les systèmes anglo-saxons, où une bonne partie des étudiant·es s’endettent pour des années afin d’accéder aux études supérieures. Pourtant, aux États-Unis, la dette étudiante a atteint à la fin de l’année 2021 plus de 1 500 milliards de dollars, selon la FED, et représente désormais un véritable boulet pour l’économie.

      Mais cette déclaration présidentielle s’appuie sur des chiffres manifestement erronés. Il est d’abord mathématiquement impossible que « 50 % des étudiants seulement se présentent aux examens de première année », quand « le taux de passage en L2 des néo-bacheliers inscrits en L1 à la rentrée 2019 est de 53,5 % », d’après une note du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation publiée en novembre 2021 (https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-11/nf-sies-2021-24-15115.pdf).

      Ensuite, le financement du système de l’enseignement supérieur français n’est pas « beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde », puisque selon l’OCDE (tableau C2.2b : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/455a2bcc-en/index.html?itemId=/content/component/455a2bcc-en), la France finançait en 2018 à 80 % son système par des fonds publics pendant que, par exemple, l’Allemagne affichait un taux de 84 %, la Suède de 87 % et la Norvège de 95 % ! La réforme « systémique » de l’université française voulue par Emmanuel Macron tient sur des raisonnements scientifiquement peu solides.
      Une orientation dirigée par le marché du travail

      Jeudi, il a également jugé indispensable de pousser les universités à proposer des formations en fonction du marché du travail : « [Elles] ne devront d’abord plus seulement garantir l’accueil des étudiants dans une formation, mais garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi. » Si cette position pouvait avoir un sens il y a plusieurs décennies, cela fait longtemps que les universités se préoccupent de l’entrée dans la vie active de leurs étudiant·es.

      Les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur donnent un taux d’insertion à 18 mois de 89 % pour les masters et de 92 % pour les licences professionnelles. Surtout, la question de l’adéquation entre études et marché du travail est particulièrement délicate : il est impossible de connaître l’avenir de l’emploi plusieurs années après l’entrée dans les études, dans un monde en perturbations permanentes. À titre d’exemple, le sacrifice de la filière informatique à l’université (raconté ici par Mediapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/140921/universite-la-start-nation-sacrifie-la-filiere-informatique?onglet=full), à cause d’un manque de moyens, alors même que la demande industrielle est énorme, montre combien la volonté des établissements n’est pas forcément le problème principal.

      À entendre Emmanuel Macron, en tout cas, l’université devrait « devenir plus efficacement professionnalisante ». Elle ne le serait donc pas assez. Mais la sociologue Marianne Blanchard et ses collègues montrent que, lorsqu’on interroge de jeunes titulaires d’un diplôme de niveau bac+5 de master ou d’école, ils et elles considèrent que « le niveau de compétences spécifiques considéré comme acquis est en moyenne supérieur ou égal à celui estimé requis dans leur(s) emploi(s) ». En clair, ils et elles ne se considèrent pas comme « non professionnalisé·es ». Ces chercheuses et chercheurs expliquent aussi que les jeunes diplômé·es pensent « que leur capacité à acquérir ces nouvelles compétences, et donc à s’adapter à de nouveaux environnements de travail, est une compétence en soi que leur formation a contribué à développer ».
      Une remise en cause superficielle des grandes écoles

      Enfin, dans son discours de jeudi, Emmanuel Macron a semblé vouloir remettre en cause le système « grandes écoles-universités », en lançant : « Nous avons trop longtemps accepté un modèle à plusieurs vitesses, […] où les grandes écoles et organismes de recherche étaient supposés s’occuper de l’excellence et de la formation des élites, et les universités de la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la gestion des masses. Ce système est révolu. [...] Demain, ce sont nos universités qui doivent être les piliers de l’excellence, le centre de gravité pour la recherche comme pour la formation. » Faut-il lire, en creux, une volonté de disparition pure et simple des grandes écoles ? Dès lors, l’ambition serait-elle de chasser des universités les pauvres dont les bourses « coûtent un pognon de dingue », pour y faire venir les étudiant·es plus fortuné·es des grandes écoles ?

      https://www.mediapart.fr/journal/france/150122/universites-le-renforcement-systemique-promis-par-macron-cache-mal-un-proj

      #bilan #frais_de_scolarité #LPPR #classement_de_Shanghai #parcoursup #chiffres #statistiques #financement #taux_d'insertion #moyens

    • Discours de Macron : une réforme « systémique » de l’université pas si nouvelle et fantasque que ça…

      Le congrès du 13 janvier 2022 célébrant les 50 ans de feu la Conférence des Présidents d’Université (CPU) — dorénavant #France_Universités (sic) — aura eu son petit effet médiatique. Cependant, ce n’est pas #FU qui est au centre de l’attention depuis près d’une semaine mais le président Emmanuel Macron, qui y est intervenu en visioconférence, dans un discours verbeux et ampoulé1.

      Une phrase du chef de l’État a en effet suscité des réactions nombreuses et indignées de la part des mondes universitaire [2], étudiant [3], médiatique [4] et politique [5] (dont on peut parfois douter de la sincérité… [6]) :

      « On ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante et une difficulté à financer un modèle qui est beaucoup plus financé sur l’argent public que partout dans le monde pour répondre à la compétition internationale. » (p. 6)

      Malgré un flou artistique sur ce que voulait vraiment dire le Président, un consensus s’est formé autour de son probable projet pour l’enseignement supérieur : l’augmentation des frais d’inscription à l’université. En séances parlementaires, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (#MESRI), Frédérique Vidal, a été interpelée à ce sujet. Celle-ci y a catégoriquement démenti une telle interprétation des paroles de Macron [7]. Des macronistes se sont ensuite joint·es à elle pour dénoncer cette prétendue intox sur Twitter [8]. Ce SAV du discours du Président par la ministre culmine finalement avec un entretien dans Libération absolument lunaire [9].

      Au-delà de l’interprétation du discours, et du fait que le terme « évoquer » utilisé par Vidal (plutôt que « parler explicitement », cf. tweet de LCP) ne permet en rien de lever nos suspicions, existe-t-il des indications nous permettant de penser que Macron souhaiterait effectivement augmenter les frais d’inscription, en continuité avec sa politique depuis 2017 ? N’y aurait-il pas des précédents pendant son mandat ?

      Spoiler alert : oui, et oui à nouveau.

      Un précédent ?

      Alors que les macronistes égrainent dans leurs tweets une série de mesures qui démontrerait que, sous Macron, jamais les étudiant·es n’ont été aussi protégé·es (ce qui est de toute évidence faux), iels oublient systématiquement une mesure absolument honteuse : la hausse des frais d’inscription à l’université pour les étudiant·es extra-communautaires, passant de 170 à 2 770 euros en licence et de 243 à 3 770 euros en Master. Ce précédent, auquel le Conseil d’État n’a rien trouvé à redire [10], laisse penser qu’une telle hausse pourrait en principe être généralisée à tou·tes [11]. Mais est-ce dans le projet néo-libéral macroniste ?

      Un projet Macron-compatible ?

      Faisons d’abord un détour par l’#Institut_Montaigne, un think-tank néo-libéral. Ce dernier est consulté par le MESRI pour définir sa stratégie et sa politique ESR [12]. La collaboratrice de Vidal recrutée en juillet 2020, #Blanche_Leridon, est même passée par le think-tank de 2015 à 2018 [13]. Ce qui devient intéressant, c’est qu’en avril 2021, l’Institut faisait (à nouveau) des propositions sur une réforme de l’Université impliquant… une hausse des frais d’inscription, sans aucune ambiguïté ici ! [14]

      « [une] augmentation des droits de scolarité en licence à 900 € par an et à 1 200 € en master [qui] concernerait l’ensemble des universités, de manière uniforme » (p. 98–99)

      L’analogie ne s’arrête pas là puisque le think-tank propose, comme Macron (voir tableau en annexe) :

      – d’augmenter la part des #financements_privés dans les #fonds_universitaires ;
      - de résoudre la précarité étudiante par l’augmentation des frais d’inscription (ce que l’Institut Montaigne propose de faire en créant notamment des #prêts étudiants…) ;
      – de « remettre » la recherche au cœur des missions des universités au détriment des établissements de recherche, tels que le #CNRS, qui feraient office d’agences de moyens ;
      – de s’affranchir du « coût » que représente le tiers d’étudiant·es boursier·ères ;
      – la remise en cause du système historique Université–Grande école–EPST ;
      – le renforcement de la professionnalisation des formations universitaires ;
      – le renforcement de la #gouvernance des universités par leur #autonomisation.

      On remarquera tout de même quelques différences, notamment sur la précision de certains calculs puisqu’à l’inverse de Macron, l’Institut Montaigne montre que la France n’est pas la championne mondiale du financement public de ses universités ; le Président n’en étant pas à son premier raccourci grossier dans son discours [15]. Autre divergence notable, la transformation complète des EPST en agences de moyens n’est pas le scénario privilégié par le think-tank.

      Notons enfin que certain·es ont proposé à la suite du discours de Macron que l’augmentation des frais d’inscription serait inconstitutionnelle, sur la base d’une décision du Conseil constitutionnel en 2019 [16]. Cependant, ce dernier n’entérine pas la #gratuité de l’université mais sa « #modicité » ou #gratuité_payante. Un point que l’Institut Montaigne avait déjà bien pris soin de vérifier et qui serait selon lui compatible avec son projet de réforme, donc avec celui de Macron.

      « La question de la constitutionnalité d’une augmentation des droits de scolarité […] Il est donc possible de considérer que la proposition formulée [dans le rapport de l’Institut Montaigne] répond aux préoccupations du Conseil constitutionnel telles que précisées par le Conseil d’État. Des droits de scolarité annuels autour de 1 000 € apparaissent en effet modiques au regard du coût annuel moyen des formations dans l’enseignement supérieur (représentant autour de 10%).

      Ensuite, dans le cadre d’un prêt à remboursement contingent décrit ci-après, l’étudiant n’a à s’acquitter directement d’aucun droit sur la période de sa scolarité et le remboursement ultérieur de son emprunt sera fondé sur ses capacités financières. Un tel système, innovant et équitable, apparaît donc particulièrement adapté pour satisfaire aux obligations constitutionnelles pesant sur les droits de scolarité. » (p. 114–115)

      La comparaison entre le discours de Macron et celui du think tank est bluffante : il semblerait que l’un ait écrit l’autre, sans qu’on puisse savoir qui de la poule et l’œuf2 . L’ensemble des similarités entre le discours de Macron — et la politique ESR de son mandat — avec le rapport de l’Institut Montaigne montre le consensus libéral qui les unit sur la question de l’université. Une idéologie que l’un — l’Institut Montaigne — assume vis-à-vis de la question de l’augmentation des frais d’inscription, alors que l’autre — Macron et son gouvernement — la nie publiquement aussitôt l’avoir « évoquée ».

      Une difficulté à assumer qui en dit long sur l’absence de consensus dans la communauté académique et la société civile autour de ce projet de transformation de l’université.

      NB : au moment de l’écriture de ce billet, d’autres (ici le compte Twitter parodique @realUNIVFrance) ont aussi perçu le lien pour le moins troublant que nous décrivons. Le rapport de l’Institut Montaigne semble donc être une bonne grille de lecture pour comprendre le discours de Macron.

      Tableau annexe





      https://academia.hypotheses.org/33874

  • Le système de santé suisse risque de tomber malade

    La population de la Suisse vieillit, le nombre de cas de maladies complexes augmente. C’est un #défi énorme pour le #système_de_santé du pays, réputé pour sa qualité. Un défi rendu plus sérieux encore par le manque de #professionnels qualifiés : le #personnel_soignant est souvent sous #pression, parfois jusqu’à l’explosion.

    Les coûts augmentent, les plans de réforme échouent et le #personnel_qualifié fait défaut : le système de santé suisse n’est pas au mieux de sa forme. Le personnel soignant avait déjà tiré la sonnette d’alarme avant le coronavirus. Il se plaint de mauvaises conditions de travail et d’un manque de reconnaissance. Après un an et demi de pandémie, il est physiquement et psychiquement à bout de forces (cf. « Revue Suisse » 4/2021). La pression sur les soins continue cependant de croître, car les évolutions démographiques et sociétales ne cessent d’aggraver la situation. D’après les pronostics, le pays manquera d’environ 65 000 infirmières et infirmiers d’ici 2030. Les associations du personnel et les experts mettent en garde contre une pénurie. L’initiative populaire « Pour des soins infirmiers forts » est censée éviter que cela ne se produise. Le peuple votera le 28 novembre 2021.

    Beaucoup jettent l’éponge

    En Suisse, près de 214 200 personnes travaillent dans le secteur des soins, la plupart en hôpitaux (45 %) et en EMS (41 %). 14 % sont employées par des organisations extrahospitalières. Et bon nombre d’entre elles travaillent à temps partiel : un 100 % serait trop lourd, disent-elles. L’état des lieux est le suivant : le travail par équipes se concilie mal avec les intérêts privés et les obligations familiales, le travail est dur physiquement et psychiquement et la pression des économies dans le système de santé fait que les services emploient un minimum de personnel et sont contraints à l’efficacité. Infirmières et infirmiers ont souvent peu de temps pour répondre aux besoins individuels des patients et discuter de choses et d’autres avec eux. Ils souffrent de ne pas pouvoir exercer leur métier comme ils le souhaiteraient. Un grand nombre d’entre eux le quittent avant l’heure. Un tiers de celles et ceux qui jettent l’éponge n’ont même pas 35 ans.
    Les travailleurs étrangers à la rescousse

    Les postes mis au concours sont plus nombreux que jamais dans le secteur des soins en Suisse. Les responsables du personnel ont de la peine à les pourvoir. Ils embauchent donc souvent du personnel étranger. À l’Ostschweizer Kinderspital à Saint-Gall, par exemple, 42 % des médecins sont suisses, 36 % allemands et 8 % autrichiens. Le personnel infirmier diplômé compte quant à lui 86 % de Suisses. Les hôpitaux universitaires de Zurich et de Lausanne emploient en revanche bien davantage de travailleurs étrangers dans le secteur des soins, soit respectivement environ 60 % et 50 %. Les ménages privés engagent eux aussi de plus en plus de soignantes d’Allemagne et d’Europe de l’Est. Ces femmes sont en service presque 24 h/24, ont des salaires inférieurs et rentrent dans leur pays après quelques mois.

    Le fait de compenser les #sous-effectifs par de la #main-d’œuvre_étrangère est problématique pour des raisons éthiques : la Suisse compte sur des personnes qui ont été formées à l’étranger et dont l’étranger a besoin. À l’avenir, il pourrait être plus difficile de recruter hors de nos frontières, car les pays d’origine de ces travailleurs font davantage d’efforts pour les retenir. En même temps, les besoins en personnel continueront d’augmenter fortement en Suisse, notamment en raison du vieillissement de la population.

    Grand savoir-faire, peu d’autonomie

    Si l’on observe le nombre d’#infirmières et d’#infirmiers pour 1000 habitants, la Suisse s’en sort bien par rapport à d’autres pays. Mais il serait faux d’en conclure que la situation du métier est plus confortable qu’ailleurs, souligne Rebecca Spirig, professeure à l’Institut des sciences infirmières de l’université de Bâle : « Il faut considérer toutes les personnes qui sont prises en compte dans ce chiffre et comment elles sont employées. » En Allemagne, par exemple, le traitement des plaies ne fait partie du secteur des soins que depuis quelques années. En Suisse, la pratique des injections et la pose de perfusions sont comprises dans la formation de base. Aux États-Unis, ce sont des nurse practitioners qui prodiguent les premiers soins à la population. Et la Hollande a mis en place le modèle buurtzorg (aide à domicile) avec des équipes de soins à l’organisation très autonome, qui consultent, décident, traitent, coordonnent et font appel, si nécessaire, à d’autres professionnels.

    Les médecins ont un rôle prépondérant

    « La Suisse n’est pas une pionnière », relève Rebecca Spirig. Son #système_de_soins repose largement sur l’#expertise_médicale : « Les infirmières et infirmiers ont un grand savoir-faire, mais prennent peu de décisions. » En effet, même des mesures élémentaires comme le port de bas de contention requièrent une ordonnance médicale. À cela s’ajoute un certain flou : les personnes ayant besoin de soins et vivant chez elles ont souvent affaire à plusieurs prestataires de soins. Le personnel d’aide et soins à domicile fournit de l’aide pour l’hygiène corporelle quotidienne, change les pansements et soigne les plaies ; les médecins posent des diagnostics, traitent et prescrivent des thérapies ; les physiothérapeutes et les ergothérapeutes les conduisent. « Les soins ambulatoires manquent de structures et de processus homogènes », note Ursula Meider, de la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW). La concertation est souvent insuffisante, ce qui peut entraîner des doublons, des lacunes et des traitements inadéquats.

    De grands écarts de #qualité

    Comme de nombreux autres domaines du quotidien, le système de santé suisse possède une organisation fédéraliste. La Confédération fixe les grands axes et les cantons les mettent en œuvre, délégant à leur tour certaine tâches aux communes. Celles-ci sont responsables d’une partie des soins de longue durée et des soins ambulatoires prodigués aux personnes âgées. Ainsi, les services médicaux et sociaux et la manière dont ils collaborent diffèrent fortement d’un endroit à l’autre.

    On note des efforts visant à améliorer le réseau des soins de base et à le rendre plus efficace. Des cabinets communs apparaissent, surtout dans les campagnes, regroupant plusieurs groupes de métiers. Il existe aussi des modèles avec des structures extrahospitalières fortes et des transferts fluides vers les soins stationnaires, qui sont partiellement soutenus par les pouvoirs publics. « Nous avons évalué de bons exemples », souligne l’experte en soins infirmiers Rebecca Spirig. Mais il n’y a pas de volonté politique de les promouvoir et de les mettre en place à l’échelle suisse. La chercheuse de la ZHAW, Ursula Meidert, a la même impression : « De nombreuses autorités n’agissent que quand il n’est plus possible de faire autrement. »

    Certains acteurs défendent leurs propres intérêts

    La complexité du système fait qu’il est difficile d’établir des connexions et d’initier des réformes profondes à long terme. La politique nationale rechigne à prendre des décisions : elle se perd souvent dans des débats de principe et s’avère peu apte à trouver des compromis. Des idées d’amélioration ont déjà échoué plusieurs fois au seuil des Chambres fédérales, où des acteurs de poids – notamment le corps médical, les caisses-maladie et l’industrie pharmaceutique – ont une influence considérable. Mais le peuple aussi est souvent critique vis-à-vis des plans de réforme. En 2012, par exemple, il a rejeté un projet tendant à améliorer la coordination et la qualité des soins de base.

    Les adversaires de l’innovation agitent toujours la menace d’une hausse des coûts et se font ainsi l’écho d’une préoccupation largement répandue. Des études montrent toutefois que des structures homogènes et des processus efficaces aident à couvrir les coûts. Quand la collaboration entre les différents groupes de métiers s’améliore, les employés sont en outre plus satisfaits et restent plus longtemps dans le système de santé. Rebecca Spirig, qui fait partie du comité d’initiative, espère que celle-ci stimulera aussi une coopération accrue : « Un oui permettrait de lancer des réformes non seulement dans les soins, mais aussi dans tout le système de santé ».

    https://www.swisscommunity.org/fr/nouvelles-et-medias/revue-suisse/article/le-systeme-de-sante-suisse-risque-de-tomber-malade
    #pénurie #santé #travail #Suisse

  • Autour de l’#université, de la #science et de l’#enseignement, notamment de l’#enseignement_supérieur, quelques citations tirées du livre de #Nuccio_Ordine, L’utilité de l’inutile , 2016 [2013], Les belles lettres :

    « Quant aux professeurs, ils se transforment de plus en plus en modestes bureaucrates au service de la gestion de ces exploitations commerciales universitaires. Ils passent leurs journées à remplir des dossiers, à faire des calculs, à produire des rapports pour des statistiques (parfois inutiles), à tenter d’apurer les comptes de budgets toujours plus maigres, à répondre à des questionnaires, à préparer des projets pour obtenir des subsides misérables et à interpréter des circulaires ministérielles confuses et contradictoires. L’année universitaire s’écoule rapidement, au rythme d’un inlassable métronome bureaucratique qui règle le déroulement de toutes sortes de conseils (conseil d’administration, conseil de faculté, conseil de doctorat, conseil du département) et celui des interminables réunions générales.
    Il semble donc que plus personne ne se soucie comme il se doit de la #qualité de la recherche et de l’enseignement. Le fait même d’étudier (on oublie souvent qu’un bon professeur est avant tout un infatigable ‘étudiant’) et de préparer les cours devient un luxe qu’il faut négocier chaque jour avec la hiérarchie de l’université. On ne se rend plus compte que séparer complètement la recherche de l’enseignement, ce serait réduire finalement les cours à une répétition superficielle et livresque du déjà connu. »

    –-> Nuccio ORDINE, L’utilité de l’inutile, 2016 [2013], Les belles lettres, pp.83-84.

    « Les #études sont avant tout l’acquisition de #connaissances qui, détachées de toute obligation utilitaire, nous font grandir et nous rendent plus autonomes. […] Favoriser exclusivement la #professionnalisation des étudiants, ce serait perdre de vue la dimension universaliste de la fonction éducative de l’instruction : aucun #métier ne saurait être exercé en toute conscience, si les #compétences_techniques qu’il requiert ne sont pas subordonnées à une #formation_culturelle plus vaste, seule susceptible d’encourager les #étudiants à cultiver librement leur esprit et à laisser libre cours à leur curiositas. »

    –-> Nuccio ORDINE, L’utilité de l’inutile, 2016 [2013], Les belles lettres, p.85.

    « C’est précisément quand une nation subit une #crise qu’il est nécessaire de multiplier par deux les fonds destinés aux #savoirs et à l’#éducation des #jeunes, afin d’éviter que la société sombre dans l’abîme de l’#ignorance. […] Car saboter la #culture et l’#instruction, c’est saboter le futur de l’humanité. »

    –-> Nuccio ORDINE, L’utilité de l’inutile, 2016 [2013], Les belles lettres, pp.88-89.

    « Car saboter la culture et l’instruction, c’est saboter le #futur de l’humanité. »

    –-> Nuccio ORDINE, L’utilité de l’inutile, 2016 [2013], Les belles lettres, p.127.

    #ESR #recherche #facs #bureaucratie #livre #citation
    #curiosité

  • Mon activité d’#expert en ERP désigne les #professionnels qui ont une connaissance approfondie des gros systèmes de #gestion et peuvent les configurer, les personnaliser et les maintenir pour les entreprises.

    On me consulte pour faire de l’intégration, et je constate que mon interlocuteur n’est pas toujours au fait de ce dont il parle. En fait, un #intégrateur ERP est une personne ou une entreprise qui aide les organisations à mettre en place et à utiliser efficacement un système de planification des ressources d’entreprise (ERP).
    https://michelcampillo.com/blog/2349.html

  • Déclassement professionnel et fragilité des privilèges en migration

    Les immigré·es diplômé·es du supérieur font souvent l’expérience d’un déclassement lors de leur arrivée en France. Cette #mobilité_sociale vers le bas se traduit par l’obtention d’un premier #emploi dans une #profession moins privilégiée que celle occupée avant la migration.


    https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/07/07/defacto-027-05

    #migrations #déclassement #diplôme #travail #France #statistiques #chiffres #diplômés

    ping @karine4

  • The Last Thing Health Workers Should Have to Worry About

    Even as they were making countless sacrifices during the pandemic, health workers were targeted in 1,100+ attacks last year, according to a new report by Insecurity Insight and the UC Berkeley Human Rights Center. (https://globalhealthnow.us14.list-manage.com/track/click?u=eb20503b111da8623142751ea&id=77a43c9fac&e= )

    ~800 of the attacks were related to conflicts—hospitals bombed in Yemen, doctors abducted in Nigeria, according to the research. (https://globalhealthnow.us14.list-manage.com/track/click?u=eb20503b111da8623142751ea&id=6c479dc611&e= )

    Disturbing New Twist: ~400 attacks were directly tied to the pandemic, Physicians for Human Rights notes (https://globalhealthnow.us14.list-manage.com/track/click?u=eb20503b111da8623142751ea&id=ff464c1148&e= ), including:

    Threats, beatings, and attacks with stones or hot liquids

    Violent reactions to mask requirements

    Arson of COVID-19 testing facilities

    Pandemic-triggered violence was especially pronounced in India and Mexico, but it is a “truly global crisis,” affecting 79 countries, said Insecurity Insight’s Christina Wille, who led development of a new interactive map. (https://globalhealthnow.us14.list-manage.com/track/click?u=eb20503b111da8623142751ea&id=0f07d852aa&e= )

    Pandemic year 1 failures need to be replaced with immediate action to safeguard health workers, said Leonard Rubenstein, chair of the Safeguarding Health in Conflict Coalition. He highlights recommendations in a companion research brief: (https://globalhealthnow.us14.list-manage.com/track/click?u=eb20503b111da8623142751ea&id=2cbf478c02&e=)

    Counter disinformation

    End repression against health workers who speak up

    More protection for health workers

    Hold perpetrators accountable

    #Covid-19 #Santé_publique #Professions_de_santé #Monde

  • #Police attitude, 60 ans de #maintien_de_l'ordre - Documentaire

    Ce film part d´un moment historique : en 2018-2019, après des affrontements violents entre forces de l´ordre et manifestants, pour la première fois la conception du maintien de l´ordre a fait l´objet de très fortes critiques et d´interrogations insistantes : quelle conception du maintien de l´ordre entraîne des blessures aussi mutilante ? N´y a t-il pas d´autres manières de faire ? Est-ce digne d´un État démocratique ? Et comment font les autres ? Pour répondre à ces questions, nous sommes revenus en arrière, traversant la question du maintien de l´ordre en contexte de manifestation depuis les années 60. Pas seulement en France, mais aussi chez nos voisins allemands et britanniques, qui depuis les années 2000 ont sérieusement repensé leur doctrine du maintien de l´ordre. Pendant ce temps, dans notre pays les autorités politiques et les forces de l´ordre, partageant la même confiance dans l´excellence d´un maintien de l´ordre « à la française » et dans le bien-fondé de l´armement qui lui est lié, ne jugeaient pas nécessaire de repenser la doctrine. Pire, ce faisant c´est la prétendue « doctrine » elle-même qui se voyait de plus en plus contredite par la réalité d´un maintien de l´ordre musclé qui devenait la seule réponse française aux nouveaux contestataires - lesquels certes ne rechignent pas devant la violence, et c´est le défi nouveau qui se pose au maintien de l´ordre. Que nous apprend in fine cette traversée de l´Histoire ? Les approches alternatives du maintien de l´ordre préférées chez nos voisins anglo-saxons ne sont sans doute pas infaillibles, mais elles ont le mérite de dessiner un horizon du maintien de l´ordre centré sur un rapport pacifié aux citoyens quand nous continuons, nous, à privilégier l´ordre et la Loi, quitte à admettre une quantité non négligeable de #violence.

    https://www.dailymotion.com/video/x7xhmcw


    #France #violences_policières
    #film #film_documentaire #Stéphane_Roché #histoire #morts_de_Charonne #Charonne #répression #mai_68 #matraque #contact #blessures #fractures #armes #CRS #haie_d'honneur #sang #fonction_républicaine #Maurice_Grimaud #déontologie #équilibre #fermeté #affrontements #surenchère #désescalade_de_la_violence #retenue #force #ajustement_de_la_force #guerilla_urbaine #CNEFG #Saint-Astier #professionnalisation #contact_direct #doctrine #maintien_de_l'ordre_à_la_française #unités_spécialisées #gendarmes_mobiles #proportionnalité #maintien_à_distance #distance #Allemagne #Royaume-Uni #policing_by_consent #UK #Angleterre #Allemagne #police_militarisée #Irlande_du_Nord #Baton_rounds #armes #armes_à_feu #brigades_anti-émeutes #morts #décès #manifestations #contestation #voltigeurs_motoportés #rapidité #23_mars_1979 #escalade #usage_proportionné_de_la_force #Brokdorf #liberté_de_manifester #innovations_techniques #voltigeurs #soulèvement_de_la_jeunesse #Malik_Oussekine #acharnement #communication #premier_mai_révolutionnaire #Berlin #1er_mai_révolutionnaire #confrontation_violente #doctrine_de_la_désescalade #émeutes #G8 #Gênes #Good_practice_for_dialogue_and_communication (#godiac) #projet_Godiac #renseignement #état_d'urgence #BAC #brigades_anti-criminalité #2005 #émeutes_urbaines #régime_de_l'émeute #banlieue #LBD #flashball #lanceur_de_balles_à_distance #LBD_40 #neutralisation #mutilations #grenades #grenade_offensive #barrage_de_Sivens #Sivens #Rémi_Fraisse #grenade_lacrymogène_instantanée #cortège_de_tête #black_bloc #black_blocs #gilets_jaunes #insurrection #détachement_d'action_rapide (#DAR) #réactivité #mobilité #gestion_de_foule #glissement #Brigades_de_répression_des_actions_violentes_motorisées (#BRAV-M) #foule #contrôle_de_la_foule #respect_de_la_loi #hantise_de_l'insurrection #adaptation #doctrine #guerre_civile #défiance #démocratie #forces_de_l'ordre #crise_politique

  • La #Technopolice, moteur de la « #sécurité_globale »

    L’article 24 de la #loi_Sécurité_Globale ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt d’une politique de fond, au cœur de ce texte, visant à faire passer la #surveillance et le #contrôle_de_la_population par la police à une nouvelle ère technologique.

    Quelques jours avant le vote de la loi Sécurité Globale à l’Assemblée Nationale, le ministère de l’Intérieur présentait son #Livre_blanc. Ce long #rapport de #prospective révèle la #feuille_de_route du ministère de l’Intérieur pour les années à venir. Comme l’explique Gérard Darmanin devant les députés, la proposition de loi Sécurité Globale n’est que le début de la transposition du Livre dans la législation. Car cette loi, au-delà de l’interdiction de diffusion d’#images de la police (#article_24), vise surtout à renforcer considérablement les pouvoirs de surveillance des #forces_de_l’ordre, notamment à travers la légalisation des #drones (article 22), la diffusion en direct des #caméras_piétons au centre d’opération (article 21), les nouvelles prérogatives de la #police_municipale (article 20), la #vidéosurveillance dans les hall d’immeubles (article 20bis). Cette loi sera la première pierre d’un vaste chantier qui s’étalera sur plusieurs années.

    Toujours plus de pouvoirs pour la police

    Le Livre blanc du ministère de l’Intérieur envisage d’accroître, à tous les niveaux, les pouvoirs des différentes #forces_de_sécurité (la #Police_nationale, la police municipale, la #gendarmerie et les agents de #sécurité_privée) : ce qu’ils appellent, dans la novlangue officielle, le « #continuum_de_la_sécurité_intérieure ». Souhaitant « renforcer la police et la rendre plus efficace », le livre blanc se concentre sur quatre angles principaux :

    - Il ambitionne de (re)créer une #confiance de la population en ses forces de sécurité, notamment par une #communication_renforcée, pour « contribuer à [leur] légitimité », par un embrigadement de la jeunesse – le #Service_National_Universel, ou encore par la création de « #journées_de_cohésion_nationale » (page 61). Dans la loi Sécurité Globale, cette volonté s’est déjà illustrée par la possibilité pour les policiers de participer à la « #guerre_de_l’image » en publiant les vidéos prises à l’aide de leurs #caméras_portatives (article 21).
    - Il prévoit d’augmenter les compétences des #maires en terme de sécurité, notamment par un élargissement des compétences de la police municipale : un accès simplifié aux #fichiers_de_police, de nouvelles compétences en terme de lutte contre les #incivilités … (page 135). Cette partie-là est déjà en partie présente dans la loi Sécurité Globale (article 20).
    - Il pousse à une #professionnalisation de la sécurité privée qui deviendrait ainsi les petites mains de la police, en vu notamment des #Jeux_olympiques Paris 2024, où le besoin en sécurité privée s’annonce colossal. Et cela passe par l’augmentation de ses #compétences : extension de leur #armement, possibilité d’intervention sur la #voie_publique, pouvoir de visionner les caméras, et même le port d’un #uniforme_spécifique (page 145).
    - Enfin, le dernier grand axe de ce livre concerne l’intégration de #nouvelles_technologies dans l’arsenal policier. Le titre de cette partie est évocateur, il s’agit de « porter le Ministère de l’Intérieur à la #frontière_technologique » (la notion de #frontière évoque la conquête de l’Ouest aux États-Unis, où il fallait coloniser les terres et les premières nations — la reprise de ce vocable relève d’une esthétique coloniale et viriliste).

    Ce livre prévoit une multitude de projets plus délirants et effrayants les uns que les autres. Il propose une #analyse_automatisée des #réseaux_sociaux (page 221), des #gilets_connectés pour les forces de l’ordre (page 227), ou encore des lunettes ou #casques_augmentés (page 227). Enfin, le Livre blanc insiste sur l’importance de la #biométrie pour la police. Entre proposition d’#interconnexion des #fichiers_biométriques (#TAJ, #FNAEG, #FAED…) (page 256), d’utilisation des #empreintes_digitales comme outil d’#identification lors des #contrôles_d’identité et l’équipement des #tablettes des policiers et gendarmes (#NEO et #NEOGEND) de lecteur d’empreinte sans contact (page 258), de faire plus de recherche sur la #reconnaissance_vocale et d’#odeur (!) (page 260) ou enfin de presser le législateur pour pouvoir expérimenter la #reconnaissance_faciale dans l’#espace_public (page 263).

    Le basculement technologique de la #surveillance par drones

    Parmi les nouveaux dispositifs promus par le Livre blanc : les #drones_de_police, ici appelés « #drones_de_sécurité_intérieure ». S’ils étaient autorisés par la loi « Sécurité Globale », ils modifieraient radicalement les pouvoirs de la police en lui donnant une capacité de surveillance totale.

    Il est d’ailleurs particulièrement marquant de voir que les rapporteurs de la loi considèrent cette légalisation comme une simple étape sans conséquence, parlant ainsi en une phrase « d’autoriser les services de l’État concourant à la #sécurité_intérieure et à la #défense_nationale et les forces de sécurité civile à filmer par voie aérienne (…) ». Cela alors que, du côté de la police et des industriels, les drones représentent une révolution dans le domaine de la sécurité, un acteur privé de premier plan évoquant au sujet des drones leur « potentiel quasiment inépuisable », car « rapides, faciles à opérer, discrets » et « tout simplement parfaits pour des missions de surveillance »

    Dans les discours sécuritaires qui font la promotion de ces dispositifs, il est en effet frappant de voir la frustration sur les capacités « limitées » (selon eux) des caméras fixes et combien ils fantasment sur le « potentiel » de ces drones. C’est le cas du maire LR d’Asnières-sur-Seine qui en 2016 se plaignait qu’on ne puisse matériellement pas « doter chaque coin de rue de #vidéoprotection » et que les drones « sont les outils techniques les plus adaptés » pour pallier aux limites de la présence humaine. La police met ainsi elle-même en avant la toute-puissance du #robot par le fait, par exemple pour les #contrôles_routiers, que « la caméra du drone détecte chaque infraction », que « les agents démontrent que plus rien ne leur échappe ». Même chose pour la #discrétion de ces outils qui peuvent, « à un coût nettement moindre » qu’un hélicoptère, « opérer des surveillances plus loin sur l’horizon sans être positionné à la verticale au-dessus des suspects ». Du côté des constructeurs, on vante les « #zooms puissants », les « #caméras_thermiques », leur donnant une « #vision_d’aigle », ainsi que « le #décollage possible pratiquement de n’importe où ».

    Tout cela n’est pas que du fantasme. Selon un rapport de l’Assemblée nationale, la police avait, en 2019, par exemple 30 drones « de type #Phantom_4 » et « #Mavic_Pro » (ou « #Mavic_2_Enterprise » comme nous l’avons appris lors de notre contentieux contre la préfecture de police de Paris). Il suffit d’aller voir les fiches descriptives du constructeur pour être inondé de termes techniques vantant l’omniscience de son produit : « caméra de nacelle à 3 axes », « vidéos 4K », « photos de 12 mégapixels », « caméra thermique infrarouge », « vitesse de vol maximale à 72 km/h » … Tant de termes qui recoupent les descriptions faites par leurs promoteurs : une machine volante, discrète, avec une capacité de surveiller tout (espace public ou non), et de loin.

    Il ne s’agit donc pas d’améliorer le dispositif de la vidéosurveillance déjà existant, mais d’un passage à l’échelle qui transforme sa nature, engageant une surveillance massive et largement invisible de l’espace public. Et cela bien loin du léger cadre qu’on avait réussi à imposer aux caméras fixes, qui imposait notamment que chaque caméra installée puisse faire la preuve de son utilité et de son intérêt, c’est-à-dire de la nécessité et de la #proportionnalité de son installation. Au lieu de cela, la vidéosurveillance demeure une politique publique dispendieuse et pourtant jamais évaluée. Comme le rappelle un récent rapport de la Cour des comptes, « aucune corrélation globale n’a été relevée entre l’existence de dispositifs de vidéoprotection et le niveau de la délinquance commise sur la voie publique, ou encore les taux d’élucidation ». Autre principe fondamental du droit entourant actuellement la vidéosurveillance (et lui aussi déjà largement inappliqué) : chaque personne filmée doit être informée de cette surveillance. Les drones semblent en contradiction avec ces deux principes : leur utilisation s’oppose à toute notion d’information des personnes et de nécessité ou proportionnalité.

    Où serons-nous dans 4 ans ?

    En pratique, c’est un basculement total des #pratiques_policières (et donc de notre quotidien) que préparent ces évolutions technologiques et législatives. Le Livre blanc fixe une échéance importante à cet égard : « les Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024 seront un événement aux dimensions hors normes posant des enjeux de sécurité majeurs » (p. 159). Or, « les Jeux olympiques ne seront pas un lieu d’expérimentation : ces technologies devront être déjà éprouvées, notamment à l’occasion de la coupe de monde de Rugby de 2023 » (p. 159).

    En juillet 2019, le rapport parlementaire cité plus haut constatait que la Police nationale disposait de 30 drones et de 23 pilotes. En novembre 2020, le Livre blanc (p. 231) décompte 235 drones et 146 pilotes. En 14 mois, le nombre de drones et pilotes aura été multiplié par 7. Dès avril 2020, le ministère de l’Intérieur a publié un appel d’offre pour acquérir 650 drones de plus. Rappelons-le : ces dotations se sont faites en violation de la loi. Qu’en sera-t-il lorsque les drones seront autorisés par la loi « sécurité globale » ? Avec combien de milliers d’appareils volants devra-t-on bientôt partager nos rues ? Faut-il redouter, au cours des #JO de 2024, que des dizaines de drones soient attribués à la surveillance de chaque quartier de la région parisienne, survolant plus ou moins automatiquement chaque rue, sans répit, tout au long de la journée ?

    Les évolutions en matières de reconnaissance faciale invite à des projections encore plus glaçantes et irréelles. Dès 2016, nous dénoncions que le méga-fichier #TES, destiné à contenir le visage de l’ensemble de la population, servirait surtout, à terme, à généraliser la reconnaissance faciale à l’ensemble des activités policières : enquêtes, maintien de l’ordre, contrôles d’identité. Avec le port d’une caméra mobile par chaque brigade de police et de gendarmerie, tel que promis par Macron pour 2021, et la retransmission en temps réel permise par la loi « sécurité globale », ce rêve policier sera à portée de main : le gouvernement n’aura plus qu’à modifier unilatéralement son #décret_TES pour y joindre un système de reconnaissance faciale (exactement comme il avait fait en 2012 pour permettre la reconnaissance faciale à partir du TAJ qui, à lui seul, contient déjà 8 millions de photos). Aux robots dans le ciel s’ajouteraient des humains mutiques, dont le casque de réalité augmentée évoqué par le Livre Blanc, couplé à l’analyse d’image automatisée et aux tablettes numériques NEO, permettrait des contrôles systématiques et silencieux, rompus uniquement par la violence des interventions dirigées discrètement et à distance à travers la myriade de drones et de #cyborgs.

    En somme, ce Livre Blanc, dont une large partie est déjà transposée dans la proposition de loi sécurité globale, annonce le passage d’un #cap_sécuritaire historique : toujours plus de surveillance, plus de moyens et de pouvoirs pour la police et consorts, dans des proportions et à un rythme jamais égalés. De fait, c’est un #État_autoritaire qui s’affirme et se consolide à grand renfort d’argent public. Le Livre blanc propose ainsi de multiplier par trois le #budget dévolu au ministère de l’Intérieur, avec une augmentation de 6,7 milliards € sur 10 ans et de 3 milliards entre 2020 et 2025. Une provocation insupportable qui invite à réfléchir sérieusement au définancement de la police au profit de services publiques dont le délabrement plonge la population dans une #insécurité bien plus profonde que celle prétendument gérée par la police.

    https://www.laquadrature.net/2020/11/19/la-technopolice-moteur-de-la-securite-globale
    #France #Etat_autoritaire

    ping @isskein @karine4 @simplicissimus @reka @etraces

  • Écriture inclusive : un premier bilan de la #controverse

    Le 18 septembre 2020, une tribune publiée dans Marianne (https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/une-ecriture-excluante-qui-s-impose-par-la-propagande-32-linguistes-listen) signée par 32 linguistes prenait clairement position contre l’écriture inclusive ou, plus exactement, contre l’utilisation des graphies abrégées (par exemple : les étudiant·e·s). Cette tribune se présentait comme une mise au point objective dénonçant une pratique qui, selon ses signataires, « s’affranchit des #faits_scientifiques ».

    Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le 25 septembre 2020, une tribune signée par 65 linguistes (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/250920/au-dela-de-l-e-criture-inclusive-un-programme-de-travail-pour-la-lin) prenait le contre-pied de la première, alors que paraissaient en même temps un texte signé par Éliane Viennot et Raphaël Haddad et diverses analyses critiques (https://sysdiscours.hypotheses.org/155). Cette controverse pourrait paraître anecdotique. En réalité, on peut en tirer quelques enseignements intéressants sur les langues et leur fonctionnement, ainsi que sur l’utilisation du discours scientifique expert pour fonder des discours prescriptifs (« il faut… il ne faut pas… ») (https://information.tv5monde.com/video/l-ecriture-inclusive-pour-mettre-fin-l-invisibilisation-des-fe).

    Quelques jalons historiques

    Il y a 30 ans, en #France, un mouvement a conduit à la #féminisation des noms de fonctions, de métiers, de titres et de grades. Très vite relayé par les instances politiques, il visait à « apporter une légitimation des #fonctions_sociales et des #professions exercées par les #femmes » (Décret du 29 février 1984). Il a réussi à imposer, dans les usages et jusque sous la coupole de l’#Académie_française (déclaration du 28 février 2019), l’emploi de #formes_féminines qui ont été tantôt créées (une ingénieure, une sapeuse-pompière), tantôt réhabilitées (une autrice, une officière) ou tantôt simplement plus largement diffusées (la présidente, la sénatrice).

    Cette #prise_de_conscience a permis de faire évoluer la #langue_française de manière à répondre aux besoins des personnes qui s’expriment en #français. La difficulté à laquelle les francophones font face aujourd’hui concerne les (bonnes) manières d’utiliser ces #noms_féminins dans tous les domaines de la vie : administration, enseignement, politique, création artistique, entreprise, vie quotidienne, etc. L’écriture inclusive désigne non plus la féminisation, mais l’usage de ces noms féminins à côté des noms masculins dans les textes.

    L’écriture inclusive, dite aussi #écriture_épicène (en Suisse et au Canada), #écriture_non_sexiste ou #écriture_égalitaire, représente un ensemble de #techniques qui visent à faire apparaître une #égalité, ou une #symétrie, entre les #femmes et les #hommes dans les textes et à adopter un langage non discriminant par rapport aux femmes. Nous choisissons ici de considérer l’écriture inclusive sans l’#écriture_non_genrée, dite aussi neutre ou #non_binaire, qui poursuit un objectif d’inclusion bien sûr, mais également très spécifique : ne pas choisir entre le féminin et le masculin et ne pas catégoriser les personnes selon leur genre.

    Les règles qui ne font (presque) pas polémique

    Certaines règles de l’écriture inclusive sont largement acceptées et figurent dans l’ensemble des guides. Il n’y a pratiquement pas de divergences concernant les éléments suivants :

    (1) Utiliser des noms féminins pour désigner des femmes dans leur fonction, métier, titre ou grade : dire « Madame la Présidente » et non « Madame le Président », « la chirurgienne » et non « le chirurgien », « l’officière de la Légion d’honneur » et non « l’officier de la Légion d’honneur ». Notons que certains noms, malgré des racines connues, ne sont pas encore accueillis sans retenue (par exemple : autrice ou professeuse).

    (2) Utiliser l’expression « les femmes » dès qu’on désigne un groupe de femmes et réserver l’expression « la femme » (ou « la Femme ») pour renvoyer à un stéréotype : dire « la journée internationale des droits des femmes » ou « la situation des femmes en Algérie » ; mais dire « cette actrice incarne la femme fatale ».

    (3) Utiliser « humain, humaine » plutôt que « homme » pour désigner une personne humaine, comme dans « les droits humains », « l’évolution humaine ».

    (4) Toujours utiliser le terme « Madame » lorsqu’on s’adresse à une femme (comme contrepartie féminine de « Monsieur » lorsqu’on s’adresse à un homme) et ne plus utiliser « #Mademoiselle », qui crée une asymétrie, puisque « #Mondamoiseau » est rarement utilisé.

    (5) Ne pas nommer une femme d’après la fonction ou le titre de son mari : dire « la femme de l’ambassadeur » et non « l’ambassadrice ».

    (6) Utiliser les noms propres des femmes comme on utilise ceux des hommes. Ne pas utiliser le prénom d’une femme lorsqu’on utilise le nom de famille d’un homme, par exemple dans un débat politique (ne pas dire « Ségolène contre Sarkozy », ni « Ségo contre Sarko »). Faire de même pour les noms communs (ne pas dire « les filles de la Fed Cup » et « les hommes de la Coupe Davis »).

    Les règles qui suscitent la polémique

    D’autres règles suscitent encore des polémiques (en France et en Belgique notamment), parce qu’elles créent des façons d’écrire ou de parler qui paraissent inhabituelles. Les arguments invoqués pour défendre ou pour refuser ces règles relèvent de l’histoire de la langue, de la linguistique, de la sociologie ou de la psychologie du langage, et parfois de l’idéologie. Les études actuelles (une bibliographie est disponible ici : https://osf.io/p648a/?view_only=a385a4820769497c93a9812d9ea34419) nous apportent pourtant un regard scientifique qui devrait nous aider à naviguer dans les méandres de ce sujet.

    (1) Utiliser le masculin pour désigner une personne dont on ne connaît pas le genre, comme dans une offre d’emploi : « recherche informaticien (H/F) ». Il est prouvé que cette règle ne favorise pas un traitement équitable des femmes et des hommes. De nombreuses études scientifiques ont montré que l’emploi de termes uniquement au masculin (« un mathématicien, un directeur commercial, un musicien ») engendrait des #représentations_mentales masculines chez les adultes d’une part, mais également chez les jeunes. Même si cet usage est permis par la grammaire française, il semble, par exemple, influencer les #aspirations_professionnelles des jeunes. Il a comme conséquence, notamment, de diminuer le degré de confiance des filles et leur sentiment d’auto-efficacité à entreprendre des études pour ces #métiers). Il donne également l’impression aux jeunes que les hommes ont plus de chances de réussir dans ces métiers : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.01437/full). Dans des secteurs où l’on cherche à créer plus de mixité, comme les sciences et technologies, ou les soins infirmiers, le masculin dit générique devrait être évité.

    (2) Utiliser le #masculin_pluriel pour désigner des groupes qui contiennent des femmes et des hommes, comme « les musiciens » pour désigner un groupe mixte. Il est prouvé que cette règle ne favorise pas une interprétation qui correspond à la réalité désignée. Des scientifiques ont montré de manière répétée (et dans plusieurs langues) que, même si la grammaire autorise une interprétation « générique » du masculin pluriel, cette interprétation n’est pas aussi accessible ou fréquente que l’interprétation spécifique (masculin = homme) (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0388000120300619?dgcid=author). Cette différence d’accessibilité a été expliquée par différents facteurs), comme l’apprentissage du genre grammatical, qui suit invariablement la même séquence : nous apprenons le sens spécifique du masculin (masculin = homme) avant son sens générique. En d’autres termes, quand on dit « les musiciens », la représentation mentale qui se forme le plus aisément est celle d’un groupe d’hommes, le sens spécifique du masculin étant beaucoup plus simple et rapide à activer. La représentation mentale d’un groupe de femmes et d’hommes est plus longue à former et plus difficile d’accès. Le #biais_masculin induit par la forme grammaticale masculine a été démontré dans différents contextes et différents pays (par exemple, en France : https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2008_num_108_2_30971 ; en Suisse : https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/20445911.2011.642858 ; et récemment au Québec). Fait assez rare en sciences, il n’existe, à notre connaissance, aucune donnée contredisant la dominance automatique du sens spécifique du masculin.

    Si l’on souhaite activer l’image de groupes mixtes, il est préférable d’utiliser d’autres stratégies que le masculin, comme les doublons : « les chirurgiennes et les chirurgiens ». Malgré ces résultats, certaines personnes, parfois au travers de guides d’écriture, engagent à ne pas utiliser de doublons. Différentes raisons sont avancées, souvent sans réels fondements scientifiques. Par exemple, les #doublons entraveraient la lecture. À notre connaissance, aucune étude ne corrobore cette idée. Il existe une étude qui montre que même si à la première occurrence d’un doublon, la lecture est ralentie, dès la deuxième occurrence, la lecture redevient tout à fait normale (effet d’habituation : https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2007_num_107_2_30996)). L’idée que les personnes qui utilisent des doublons ne parviendraient pas à réaliser les accords grammaticaux dans les textes est également étonnante, surtout si l’on observe un retour de l’accord de proximité : https://journals-openedition-org.sid2nomade-2.grenet.fr/discours/9542), accord particulièrement adapté à l’utilisation des doublons.

    En revanche, des études scientifiques (https://doi.apa.org/doiLanding?doi=10.1037%2Fpspi0000094) montrent que l’#ordre choisi pour présenter chaque élément de la paire (« les boulangères et les boulangers » vs « les boulangers et les boulangères ») a un effet sur l’interprétation : l’élément présenté en premier est perçu comme plus central ou plus important : http://epubs.surrey.ac.uk/811895.

    (3) Certaines personnes engagent aussi à ne pas utiliser de #formes_abrégées qui permettent de présenter les doublons à l’écrit : « les étudiant·es », « les pharmacien-nes ». Les résultats actuels de la recherche scientifique sont trop limités pour se prononcer de manière définitive à ce sujet. Une étude : https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2007_num_107_2_30996) a mesuré l’effet des doublons sous forme abrégée sur la lecture. Elle concerne un public d’étudiantes et d’étudiants pour lesquels un léger ralentissement de la lecture était mesuré à la première apparition de ces formes, mais se normalisait ensuite. Pour autant, on ne peut pas conclure de cette étude que l’effet serait identique, ou différent, pour d’autres populations. Et les raisons de l’effet de ralentissement, comme de l’effet d’habituation, ne sont pas encore réellement connues.

    Il a également été montré que présenter des métiers sous une forme contractée (à l’époque avec une parenthèse) pouvait augmenter le degré de confiance des filles et le sentiment d’auto-efficacité à entreprendre des études pour ces métiers (https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2005_num_105_2_29694). La recherche doit néanmoins continuer de tester l’effet de ces #formes_abrégées : en fonction du signe typographique utilisé (tiret, point médian, etc.) ; en fonction des publics de différents âges, niveaux d’éducation, niveaux socio-économiques ; en fonction des types de textes. Seules des recherches complémentaires permettront de proposer des règles mieux informées pour réguler l’usage de ces formes, apparues principalement pour répondre aux limites de signes imposées dans différents domaines (journalisme, Internet…).

    (4) Enfin, certains guides recommandent plus de souplesse dans la gestion des #accords. À la règle établie de l’accord au masculin générique (« le frère et les sœurs sont arrivés »), ils suggèrent de laisser la possibilité d’appliquer l’#accord_de_proximité (avec le terme le plus proche : « le frère et les sœurs sont arrivées »), l’#accord_de_majorité (avec l’élément le plus important en nombre : « les sœurs et le frère sont arrivées »), ou un #accord_au_choix. L’argument historique est souvent invoqué, à juste titre : l’accord de proximité s’observe dans les textes anciens à hauteur de 45 % des cas (https://books.openedition.org/pusl/26517), mais il reste toujours moins fréquent que l’accord au masculin. L’argument historique ne permet ni de revendiquer un « retour » exclusif à l’accord de proximité, puisqu’il a toujours cohabité avec d’autres formes d’accords. Il ne permet pas non plus de l’exclure, puisqu’il a eu de l’importance. La recherche devrait montrer quels problèmes spécifiques, dans l’apprentissage, la rédaction ou la compréhension des textes, posent ces différents types d’accords.

    La guerre de l’écriture inclusive n’aura pas lieu

    Les connaissances scientifiques actuelles permettent de clarifier le #bien-fondé de certaines règles qui suscitent des #désaccords. Pour d’autres règles, pourtant défendues ou contestées de manière très assertive, il faut savoir reconnaître que les connaissances actuelles ne permettent pas encore de trancher. La recherche doit continuer à se faire afin d’apporter des arguments aux outils proposés.

    La #langue_française n’est pas seulement le domaine des scientifiques. En tant que scientifiques, nous pensons qu’il faut laisser les #usages se développer car ils répondent à des besoins communicatifs et sociaux fondamentaux. Tous les usages ne sont pas appropriés à tous les genres de l’écrit, mais la norme ne doit pas s’imposer de manière étouffante. Faisons confiance aussi aux francophones.

    https://theconversation.com/ecriture-inclusive-un-premier-bilan-de-la-controverse-147630

    #écriture_inclusive #choix #neutralité #catégorisation #masculin_générique

  • Ah ! enfin ! Ma profession reconnue !

    Catégories : Hamacs professionnels

    https://hammock-outlet.eu/fr/outdoor-camping/pro-hammocks

    Depuis le temps... que pleuvent les brousoufs diable, j’ai besoin d’un quilt et ça coûte un cul...

    https://www.youtube.com/watch?v=PG-0ktBEGk0

    sinon, j’en profite pour sans honte pour promouvoir mon savoir faire : je fabrique des #whoopie_sling avec plaisir, faut juste payer les matériaux.

    https://www.youtube.com/watch?v=wbaiSv-hVHA

    #professionnalisation #la_crise_quelle_crise_ ?

  • Quand l’Université rend hommage à "ses" morts qui "le méritent"... Les nécrologies d’universitaires : carnet noir mondain ? Expression d’une sociabilité professionnelle ? Reproduction d’un entre-soi ? #université #mémoire #mort #professions

    https://sms.hypotheses.org/24922

    L’Université rend régulièrement hommage à ses disparus qui « le méritent » et qui lui « font honneur ». L’hommage revêt diverses formes : attribution du nom du défunt à une institution académique (université, institut, laboratoire), un local (salle des thèses, amphithéâtre, bibliothèque), un grand équipement (télescope, coupole astronomique), un prix scientifique. Il prend aussi celle d’ouvrages, de manifestations spécifiques (journées d’études, colloques, commémorations…) et bien entendu, de nécrologies.

    Les nécrologies sont des textes d’hommage oraux ou écrits, de taille et de nature variables, rendus publics après le décès : articles et notices nécrologiques, communiqués de presse, éloges funèbres… Elles ont souvent été étudiées en tant que genre littéraire ou rédactionnel, ou encore sous l’angle de la rhétorique. On peut aussi les analyser comme des gestes mémoriels ainsi que des révélateurs de pratiques sociales, de discours, de valeurs et de comportements renvoyant à la nature d’un monde social particulier, l’Université (...)

  • Les médecins immigrés, un contingent vital pour les systèmes de santé des pays riches
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/05/15/les-medecins-immigres-un-contingent-vital-pour-les-systemes-de-sante-des-pay

    « Dans la mondialisation actuelle, il y a une forme de course aux talents, explique Yasser Moullan, chercheur associé à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Les médecins font de plus en plus l’objet de politiques migratoires, reflétant le besoin criant qu’en ont les pays d’accueil. » Ces soignants constituent un contingent vital pour les pays riches, dans un contexte de pénurie chronique à l’échelle mondiale. La moitié des pays de la planète ne dispose ainsi que de 15 médecins pour 10 000 habitants. En 2013, selon sa dernière évaluation, l’OMS estimait le besoin total à 17,4 millions de professionnels de santé. L’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud sont les zones où ce manque est le plus criant. Les pays riches pâtissent eux aussi de carences. En France, par exemple, plus du quart des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, faute de candidats, d’après le Centre national de gestion (CNG), l’organisme de gestion des carrières médicales à l’hôpital. Pour faire face à ces pénuries, les pays de l’OCDE recourent de plus en plus aux médecins étrangers : en 2000, ces derniers représentaient 21 % du personnel médical, puis près de 24 % dix ans plus tard, et pas loin de 27 % en 2016. « Les migrations de professionnels de santé continuent de s’accentuer, note Mathieu Boniol, statisticien à l’OMS. Cela s’explique par de nombreux facteurs, notamment la capacité à être mobile, les formations de bon niveau qui se développent dans beaucoup de pays, et toutes les raisons économiques qui poussent les gens à migrer pour trouver un emploi. »

    #Covid-19#migrant#migration#médecin#professionnels-santé#santé#système-santé

  • Plateforme Enfance & Covid

    Etre 24h sur 24 confinés avec les enfants pendant des jours et des jours (en plus du télétravail etc.) demande beaucoup de ressources. La plateforme Enfance & Covid www.enfance-et-covid.org vous propose des #fiches_pratiques, des #vidéos, des #informations pour vous donner des pistes pour essayer différentes façons de faire avec les #enfants durant cette période inédite. Vous avez des questions, vous avez l’impression de vous retrouver dans une impasse, n’hésitez pas à contacter le #numéro_vert. Parents, futurs parents et professionnels de la petite enfance, 160 professionnels bénévoles sont disponibles pour vous de 10h à 18h du lundi au samedi pour vous accompagner au quotidien dans cette période difficile.

    Les 5 options du numéro Vert 0 805 827 827 :

    Vous êtes parent et vous avez des questions taper 1
    Vous êtes #professionnels_de_l'enfance taper 2
    Votre question concerne la #grossesse ou un #nouveau-né taper 3
    Votre question concerne l’#école_à_la maison taper 4
    Vous avez besoin d’un #soutien_psychologique taper 5

    N’hésitez pas à diffuser l’information autour de vous !

    Pour le comité Enfance & Covid

    Rebecca Shankland

    Psychologue, Maître de Conférence, Département Carrières Sociales

    Responsable de l’Observatoire de la Parentalité et du Soutien à la Parentalité

    Université Grenoble Alpes

    http://www.enfance-et-covid.org

    #enfance #enfants #confinement #conseils #parentalité

  • « Rester confiné chez soi, sur son canapé, n’a strictement rien à voir avec une période de #guerre »

    Les mots ont un sens. « La #pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des mesures plutôt opposées à un temps de guerre » explique l’économiste et chroniqueur de Basta ! Maxime Combes dans cette tribune.

    Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie

    « Nous sommes en guerre ». A six reprises, lors de son allocution, Emmanuel #Macron a utilisé la même expression, en essayant de prendre un #ton_martial. L’anaphore voulait marquer les esprits et provoquer un effet de #sidération. Avec deux objectifs sous-jacents. L’un sanitaire : s’assurer que les mesures de #confinement – mot non prononcé par le président de la République – soient désormais appliquées. L’autre politique : tenter d’instaurer une forme d’#union_nationale derrière le chef de l’Etat. Le tout également pour faire oublier les mesures contradictoires et les hésitations coupables de ces derniers jours.

    Pourtant les mots ont un sens. Et c’est non, mille fois non : nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. C’est suffisant, et totalement différent. Aucun État, aucun groupe armé n’a déclaré la guerre à la France, ou à l’Union européenne. Pas plus que la France n’a déclaré la guerre (article 35 de la Constitution) à un autre État. Le #Covid-19 ne se propage pas en raison du feu de ses blindés, de la puissance de son aviation ou de l’habilité de ses généraux, mais en raison des mesures inappropriées, insuffisantes ou trop tardives prises par les pouvoirs publics.

    La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des #mesures plutôt opposées à un temps de guerre

    Non, le virus Covid-19 n’est pas un « #ennemi, invisible, insaisissable, et qui progresse » comme l’a affirmé Emmanuel Macron ce lundi 16 mars. C’est un #virus. Un virus qui se propage au sein d’une population non immunisée, porté par nombre d’entre nous et disséminé en fonction de l’intensité de nos relations sociales. Il est très contagieux, se propage vite et peut avoir des conséquences terribles si rien n’est fait. Mais c’est un virus. Pas une armée. On ne déclare pas la guerre à un virus : on apprend à le connaître, on tente de maîtriser sa vitesse de propagation, on établit sa sérologie, on essaie de trouver un ou des anti-viraux, voire un vaccin. Et, dans l’intervalle, on protège et on soigne celles et ceux qui vont être malades. En un mot, on apprend à vivre avec un virus.

    Oui, les mots ont un sens. Nous ne sommes pas en guerre car la pandémie à laquelle nous sommes confrontés exige des mesures plutôt opposées à celles prises en temps de guerre : ralentir l’activité économique plutôt que l’accélérer, mettre au #repos_forcé une part significative des travailleuses et travailleurs plutôt que les mobiliser pour alimenter un effort de guerre, réduire considérablement les #interactions_sociales plutôt qu’envoyer toutes les forces vives sur la ligne de front. Quitte à provoquer, disons-le ainsi : rester confiné chez soi, sur son canapé ou dans sa cuisine, n’a strictement rien à voir avec une période de guerre où il faut se protéger des bombes ou des snipers et tenter de survivre.

    Il n’est pas question de sacrifier le personnel médical, au contraire, il faut savoir les protéger

    Cette référence à la « guerre » convoque par ailleurs un #imaginaire_viril peuplé d’#héroïsme_masculin – bien que largement démenti par les faits – et du sacrifice qui n’a pas lieu d’être. Face au coronavirus – et à n’importe quelle pandémie – ce sont les #femmes qui sont en première ligne : 88 % des infirmières, 90 % des caissières, 82 % des enseignantes de primaire, 90 % du personnel dans les EHPAD sont des femmes. Sans même parler du personnel de crèche et de garderie mobilisés pour garder les enfants de toutes ces femmes mobilisées en première ligne. Le #personnel_médical le dit clairement : nous avons besoin de soutien, de #matériel_médical et d’être reconnus comme des #professionnels, pas comme des #héros. Il n’est pas question de les sacrifier. Au contraire, il faut savoir les protéger, en prendre soin pour que leurs compétences et leurs capacités puissent être mobilisés sur le long terme.

    Non, définitivement, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes face à une pandémie. Et c’est déjà bien assez. Nous ne sommes pas des soldats, mais des citoyennes et citoyens. Nous ne voulons pas être gouvernés comme en temps de guerre. Mais comme en temps de pandémie. Nous n’avons pas d’ennemi. Ni à l’extérieur, ni à l’intérieur des frontières. Confrontés pendant des semaines à l’incurie d’un gouvernement incapable de prononcer un discours clair et des #mesures cohérentes entre elles, nous sommes juste des citoyennes et citoyens progressivement en train de comprendre que la meilleure chose à faire est de rester confinés. A devoir apprendre à vivre au ralenti. Ensemble mais sans se rencontrer. A rebours de toutes les exigences de #compétitivité et de #concurrence qui nous ont été assénées depuis des dizaines d’années.

    Instituer la #solidarité et le soin comme principes cardinaux, pas les valeurs martiales et belliqueuses

    Lutter contre la pandémie du coronavirus n’est pas une guerre car il n’est pas question de sacrifier les plus vulnérables au nom de la raison d’État. Comme celles qui sont en première ligne, il nous faut au contraire les protéger, prendre soin d’eux et d’elles, y compris en se retirant physiquement pour ne pas les contaminer. SDF, migrant.e.s, les plus pauvres et plus précaires sont des nôtres : nous leur devons pleine et entière assistance pour les mettre à l’abri, autant que faire se peut : la #réquisition de logements vides n’est plus une option. Lutter contre le coronavirus c’est instituer la solidarité et le #soin comme les principes cardinaux de nos vies. La solidarité et le soin. Pas les valeurs martiales et belliqueuses.

    Ce principe de solidarité ne devrait d’ailleurs pas avoir de frontière, car le virus n’en a pas : il circule en France parce que nous circulons (trop) dans le pays. Aux mesures nationales, voire nationalistes, brandies ici et là, nous devrions collectivement étendre ce principe de solidarité à l’international et nous assurer que tous les pays, toutes les populations puissent faire face à cette pandémie. Oui, la mobilisation doit être générale : parce qu’une #crise_sanitaire mondiale l’exige, cette #mobilisation doit être généralisée à la planète entière. Pour que pandémie ne rime pas avec inégalités et carnages chez les pauvres. Ou simplement chez les voisins.

    Point besoin d’#économie_de_guerre, juste d’arrêter de naviguer à vue

    Alors, oui, sans doute faut-il prendre des mesures d’exception pour réorganiser notre système économique autour de quelques fonctions vitales, à commencer par se se nourrir et produire le matériel médical nécessaire. Deux mois après les premières contaminations, il est d’ailleurs incroyable qu’il y ait encore des pénuries de #masques pour protéger celles qui sont en première ligne : réorienter, par la réquisition si nécessaire, des moyens de production en ce sens aurait déjà dû être fait. Histoire de ne pas avoir à refuser d’exporter des masques comme l’UE le fait désormais, y compris avec la Serbie qui a pourtant entamé son processus d’adhésion : où est donc la solidarité européenne ?

    Point besoin d’économie de guerre pour cela. Juste besoin d’arrêter de naviguer à vue et d’enfin prendre les mesures cohérentes entre elles, fondées sur ce principe de solidarité, qui permettront que chaque population, riche ou pauvre, puisse faire face à la pandémie. La participation consciente et volontaire de l’ensemble de la population aux mesures de confinement nécessaires n’en sera que facilitée. Et la dynamique de l’épidémie d’autant plus facilement brisée. Le monde de demain se joue dans les mesures d’exception d’aujourd’hui.

    Maxime Combes, économiste et membre d’Attac.

    https://www.bastamag.net/pandemie-covid19-coronavirus-Macron-guerre-virus-confinement
    #épidémie #vocabulaire #terminologie #mots #coronavirus

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    • Non Monsieur le Président de la République, nous ne sommes pas en guerre

      La déclaration du Chef de l’Etat qui amène un confinement général de la population et n’autorise les déplacements que par dérogation marque un véritable tournant dans la lutte contre l’épidémie généralisée en France. La guerre est déclarée ? Non Monsieur le Président, la Résistance collective est à l’ordre du jour pour sortir de cette épreuve.

      La déclaration du Chef de l’Etat ce 16 mars qui amène un confinement général de la population et n’autorise les déplacements que par dérogation marque un véritable tournant dans la lutte contre l’épidémie généralisée en France. Jusque-là des recommandations, des consignes, des prescriptions amenaient chacun à prendre sa part à la sûreté de contacts raréfiés. Point de contrôle, point de sanctions mais appel à prendre conscience des mesures d’hygiène à respecter puis du confinement.

      La crise sanitaire s’aggrave comme attendue. Les contaminations réalisées avant l’effectivité des mesures successives ne produisent leurs effets en terme de symptômes, qu’après le délai d’incubation de 5 à 14 jours comme nous pouvons le lire ici et là. Il y a donc mécaniquement une aggravation inévitable avant les possibles effets de ralentissement si ces mesures sont efficaces et suffisantes. Insuffisantes, à l’évidence les mesures prises jusqu’ici l’étaient, raison essentielle d’un strict confinement depuis ce 17 mars à midi.

      Crainte des autorités et politique de santé

      La crainte des autorités que partagent tous les observateurs attentifs - et ils sont nombreux - est la saturation des possibilités d’hospitalisation en réanimation pour les symptômes les plus graves qui menacent la vie même du patient avec une vulnérabilité particulière des personnes âgées ou des personnes souffrant de co-morbidités (affections chroniques ou déficiences organiques etc) sans exclure pour autant ces développements graves de la maladie respiratoire chez des sujets plus jeunes ou à l’occasion d’une « deuxième vague ».

      Cette crainte est d’autant plus vive que nos responsables gouvernementaux, le Chef de l’Etat lui-même, savent bien que les politiques de santé menées depuis des décennies, poursuivies et aggravées depuis la dernière présidentielle à coups d’économies budgétaires inconséquentes ont largement diminuées la capacité à faire face aux circonstances exceptionnelles que nous connaissons aujourd’hui. Les gouvernements successifs, et plus encore celui-ci, quand les économies en grattant toujours plus ont atteint l’os, sont restés sourds aux demandes, revendications, exhortations des professionnels de santé, de leurs organisations syndicales y compris même au début de cette épidémie. Quelle imprévoyance ! La préparation aux moyens de la protection elle-même est manifestement déficiente : les volumes des gels hydroalcooliques, masques, équipements divers sont largement insuffisants ou limites même pour les professionnels de santé, hôpitaux et médecine de ville, sont même menacés de pénurie dans des délais relativement brefs (déclaration Olivier Véran, ministre de la santé).

      Il faut l’abnégation de ceux et celles à qui on a refusé les moyens de soigner, pour faire face, héroïquement chaque jour, à cette montée des périls. La fermeture d’hôpitaux, de services et de lits, la fermeture de postes de soignants pèsent aujourd’hui dans cette lutte de résistance, jour après jour, pied à pied. Les encenser aujourd’hui ne disculpe pas de sa responsabilité, de ses choix politiques.

      Il faudra en rendre compte au peuple français après l’épreuve en changeant radicalement de politique de santé en associant les organisations syndicales et les forces vives du pays : la santé est un bien collectif pas seulement l’affaire du ministère et du gouvernement ! Il faut espérer que cet épisode douloureux amènera un changement complet de politique de santé pour faire face à d’autres épidémies qui ne manqueront pas d’arriver. Elles ne manquerons pas d’arriver dans un monde dominé par la recherche du profit à tout prix pesant en premier lieu sur la santé des populations qui ne pèse pas lourd face aux profits des firmes pharmaceutiques, phyto-sanitaires, tabagiques, agro-alimentaires et de toutes celles qui commercialisent ou utilisent des produits toxiques en semant le doute sur cette toxicité quand bien même ils ont les preuves – qu’ils cachent – d’effets graves sur la santé. Le profit d’abord et quand ce sont des milliards à la clef, on peut tout se permettre et tout maquiller.

      Malheureusement, pour le moment et dans les semaines qui viennent, nous voyons et verrons les résultats de cet abaissement des digues : l’affaiblissement des effectifs soignants et les nombreuses fermetures notamment des hôpitaux de proximité ont abaissé dramatiquement le seuil de saturation des services de réanimation qui prennent en charge les malades du CoVid-19. Nous, c’est-à-dire les citoyen.ne.s de ce pays, en feront les frais. Les petits hôpitaux aujourd’hui avec leurs soignants seraient une réserve de lits pour endiguer ce flot croissant comme autrefois les terrains ouverts sur le Rhône absorbaient les inondations périodiques.

      Nous ne sommes pas en guerre mais en Résistance

      Aujourd’hui si les soignants sont en première ligne y compris avec un risque pour leur propre santé, tous les professionnels de la logistique alimentaire, pharmaceutique, administrative sont à leur côté et assurent le service du public, au service de la Nation.

      La guerre est déclarée ? Non Monsieur le Président, nous ne sommes pas en guerre. Vous devez organiser la Résistance avec nous. Avec la guerre, le chef s’adjuge tous les pouvoirs pour vaincre, ne cherche aucunement à convaincre mais à imposer, à contraindre pour mener la bataille comme il l’entend et dans ce cas, les contestataires et les critiques sont traître et traîtrise à faire taire, vite et bien.

      La stigmatisation de groupes au contact vus à la télé sur les bords de Seine, dans des parcs amène un discours sur l’irresponsabilité de certain.e.s qui n’ont pas pris la mesure du danger pour eux et pour les autres, prétexte à introduire le contrôle et la sanction. C’est un peu facile ! Facile d’oublier son propre manque de responsabilité dans la politique de riches menée depuis son accession à la Présidence notamment la politique de santé qui a abaissé le niveau de protection, de l’assurance-chômage qui abaisse les droits et indemnisations des chômeurs, des chercheurs précarisés qui doivent plus chercher des financements que faire de la recherche. Etait-il bien responsable de matraquer et blesser ces Gilets Jaunes durant plus d’un an sans les entendre, de les poursuivre aujourd’hui pénalement pour se venger d’avoir eu peur et de s’être laissé déborder sur les Champs-Elysées ? Sans parler de bien des affaires qui ont amené certain.e.s à démissionner.

      Reconnaissons-le, la responsabilité n’est chose aisée pour personne surtout dans une société où l’enjeu est de passer la patate chaude de la responsabilité à un.e autre. La première intervention du chef de l’état du 12 mars a certainement manqué de punch pour responsabiliser. Les réactions dimanche sous le soleil sont aussi à inscrire, sans les excuser, à un déni d’ordre psychique d’entrée dans cette période de restriction, en gros, encore un dernier bol d’air avant le confinement. Après, il est possible de rappeler en direct le danger et le devoir. Pourquoi, in fine, et à peu près systématiquement - en acte contrairement aux paroles – devrait-on prendre la population pour non-responsable collectivement ? Individuellement, nous le sommes tour à tour pour, pour sujet plus ou moins important mais collectivement nous pouvons être sérieusement responsables (un peu comme la patience dans mille impatiences) surtout face à ce danger réel, palpable, identifié.

      Le confinement par la force ou la responsabilité ?

      Mais l’ennemi est là, l’invasion a eu lieu : le virus est partout. Oui, le cap doit être clair pour résoudre cette crise d’exception mais faire appel à 100.000 policiers et gendarmes c’est s’engager dans une voie où la coercition, la sanction dispensent de convaincre tout en faisant « comme si », double discours qui rappelle celui pour le premier tour des municipales. Dans ces conditions, la menace de sanction devient, de fait, la seule voie audible, choisie pour parvenir à maintenir le confinement, moyen pour stopper cette épidémie. Ce moyen n’est pas en cause. La contamination a lieu par contact : nécessité du confinement et des mesures-barrières.

      La question est la voie choisie pour parvenir à un confinement : le contrôle par les forces de Police et de Gendarmerie et la sanction financière (on imagine mal engorger les prisons déjà pleine – problème en soi - et propager le virus !). Cette voie prend le risque d’une escalade dans le contrôle de la population par des forces de l’ordre (largement utilisées depuis deux ans, sorte de réflexe) voire de déboucher sur des scènes de chaos plus ou moins localisées ou momentanées.

      Nous comprenons bien que légiférer par ordonnance n’est pas anodin et amorce une éventuelle escalade avec état de siège, intervention de l’Armée au maintien de l’ordre, pourquoi pas in fine l’article 16. Piège de l’escalade qui prend toujours le comportement marginal pour prétexte, piège aux conséquences lourdes et en quelque sorte mécaniques pour la démocratie.

      Sans protection ou avec des protections insuffisantes, les forces de l’ordre pourraient être affectées par l’épidémie. Elles pourraient l’être et affecter un volume plus ou moins important de policiers et gendarmes que leurs armes ne protègent pas comme dans une guerre, rendant impossible de remplir leur mission.

      La Résistance, au contraire, engage le peuple à entrer en Résistance conscient des enjeux pour la santé de tous. Vous n’avez pas vu que partout, à côté de contacts de moins en moins fréquents - aujourd’hui plus un seul – spontanément, les gens dans la rue, devant les magasins, tiennent leurs distances, ne s’affolent pas et s’ils parlent, c’est à distance et pas en face à face. La Résistance c’est avant tout engager chacun à devenir responsable pour devenir collectivement responsable. Et devenir collectivement responsable, c’est non seulement éviter les contacts qui transmettent le virus, mais encore organiser des réseaux de solidarités de proximité pour l’alimentation, la pharmacie etc... en respectant les consignes d’hygiène et de contacts. Tout le monde ne peut pas se déplacer. C’est bien au-delà de la peur du gendarme.

      A défaut, en durcissant encore le confinement, il faudrait organiser un réseau national de distribution à domicile ! Les forces de l’ordre pourraient-elles s’y employer ? Là encore, ce serait faire sans la population quand il s’agit de résister avec la population.

      Organiser la Résistance et mobiliser par des actes

      Il n’y a pas possibilité de résistance si la population n’est pas incitée à s’associer à cette résistance, chacun à sa mesure. La Résistance c’est le peuple et ses dirigeants, quand ceux-ci savent impulser et non seulement commander, contrôler, sanctionner. Les forces de l’ordre plutôt que sanctionner ce qui peut amener à la clandestinité des déplacements devenus illicites, pourraient se transformer en agent de persuasion en rappelant les consignes, en écoutant les nécessités explicitées sans chercher à sanctionner bref... discernement. La campagne c’est pas la ville et chacun ne va pas faire du jogging autour de sa maison ou de son pâté d’immeubles. En Auvergne, balader sur un des Puys en solitaire ou en couple de retraités est sans risque plutôt que rester aux abords de la maison et rencontrer des connaissances ! Les services de santé seront d’autant moins débordés (ou moins vite !) que chacun se sentira, se sent responsable des soignants, en actes et pas seulement en paroles.

      Sans association et conscience de la population, il n’y a en effet que la guerre et son cortège d’oeufs cassés toujours justifiés en toute bonne foi.

      Pour associer le peuple, la suspension des réformes en cours est enfin une mesure de sagesse et d’apaisement. De toutes façons, le calendrier de la réforme des retraites ne peut plus être tenu. Avant l’été c’est râpé ! Le report de la mise en place de la réforme de l’assurance-chômage est aussi la démonstration en creux de revenus dramatiquement insupportables pour quantités de chômeurs, à repousser hors cette période exceptionnelle. Seraient-ils véritablement plus supportables après un retour à la normale ? Revoir la copie.

      Il faut aller plus loin. Pour une adhésion et une responsabilité de la population, Il faut permettre un minimum de confiance quand celle-ci a été dilapidée par une attitude intransigeante toujours dans le sens des riches en pompant l’argent des autres. Il faut annoncer quelles réformes deviennent prioritaires, quel cap social et sociétal elles prendront, avec qui et comment elles seront travaillées (pas seulement une concertation sur un texte à trous béants comme celui des retraites).

      L’indemnisation du chômage partiel prise actuellement pour garder les moyens de subsistance n’illustre-t-elle pas la nécessité de la mise en place d’un revenu universel ? Ce pourrait être un dispositif qui l’initie à élargir et pérenniser.

      Une mesure forte immédiate qui ne coûte pas un euro mais vaudra crédit : arrêter toutes les poursuites pour fait social, grèves et manifestations. La paix sociale ne s’achète pas, elle s’obtient avec des actes.

      La guerre alors n’aura pas lieu

      Vaincre l’épidémie c’est engager la population dans la Résistance et non la délégation aux chefs de mener une guerre qui n’existe pas, même si l’économie s’en rapproche, si l’organisation du fonctionnement en société s’en rapproche. C’est apporter un tournant social à ce quinquennat de riches, non pas le passer au Ripolin vaguement rose mais s’engager à des réformes nécessaires et identifiées dès maintenant avec les moyens d’une co-construction postérieure chacun à sa place. Alors les forces vives de la nation seront mobilisées pour vaincre par la responsabilité et la solidarité. La guerre alors n’aura pas lieu !

      https://blogs.mediapart.fr/georges-andre/blog/170320/non-monsieur-le-president-de-la-republique-nous-ne-sommes-pas-en-gue

    • #Rony_Brauman répond à Macron : « La #métaphore de la guerre sert à disqualifier tout débat »

      Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, approuve les mesures de confinement, mais dénonce la #rhétorique_martiale du chef de l’Etat : « Qualifier les soignants de "#héros", c’est gommer les raisons de la crise sanitaire. »

      Médecin, diplômé de médecine tropicale et épidémiologie, Rony Brauman a été président de Médecins sans frontières (MSF) de 1982 à 1994. Il est aujourd’hui directeur d’études à la fondation de l’ONG. Son dernier livre, « Guerres humanitaire ? Mensonges et intox », conversation avec Régis Meyran, est paru aux éditions Textuel en 2018.
      Interview.

      Comment analysez-vous l’épidémie du #Covid-19 et sa gestion par les autorités françaises ?
      Cette épidémie n’avait pas été prévue, mais elle avait été prédite. De nombreux épidémiologistes avaient anticipé l’apparition d’un nouveau virus se répandant à la faveur de l’accroissement démographique, de l’accélération des voyages internationaux, de l’urbanisation, du changement climatique. Cette crainte, déjà ancienne, s’était renforcée avec les épidémies de sida, le Sras, le Mers, le Zika, le chikungunya, Ebola. Nous savions que le rêve d’un monde débarrassé d’un risque infectieux était une #illusion et les gouvernements successifs ne pouvaient méconnaître ces analyses. Cela ne les a pas empêchés, depuis des années, de réduire les capacités des hôpitaux, avec les effets que l’on voit aujourd’hui. Plus de 4 000 lits ont été supprimés ces trois dernières années, mais c’est depuis trente ans que gagne une #logique_comptable, entrepreneuriale (notamment la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoire de 2009, qui concrétise la notion d’« #hopital-entreprise », introduite par #Claude_Evin dès 1989). Pourtant, aujourd’hui, Emmanuel Macron ne tarit pas d’éloge sur le personnel hospitalier... Ses propos qualifiant les soignants de « héros » me semblent particulièrement mal venus. Cette qualification a quelque chose de pervers, parce qu’elle gomme les raisons de la #crise_sanitaire. Outre qu’elle oubliait les autres professions qui continuent à travailler pour que notre vie soit encore vivable (éboueurs, policiers, livreurs, caissières, producteurs, distributeurs de produits essentiels), elle met les soignants dans une position délicate. Un héros, ça ne demande pas des journées de récupération pour s’occuper de ses enfants, de prime de risque, un salaire décent. On sait bien qu’une partie du vidage des hôpitaux vient de ce qu’on paye les gens de façon indécente. Brandir la figure du héros, c’est sous-entendre par contraste la médiocrité de revendiquer des #conditions_de_travail correctes.

      Pourtant, quand les gens applaudissent à leurs fenêtres à #20_heures, n’est-ce pas aussi une façon de saluer dans les soignants des figures héroïques ?
      Si, bien sûr, et je m’y associe. Ces applaudissements constituent un rite de reconnaissance collective vis-à-vis d’une catégorie qui s’expose de façon constante, quotidienne. Mais ils ne doivent pas être séparés d’une interrogation politique sur les #restrictions_budgétaires imposées depuis des années à ceux qui sont considérés aujourd’hui comme les sauveurs de la nation.
      J’ajoute que, dans les propos d’Emmanuel Macron, cette #héroïsation n’est que le complètement logique du discours de la guerre, la métaphore du combat engagé contre l’#ennemi_invisible. Cette notion ne me semble pas la bonne. Nous sommes face à une #catastrophe. Au moment où nous parlons, des structures de soins sont débordées et l’on voit réapparaître les méthodes de la #médecine_de_catastrophe, mises au point, il est vrai, par la #médecine_militaire mais élargies aux situations de crises majeures, notamment de catastrophes naturelles : les techniques de #triage séparant les gens qu’on va pouvoir aider à sortir et ceux pour lequel le pronostic est trop mauvais, relèvent typiquement de la médecine de catastrophe. De façon plus générale, cette métaphore est trompeuse, en ce qu’elle laisse entendre que la #santé passe par la défaite de la maladie. Mais la maladie fait partie de la vie et l’on devrait parler de #droit_à_la_maladie, plutôt que de #droit_à_la santé. Je pense au philosophe #Georges_Canguilhem observant que pour la plupart des gens, la santé, ce n’est pas l’#absence_de_maladie mais la possibilité de tomber malade et de s’en relever.

      Mais n’est-il pas vrai que nous combattons un ennemi : le #virus ?
      Un point, encore : depuis #Pasteur, le germe infectieux place les sociétés dans une situation complexe. Dès lors que nous sommes tous potentiellement vecteurs de #contagion, chaque individu devient une #menace pour la collectivité, chaque voisin est un risque potentiel. Et inversement, l’individu se sent menacé par le groupe, qui peut cacher des malades, et il va donc chercher à s’en isoler. Le #confinement nous demande d’être à la fois solidaires et individualistes. C’est le #paradoxe de l’#épidémie, que dissimule la métaphore de la guerre. Dire qu’on mène une guerre contre un virus, c’est prendre le risque d’alimenter la #guerre_de_tous_contre_tous, chacun étant potentiellement le vecteur de l’ennemi invisible.
      Quand j’entends le président conclure son discours de Mulhouse, le 25 mars, par un martial « Nous ne céderons rien ! », je suis abasourdi. Céder quoi, à qui ? Craignez-vous la restriction des libertés liée au confinement ? J’approuve le confinement et des mesures actuellement en vigueur, à défaut d’autres moyens de protection pour l’instant. Ces mesures sont le résultat, forcément instable, de la recherche d’un équilibre entre trois exigences : la #sécurité_sanitaire, la #liberté des individus et la continuité de la machine économique. La liberté peut être restreinte, mais il est impossible de confiner tout le monde, car une partie l’#activité_économique doit se poursuivre, sous peine d’une morte lente générale. Je rappelle qu’une épidémie peut faire plus de #victimes_indirectes que directes, comme cela a été probablement le cas d’#Ebola : je pense aux malades qui n’ont pas pu se soigner, qui ont été conduits à une issue fatale à cause de la paralysie des régions frappées par la maladie.
      Pour ma part, je comprends le retard de confinement mis en oeuvre en France : l’exigence de #santé_publique était en balance avec l’exigence de liberté et l’exigence de #continuité_économique. Prenons garde à ne pas porter sur les mesures du gouvernement Philippe un regard anachroniquement sévère ! Reste que je m’inquiète de l’empilement des #mesures_autoritaires. N’oublions pas que des dispositions de l’#état_d'urgence antiterroriste ont été intégrées à la #loi_ordinaire et appliquées contre des militants écolos et syndicalistes. On doit craindre une reproduction de ce précédent.

      Portez-vous le même regard compréhensif sur la stratégie de la France en matière de #masques et de #tests ?
      Non ! Ce sont clairement deux loupés de la politique et de la communication gouvernementales. Autant j’apprécie les points quotidiens de #Jérôme_Salomon, le directeur général de la Santé, et son ministre #Olivier_Véran, qui sont très pédagogiques, didactiques, non arrogants, autant la question des masques et des tests a été traitée de façon extrêmement grossière, là encore infantilisante comme l’est la métaphore de la guerre. Ils auraient pu reconnaître qu’il y avait un retard à rattraper - retard imputable aux gouvernements successifs et non au seul gouvernement Philippe - et qu’il fallait plus de masques et plus de tests. Ils pouvaient expliquer que le #rationnement ne durerait pas, qu’ils y travaillaient, bref traiter leurs concitoyens en adultes. Au lieu de cela, ils ont choisi de tenir un discours de #déni. « Pourquoi ne pas faire plus de tests ? - Parce que c’est inutile ! » « Pourquoi ne pas distribuer pas plus de masques ? - Parce que c’est inutile ! » Et ce n’est pas vrai... Oui, c’est mensonger et ce point-là n’a rien à voir avec les choix difficiles, évolutifs, du confinement et de ses limites. Les masques sont indispensables pour les personnels soignants et pour les professions exposées au public. Quant au test, on nous explique qu’il n’est utile que pour les cas graves. Ce n’est pas vrai ! Dans les cas graves, il ne fait que confirmer le #diagnostic_clinique, alors que dans les cas moins graves ou bénins, il permet de connaître le #statut_sérologique des individus. On peut alors choisir pour chacun la solution adaptée : confinement à la maison, isolement dans des structures médicalisées (pour ne pas engorger l’hôpital) et hôpital (si nécessaire). Je suis consterné que les porte-parole du gouvernement se soient cramponnés à cette #pseudoscience. Un tel manquement est très contre-productif car il vient affaiblir la #confiance que l’opinion peut avoir dans d’autres mesures gouvernementales, qui, elles, sont tout à fait argumentables, tel que le confinement.

      Derrière ce loupé, y a-t-il des dissensions internes au champ médical ? Certains scientifiques ont-ils sous-estimé l’épidémie ?
      La #médecine n’est pas une science, c’est une #pratique_scientifiquement_informée. On le voit à l’échelle d’un organisme individuel : le corps n’est pas une matière inerte qui répondrait toujours de la même façon aux mêmes actions. Pour les questions de #santé_publique, c’est encore plus net, car la médecine est alors confrontée à toutes sortes d’événements inattendus et d’une variabilité extrême. La science aide à prendre les décisions, mais elle ne sait pas tout et, dans l’incertitude, ce sont les politiques qui doivent trancher.

      Sur cette épidémie, il n’y a pas de #consensus_médical ?
      Non, pour les raisons que je viens de dire. De plus, la familiarité des médecins avec les réalités épidémiologiques est très limitée. Le métier des médecins est de soigner les pathologies, mais pas forcément de connaître leur diffusion. Cela relève d’un autre type de savoir : l’épidémiologie. Il y a les épidémiologistes médecins, bien sûr, mais aussi des épidémiologistes non-médecins, notamment les statisticiens, les modélisateurs, qui n’ont pas la même approche que les médecins. Il peut y avoir des désaccords et c’est alors au politique de trancher, et de s’en expliquer. Néanmoins, sur la question de l’intérêt des masques et des tests pour gérer l’épidémie au mieux, il y a un consensus quasi-total.

      Mais alors, pourquoi les principaux responsables de la santé en France ont-ils dit le contraire ? Après tout, Jérôme Salomon et Olivier Véran, ainsi que sa prédécesseure #Agnès_Buzyn, sont tous des médecins...
      C’est un mystère. Mon hypothèse, toute personnelle, est qu’il s’agit d’un effet de la propension des responsables politiques à la rigidité comme preuve de leur détermination. En toutes circonstances, ils veulent afficher leur assurance et voient dans toute remise en question un affaiblissement de leur #autorité. Le fantasme de #toute-puissance est à l’oeuvre ! C’est ce que nous disait encore Macron, qualifiant de « polémiques », forcément stériles, et de tentatives de « fracture » de la société, forcément dangereuses, les critiques qui lui sont adressées. Il faut « #faire_bloc », c’est-à-dire marcher au pas, fleur au fusil. Où l’on voit que la métaphore de la guerre sert à disqualifier toute mise en #débat.

      Vous-même, avez-vous changé d’avis sur l’épidémie ?
      J’ai hésité en janvier, mais j’ai été assez rapidement convaincu que le #risque_pandémique était bien réel, tout en considérant la réaction des pouvoirs publics en France était correcte, et que par exemple on n’avait pas de raison de coller immédiatement à ce que faisait l’Italie. Il y a eu des discussions, y compris au sein de Médecins sans frontière, où certains étaient très sceptiques. Dès le début février, il a été clair que la cinétique de l’épidémie était inquiétante, en découvrant que des patients asymptomatiques pouvaient être transmetteurs du virus. Dans une épidémie, ce n’est pas le chiffre de mortalité à un instant T qui importe. On peut toujours comparer ces chiffres à bien d’autres, comme l’ont fait trop longtemps les « corona-sceptiques ». C’est le #temps_de_doublement des cas qu’il faut regarder attentivement : 2,5 jours pour le Covid-19. Là, on comprend assez rapidement que la progression est effrayante, surtout si on le rapporte aux mesures de confinement, qui mettent quinze jours à commencer à produire de l’effet : en quinze jours, on a six fois le doublement des cas, ce qui signifie qu’un porteur contamine 64 personnes en quinze jours, 244 en un mois.

      Que pensez-vous de la polémique sur la #chloroquine ? N’est-ce pas affligeant, dans une telle période ?
      La forme a été parfois affligeante, mais pas la controverse elle-même. Ce qui donne le caractère polémique à cette discussion, c’est le sentiment de vivre une #tragédie_collective dans laquelle tout #désaccord prend une dimension énorme. Mais, en temps normal, c’est le lot commun du travail médical. Pour des #pathologies_émergentes et même pour des pathologies déjà connues, il faut des années d’essais cliniques et de traitement pour obtenir un #consensus. Regardez les médicaments contre le cholestérol, qui font l’objet d’une controverse très vive depuis plusieurs années. Ce n’est pas parce qu’on est en période d’état d’urgence sanitaire qu’il faudrait fermer la porte aux discussions contradictoires, aux critiques. Surtout pas. Nous avons besoin de cette pluralité d’avis. Cela étant dit, la façon dont #Didier_Raoult a présenté la chloroquine comme un médicament miracle appartient plus à un prophète qu’à un spécialiste de santé.

      Il n’y aura pas de médicament miracle pour le Covid-19 ?
      Non, pas plus qu’il n’y en a eu pour les autres infections. Cela me rappelle l’annonce faite en 1985 par le professeur #Andrieux, accompagné de la ministre de la Santé d’alors, #Georgina_Dufoix, donnant la #cyclosporine comme le médicament qui allait tout changer à partir d’un essai sur quelques cas. Pour ce qui est de la chloroquine, ses effets antiviraux et antibactériens sont bien connus, mais l’essai de Marseille n’a rien de concluant, contrairement à ce qu’en disent certains, y compris des politiques qui se croient autorisés à avoir un avis sur cette question totalement technique. C’est une ressource possible, il faut la tester. Le bon côté de cette controverse, c’est que la chloroquine va être jointe aux nombreux essais cliniques en cours. Mais il ne faut pas créer de #faux_espoirs. Didier Raoult a un passé de chercheur sérieux, mais son personnage de génie autoproclamé n’incite pas à la confiance. Quant à la validité de son essai, elle a été très précisément analysée.

      Parmi les multiples réflexions suscitées par l’épidémie, il y a cette idée que la nature malmenée par la #mondialisation serait en train de se venger avec ces différents virus venus du monde animal. Qu’en pensez-vous ?
      Le point commun du Covid, du Sras, du Mers et d’Ebola est que ces maladies sont le fruit d’un passage de la #barrière_virale_d'espèces entre les #animaux et les hommes. L’extension des certaines mégapoles entraîne une interpénétration entre #ville et #forêts : c’est le cas d’Ebola, qui trouve son origine dans la présence des #chauves-souris en ville et qui mangeaient par des humains. Mais ce paramètre, s’il faut avoir à l’esprit, est à manier avec une certaine retenue. Car il s’agit d’une constance dans l’histoire des épidémies : la plupart, à commencer par la #peste, sont liées à ce franchissement. L’homme vit dans la compagnie des animaux depuis le néolithique, notre existence est rendue possible par cette coexistence. Mais la peste avait été importée par la puce du rat qui était disséminé sur les bateaux et les caravanes ; pour le corona, ce sont les #avions qui ont fait ce travail. La spécificité du Covid-19, c’est sa vitesse de #diffusion. Le professeur Sansonnetti, infectiologue et professeur au Collège de France, parle d’une « maladie de l’#anthropocène » : en superposant la carte de l’extension du virus et celle des déplacements aériens, il montre que les deux se recouvrent parfaitement.

      L’enjeu est donc moins la façon dont la #mondialisation malmène la nature, mais dont elle ouvre des avenues à des germes. Faut-il refermer ces avenues ?
      Le propre du vivant, c’est de chercher à répandre ses gènes et le virus obéit à une logique de vie, qui s’inscrit dans une dialectique entre #contagiosité et #mortalité. Il lui faut trouver des #vecteurs - des organismes vivants - qui lui permettent de se répandre. Mais s’il tue trop vite ces vecteurs ou s’il ne trouve pas de nouveaux organismes à contaminer, il arrive à une impasse et meurt. Ce que vise le confinement, c’est à mettre le virus dans une impasse : chacun doit être le cimetière du virus. C’est ici que l’on voit la limite de la méthode : cet isolement total serait notre cimetière à tous, pas seulement celui du virus.
      A quoi cela sert de "gagner du temps" face au coronavirus ?
      #Mutation. Le mot, lorsqu’il est associé au coronavirus, fait peur. Surtout depuis que des chercheurs chinois ont affirmé que le virus avait déjà muté en une variante plus agressive.

      Alors, faut-il redouter ses prochaines transformations ?
      #Luc_Perino, médecin diplômé d’épidémiologie et auteur du livre "Patients zéro" (La Découverte), explique qu’un virus mute en permanence... et pas nécessairement d’une manière défavorable à l’être humain. "Dans la majorité des épidémies, le virus évolue vers moins de #virulence, et vers plus de #diffusion." C’est-à-dire qu’il tend à se propager plus vite... mais en devenant moins mortel.

      https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200327.OBS26690/rony-brauman-repond-a-macron-la-metaphore-de-la-guerre-sert-a-disqualifie
      #solidarité #individualisme #autoritarisme #mensonge #mensonges #épidémiologie

    • Parler de l’héroïsme des soignants c’est une excision symbolique du corps médical. Les soignants sont des femmes en grande majorité. Les soignantEs ont pour travail de prendre soin, pas de trucider, étriper et violer comme le font les soldats, ni même se sacrifier.
      Les soldat(e)s ne soignent pas.
      Les soignantEs ne tuent pas.

      A la guerre il y a des héros or la racine latine « vir » de viril, virilité, virilisme et aussi vértu viens du sanskrit HERO. L’héroisme c’est ce qui fait l’homme et donc certainement pas les femmes. Traiter les soignantes de héro ou même héroïnes c’est les affubler de virilité.

      #invisibilisation_des_femmes #virilisme #inversion_patriarcale #excision_symbolique

    • La guerre est toujours un beau #prétexte pour imposer la #répression

      « Et nous voilà en dictature ?

      La guerre est toujours un beau prétexte pour imposer la répression.

      Guerre contre les pauvres, contre les travailleur.e.s précarisé.e.s, contre les personnes entassées dans des squats, contre les enfants des quartiers dits « prioritaires », contre les « migrants » comme ils aiment les appeler…Ah, veuillez m’excuser, je n’avais pas compris que notre aimable président parlait de guerre contre un virus…

      Il est vrai qu’en observant le confinement prendre la pelle (l’appel) pour creuser, creuser et creuser encore le gouffre qui sépare les bien loti.e.s des plus précarisé.e.s, je n’avais pas compris qu’il parlait d’une guerre contre la nature… Pourtant, j’aurais dû m’en douter, car il est bien évident que notre président a toujours voué un grand amour pour notre environnement… Mais non, je pensais bêtement que la guerre avait été déclarée. Que l’on nous avait encore pris pour des dindes, en nous faisant par exemple copier deux fois de suite « l’article 3 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à… » blablabla. Et si tu n’as pas de papier pour écrire, tant pis pour toi ! De toute façon, on est en guerre, gamin.e, alors pourquoi veux-tu te promener dans les rues ? Ah ? La rue est ta maison ? Quelle sombre idée… De toute façon, on est en guerre, alors qui se soucie de savoir si tu vis à la rue, hein ?

      Oui, je n’ai pas réussi à entendre le mot virus quand notre cher président a répété six fois que nous étions en guerre…

      Et il est vrai que quand les jeunes avec qui je travaille m’ont transmis leurs angoisses de « ne pas réussir », avec la peur d’être encore mis de côté, exclus dans leur quartier alors même qu’elles et ils me faisaient part il y a peu de leur désir de « bien s’en sortir » pour montrer à leurs pairs que personne n’est éternellement assigné au quartier, je n’ai pas pensé au virus… Mais à la violence de l’Education Nationale.

      Quand mon amie du Sud de la France m’a quant à elle parlé de son combat éreintant pour récupérer son jeune garçon de 5 ans, confiné chez son père violent et fiché S à Paris, je n’ai pas pensé au virus… Mais à l’horreur du confinement.

      Quand une autre m’a parlé de sa colère en tant qu’infirmière de voir tant de gens ne pas respecter leur investissement/épuisement en continuant à vivre « comme si de rien n’était », je n’ai pas pensé au virus… Mais à la stupidité et l’égoïsme qui animent mes « compatriotes ».

      Et enfin, quand mes collègues m’ont fait part au début du confinement des difficultés à trouver des volontaires pour garder les enfants des soignants, je n’ai pas pensé au virus… Mais à la fameuse « Fraternité » oubliée de la devise française.

      Dites-moi qu’au moins, cela servira de prise de conscience ? Car qui tient donc le pays en ce moment ? Qui le fait (sur)vivre ? Ni moi, ni peut-être vous. Mais celles et ceux que l’on a invisibilisé depuis bien trop longtemps. Et si je dois donc applaudir, j’applaudirais tout autant les agriculteurs/trices, les vendeurs/euses en magasin, les bénévoles (devraient-ils vraiment être bénévoles ?), les professeur.e.s et toutes celles et ceux qui nous permettent de continuer à vivre. En fait, qui nous ont toujours permis de continuer à vivre…

      Alors maintenant, je me demande, que pouvons-nous faire de tout ce temps pour celles et ceux qui en ont plus que d’habitude… N’est-il pas le moment de le « prendre ce temps » pour réfléchir à de nouveaux systèmes ? Puisque dans nos vies à 100 à l’heure, celui-ci manque toujours…

      Qu’a-t-on de fait à proposer ? Comment peut-on imaginer une plateforme pour échanger sur de nouveaux modèles ? Sur la manière de visibiliser ces réalités mais également de contribuer à les changer ? Comment peut-on se servir de ce temps pour ne plus panser les blessures de notre système mais bien penser de nouvelles perspectives ? Si tout le monde est davantage connecté, c’est donc l’occasion de toucher de nouveaux publics, de faire connaitre des réalités, de proposer des formations et de construire quelque chose de nouveau…

      Je sais que certain.e.s s’y attellent depuis bien longtemps. Mais n’est-ce pas alors l’occasion de joindre nos forces pour penser collectivement ? Utiliser le confinement pour se mettre davantage en lien et penser autrement ? Servons-nous de cette colère. Transformons-là. »
      Coline

      https://www.modop.org/se-relier/#3avril

    • « De la #guerre_sanitaire à la guerre économique et sociale »

      A la « guerre sanitaire » aujourd’hui déclarée, risque de succéder une « guerre économique et sociale » impitoyable pour les salariés, les fonctionnaires et les habitants des quartiers populaires. J’ai imaginé ce que pourrait être le discours du président de la République...

      La première victime de la guerre, c’est toujours la vérité

      La deuxième victime de la guerre, ce sont les conquis sociaux

      La troisième victime de la guerre, ce sont les droits et libertés démocratiques

      A la manière d’un certain président de la République.

      « Françaises, Français, mes chers compatriotes. Depuis le déclenchement de la crise sanitaire, je me suis plusieurs fois adressé à vous pour évoquer les épreuves que nous avons traversées, pour annoncer les mesures indispensables afin de juguler l’épidémie d’abord et d’en venir à bout ensuite. Ces circonstances exceptionnelles m’ont conduit à prendre, avec le gouvernement, en accord avec l’Assemblée nationale et le Sénat, des mesures elles aussi exceptionnelles sans lesquelles nous n’aurions pu gagner cette bataille décisive contre le Covid-19. Tout d’abord, je veux, au nom de la nation, saluer toutes celles et tous ceux qui, médecins, infirmiers, personnels hospitaliers, ont été aux avant-postes de ce combat, avec un dévouement et un courage exemplaires, et pour certains, hélas, au péril de leur vie. Ils méritent notre reconnaissance. C’est pourquoi j’ai décidé qu’un hommage national leur sera rendu à une date qui sera précisée. Plus encore, toutes et tous recevront, à titre collectif, la légion d’honneur.

      Ensuite, je veux avoir une pensée pour vous, Françaises et Français, qui avez perdu un parent, un proche, un ami. Je sais votre peine infinie et nous la partageons tous. Dans ces moments que je sais ô combien douloureux, soyez assurés que votre deuil est aussi le nôtre, et jamais nous n’oublierons vos chers disparus. Enfin, je veux également saluer celles et ceux qui, envers et contre tout, ont continué de travailler sans se laisser détourner de leurs tâches indispensables au pays par des revendications aussi démagogiques qu’irresponsables. C’est grâce à eux qu’il n’y a pas eu de pénurie et que les approvisionnements n’ont jamais cessé en dépit des difficultés qu’ils ont eux aussi surmontées avec une ténacité et une résilience remarquables. Françaises, Français, mes chers compatriotes, suite aux décisions que j’ai prises, vous avez, vous aussi, consenti de nombreux sacrifices en respectant un confinement toujours plus strict, en bouleversant vos habitudes, en renonçant à bien des loisirs et à bien des plaisirs : ceux de se réunir en famille, entre amis, de dîner au restaurant, d’aller au cinéma, au théâtre, d’écouter des concerts, de faire du sport, de se promener. Qui, en ville, qui à la campagne pour pêcher ou chasser, qui à la mer ou à la montage. Je sais que les décisions prises ont bouleversé vos vies mais elles étaient indispensables pour sauver le plus grand nombre de nos ainés et de nos concitoyens. Vous l’avez assez vite compris et vous l’avez donc accepté. Toutes et tous, vous avez fait la démonstration remarquable que nous sommes un grand peuple et que la France est une nation à nulle autre pareille qui, dans les épreuves, sait se retrouver pour les affronter dans l’unité, la solidarité et la fraternité.

      Nous venons de gagner une bataille majeure mais nous n’avons pas encore gagné la guerre. La crise sanitaire est certes derrière nous mais nous devons, dès maintenant, mener d’autres combats et relever d’autres défis. Ils sont économiques et sociaux. Ceux d’hier étaient immenses, ceux qui nous attendent ne le sont pas moins. Mes chers compatriotes, je vous le dis avec solennité et gravité, nous sommes toujours en guerre. L’ennemi n’est plus invisible, il n’est plus insidieux mais il n’en est pas moins présent, puissant et menaçant. Cet ennemi, il se nomme récession, régression, faillites en série et reprise possible de la hausse du chômage. Celui que nous venons de terrasser, nous menaçait tous, celui qui se présente maintenant agit de même. Je veux dire par là qu’il peut, lui aussi, bouleverser nos vies en frappant partout et dans toutes les catégories de la population. Nos grandes, moyennes et petites entreprises sont menacées. De même nos admirables artisans qui, partout en France, maintiennent vivantes d’anciennes traditions d’excellence. Je n’oublie pas nos agriculteurs, nos pêcheurs, nos viticulteurs, nos artistes et nos libraires.

      Hier, Françaises, Français, mes chers compatriotes, vous avez consenti de nombreux sacrifices. Je m’adresse à vous tous pour vous en demander de nouveaux car cette situation économique et sociale est elle aussi exceptionnelle. Elle n’est pas sans rappeler celle que nos ainés ont dû affronter au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient un pays à reconstruire, nous avons une économie à rebâtir et pour y parvenir au plus vite, il faut être capable de se hisser à la hauteur des tâches multiples et difficiles qui nous attendent. Lorsque je me suis adressé à vous au début de l’épidémie le 16 mars dernier, je vous avais dit qu’après les épreuves traversées, plus rien ne serait comme avant. Ce jour est arrivé et il nous faut maintenant en tirer toutes les conséquences.

      Nous sommes en guerre. Aussi, notre code du travail, conçu dans et pour une autre conjoncture, est-il parfaitement inadapté à celle que nous allons affronter. Il est trop lourd et compliqué. De là d’innombrables lenteurs qui sont autant d’obstacles à la reprise que nous appelons tous de nos vœux. C’est pourquoi je vais demander au gouvernement d’adopter une loi d’urgence économique qui permettra à toutes et à tous de travailler au-delà des 35 heures, de travailler le dimanche si nécessaire et d’étendre le travail de nuit aux secteurs économiques particulièrement fragiles et/ou particulièrement affectés par le confinement auquel notre pays a été soumis. De plus, de nouveaux contrats d’embauche, moins contraignants et plus souples seront mis en place pour permettre de répondre dans les meilleures conditions aux défis multiples et variés que nos entreprises et nos artisans vont devoir relever dans les semaines et les mois à venir. Nous devons travailler plus et plus longtemps, c’est pourquoi la réforme des retraites, suspendue pour les raisons que vous savez, sera enfin adoptée. Et je souhaite qu’elle soit elle aussi assouplie pour permettre à celles et ceux qui veulent continuer à travailler de le faire en toute liberté. Toutes ces mesures s’imposent car il y va de notre place en Europe, de notre place dans le monde, de votre avenir personnel et professionnel, et de celui de vos enfants et de vos petits-enfants.

      Oui, nous sommes en guerre. C’est pourquoi, afin de favoriser au mieux la croissance indispensable aux progrès de notre pays, au relèvement de notre économie et à l’amélioration de vos conditions de vie, je demanderai également au gouvernement de bloquer les salaires pour une durée qui reste à déterminer, de réduire les congés et de permettre aux employeurs de les fixer à leur convenance, après consultation des salariés. Il en sera évidemment de même dans toute la fonction publique à l’exception de la fonction publique hospitalière où des postes seront créés et de nouveaux moyens accordés. En même temps, nous poursuivrons la modernisation indispensable de nos hôpitaux afin d’augmenter là aussi leur compétitivité et donc leur efficacité au service du plus grand nombre. Mes chers compatriotes, je sais votre attachement à notre système de santé qui suscite l’admiration de beaucoup à l’étranger, c’est aussi pour répondre à vos attentes que je vous demande ces efforts. Efforts également dans l’éducation nationale et dans l’enseignement supérieur où, jusqu’à nouvel ordre, aucun recrutement ne sera effectué. Cette situation n’empêchera nullement les écoles, les collèges, les lycées et les universités d’embaucher, de façon temporaire et pour une durée limitée, le personnel enseignant et administratif nécessaire à l’accomplissement de leurs missions. Là aussi, la modernisation doit être impérativement poursuivie car nous pouvons et nous devons faire mieux. Les temps présents comme de nombreux parents l’exigent et personne ne comprendrait, à l’heure où je vous parle, que les fonctionnaires précités désertent cette formidable bataille économique et sociale qu’il nous faut remporter au plus vite.

      C’est parce qu’elle est terrible que nous devons mobiliser toutes les énergies, stimuler tous les talents, libérer toutes les volontés et toutes les ambitions en donnant à chacune et à chacun l’opportunité de s’y associer. A vous Françaises et Français d’abord car, en ces circonstances exceptionnelles il n’est plus acceptable que d’autres, arrivés depuis peu dans notre pays et sans intention d’y faire souche, accèdent rapidement à des emplois qui pourraient être occupés par vous. C’est pourquoi je vais demander au gouvernement de préparer un projet de loi destiné, non à fermer complètement l’immigration, ce serait aussi vain qu’inutile, mais à la limiter au strict nécessaire sur la base de quotas régulièrement révisés, comme cela se fait déjà dans de nombreux Etats développés et démocratiques. De même, il faut rapatrier dans notre pays des activités essentielles à notre indépendance sanitaire, industrielle et économique pour renforcer ainsi notre souveraineté en produisant français avec des travailleuses et des travailleurs français. L’union nationale nous a permis de vaincre l’épidémie hier, elle nous permettra, demain, de renouer avec la prospérité dont vous serez toutes et tous les heureux bénéficiaires.

      Nous sommes en guerre, et cette nouvelle guerre nous ne la gagnerons qu’en étant capables de nous affranchir d’habitudes parfois désuètes et, dans tous les cas, inadaptées aux exigences qui s’imposent désormais à tous. J’ai bien dit à tous, c’est pourquoi, un nouveau gouvernement, plus resserré, sera bientôt formé et les traitements des uns et des autres réduits. De même, le nombre des membres de cabinet. D’ores et déjà, et pour apporter ma contribution à cet effort national sans précédent, je vous annonce que je renonce à mon traitement jusqu’à la fin de ce quinquennat. Mais il faut aller plus loin en poursuivant la réforme de nos institutions ce qui passe, entre autres, par la réduction du nombre de députés et de sénateurs afin que les premiers comme les seconds participent pleinement à cette réduction indispensable, vitale même de nos dépenses publiques. Au cours de ces derniers mois, comme je l’ai dit, l’Etat a payé sans compter pour lutter contre l’épidémie et soutenir les secteurs économiques particulièrement affectés par la crise sanitaire. Ces temps sont désormais révolus et chacun comprendra qu’il n’est pas possible de poursuivre plus longtemps dans cette voie sauf à s’engager de nouveau dans la spirale ruineuse de l’endettement dont les effets retomberont lourdement sur les générations à venir. Cela, je ne le veux pas et je ne le permettrai pas car ce serait trahir les espoirs de notre jeunesse, et je sais que nul, dans ce pays, ne le souhaite.

      Mes chers compatriotes, je vous le dis et je le répète, nous sommes toujours en guerre. Je vous demande donc d’être responsables, de ne céder à aucune surenchère partisane et syndicale, de refuser le repli corporatiste qui a fait tant de mal à notre pays, et de vous élever à la hauteur des tâches exigées par cette situation exceptionnelle. N’écoutez pas celles et ceux qui se complaisent dans la critique mais qui n’ont rien de concret et de sérieux à proposer. Evitons cette démagogie et ces exaltations aussi puériles que mortifères. Unis, chacun fidèle à son poste et à sa place, nous gagnerons. Vive la République ! Vive la France ! »

      https://blogs.mediapart.fr/olivier-le-cour-grandmaison/blog/230320/de-la-guerre-sanitaire-la-guerre-economique-et-sociale

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      Lecture de ce texte :
      #Fin_de_l'épidémie : le discours d’Emmanuel #Macron

      Texte : #Olivier_Le_Cour_Grandmaison
      Lecture : Nicolas Mourer
      Réalisation Christiane Passevant

      https://www.youtube.com/watch?v=tBd5yLA-c-8&feature=share


      #déconfinement #coronavirus #covid-19

      Message de Olivier Le Cour Grandmaison via Facs et Labos en lutte :

      Texte que j’ai rédigé en imaginant le #discours_de_Jupiter au sortir du confinement

    • Ce que nous vivons n’est pas une guerre

      C’est la mondialisation qui fait de l’épidémie de Covid-19, originaire de Chine, une pandémie mondiale. Mais replaçons cette crise, cet effondrement sanitaire, dans le contexte de notre société, celui de l’Anthropocène. Car, au classement des menaces avérées pour le système-Terre, la première porte un nom : Homo Sapiens. Si l’homme persiste dans la mondialisation et dans l’asservissement de la nature, il n’est pas impossible que, d’une façon ou d’une autre, celle-ci contre-attaque.

      CE QUE NOUS VIVONS n’est pas une guerre. Nous vivons un effondrement. Et pas simplement un effondrement des marchés boursiers, un effondrement de l’Anthropocène. 1

      Rappelons quelques chiffres. Dans nos campagnes, la population d’oiseaux a baissé de 30 % en vingt ans à peine. 2 En quelques semaines seulement, l’Australie perdait plus d’un milliard d’animaux dans les incendies. 3 Une étude publiée dans la revue britannique Nature estime qu’un million d’espèces animales et végétales pourraient disparaître en raison du réchauffement climatique. 4

      Parallèlement à ces phénomènes d’effondrement de la biodiversité, on a récemment constaté le développement d’espèces envahissantes ou invasives. Algues tropicales, plantes toxiques exogènes, nombreux sont les exemples de perches dévastatrices, de champignons phytopathogènes et de papillons colononisateurs, qui déciment leur environnement, éradiquent des populations d’insectes, d’animaux ou d’arbres jadis répandus dans nos campagnes.

      Si l’agriculture intensive est bien connue pour favoriser le développement de propagules pathogènes et d’espèces invasives, il est avéré que le commerce international joue un rôle majeur dans leur propagation.

      Je me souviens avoir regardé, impuissant, les buis de mon jardin se faire dévorer par une pyrale invasive venue de Chine par bateau, avec des lots de buis pré-taillés par une main d’œuvre bon marché. Mais le principal prédateur de ladite pyrale était le frelon asiatique, interdit de séjour en France depuis 2013.

      Le Covid-19 est également originaire de Chine et, à nouveau, c’est notre organisation mondialiste qui fait de cette épidémie une pandémie mondiale.

      Or, la pandémie est en soit un effondrement sanitaire. Tout comme le méga-feu est un effondrement écologique qui fait de certaines espèces animales des espèces menacées, la pandémie est une menace pour l’être humain.

      Certes, tout sera fait pour éviter un effondrement massif de la population humaine. Observons les mesures mises en place par l’ensemble de nos gouvernements 5, en dehors du confinement : fermeture des commerces hors alimentation, réduction des transports de marchandises à leur strict minimum, suppression des vols internationaux, blocage drastique de la circulation des véhicules personnels, généralisation du télétravail, etc. Même les écologistes les plus radicaux ne pouvaient rêver un tel scenario !

      L’arrêt quasi total du transport, de la consommation, de l’import-export en quelques heures… L’objectif « zéro carbone », prévu pour 2050, est à portée de main en 2020 !

      Alors qu’on peinait à trouver des financements pour la transition 6, voilà que s’annoncent des dizaines de milliards pour sortir de la crise. On parle même de réguler les marchés, de nationaliser les compagnies aériennes en péril, de reprendre en main les hôpitaux…

      Cet épisode pandémique nous place face à nos responsabilités. Car, quoiqu’on fasse, la Terre ne s’arrêtera pas de tourner et il est probable que le système-Terre sache toujours générer de quoi revenir à un équilibre systémique, en attaquant les entités qui constituent une menace pour le plus grand nombre. 7
      Un virus pour l’Anthropocène

      Au classement des menaces avérées pour les écosystèmes, la première porte un nom : Homo Sapiens. Replaçons le virus dans le contexte de notre société, celui de l’Anthropocène. Si le terme « Anthropocène » vous est totalement étranger ou si vous l’avez volontairement rangé dans la commode des mots anxiogènes, entre « Anthrax » et « Anthropophage », le documentaire « L’âge de l’Anthropocène, des origines aux effondrements » 8 est fait pour vous.

      L’Atelier d’écologie politique (Atécopol), un atelier constitué d’une centaine de chercheurs toulousains, a organisé de nombreuses conférences publiques, trans-disciplinaires, permettant la constitution de ce documentaire scientifique synthétique. Depuis début 2020, ces chercheurs ont défendu le film en prolongeant chaque projection d’un débat public.

      Certes, il n’est pas question de pandémie dans ce film, puisqu’il a été achevé il y a plusieurs mois. Toutefois, les propos de l’historien des sciences Christophe Bonneuil, des économistes altermondialistes Geneviève Azam 9 et Maxime Combes ou encore de l’ingénieur agronome « collapsologue » Pablo Servigne nous éclairent sur cette façon « effondrementiste » 10 d’envisager le futur de notre société capitaliste.

      Le Covid-19 constitue une pierre de plus à l’édifice du film, et non des moindres. Si l’homme persiste dans la mondialisation et dans l’asservissement de la nature, il n’est pas impossible que, d’une façon ou d’une autre, celle-ci contre-attaque.

      https://sciences-critiques.fr/ce-que-nous-vivons-nest-pas-une-guerre

      #Gwarr_Greff

  • Academics are not a #vital_profession

    Amidst the COVID-19 crisis, Dutch universities claim the status of ‘vital profession’, but that claim gambles with the health of academics and support and maintenance staff. Shocking as it may be to take in, most academics do not perform ‘vital’ tasks, and ‘business as usual’ is not what is demanded from educational leadership at this moment.

    There is no democracy without a vibrant intellectual climate, and universities are an important constitutive element of such a climate. Acutely, however, most of what academics in universities do can be missed, or at the very least postponed. At this point in the COVID-19 crisis, we should admit this, rather than claim special status in order to stick to the bureaucratic formats that have become the prevailing ways in which academic teaching is performed. It may come as a shock to academics, well-versed as we are in accumulating signs of status, but nurses, doctors, firemen, (hospital) janitors, primary school teachers, shop keepers, and electricity mechanics are much more vital at this moment than most academics. And this should have consequences for the ways universities respond to the current situation.
    A vital profession?

    When Dutch academics began asking for a ‘vital profession’ status in this pandemic, this initially struck us as a joke. The Dutch government had decided to close all schools, but remain open for parents with a ‘vital profession’ and no alternative childcare. ‘Vital professions’ include educational staff, but mostly as a way to support health care professionals, meaning teachers in primary schools. And beyond that, ‘vital professions’ include teachers with responsibility for secondary schooling exams. It soon turned out that, indeed, academics and universities were not joking but were actively lobbying to be considered ‘vital’, so that they too could claim continued access to childcare and schools. The lobby was successful, apparently, because on March 17, the VSNU sent the following press release:

    “University staff fall under the ‘crucial professions’ when they are needed to organise (distance) education, as the VSNU is assured by the Ministry of Education, Culture and Science. According to the VSNU, this definition applies in practice in any case, but not exhaustively, to:

    Teachers
    ICT personnel required to maintain the ICT infrastructure and distance learning support programmes.

    For further information we refer to the website of the central government.”

    Subsequently, emails were distributed with messages such as this: ‘The ministry has clarified that university teachers belong to the vital occupations in the Netherlands. This means that if you have no one else at home who can take care of your children, you have a right to send them to daycare or school.’

    As of yet, however, this ‘vital profession’ status is not made explicit on the official government website the VSNU refers to, although the Ministry of Education sent a letter to Parliament on March 19th confirming this ‘vital profession’ status. The list on the central government’s website, however, still only mentions ‘school teachers’ – a label university boards appear, all of a sudden, to be entirely comfortable with.

    “It may come as a shock to academics but nurses, doctors, firemen, (hospital) janitors, primary school teachers, shop keepers, and electricity mechanics are much more vital at this moment.”

    These emails were surely meant to support staff that was struggling to combine work and care at home. Teaching staff in particular has indeed been put in a highly stressful and overwhelming situation, trying to ‘move’ teaching to online spaces, navigate anxieties about the pandemic and worries about loved ones, often while juggling homeschooling and childcare. It makes sense to provide support. Yet, the ‘vital professions’ claim makes clear that universities as employers have difficulty organizing solidarity.

    Yes, some courses run through this semester and certainly, students should be enabled to graduate this academic year (that is, in absence of compensation enabling an extra year of study). But not all staff is involved in these tasks. Instead of effectively redistributing work and supporting staff that needs the support, the universities opted for a general ‘vital profession’ claim, effectively overburdening the already quite precarious health care system and schools in the Netherlands while exposing more people than necessary to infection. In the process, choices that are highly personal and ethical – do I take my child to daycare in the midst of a pandemic? – are decided by decree.
    The delirium of ‘impact’

    For some time now, Dutch universities are in a delirium over their ‘impact to society’. Being a ‘vital profession’ is part of that delirium. And it takes our mind off of what should now be done. Many students are not coping with the situation in such a way that it allows for the ‘business as usual’ model currently adopted. Especially international students are struggling. They are anxious about the virus itself and are far away from family, or they have moved back home and are therefore far away from the university. Students do not always have the support network in place to help them through this crisis and they often live in very small rooms. With hospitality and other businesses locked down, many also have to survive without the additional income they earn in part time jobs. The students need support and universities’ staff is offering this, often by digital means and from home. But many students, and in particular international students, we find, need more to alleviate mental stress and financial uncertainty about the future.

    The first thing not to do, is to act as if we’re in ‘business as usual’. What we see happening is massive resources being deployed to keep students to deadlines rather than apply leniency, to not change teaching objectives (bureaucratically expressed in ‘learning goals’), to move all face-to-face teaching to online, digitally mediated teaching, through platforms controlled by the tech industry. This is madness. We are experiencing a crisis unprecedented in the history of modern higher education, which is profoundly changing the nature of higher education while putting everybody, students and staff, under intense pressure. In the face of a transformation of such magnitude, ‘business as usual’ cannot be the preferred course of action. There are two main reasons for this.
    We cannot teach, so don’t pressure students to learn

    The first is that teaching cannot properly be done. Only when education and pedagogy is expressed in bureaucratic ‘learning goals’ does it make sense to provide students with recorded lectures and consider it equivalent to what the meeting of students and teachers can and should be. Digital alternatives are, of course, provided with the best intentions, and considered as substitutes for lack of better options. But the very idea that they are substitutes is revealing with respect to how our society has to come understand what education is. What we have to resist is the idea that we are now doing ‘online teaching’.

    “Students are anxious about the virus itself, about being far away from family, or moved back home and therefore far away from the university.”

    What we are doing, rather, is trying to make it to the end of the semester without harming the interests of our students. But in the current crisis, the flight to the digital is a form of denial rather than a way of coping with the crisis. This is the hard pill to swallow: teaching, challenging each other’s minds, studying and discovering together, is not possible at the moment. Therefore, in order to ensure that students do not incur delays, why not enact leniency, and adapt learning goals given the circumstances under which learning must take place? Why stick to bureaucratically engrained ‘learning goals’? Alternative options should be considered, such as a pass or fail grading option, or adapting exam requirements.

    The second is that the ‘business as usual’ approach takes an exorbitant toll on supporting staff and outsourced personnel and heightens inequalities between tenured and temporary staff, and therefore signifies a lack of solidarity of academics with support staff, catering services, cleaning staff, as well as with primary school teachers and day care professionals. When we received the first emails requesting us to work from home and ‘move teaching online’, it became apparent which workers were asked to continue being on site: maintenance staff. Some of those e-mails assured staff who needed to come in for emergency meetings that ‘coffee machines will continue to be maintained, and can be used.’ So, workers were, and currently are, maintaining coffee machines and cleaning offices, after academics were already working home and before the buildings began to close (but note that many buildings remain open).

    “The first thing not to do, is to act as if we’re in ‘business as usual’.”

    This put maintenance staff, generally badly paid and often non-white, at risk of being infected with COVID-19. The vitality of academics, thus depends on the vulnerability of others to a potentially lethal disease. And after the schools closed on Monday March 16th, it also put them in the situation of needing to make arrangements for childcare in order to show up for their job, just because we presumably cannot endure without our coffee. It is crucial that in the time to come, we include outsourced maintenance staff in our considerations of who is the university and who is actually ‘vital’. This crisis has made visible, yet again, that, to a large extent, vital work is indeed social reproductive work – the work that makes so-called productive work possible in the first place. We should make sure that, like academic staff, maintenance staff should continue to be paid throughout this crisis, and that no one loses their job in this crisis.

    What we demand from Dutch universities:

    1) Barring medical researchers and staff who are immediately involved in managing the COVID-19 crisis, the claim to a ‘vital profession’ should be rescinded;

    2) All efforts should be aimed at providing relief for students, and this includes leniency, adjusting deadlines, extra retakes, all in such a way as to make sure students can both move on with their studies or graduate, and incur the least financial burdens;

    3) Both the safety and the continuation of pay for support and maintenance staff should be secured, regardless of whether their work has been outsourced;

    4) Temporary staff in particular requires extra support; leniency should be applied in tenure tracks, and PhD trajectories should be extended.

    5) Pressure should be put on the central government to provide financial support for temporary staff, but in particular for students. Government has announced a huge package of financial relief measures for businesses. Why not for students? The forgiving of student debt and the extension of studies without tuition are two obvious options beyond postponing debt payments and, effectively, extending student debt, as announced by the Ministry’s letter to Parliament of March 19.

    Earlier this, week, hundreds of Cambridge students asked their university to let them retake this year. These are not outrageous demands; they are demands that appreciate the size of what hit us, and of what is likely to come. It is time to start operating in radically different registers, that face the magnitude of what is happening to our educational institutions in and beyond this crisis. Rather than a digitized ‘business as usual’, this is what is demanded of the kind of educational leadership now required.

    https://www.scienceguide.nl/2020/03/academics-are-not-a-vital-profession
    #Pays-Bas #profession_vitale #coronavirus

    Ce terme de #profession_vitale , appliquée au monde académique... à rapprocher avec celui de #continuité_pédagogique en France :
    https://seenthis.net/messages/831759

    #terminologie #mots #vocabulaire

  • Faire comme si de rien n’était, vraiment ? À propos de la « #continuité_pédagogique » en période de confinement.

    Samedi, alors que le premier Ministre annonçait le #confinement, sans annuler les élections, j’ai reçu un énième message sur les « #cours_en_distanciel ». Émanant d’une collègue que j’aime beaucoup, il indiquait qu’elle allait faire ses #cours_en_ligne de telle façon, mais pas de telle autre. La notice venait après des dizaines d’autres, sur Twitter et sur des listes professionnelles, où on continuait à voir circuler des appels à contributions pour des colloques, des appels à projet et bien sûr des trucs et astuces pour faire des cours. Sur mes propres listes institutionnelles, une fièvre s’était emparée de mes collègues dès mercredi pour savoir quels étaient les meilleurs #outils, libres ou non, pour faire des séminaires à distance. Était-ce la douceur d’un soir marseillais ? Je me suis demandée comment les Marseillais·es avaient vécu l’épidémie de 1720 — du moins celles et ceux qui n’avaient pas fui

    Ces enseignant•es qui veulent continuer à enseigner envers et contre tout, auraient-il/elles fait la même chose pendant la peste de 1720 ou l’épidémie de choléra de 1832 ?

    Non. Parce que le numérique n’existait pas, me direz-vous.

    Sommes-nous à ce point (dé)connectés que nous ne parvenons pas à comprendre que nous allons vivre une profonde #perturbation de notre #quotidien, de nos #habitudes, de nos #temps_sociaux ? Que cette perturbation implique déjà de nous occuper de nos proches, nos enfants, nos parents, voire nos voisins dans le besoin, et surtout de s’attacher à ne pas propager le virus, en restant chez soi ?
    Peut-être l’idée de connaître des deuils affleure-t-elle encore à peine à la conscience. Peut-être aussi la paranoïa ne laisse pas de place pour l’information objective. Si le taux de mortalité à 3% de la population affectée est confirmée, il n’est pas de doute que la mort va se rapprocher de nous. Elle va aussi se rapprocher des étudiant·es.
    Ne pouvons-nous aussi nous arrêter d’enseigner quelque temps ? Que veut dire cette « continuité pédagogique » qu’on nous serine à longueur de correspondance institutionnelle ?

    On peut légitimement se demander ce que voulait dire déjà cette « continuité pédagogique », quand les étudiant·es se voyaient retirer leur titre de séjour en cours d’année, quand ils ou elles se retrouvaient sans toit, sans emploi, sans de quoi se nourrir, quand leur présence en cours était si rare, parce qu’ils ou elles devaient travailler ? Que veut dire « continuité pédagogique » aujourd’hui ?
    Ce qui m’interroge davantage encore, c’est le rapport qu’entretiennent mes collègues à leur savoir. Déployer de l’énergie à essayer de mettre en œuvre des #visioconférences, c’est aussi imposer aux étudiant·es la croyance que le savoir universitaire — et son partage dans une relation pédagogique — surpasse tout. Je ne parle des collègues qui ne jurent plus que par les « pédagogies innovantes de type MOOC »2 sans s’être jamais demandé de quels outils et de quelle qualité de connexion les étudiant·es disposaient, confiné·es hors des campus. Je ne parle pas non plus de la croyance en la nécessité d’une relation pédagogique surplombante, de maître à élève, en laquelle semblent adhérer quelques collègues. Est-ce le pouvoir qu’ils ou elles retirent de cette #domination_savante qui justifie cet entêtement ? Ou plus simplement, leur #addiction_au_travail et le #déni de la #pandémie ?
    Dans cette logique, la #relation_pédagogique universitaire serait ainsi tellement éminente pour justifier l’enseignement universitaire et sa validation en tout temps. Même en celui où les collègues enseignant·es, hommes et femmes, parents de jeunes et moins jeunes enfants, enfants de parents âgées, se retrouvent du jour au lendemain sans autre solution que de s’en occuper à temps plein.
    Cela fait plusieurs mois qu’en dépit des signaux les plus crus de destruction massive de l’Université et du Code de l’Éducation, de la pauvreté dramatique de certain·es étudiant·es, de la mise en danger du renouvellement de nos disciplines, faute de recrutements, tout le monde continue, comme si de rien n’était, à faire cours, déposer des ANR, organiser des réunions, faire des colloques, recruter des doctorant·es —en sachant pertinemment qu’ils ou elles n’auront pas de postes après les longues et pénibles années de thèse.Pour autant, ce qui a primé, chez une majorité de collègues universitaires c’est continuer à travailler.
    Avec le COVID-19, je prends conscience d’une #pathologie_pédagogique : celle d’une déconnexion de la vie savante et de la vie tout court. Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’entraîner mes etudiant•es dans cette voie névrotique.
    Bien au contraire, c’est d’abord du bien-être de mes étudiant·es et de leurs besoins que je me suis enquise. Je l’ai fait non sans savoir que plusieurs d’entre elleux n’auront pas l’envie de dévoiler une situation délicate ou des soucis de santé physique ou mentale, alors qu’ils ou elles sont loin de leurs proches, quand ils ou elles ont encore de la famille. C’est ensuite — d’abord — et surtout de mon fils, avec qui il va me falloir composer pendant quelques semaines, sans sortir. Bien sûr, je sais qu’il me faudra un temps d’#adaptation, après trois mois de veille et de chroniques quotidiennes sur ce blog, auxquelles je suis devenue dépendante. Par chance, contrairement aux Marseillais·es de 1720, le téléphone et Internet existent pour que mon fils et moi maintenions vivante l’affection qui nous lie à nos proches à l’autre bout de la France et à nos ami·es un peu moins éloigné·es, comme à celles et ceux vivant à l’étranger. Il sera temps bientôt de demander si je peux être utile, auprès de collectifs contre les violences faites aux femmes, de Réseau Éducation Sans Frontière, ou d’autres associations solidaires.

    Lors d’une épidémie du 16e siècle, Claire Dolan avait suivi les trajets quotidiens du notaire pour enregistrer sans relâche baptêmes, décès, dernières volontés, au travers des portes cochères et par les fenêtres3 /. En 1720, le dévouement du chevalier Roze et de l’évêque de Belsunce ont durablement marqué la mémoire des Marseillais·es. Les médecins avaient fui. Ce qui est moins connu, c’est que les habitant·es confinés ont eu aussi une grande confiance dans leur soignant·es, ces « chirurgiens de peste » mercenaires, de basse extraction, recrutés dans tout le royaume pour s’occuper des malades, en l’échange de la promesse de pouvoir s’installer sans frais4. Il est peut-être ridicule de nous comparer avec ces humains d’un autre temps. Pourtant réfléchir à leur histoire et leur expérience de l’épidémie nous tend un miroir5 : quel sera le rôle des universitaires de sciences humaines et sociales en ) 2020 ? Faire des cours en ligne ? (Re)devenir simple citoyen ? Continuer d’élaborer, dans le prolongement de la mobilisation de l’hiver, l’Université de demain ? Ou tout autre chose ?

    Notes :

    Sur l’expérience de la peste et la transformation des institutions de police et de justice, voir la thèse de Fleur Beauvieux, Expériences ordinaires de la peste. La société marseillaise en temps d’épidémie (1720-1724) (EHESS, 2017), à paraître chez David Gaussen éditeur en 2020. [↩]
    Je ne parle même pas des collègues qui, n’ayant jamais envoyé un document .pdf à leurs étudiant·es de leur vie, vantent les MOOC sans les avoir pratiqué et don sans connaître leurs désavantages. [↩]
    Claire Dolan, Le notaire, la famille et la ville (Aix-en-Provence à la fin du XVIe siècle. Toulouse, Presses du Mirail, 1998. [↩]
    Voir la thèse de Jamel El Hadj, Les chirurgiens et l’organisation sanitaire contre la peste à Marseille : 17e-18e siècles (EHESS, 2016). [↩]
    À l’instar de celui que Marc Bloch nous a tendu dans L’étrange défaite, texte rédigé entre juillet et septembre 1940, comme manière de rationnaliser la panique qui venait. [↩]

    https://academia.hypotheses.org/21189

    Je sens que je vais assez rapidement détester ce mot... continuité pédagogique...

    • Le #diktat de la « continuité pédagogique » - concept dont il convient de faire la critique - se traduit par la découverte
      d’une fracture numérique béante dans les usages, les pratiques et dans la possession des outils. L’injonction à mettre en ligne ses cours prend des
      formes parfois autoritaires. Ou alors on voit naître des fayots de service, fiers de montrer leur dernières innovations et autorisés à les envoyer en exemple
      à tous les personnels enseignants.
      Alors que des personnes meurent dans l’hôpital de la même ville, alors que les étudiants et médecins qu’on a formés dans cette université travaillent sans les protections rudimentaires qu’ils devraient avoir et exposent leur santé et peut-être leur vie, j’ai trouvé qu’il y avait une #indécence inouïe à se lancer dans cette folie de la continuité pédagogique.
      Je ne mettrai pas un seul cours en ligne. J’aurai de nombreux échanges avec mes étudiants, ils auront des supports de travail en ligne, ce que je fais depuis des années. Ils travailleront beaucoup, mais il n’y aura aucun cours. Il n’y pas de continuité pédagogique sans cours. La situation effective de l’enseignement
      dans les universités françaises est la suivante : une rupture pédagogique, une rupture de la relation pédagogique. Ce qui se passe et s’invente dans les
      nouvelles relations avec des étudiants et des enseignants confinés, n’est pas de l’ordre de la continuité pédagogique. C’est tout autre chose.

      Pour ce qui est des cours, je dirais ceci : chaque cours mis en ligne aujourd’hui c’est une fraction de poste qui sera perdue demain.
      Mais il y a plus grave : c’est ouvrir la possibilité d’être dessaisi de ce qui fait le plus propre de notre subjectivité, ce que nous inventons dans nos cours et nos recherches et qui se promène à tous les vents sous la forme d’un écrit privé de sa voix.
      Or il n’y a pas de cours à l’université sans des voix vivantes incarnées dans des corps, sans la présence d’un regard, sans l’expérience d’un langage
      qui invente l’inconnu grâce à l’écoute et la présence d’un autre. Un cours, c’est une incarnation. Ce n’est pas un écran. Ce n’est pas ce devant quoi
      je suis 18h par jour depuis que je ne fais plus cours.

      Reçu par email de la part de Pascal Maillard, le 18.03.2020.

      –-----

      Pascal Maillard a publié ce texte, légèrement modifié, sur son blog aussi...

      Continuité ou rupture pédagogique ?

      « Confidence d’un confiné : ne plus faire cours me manque. Ça, c’est une rupture, pas une continuité ». Publication d’une lettre envoyée cette nuit aux personnels de l’université. Contre la rupture numérique, la taylorisation des enseignements et le confinement des esprits.

      Bonsoir,

      Voici le message envoyé ce jour à tous les personnels de l’université de Strasbourg par l’intersyndicale. Je joins à ce mail la motion du CHSCT adoptée à l’unanimité le vendredi 13 et qui a fait l’objet d’un refus du président, lequel a été rattrapé par les décisions nationales. Il nous a accordé seulement un représentant des personnels dans la cellule de crise. Dimanche après-midi on y est allé à trois : à contexte exceptionnel, décisions exceptionnelles. On a obtenu une réunion le 20 pour valider le Plan de continuité d’activité, qui est toujours à l’état de brouillon. On a demandé une nouvelle réunion ce jour pour rendre des avis urgents sur de multiples questions.

      Lundi c’était un peu l’anarchie sur le campus. J’avais demandé dimanche qu’ils désactivent les badges d’accès aux bâtiments et ne valident que les accès des personnels essentiels, mais ils n’ont pas voulu au prétexte qu’il fallait laisser les collègues récupérer leurs affaires. Evidemment beaucoup de collègues dans les bureaux et les labos et des contaminations en plus…

      Aujourd’hui c’était plus calme, mais des cas de contamination sont signalés et la mise en place du télétravail est chaotique. Le diktat de la « continuité pédagogique » - concept dont il convient de faire la critique - se traduit par la découverte d’une fracture numérique béante dans les usages, les pratiques et dans la possession des outils. L’injonction à mettre en ligne ses cours prend des formes parfois autoritaires. Ou alors on découvre des collègues fiers de montrer leur dernières innovations et autorisés à les envoyer en exemple à tous les personnels enseignants. Alors que des personnes meurent dans l’hôpital de la même ville, alors que des étudiants et des médecins qu’on a formés dans cette université travaillent sans les protections rudimentaires qu’ils devraient avoir et exposent leur santé et peut-être leur vie, j’ai trouvé qu’il y avait une indécence inouïe à se lancer dans cette folie de la continuité pédagogique.

      Je ne mettrai pas un seul cours en ligne. J’aurai de nombreux échanges avec mes étudiants, ils auront des supports de travail en ligne, ce que je fais depuis des années. Ils travailleront beaucoup, mais il n’y aura aucun cours. Il n’y pas de continuité pédagogique sans cours. La situation effective de l’enseignement dans les universités françaises est la suivante : une rupture pédagogique, une rupture de la relation pédagogique. Ce qui se passe et s’invente dans les nouvelles relations entre des étudiants et des enseignants confinés, n’est pas de l’ordre de la continuité pédagogique. C’est tout autre chose.

      Pour ce qui est des cours, je dirais ceci : chaque cours mis en ligne aujourd’hui c’est une fraction de poste qui sera perdue demain. C’est une main mise dans l’engrenage de la taylorisation de nos enseignements, après celui de la recherche. Mais il y a encore plus grave : c’est ouvrir la possibilité d’être dessaisis de ce qui fait le plus propre de notre subjectivité, de ce que nous inventons dans nos cours et nos recherches et qui se promène à tous les vents sous la forme d’un écrit privé de sa voix. Or il n’y a pas de cours sans des voix vivantes incarnées dans des corps, sans la présence d’un regard, sans l’expérience d’un langage qui invente l’inconnu grâce à l’écoute et la présence d’un autre. Un cours, c’est une incarnation. Ce n’est pas un écran. Ce n’est pas ce devant quoi je suis 18h par jour depuis que je ne fais plus cours.

      Confidence d’un confiné : ne plus faire cours me manque. Ça, c’est une rupture, pas une continuité.

      Bien à vous,

      Pascal Maillard

      PS 1 : Un exemple de dispositif digne d’intérêt : http://philo.unistra.fr/uploads/media/FAC_PHILO-CONTINUITE_PEDAGOGIQUE.05.Publie2020-03-17.pdf

      PS 2 du 18 mars à 14h30 : L’urgence sanitaire requiert d’appeler tout le monde à la plus grande prudence et à la responsabilité. Les représentants des personnels dans les CHSCT ont un rôle majeur à jouer. Il peuvent sauver des vies, surtout dans un contexte où des présidences et des directions d’université, souvent débordées ou mal informées, n’appliquent pas les règles de précaution et de sécurité qui s’imposent. Il faut être inflexible avec elles et imposer le plus haut degré de sécurité. Aucun personnel dans les locaux universitaires sans masques FFP2 et sans gants. Décontamination de tous les locaux occupés. Que les CHSCT prennent des avis en urgence et les fassent respecter. C’est une question d’heure !

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/180320/continuite-ou-rupture-pedagogique

    • « Je sens que je vais assez rapidement détester ce mot... continuité pédagogique... »
      personnellement j’ai commencé à le détester au premier mail reçu de la présidence de l’université. Je lui ai substitué ce qui me semble être un assez bon synonyme : « continuité bureaucratique »

    • Covid19 : Plan de (dis)continuité académique

      Dans la situation de crise actuelle, les universitaires, et probablement plus largement les enseignants, attendent et reçoivent des instructions pour décider de leur comportement professionnel et personnel. Notre appareil de décision et de diffusion des ordres est mis à rude épreuve. L’impression qui se dégage pour l’instant est que le résultat est confus et anxiogène. En plus des fautes de communication, il convient de noter l’absence de l’information la plus importante en temps de crise : un plan de #priorité clair. Cette absence empêche la bonne réorganisation et surtout corsète les initiatives, empêchant de déployer pleinement le potentiel de nos enseignants.

      Le ministre de l’éducation nationale a introduit sa communication de crise par une série d’annonces erronées : la fermeture des écoles n’est pas envisagées, les enseignants continueront d’aller dans les écoles, les examens et concours de recrutement seront maintenus, le dispositif d’enseignement à distance est prêt… Au final, les écoles sont fermées, les enseignants confinés, les examens annulés, et lundi matin le dispositif d’enseignement à distance s’écroulait.

      Pour l’enseignement supérieur, nous disposons d’un courrier d’instructions sommaires et d’un « #plan_de_continuité_pédagogique » consistant en une collection d’#astuces_pédagogiques (« Tenez compte des horaires », « Encouragez les élèves à réfléchir »), de quelques informations techniques sur des plateformes utilisables, et de points de droit notamment sur les stages.

      Premièrement, les prérogatives des enseignants ne sont jamais clairement identifiées : nous ne savons pas quelles questions seront traitées par la hiérarchie, et quelles sont celles que nous pouvons traiter par nous-mêmes. C’est un frein majeur à la #réorganisation. Deuxièmement, aucun plan de priorités clair n’est établi. Toutes les instructions, parfois contradictoires, sont présentées au même niveau. Or, la gestion d’une #crise est en tout premier lieu une histoire de priorités. Etre privé d’un système de priorité pour guider ses décisions est non seulement anxiogène, mais peut aussi conduire à essayer de tout faire, et donc mal faire et s’épuiser, et ensuite peut créer des dissensions au sein des équipes.

      Une proposition de plan de priorités

      Si la hiérarchie n’est pas en mesure de fournir un plan de priorités, il est urgent que les équipes s’en dotent elle-mêmes. En voici une proposition :

      Préserver la santé de tous les étudiants et personnels, y compris précaires, et de leurs proches.

      Exemples :

      Tous doivent être assurés que leur absence ne sera en aucun cas sanctionné sous quelque forme que ce soit, pour peu qu’elle soit notifiée.
      La #continuité_sanitaire pour les étudiants et personnels isolés : un recensement doit être fait, et un plan nourriture/logement établi.

      Limiter le stress du à l’établissement.

      Exemples :

      Les questions liées aux études pour les étudiants et aux rémunérations pour les personnels précaires ne doivent en aucun cas être source d’un stress supplémentaire et ne doivent pas conduire les personnels à se mettre en danger.
      Toutes les difficultés individuelles, y compris au niveau financier, feront l’objet d’un traitement urgent et généreux.
      Assurer le #moral_collectif.

      Exemples :

      La cohésion des équipes et la confiance des personnels est primordiale dès lorsque la santé et le stress sont gérés.
      En temps de crise, la bonne entente est plus importante que l’atteinte d’objectifs fonctionnels, y compris dans l’environnement familial.

      La continuité des activités scientifiques et pédagogiques.

      Exemple :

      C’est seulement lorsque #santé, #stress et #moral sont gérés que les activités scientifiques et pédagogiques peuvent continuer.
      Préserver l’#environnement_familial en période de confinement est plus important qu’assurer des cours à distance.

      Les validations des études et la complétion des formalités administratives.

      Exemples :

      C’est seulement lorsque santé, stress et moral sont gérés, et que les activités scientifiques et pédagogiques ont continué, qu’une validation des études est envisageable.
      Les formalités administratives ne doivent pas empiéter sur la santé, le stress et le moral de la communauté, ainsi que sur la continuité des activités.

      Ce plan de priorité n’est qu’une proposition. On pourra par exemple estimer que les notes sont plus importantes que les cours. Peu importe, mais il est indispensable de pouvoir se référer à un tel plan pour décider de son comportement, notamment lorsque qu’il est impossible de tout faire correctement. Concrètement, ce plan doit permettre à un enseignant dépassé par l’ampleur des tâches de décider de se concentrer soit sur les notes, soit sur les cours, en étant pleinement rassuré que cette décision ne lui portera pas préjudice.

      Sur la base d’un tel plan, les énergies des enseignants pourront se libérer et se focaliser, ce qui sera éventuellement l’occasion d’expérimenter de nouvelles formes de pédagogie.

      Libérer et ouvrir les enseignements

      A l’heure actuelle, puisque l’injonction est d’assurer une continuité pédagogique, nous cherchons à éviter les cassures, et nous reproduisons donc nos classes physiques dans des environnements virtuels, avec l’illusion que ce sera presque pareil. C’est rater l’occasion d’essayer vraiment de nouvelles formes d’organisation pédagogique. Si le plan de priorités estime les notes secondaires, alors il devient possible de s’affranchir des carcans scolaires, et d’innover à l’échelle d’un établissement.

      A titre d’exemple, il devient alors possible que tous les enseignants qui le souhaitent fassent cours à tous les étudiants qui le souhaitent, et même les autres enseignants, les élèves des collèges et lycées, ainsi que les travailleurs et citoyens. Nous sommes parfaitement capables d’adapter les cours que nous maîtrisons déjà ou de monter des conférences de recherche grand public, et de les assurer en ligne, sous forme de cours magistraux. Les infrastructures techniques sont limitées pour une large interaction, mais pas pour une très large diffusion.

      Dans le contexte actuel, libérés des obligations habituelles, il ne faudrait pas plus d’une journée à une université pour collecter une offre pléthorique d’enseignements faisables en ligne. Aucun problème technique ou organisationnel ne s’oppose à la mise en ligne d’un calendrier par les services de communication, puis à une diffusion la plus large possible, à tous les étudiants mais aussi la presse locale. On mettrait ainsi à disposition de tout le monde une véritable offre de formation, faite en direct à la maison, et diffusée en direct dans les maisons.

      La force des libertés académiques

      La force de ce système est le respect des #libertés_académiques. En fournissant un plan de priorités sans indications concrètes sur sa mise en œuvre, on laisserait les universitaires déployer leur énergie et leur imagination au service de toutes et tous, avec la meilleure vue concrète sur le terrain qu’on puisse avoir. En ne prescrivant pas comment les cours doivent être faits ni ce sur quoi ils doivent porter, en laissant les étudiants choisir ce qui les intéresse et en ouvrant les cours au plus grand nombre, on exploiterait pleinement la véritable puissance de l’Université.

      La crise est une occasion unique de réellement faire de l’interdisciplinarité, de l’éducation initiale, scientifique, populaire et continue, et même de la science citoyenne. Rater cette occasion serait une faute morale pour l’Université.

      http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2020/03/18/covid19-plan-de-dis-continuite-academique

    • Testo di Filippo Celata, ricevuto via mail:

      «In giorni di isolamento, comunicazioni a distanza, didattica online, riunioni su skype, è bene ricordare i vantaggi preziosi e insostituibili degli incontri di persona, “faccia a faccia”: stimolano la partecipazione attiva, implicano un maggiore impegno reciproco, scoraggiano a mentire, consentono risposte più rapide, forme di comunicazione non verbale, di capire le reali intenzioni e emozioni dell’interlocutore (‘screening’), facilitano la condivisione di valori e linguaggi specifici, consentono la trasmissione di conoscenze tacite, non codificabili, riservate, rafforzano i legami e la fiducia reciproca, rimuovono l’anonimato, riducono la sostituibilità dell’interlocutore, permettono non solo lo scambio di informazioni pre-esistenti per realizzare obiettivi prestabiliti ma di stabilire questi obiettivi e produrre nuove conoscenze, consentono esiti casuali e non pianificati (serendipità), favoriscono l’informalità, permettono il ‘rush’ (condividere decisioni complesse in tempi rapidi), stimolano l’imitazione, sono meno escludenti e escludibili, non richiedono l’utilizzo di infrastrutture di terzi, sono più efficienti e più efficaci. Le relazioni interpersonali, dice John Urry, possono essere per un po’ gestite e mantenute “a distanza”, ma richiedono di essere per lo meno periodicamente riattivate tramite la compresenza. Ok quindi, coronavirus, che l’isolamento sia totale, ma breve.. ne va dell’infrastruttura sociale che arricchisce e sostiene le nostre relazioni personali, amicali, economiche, politiche..»

    • AMIS PROFS, OÙ EST L’URGENCE ?
      Réflexion de #Bénédicte_Tratnjek (@ville_en) publiée sur Facebook, le 19.03.2020.

      Je me remets sur un pavé, ce sera le dernier « cri » que j’écrirai, chacun s’apaisera ou non s’il le souhaite. Je ne m’y épuiserais plus...

      Je lis sans cesse ces jours-ci que la précipitation et l’urgence nous font faire des choix sur lesquels nous pouvons peut-être prendre le temps de réfléchir.

      Je lis sans cesse ces jours-ci des messages d’amis parents désespérés par la surcharge de travail qui leur tombe dessus.

      Pour les familles, lundi, découverte de tous les mails que nous avons envoyés pour expliquer comment nous allions fonctionner, tous individuellement car la situation a fait que nous n’avons pas pu le préparer collectivement. La situation est ainsi, mais laissons le temps aux familles (nos élèves et leurs parents) de digérer tout ça, de comprendre.

      Je lis depuis des messages qui me font halluciner, totalement. Tel prof qui n’a pas dormi depuis 4 jours pour tout mettre en ligne. Mais c’est quoi ce « tout » ??? Scanner tout ce que nous aurions fait en une heure avec les élèves a-t-il du sens ? Se précipiter est-il efficace ?

      Tel autre prof qui a fait un plan de travail sur 2 semaines pour que les élèves fassent totalement en autonomie une activité. Ce plan de travail magnifique, qui a dû prendre un temps fou pour la mise en page, y insérer des tableaux d’objectifs, d’activités, de compétences et de tout un truc qui ne parle qu’à nous est-il accessible en totale autonomie, peu importe la volonté qui mettront nos élèves et leurs familles ? Il est réfléchi, mais pour nous, pour nos besoins. Peut-être faut-il prendre le temps de réfléchir à être explicites dans le contexte présent, différent mais aussi stimulant intellectuellement.

      Tel autre prof qui écrit se lever à 4h du matin pour faire de multiples activités pour ses élèves, puis être surchargé par ce que les collègues demandent à ses propres enfants et s’en plaindre (une contradiction digne des reportages de Guillaume Meurice s’il en est !), puis retourné une partie de la nuit travailler à surcharger ses élèves. L’expérience des uns et des autres ne doit-elle pas nous enrichir plutôt que nous appauvrir ?

      Nous râlons, à juste titre, de ne pas avoir le temps de faire toutes les demandes annexes qui nous sont demandés : histoire des arts, éducation aux médias et à l’information, etc. N’est-ce pas le moment de se donner le temps, avec nos élèves, de faire tout ce que nous aimerions faire habituellement ? Ce lien histoire/français sur le Moyen Âge que nous n’avons jamais le temps de monter en se disant qu’on ne propose aux élèves qu’une activité commune allégeant ainsi de manière raisonnable (ni trop ni pas assez) notre charge de travail (un coup c’est moi, un coup c’est toi qui dépose une activité aux élèves) et celle des élèves (une activité commune, pas trop longue, pour deux heures « officielles » dans l’emploi du temps « ordinaire »). Ce lien arts plastiques/histoire que nous ne faisons jamais sur l’impressionnisme au XIXe siècle (tu leur fais étudier la gare Saint-Lazare de Monet, je fais une reprise plus tard sur l’industrialisation). Ce lien SVT/géographie sur le développement durable. Ce lien mathématiques/géographie sur les échelles. Je pourrais multiplier les exemples, c’est sans fin. Sans l’injonction des EPI, très lourds, en faisant simple. Réutilisable en plus les années prochaines.

      Réfléchissons ensemble : c’est quoi apprendre ? c’est quoi enseigner ? qu’est-ce que je veux vraiment enseigner à mes élèves ? que doivent-ils vraiment retenir/comprendre/savoir-faire pour se construire comme citoyen, comme humain, comme personnes qui pensent par elles-mêmes ?

      Prenons le temps de ne pas nous imposer à nous-mêmes des urgences qui n’existent pas. Les instructions officielles relèvent de la « continuité » pédagogique. J’ai beau cherché dans le dictionnaire, « continuité » n’est pas synonyme de « totalité » et encore moins de surplus. L’antonyme de continuité n’est pas totalité : c’est discontinuité, absence.

      Nous serions en tort de ne rien donner. Nous sommes en tort de trop donner.

      Trop donner, c’est faire stresser nos élèves et leurs familles. Trop donner, c’est créer un sentiment de dévalorisation chez ceux qui ne parviennent pas à suivre ce rythme. Trop donner, c’est favoriser la fracture numérique. Trop donner, c’est forcer les familles à choisir quel enfant de la fratrie aura le plus de temps de connexion pour répondre à toutes les exigences des profs et quel(s) enfant(s) n’auront pas accès à tout ça et seront vus comme « mauvais élèves » par leurs enseignants. Trop donner, c’est accentuer les inégalités sociales.

      Trop donner, ce n’est peut-être pas enseigner... On ne sait pas faire, on va se tromper, on va tâtonner. Mais avant tout RÉFLÉCHISSONS. OÙ EST L’URGENCE si je n’envoie pas « du lourd » les premiers jours. Tâtonnons avec les élèves, prenons le temps qu’ils comprennent comment faire, de connaître leur rythme, le nôtre aussi.

      ATTENTION À NOS BONNES INTENTIONS ! Nous les avons toutes et tous. Ce n’est pas la question ! L’enfer est pavé de bonnes intentions... Ne pavons pas l’enfer ! Éclairons nos élèves, donnons leur goût d’apprendre autrement, de pouvoir apprendre avec leurs familles et non pas dans les cris et dans les larmes, veillons à ce qu’ils aillent bien.

      Ce qui se passe est stressant pour des enfants et des jeunes. Et va l’être de plus en plus. Ce n’est que le début de cette période. Soyons raisonnables ! Pour nos élèves, pour leurs familles, pour nous aussi, pour nos proches !

      https://www.facebook.com/benedicte.tratnjek/posts/10156750046895059

      Cela complète cet autre texte de Bénédicte que j’avais déjà publié sur seenthis :
      L’#enseignement en temps de #confinement
      https://seenthis.net/messages/831621

    • Fermeture des universités : la #validation du semestre est nécessaire

      Quelques passages choisis :

      -Nous avons eu accès à une note du ministère concernant le "#Plan_de_continuité_pédagogique", prévoyant d’organiser des #examens_à_distance avec "#télésurveillance" via des prestataires privés, comme #TestWe tarifant un examen à 17€ par étudiant-e. À l’Université de Nanterre par exemple, si les 6752 étudiant-e-s de L1 devaient passer un examen via ce
      prestataire cela reviendrait à 114 784€ l’examen pour une université au budget déjà bien affaibli. Imaginez le #coût que cela engendrerait pour notre université de faire passer la totalité des UE d’un semestre avec ce #prestataire à tou-te-s les étudiant-e-s ! Une mauvaise connexion wifi entraînerait l’ajournement de l’étudiant-e à son partiel ?

      –Maintenir les #examens et #partiels dans cette situation pénaliserait les étudiant.e.s les plus défavorisé.e.s socialement pour qui la situation ne leur permettra pas d’étudier dans
      de bonnes conditions. Nous ne sommes pas opposés à la tenue de cours en ligne si des personnes souhaitent les suivre ou les dispenser, or nous pensons qu’aucune #évaluation ou contrôle d’assiduité ne doit en découler, pour les raisons évoquées plus haut.

      –nous rappelons qu’un examen à distance ne peut pas avoir lieu si l’Université ne peut pas vérifier et garantir que chaque candidat-e dispose des moyens techniques pour être évalué-e. Ainsi le stipule l’article D. 611-12 du Code de l’éducation : « La validation des enseignements contrôlée par des épreuves organisées à distance sous forme numérique, doit être garantie par : « 1° La vérification que le candidat dispose des moyens techniques lui permettant le passage effectif des épreuves ; »

      –Ainsi, nous demandons la validation du semestre 2. C’est la seule mesure qui ne pénalise pas les étudiants, que ce soit sur le plan des résultats ou sur le fait qu’elle ne reporte pas le calendrier universitaire.

      –concernant masters, les possibilité de poursuivre la recherche n’étant pas garantie, nous réclamons le report des rendus de mémoires. En effet la réduction de la documentation accessible ne permet pas de satisfaire les exigences scientifiques attendues pour ces travaux.

      –Il nous semble aussi évident que dans un tel contexte les candidatures en Licence (#Parcoursup) et en Master (#eCandidat) doivent être reportées. Prétendre pouvoir maintenir ces dispositifs de sélection à l’entrée des filières dans un contexte de crise sanitaire, où les #conditions_d’études des étudiant-e-s et lycéen-ne-s sont fortement perturbées, ne fait qu’accroître le #stress et l’#angoisse des jeunes.

      –D’autre part il n’est pas acceptable que #CROUS Grenoble maintienne l’obligation de payer le loyer malgré les mesures de confinement alors même que d’autres CROUS, notamment celui de Poitiers, ont suspendu le versement des loyers pour les étudiant-e-s confiné-e-s.

      –Nous tenons à exprimer notre soutien aux personnels qui souhaiteraient exercer leur #droit_de_retrait si ces mesures n’étaient pas respectées.

      –-> Reçu par mail le 20.03.2020

      #privatisation

    • J’ai fait ce que j’aurais dû faire dès le début, remplir mon #ASA pour #garde_d'enfant.

      Chères et chers collègues,

      Dans ce contexte difficile de crise sanitaire et de confinement, la DGESIP met à notre disposition des fiches relatives à la continuité des activités que vous pouvez consulter ici : https://services.dgesip.fr/T712/covid_19. Elles traitent d’un sujet par fiche et sont mises à jour au fil de l’eau.

      En parallèle, notre ministre a rappelé cette semaine la nécessité de veiller à ce qu’aucun étudiant ne se retrouve complètement isolé, même s’il est connecté, suite aux mesures de confinement. Il est important de dispenser des informations régulièrement dans toutes nos formations et, dans la mesure du possible, de proposer des temps d’interaction avec les étudiants pendant ou en marge de nos enseignements (mails, classes virtuelles, forum moodle, etc.). De même, un petit nombre d’entre nous peut se sentir isolé, il nous appartient, en particulier lorsque nous connaissons les collègues, de maintenir le contact.

      Comme précisé précédemment, la plus grande liberté est laissée aux équipes pédagogiques pour mettre en place les adaptations les plus appropriées à chaque enseignement et aux besoins de chaque population d’étudiants. Le SUPTICE (https://suptice.univ-rennes1.fr) est mobilisé pour vous conseiller et, si vous le souhaitez, vous former et vous accompagner. La Direction de la Communication met à jour quotidiennement des pages d’information pour tous, personnels et étudiants avec des Foires aux Questions (https://www.univ-rennes1.fr/covid19-foires-aux-questions-frequently-asked-questions). La possibilité d’organiser une banque de prêt de matériel informatique est à l’étude à la DFVU (https://www.univ-rennes1.fr/interlocuteurs/direction-de-la-formation-et-de-la-vie-universitaire-dfvu) pour les étudiants qui en sont dépourvus et qui se font connaitre auprès de vous. Pour eux également, des pistes pour participer au financement de forfaits internet adéquats sont examinées. Le pôle handicap est également mobilisé.

      Nous remercions les composantes pour le recensement en cours afin d’identifier les étudiants qui ont besoin de matériel, d’aide ou d’accompagnement spécifique durant cette période. Rester attentif au suivi de nos stagiaires sur le territoire, comme à l’étranger, est une autre priorité et vous êtes nombreux à vous impliquer aux cotés des services, dont la DARI (https://www.univ-rennes1.fr/la-direction-des-affaires-et-relations-internationales), le SFCA (https://www.univ-rennes1.fr/la-direction-des-affaires-et-relations-internationales) et le SOIE (https://soie.univ-rennes1.fr). Avec l’aide de la Fondation Rennes 1, un fonds d’aide d’urgence pour les étudiants en mobilité en difficulté à l’étranger en vue de leur rapatriement, est aussi lancé. Le soutien s’organise et se met en place progressivement au fil des jours, à tous les niveaux. Merci à tous pour votre implication.

      Concernant la continuité pédagogique et l’évolution des modalités des enseignements et des formations, les modifications que vous retiendrez peuvent porter sur les calendriers, les contenus et activités pédagogiques et/ou les MCCC des formations. Il convient de systématiquement les faire valider par les responsables de parcours et de mention, en lien avec les directions de composante. La cohérence et la coordination au sein de nos mentions de diplômes demeurent indispensables, tout comme les échanges préalables sont nécessaires au sein des équipes sur les choix que chacun(e) peut être amené(e) à proposer. Partager l’information et échanger, en toutes situations y compris celle-ci, contribue à la qualité de nos formations.

      Je vous remercie au nom des étudiants pour votre engagement et je vous souhaite de vivre du mieux possible cette période.

      Bien à vous,

      Cette lettre, que j’ai reçue via mail le 20.03.2020, a été accompagnée de ce commentaire :

      Face aux injonctions délirantes de notre université (faire de la continuité pédagogique, en anticipant l’organisation à distance des évaluations et aussi en prenant soin de vérifier que nos étudiants vont bien, et maintenant que nos supports numériques sont accessibles aux handicapés, voir mails envoyés par le VP CFVU et le SUPTICE),

      j’ai fait ce que j’aurais dû faire dès le début, remplir mon ASA pour garde d’enfant.

      Cela ne résoudra pas tous les problèmes, évidemment. Mais déjà si nous remplissons massivement ces ASA, ça leur montrera l’#absurdité de leurs #injonctions.

      Quelques heures avant, cette même enseignante avait envoyé ce message à la liste :

      Je ne supporte plus ces injonctions impossibles à mettre en oeuvre pour nos étudiant.es. Merci de m’indiquer quel est le papier à renvoyer (ASA ?) pour dire que je garde mes enfants et ne peux pas travailler.

      J’essaie tant bien que mal de maintenir un lien avec les étudiant.es connecté.es, et notre université nous parle jour après jour de continuité pédagogique. C’est une pression intolérable.

      – Je n’ai absolument pas le temps ni les compétences pour faire dans l’urgence depuis mon domicile des supports de cours à distance adaptés aux étudiant.es en situation de handicap.

      – De nombreux étudiants confinés seuls, y compris non handicapés, m’ont dit déprimer et ne pas réussir à travailler. Je suis plus inquiète pour leur santé mentale et physique que leurs talents mathématiques présents futurs.

      – De nombreux étudiants ne répondent pas aux sollicitations électroniques, je n’ai pas de nouvelles, je ne sais pas où ni comment ils sont confinés.

      – Je n’ai pas envie de culpabiliser de ne pas réussir à tout gérer : les devoirs des enfants, les courses et repas, et les étudiants.

      – Je n’ai pas une situation plus compliquée que d’autres collègues, et j’imagine que dans le confinement, la plupart des collègues sont dans l’impossibilité matérielle, psychogique ou temporelle de répondre à de telles injonctions, si tant est qu’ils sachent rédiger leurs polys en braille.

      Par conséquent, je souhaite être sous le régime de l’ASA pour garde d’enfant de moins de 16 ans plutôt que de télétravail, et si possible rétroactivement depuis lundi 16 mars, date à laquelle l’école des enfants s’est arrêtée.

    • #Concours titulaires de l’enseignement supérieur et de la recherche : un projet de décret en « #distanciel »

      Le jeudi 24 mars 2020, sera soumis au Comité technique du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation un projet de décret sur le recours à la visio-conférence pour les concours de chercheur·euses et d’enseignant·s-chercheur·ses.

      Le CTMESR est une instance représentative et consultative, devant laquelle le Ministère a l’obligation de présenter tous ses projets en matières d’emploi, de rémunération et de conditions de travail. Son rôle est de fait limité : s’il ne peut abroger un projet qui lui serait soumis, il peut néanmoins les retarder si ses membres, à l’unanimité le juge insuffisant. Dans ce cas, le MESR est censé reconvoquer le CT pour l’examen d’une nouvelle mouture1.

      Compte tenu de l’importance du sujet, il est utile de faire connaître à la communauté, titulaires ou candidat·es au recrutement, le projet du Ministère, qui ne semble pas bien prendre la mesure de l’épidémie. De fait la question des concours poursuit sous une autre forme celle de la « continuité pédagogique » dont Academia a déjà eu l’occasion de présenter les termes du débat 2.

      Nous avons déjà été surpris par le degré d’impréparation des services nationaux de visio-conférence, type Renavisio, qui a immédiatement indiqué ne pouvoir tenir la surcharge du télétravail. En décembre déjà, la tenue des seules soutenances de thèse avaient été chaotiques. Pourtant, elles se tenaient pour l’essentiel sur site, avec deux ou trois membres à distance, pas en distantiel total. Il semble déjà bien impossible de tenir à distance une réunion à 12 ou 15 membres, sans même parler de qualité de délibération.

      Mais ne boudons pas notre plaisir : faisons l’hypothèse que si les titulaires peuvent se réunir à distance pour l’examen des dossiers, au motif qu’ils ou elles disposent des mêmes conditions d’accès (connexion et matériel) à la visio-conférence, nous savons au bout d’une semaine d’essais infructueux que seuls les logiciels type jeux vidéos arrivent à tenir plus de 10 personnes en ligne de façon stable pendant la durée de la réunion. Mais déjà cette hypothèse se trouve infirmée par les relocalisations pré-confinement de plusieurs titulaires dans des zones rurales au câblage moins puissant ; les conversations sont hâchées, coupées pendant plusieurs minutes, interrompues ; le son est quelquefois exécrable, sans même parler des cris d’enfants au milieu des discussions. Si bien évidemment, on souhaite la réunion de l’ensemble du jury, et pas seulement la poignée de membres qui aura réussi à se connecter sans encombre, on peut donc raisonnablement penser que ces réunions seront matériellement impossibles à tenir3.

      Pour ce qui est des #auditions, la perspective n’est même pas envisageable. Le ministère peut-il fournir à l’ensemble des candidat·es l’équipement et la connexion nécessaire à son domicile ? Non. Alors il y a rupture d’#égalité. Jusqu’à présent, les auditions en visio-conférence pouvaient être organisées sur le site universitaire le plus proche du ou de la candidate, plus rarement au domicile. Dans la situation du confinement, ce sera simplement impossible.

      Cela, c’est sans tenir compte de l’inconnue que représente l’évolution de l’épidémie sur la vie quotidienne. Nous pouvons d’ores et déjà que la séquence examens des dossiers + concours se produira au moment attendu du pic de mortalité, en avril. À un moment où les membres des jurys et les candidat·es, s’ils ou elles ne sont pas affectées dans leur corps, auront sans doute à gérer de près ou à distance un décès d’un parent ou d’un proche — sans parler des difficultés inhérentes à toute épidémie, comme les pénuries, les soucis financiers, etc.

      Il sera regrettable qu’en raison de la gestion irresponsable du Ministère, à l’origine de nombreuses ruptures d’égalité ou d’annulations techniques de concours, les candidat·es subissent par des procédures pour #rupture_d’égalité une #double_peine. Ou pire, qu’arguant de la loi d’exception, le Ministère cesse de considérer que les principes d’#impartialité et d’égalité qui régissent les concours de la #fonction_publique cessent d’opérer.

      –------------

      Décret n° du

      fixant les conditions de recours à la #visioconférence pour l’organisation des concours des chargés de recherche et des directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et technologiques et des enseignants-chercheurs des établissements d’enseignement supérieur au titre de l’année 2020

      Publics concernés : chargés de recherche et directeurs de recherche des établissements publics scientifiques et technologiques (EPST) et enseignants-chercheurs des établissements d’enseignement supérieur et de recherche

      Objet : utilisation de la visioconférence pour les études des dossiers, les auditions ainsi que pour les réunions de délibération des jurys des concours de chercheurs et des comités de sélection et autres jurys de recrutement d’enseignants-chercheurs.

      Entrée en vigueur : lendemain de la publication

      Notice : le décret vise à ouvrir à l’ensemble des membres des jurys des concours de chercheurs et des comités de sélection et jurys d’enseignants-chercheurs organisés au titre de l’année 2020 la possibilité d’utiliser la visioconférence pour les études des dossiers, les auditions et les délibérations.

      Références : le décret peut être consulté sur le site Légifrance (http://www.legifrance.gouv.fr).

      Le Premier ministre,

      Sur le rapport du ministre de l’action et des comptes publics, du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation,

      Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires, ensemble la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiées portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ;

      Vu le décret n°82-451 du 28 mai 1982 modifié relatif aux commissions administratives paritaires ;

      Vu le décret n°83-1260 du 30 décembre 1983 modifié fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques ;

      Vu le décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences ;

      Vu le décret n°84-1185 du 27 décembre 1984 modifié relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires du centre national de la recherche scientifique ;

      Vu le décret n°84-1207 du 28 décembre 1984 relatif au statut particulier des corps de fonctionnaires de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement ;

      Vu le décret n°84-1206 du 28 décembre 1984 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (I.N.S.E.R.M.) ;

      Vu le décret n°85-1060 du 2 octobre 1985 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ;

      Vu le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat pris pour l’application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat ;

      Vu le décret n°86-576 du 14 mars 1986 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique ;

      Vu le décret n°88-451 du 21 avril 1988 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires de l’Institut national d’études démographiques ;

      Vu le décret n°99-272 modifié du 6 avril 1999 relatif aux commissions paritaires d’établissement des établissements publics d’enseignement supérieur ;

      Vu le décret n°2011-184 du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l’Etat ;

      Vu le décret n° 2017-1748 du 22 décembre 2017 fixant les conditions de recours à la visioconférence pour l’organisation des voies d’accès à la fonction publique de l’Etat ;

      Vu l’avis du comité technique du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche du ;

      Vu l’avis du comité technique des personnels titulaires et stagiaires de statut universitaire du XXX ;

      Après avis du Conseil d’Etat (section de l’administration),

      Décrète

      Article 1er

      Par dérogation aux dispositions de l’article 7 du décret du 22 décembre 2017 susvisé, et pour les concours organisés au titre de l’année 2020, l’ensemble des membres des jurys des concours d’accès aux corps de chargés de recherche et de directeurs de recherche régis par les dispositions du décret du 30 décembre 1983 susvisé peuvent recourir à la visioconférence pour l’étude des dossiers, les auditions et les délibérations, sous réserve que leur identification et leur participation effective soient garanties.

      Les conditions et modalités du recours à la visioconférence par les membres du jury en matière d’audition sont fixées par l’établissement dans le respect du principe d’égalité de traitement entre les candidats.

      Article 2

      La dernière phrase du 4ème alinéa de l’article 9-2 du décret du 6 juin 1984 susvisé ne s’applique pas aux concours de recrutement de professeur des universités ou de maître de conférences régis par ce même décret organisés au titre de l’année 2020.

      Article 3

      Par dérogation aux dispositions de l’article 7 du décret du 22 décembre 2017 susvisé, et pour les concours organisés au titre de l’année 2020, l’ensemble des membres du jury mentionné à l’article 46-1 du décret du 6 juin 1984 susmentionné peuvent recourir à la visioconférence pour l’étude des dossiers, les auditions et les délibérations, sous réserve que leur identification et leur participation effective soient garanties.

      Les conditions et modalités du recours à la visioconférence par les membres du jury en matière d’audition sont fixées par arrêté ministériel dans le respect du principe d’égalité de traitement entre les candidats.

      Article 4

      Par dérogation aux dispositions de l’article 7 du décret du 22 décembre 2017 susvisé, et pour les concours organisés au titre de l’année 2020, l’ensemble des membres des jurys des concours d’accès aux corps assimilés aux enseignants-chercheurs relevant du décret du 6 juin 1984 susmentionné peuvent recourir à la visioconférence pour l’étude des dossiers, les auditions et les délibérations, sous réserve que leur identification et leur participation effective soient garanties.

      Les conditions et modalités du recours à la visioconférence par les membres du jury en matière d’audition sont fixées par l’établissement dans le respect du principe d’égalité de traitement entre les candidats.

      Article 5

      Les commissions administratives partiaires relevant du décret du 28 mai 1982 susvisé, les commissions consultatives paritaires relevant de l’article 1-2 du décret du 17 janvier 1986 susvisé et les commissions paritaires d’établissement relevant du décret du 6 avril 1999 susvisé, instituées dans les services et les établissements publics du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation peuvent, pour leurs réunions organisées en 2020, appliquer les dispositions de l’article 42 du décret du 15 février 2011 susvisé.

      Article 6

      Le ministre de l’action et des comptes publics, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

      Par le Premier ministre :

      Le ministre de l’action et des comptes publics,

      Gérald Darmanin

      La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

      Frédérique Vidal

      Le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’action et des comptes publics,

      Olivier Dussopt

      https://academia.hypotheses.org/21391

    • Continuité pédagogique ? Témoignages d’enseignantes-chercheuses

      Nous avons recueilli, au hasard des listes de discussions, sur Twitter, en échangeant avec les collègues, plusieurs témoignages qu’il nous semble indispensable de publier pour saisir la distinction entre ce que j’ai appelé la névrose de la continuité pédagogique,et les tentatives, sincères, désespérées quelquefois, de faire vivre le lien pédagogique, ayant conduit Julien Gossa à lancer un appel pour un plan de (dis)continuité pédagogique. Car l’Université, c’est avant tout ces chaînes de transmission de savoir, qui sont aussi des liens éthiques et des valeurs.

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      Caroline Muller – Rennes-2

      « Chères toutes, chers tous,Je prends conscience que, dans l’effervescence de la mise en place de la « continuité pédagogique », je ne vous ai sans doute pas assez dit l’essentiel : cette période étrange n’est en aucun cas le moment de paniquer ou stresser sur vos cours. Nous savons que tout le monde n’a pas une bonne connexion internet ou des conditions de travail optimales ; je sais aussi que le confinement a des effets psychologiques qui peuvent rendre difficile la concentration. Mon mail précédent était indicatif : l’idée est de garder un peu d’activité intellectuelle et d’éviter un « décrochage » trop violent, pas de préparer à tout prix tout ce qui était prévu.

      Profitez de vos proches s’ils sont avec vous, jouez à la console, écoutez de la musique, plongez dans Gallica ou toutes ces très belles offres culturelles qui nous parviennent (comme quoi, en temps de crise, on se rend compte qu’on pourrait inventer une culture gratuite et accessible à tous), regardez des films, cuisinez si vous pouvez, faites du yoga (sans vous cogner aux meubles si vous êtes dans 12 mètres carrés), applaudissez aux fenêtres, observez ce que l’événement fait à la société, fomentez la fin du capitalisme, dormez, rêvez, parlez à vos amis, organisez des apéros Skype si vous avez une connexion, écrivez à vos professeur(e)s qui sont là pour vous, ressortez les puzzle et les lego, bref : faites ce qui vous fait du bien. Et n’hésitez pas à m’écrire si vous êtes angoissés. On peut même créer un groupe de discussion si vous avez besoin.
      Pour ceux et celles qui sont salarié(e)s, ces temps sont aussi particulièrement difficiles à gérer, entre inquiétude de contamination, pressions hiérarchiques, injonctions contradictoires et nécessité de subvenir à ses besoins. N’hésitez pas à nous contacter pour nous faire part de toute situation de grande fragilité ou de précarité et surtout ne vous donnez pas une pression supplémentaire quant au suivi de votre cursus : nous trouverons des solutions ensemble le moment venu ».

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      VB – Région Rhône-Alpes

      J’ai quand même un collègue qui nous dit, quand on discute des difficultés des étudiants, « Oui enfin bon c’est peut-être juste de la fainéantise et il ne faudrait pas que nous baissions notre niveau d’exigence ».
      Au même moment une étudiante m’écrivait pour s’excuser de ne pas avoir participé au chat que j’avais planifié, parce qu’elle est caissière en supermarché et fait plus d’heures à cause des absences. Au supermarché, bordel, pendant que nous on est confinés avec nos 2500 bouquins et qu’on glose sur « oui mais alors faudrait pas donner leur semestre aux fainéants ».

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      CP – Grand Est

      Mail de la hiérarchie demandant, UE par UE, un tableau des aménagements prévus pour la continuité pédagogique, et disant que d’autres formations ont déjà remonté les tableaux le week-end dernier. Je ne sais pas dans quel monde c’est humainement possible. On a besoin de TEMPS là. Jean-Michel Blanquer déteint sur l’ESR ou bien ? Les demandes comminatoires de trucs pas raisonnables et précipités, quand on n’a ni pratique, ni formation, ni anticipation vague du passage en distanciel, ça remet une pièce dans le juke box de l’anxiété.
      Du coup, ma réponse :

      CR – Région Centre – Message envoyé au doyen le 20 mars au doyen

      « Il est clair aujourd’hui que les étudiants sont en train de supporter un stress considérable dans ce système improvisé (improvisation qui n’est la faute de personne) : on leur laisse à penser qu’ils doivent suivre des formations à distance qui seront l’objet d’évaluation.
      De mon point de vue, c’est totalement injuste et irresponsable de notre part.
      Nous savons que les inégalités d’accès à Internet nous obligeront à renoncer à toute évaluation sur les « enseignements » donnés dans ce cadre.

      Il est donc de notre responsabilité de dire clairement le plus vite possible aux étudiants que seuls les cours faits avant la fermeture et éventuellement après la reprise feront l’objet d’une évaluation selon des modalités que nous ignorons aujourd’hui.

      Et, en même temps , leur dire que nous les encourageons malgré tout à ne pas se démobiliser en utilisant les ressources données par les enseignants pour réviser et travailler le reste du programme même si cela ne fera pas partie de ce qui sera évalué. Nos étudiants sont assez intelligents pour comprendre cela.

      C’est ce que nous avons fait pendant et à la suite des grèves de 1995-1996 et 2007-2009 ».

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      VM – Île-de-France

      « Je me posais déjà la question de l’accès aux outils numériques pour les étudiants, mais j’ai reçu des messages complètement catastrophés d’étudiantes et d’étudiants ces derniers jours : pas d’internet autrement qu’un petit forfait sur le téléphone (donc des devoirs à la main envoyés en photos), un ordi pris d’assaut par la famille, pas de BU, etc.

      Les conditions de confinement sont très variables. Certains sont seuls chez eux, d’autres avec un.e ami.e, d’autres avec leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs grands-parents. Certains sont dans leur petite chambre d’étudiants, d’autres dans l’appartement familial, certains en ville, d’autres à la campagne. Certains continuent à travailler pour leur job étudiant, d’autres se demandent comment ils vont faire financièrement maintenant qu’ils n’ont plus cette source de revenus. Certains ont des proches malades, voire sont malades eux-mêmes. Certains ont besoin de travailler pour mettre à distance ce qui nous arrive, d’autres sont trop angoissés pour le faire.

      Comment alors leur demander de rendre des devoirs en laissant peser la menace du contrôle continu ? Et quand nous reviendrons ou pas et tenterons de valider le semestre, comment faire pour que ceux qui n’ont pas pu travailler ne soient pas pénalisés ?

      J’ai donc décidé pour la semaine prochaine de mettre sur notre ENT un cours et une correction d’un commentaire qui était à me rendre hier. Nous ferons une heure de classe virtuelle pour que je réponde à leurs questions et que nous maintenions un lien. Ensuite, je continuerai à mettre à l’heure normale du cours des textes, des articles, des liens, toujours en rapport avec l’histoire, mais pas nécessairement en lien avec la thématique exacte de mon cours. Je conserve aussi 1h d’échange par chat ou par classe virtuelle par semaine pour continuer à apprendre. Ceux qui peuvent et veulent me renvoient les devoirs initialement prévus : je n’en tiendrai compte dans l’évaluation que si cela leur est favorable. Et je vais réfléchir à des modalités d’évaluation raisonnables et justes pour la fin du semestre.

      Il me semble absolument nécessaire de continuer à réfléchir, à lire, à faire preuve d’esprit critique, à échanger des idées et des connaissances avec eux. Mais je ne veux mettre aucun d’eux dans une situation encore plus difficile et stressante ».

      –------

      6° BS – Région Bretagne

      Echange de courriels
      a. Du Département Suptice

      Chers collègues,
      En cette période de crise sanitaire et de confinement, nous sommes tous mobilisés pour assurer une continuité pédagogique auprès de l’ensemble de nos étudiants, notamment par le recours aux outils et aux ressources d’enseignement en ligne. Dans ce contexte, une attention particulière doit être apportée à nos étudiants en situation de handicap.
      C’est pourquoi nous nous faisons le relais des recommandations proposées par Monsieur XXX , enseignant et référent pédagogique Handicap, en matière de consignes pour la création de supports en ligne respectueux des règles d’accessibilité.
      Nous vous invitons à en prendre connaissance et à les appliquer lors de la création de vos supports de cours.
      Restant à votre écoute,
      Bien cordialement
      b. Message de la Présidence

      Chères et chers collègues,
      Dans ce contexte difficile de crise sanitaire et de confinement, la DGESIP met à notre disposition des fiches relatives à la continuité des activités que vous pouvez consulter ici. Elles traitent d’un sujet par fiche et sont mises à jour au fil de l’eau.
      En parallèle, notre ministre a rappelé cette semaine la nécessité de veiller à ce qu’aucun étudiant ne se retrouve complètement isolé, même s’il est connecté, suite aux mesures de confinement. Il est important de dispenser des informations régulièrement dans toutes nos formations et, dans la mesure du possible, de proposer des temps d’interaction avec les étudiants pendant ou en marge de nos enseignements (mails, classes virtuelles, forum moodle, etc.). De même, un petit nombre d’entre nous peut se sentir isolé, il nous appartient, en particulier lorsque nous connaissons les collègues, de maintenir le contact.
      Comme précisé précédemment, la plus grande liberté est laissée aux équipes pédagogiques pour mettre en place les adaptations les plus appropriées à chaque enseignement et aux besoins de chaque population d’étudiants. Le SUPTICE est mobilisé pour vous conseiller et, si vous le souhaitez, vous former et vous accompagner. La Direction de la Communication met à jour quotidiennement des pages d’information pour tous, personnels et étudiants avec des Foires aux Questions. La possibilité d’organiser une banque de prêt de matériel informatique est à l’étude à la DFVU pour les étudiants qui en sont dépourvus et qui se font connaitre auprès de vous. Pour eux également, des pistes pour participer au financement de forfaits internet adéquats sont examinées. Le pôle handicap est également mobilisé.
      Nous remercions les composantes pour le recensement en cours afin d’identifier les étudiants qui ont besoin de matériel, d’aide ou d’accompagnement spécifique durant cette période. Rester attentif au suivi de nos stagiaires sur le territoire, comme à l’étranger, est une autre priorité et vous êtes nombreux à vous impliquer aux cotés des services, dont la DARI, le SFCA et le SOIE. Avec l’aide de la Fondation de l’Université, un fonds d’aide d’urgence pour les étudiants en mobilité en difficulté à l’étranger en vue de leur rapatriement, est aussi lancé. Le soutien s’organise et se met en place progressivement au fil des jours, à tous les niveaux. Merci à tous pour votre implication.Concernant la continuité pédagogique et l’évolution des modalités des enseignements et des formations, les modifications que vous retiendrez peuvent porter sur les calendriers, les contenus et activités pédagogiques et/ou les MCCC des formations. Il convient de systématiquement les faire valider par les responsables de parcours et de mention, en lien avec les directions de composante. La cohérence et la coordination au sein de nos mentions de diplômes demeurent indispensables, tout comme les échanges préalables sont nécessaires au sein des équipes sur les choix que chacun(e) peut être amené(e) à proposer. Partager l’information et échanger, en toutes situations y compris celle-ci, contribue à la qualité de nos formations.
      Je vous remercie au nom des étudiants pour votre engagement et je vous souhaite de vivre du mieux possible cette période.
      Bien à vous, PRESIDENCE
      c. BS, enseignante-chercheuse

      Bonsoir … , chers collègues,

      Je ne supporte plus ces injonctions impossibles à mettre en œuvre pour nos étudiant.es. Merci de m’indiquer quel est le papier à renvoyer (ASA1 pour dire que je garde mes enfants et ne peux pas travailler. Mon directeur d’UFR est super et soutient tous les personnels de l’UFR. J’essaie de mon côté tant bien que mal de maintenir un lien avec les étudiant·es connecté·es, et notre université nous parle jour après jour de continuité pédagogique. C’est une pression intolérable.

      Je n’ai absolument pas le temps ni les compétences pour faire dans l’urgence depuis mon domicile des supports de cours à distance adaptés aux étudiant.es en situation de handicap.
      De nombreux étudiants confinés seuls, y compris non handicapés, m’ont dit déprimer et ne pas réussir à travailler. Je suis plus inquiète pour leur santé mentale et physique que leurs talents mathématiques présents futurs.
      De nombreux étudiants ne répondent pas aux sollicitations électroniques, je n’ai pas de nouvelles, je ne sais pas où ni comment ils sont confinés.
      Je n’ai pas envie de culpabiliser de ne pas réussir à tout gérer : les devoirs des enfants, les courses et repas, et les étudiants.
      Je n’ai pas une situation plus compliquée que d’autres collègues, et j’imagine que dans le confinement, la plupart des collègues sont dans l’impossibilité matérielle, psychologique ou temporelle de répondre à de telles injonctions, si tant est qu’ils sachent rédiger leurs polys en braille.

      Par conséquent, je souhaite être sous le régime de l’ASA pour garde d’enfant de moins de 16 ans plutôt que de télétravail, et si possible rétroactivement depuis lundi 16 mars, date à laquelle l’école des enfants s’est arrêtée.
      Cordialement, BS

      –--------

      Véronique Beaulande- Université Grenoble Alpes

      https://academia.hypotheses.org/21372

    • Ma vie de prof mise a distance : première semaine

      Jean-Michel #Blanquer a assuré la semaine dernière que tout était prêt pour l’enseignement à distance, mais les enseignants n’en avaient même pas été informés. Nous ne devions donc pas compter dans ce dispositif ? Ou bien nous n’étions attendus que comme « petites mains » de son plan génial ? Malaise.

      Travail du weekend : habituellement, je me limite au maximum sur le travail du weekend, pour… avoir une vie de famille, et essayer d’avoir un temps où je décroche du travail*.

      Malgré tout, comme beaucoup de mes collègues, je travaille le weekend. Et là, il y a une urgence exceptionnelle.

      Samedi 14 : J’ai contacté mes collègues de philosophie pour voir comment nous pourrions mutualiser notre travail pour les semaines à venir. Rédaction et lecture de plusieurs mails à différents moments (samedi après-midi, dimanche après-midi). Deux de mes collègues ont de jeunes enfants qu’elles devront garder à la maison, et m’informent qu’elles ne pourront assurer que le minimum.

      Nous ne savons pas encore si nous aurons l’obligation de nous rendre dans nos établissements sur nos horaires de cours habituels. Cet ordre a été donné par certains recteurs. Ce serait absurde, car nous n’avons pas de bureaux, pas de livres, parfois même pas d’ordinateurs pour travailler sur place, évidemment pas de conditions de sécurité sanitaire minimales, mais cela permettrait à notre institution de nous avoir à l’œil comme des petits moutons, dont on pourrait s’assurer qu’ils ne prennent pas du bon temps pendant la fermeture des établissements scolaires…. Cela semble être la première crainte, la première précaution que notre administration souhaite prendre, j’allais dire « à notre égard », mais c’est plutôt « à notre encontre ». Certains proviseurs envisagent même d’organiser des réunions toute la semaine, et tentent d’intimider et d’humilier les professeurs qui protestent au cours du weekend contre ces mesures.

      Échange mail avec la Cheffe d’Etablissement, pour l’informer de mon inquiétude pour les élèves qui n’auront pas accès à Internet (pas d’ordinateur individuel, pas de connexion de qualité suffisante), ou qui devront faire face à d’autres urgences.

      Retour de mail à tous les enseignants dans l’après-midi, qui nous informe qu’il sera de notre responsabilité d’identifier les élèves qui ne se connecteraient pas. Voilà, la responsabilité est pour nous.

      Dimanche : Je me lève à 7h00 du matin, car je suis prise d’une inspiration subite, et j’écris une longue lettre à mes élèves, avec lesquels je n’ai pas pu communiquer de vive voix après l’annonce de la fermeture des établissements scolaires, pour les inviter, en cas de difficultés de connexion, à lire de beaux livres, de ces livres capables de porter et ouvrir le monde. Le meilleur enseignement à distance ! Ce qui ne signifie pas que nous n’avons pas besoin de passeurs ou de passeuses pour accéder aux grands textes. (J’ai soigneusement travaillé la rédaction de ma lettre, car je compte sur le travail de l’écriture pour compenser, un peu, la non présence en chair et en os !).

      Je prends mon petit déjeuner en même temps que j’écris, pour ne pas perdre l’inspiration.

      Envoi de ma lettre vers 9h00. J’espère que mes élèves la trouveront en ouvrant l’ENT lundi. Qu’ils aient au moins ça.

      Je vais voter.

      Visite à ma mère qui a quatre-vingts ans. Dernière visite avant combien de temps ? J’ai mal dans les poumons. La perspective de mourir, peut-être dans les deux ou trois semaines à venir, m’a motivée pour arrêter de fumer. Ma mère, en pleine forme, me dit qu’elle a bien vécu sa vie, et m’invite à ne pas m’inquiéter pour elle.

      18h00 : je réponds à une élève qui a déjà lu ma lettre, et me demande des précisions pour se procurer un livre.

      LUNDI :

      Dès 8h00 (mon horaire de début de travail habituel le lundi) : recherche de ce qui est immédiatement disponible (cours déjà prêts et tapés) pour pouvoir les distribuer au plus vite aux élèves.

      9h30 : rédaction de petites fiches de programme de travail pour les élèves que j’ai habituellement en classe les mardi et mercredi.

      9h45 : première tentative de connexion sur l’ENT (Environnement Numérique de Travail) : inaccessible.

      Recherche de textes, mise sous format PDF de mes cours et de documents.

      Re tentative de connexion à l’ENT : inaccessible.

      J’annonce à mon collègue de philosophie que je ne serai vraisemblablement pas disponible pour la réunion téléphonique que j’avais initialement proposée à 14h00.

      13h00 : Re-tentative de connexion à l’ENT, qui plante. Début d’inquiétude : comment faire pour communiquer avec les élèves ? Recherche de solutions : créer des mailing listes ? Communication par liste de diffusion avec les collègues qui constatent le même plantage de l’ENT, et cherchent et proposent des solutions d’accès, qui ne fonctionnent que très ponctuellement.

      Je commence à organiser le lockdown avec mes fils : lequel ira chez moi, lequel ira chez leur père. Préparation des valises et organisation de l’échange de domicile. Appel à ma maman, à ma sœur, pour lesquelles je suis inquiète, car elles seront seules chez elles.

      14h30 : re-tentative de connexion à l’ENT. Sans succès.

      15h00 : préparation du travail pour les classes que j’ai jeudi. Rédaction de contenu de cours, impression de documents, rédaction d’exercices.

      16h30 : échanges avec collègue de philo sur les cours déjà prêts que nous pouvons partager, et ceux que nous aurions à rédiger.

      J’ai renoncé à l’idée de proposer des petits exercices sur les outils de l’ENT, puisque celui-ci n’est pas accessible.

      Pas d’accès sur le site du CNED, pas de possibilité de tester le dispositif de « classe à la maison ».

      Echanges avec les collègues et avec la Cheffe d’Etablissement, pour voir si nous pouvons créer des mailing listes. La CDE m’invite à patienter, « les choses vont se mettre en place ».

      18h00 : Je vais chercher mon fils et ses valises chez son père. Je dis au-revoir à mes deux autres fils. Je ne sais pas quand je vais les revoir.

      20h00 : tentative de connexion à l’ENT.

      22h30 : je reçois un mail, sur une adresse mail de secours (hors ENT) que j’ai pu communiquer à quelques élèves, de la part d’un élève consciencieux, lequel est très inquiet, car une consigne d’un exercice donné par une collègue de physique ne lui parait pas complète. Je pressens qu’à 22h30, dans les premiers temps de la fermeture des établissements scolaires, et juste avant le lockdown, son inquiétude n’est pas que scolaire. Je transfère sa question à ma collègue. Au passage, il me souhaite « bonne nuit » : c’est mignon, ça ne m’était jamais arrivé, qu’un élève me souhaite « bonne nuit » ; je lui souhaite « bonne nuit » à mon tour. Il me pose d’autres questions, mais je cesse de lui répondre, car je suis… au lit !

      MARDI :

      Je me lève à 6h00. Angoissée ? oui.

      J’en profite pour tenter de me connecter à l’ENT. Je parviens à envoyer un mail.

      Petit déjeuner et douche : je ne sais plus si c’est sur mon temps de travail ou pas : on en est où ?

      Tentative de création et d’envoi sur une mailing liste : ça ne marche pas correctement. Protestation inquiète ou amusée d’élèves, sur l’adresse mail de secours. Je leur réponds. Echanges avec les collègues sur le plantage de l’ENT, sur les possibilités de prendre d’autres chemins de communication avec les élèves. Est-ce légal, est-ce une bonne chose pour eux et pour nous ? Débat sur fond de désarroi et sentiment d’être abandonnés par notre institution. Question à la Cheffe d’Etablissement : je lui demande des instructions claires sur ce point. Elle m’invite à patienter. Certains collègues sont parvenus à créer eux-mêmes des moyens de communication avec les élèves, mais avouent déjà craquer, car ils/elles travaillent 12h00 par jour depuis le weekend.

      L’institution semble s’inquiéter grandement de la manière de nous surveiller, de disposer de nous pour toute nouvelle mission, par exemple, contacter les familles avec nos téléphones personnels, faire des photocopies sur nos imprimantes, mais pas de nous informer ni de nous donner les outils de travail qui nous sont indispensables. Mais qui, parmi nos « managers », nos « super managers », sait ce que c’est qu’un travail de prof ? Aucun. De là à penser que ce que l’on ignore n’existe pas : erreur classique, basique. Et alors, comment exploiter, diriger ce dont on ignore tout, si ce n’est en compartimentant en petites cases méthodiquement, en contrôlant on ne sait pas trop quoi, en mettant tout en pièces, personnes et savoirs ?

      Beaucoup de collègues sont angoissés, car ils/elles ne veulent pas abandonner leurs élèves les plus fragiles : les élèves qui n’auront pas à leur domicile des conditions correctes d’études.

      Rédaction de fiches d’exercices et de contenus. Proposition à mon collègue de philosophie de contenus que je peux mettre à sa disposition, et proposition d’un nouveau programme de travail pour nous, si il est possible de le tenir !

      J’ai des copies en retard : je culpabilise.

      J’ai des bulletins à remplir : pas d’accès à l’ENT.

      Après-midi : je ne sais plus quelle heure, tout se mélange.

      J’ai enfin accès à l’ENT, je poste le maximum d’infos et contenus que je peux à destination des élèves, dans leurs casiers, le cahier de texte, en documents partagés. Pas d’accès à la messagerie. Pas de possibilité de remplir les bulletins. Les élèves n’ont pas accès à l’ENT.

      Echange par mail avec les professeures principales de mes classes, sur leurs adresses personnelles, car pas d’accès à la messagerie de l’ENT. Je leur transmets un scan de mes appréciations et avis sur les élèves pour les prochains conseils de classe.

      J’informe les collègues, avec lesquels je suis en contact, de l’accès possible à l’ENT pour les professeurs.

      Je prends la résolution de respecter le temps de travail pour lequel je suis rémunérée= 80%. En gros, soit quatre jours pleins, soit trois jours pleins plus deux demi-journées.

      Je m’occupe de mon fils qui a un gros coup de déprime ce soir.

      MERCREDI :

      Réveil 6h00 et gros coup de déprime pour moi aussi. Déjà ? Comment est-ce que je vais tenir ? Comment est-ce que l’on va tenir ?

      Échange avec des élèves qui me demandent quel est le travail à faire, sur mails persos, car ils ont difficilement accès à l’ENT ou pas du tout. Je les rassure : je n’exige pas le rendu du travail immédiatement, et je leur donne jusqu’à la fin de la semaine, pour rendre ce travail de préférence, sur l’ENT.

      Rédaction d’un cours pour les élèves de TS pour la semaine prochaine, sur les Propos sur les pouvoirs d’Alain.

      Après-midi : il fait beau, je jardine, et j’alterne la rédaction de mon cours et le jardinage. Le jardinage me fait du bien : être dehors, travailler avec son corps, toucher les plantes et la terre, travailler à la beauté.

      Une élève, inquiète, m’écrit pour me dire que certains des élèves de la classe ont pu avoir accès à l’ENT, mais pas elle. Elle me demande si je peux lui proposer une autre solution. Je lui réponds que non, pour le moment.

      Un élève se plaint de ce que j’ai envoyé trop de messages, et dans des dossiers différents : il ne s’y retrouve plus.

      Un élève n’a pas compris la consigne. En classe, on répète les consignes plusieurs fois, on les écrit au tableau, dans le cahier, on les reformule, on commente. Pas question de jouer à cela par mail, sinon les élèves vont être perdus. Je laisse tomber.

      21h00 : mon compagnon, qui est prof aussi, m’indique qu’il a pu enfin avoir accès à la classe virtuelle du CNED. Je me connecte, je crée des groupes, je poste du contenu : celui que j’ai déjà posté à destination de mes élèves sur l’ENT.

      C’est peut-être la solution pour mon élève qui n’y a pas accès. Je me réjouis d’avoir trouvé la solution, et de pouvoir la lui proposer dès demain matin.

      21h30 : réception de deux photos : un élève à photographié son travail manuscrit. Il a pris soin de bien calligraphier. Je désespère : comment vais-je pouvoir lire et corriger cela ? Comment vais-je m’en sortir, si mes 130 élèves m’envoient, par différents canaux, plusieurs pages manuscrites, copiées sous différents formats ? Comment vais-je pouvoir m’y retrouver : les classer, les lire et les corriger, les rendre ?

      22h00 : j’arrête pour ce soir.

      22h45 : Je supplie mon compagnon, qui répond encore à des mails d’élèves, d’arrêter de travailler. Je suis déjà au lit avec un livre, j’ai hésité à lire le livre de philosophie que j’étudie avec mes élèves, mais finalement, j’ai choisi un roman. Je suis incapable de lire.

      JEUDI :

      Réveil à 6h20 : je progresse, je dors un peu mieux…

      Mon compagnon se lève, prend un petit déjeuner vite fait, et s’installe pour corriger des copies. Je le supplie de définir des horaires de travail.

      Il me propose de venir voir son travail sur la classe en ligne. Je proteste : il est 8h00, je ne suis pas encore au « bureau ».

      8h30 : j’ouvre ma classe virtuelle du CNED : tout ce que j’ai créé la veille, les groupes, et les documents que j’au cru pouvoir mettre à la disposition des élèves a disparu… Que de temps perdu !

      Mon compagnon est en classe virtuelle avec ses élèves, de 9h00 à 10h30. Je regarde comment cela fonctionne.

      Échange de mails pour prendre des nouvelles de collègues que je sais isolés.

      Recherche et rédaction de cours à partager avec mes collègues de philosophie.

      Récréation : je jardine une demie heure. En rentrant dans la maison, je m’arrête devant la porte d’entrée. C’est le choc :

      L’HORREUR DE LA CLÔTURE, LA TERREUR DE L’ENFERMEMENT !

      Je respire. Je bois un café.

      Réponse à quelques mails d’élèves, paumés, qui n’ont pas accès aux documents, ne parviennent pas à les ouvrir. Je reçois par mail un exercice d’élève enregistré dans un format que je ne parviens pas à ouvrir.

      C’est vrai que leur demander un exercice écrit tapé au clavier est une difficulté supplémentaire pour eux. Très difficile pour moi de corriger des exercices rendus manuscrits, très difficile pour eux de composer des écrits sur clavier. Comment faire ?

      Échanges avec des collègues sur la situation.

      14h00 : Je prépare la séance avec les élèves de première prévue demain, sur la révolution astronomique : visionnage et sélection de vidéos (trois heures), rédaction de questions pour guider leur activité (une heure trente).

      J’envisage un rendez-vous avec eux en classe virtuelle via le CNED. Problème : comment faire un cours de philosophie à distance ? Le cours de philosophie suppose un temps de travail et de réflexion des élèves, qu’ils peuvent faire en « autonomie guidée » (les vidéos avec les questions à préparer), mais il suppose aussi un dialogue avec la classe. Cela peut-il fonctionner en classe virtuelle ? Que faire si je n’ai aucune réaction en face de moi ? Vais-je discourir toute seule devant mon écran ? Cela n’a aucun sens.

      Comment lire avec eux un texte ? Comment construire avec eux un problème ? Comment faire sans les visages ?

      Je me propose de donner tout de même rendez-vous aux élèves pour tester le dispositif demain, et pouvoir les écouter et répondre à leurs questions.

      Test du dispositif classe virtuelle chez moi (une heure) : problème de son. Je ne peux ni recevoir, ni émettre.

      J’arrête à 19h00 : ma séquence pour demain n’est pas prête. Je n’ai pas non plus pu adapter le cours que je me proposai d’envoyer à mon collègue : ce sera pour vendredi.

      Copies non corrigées : je culpabilise.

      Bulletins pas encore remplis : je culpabilise.

      Je consulte la messagerie professionnelle.

      Pas de retours d’exercices d’élèves sur l’ENT.

      22h05 : mail d’un élève qui m’annonce qu’il m’envoie son exercice. Pas de pièce jointe.

      22h06 : la pièce jointe.

      22h30 : j’essaie de lire, je n’y arrive pas. Trop de tension, c’est la surchauffe.

      Le bruit commence à courir que l’année scolaire pourrait être prolongée, le bac reporté en juillet…

      VENDREDI :

      Nouveau visionnage des vidéos que j’ai sélectionnées pour les élèves de première. Le deuxième documentaire que j’avais sélectionné n’est plus accessible : il me faut en choisir un autre.

      Vont-ils pouvoir consulter l’ENT, lire les vidéos ? Seront-ils au rendez-vous tout à l’heure ? Aurais-je du son ?

      Ou bien : est-ce que j’aurais travaillé plusieurs heures pour rien ?

      Invitation lancée à mes collègues pour une réunion syndicale, par téléphone, lundi prochain à 16h30 : il faut que l’on puisse réfléchir ensemble à ce que l’on est en train de faire, à ce que l’on nous demande, aux limites que nous rencontrons, et à celles que nous devons poser. Reprendre une réflexion collective et politique.

      Je reçois encore quelques exercices d’élèves, par des canaux différents. Les élèves n’ont pas respecté la consigne de les envoyer sur l’ENT. Pas pu ? Heureusement qu’il n’y en a pas trop : il me faudra vite les classer.

      Une collègue a ouvert un forum de discussion à destination de ses élèves sur l’ENT. Je fais de même pour trois de mes classes, afin de pouvoir répondre à leurs questions et être informée de leurs problèmes matériels. Les questions arrivent tout au long de la journée, sur tous les sujets, et pas seulement celui de la philosophie…

      Des collègues témoignent sur les réseaux sociaux de chefs d’établissements qui leur demandent des preuves de leur travail : horaires de connexion, échanges par mail, par téléphone avec les élèves, fiches de préparation. Ça y est, l’institution retrouve de sa vigueur, la grande surveillance va tenter de se mettre en place. L’institution n’est pas bienveillante. L’institution n’a aucune notion de la confiance. L’institution est aveugle et méfiante.

      13h30. Je m’installe dans ma classe virtuelle. Déconnexion toutes les quarante secondes. Je revisionne une dernière fois les vidéos. Je télécharge les documents que je souhaite partager avec la classe.

      Déconnexion.

      14h30 : Top départ : c’est l’heure du rendez-vous avec les élèves. J’ai le trac.

      J’essaie d’ouvrir ma session, et je reçois le message selon lequel je suis déjà connectée.

      Je réessaie. Dix fois. Je suis déconnectée. Je suis déjà connectée. Déconnectée. Je redémarre l’ordinateur : je suis déjà connectée.

      A 14h45, je reçois un mail d’une élève sur l’adresse mail de secours. Elle ne parvient pas à se connecter. Elle reçoit un message qui lui indique qu’elle est déjà connectée. Nous tournons en rond. Nous finissons par comprendre que nous avons le même lien, et que personne ne peut se connecter…

      Je vérifie : sur mon bloc note, j’ai effectivement deux fois le même lien. Je recherche le mail de confirmation d’inscription reçu du CNED : la messagerie académique ne fonctionne pas.

      Et puis tout d’un coup j’ai mal au dos. Grosse montée d’angoisse. Je devrais sortir, mais, dehors, c’est tellement désespérant.

      J’imagine une « manifestation fantôme » : nous irions à notre tour déposer nos pancartes, nos gilets jaunes, sur une place, au pied des arbres. Demain ?

      https://blogs.mediapart.fr/arielle-kies/blog/200320/ma-vie-de-prof-mise-distance-premiere-semaine

    • Bonjour

      En tant qu’enseignant-chercheur, j’approuve sans réserve la lettre de l’enseignante postée plus haut sur ses interrogations à propos de ce qui se passe du côté des étudiant⋅e⋅s. Du côté des enfants je n’ai pas de souci particulier, j’ai mon fils à la maison, mais c’est un « grand » de terminale, il ne réclame pas une attention constante.

      Pour en revenir au chapitre des étudiant⋅e⋅s, il y a plusieurs choses qui me chiffonnent. J’ai monté dans l’urgence tout un tas de dispositifs pour essayer de continuer à faire mes TP (j’enseigne l’info en IUT, et en ce moment j’ai une longue période de TPs, en programmation, et en administration système, pour ceux qui connaissent). Je passe sur les aspects techniques qui sont hors-sujet dans cette discussion, pour perler du lien aux étudiant⋅e⋅s.

      Le premier jour (mercredi dernier donc) j’ai du avoir 95% de taux de présence et beaucoup d’interaction. En gros : ils ou elles accédaient à distance à une de nos salles à l’université, ce qui était déjà tout un souk, tout en pouvant interagir avec moi par chat, et quand je voyais qu’un problème ou une question était récurrente, je faisais un petit billet sur un forum dédié pour que ça serve aux suivants. 4 groupes dans la journée, 2h chacun. À la fin j’étais nerveusement épuisé, vidé.

      Jeudi j’ai du avoir a peu près le même taux de présence, peut-être un peu moins (même matière, même nombre de groupes). Même état d’épuisement à la fin.

      Vendredi c’était programmation, 4 groupes toujours, elles ou ils bossent chez eux, interagissent par chat (+forum là aussi pour globaliser et pérenniser les retours), me déposent des travaux à évaluer sur un ensemble de points de dépôt correspondant à des étapes dans le projet qu’ils doivent réaliser. 50% de présence... J’appréhende la semaine prochaine, et j’ai pas envie de jouer au flic.

      Bon, tout ça c’est essentiellement du factuel. Ce que je retire de tout ça maintenant : Le « groupe de tête », celles et ceux qui sont toujours en avance sur les autres, s’accommode fort bien de ce mode de fonctionnement. Ils ou elles adorent même. De toutes façon celles ou ceux-là, je pense que tu peux avoir n’importe quelle attitude pédagogique, ils ou elles sont quasi autonomes dans l’acquisition des connaissances. Je dis bien quasi, parce que je sais aussi le nombre de trucs qu’ils ou elles croient savoir et que je corrige mine de rien.

      Vient la masse de celles et ceux pour qui ça se passe pas trop mal, à des degrés divers. Ils avancent à peu près correctement. C’est plus compliqué avec celles et ceux-ci, par manque d’interaction, c’est pas immédiat le chat, et puis ça permet pas tout, et puis je peux pas d’un coup attraper un feutre pour aller gribouiller un truc au tableau. Voilà c’est ça : je ne peux pas alterner mode individuel et mode groupe comme je veux. C’est pas possible. Donc je répète sans arrêt les conseils, je fais les mêmes réponses à x étudiants. C’est extrêmement usant. J’ai beau essayer d’amortir ça en me servant du forum pour faire remonter des informations synthétisées à tou⋅te⋅s, c’est usant.

      Et puis il y a celles et ceux qui s’accrochent mais ont de réelles difficultés pour plein de raisons, personnelles (problèmes de communication, problèmes familiaux...). Là c’est terrible, parce-que tu les sens partir. Tu les sens glisser alors que quand tu les as devant toi tu peux les maintenir à flot, parce que tu es présent, tu as un lien avec eux et tu peux les encourager, d’un mot, d’un geste, d’un regard, de petits riens de la communication qui changent absolument tout. Et là je les vois s’éloigner, et je crains la semaine qui vient, en me demandant combien je vais en perdre d’autres.

      Je pourrais aussi parler de l’étudiant qui m’écris pour me dire qu’il est pompier volontaire et donc réquisitionné, et donc qu’il ne pourra pas suivre mes TP en ligne ; celui qui bosse dans une supérette et qui a aussi été réquisitionné (je vous laisse apprécier la différence entre ces deux réquisitions... le deuxième j’ai été très tenté de lui répondre qu’il devrait foutre son poing dans la gueule de son patron).

      Le vendredi d’avant le confinement, lors de la dernière journée de TP, j’ai demandé aux étudiant⋅e⋅s qui n’auraient pas accès à un ordinateur de tout suite prendre contact avec moi. Je n’ai pas eu de retour, est-ce que ça veut dire qu’il n’y en a pas, je ne sais pas.

      Ce que je sais c’est qu’au final cette histoire de continuité pédagogique c’est la continuité du hamster dans sa roue : on essaie de se persuader qu’on va continuer « presque comme avant », mais en réalité on fait du tri social : les plus faibles vont dégager, sauf que c’est rendu invisible par l’interface technologique. Mais ça va tout à fait dans le sens de l’université voulue par les peigne-culs qui nous gouvernent : le high-tech pour les classes aisées, la caisse du supermarché pour les autres. Le tri social par l’accès aux technologies, et le recul de la réflexion sur le savoir : tournez petits hamsters.

      Bon voilà. En relisant je me dis que c’est un peu le bordel ce texte, je crois que j’avais besoin de dire tout ça, mais maintenant il faudrait faire le tri et revoir le tout sous plusieurs angles.

      Si vous aussi vous êtes confrontés au télé-enseignement j’aimerais bien avoir votre avis et le récit de votre vécu.

    • A la «continuité», le CDNT répond «solidarité» !

      En pleine crise sanitaire, alors que nous devrions tout faire pour faciliter la vie des plus vulnérables d’entre nous, l’injonction à la "continuité" pédagogique tient de l’acharnement. Or, nous ne pouvons accepter de sacrifier nos conditions de travail et les conditions de vie de nos étudiant.e.s pour satisfaire à la seule rhétorique guerrière de nos pouvoirs publics.

      De toute évidence, la pandémie de Covid-19 est une crise sanitaire sans précédent qui exige des mesures économiques et sociales exceptionnelles, à l’instar de ces mesures de confinement que nous nous devons de respecter dans l’intérêt de tou.te.s. Cependant, si la situation est exceptionnelle, nous ne pouvons tolérer que des décisions puissent être prises sans respect du cadre démocratique et du dialogue social. Ainsi, si nous souhaitons bien évidemment que ce temps de confinement soit dédié au partage et à la solidarité, l’injonction à la « continuité pédagogique » qui nous est faite par le gouvernement, et relayée localement par la présidence de notre établissement et nos directions de composantes nous semble complètement déconnectée de la réalité présente et des enjeux actuels. Elle n’est ni réalisable, ni souhaitable, tout en n’ayant pas fait l’objet d’une réelle consultation préalable des équipes pédagogiques et administratives et de leurs organisations représentatives.

      Déconnectée, tout d’abord, parce qu’au moment où nous devons organiser localement de nouvelles solidarités pour faire face au défi posé par le Covid-19 (pour nos familles, pour nos proches, pour nos voisin.e.s, et notamment pour les plus vulnérables d’entre elleux), le maintien d’une activité d’enseignement à distance n’est pas une priorité. Nous ne considérons pas l’enseignement et la recherche comme des activités non-essentielles ; au contraire, nous nous battons depuis des années pour que celles-ci puissent être exercées dans des conditions dignes, et puissent occuper une place d’autant plus importante dans notre société. Mais s’acharner à vouloir « enseigner » alors que nos étudiant.e.s et nous-mêmes avons certainement d’autres priorités tiendrait, pour reprendre ce terme à un camarade strasbourgeois syndiqué au SNESUP, de « l’indécence »[1].

      Irréalisable, ensuite, parce que nous ne disposons pas des moyens adéquats pour maintenir notre activité là où personnels et étudiant.e.s sont inégalement équipé.e.s et disponibles pour enseigner et apprendre. Qu’en est-il de la fracture numérique, là où nous savons qu’une part non-négligeable de nos étudiant.e.s, parmi les plus précaires, ne sont pas équipé.e.s d’ordinateurs personnels à domicile ? Qu’en est-il de la qualité du suivi, quand la principale alternative semble être la seule mise en ligne de nos cours sur une plateforme numérique (ce qui pose des problèmes de propriété intellectuelle au demeurant) ? Qu’en est-il de la qualité du travail, quand nous devons parfois nous occuper de nos enfants ou des personnes les plus vulnérables de notre entourage ?

      Et si cette « continuité pédagogique » n’est pas souhaitable, c’est parce qu’elle s’inscrit en faux avec tout ce pour quoi nous nous battons afin d’améliorer nos conditions de travail et d’étude dans l’ESR. Elle est à la fois un dévoiement du sens de notre métier, qui est un métier de contact et d’accompagnement qui ne saurait être réduit à la seule production de contenus, et une attaque contre nos conditions de travail, en nous imposant une organisation du travail à laquelle nous n’avons pas consentie et qui est inadaptée aux enjeux réels de l’Université.

      Signalons par ailleurs que la dématérialisation de l’enseignement est l’un des objectifs des réformes successives que l’université publique subit depuis plusieurs années. Montrer que notre métier est « dématérialisable », c’est aussi accepter les suppressions de postes que nous connaissons déjà et que nous connaîtrons encore avec cette gestion néo-libérale de l’ESR.

      Nous continuerons à être en contact avec nos étudiant.e.s. Mais si nous le faisons, c’est pour construire de nouvelles solidarités à un moment où nous en avons tou.te.s particulièrement besoin. Nous continuerons à construire l’université publique que nous désirons : une université ouverte et démocratique. Mais nous refusons d’être les promoteur.ices d’une université marchande réduite à la seule production industrielle de connaissances scientifiques. Nous refusons de sacrifier nos existences et celles de nos étudiant.e.s avec pour seule finalité celle de continuer pour continuer. Nous refusons enfin de fermer les yeux sur les profondes inégalités qui existent au sein du corps étudiant et que nous ne ferons qu’aggraver en défendant cette forme d’enseignement à distance : si nous devions défendre l’enseignement à distance, ce serait sous la forme d’un suivi particulier, notamment à destination des personnes qui ne peuvent se rendre à l’Université, mais celui-ci nécessite des moyens dont nous ne disposons pas en l’état.

      En somme, la crise sanitaire actuelle, bien loin de suspendre les enjeux politiques et sociaux face auxquels nous nous engageons depuis plusieurs années, et en particulier depuis le mois de novembre, les exacerbe. Cette situation, d’ores et déjà dénoncée par de nombreux collectifs étudiants, n’est pas digne de notre institution.

      Les inégalités sociales et la précarité étudiante et enseignante continuent d’être pensées "au cas par cas" alors qu’elle constitue une problématique sociale, structurelle que l’ESR semble vouloir continuer d’ignorer. Les réformes en cours, bien que "suspendues" ou "reportées" présentent toujours un danger pour l’avenir de nos retraites, de nos parcours professionnels, et pour l’enseignement et la recherche. Par conséquent, la rétention des notes engagée au premier semestre pour toutes ces raisons reste d’actualité. Nous ne nous "encombrerons pas des casseroles" de celleux qui considèrent à la fois qu’il faut continuer le travail pédagogique et clôturer les luttes engagées jusque-là. Si besoin, nous continuerons de communiquer ces notes aux étudiant.e.s qui en font la demande et nous pourrons faire des attestations au cas par cas si celles-ci sont nécessaires dans le cadre de candidatures à des formations ou de démarches administratives.

      Pour terminer, nous serons vigilant.e.s. à ce que les personnels les plus précaires, les personnels vacataires, soient bel et bien rémunéré.e.s pendant cette période de confinement. Nous demandons à ce titre le versement rapide de leurs salaires dus et que la mensualisation soit effective et scrupuleusement respectée en cette période où ielles en ont plus que besoin, ainsi qu’à l’avenir. Nous serons également vigilant.e.s à ce que cette période ne soit pas l’occasion pour certain.e.s de sanctionner et de contrôler d’autant plus nos collègues. Nous appelons par ailleurs à l’annulation des examens et autres modalités d’évaluation au profit d’une validation du semestre avec une note unique (18/20) pour tou.te.s, ceci en considérant l’impossibilité de garantir des conditions d’examen égalitaires. Enfin, nous souhaitons faire part de notre solidarité à celleux qui luttent au quotidien contre cette crise sanitaire, les personnels de santé, mais aussi les personnels d’entretien, de la distribution, et tous.tes celles.eux qui aident, par leur travail trop souvent invisibilisé, à faire face à cette crise dans les meilleures conditions.

      Force à elles et eux au cours des prochaines semaines !

      Le collectif des doctorant.e.s et non-titulaires de Lyon 2

      https://blogs.mediapart.fr/enseignant-vacataire-en-greve-lyon-2/blog/200320/la-continuite-le-cdnt-repond-solidarite

    • « Restez chez vous » mais « continuez l’activité » : trois temps d’une lecture syndicale pour un paradoxe de crises

      Dans le cadre de la pandémie du COVID-19, nous ne pouvons que saluer la décision du gouvernement de protéger les étudiants et les personnels de l’université, en privilégiant le télétravail pour le plus grand nombre et en accordant des autorisations spéciales d’absences aux personnels lorsque le télétravail n’est pas possible. Nous soutenons de tout cœur les personnels amenés à continuer à se rendre au travail, pour assurer les fonctions vitales de notre Université.

      Cependant, les injonctions du gouvernement sont à la fois « restez chez vous » et « continuez l’activité », et ce paradoxe demande réflexion. La vie de notre université doit effectivement continuer, mais la crise et les réponses gouvernementales et locales appellent des actions et des propositions.

      Dans une demande certaine d’unité nationale, les organisations syndicales continuent à avoir des choses à faire et à dire. Le paradoxe des injonctions gouvernementales contradictoires, ancré dans des crises multiples, nous semble appeler trois temps d’une lecture syndicale, pour aujourd’hui, pour hier et pour demain.

      Aujourd’hui, et dans les jours et les semaines à venir, l’heure est à l’action pour organiser la vie de et dans notre université. Nous saluons et appuyons la volonté des équipes de direction de l’Université de fournir une réponse cohérente et précise qui permette à chacun de s’adapter au mieux aux conséquences graves de cette crise. Concrètement, nous sommes engagés dans cette réponse collective, comme tous les membres de notre communauté académique, mais aussi comme élus au CT, au CHSCT, aux conseils centraux, et comme organisation syndicale. Nous avons porté au CT dématérialisé de ce lundi 23 mars à l’UGA et en réunion intersyndicale avec la présidence de Grenoble-INP un certain nombre de questions portant sur les points suivants :

      · Continuité des rémunérations – Nous saluons les engagements pris par l’UGA et de Grenoble-INP pour garantir la continuité des rémunérations, pour les titulaires, les contractuels et les vacataires. Un problème subsiste concernant les gratifications de stages : en effet, les stages en cours peuvent être arrêtés à la demande des structures d’accueil, ce qui suspend de fait le versement des gratifications. Nous demandons que l’établissement mette en place des aides individualisées, comme le prévoit la "FICHE 6 stage" du courrier du ministère du 17 mars 2020 et conformément à l’article L. 821-1, alinéa 2, du Code de l’éducation.

      · Fracture numérique – Des dispositifs sont mis en place à Grenoble pour tenter de venir en aide aux étudiants confinés dans leur famille, en colocation ou dans les résidences universitaires, mais, à notre connaissance, ceux-ci sont disponibles uniquement par internet (pour le moment). Comment aider les étudiants dénués d’accès à l’internet ? (dans leur vie quotidienne et dans le cadre de leurs études). L’enquête de l’UGA a recensé 45 étudiants dénués d’ordinateur pour suivre les cours. L’UGA leur fournira une tablette afin qu’ils puissent travailler. Cependant, ce nombre nous semble sous-estimé, étant donné que le recensement des étudiants n’est pas terminé dans toutes les composantes.
      Cette fracture touche aussi certains personnels qui -même s’ils ont pu bénéficier des mesures facilitant le télétravail mises en place à l’UGA- n’ont pas forcement tous une connexion internet haut débit, une imprimante, etc… Plus globalement, les outils de travail collaboratifs sont saturés (par exemple, ENT, framapad). Comment envisager la « continuité » du travail dans un cadre aussi inégalitaire ? Ne faudrait-il pas nous concentrer sur l’absolu nécessaire, en acceptant pleinement l’idée que nous travaillions en mode « dégradé » ?

      · Conditions de travail des personnels – Les personnels sont invités à continuer leurs activités administratives. Au-delà d’une simple « relocalisation de l’activité » (de l’université vers la maison), il s’agit d’un changement radical de l’environnement de travail, dans lequel les collectifs de travail sont disloqués et les individus se retrouvent bien souvent livrés à eux-mêmes. Comment organiser des réponses collectives, comment bien répartir les situations et la charge de travail ? Et les conditions de sécurité des personnels qui doivent aller travailler à l’UGA, sont-elles suffisantes, adaptées et respectées ?

      · Continuité pédagogique – Les enseignants sont appelés à assurer la « continuité pédagogique ». Mais comment transposer les cours, travaux dirigés et travaux pratiques, initialement élaborés pour du présentiel, en un contenu à distance, avec une situation dégradée sur le plan pédagogique, qui fait fi de la nécessaire interaction collective ? Comment corriger les inégalités d’accès aux enseignements (que crée cette situation de confinement) pour nos étudiants ? Pouvons-nous décemment organiser des examens ou des évaluations dans ces conditions (comme le prévoit le ministère en proposant de recourir à des sociétés privées pour organiser des examens « dématérialisés ») ? Comment empêcher que les étudiants ne se découragent et n’abandonnent leurs études ? Ces questionnements sont tout à fait en phase avec les inquiétudes légitimes de nos étudiants (voir communiqué en pièce jointe) et nous demandons à la présidence d’y répondre.

      En général, nous insistons sur la nécessité d’alléger le programme des UE, sur le besoin de flexibilité des emplois du temps (par exemple, ne pas suivre forcément les calendriers de cours tels que prévus sur ADE avant le confinement), sur l’utilisation de moyens les plus simples et les plus légers possible pour enseigner à distance, et bien sûr nous insistons pour ne pas contrôler l’assiduité des étudiants lorsqu’ils se connectent aux plateformes numériques (et nous nous opposons à tout moyen de pression à destination des étudiants en général). Des dispositions particulières pour les examens devront aussi être trouvées, afin de ne pénaliser aucun·e étudiant·e face à la fracture numérique.

      · Appels à projets – Les chercheurs et enseignants-chercheurs doivent-ils continuer à répondre aux appels à projets (deux appels IDEX pour la mobilité internationale ont été lancés la semaine dernière, ainsi qu’un appel de Grenoble INP sur les dispositifs bourses présidence …) ? Ces appels ne sont-ils pas un peu « décalés » dans le contexte de confinement global de la population ? Plus généralement, faut-il maintenir la compétition entre collègues ou, au contraire, l’université doit-elle assurer la solidarité entre les personnels qui voient leurs recherches arrêtées, avec parfois des répercussions qui s’étaleront sur plusieurs mois, voire quelques années ?

      · Accréditations – Le report d’un mois de la remontée des dossiers HCERES annoncée par le ministère est une bonne nouvelle mais ne suspend pas le travail. Les responsables pédagogiques doivent-ils continuer d’assurer la préparation de la prochaine accréditation (qui plus est anticipée par rapport aux autres établissements de la vague A) ? doivent-ils dès maintenant organiser la rentrée 2020 comme prévu ? Les contenus ne devront-ils pas être adaptés en septembre, pour tenir compte de la période de confinement et de la dégradation des conditions d’études de nos étudiants ? Et vu des nombreux incidents qui émaillent l’usage des environnements numériques de travail dans les établissements du second degré (voir cet article), ne serait-il pas urgent d’obtenir de la ministre la suspension du processus Parcoursup, comme de toutes les procédures d’inscription en ligne (ecandidat, PEF) dont l’accès n’est plus garanti pour tout le monde ?

      Mais la situation d’aujourd’hui ne peut s’analyser sans revenir dès à présent sur ce qu’était celle d’hier. Dans le domaine de la santé, la solidarité et l’immense respect qui accompagne le dévouement sans limites des personnels hospitaliers ne peut se passer du rappel de la déshérence organisationnelle et matérielle dans laquelle l’hôpital public est placé depuis des années. Dans le domaine de l’éducation, dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, le dévouement des enseignants, des enseignants chercheurs, des chercheurs, des personnels techniques et administratifs pour assurer un minimum de continuité de service ne peut masquer l’incompréhension et la colère qui ont monté depuis des mois face à une politique gouvernementale à la fois libérale et autoritaire, sure d’elle-même et systématiquement sourde et méprisante face à toutes les analyses et revendications portées par les personnels. Jour après jour et depuis des mois, jusqu’au 13 mars, date du début des annonces qui ont mené au confinement que nous connaissons, nous avons dénoncé des projets de loi construits sur les inégalités et la mise en concurrence et en opposition des individus à tous les niveaux. Plus que jamais, ce qui était et reste dans les cartons du gouvernement, retraite à points, LPPR, doit être dénoncé et combattu. Plus que jamais, la défense du service public, de l’hôpital, de l’éducation, de la formation, de la recherche, des transports, de l’énergie, de la culture, du sport, est nécessaire, et nos luttes d’hier construisent, à travers les grandes difficultés d’aujourd’hui, les transformations nécessaires de demain.

      Car effectivement, il va bien falloir penser à demain. Même si nos énergies sont tendues aujourd’hui dans l’engagement individuel et collectif, le souci des proches, la solidarité au quotidien, demain est déjà en vue, et peut proposer le meilleur comme le pire.

      Le meilleur, ce serait que cette pandémie dramatique permette enfin d’affronter les autres crises qui nous menacent, au-delà de la crise sanitaire et de la crise économique – crise climatique, crise démocratique qui oppose des gouvernances inflexibles à des populations qui veulent changer de modèles. Le meilleur, ce serait dans l’ESR de prendre enfin la mesure de ce que devrait être une formation universitaire démocratique et ouverte, une recherche collaborative et libre au service de la société. Le meilleur pourrait être, à l’UGA, de redéfinir comment notre « université d’excellence » constamment soumise aux directives de l’IDEX pourrait redevenir une communauté académique sachant réfléchir collectivement à ses fonctionnements, à ses stratégies et à l’utilisation de ses moyens, et comment l’UGA pourrait construire un plan d’urgence à destination des personnels et des étudiants permettant un redéploiement des ressources de l’IDEX et de l’ANR pour mieux assurer les besoins « de base » de l’université.

      Mais demain peut aussi nous apporter le pire. Les crises fournissent des occasions fortes, pour des lobbys bien organisés à proximité des pouvoirs, de rebattre fortement et durablement les cartes dans une « stratégie du choc » bien décrite par ailleurs (voir ici). Demain est déjà en préparation dans la loi d’urgence du gouvernement, avec des évolutions dangereuses et potentiellement durables de nos conditions de travail (voir ici et là).

      Le débat commence, nous proposons à chacun d’y participer et de ne pas abandonner, dans les solidarités conjoncturelles d’aujourd’hui, la construction de solidarités plus profondes qui devraient être celles de demain …

      Nous appelons nos collègues et nos étudiants à rejoindre toutes les formes de solidarité qui sont en train de se construire : les démarches collectives qui retissent un "tou·te·s ensemble" et toutes les formes d’expression pour soutenir les personnes qui assurent la continuité des soins et de la vie quotidienne, ou analyser sans complaisance les risques de décisions d’un gouvernement "guerrier" sont notre meilleure réponse au confinement !

      Reçu par mail du syndicat SNESUP-FSU, le 23.03.2020

    • Communiqué signé par l’Association 11ème Thèse, la section CNT Sup Recherche Bordeaux, le Collectif Marcel Mauss, le collectif des Précaires de l’ESR de Bordeaux, SOlidaires étudiant-e-s Bordeaux ainsi que SUD Recherche Bordeaux :

      Nous ne sommes pas en guerre, restons vénères et solidaires !

      On s’y attendait : Macron a ordonné le confinement généralisé de la population à compter du mardi 17 mars à midi. Cette mesure fait suite à la décision, jeudi dernier, de fermer tous les établissements scolaires et tous les établissements de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) à compter du lundi 16 mars, puis à celle du vendredi 13 mars, d’interdire tout rassemblement de plus 100 personnes.

      Ces réponses à la crise sanitaire causée par l’épidémie du Covid-19 cachent mal le fait que cette crise n’est en rien le fruit d’un hasard malheureux. Il s’agit d’une crise sanitaire mais également et surtout d’une crise systémique. Les gouvernements néolibéraux précédents et actuels, ici comme ailleurs, ont participé à en créer les conditions par leur inaction écologique, leurs politiques anti-sociales qui accroissent la vulnérabilité des plus fragiles, et leur démantèlement des services publics de santé. Comme de nombreux chercheurs l’affirment [1], cette crise résulte d’un système d’exploitation de la nature et des humains : la perte de biodiversité liée à la destruction des habitats naturels, l’urbanisation débridée, les élevages industriels intensifs ; autant de facteurs qui concourent aux développements de zoonoses (c’est-à-dire de maladies transmissibles entre animaux humains et non humains) par une promiscuité croissante entre espèces sauvages et domestiques et à la propagation de maladies infectieuses, dont le nombre de crises se multiplient de manière inquiétante à travers le monde ces dernières années (SRAS, grippe aviaire, Ebola, Covid-19, etc.). Par ailleurs, l’amenuisement du soutien à la recherche fondamentale publique, que manifeste la politique de suppression de postes et de réduction des budgets, a conduit à une situation de vulnérabilité face aux risques sanitaires qui aurait pu être évitée [2]. La crise actuelle est le résultat de politiques de démantèlement et de privatisation des services publics de recherche, de santé et d’éducation.

      Les mesures prises dans l’urgence, en décalage avec les
      recommandations de l’OMS et dans la cacophonie d’un gouvernement qui semble ne rien maîtriser de la situation, ne font qu’aggraver la situation des plus précaires et des plus vulnérables. A cela s’ajoute, le tournant autoritaire et répressif que prend l’opération de confinement ordonnée par le gouvernement. Tandis que 100 000 policiers et gendarmes sont déployés dans les rues pour contrôler et mettre des
      amendes à celles et ceux qui ne respecteraient les normes du
      confinement, le mot d’ordre « Restez chez vous » n’empêche pas les employeurs d’imposer aux travailleu.r.se.s des conditions de travail qui mettent en danger leur vie et la santé.

      La mise en place de « plans de continuité d’activités pédagogiques » alors même que les universités sont fermées compte parmi les mesures qui sont en total décalage avec l’urgence de la situation des étudiants et personnels les plus précaires et vulnérables. Cette exigence de continuité pédagogique par voie numérique que cherchent à mettre en place les universités et le ministère de l’éducation nationale relève en effet d’une fausse logique : celle de maintenir « coûte que coûte » un système social et économique qui étale pourtant au grand jour son inadéquation et ses injustices. La précarité n’est pas seulement un concept mais une réalité qui affecte la plupart d’entre nous de façon croissante : c’est l’impossibilité de s’en sortir quand on perd ses maigres sources de revenus en tant qu’étudiant.e salarié.e ; c’est
      l’isolement psychologique et social quand on est étudiant.e étranger.e sans structure de soutien ; c’est l’exposition aux risques sanitaires quand on est personnel BIATSS ; c’est le risque de ne pas être payé quand on est personnel précaire, etc. Ceci expose clairement l’aveuglement du gouvernement actuel qui ne prend aucunement la mesure
      de la nature des problèmes économiques, sociaux et sanitaires que pose l’épidémie du Covid-19.

      L’urgence pour une grande partie des étudiant.e.s aujourd’hui, c’est d’abord le besoin de structures solidaires pour s’alimenter ou se procurer des produits de première nécessité. Il est absolument vital de fournir des autorisations de circuler aux associations et de mobiliser l’entraide. En ces temps de crise, il relève de la responsabilité du
      CROUS de maintenir des distributions de nourriture par solidarité avec les étudiant.e.s en manque de revenus, isolé.e.s psychologiquement, socialement et géographiquement. Rappelons que la moitié des étudiant.e.s doivent travailler pour subvenir à leurs besoins et se retrouvent par conséquent dans une situation critique, en particulier les étudiant.e.s résidant dans des logements du CROUS et les étudiant.e.s étranger.e.s. Sans plus de sources de revenus, sans possibilité d’êtres aidé.e.s par leurs familles, et sans une aide
      sociale d’urgence, les étudiant.e.s vont être les premier.e.s à pâtir d’une longue situation de confinement. Les risques psycho-sociaux pour des étudiant.e.s déjà précarisé.e.s et isolé.e.s sont importants.

      À cet égard la volonté de continuité pédagogique paraît bien loin des réalités du terrain, sans compter qu’elle provoquera une rupture d’égalité, qui accentuera encore la situation de précarité des plus fragiles. Pour rappel en effet, une partie importante des étudiant.e.s salarié.e.s ou des étudiant.e.s résidant dans des logements du CROUS n’ont pas d’accès personnel garanti à internet, ni même d’ordinateur
      portable individuel. Les plus isolé.e.s sont éloigné.e.s de leurs
      familles et n’ont pas d’accès aux ressources culturelles (bibliothèques fermées, peu ou pas de livres sous la main, etc.) pourtant nécessaires
      pour assurer des conditions matérielles et psychologiques propices au suivi de cours numériques et à la préparation des examens. Le simple accès à leur messagerie, essentiel pour être informé.e des directives de la présidence ou de leurs enseignant.e.s, leur est compromis.

      À cet égard, sur le campus bordelais, des personnels et étudiant.e.s mobilisé.e.s ce lundi 16 mars ont pu recueillir des témoignages directs de la détresse des étudiant.e.s qui se sont trouvé.e.s dans l’impossibilité de s’approvisionner (isolement sur le campus, étudiant.e.s étranger.e.s esseulé.e.s, étudiant.e.s se retrouvant sans revenus, structures du CROUS fermées pour l’alimentation, etc.). Plus de 160 étudiant.e.s ont pu être aidé.e.s en urgence pour des besoins de première nécessité, mais c’est une réponse hélas bien dérisoire au regard des dizaines de demandes locales qui ne cessent d’affluer.

      Pour ce qui est des personnels précaires de l’ESR, il est aberrant que la production de cours numériques par télétravail soit exigée de la part des enseignants vacataires. En effet, non seulement, pour le moment, aucune garantie n’a été donnée concernant le paiement de leurs services, mais encore, les moyens techniques fournis par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sont pas adaptés. Qu’en est-il par ailleurs de la prise en charge des coûts matériels et
      économiques liés au télétravail (ordinateur adapté, accès internet, logiciels payants, imprimante et scanner pour la correction d’éventuels travaux, etc.) ? Dans la situation actuelle, des règles strictes encadrent le télétravail (horaires, jours travaillés, matériel, etc.) et les droits des travailleur.ses doivent être respectés [3][4]. Concernant les personnels BIATSS, et notamment les personnels de nettoyage et de maintenance, les risques sanitaires doivent être précisément évalués et des moyens alloués pour assurer leur sécurité,
      puisque l’injonction qui leur est faite de se rendre sur leurs lieux de travail et la nature de leurs tâches les exposent plus que jamais.

      Au vu des manquements, des risques sanitaires et psycho-sociaux, des précipitations et des incohérences dans les mesures prises, souvent dans la poursuite d’intérêts économiques supposés et jamais dans l’intérêt des travailleur.ses, personnels et étudiant.es, nous appelons tous les personnels précaires et titulaires de l’ESR à exercer leur droit de retrait !

      Si elle rendra d’autant plus manifestes et critiques les situations de précarité économique, psychologique et sociale, la crise du Coronavirus ne doit pas nous faire oublier ni arrêter le combat mené contre la réforme des retraites et la réforme de l’ESR.

      Précaires de l’ESR de Bordeaux, nous renouvelons l’appel au droit de retrait de tous les personnels et à la grève de toutes et tous ! Libérons-nous du temps, mobilisons-nous dans l’entraide aux étudiant.e.s les plus démuni.e.s et isolé.e.s et non pour des « cours numériques » ou pour la préparation d’examens dans ces conditions iniques et selon un calendrier hypothétique !

      Face à la crise actuelle maintenons une vigilance à tous égards pour les travailleurs.ses précaires et vulnérables ! Faisons respecter nos droits et intensifions la lutte contre un système qui nous rend vulnérables !
      Seule une stratégie de solidarité pourra nous permettre de faire face à la crise du Covid-19 et de faire plier le gouvernement ! Tou.te.s pour l’abrogation de la LPPR et du projet de réforme des retraites !!! Une fois le confinement levé, ne nous laissons pas endormir et réinvestissons nos lieux de travail et la rue au service de la lutte sociale ! Penser la suite demande de s’engager maintenant !

      Sources :
      [1]
      https://charliehebdo.fr/2020/02/societe/la-crise-de-la-biodiversite-favorise-les-maladies-infectieuses-emergent
      [2]
      https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-science-fondamentale-est-notre-meilleure-assurance-contre-les-epid

      [3]
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035994394&categorieLien=id

      [4]
      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032036983&categorieLien=id

    • Les étudiants face à la pression scolaire : « je n’ai jamais eu autant de travail que depuis le confinement »

      L’Université a affiché cette semaine sa priorité : la « continuité pédagogique », sans considérer les inégalités entre les étudiants, que ce soit au niveau sanitaire, des conditions de confinement ou d’accès aux matériels informatiques : témoignages d’étudiants de l’Université Paris 1 confinés.

      La « continuité pédagogique », c’est tout ou rien : #surcharge_de_travail ou silence Radio du corps enseignants. De la même manière qu’elle avait maintenu des partiels en période de grève, l’université, toujours sous couvert de sa « valeur du diplôme », s’acharne à maintenir une #notation plutôt que de dispenser un enseignement.

      A Paris 1, malgré les directives de la Présidence, les étudiants sont soumis aux exigences inégales de leurs professeurs. La plupart font reposer sur leurs chargés de TD la tâche de rassurer les étudiants, sans leur donner de réelles informations à communiquer. S’il faut reconnaitre que certains ont assoupli le contrôle continu, en évaluant sur la base du volontariat, la majorité laisse les étudiants totalement livrés à eux même.

      Comme le témoigne Maria et Irene* (les prénoms ont été modifiés), étudiantes en Droit, le #stress et la pression sont décuplés : « je suis plus stressée qu’en présentiel. Sous prétexte d’une soi-disant #valeur_du_diplôme, on autorise ce genre de conditions. Il est temps que les étudiants se fassent entendre, on n’est pas des robots ».

      Alors que les étudiants se retrouvent dans des situations très inégalitaires, et que les pressions de la #sélection pèsent sur les élèves, les règles sont pourtant les mêmes pour tout le monde : « je n’ai jamais eu autant de travail que depuis le confinement. Entre les préparations de TD notées, à rendre à heures fixes, auxquelles s’ajoutent les devoirs supplémentaires, les évaluations et les examens en ligne, certains professeurs nous laissent carrément élaborer notre cours tout seul. Dans le meilleur des cas on reçoit les plans, avec des références à des manuels. Les manuels en question peuvent couter plus de 50€, on avait l’habitude de les consulter en bibliothèque, surtout qu’ils ne sont pas tous accessible en ligne. En plus, c’est l’année de la sélection. On a l’impression que l’université s’en fou, est dans le #déni total. Moi j’ai pas d’ordinateur, je galère. Je pense même pas à ceux qui n’ont pas internet, ou qui sont confinés dans un 9m carré. Quand tu sais pas comment payer ton loyer, acheter un livre à 50€, c’est la dernière de tes priorités ».

      Plutôt que d’installer un système d’#entraide entre les étudiants, l’université semble accroître sa logique de #pression_scolaire, le tout pour maintenir la sélection en master 1 et master 2, et nourrir l’illusion de la valeur du diplôme. Dans de telles conditions, elle ne sélectionnera pas sur des compétences, mais bien en fonction de critères sociaux.

      Finalement, cette crise met en lumières tous les problèmes liés à la #précarité_étudiante : un étudiant sur trois est bousier, un sur quatre est salarié, ce seront eux les plus touchés.

      Pour Lucien, étudiant en Histoire de l’art et archéologie, « ce virus n’a fait qu’exacerber les contradictions de classes au sein de notre système éducatif […] C’est comme si la fac fermait les yeux sur les #inégalités entre ses étudiants. Certains élèves sont cloitrés chez eux, seuls, avec un minimum de moyen financier. »

      Comme l’explique Nadia*, étudiante en Économie, une nouvelle fois l’université met de côté ceux qui sont dans des situations précaires, et qui ont par exemple été licenciés ces derniers jours : « Avec le confinement, on a perdu notre boulot. Il faut pas oublier que quand t’es étudiant, t’as pas beaucoup de choix pour travailler. On travaille dans la restauration, ou en tant que baby sitter, la plupart du temps non déclaré. Y a pas de chômage technique quand tu travailles au black. »

      Lola, elle, est en régime terminal : un régime spécifique souvent utilisé par les étudiants qui sont obligés de se salarier à côté de leurs études, ou qui ont des problèmes de santé : « Dans tout ça, on oublie les étudiants en #examen_terminal. Pour nous, on ne sait pas, c’est silence radio. L’administration ne donne aucune réponse claire sur la tenue des examens. On est déjà livrés à nous même toute l’année. Il faut pas oublier qu’on a choisi ce régime pour des raisons de santé, ou parce que notre situation financière ne nous permet pas de vivre avec la bourse et les petits boulots. Là on nous laisse sur le carreau, j’ai l’impression qu’on est même pas considéré dans la gestion de la crise ».

      Face à cette crise, l’obstination dont fait preuve l’université à noter ses étudiants et à maintenir une sélection, malgré leur état de stress, les inégalités de confinement et d’accès à l’enseignement qui les divisent, illustre ce qu’elle est devenue depuis plusieurs années et notamment depuis 2018 et la loi ORE : une institution qui se complet dans un système concurrentiel, au mépris de sa vocation première, l’accessibilité, et l’égalité devant l’instruction.

      https://www.revolutionpermanente.fr/Les-etudiants-face-a-la-pression-scolaire-je-n-ai-jamais-eu-aut

    • « Continuité pédagogique » : Méfiance... - Lettre flash n°10 du 25 mars 2020

      La pandémie provoquée par le Covid-19 a entraîné un certain nombre de mesures sanitaires d’une dimension exceptionnelle. Parmi elles, les mesures de confinement ont un impact très important sur l’ensemble des secteurs de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Dans l’état actuel des informations, les établissements devraient continuer à être fermés jusqu’à la fin du mois d’avril. De telles mesures, indispensables, bouleversent les calendriers universitaires du second semestre et posent la question de la continuité du service public de l’ESR, traduite hâtivement et sans précaution en “continuité pédagogique”.

      Les consignes gouvernementales demandent expressément de rester confiné-es et de recourir au télétravail ou au travail à distance. Aucun personnel ne peut être sommé de déroger au confinement, sauf absolue nécessité justifiée par l’organisation concrète de la continuité du service. Les déplacements doivent être réduits à l’essentiel et il convient de ne pas se rendre sur son lieu de travail. Le SNESUP-FSU rappelle que les moyens nécessaires doivent être donnés aux personnels pour qu’ils assurent à distance les missions considérées comme d’absolue nécessité.

      Cela implique par conséquent que des mesures soient prises pour assurer l’égalité dans l’accès aux outils numériques pour l’ensemble des étudiant·es. Et pour les enseignant-es, de mettre en place les moyens de la concertation pour trouver des solutions, dans le respect du confinement, en ce qui concerne les disciplines où le travail à distance est particulièrement difficile voire impossible. Cela implique aussi d’engager la concertation avec les personnels pour étudier les conditions de validation du semestre et de l’année en cours en garantissant l’égalité de traitement pour tou·tes les étudiant-es. L’engagement collectif de toutes et de tous est le meilleur garant de la qualité des formations et des diplômes qui seront délivrés cette année.

      Le SNESUP-FSU rappelle, qu’en tout état de cause, les dispositifs pédagogiques mis en place par les enseignant-es sont transitoires et répondent à une situation tout à fait exceptionnelle. En aucun cas, ils ne peuvent être envisagés de façon pérenne comme des mesures servant à pallier le manque dramatique de postes de titulaires.

      Les personnels de tous les métiers de l’Enseignement Supérieur font preuve de la plus grande responsabilité et de professionnalisme. Les enseignant·es mettent tout en œuvre pour maintenir le lien avec tou·tes leurs étudiant·es. Il faut leur faire confiance. Pour le SNESUP-FSU, l’urgence n’est pas dans le maintien total des contenus des cours mais dans le maintien pour toutes et tous les étudiant·es d’un lien avec les apprentissages et la recherche, dans le respect de la protection due aux agent·es. La situation est suffisamment anxiogène pour rester raisonnable dans les attentes. Elle demande une attention particulière aux difficultés rencontrées par les étudiant·es. L’accompagnement des étudiant·es ne doit pas conduire à la normalisation des pratiques pédagogiques prônée par le ministère et certains établissements. Il est illusoire de chercher à délivrer des notes et des évaluations à un rythme ordinaire et coûte que coûte. Les enseignant·es et les étudiant·es font le maximum en fonction de leurs moyens et de leur vie extra-universitaire. Nous devons accepter de fonctionner dans un mode “dégradé”, respecter les consignes de confinement ainsi que les contraintes et les rythmes nouveaux qu’elles entraînent.

      Dans ce contexte, le SNESUP-FSU réaffirme la nécessité que pour tous les personnels, tous statuts confondus, y compris pour les contractuel·les et les vacataires, l’intégralité du service soit réputé fait et que toutes les heures prévues à l’emploi du temps soient prises en compte pour les rémunérations.

      https://www.snesup.fr/article/continuite-pedagogique-mefiance-lettre-flash-ndeg10-du-25-mars-2020

    • Détenu·es confin·ées : #discontinuité_pédagogique

      Aucun plan de gestion de la crise du COVID-19 en prison n’a vraiment été prévu, à l’instar de l’Italie. On s’achemine donc vers une situation tout aussi explosive : un risque d’épidémie grave ; l’arrêt des contacts avec l’extérieur, des surveillant·es en première ligne d’exposition au virus, des mutineries, des drames.

      Toutes les prisons ne sont pas dans la même situation. Les prisons centrales, pour les longues peines, dont la plupart des personnes incarcérées bénéficient d’une cellule individuelle, sont relativement moins surpeuplées que les maisons d’arrêt. En revanche, les maisons d’arrêts, qui mélangent toutes les peines, sont, quant à elles, vraiment surpeuplées et atteignent aujourd’hui 138%, selon l’Observatoire international des prisons (1e janvier 2020)2.

      On pourrait avoir l’illusion que les détenu∙es étaient déjà confinés. Ce serait ignorer la vie d’une prison : il y a de nouveaux arrivants tout le temps ; des extérieurs qui s’y rendent. Aujourd’hui, familles, avocat∙es, enseignant∙es n’ont plus le droit de s’y rendre. Mais il faut bien administrer la prison : les surveillant·es continuent d’y travailler.

      Des cas de coronavirus ont été déclarés en prison. Vu la surpopulation en détention, le confinement individuel des personnes atteintes est impossible. Le virus risque de se répandre très rapidement, tant chez les personnes détenues que les surveillant∙es. L’épidémie risque d’y être d’autant plus grave que 1° la promiscuité et la surpopulation facilitent les contaminations 2° les bâtiments sont insalubres, l’hygiène insuffisante, les systèmes de santé vétustes. Qui plus est, les populations carcérales s’avèrent particulièrement à risque, en raison de leur mauvais état de santé général.

      Mais ce n’est pas tout : parmi les personnes-cibles de l’épidémie en prison, on risque non seulement les surveillant∙es, donc, mais aussi le personnel de santé. On trouvera bien sûr des personnes condamnées, mais aussi des personnes en incarcération préventive3, soit un quart de la population carcérale (21 000/80 000 personnes détenues)4. Dans la prison surpeuplée de Fresnes, un homme testé positif au coronavirus est mort. Il avait été incarcéré dix jours avant, alors qu’il était très âgé (74 ans) et de santé fragile – indice, s’il en était besoin, des inégalités exacerbées par la situation carcérale, entre un Balkany et un détenu anonyme. Le jour même, deux infirmières y étaient testées positives au coronavirus.

      Quelles sont les mesures qui sont prises ? Pour l’instant, surtout l’arrêt presque total des interventions extérieures, des parloirs, etc. Or beauoup de détenus auront d’immenses difficultés à vivre, physiquement5 et mentalement sans contacts extérieurs. En conséquence, des incidents ont éclaté dans de nombreuses prisons – et même un début de mutinerie à Réau, Perpignan, Angers, Maubeuge, Bois d’Arcy, La Santé6 et des émeutes à Grasse, avec interventions des ERIS et tirs de sommations. Le problème c’est qu’on risque une escalade de la violence : interdiction possible des promenades, par exemple, pour éviter tout regroupement collectif, détenus encore plus à cran, surveillants déjà à cran, sans protection (masques, par ex) encore plus exposés, etc.

      https://twitter.com/AdelineHazan/status/1239986843757826048?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

      Devant cette situation, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a demandé la mise en place de visioconférences pour compenser la fin des parloirs ainsi que la gratuité du téléphone.7

      La seule mesure efficace serait le désengorgement des prisons et la fermeture des centres de rétention8. C’est ce à quoi appellent plusieurs associations, syndicats et la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté elle-même. Ce serait un changement majeur.

      D’autres lieux de privation de liberté sont concernés par l’épidémie : les geôles, en cas de gardes à vue prolongées, et de comparution immédiate. Ces pratiques judiciaires se poursuivent en dépit de risques sanitaires graves.

      Le coronavirus expose tous les dysfonctionnements de notre société. Il suffit de peu de choses pour que tout explose. Ça vaut pour nos services publics exsangue, mais aussi pour les prisons. Et devant la maladie, ce sont toujours les plus fragiles et les plus précaires qui sont aussi le plus exposés.


      *

      Ailleurs dans le monde, on retrouve la même situation explosive. Émeutes, grèves de la fin, destructions matérielles, évasions : les prisons italiennes ont déjà connu plusieurs morts, dans un système pénitentiaire surpeuplé à 130%, où la moitié de la population a plus de 50 ans. Avec 2,2 millions de détenus, les États-Unis abritent les prisons les plus peuplées au monde, laissant craindre une flambée de l’épidémie de coronavirus en milieu carcéral. En Iran, l’un des pays les plus touchés du monde par le coronavirus, 85.000 détenus ont été libérés : il s’agit d’hommes et de femmes condamnés à moins de 5 ans, qui devront finir de purger leur peine à une date indéterminée.

      Le manque de communication claire a des conséquences particulièrement graves en prison, où n’importe quel petit rien peut favoriser la psychose et le développement de rumeurs qui enflent en raison de l’enfermement, des addictions, de la santé mentale fragique des populations carcérales, sans même de l’incompréhension de la situation par les personnes non francophones.

      Mais même dans ces situations-là on traite les détenus de sales privilégiés : un article, intitulé « Nous allons distribuer 100 000 masques en prison », annonce Nicole Belloubet, se trouvent rapidement assortis de commentaires de type « eux ont le droit à des masques, pas nous ! », alors que les masques sont destinés aux surveillant∙es…

      Le 19 mars, le Ministère de la Justice annonce quelques mesures : à partir du lundi 23 mars, chaque détenu aura d’un crédit de 40€ par mois pour téléphoner ; la télé sera gratuite ; les détenus indigents recevront une aide majorée de 40€/mois pour cantiner.

      https://twitter.com/OIP_sectionfr/status/1240602063224156161?s=20

      En revanche, il n’y a aucune continuité pédagogique mise en place en détention. Les enseignant∙es ont été prévenu·es au dernier moment, n’ont rien pu préparer. En l’absence d’Internet, les cours sont suspendus. Simplement.

      https://academia.hypotheses.org/21331
      #prisons #prison

    • Des enfants confiés et confinés à domicile

      « Je suis éducateur dans une association de la protection de l’enfance, dans un service qui intervient auprès de famille où l’enfant est confié par le juge des enfants au département, mais reste domicilié chez leurs parents (chez l’un d’entre eux du moins).

      En cette période, ma collègue et moi-même avons pour directive de ne pas nous rendre dans les familles. Nous sommes donc en lien téléphonique avec elles. En cas d’urgences réelles, que nous nous devons d’évaluer nous-même ou si les familles nous sollicitent, nous pouvons être amené à nous y déplacer.

      Il est compliqué à l’heure actuelle de dire que c’est difficile pour les enfants d’être H24 avec leurs parents sans que ces derniers bénéficient d’un soutien éducatif plus soutenu, comme le demandent les mesures de placement.

      Cependant, nous nous devons de faire confiance, faire confiance en ces parents qui, bien qu’ils aient des compétences (sur lesquelles on s’appuie énormément), peuvent être défaillants ou en difficultés. Je leur tire mon chapeau car ils font au moins pire. Malgré cela, sur les 12 enfants accompagnés, la scolarité est grandement impactée pour plus de la moitié d’entre eux.

      Alors que sur les groupes d’internat de l’association qui accueillent des jeunes confiés quotidiennement, des moyens ont été trouvé pour assurer le minimum de continuité scolaire avec la présence d’éducateurs scolaires et d’éducateurs techniques, les parents auprès desquelles j’interviens, sont livrés à eux-mêmes. Rares sont ceux qui bénéficient d’un accès à un PC où PRONOTE, Maxicours ou le CNED permettent (lorsqu’il y a suffisamment de connexion) d’avoir accès à des supports de cours.

      Certains ont pu se mettre en lien avec l’enseignant pour avoir des documents papiers imprimés. D’autres utilisent simplement leur smartphone pour avoir accès aux plateformes….

      Pour certaines familles, nous avons pu imprimer énormément de documents, et nous leur avons fait parvenir…

      Quelle utopie maintenant ? Celle d’avoir des enfants qui se mettent à travailler d’eux-mêmes, aidés si besoin par leurs parents qui peuvent leur expliquer les cours de physique, chimie, SVT, Français, Histoire-Géographie, Anglais, Espagnol…. Je ne cible pas leurs incompétences, car ils s’essaient tous tant bien que mal. Mais nous même, nous ne sommes pas capables de fournir un tel accompagnement, alors comment demander, à des familles où la problématique est souvent ailleurs, d’assurer cette scolarité ? A cela, s’ajoute les pathologies psychologiques (TDAH, trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, par exemple) et difficultés scolaires de ces enfants qui en temps normal bénéficient d’une scolarité spécifique et/ ou de soins. Cette charge est donc laissée quotidiennement aux parents qui ont probablement d’autres choses à gérer (comme un budget repas par exemple, où l’aide à la cantine scolaire ne fonctionne pas à la maison….).

      Alors, oui, en ces temps de confinement, nous veillons à ce que le domicile reste un environnement sain, moins pire qu’ailleurs. Quitte à passer la scolarité au troisième plans. Tant pis si lorsque le confinement sera terminé, nous auront creusé de nouvelles inégalités… »

      https://www.modop.org/se-relier/#26mars

    • La continuité pédagogique, vraiment ?

      Dès avant la fermeture des établissements le 16 mars dernier, les enseignant.es ont reçu des consignes pour leur demander d’assurer ce qu’on a appelé la “continuité pédagogique” : il fallait aussi rapidement que possible imaginer et mettre en oeuvre des solutions pour continuer d’assurer les cours magistraux et les travaux dirigés, les séminaires et les stages. Face à cette injonction pressante, des solutions ont été très vite expérimentées, dès le début de la semaine dernière. Des solutions très variables, pour ce que j’ai pu en observer dans mon université grenobloise, et dans quelques autres à travers les récits de collègues : certain.es enseignant.es ont pu très rapidement trouver des formes alternatives d’enseignement en utilisant des plateformes collaboratives permettant d’utiliser la vidéo ou l’audio, comme Discord ou Zoom ; d’autres enseignant.es ont enregistré leurs cours dans des fichiers audio ; d’autres enfin, moins habitué.es à utiliser les outils numériques, ont déposé des versions écrites de leurs cours dans les ENT (environnements numériques de travail) de leur établissement. Tout y poussait : la conscience professionnelle, le souhait de maintenir le contact avec les étudiant.es pour éviter les abandons, la crainte de leur faire “manquer” un semestre.

      Il m’a pourtant très vite semblé qu’on mettait en quelque sorte la charrue avant les boeufs et qu’on essayait de mettre ainsi en oeuvre cette “continuité pédagogique”, de façon un peu désordonnée, sans se demander ni si c’était souhaitables, ni si c’était possible et à quelles conditions. Mes interrogations me venaient de mes propres difficultés : comme les autres, je cherchais des solutions, et dans mon cas particulier, j’avais beaucoup de mal à les trouver : comment faire, en effet, pour enseigner les méthodes quantitatives avec R à distance, dans des groupes de TD de plusieurs dizaines d’étudiant.es de deuxième année de licence ou de première année de master de sociologie ? Tout ce que nous avions “en présentiel”, était-il possible de le reconstituer à distance : des ordinateurs suffisamment puissants, des logiciels correctement installés, le travail en groupes, l’accompagnement individuel, face aux écrans ?

      Plutôt que supposer que tout cela était possible, nous avons alors choisi, avec mon collègue Olivier Zerbib qui co-anime avec moi ces travaux dirigés, de réaliser un sondage auprès de nos étudiant.es pour essayer d’évaluer leur capacité à suivre des cours à distance. Ce sont les résultats de ce sondage, que nous avons finalement étendu à la totalité des étudiant.es de licence de sociologie de l’Université Grenoble Alpes ainsi qu’aux quelques étudiants du master (SIRS) “Sociologie de l’innovation et recompositions sociales”, que je voudrais vous présenter rapidement dans ce billet.
      Un sondage sur les capacités à suivre des cours à distance ? Encore faut-il pouvoir même y répondre…

      Le questionnaire de cette mini-enquête a été mis en ligne sur Moodle (la plateforme ENT de l’UGA) le jeudi 19 mars, et il est resté ouvert jusqu’au samedi 21 mars à midi. Les étudiant.es ont été invité.es à y répondre par plusieurs messages envoyés là encore par Moodle, et relayés de différentes façons (pages Facebook, forums Discord, emails personnels…) par les enseignant.es et les étudiant.es de sociologie. Le choix de mesurer la capacité des étudiant.es à suivre des cours à distance à partir d’un sondage sur Moodle était délibéré : cela devait permettre déjà tout simplement de déterminer la proportion des étudiant.es qui recevraient le message les invitant à répondre à ce sondage, par un canal ou un autre, et qui arriveraient à y répondre dans Moodle. La non-participation au sondage pourrait de ce fait être tenue comme un indice d’une très grande difficulté à utiliser même les outils les plus simples à notre disposition pour faire cours à distance, et qui sont aussi ceux que notre établissement nous recommande très fortement d’utiliser.

      De ce point de vue, la conclusion est malheureusement sans ambiguïté. Même après avoir restreint la population étudiée à la liste des étudiant.es qui se sont connecté.es à Moodle au moins une fois depuis le début de l’année universitaire, le taux de réponse général au sondage est très faible (voir tableau ci-dessous).

      Seulement 92 des 334 étudiant.es de sociologie ont pu répondre à l’enquête, soit 28% d’entre eux. Et on constate de fortes disparités : les meilleurs taux de réponse sont observés en L2 et M1, et les plus faibles en L1 et en L3. Ce faible taux de réponse ne s’explique probablement pas fondamentalement par des difficultés “techniques” de connexion : ces étudiant.es ont pratiquement tou.tes des smartphones avec des abonnements internet mobiles, et comme on sait qu’ils.elles sont déjà allé.es au moins une fois sur Moodle depuis le début de l’année universitaire, on peut faire l’hypothèse qu’ils connaissent leur identifiant et leur mot de passe.

      La première explication est liée aux variations de leur “implication”, autrement dit du lien qu’ils.elles ont pu maintenir avec les préoccupations universitaires, ou que nous, enseignant.es, avons pu maintenir. Ce sont les fortes variations du taux de réponse en fonction du niveau qui permettent de le penser. Les meilleurs taux de réponse sont en effet observés en L2 et M1, et les plus faibles en L1 et en L3, et cela peut s’expliquer en partie par le fait que le sondage a été transmis aux étudiant.es de L2 et M1 dans le Moodle de cours où ils m’ont comme enseignant ce semestre : cela a pu favoriser leur implication. On note du reste qu’un sondage similaire réalisé par Olivier Zerbib directement dans son cours de “Sociologie de l’innovation” en L3 a reçu 19 réponses sur 24 inscrit.es au cours, alors que le sondage mis dans le Moodle dans le cours de “sociologie des réseaux” du premier semestre n’a reçu que 4 réponses sur 47. Mais il n’en reste pas moins qu’en L1 le taux de réponse est très faible, et qu’en L2, où les étudiant.es ont reçu plusieurs relances par plusieurs canaux pour répondre au sondage, cette capacité à répondre à une demande très simple dans Moodle en moins de trois jours n’est observable que dans à peine la moitié de la promotion. Et en L2, les ayant vu vendredi juste avant la fermeture, Olivier a pu leur recommander très fortement de rester connectés.

      La seconde explication n’est pas liée aux événements. Avant même d’invoquer des difficultés de connexion liées à la crise sanitaire et au confinement, ou la démobilisation, il faut d’abord tout simplement se demander si même avant le début de cette crise, les étudiant.es de sociologie utilisaient Moodle. Or, la date de la dernière connexion permet de voir que c’est loin d’être le cas de tout.es : en réalité, déjà un quart d’entre eux ne s’étaient pas connectés à Moodle depuis le début du semestre.

      Le résultat : une très faible capacité générale à suivre des cours à distance

      De ce qui précède, il ressort que déjà, même en L2 où le taux de réponse a été “élevé”, c’est en réalité à peine la moitié des étudiant.es qui a pu répondre à un questionnaire de 3 questions dans Moodle. Dans les autres niveaux, que ce soit en licence ou en master, ces taux sont bien moindres. Qu’ont-ils.elles répondu, celles et ceux qui sont parvenu.es à le faire ? Pour évaluer la capacité des étudiant.es de sociologie à suivre des cours à distance, trois questions leur avaient été posées, dont vous trouverez les réponses dans les tableaux ci-dessous, calculées en fonction du niveau de licence et de master.
      Une accès basique à internet apparemment correct, mais un accès compliqué aux plateformes nécessitant un débit élevé et un ordinateur fixe.

      Les réponses à la première question sont pratiquement unanimes : en tout cas parmi celles et ceux qui ont pu répondre au sondage, il n’y a en tout et pour tout que 2 étudiant.es qui n’ont pas les moyens d’accéder aux outils les plus basiques, soit la messagerie électronique et Moodle. Par construction, cela dit, on peut estimer que les étudiant.es qui ont pu répondre à ce sondage sur Moodle après avoir reçu un message sur leur messagerie universitaire disposaient par définition de ces moyens élémentaires de travail à distance. Les réponses à cette question démontrent toutefois qu’il reste possible de communiquer avec cette moitié-là de nos étudiant.es via Moodle et la messagerie universitaire, qu’ils.elles peuvent consulter au moins sur leur smartphone.

      Ils.elles sont déjà un peu plus nombreux.ses, une quinzaine sur la centaine de répondant.es, à ne pas avoir les moyens de suivre des cours à distance qui mobiliseraient des outils plus complexes ou plus gourmands en bande passante, comme les outils et plateformes de visio- ou d’audio-conférence. Les très nombreux commentaires libres donnés en réponse à la dernière question du sondage sont particulièrement éclairants de ce point de vue. Ils permettent en effet de prendre la dimension des très nombreuses difficultés qui vont faire obstacle à la possibilité de suivre des cours et de produire des travaux universitaires en utilisant les outils bureautiques habituels : accès à internet seulement avec des abonnements mobiles dont les plafonds sont très rapidement atteints, difficultés à s’approprier des outils instables, pas d’ordinateur, ordinateurs trop anciens ou pas suffisamment puissants…

      Cela dit, il faut en partie relativiser ces difficultés : sur la quinzaine d’étudiant.es indiquant de telles difficultés, il y en a 9 qui sont en L2. Or, cela tient certainement en partie au fait que le sondage leur ait été diffusé dans le Moodle du TD de méthodes quantitatives, et qu’ils.elles s’inquiètent pour l’utilisation de R à distance et le travail de groupe avec ce logiciel, comme en témoignent les commentaires libres.
      Des conditions de travail dégradées pour un nombre significatif d’étudiant.es

      Enfin, et surtout, la dernière question montre qu’on aurait tort de penser que les obstacles sont seulement techniques. En effet, presque la moitié des étudiant.es de sociologie qui ont pu répondre au sondage ne s’estiment pas dans des “conditions matérielles, intellectuelles, économiques et sociales” (on aurait dû ajouter également “psychologiques” dans la formulation de la question) qui leur permettraient de suivre correctement des cours et d’effectuer leur travail universitaire à distance. Là encore, les commentaires libres sont instructifs : pertes des emplois qui leur permettaient de financer les études, horaires des cours incompatibles avec des obligations professionnelles ou familiales, conditions de logement ne permettant pas de s’isoler pour travailler, anxiété, inquiétudes face au caractère inégalitaire de l’enseignement à distance…


      Le tableau ci-dessus indique aussi qu’il faudrait dissocier les réponses pédagogiques à apporter en L1 de celles pour les autres niveaux de formations. Parmi celles et ceux qui ont pu répondre au sondage, ce sont les étudiant.es de première année qui indiquent le plus nettement qu’ils.elles ne sont pas dans des conditions générales qui leur permettent d’étudier à distance. La question reste de savoir s’il faut en conclure qu’il faut renoncer à le faire, ou au contraire qu’il faut prendre le problème à bras le corps pour leur proposer des solutions pédagogiques spécifiques, parce que l’enjeu est crucial et les conséquences sur le taux d’abandon potentiellement dramatiques.
      La continuité pédagogique, à toutes forces ?

      On peut résumer les résultats qui précèdent en un seul tableau très simple, synthétisant les différents critères utilisés pour mesurer la capacité des étudiant.es à suivre des cours à distance. On utiliser pour cela une échelle unique, allant du simple fait de n’avoir même pas pu répondre au sondage sur Moodle (qu’on appellera le niveau 0 de la capacité à suivre des cours à distance), jusqu’à un niveau 3 correspondant à l’absence totale de difficultés à suivre de tels cours.

      La conclusion reste quantitativement sans ambiguïté : seule une très faible minorité d’étudiant.es est parvenue à nous indiquer qu’elle se trouve dans des conditions générales permettant d’étudier correctement à distance. Cette conclusion peut néanmoins être légèrement nuancée selon les niveaux : en L2, un tiers tout de même des étudiant.es ont pu indiquer qu’ils étaient dans des conditions correctes pour étudier à distance, et c’est le cas également de plus de la moitié des étudiant.es de M1 SIRS (voir tableau ci-dessous). On peut aussi redire que dans le cours de L3 de sociologie de l’innovation animé par Olivier, 18 des 19 étudiant.es qui ont répondu au sondage d’Olivier ont indiqué être en capacité de suivre ce cours à distance. Il en reste tout de même 6 (soit un peu plus de 20%) qui ne le peuvent pas, soit parce qu’ils.elles ne sont pas dans la capacité de le faire, soit parce qu’ils.elles y ont renoncé.

      Dans tous les cas, et probablement même dans le cas des L3, ces proportions ne semblent pas suffisantes pour garantir que la mise en place d’enseignements à distance, et a fortiori d’évaluations de ces enseignements à distance, ne produira pas d’importantes inégalités entre des étudiant.es de sociologie dont les commentaires libres témoignent qu’ils.elles y sont particulièrement sensibles. Comment s’en étonner ? D’une part nos étudiant.es n’appartiennent pas forcément aux mêmes milieux sociaux que d’autres composantes de l’université qui ont mis en place des enseignements à distance sans se préoccuper de la rupture d’équité que cela pouvait occasionner. Et d’autre part, cette attention de nos étudiant.es aux inégalités, nous devrions au contraire en être fier.es, puisque c’est aussi notre métier que de leur en montrer et en démonter les mécanismes.

      En tout état de cause, les résultats de ce sondage plaideraient plutôt en faveur des conclusions suivantes :

      Seulement une très faible minorité des étudiant.es de sociologie de l’UGA se déclare pour l’instant en situation de suivre correctement des cours à distance.
      Dans ces conditions, instaurer des cours à distance dont les évaluations participeraient à la validation du second semestre provoquerait une profonde rupture de l’équité entre les étudiant.es.
      La seule mesure générale qu’il est possible de préconiser au vu de ces résultats est la validation de l’ensemble des enseignements dont les modalités de contrôle n’avaient pas été satisfaites à la date de la fermeture de l’université, ou reposeraient sur des connaissances qui devraient être acquises après cette date.
      La traduction la plus simple possible de cette mesure générale consisterait à valider le second semestre pour l’ensemble des étudiant.es ayant validé des UE de premier semestre, de façon à permettre à ces étudiant.es de poursuivre normalement leurs études sans “perdre” un semestre ou un an.

      Ces conclusions n’interdisent bien entendu pas, dans certains cas particuliers et clairement identifiés, de mettre en place des formes d’activités pédagogiques à distance. Il faut peut-être par exemple appliquer des règles différentes en L1 et dans les niveaux suivants de licence, où les effectifs plus réduits et la socialisation plus ancienne aux études universitaires permettent d’expérimenter des formes pédagogiques alternatives.

      En TD de méthodes quantitatives de L2, avec Olivier, nous allons essayer de continuer à accompagner le travail de nos étudiants sur les données de leur belle enquête sur les couples et le numérique (ils.elles venaient de finir d’en saisir les 1759 questionnaires quand nous avons fermé), en nous appuyant sur Moodle et sur Discord. Plusieurs commentaires libres, et nos échanges de la semaine écoulée avec nos étudiant.es, pointent l’importance du rôle socialisateur de ces initiatives développées par certain.es d’entre nous.

      En master au contraire, il peut être tout-à-fait bénéfique de renoncer aux cours magistraux pour permettre aux étudiant.es de se concentrer sur la rédaction de leurs mémoires de recherche (ils étaient en train de terminer leurs terrains) et de stage (si celui-ci a pu être réalisé, ou peut être réalisé en télétravail), en leur proposant des formes d’accompagnement à distance adaptées (forums, rendez-vous par Skype, séminaires d’accompagnement et de méthodologie de la recherche en ligne…).

      On peut néanmoins redire que toutes ces activités pédagogiques à distance devraient au minimum respecter un certain nombre de règles importantes, pour atténuer la rupture d’équité qu’entraîne leur maintien :

      Ces activités devraient avoir principalement pour fonction de maintenir des formes de communication et de socialisation avec celles et ceux des étudiant.es pour qui elles exercent un effet socialement structurant, qui peut être précieux dans ce contexte de crise.
      Ces activités ne devraient pas être évaluées, ou en tout cas ces évaluations doivent avoir une visée purement pédagogique et ne pas conditionner la validation des enseignements.
      En licence au moins, ces activités ne devraient pas se dérouler seulement en direct sur des plateformes de diffusion vidéo ou audio, dans la mesure où de nombeux.ses étudiant.es n’ont pas la possibilité d’être disponibles aux horaires des cours, ou ne bénéficient pas de conditions permettant de les suivre correctement (pas de wifi, pas d’ordinateur, impossibilité de s’isoler…). Il faudrait que les cours puissent être suivis en différé, et donc que les documents à lire et les enregistrements vidéo et audio restent facilement accessibles même après la fin de la séance.
      Ces activités ne devraient pas obliger les étudiant.es à utiliser un nombre trop élevé de plateformes et d’outils différents. Elles devraient centralement utiliser les possibilités offertes par Moodle et à l’intérieur de Moodle. L’expérience de la semaine écoulée a montré que des étudiant.es avaient apprécié l’utilisation de Discord par certains enseignants, même si là encore nous n’avons aucune garantie du caractère égalitaire du recours à cet outil. Dans tous les cas, on devrait éviter de multiplier les outils utilisés, au gré des initiatives individuelles, et on devrait éviter en particulier les outils nécessitant des ressources techniques trop importantes, et a fortiori les outils payants.

      Et pour clore provisoirement cette présentation des résultats de notre petite enquête, on peut également dire qu’en fonction des solutions adoptées, il faudra certainement en observer avec la plus grande attention les effets, aussi bien sur les étudiant.es et leurs cursus, que sur l’enseignement supérieur même et les évolutions des études universitaires dans les mois et les années à venir. Force est de constater que la crise sanitaire en cours, et en particulier le confinement, fabriquent de fait le consommateur et la consommatrice dont rêvaient les plateformes numériques. Et donc peut-être aussi l’étudiant.e dont rêvaient les établissements d’enseignement supérieur : assigné.e à résidence, moins coûteux.se en locaux et en personnels, privé.e de sa capacité à se mobiliser… En nous précipitant sur les outils numériques permettant de faire cours à distance à un nombre très restreint d’étudiant.es bénéficiant de conditions matérielles, économiques et sociales privilégiées, et disposant aussi des capacités socialement construites à l’auto-discipline que nécessitent les auto-apprentissages, on prend le risque de faire croire que c’est possible, sans se demander ni se soucier ce qui est réellement transmis de cette façon, ni à qui. Quand on a ouvert la boîte de Pandore, il est très difficile de la refermer…

      http://pierremerckle.fr/2020/03/la-continuite-pedagogique-vraiment

    • … et il n’y a toujours pas de masques

      Il y a elle ; elle est chez ses parents au fin fond de quelque part, et ne capte pas grand chose, d’un point de vue informatique je veux dire, elle a bien la 3G mais c’est littéralement au fond du jardin.

      Il y a ma compagne ; elle est professeure de français histoire géographie dans un lycée professionnel. Elle a des classes et des élèves. Elle a des « elle » et des « il » aussi. Il faut qu’elle s’en occupe.

      Il y a mon groupe 2 en DIG2 ; il faut que je m’en occupe, il faut que je m’en occupe, il faut que…

      Il y a lui ; il est réquisitionné et travaille dans l’alimentaire à 125% depuis le début du confinement, il est inquiet pour la suite de ses études.

      Il y a les courses parfois, les repas souvent, la machine et tout le reste.

      Il y a elle ; elle dit que “Nous n’entendons pas demander à un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas, compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser la France entière pour aller récolter des fraises gariguette”…

      … et il n’y a toujours pas de masques.

      Il y a iel ; son père/ sa mère est docteur.e/infirmier.ère, iel est inquiète et a du mal à travailler.

      Il y a ma fille ; elle a 7 ans, cette semaine elle a appris deux nouveaux sons sans sa maîtresse. Elle a besoin de ses parents.

      Il y a mon groupe 1 en découverte 2, il ne faut pas que je les oublie, il ne faut pas que je les oublie …

      Il y a lui ; il est juste inquiet, juste angoissé, il n’a jamais vu ça. Il ne sait pas s’il arrivera à finir son semestre.

      Il y a elles et ils ; iels font la queue devant le magasin de fruits et de légumes, une file étrange au milieu d’une route sans voiture. Eloigné.es les un.es des autres d’un mètre au moins ; iels attendent, iels ne parlent pas.

      Il y a le service public télé et radio qui organise une soirée de soutien pour trouver des sous pour le service public hospitalier… et tout le monde a l’air de trouver ça normal de faire nos fonds de poches pour les services publics que nos gouvernements managérisent, déstructurent, détruisent depuis des années.

      … et il n’y a toujours pas de masques.

      Il y a elle, elle a besoin d’une lettre de recommandation. C’est pour partir à l’étranger l’année prochaine. Ah. C’est bien, il y aura une année prochaine…

      Il y a ma fille de 11 ans ; elle a des devoirs tous les jours. On n’a pas d’imprimante alors elle recopie ses leçons à la main. Elle râle un peu mais ça va. Elle a besoin de ses parents.

      Il y a mon amphi de L1 ; il faut que je transforme mon CM en chapitre de livre, il faut que je transforme mon CM en chapitre de livre, …

      Il y a ce mail là, un peu bizarre pour une réunion le 3 juillet…

      Il y a iel ; iel ne comprend pas comment compléter des diaporamas sans support de cours et juste avec des liens internet… moi non plus. Je ne sais pas trop quoi lui dire, ce n’est pas mon cours.

      Il y a les courses parfois, les repas souvent, la machine et tout le reste. Il y a un temps à la fois long et court, bref et étonnamment élastique.

      Il y a les cloches qui sonnent huit heures, on va applaudir sur le balcon toustes celles et ceux qui luttent pour sauver des vies.

      … et il n’y a toujours pas de masques.

      Il y a elle ; par chance elle a pris une UE de sport ce semestre. Cette UE est considérée comme acquise.

      Il y a mes parents ; iels sont âgé.es. Je suis inquiet et j’ai besoin de mes parents. Il y a mon groupe 6 en DIG2, il faut que je m’en occupe, il faut que je m’en occupe, il faut que…

      Il y a lui, par malchance il y pris une ETC disciplinaire comme « égalité femmes hommes » par exemple et doit quand même rendre quelque chose.

      Il y a les courses parfois, les repas souvent, la machine et tout le reste. Il y a un temps à la fois long et court, bref et étonnamment élastique. Il y a les informations qui hantent nos journées.

      Il y a le président ; il a l’air de trouver que finalement l’hôpital c’est pas mal et que ça vaut le coup d’investir dedans.

      … et il n’y a toujours pas de masques.

      Il y a elle ; elle est dans la réserve sanitaire, mobilisable à tout moment. Il y a lui ; il est dans la réserve militaire ; il est mobilisable à tout moment.

      Il y a ma fille ; elle a 13 ans, ses enseignant.es du collège ont pris leur rythme de croisière, elle travaille au moins 5 heures par jour. Elle a besoin de ses parents. Il y a lui ; ils sont à cinq dans un petit appartement, il y a un PC, le papa travaille en télétravail, la maman travaille en télétravail, son frère fait l’école à la maison et ses cours arrivent par internet et sa sœur fait l’école à la maison et ses cours arrivent par internet. Et puis il y a celui qui n’a qu’un téléphone dans sa chambre de 11m² du CROUS.

      Il y a mon groupe de Géo & média, il ne faut pas que je les oublie, il ne faut pas que je les oublie …

      Il y a elle ; elle m’envoie un courriel pour me dire qu’elle est en quatorzaine dans sa chambre ;

      Il y a chamilo, un jour je le ferai griller au-dessus d’un feu de bois ou dans une cheminée,

      Il y a les questions nombreuses qui affluent par courriel : et le confinement ? monsieur, s’il se prolonge ? et les notes monsieur ? comment on fait ? monsieur on n’a pas de nouvelle d’untel ? monsieur, monsieur ?

      Il y a mon groupe 1 en découverte 2, il faut que je m’en occupe, il faut que je m’en occupe…

      Et il y a les miennes de questions. Pourquoi on continue de faire comme si c’était normal ? Comment on va gérer tous les « il » et toutes les « elle » qui se multiplient ces derniers jours et qui ne pourront pas être traité.es comme toustes les autres ?

      Et pour les stages ? il y a elle ou lui qui l’ont déjà et il y a elle ou lui qui ne l’ont pas fait ; comment les noter équitablement ? et quand est-ce qu’on décide d’arrêter la mascarade et d’annoncer que l’année est terminée ? et quand est-ce qu’on admet qu’on n’était pas prêt ? et que ce n’est pas grave ? et qu’en est-ce qu’on arrête le délire sur les maquettes et que l’université nous dit que « c’es bon » on décale tout de trois mois…

      Et quand est-ce qu’on arrête de faire semblant, de faire comme si tout était normal alors que pas grand choses ne l’est en ce moment…

      Et puis, il y a Jérôme Salomon qui prend la parole et qui compte les morts…

      … et il n’y a toujours pas de masques.

      https://academia.hypotheses.org/21695

    • Message d’une promo de l’IUGA à Grenoble :

      Suite à de nombreux échanges entre nous, vous voulons vous faire part de notre avis sur la situation actuelle et les différents travaux demandés.
      Tout d’abord, nous sommes conscients que la période que nous traversons est autant difficile pour nous que pour vous. Cependant, les projets notés que nous devons vous rendre ne semblent pas en adéquation avec ce que nous vivons, et nous voulons vous faire part de notre inquiétude. En effet, nos conditions de travail en cette période de confinement sont toutes très différentes, certains n’ayant plus d’espace de travail approprié, un accès à un internet limité et les différentes ressources auxquelles on peut accéder (bibliothèques, espaces de travail...) étant fermées.
      A des fins égalitaires, il nous paraît injuste de nous noter sur un même piédestal. De plus nous ne reconnaissons pas l’aspect pédagogique de certains travaux, nous avons l’impression de travailler sans rien apprendre, bien loin de la fonction principale d’une université. Nous avons peur que ces notes soient préjudiciables pour la suite de nos études.
      Nous savons que la situation est loin d’être évidente pour vous également mais il nous paraissait important de vous faire part de la situation qui préoccupe l’ensemble de la promo, mais également le corps enseignant de part l’appel a la grève promulguée par certains de vos collègues que nous rejoignons (notamment par la lettre de Sébastien Leroux « Il y a iel » : https://academia.hypotheses.org/21695).
      Par conséquent, et compte tenu de cette situation inédite ne permettant pas une évaluation équitable entre les étudiants, nous souhaiterions une organisation différente nous permettant d’être évalué sur nos réelles capacités (comme ce fut le cas lors du premier semestre) et non sur des travaux n’ayant pour seul but le remplissage d’un bulletin qui n’aura aucune réelle valeur pédagogique.

    • Ma réponse à mon collègue Sébastien Leroux (https://academia.hypotheses.org/21695) :

      Et puis… la colère, et puis …la peur

      « En lisant le texte de mon collègue Sébastien, je me demande comment il fait et comment font mes collègues enseignant·es à la fac qui ont beaucoup de cours à donner ce semestre. Par chance, mon semestre est chargé en automne, mais beaucoup moins au printemps.

      Et je n’ai pas d’enfants. Nous accueillons chez nous à la maison un demandeur d’asile, mais il est majeur, autonome et est surtout une aide… Il nous fait souvent à manger, il nous aide dans les tâches ménagères et aide mon compagnon à terminer les petits travaux qui restent à faire dans notre nouvel appartement.

      Malgré ma situation décidément privilégiée, je n’arrête pas. Il y a des étudiant·es étrangères dont je m’occupe en tant que responsable du master international que je dirige et qui sont en difficulté. Cela m’a pris beaucoup de temps. Mais en réalité, ce n’est pas vraiment cela qui me prend plus de temps. Et ce n’est pas cela qui m’empêche d’avoir du temps et de l’énergie. C’est la multiplication des mails de gestion administrative de la crise. Et ce sont des pensées qui trottent dans la tête, en ces temps bien étranges. Car, comme me l’a dit hier une collègue, on voit tellement clairement avec cette crise qu’on a tout un arsenal prêt pour une guerre, la « vraie guerre », pas celle contre l’ « ennemi invisible » de Macron… On a une armée et des soldats, des bombes, on a mis en place des tactiques et des stratégies… Mais rien pour contrer ce virus, dont son émergence était tout de même « annoncée », comme le dit si bien le microbiologiste Sansonetti ; on est complètement démuni·es. Seule solution : le confinement. Seule solution car il n’y a pas de tests de dépistages, il n’y a pas de masques et il n’y a pas assez de lits dans nos hôpitaux, que les gouvernements successifs ont démantelé, brique par brique.

      Et la colère monte, en pensant à cela. C’est cette colère qui m’empêche de me concentrer. Et qui me pousse à faire ce que fais en temps « normaux », mais ce travail prend désormais plus de temps car aux thèmes habituels s’ajoutent ceux liées à la crise sanitaire : prendre et archiver des infos, les partager. En « temps normaux », je fais ce travail sur mes thèmes de recherche : migrations, réfugiés et frontières. Mais désormais s’ajoutent à cela des infos sur ce virus et cette crise sanitaire, pour que l’info critique puisse circuler. Alors je trie l’info, je la mets sur mon réseau social préféré et sur lequel j’archive des infos depuis des années : seenthis.net. Et en plus, je partage l’info avec celleux qui m’ont dit vouloir se tenir informé·es par des canaux autres que ceux gouvernementaux ou des médias mainstream.

      Du coup, j’ai créé un fil sur seenthis sur la maudite continuité pédagogique, car en tant qu’enseignante, c’est parmi les thèmes qui m’agacent le plus.

      Mais il y a aussi cette autre question, très peu traitée par les médias, celle du lien entre confinement et violences domestiques, dont se préoccupent pas mal de personnes autour de moi, mais dont on parle très peu, en réalité. Car le mot d’ordre est « restez chez vous ». Mais quand le « chez soi » n’est pas un refuge mais un condensé de violence, quoi faire ? Et quand, à vrai dire, on n’a pas du tout de chez soi ?

      (…)

      Et puis, dans notre amap, c’est la trêve hivernale pour notre maraîcher. Pas de légumes, jusqu’au mois de mai. Trop difficile, une vie sans les légumes d’Yvan. Et alors, j’essaie d’organiser un moyen pour ne pas devoir me rendre dans les supermarchés où je ne vais plus depuis que je suis arrivée en France… Il y a un « plan légumes via notre amap ». J’y adhère, je partage avec des ami·es qui, elleux aussi, sont à la recherche de légumes. C’est parti, petit tableau pour regrouper les commandes, organisation de la distribution…

      Tout cela, ça prend du temps. Mais c’est ce qui me donne de la vie et de l’énergie en ces temps de confinement. Confiné·es, mais pas isolé·es. Et alors j’essaie de me dire que c’est une chance peut-être de pouvoir s’organiser autrement, de pouvoir trouver d’autres liens. On peut enfin apprécier une ville sans trafic motorisé. Et ça fait du bien, oh que ça fait du bien ! Je me dis, parfois, qu’il y a de l’espoir… c’est peut-être une chance. Pour repenser notre monde. Un jour, peut-être, on dira « merci coronavirus ». Les gens ont enfin compris que l’hôpital public, c’est essentiel. Que nos maraîchers et maraîchères, sont essentiels. A la survie. A la vie.

      Mais souvent, c’est la peur qui me prend à la gorge. Non pas la peur de ce virus, malgré les nouvelles inquiétantes qui nous arrivent d’Italie, que j’ai commencé à suivre bien avant mes ami·es et collègues ici en France. Je savais que ça allait arriver ici aussi. Cela semble se confirmer : 11 jours de retard sur l’Italie. 11 jours. Et tout sera comme en Italie. Et les nouvelles de Bergame, ça fait peur. Je ne sais pas si le fait d’être de langue maternelle italienne est une chance ou pas, dans ces conditions. Je ne l’ai pas encore compris.

      La peur, je disais… La peur qu’en réalité, dans l’après covid-19, on se réveillera et ça fera mal. La peur que ce que Naomi Klein décrivait pour l’Irak, est en train de se passer ici et maintenant. En Europe, en 2020. La stratégie du choc. C’est cela, la peur qui me prend à la gorge. C’est cela qui m’empêche de penser à ce que je dois faire comme si « tout était normal ». C’est cette peur qui ne me fait pas croire à la « continuité pédagogique ». Pour moi, un seul cours à assurer (et l’appui à un autre), mais je n’arrive pas à m’y mettre vraiment. Pourtant, pour ce cours, les étudiant·es sont là, présent·es. Ielles travaillent et s’y mettent. Avec ma collègue nous avons adapté le cours, et ça a l’air de marcher. Je n’avais pas de nouvelles d’un sous-groupe, j’étais inquiète. Après quelques jours, j’arrive à atteindre les étudiants du groupe, une personne sans internet dans le groupe. Et tout s’écroule. Mais il va bien. C’est ce qui compte. On adaptera. On ne pénalisera pas. Mais j’ai cette étrange impression que ces étudiant·es de L3 GES sont bien plus présent·es que moi. Ou alors ielles jouent. The show must go on. Continuité pédagogique oblige. Je ne sais pas si ielles font semblant ou si ielles y croient vraiment à ce beau projet qu’on était en train de construire ensemble : améliorer l’offre alimentaire des étudiant·es de l’IUGA. Je pense qu’ielles y croient et c’est pour cela qu’ielles sont là, présent·es. Ou peut-être ielles ont juste peur de ne pas avoir les crédits à la fin de l’année. Je pense qu’on ne le saura jamais. Mais je leur suis vraiment très reconnaissante, car ielles me motivent à ne pas lâcher. A les accompagner. On se donne tous les vendredis RV sur Discord. Et ça marche. Parce qu’ielles sont là au RV. Là avec leurs idées et leur envie d’avancer. Juste pour cela, ielles méritent une bonne note. Une belle leçon. »

      https://www.modop.org/se-relier/#29mars

      Le texte complet : https://www.modop.org/wp-content/uploads/2020/03/Et-puis-la-col%C3%A8re-et-puis-la-peur.pdf

    • Lettre ouverte adressée au président de l’université Savoie Mont Blanc par des étudiant.e.s mobilisé.e.s, à travers le syndicat Solidaires Etudiant-es, 31.03.2020

      Monsieur le Président de l’Université Savoie Mont Blanc,

      Le syndicat Solidaire Etudiant·e·s Savoie a pris l’initiative de créer un questionnaire à destination des étudiant·e·s sur la situation actuelle de la crise sanitaire et sociale. Le but de celui-ci est d’identifier les problèmes rencontrés par les étudiant·e·s durant cette période exceptionnelle de confinement pour tou·te·s, en se basant aussi bien sur l’aspect matériel que psychologique. Nous vous adressons donc aujourd’hui, Monsieur le Président, une lettre pour vous faire état de cette situation. 
Nous avons conscience que cette période apporte beaucoup d’inquiétudes, de questions et que les réflexions à distance sont compliquées. Cependant, nous souhaitons faire entendre les voix des étudiant·e·s. Le confinement nous oblige à modifier le déroulement de la fin de ce second semestre tant pour la continuité pédagogique que pour les examens qui devaient se tenir entre le 27 avril et le 16 mai 2020. Les craintes étudiantes concernant les modalités d’évaluation sont plus que présentes. C’est pourquoi nous vous demandons de prendre en considération les conséquences que pourrait avoir le maintien des examens. Aussi, ce questionnaire n’a aucune vocation scientifique ; il a été créé dans l’urgence et en réponse au questionnaire envoyé par la direction LLSH de l’USMB, que nous jugeons insuffisant puisque la seule dimension technique (connexion internet, ou pas) y est abordée. Pourtant, c’est loin d’être l’unique difficulté rencontrée. D’autres facteurs sont tout autant importants, à commencer par l’aspect psychologique, non négligeable, qui compte de cette situation inédite.

      Nous avons voulu connaître la situation des étudiant·e·s. C’était donc le but de notre questionnaire qui a été mis en ligne entre jeudi 26 mars et lundi 30 mars 14 heures. Il a été clôturé temporairement pour nous laisser le temps d’analyser les 808 réponses récoltées à l’heure de ces lignes. Nous le remettrons en ligne suite à la demande de plusieurs personnes. Les questions portent sur les conséquences du confinement ; l’état émotionnel, l’organisation personnelle dans la continuité pédagogique, sur les difficultés à suivre les cours à distance aussi bien au niveau des problèmes de matériel, de connexion qu’au niveau de la mise en place d’un environnement de travail approprié pour étudier.

      Dans un premier temps, nous pensons qu’il est important de souligner le taux d’inquiétude, de stress et d’angoisse incroyablement élevé des étudiant·e·s. En effet, à la question « êtes-tu angoissé·e, stressé·e, inquièt·e ? » 74,6% ont répondu par l’affirmative. Ce niveau d’angoisse extrême est facilement explicable par la crise sanitaire que nous vivons et beaucoup l’ont développé : la peur de tomber malade ou bien qu’un proche le soit a envahi leur quotidien. Face à ce taux particulièrement haut, nous avons cherché à savoir qu’elle était la source de cette inquiétude à travers les études. Le plus évident est d’abord la validation de leur année (506 personnes sur 808 se sentent concernées) mais également les concours reportés (170 sur 808). L’angoisse vis-à-vis des examens s’accroît d’autant plus avec les conditions de travail à la maison, qui ne garantissent pas l’égalité des chances. Certain·e·s étudiant·e·s doivent assurer la continuité pédagogique de leur·s frère·s ou soeur·s en plus de la concentration demandée pour leurs propres études. De même, les conditions de travail sont radicalement changées et ce malgré la volonté des professeur·e·s de bien faire : débit internet insuffisant, partage d’ordinateur avec les autres membres de la famille notamment pour le télétravail, impossibilité d’avoir un endroit au calme et de pouvoir travailler sans être dérangé·e, activités professionnelles qui continuent dans la grande distribution par exemple donc dans des lieux à risques ce qui engendre une inquiétude en plus et une méfiance parfois. Travailler chez soi est difficile pour beaucoup. Sur 808 étudiant·e·s, seulement 176 ont la possibilité de suivre correctement leurs cours, soit 21,8%, ce qui ne représente qu’un cinquième des étudiant·e·s sondé·e·s. C’est peu et insuffisant pour permettre la tenue d’examens en de bonnes conditions. Les étudiant·e·s sont également anxieux·ses face au report des examens ; vous n’êtes pas sans savoir que beaucoup sont obligé·e·s de travailler dès les mois de mai ou juin pour assurer une stabilité financière qui leur permettra d’avoir des conditions de vie décentes (567 étudiant·e·s sondé·e·s sur 808 soit 70,2% déclarent qu’un report des examens aurait des conséquences financières dramatiques pour eux·elles)
Un report des examens en présentiel ne ferait que renforcer le statut déjà précaire des étudiant·e·s. 
Les inquiétudes sont aussi tournées vers les conséquences de cette situation sur les sélections en master, la mobilité étudiante ou encore les stages et concours reportés.
      Nous demandons des décisions à la hauteur de la situation actuelle, égalitaires et équitables pour tou·te·s et surtout qui élimineraient les différents problèmes mentionnés ici.

      Monsieur le Président, nous voulons sincèrement croire en votre « sincère et fidèle soutien dans la situation particulière que nous traversons ». Mais les effets de manche ne suffiront pas aux étudiant·e·s : les actes doivent suivre les discours. Ainsi, vu la situation sanitaire et sociale d’un bon ensemble de vos étudiant·e·s, les modalités d’évaluation classiques ne pourront pas s’appliquer.
      Premièrement, nous demandons la suppression des évaluations en contrôle continu (en ligne) durant la période de confinement et de fermeture de l’Université. Ensuite, en ce qui concerne les contrôles terminaux : un report des examens durant les mois de mai ou de juin, en présentiel, est inconcevable pour différentes raisons : certain·e·s n’auront pas la possibilité de se loger en mai et juin, d’autres se sont déjà engagé·e·s dans des responsabilités professionnelles, familiales ou associatives. Un report des examens en présentiel impliquera de facto des conséquences financières et logistiques nuisant à beaucoup. Comme nous l’avons précédemment évoqué, l’enseignement pédagogique à distance n’est pas possible pour tout un ensemble d’étudiant·e·s, malgré la bonne volonté des différentes équipes pédagogiques. Une évaluation terminale, sur des contenus et relations pédagogiques fragiles de part la distance, que certain·e·s n’auront pas vécu·e·s, est donc totalement incohérente.
      Pour ce même objet, l’alternative numérique est un danger. Nous implorons donc à chacun et chacune ne pas céder à quelque démagogie ou essentialisme que ce soit : non, les « jeunes » ne préfèrent pas, par nature, l’usage du numérique. Si elle peut apparaître comme une solution par défaut, nous y voyons au contraire un outil excluant bon nombre d’entre nous.

      Mais alors... quelles solutions ? Nous demandons la validation de tous les enseignements dont les modalités de contrôle n’ont pas été faites avant la fermeture de l’Université. La condition sine qua non de cette mesure est l’établissement d’une note plancher de 12 pour toutes et tous, ou en fonction des notes correspondantes à celles des UE du premier semestre ou alors la validation automatique. Pour les étudiant·e·s en rattrapages, une solution devra être proposée, en prenant considération des contraintes de ce second semestre.
      Cette modification administrative concernant les notes et la validation du semestre ne signifie pas la fin de la continuité pédagogique, bien au contraire. Beaucoup d’équipes pédagogiques font des efforts considérables pour permettre à toutes et tous d’avoir des éléments et ressources pédagogiques. Nous demandons que cet effort soit maintenu, et que les échanges pédagogiques perdurent.

      Nos sincères salutations,

      Solidaire Etudiant·e·s Savoie

      –-> reçu via la mailing-list Facs et labos en lutte

    • Lettre écrite à l’initiative de plusieurs enseignant.e.s du département des sciences de l’éducation de Paris8

      Bonjour à tous et toutes,
      Nous sommes quelques enseignant·e·s de l’UFR de sciences de l’éducation de l’université
      Paris 8 à nous poser des questions sur ce qui nous arrive et nous tenons à partager avec
      vous nos interrogations.
      Nous voici confiné.e.s pour au moins quinze jours, mais probablement le double si l’on en
      croit les expériences du Hubeï ou d’Italie.
      Nous sommes passé·e·s d’une vie publique et politique intense à une vie resserrée sur
      l’espace domestique. Pourtant rien ne cesse vraiment de nous indigner.
      Paraît-il que les journalistes se sont organisé·e·s pour assurer la « continuité de
      l’information » et nous voici avec un flot continu de discours sur l’évolution à la minute de
      la pandémie, la réaction de nos politiques en temps réel et les soubresauts de la bourse,
      tout ceci bien enrobé « d’unité nationale ». Alors à nous tous et toutes, professionnel·le·s
      de l’éducation de la maternelle à l’université, de prendre nos responsabilités pour assurer
      la « continuité pédagogique » et de faire vivre cette « nation apprenante » dont on voit mal
      ou trop bien (c’est selon) ce qu’elle peut bien signifier ! Nous savons tous et toutes que les
      plus vulnérables seront les plus touché·e·s par le virus, mais aussi par la nécessité
      d’assurer toutes formes de continuité, de s’occuper des proches, de gérer le quotidien.
      La grève prend ainsi une drôle de tournure dans un moment où la défense de nos services
      publics et une plus juste répartition des richesses semblent d’une brûlante actualité. Il ne
      s’agit évidemment pas de contester la décision de confinement mais de ne pas cesser
      d’être critiques et solidaires parce que nous avons cessé de sortir et de nous réunir. Il ne
      s’agit peut-être pas non plus d’assurer une « continuité de la grève » plutôt qu’une
      continuité pédagogique… mais peut-être d’accepter la rupture !
      Cessons de tenter de télé-travailler, tout en essayant de télé-enseigner, de télé-s’éduquer,
      de télé-s’angoisser les un·e·s les autres. Partageons plutôt des ressources, des attentions,
      des idées, des sourires, des réflexions, des lectures...
      Cette année a été chamboulée et tout ne sera pas rattrapé, quelle que soit la date de
      sortie de confinement. Les mouvements sociaux suspendus en plein vol n’ont pas perdu
      de leur pertinence, bien au contraire. La lettre d’un chercheur travaillant sur le coronavirus
      et exposant ces difficultés récurrentes à obtenir des financements pour ses recherches au

      cours des dernières années en est un exemple frappant. Il s’agira donc d’en tenir compte
      et d’avancer à partir de ces données. Peut-être arriverons-nous à trouver les espaces pour
      nous demander collectivement ce que nous avons appris de cette drôle d’année et la
      manière dont ces apprentissages résonnent avec nos projets individuels et collectifs.
      Peut-être arriverons-nous à penser et mettre en oeuvre une université de service public qui
      soit une réelle institution des communs.
      En définitive, nous refusons fermement :
      ● De passer de la grève à la continuité pédagogique sans nous interroger sur ce que
      cela signifie.
      ● Que l’on continue à nous faire croire que notre société peut persévérer dans ses
      routines de vitesse, de performance, de résultats et de compétition généralisée.
      C’est ce qui se joue derrière les injonctions faites aux enseignant·e·s et aux parents
      de continuer l’école à la maison, au détriment des foyers les moins équipés et des
      familles les moins familières de la culture scolaire. C’est ce qui se joue également
      dans l’injonction faite aux élèves et aux étudiant·e·s de continuer à étudier sans
      tenir compte de la grande précarité de certaines situations.
      ● De faire comme si les élèves et les étudiant·e·s pouvaient passer les examens de
      fin d’année comme si de rien n’était alors qu’ils et elles sont matériellement et
      culturellement dans une situation d’inégalité face à l’offre d’apprentissage à
      distance proposée par le ministère de l’éducation et par les universités.
      ● De répondre à l’injonction de télé-enseigner alors que nous nous occupons de nos
      enfants et de nos proches, fonction dont on sait que, socialement, elle incombe
      surtout aux femmes.
      ● De demander à nos élèves et étudiant·e·s de répondre à l’injonction de télé-étudier
      alors que certain·e·s sont dans des situations de précarité, ont des familles à
      charge, n’ont pas cessé leur activité salariée ou dépendent de parents qui n’ont pas
      le temps de les aider à prendre en main les outils numériques.
      ● De taire nos critiques au nom d’une prétendue solidarité qui arrive bien tardivement
      dans le quinquennat présidentiel !
      Nous voulons pouvoir parler de ce qui fâche : l’avenir de nos sociétés mondialisées
      néo-libérales et celui de nos démocraties qui, les unes après les autres, renoncent aux
      libertés fondamentales pour faire face à l’épidémie.
      À partir de là et poing à point contre les inquiétudes, nous voulons adresser les messages
      suivants à nos étudiant.e.s :
      ● La priorité est au soin de soi et de ses proches (idée : une carte des solidarités -
      sans se mettre en danger !)
      ● Si vous rencontrez des difficultés particulières face à cette situation de confinement,
      des professionnel·le·s et des militant·e·s sont disponibles par mail et par téléphone
      pour répondre à vos questions et besoins : violences conjugales (appeler le 3919 – Il
      est déconseillé de sortir, mais il n’est pas interdit de fuir), problème de logement,
      situation de travail, éventuelles questions sur le droit de retrait (lire par exemple le
      communiqué de solidaires étudiant·e·s ).
      Vous pouvez évidemment vous confier aux enseignant·e·s en qui vous avez confiance. Ils
      et elles feront de leur mieux pour vous aider et/ou vous orienter vers les personnes
      compétentes.
      ● Nous tenterons, quoiqu’il arrive, de rester en contact mais sans pression de part et
      d’autre. Nous restons joignables à nos adresses mails et ferons au mieux, avec tout
      ce que nous avons à gérer de quotidien, pour y répondre avec précision.
      ● Le semestre sera validé pour tous les étudiants et toutes les étudiantes qui suivent
      nos cours. Les modalités se discuteront collectivement autant que faire se peut, mais
      chaque enseignant·e·s reste décisionnaire pour les cours qui le concernent.
      Des enseignant·e·s de l’UFR SEPF - Université Paris8.

      –-> reçue le 30.03.2020 via la mailing-list Facs et labos en lutte

    • « Des gens vont mourir, mais il faut que tu passes ton bac »

      Les mots sortent avec difficulté. Le constat est douloureux. « Je suis dépassée », confie Milouda, 51 ans, une femme de ménage qui élève seule ses deux enfants de 11 et 18 ans en Ariège. Elle continue de travailler à un rythme réduit. Comme tous les élèves de France, son fils, qui est en sixième, a du travail à faire. Et cela au nom de la sacro-sainte « continuité pédagogique » voulue par Jean-Michel Blanquer, au mépris des multiples réalités sociales des familles.

      La mère explique que ses difficultés à faire la classe à la maison sont imputables, entre autres, à sa mauvaise maîtrise de l’informatique. Elle dispose d’une tablette mais « n’y arrive pas » et ne possède pas d’imprimante. Il lui est donc difficile de suivre les consignes des enseignants, eux-mêmes assez absents. Une fois, en ces deux semaines, un enseignant a donné un cours d’histoire-géographie à distance. Il s’agit du seul contact que Milouda et son fils ont eu avec le corps enseignant.

      La situation semble inextricable. Cela génère tensions et souffrances pour la mère et son fils. « Je suis à bout, j’ai lâché, je ne peux plus rien faire, on ne fait plus rien du tout. Je n’arrive pas à lui expliquer les cours. Je me sens impuissante de ne pas pouvoir faire d’autres exercices. J’ai du mal à avoir les devoirs aussi, car je n’ai pas le matériel. Comme je suis arrivée tard du Maroc, je n’ai pas le niveau et je ne sais pas quoi faire. Mon fils ne se sent pas bien, il se dit qu’il est nul », soupire Milouda. Son fils sait accéder à l’espace numérique de travail (ENT) seul mais c’est tout.

      Alors, elle veut témoigner pour alerter sur sa situation et celle d’autres familles dans son cas. Elle veut raconter à quel point cette configuration est injuste pour une population modeste déjà oubliée. Milouda doit tout assumer seule, sans aide. « Je me sentais déjà larguée, il fallait que je me batte pour beaucoup de choses. Là, il n’y a rien de pire, on est des sacrifiés. Déjà qu’on avait l’impression que tout le monde se fout de nous… »

      Nordy Granger, responsable de l’association Sorosa, dans la Drôme, connaît les difficultés induites par l’école à distance. Elle accompagne des jeunes mineurs non accompagnés et des jeunes majeurs étrangers scolarisés en lycée professionnel ou en centre de formation d’apprentis (CFA) éventuellement. Les mineurs sont pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Il a fallu là encore s’organiser pour faire face à l’école à distance, particulièrement délicate en filière professionnelle.

      « Au début, raconte la responsable, la première semaine, il y a eu un cafouillage, la continuité pédagogique n’a pas été tellement mise en place. Puis, il y a eu une accélération. Les profs ont envoyé des devoirs par mail. »

      Depuis le début de la fermeture des établissements scolaires, il y a deux semaines, des difficultés techniques sur les plateformes officielles de travail à distance ont obligé les enseignants à faire preuve de créativité. Certains ont conçu des groupes WhatsApp. D’autres envoient simplement des consignes et exercices par courriel. Un peu trop parfois.

      Un jeune s’est retrouvé aussi avec 40 pages de travail, avec un rendu la semaine suivante.

      Certains élèves n’ont pas d’adresse mail, d’ordinateur, Internet ou de smartphone. Les éducateurs du département n’ont pas le droit de se déplacer. « Personne ne savait comment procéder. Pour les familles exilées, c’est compliqué. Parfois, elles ne parlent pas français. S’il y a un grand frère ou une grande sœur adolescente qui parle français, il ou elle va expliquer ce que les petits doivent faire. S’il n’y a pas de grands, cela signifie que les petits ne vont pas faire de devoir tout le temps du confinement ? Vont-ils redoubler ? », s’interroge encore Nordy Granger.

      Elle explique qu’ils sont livrés à eux-mêmes. Certains sont francophones mais ont des difficultés à l’écrit et besoin d’un enseignant pour tout comprendre. « Les éducateurs font tout ce qu’ils peuvent, ils sont eux-mêmes en télétravail, ils essaient d’aider par téléphone. Les enseignants de français langue étrangère, le FLE, appellent les élèves pour discuter avec eux et les rassurer. Mais c’est un tel chantier… »

      Alors l’association a décidé de tenir une permanence le mercredi et le samedi, en respectant les règles sanitaires et en filtrant l’accès au local, personne par personne. Ainsi une adolescente de 14 ans est-elle venue faire ses devoirs dans le petit bureau de la permanence, car elle vit dans un squat sans ordinateur.

      Nordy Granger s’inquiète de ces bouleversements de la scolarité, même s’ils sont indépendants de leur volonté. Quid des diplômes ? Comment vont faire les élèves en apprentissage pour valider leur cursus alors que les entreprises – hors BTP – sont à l’arrêt ?

      Elle craint que cela les pénalise pour obtenir un titre de séjour, lequel est conditionné par « suivi réel et sérieux de leurs études ». Or, s’il est écrit que le demandeur n’a pas fait d’effort pour suivre les cours dans son bulletin du troisième trimestre, la préfecture pourrait bien refuser sa délivrance.

      De son côté Aurore, mère de deux enfants, enceinte du troisième et proche du terme, joue de malchance. L’ordinateur familial a planté. Il n’est pas possible de le faire réparer ni d’aller en acheter un nouveau, faute d’avoir le budget et de pouvoir se rendre dans les magasins. Ses enfants, respectivement en sixième et en troisième, se débrouillent avec les smartphones de leurs parents.

      Seulement, il est difficile d’aller sur Pronote, l’une des plateformes utilisées pour l’école à distance, sur un simple téléphone. « Nous avons accès à tous les cours mais impossible d’être évalués », résume Aurore.

      L’école française se distingue pour sa propension à nourrir les inégalités qui la traversent. Ce moment inédit qui voit 12 millions d’élèves suivre leurs cours à distance met au jour ce que tous les observateurs du monde scolaire s’échinent à dénoncer. L’école est loin d’être aveugle aux différences sociales et, pire, elle ne fait pas grand-chose pour les corriger.

      Le ministre de l’éducation nationale l’a reconnu mardi 31 mars sur CNews. Selon Jean-Michel Blanquer, il y a « un grand risque » que la situation actuelle « creuse les inégalités » entre les familles qui ont la possibilité de faire la classe à la maison et les autres. Il a estimé qu’entre 5 et 8 % des élèves ont été perdus par leurs professeurs, qui ne peuvent pas les joindre depuis deux semaines.

      Pour lutter contre cela, un accord a notamment été passé avec La Poste, qui « va permettre à chaque professeur d’envoyer à partir de son ordinateur un document imprimé à un élève qui n’a pas d’équipement numérique ou qu’il n’a pas réussi à joindre autrement », a-t-il détaillé. Des tablettes peuvent être distribuées par des collectivités locales ou des associations aux familles qui n’ont pas d’équipement informatique, a promis le ministre.
      Le système D prévaut

      En attendant, pour les familles comme pour les enseignants, le système D prévaut.

      Virginie*, professeure des écoles dans une école Réseau d’éducation prioritaire (REP) à Pantin, en Seine-Saint-Denis, a fait en sorte de contourner les difficultés des familles de sa classe et a scanné un maximum d’exercices pour faire écrire les petits de CM2. Elle regrette simplement de n’avoir pas pensé à donner des crayons de couleur et des feutres aux élèves les plus démunis, car elle leur a aussi demandé de colorier des cartes et n’est pas sûre que tous possèdent le matériel idoine. Mais dans la précipitation, elle a paré au plus urgent.

      Depuis le début du confinement, Julien enseignant dans le Morbihan, s’occupe de sa classe de CM2 et de ses filles. Comme sa collègue de Pantin, il a veillé à limiter au maximum le stress. Il sait que des familles dysfonctionnent et que mettre une trop grande pression aux petits pourrait créer des conflits dans des foyers déjà violents. Certains n’ont pas d’équipement numérique ou pas de réseau internet. Il a donc évincé tout exercice nécessitant une imprimante et a privilégié les ressources gratuites et activités ludiques. Il fait écrire ses élèves « pour qu’ils ne perdent pas tout ».

      Parce qu’il sait aussi que la réalité scolaire, plus que jamais, est conditionnée par le milieu social des enfants.

      « Je fais attention au vocabulaire que j’emploie dans mes consignes pour ne pas utiliser le jargon pédago incompréhensible pour le commun des mortels. Malgré tout, plein de parents m’écrivent, car leur enfant pleure tous les jours et ne veut rien faire. Je leur dis de le laisser appréhender la situation car c’est incroyable ce qu’on vit. »

      La responsable de l’association Sorosa a contacté les enseignants, « bienveillants » pour leur demander de restreindre les demandes d’impression, « car on ne sait pas comment on va se procurer de l’encre quand on n’aura plus de réserves. Et surtout, on a envie de leur dire d’arrêter de mettre la pression aux élèves ».

      Pour sa part Milouda se débrouille malgré le confinement et réussit à se rendre chez un camarade de son fils, à deux kilomètres de là. « Le problème, c’est que son beau-père est raciste, il refuse que je vienne. Alors, j’y vais très tôt, avant qu’il ne se réveille, je récupère des devoirs que me donne la maman par la fenêtre. Mais elle ne peut pas tout imprimer car elle aussi est en rade. » Mais c’est déjà ça.

      Milouda est inquiète, car son fils a déjà des difficultés à l’école. En temps normal, il fréquente l’aide aux devoirs. Un soutien appréciable mais inaccessible aujourd’hui. « En milieu rural, il n’y a pas de MJC, pas de service public. Il n’y a rien pour les ados, pas de solidarité », regrette-t-elle.

      Des difficultés dans toutes les familles

      Des parents, mieux armés, font eux aussi part de leurs difficultés à assurer la mission qui leur est dévolue. À tel point que la FCPE de Paris a réclamé dans un communiqué qu’il y ait moins de pression sur les parents, les enfants et les enseignants de la part du ministère, qui tient à ce que tout continue.

      Marie a 46 ans et vit à Bayonne avec ses deux enfants de 10 et 2 ans. Adjointe administrative, elle est en télétravail. Son conjoint est à son compte mais avec une activité ralentie. De son propre aveu, elle se sent « privilégiée », même si l’école à la maison n’est pas une sinécure. Elle est très angoissée pour sa fille. Résultat, les premiers jours ont été très tendus.

      Sa fille est en CM1 et reçoit un planning quotidien, « assez ludique », par mail. Une fois par semaine, il y a une classe virtuelle d’une heure pour que tous les élèves se voient. Enfin… pour ceux qui possèdent le matériel informatique idoine… De son côté, Marie explique que tout est chronométré dans la journée de l’écolière.

      « Nous on déborde sur le temps de pause, ce qui nous met la pression. J’ai peur que ma fille n’y arrive pas et qu’elle accumule du retard. » Au bout de quelques jours, la mère de famille s’est dit qu’il fallait dédramatiser et que ce n’était pas grave de louper quelques exercices. « Sinon cela va devenir irrespirable. »

      Même les parents d’adolescents peuvent se sentir submergés. C’est le cas de France, 48 ans. Elle travaille à Paris dans la communication et s’occupe de son fils, élève de première. Celui-ci, comme tous les élèves de son niveau, a connu une année mouvementée, entre les grèves de transports, les blocus contre les « E3C », les nouvelles épreuves de contrôle continu, et maintenant le confinement pour cause de coronavirus. Les jeunes qui préparent un examen attendent encore des réponses claires de la part du ministre pour connaître les modalités du baccalauréat, ce qui ajoute un peu plus d’angoisse.

      La mère de cet adolescent reconnaît tout de go « ne pas être une super pédagogue », malgré ses diplômes de l’enseignement supérieur. « À 17 ans, ce n’est pas sa meilleure période, ni avec moi ni avec lui-même. Famille recomposée. On a un seul ordinateur, pas d’imprimante, ça complique les choses. »

      Elle ne se voit pas non plus dispenser à son fils un cours de sociologie ou disserter avec lui sur Le Rouge et le Noir de Stendhal, au programme, mais qu’elle a lu il y a une éternité.

      Eva* a 40 ans et vit dans le Val-de-Marne. Elle a deux enfants en primaire, en CE2 et en CM2. Responsable des ressources dans une association, elle gère son équipe à distance. Son conjoint est infirmier, donc impossible pour lui de l’aider dans le contexte actuel. Alors, la mère de famille s’est organisée le mieux possible. Elle a constitué des plannings avec des temps de travail, de pause et de déjeuner. Elle s’astreint à une routine avec ses enfants « pour différencier les jours de la semaine ».

      Sur le plan scolaire, Eva explique qu’elle gère au fil de l’eau, surtout avec un fils qui réclame une attention particulière : « On fait comme on peut, on reçoit par mail tout ce qu’il faut faire chaque soir. Autant l’aînée est autonome, elle a peu besoin d’aide. Mais son petit frère est en CE2, avec des difficultés de concentration et d’apprentissage. Ce n’est pas inquiétant mais il ne peut pas travailler tout seul. Et là c’est dur. Avec la maîtresse, il n’y a pas de lien affectif dans la dimension éducative. Là, tout vire au conflit. »

      Elle craint que son fils ne décroche s’il n’écrit pas et ne lit pas régulièrement. « Je vois tout ce qu’il aurait dû faire en une journée et qu’on n’a pas réussi… »
      Et si on arrêtait l’école à la maison ?

      Marwa aussi se démène comme elle peut avec deux enfants atteints de troubles de l’attention. À 43 ans, elle vit dans le VIIIe arrondissement à Paris, un quartier chic. Cette commerciale « à temps partiel » tient à préciser qu’elle élève seule ses deux enfants de 7 et 10 ans et occupe un logement social. Les deux souffrent d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

      La mère a entretenu une relation complexe avec l’école. Victime d’une orientation forcée en BEP secrétariat, elle regrette de n’avoir pu suivre les études longues dont elle rêvait. Elle raconte encore que son fils aîné a subi du harcèlement à l’école plus jeune et craint surtout que ses deux fils ne soient « catalogués comme futurs ratés en allant dans une école de bourgeois sans l’être eux-mêmes ».

      Alors, elle fait en sorte qu’ils poursuivent tant bien que mal leur scolarité, même confinés. L’aîné a été diagnostiqué tardivement, il accuse un retard dans son cursus. Marwa possède « une imprimante mais pas d’encre ». Elle se rend régulièrement à l’école – malgré les dangers – pour récupérer des exercices auprès du directeur.

      Marwa constate que la charge de travail est énorme. Elle tente de s’adapter. « C’est dur pour une maman solo. Ils ne savent pas se canaliser, ça hurle, ça chahute. Le matin, ce sont des piles électriques, impossible de les calmer. Après le déjeuner, j’arrive à avoir un moment d’attention. En temps normal, le premier a un AESH [accompagnant des élèves en situation de handicap − ndlr]. Là, il est greffé à moi. Le dernier arrive à peu près à travailler ; mais au bout d’un quart d’heure, il a besoin d’une pause. »

      Son fils aîné se braque dans un contexte tendu qui exacerbe son hypersensibilité, explique encore Marwa. « Il refuse de faire le minimum et se trouve des excuses. Je me retrouve à me battre pour un exercice. Je me suis battue deux heures pour une fraction… Ce n’est pas mon métier, on est à la maison. Lui-même n’arrive plus à se contenir. L’école le calme, c’est un cadre pour lui, il y a des règles là-bas. »

      D’ordinaire, un enseignant de collège, formé à travailler avec des enfants souffrant d’un TDAH, vient deux fois par semaine, le mercredi et le samedi pour aider les deux fils de Marwa. Ce qui lui permet un peu de souffler. Ce n’est pas le cas en ce moment.

      Aujourd’hui, elle vit mal son isolement et son sentiment d’impuissance. « On nous met une espèce de culpabilité, car on n’a pas toujours les moyens intellectuels ou la méthodologie pour expliquer à nos enfants. Rien que les divisions, ça a changé. On ne les pose plus pareil. » Elle craint qu’à la rentrée, une partie des élèves « ne soit complètement larguée, car dans le VIIIe, c’est marche ou crève ».

      France identifie une multitude « de micro-choses » qui font que c’est stressant. Le contexte général, très anxiogène, la pression volontaire ou involontaire des enseignants et des parents, la masse considérable de travail à rendre, parfois sur des notions à peine survolées en cours.

      « C’est un peu culpabilisant. J’ai l’impression d’être l’artisan de l’échec de nos enfants. Il y aura deux camps. Ceux qui auront su et ceux qui n’auront pas pu. Je ne comprends pas l’acharnement à maintenir tout cela. À part quelques ados qui ont le plaisir de l’apprentissage, on va dégoûter cette génération parce qu’on ne veut pas prendre en compte la réalité. On marche sur la tête. Il y a une pandémie, des gens vont mourir, mais il faut que tu passes ton bac. On ne peut pas fonctionner normalement quand rien ne fonctionne normalement. »

      Eva plaide en faveur d’une solution radicale. Arrêter l’école à la maison. « Il est impossible d’enseigner et de télétravailler en même temps. Stopper les cours desserrerait la pression, mettrait tout le monde à égalité, même si on sait que les CSP+ ne laisseront pas leurs enfants devant la télé. Mais du point de vue de l’institution, il n’y aura pas d’injonction remplie d’un côté et pas de l’autre… »

      Julien, l’enseignant du Morbihan, s’est aussi étonné que sa propre fille, en CM1, ait reçu une somme considérable de travail, une quarantaine de pages. À tel point qu’il a été surpris du nombre de feuilles sorties de l’imprimante qu’il a lancée sans regarder. Sans compter qu’il est difficile d’enseigner à son propre enfant, quand bien même c’est son métier. Lui aussi a dû faire face à des crises avec sa fille, qui s’est braquée à plusieurs reprises.

      Pour toutes ces raisons, il aurait aimé que tous les enseignants n’obéissent pas à la consigne ministérielle et proposent, au lieu des révisions des leçons, des activités pédagogiques. Histoire de réussir à ne pas trop creuser les inégalités dont est percluse l’école française.

      Le professeur ne se fait guère d’illusions : « De toute façon, on dénonce le mythe de l’école républicaine qui abolirait les différences. On savait que c’était faux, mais là, ça l’accentue. Là, le grand public les vit au quotidien, ces inégalités et leurs conséquences, ce qu’on dénonce tous depuis des années. »

      Certaines familles se sont « évanouies dans la nature », constate Virginie. Sur une vingtaine, une petite quinzaine ne donne pas de nouvelles. Les autres se surinvestissent au contraire. « Elles poussent leurs enfants, ce que j’arrivais à contenir quand on était en classe. Ces parents m’envoient cinq messages par jour pour me poser des questions. Ce sont ceux de la classe moyenne qui veulent que leurs enfants prennent l’ascenseur social », analyse Virginie.

      L’enseignante est inquiète des conséquences du confinement, car elle sait que certains sont inscrits sur des sites qui prétendent offrir des cours particuliers efficaces en ces temps inhabituels. « J’ai peur que les parents prennent trop d’initiatives. Quand je vais les récupérer, ils auront vu de nouvelles notions, ça va creuser les inégalités. En fait, cette situation exacerbe les comportements habituels. Ça laisse libre cours à ceux qui s’en fichent et à ceux qui mettent trop de pression à leurs enfants. »

      La « continuité pédagogique » voulue par le ministre Jean-Michel Blanquer suscite de plus en plus de critiques. De nombreux parents, notamment dans les familles modestes, se sentent dépassés. Témoignages de parents qui galèrent.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/310320/des-gens-vont-mourir-mais-il-faut-que-tu-passes-ton-bac?onglet=full

    • M. Blanquer, arrêtez de #faire_semblant

      Si l’on en croit M. Le ministre de l’Education nationale, tout est sous contrôle. Tout le monde a trouvé son « rythme de croisière » sur la plateforme Ma classe à la maison, les jeunes de Terminale pourront passer leur bac d’ici la fin du mois de juin, les élèves rattraperont leurs retards d’apprentissage cet été grâce à des modules gratuits…
      Mais M. Blanquer, si vous arrêtiez de faire semblant ?
      Semblant de maîtriser une situation imprévisible, ou à tout le moins imprévue, semblant de faire comme si la continuité pédagogique fonctionnait, semblant de penser que plus de 90 % des élèves n’ont pas « décroché »… Bien sûr, les parents sont reconnaissants du travail réalisé par des professeurs mis en demeure d’enseigner à distance alors même qu’ils n’ont jamais, ou presque, été formés à ces nouvelles pratiques. Bien sûr, les parents ont répondu présent quand le Ministre leur a demandé d’accompagner leurs enfants dans ce processus. Mais voilà, ils n’en peuvent plus ! Ils disent stop à la pression qui s’exerce sur eux et les élèves.
      Ils ne veulent plus qu’on leur donne des dates de sortie de confinement sujettes à caution, recevoir des injonctions sur ce qu’ils devraient faire ou ne pas faire durant leurs vacances, préparer leurs enfants à des examens dont on ne connaît même pas l’organisation, aller chercher des devoirs photocopiés alors qu’ils devraient rester confinés. Tous se plaignent des devoirs trop lourds, du coût matériel induit par cette « continuité pédagogique » ou encore de l’impossibilité de se connecter à Parcoursup en respectant les dates limites.
      Nous, nous ne faisons pas semblant, tous les jours nous devons répondre aux parents stressés par leur difficulté à ne pas perdre pied dans le travail qui est demandé à leur enfants et qui s’ajoute à l’inquiétude causée par la pandémie.
      Désormais, nous exigeons :
      – la suspension immédiate de Parcoursup ;
      – l’arrêt des notes données aux élèves en cette période de confinement ;
      – l’allégement des travaux à réaliser à la maison ;
      – la garantie d’une reprise des cours là où les enseignants les avaient arrêtés le 16 mars dernier ;
      – la garantie que les diplômes des élèves ne prendront en compte que les notes obtenues en présentiel.

      https://www.fcpe.asso.fr/sites/default/files/2020-03/31-03-2020-M%20Blanquer%20arre%CC%82tez%20de%20faire%20semblant%281%29.pdf

    • La #loi_organique_d’urgence, le #Conseil_constitutionnel et la continuité pédagogique

      Démarrons par un point apparemment éloigné de la continuité pédagogique : le Conseil constitutionnel a rendu jeudi 26 mars sa décision sur la « loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ». La loi « organique » d’urgence est une loi qui vient compléter la loi « ordinaire » d’urgence du 23 mars dernier, sur un point bien précis : elle suspend jusqu’au 30 juin 2020 les délais dans lesquels doivent être normalement examinées les questions prioritaires de constitutionnalité, « afin de faire face aux conséquences de l’épidémie du virus covid-19 » (article unique de la loi, qui n’a toujours pas été publiée au Journal officiel).

      Les lois organiques sont des lois d’un type très particulier. Leur adoption étant prévue par la Constitution elle-même, elles sont d’une valeur juridique supérieure aux lois ordinaires et doivent être promulguées selon une procédure spéciale fixée à l’article 46 de la Constitution. Entre autres choses, un projet de loi organique ne peut pas « être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant l’expiration d’un délai de quinze jours après son dépôt » (alinéa 2). L’objectif poursuivi par cette règle est simple : si la Constitution de la Ve République impose qu’entre le dépôt du projet de loi organique par le gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat et sa discussion par le Parlement, quinze jours au moins se soient écoulés, c’est parce que les lois organiques sont trop importantes pour que l’on puisse prendre le risque de les adopter dans la précipitation.

      Pour la loi organique d’urgence, cette condition n’était pas remplie. Le projet de loi a été déposé mercredi 18 mars 2020 sur le bureau du Sénat et a commencé à être examiné dès le lendemain. Le non-respect du texte de la Constitution était donc indiscutable. Et pourtant… Dans sa décision du jeudi 26 mars, le Conseil constitutionnel ne voit là aucun motif d’inconstitutionnalité. Plus précisément, il estime que « compte-tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution ». « Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce », une demi-phrase, et c’en est tout de l’argumentation juridique. C’est qu’il n’y a pas grand-chose à expliquer, en fait : face à une loi organique qui viole de manière flagrante l’article 46 de la Constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas eu d’autre choix que de créer une « théorie des circonstances exceptionnelles » en droit constitutionnel français. C’était, pourrait-on dire, le prix constitutionnel à payer à partir du moment où son choix était de sauver la loi organique.
      On comprend que le Conseil constitutionnel, eu égard à l’âge vénérable de ses membres – 72 ans de moyenne d’âge – et aux risques qui y sont associés, se sente en première ligne face à l’épidémie de covid-19, et panique quelque peu. Mais la décision de jeudi dernier est proprement indigne : indigne de toutes celles et tous ceux qui, des caisses de supermarché aux hôpitaux, sont vraiment en première ligne ; indigne, surtout, des fonctions d’une institution qui, normalement, ne devrait pas avoir vocation – en tout cas pas si facilement – à être aux ordres. Perd-on donc toute lucidité juridique dès que la situation devient exceptionnelle et urgente ?

      C’est à tous les niveaux que cette perte de lucidité juridique s’observe en ce moment, en réalité. L’enseignement supérieur et la recherche, on l’aura compris des différents articles publiés sur Academia depuis le début de l’épidémie, n’échappe pas à ce constat1. Que les circonstances soient exceptionnelles, c’est une chose ; qu’elles autorisent le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et les établissements qui en relèvent, à faire n’importe quoi, c’en est une autre. Pour la communauté de l’ESR, la situation devient très désagréable : englué dans l’urgence de la situation et le bouleversement de nos quotidiens, on regarde, sidéré, les « consignes » tomber. Il est temps, cependant, de reprendre collectivement notre lucidité juridique2, pour ne pas être écrasés par l’exceptionnalité du moment : vérifions une à une la validité de ces injonctions, et faisons la part des choses.
      La continuité pédagogique, certes, mais à quelles conditions juridiques ?

      La continuité pédagogique est la grande injonction du moment, et elle autorise tous les abus. À l’évidence, certains – au ministère, dans les rectorats et dans nos universités – semblent intimement persuadés que le vieux principe juridique de « continuité du service public », associé aux circonstances exceptionnelles qui sont les nôtres, suffit à recouvrir d’un voile de légalité chacune des décisions qui sont prises.

      Qu’il existe un principe de continuité du service public, c’est certain, tout comme il est certain que le juge administratif a toujours été compréhensif vis-à-vis des administrations qui, confrontées à une circonstance exceptionnelle, prenaient quelques largesses avec le droit auquel elles étaient soumises. Mais il serait désastreux que l’on prenne ces deux certitudes pour un argumentaire juridique à toute épreuve : à ce niveau de généralité, il ne s’agit que d’une mauvaise bouillie de droit administratif.

      Commençons plutôt par rappeler une donnée simple. Ni les « plans de continuité pédagogique » divers et variés qui inondent nos boîtes mail, ni les « plans de continuité des activités » (PCA) que tous les établissements arborent désormais pompeusement ne produisent du droit et n’ont pas davantage d’autorité réglementaire. Ils ne le peuvent tout simplement pas : ce sont tantôt des conseils, tantôt des mesures d’organisation des services ; mais, dans tous les cas, ce ne sont pas des mesures d’une force juridique suffisante pour introduire des dérogations au droit de la fonction publique, et encore moins des limitations aux libertés universitaires.

      Reprenons, à partir de là, les choses dans l’ordre. La réalité juridique actuelle dans les universités est bien plus prosaïque qu’on ne le croit, en fait. Elle tient en deux phrases : sur le fondement du décret du 23 mars 2020 « prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire »,

      1° nos universités sont fermées aux « usagers des activités de formation », c’est-à-dire aux étudiants (article 9) ; et
      2° nous n’avons, pas davantage que nos étudiants, le droit d’y accéder, car, pour l’immense majorité d’entre nous, les trajets entre nos domiciles et nos établissements ne sont pas considérés comme des déplacements « insusceptibles d’être différés » (article 3).

      À ce stade, nous ne voyons rien d’autre sur le plan des textes juridiques. Ce ne sont pas les occasions légistiques qui ont manqué, pourtant : une loi et 31 ordonnances ont été publiées au Journal officiel la semaine dernière pour « faire face à l’épidémie », sans compter les multiples décrets et arrêtés. Mais c’est ainsi : le décret du 23 mars 2020 ne dit rien qui pourrait concerner la continuité pédagogique, pas plus que la loi d’urgence du 23 mars 2020. Aucune mesure d’« adaptation provisoire » du décret du 6 juin 1984 – le statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences –, et en particulier de son article 7 sur les services d’enseignement, n’a par ailleurs été prise. Et rien n’a été modifié quant aux conditions d’application du décret du 11 février 2016 sur la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique.

      Cette donnée juridique là, ce ne sont pas les « fiches » de la direction générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion professionnelle qui y changeront quoi que ce soit, pas plus que la flopée de mails de nos présidents d’université. Pour le dire autrement, s’il existe bien un principe de continuité du service public, et quand bien même les circonstances sont exceptionnelles, ni la DGESIP, ni les présidents d’université n’ont un titre juridique suffisant pour ordonner ce que l’on doit faire pour assurer la continuité pédagogique. Il serait très grave que ce principe soit oublié dans le contexte dramatique actuel, et il est crucial de tenir bon sur ce point, alors que les présidents viennent déjà de recevoir des pouvoirs exorbitants pour décider des formes des prochains examens – une question qui relève, pourtant, directement des choix pédagogiques ((Sur les marges de manœuvre considérables qui sont reconnues aux présidents, ainsi que sur les interrogations quant aux concours de recrutement, nous renvoyons aux analyses – encore à approfondir – de l’ordonnance du 27 mars 2020 relative à l’organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19 : « Il n’est pas besoin de beaucoup de mots » : dérogations à tout va dans les universités, 28 mars 2020 et Oups ! Fin prématurée des mandats de présidents d’université ?, 29 mars 2020.)).

      Sans texte juridique, aucun dispositif précis de contrôle ne peut d’ailleurs être introduit. Qui aurait le droit de décider qu’une heure d’enseignement vaut une heure de vidéo ou de son, ou X pages de cours ? Qui aurait le droit de procéder à de telles équivalences, alors même que le bouleversement de notre cadre de travail est sans équivalent ? La règle, si règle il y a, elle est bien simple : chacun fait ce qu’il peut et ce qu’il se sent de faire, selon ses possibilités personnelles et familiales, son environnement de travail et son état psychologique. Personne, en particulier, ne pourra être sanctionné parce qu’il n’a pas assuré l’intégralité de son service : il manquerait un fondement juridique à cela, tout simplement parce que personne n’aura enfreint aucune règle, tant que les règles n’auront pas été modifiées. N’inversons pas l’ordre des choses, tout simplement : ce que fait le droit pour l’instant, ce n’est pas de nous obliger à une quelconque continuité pédagogique ; ce qu’il fait, c’est de nous confiner, donc de nous empêcher d’assurer nos heures d’enseignement relevant de nos obligations statutaires ou de nos contrats.

      Pour que les choses soient parfaitement claires : cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune obligation de télétravail. En effet, même si, du côté de la fonction publique, il n’existe pas l’équivalent de l’article L. 1222-11 du code du travail, il ne fait aucun doute qu’en cas de contentieux, le juge administratif soutiendra qu’en période d’épidémie, la mise en œuvre du télétravail doit être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité du service public et garantir la protection des agents. Mais cela signifie, en revanche, qu’on ne saurait se laisser dicter les conditions de la continuité pédagogique.

      Celle-ci est littéralement nue : faute de fondement juridique, elle n’est qu’une injonction. Bien sûr, il n’est pas impossible que de nouveaux textes soient édictés dans les prochaines semaines ; mais pour l’instant, la continuité pédagogique, ce n’est que ça : une injonction parfois autoritaire, qui se drape dans l’intérêt supérieur de nos étudiants, tout en oubliant qu’elle passe en réalité par pertes et profits la dégradation considérable de la qualité des enseignements que ces mêmes étudiants reçoivent et les inégalités tout aussi considérables que l’on crée entre eux. De ce point de vue, faute de fondement juridique, la continuité pédagogique ne s’apprécie que sur le plan pédagogique, de sorte que chaque enseignant-chercheur et enseignant, au titre de sa liberté d’enseigner, est légitime à apporter sa réponse aux problèmes pédagogiques lourds que soulève l’épisode actuel : combien d’étudiants perdons-nous en route dans toute cette affaire ? Quel est, plus précisément, notre seuil d’acceptabilité ?

      Bref, s’il est évidemment crucial qu’en ces temps tourmentés, nous accompagnions du mieux que l’on peut nos étudiants, il ne faudrait pas, pour autant, que quelques collègues – parfois devenus plus managers que collègues, d’ailleurs – perdent de vue que si continuité pédagogique il y a, elle procède d’abord et avant tout de la bonne volonté et du sens du service public des personnels de l’ESR. Il ne faudrait pas non plus, d’ailleurs, qu’ils perdent de vue que dans tous les cas, l’enseignement n’occupe qu’une partie de nos fonctions : les conditions d’une continuité de la recherche doivent aussi être respectées. Nous devons avoir un peu de temps pour bosser sur nos articles et nos livres, en somme.

      Hors ce dernier point, et quand bien même la « liberté pédagogique » des enseignants de l’éducation nationale n’offre pas le même niveau d’indépendance que les libertés universitaires, on observe que ce constat vaut largement, aussi, pour les collègues enseignant dans le premier degré et dans le second degré. C’est sans doute pourquoi, d’ailleurs, la porte-parole du gouvernement a si vite rétropédalé, mercredi dernier, après ses propos sur les « enseignants qui ne travaillent pas ». Ce n’est pas seulement que ses propos étaient factuellement faux ; c’est qu’ils présentent l’inconvénient d’attirer l’attention sur une réalité juridique dont chacun devrait prendre conscience : si la « continuité pédagogique » est à l’œuvre, c’est d’abord et avant tout en raison de la bienveillance des enseignants à l’égard de leurs élèves, beaucoup plus qu’en raison d’une obligation juridique. C’est aux enseignants qu’il revient d’en déterminer le contenu et la forme.

      Voilà le fin mot : sans nous, l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et la recherche ne sont rien, car nous portons le système. Et en ce moment – dans les « circonstances particulières de l’espèce », pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel –, nous le portons bien au-delà de ce à quoi nous sommes obligés.

      https://academia.hypotheses.org/21798

    • Message reçu via la mailing-list Facs et labos en lutte, le 17.4.2020 :

      Je partage avec vous un email reçu il y a 2 ans m’indiquant que la visioconférence prise en charge avec un équipement professionnel n’était pas envisageable mais aujourd’hui l’université impose la continuité pédagogique de la même discipline sur la plateforme #moodle avec des heures fixées et un temps imparti pour réaliser le devoir.
      Il paraît évident qu’à présent que les étudiants sont enfermés chez eux avec un ordinateur de fortune et une connexion internet basique, tout devient possible.

      C’est #carnavalesque !

      –-----------

      Bonsoir,

      J’ai lu avec attention votre message concernant $$$$$$$$.
      Je comprends aisément, à l’insistance de vos messages, combien la discipline vous tient à cœur au sein de l’université.

      Toutefois, je tiens à vous informer que le $$$$$$$$ n’est pas référencé dans les maquettes pédagogiques proposées par $$$$$$$$ ... et il n’est donc pas envisageable, sous quelque régime que ce soit, d’organiser un enseignement de $$$$$$$$.

      De manière complètement partagée par l’ensemble de l’équipe pédagogique locale, la formule de la visio conférence reste perçue comme la « pire » des choses quant à l’efficacité pédagogique, notamment, et surtout, pour ce type de matière, basée d’abord (et surtout) sur la notion de « dialogue permanent et fluide ». « L’échange » (réel, et non pas biaisé) avec un enseignant reste primordial si l’on désire garantir un certain niveau de résultat, ce que le système ne permet pas vraiment à ce jour, aussi performant soit-il technologiquement.

      Nos étudiants le savent parfaitement et en ont accepté le principe : le niveau d’exigence attendu dans toutes les matières dispensées présentiellement est perçu par eux comme relativement élevé.

      Je ne voudrais pas néanmoins que vous en concluiez que le $$$$$$$$ restera, par choix institutionnel, à jamais « sinistré » $$$$$$$$.
      S’il est une solution à envisager, je pense qu’il conviendrait de la mettre en œuvre en partenariat avec le service du $$$$$$$$, dont $$$$$$$$ constitue la mission première. A travers lui, des étudiants passionnés isolés pourraient trouver tout à loisir réponse à leurs attentes.
      Je vous invite donc désormais à plutôt vous adresser à $$$$$$$$, qui en est la directrice à $$$$$$$$.

      Ayant je l’espère apporté tous les éclairages nécessaires (et suffisants) à vos préoccupations et à votre démarche,
      Bien cordialement,

      –-> vous avez vu cette phrase, qui date, selon la personne qui envoyé le message, d’il y a 2 ans ??

      "la formule de la #visioconférence reste perçue comme la « pire » des choses quant à l’efficacité pédagogique"

      #visio-conférence

    • Oui à la continuité pédagogique à l’université, mais sans évaluation !

      Plus de 120 enseignants-chercheurs, issus de différentes universités, s’élèvent contre l’évaluation des étudiants pendant cette période de confinement. « Cette continuité pédagogique, imprévue et donc mise en place brutalement, exacerbe les inégalités sociales déjà présentes ». Une évaluation reviendrait à les renforcer davantage.

      Nous vivons une situation de crise exceptionnelle et historique, malgré cela de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur sont dans la continuité (des examens, des concours…) comme si tout pouvait se poursuivre normalement. Or pour de nombreux étudiants, la situation actuelle de confinement n’est pas propice pour étudier convenablement à l’université. S’il est ainsi souhaitable de leur proposer des enseignements à distance, les évaluer sur des notions travaillées pendant cette période reviendrait à créer de profondes inégalités.

      Tout comme l’enseignement primaire et secondaire, l’université s’est lancée dans la poursuite des enseignements (cours magistraux, travaux dirigés, parfois même travaux pratiques) effectués avant le début du confinement. Les enseignants et enseignants-chercheurs ont souvent dû faire preuve d’ingéniosité et de ténacité pour continuer sur leur lancée. Contrairement au primaire et au secondaire où les enseignants doivent suivre les directives ministérielles, ceux de l’université ont une certaine liberté sur le contenu et les modalités pédagogiques (notamment l’évaluation) de leurs enseignements.

      Cette continuité pédagogique, imprévue et donc mise en place brutalement, exacerbe les inégalités sociales déjà présentes. En temps normal, elles sont quelque peu lissées : les étudiants peuvent tous assister (au moins en partie) aux cours, même s’ils ont de longs trajets ou s’ils doivent travailler à côté pour subvenir à leurs besoins… L’université met en effet à leur disposition des bibliothèques universitaires pour travailler au calme et utiliser des ressources documentaires, des ordinateurs, du réseau (wifi), parfois des imprimantes… Comme elle ne fournit pas ou peu d’ordinateurs portables aux étudiants ni de connexion Internet « à la maison », cette période de confinement et de « continuité pédagogique » repose uniquement sur les outils et accès au réseau personnels des étudiants.

      Des sondages réalisés récemment auprès d’étudiants de différents instituts montrent qu’un nombre non négligeable d’étudiants dispose uniquement d’un smartphone, ou doit partager ordinateur ou tablette avec le reste de la famille. L’étudiant muni seulement de son smartphone est alors fortement dépendant de son forfait personnel, mais aussi du réseau local. Une de nos étudiantes, confinée à la campagne, doit aller en haut d’une colline pour simplement lire ses mails ! Ne parlons pas de suivre des cours en ligne… Ou de lire un polycopié sur un écran de téléphone. Même avec un ordinateur, la qualité de la connexion peut être insuffisante pour assurer le suivi de cours en ligne avec des vidéos particulièrement gourmandes en termes de débit numérique.

      Au-delà de ces conditions techniques, il faut également bénéficier d’un endroit calme pour travailler pendant une partie substantielle de la journée, ce qui n’a rien d’évident. Dans une filière de l’université Paris Saclay où un sondage auprès des étudiants a été effectué, seuls les deux tiers des étudiants peuvent s’isoler pour travailler. Nombre d’étudiants doivent ainsi composer avec un logement étroit pour une famille, garder des frères et sœurs, etc. Certains doivent poursuivre leur travail alimentaire à côté : une étudiante caissière doit faire plus d’heures qu’en temps normal à cause de l’épidémie, elle est donc moins disponible pour suivre les cours. Il peut en outre y avoir des tensions au sein de la famille, moins perceptibles habituellement. On peut ainsi constater toutes sortes de situations bien réelles, qui sont objectivement un frein à l’apprentissage à distance.

      Malgré cela des cours en ligne ont lieu. On peut ici saluer le travail remarquable fait par les enseignants qui, s’ils sont en général confinés dans de meilleures conditions que leurs étudiants, sont également confrontés à certaines difficultés évoquées plus haut.

      La situation exceptionnelle que nous vivons est particulièrement anxiogène : étudier dans ces conditions est loin d’être optimal. Prolonger alors un cours à distance, en confinement, est une façon de penser à autre chose non seulement pour les étudiants qui peuvent le suivre décemment, mais aussi pour les enseignants. « Je dirais que les cours en visio sont ce qu’il y a de plus constructif et agréable, les rapports humains étant presque absents dans ce confinement, ils permettent d’entretenir du lien et d’entendre la voix de nos professeurs », témoigne ainsi une étudiante de l’Inalco.

      Compte tenu de toutes ces raisons, il est important que les enseignants poursuivent tant bien que mal leurs cours et travaux dirigés par l’intermédiaire d’outils de visualisation en ligne. En revanche, ces parties de cours effectuées depuis le début du confinement ne doivent pas faire l’objet d’une évaluation des étudiants ⎼⎼ à distance ou pas ⎼⎼ visant à l’attribution d’une note comptant dans la scolarité, sous peine d’amplifier les inégalités entre eux. Des examens pourront éventuellement se tenir à l’issue du confinement, dans les locaux des universités, et non en ligne, et ne devront pas porter sur des concepts vus pendant le confinement.

      Le service public d’enseignement supérieur fait un travail admirable pour le suivi pédagogique des étudiants à distance. Néanmoins, les processus d’enseignement à distance mis en place doivent faire figure d’exception et non devenir une norme, rien ne peut remplacer la présence physique d’un enseignant dans le processus d’apprentissage. « Par rapport à un cours présentiel, chaque activité me demande deux fois plus de temps. Les cours en ligne me demandent un travail très important et j’ai du mal à tout assimiler. Apprendre un concept seul ou avec de faibles interactions est beaucoup plus compliqué qu’en présentiel. » rapporte une étudiante de l’université Grenoble Alpes.

      https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/220420/oui-la-continuite-pedagogique-l-universite-mais-sans-evaluation

  • #Enfance en danger : pour le Sénat, il faut encourager les #signalements plutôt que changer le cadre juridique
    https://www.banquedesterritoires.fr/enfance-en-danger-pour-le-senat-il-faut-encourager-les-signalem

    Deux commissions du Sénat se sont penchées sur « l’obligation de signalement par les professionnels astreints à un secret des violences commises sur les mineurs ». Leur rapport dresse un état des lieux du secret professionnel. Les choses ne sont pas simples. La pertinence d’une obligation qui s’imposerait à tous est toutefois loin d’être évidente. Une modification du cadre juridique actuel n’est donc pas préconisée.

    […] Au final, le rapport du Sénat estime que « le cadre juridique actuel, qui autorise la préservation du secret professionnel dans certains cas complexes, permet aux professionnels d’agir de la façon la plus adaptée à la santé et à la sécurité du #mineur » et n’appelle donc pas à sa modification. En revanche, il préconise certaines mesures pour faciliter les signalements des professionnels dans le cadre législatif en vigueur. Celles-ci consisteraient notamment à harmoniser la rédaction des codes de #déontologie des professions de santé pour que le devoir d’alerte protège tous les mineurs jusqu’à l’âge de 18 ans et à approfondir les connaissances sur les procédures de signalement.

    Autres mesures préconisées : un renforcement de la #formation initiale et continue des #professionnels_de_santé et des travailleurs_sociaux sur la détection des situations de maltraitance et les procédures de signalement, une meilleure diffusion des bonnes pratiques, un développement des échanges pluridisciplinaires entre professionnels, ou encore un encouragement des professionnels à s’appuyer sur des médecins référents, experts en #protection_de_l'enfance, en cas de doute sur une situation de maltraitance.

    Le rapport et sa synthèse :
    http://www.senat.fr/rap/r19-304/r19-304_mono.html
    http://www.senat.fr/rap/r19-304/r19-304-syn.pdf